Séance du 6 avril 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Bellanger, pour explication de vote.
M. Jacques Bellanger. La proposition de loi que M. Paul Vergès et les sénateurs antillais du groupe socialiste, MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla et Claude Lise, ont cosignée recueille la pleine adhésion du groupe socialiste. Dans son article 1er, elle fait de la lutte contre l'intensification des effets de serre et de la prévention des risques liés au réchauffement climatique une priorité nationale.
Bien sûr, cet article n'a qu'une valeur déclarative et non normative. Mais l'expérience nous montre qu'avec le temps les articles déclaratifs peuvent prendre du corps sur le plan tant législatif que constitutionnel. Je pense par exemple à l'article 1er de la loi de 1990 relative à la mise en oeuvre du droit au logement, qui affirmait que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ». A l'origine simple affirmation sans conséquence juridique, le droit au logement est devenu au fil de la jurisprudence du Conseil constitutionnel un principe de valeur constitutionnelle.
L'article 1er de la proposition de loi est donc pour nous important.
Il doit inciter les Etats à prendre en considération ce problème majeur qu'est le réchauffement de la planète et à agir en conséquence.
Je me félicite donc des dispositions annoncées par le Premier ministre lors de la réunion du comité interministériel consacré à l'effet de serre, le 19 janvier dernier. Le Gouvernement a montré qu'il avait pris conscience de l'ampleur du phénomène.
Je me réjouis également que le Gouvernement saisisse le Parlement pour ratifier le protocole de Kyoto ; ce devrait être bientôt chose faite à l'Assemblée nationale ; vous venez, madame la ministre, de le confirmer.
Enfin, mon groupe souscrit aux modifications apportées au texte initial par la commission des affaires économiques et du Plan sur les missions de l'observatoire. Il me paraît en effet utile de recentrer ces missions sur la collecte et la diffusion des informations, études et recherches sur l'effet de serre, de même que sur les actions de sensibilisation du public et des collectivités locales. Les lieux d'études ne manquent pas ; encore faut-il bien diffuser l'information pour pouvoir agir, et l'Observatoire pourra jouer ce rôle.
Le groupe socialiste votera donc les conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan, apportant tout son soutien à cette proposition. Il restera ensuite, madame la ministre, et vous avez raison de le rappeler, à mettre au quotidien nos décisions législatives en accord avec les choix que nous allons proclamer, de façon unanime vraisemblablement, dans cette assemblée.
Je souhaite donc que, dans chacune de nos décisions législatives à venir, nous déclinions notre volonté de lutter contre l'effet de serre. Je suis certain, par exemple, que, lorsque nous examinerons pour avis les prochains schémas de transport de voyageurs et de marchandises, nous prendrons de façon unanime les mesures nécessaires pour réduire considérablement les émissions de gaz carbonique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de la présentation par le Premier ministre du programme national de lutte contre l'effet de serre, le groupe du Rassemblement pour la République a considéré que les mesures proposées étaient trop timides et d'application trop lointaine.
Alors que l'institution d'une écotaxe sur le carbone dans des secteurs ciblés, d'un montant suffisamment élevé pour obliger les industriels à agir, est urgente, le Gouvernement s'en remet à des décisions européennes aléatoires.
Pour notre part, nous proposons, par la voix de notre collègue Serge Lepeltier, de taxer les émissions de gaz carbonique conformément au principe « pollueur-payeur », de refonder et de rétablir la notion d'économie d'énergie, de restaurer les moyens de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, de rééquilibrer la fiscalité des carburants, de moduler la fiscalité des véhicules selon leurs émissions polluantes, de maîtriser le développement de la voiture en ville, de développer l'offre de transports en commun et de promouvoir la cogénération.
Nous proposons aussi de promouvoir le développement, avant 2008, d'un marché européen de permis d'émissions ouvert aux entreprises grandes consommatrices d'énergie. Enfin, nous rappelons que rien ne se fera sans l'adhésion et la participation des citoyens comme des collectivités locales.
La proposition de loi que notre Haute Assemblée vient d'examiner vise à créer un observatoire national sur l'approfondissement de l'étude des conséquences du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d'outre-mer. Cet observatoire doit offrir aux élus locaux et aux collectivités les moyens d'élaborer une véritable politique de prévention dans ce domaine et doit permettre plus spécifiquement aux départements et territoires d'outre-mer d'engager une coopération avec les Etats regroupés au sein de l'Alliance des petits Etats insulaires.
Cosignée par des parlementaires issus de l'ensemble des groupes politiques représentés au Sénat, cette proposition de loi s'inscrit donc dans la réflexion que le groupe du Rassemblement pour la République mène sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle il la votera.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la qualité des débats que nous avons eus ce matin sur ce sujet très important, auquel l'opinion publique n'a pas toujours attaché, par la force des choses, l'attention qu'il méritait.
Le débat a été riche. Finalement, cette initiative aura permis à la Haute Assemblée d'avoir au moins une fois une discussion approfondie sur ce sujet crucial. Elle nous a en outre permis d'obtenir quelques réponses de votre part, madame le ministre, réponses qui, même si elles ne nous satisfont pas toutes, nous ont permis de connaître la position du Gouvernement.
Cependant, il se trouve que M. le président de l'Assemblée nationale et M. le président du Sénat ont chargé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques d'un rapport sur un sujet plus large que l'effet de serre, puisqu'il s'agit de l'évolution du climat et de ses conséquences prévisibles sur la géographie. Il se trouve que je suis chargé de ce rapport.
C'est la raison pour laquelle, au nom de mon groupe, je tiens à réaffirmer la nécessité pour la représentation nationale d'accorder à ce problème crucial et majeur l'importance qui s'attache aux grands problèmes de notre époque. Nous n'avons pas le droit, en le négligeant, d'hypothéquer l'avenir de nos petits-enfants, comme l'a très bien dit Pierre Laffitte.
Je tiens à dire d'ailleurs que je souscris absolument aux interventions de MM. Laffite et Poniatowski, comme j'ai apprécié certains des propos de M. Le Cam. Il est heureux que toutes ces choses soient dites.
Toutefois, étant donné la méthode retenue, dans la mesure où la discussion de ce texte a eu lieu avant le dépôt du rapport de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, vous comprendrez, mes chers collègues, que, pour réserver l'avenir et, dans l'hypothèse où il y aurait des navettes, nous ménager la possibilité de déposer des amendements, mon groupe s'abstiendra. Bien entendu, cette abstention n'est motivée ni par la personnalité du rapporteur ni par le sujet traité, elle tient simplement à la procédure qui a été suivie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Ainsi que je l'ai indiqué lors de mon intervention à la tribune, mon groupe votera la présente proposition de loi, sous la réserve que j'ai faite, à savoir, d'une part, que, l'observatoire soit étendu à l'échelon européen et, d'autre part, qu'il ait essentiellement pour fonction d'être un lieu de concertation entre les multiples organismes qui, dans le monde de la recherche mais aussi dans le monde industriel, se préoccupent des effets du réchauffement climatique.
Je veux plus particulièrement insister sur la nécessité absolue de renforcer les moyens des équipes de recherche. Je pense notamment à la recherche dans les terres australes, qui doit avoir les moyens nécessaires à son action tant au niveau français, puisque nous avons sur place une équipe nationale, qui se consacre à l'Antarctique, qu'au niveau international, où nous devons nous doter des moyens de prévoir, puis suivre les catastrophes qui pourraient éventuellement se produire, de façon à informer le plus tôt possible les gouvernements des mesures à prendre pour éliminer les effets néfastes de telles catastrophes.
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Certes, je comprends la frustration de notre collègue Marcel Deneux par rapport à la sortie de son rapport. Cela dit, il aurait été souhaitable que notre Haute Assemblée adoptât à l'unanimité cette proposition de loi.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gérard Le Cam. Par ailleurs, je tiens à dire que la proposition de confier ce projet à la présidence française européenne n'enlève rien au rôle que la France doit jouer à l'égard de cette grande question humanitaire. Bien sûr, l'Europe peut apporter un plus ; cela n'a rien d'hypothétique. Sur ce point, j'adhère tout à fait aux propos qu'a tenus tout à l'heure notre collègue Pierre Laffitte.
Je souhaite, bien évidemment, que le groupe de Marcel Deneux revienne sur sa décision, et j'appelle la Haute Assemblée à voter à l'unanimité cette proposition de loi.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Paul Vergès, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Vergès, rapporteur. Je voudrais tout d'abord me féliciter de cette unanimité qui, après s'être manifestée au sein de la commission des affaires économiques, semble se faire jour dans notre assemblée tout entière pour faire en sorte que ce problème considérable pour l'avenir soit effectivement pris en compte. Il n'est pas indifférent que cette initiative émane du Sénat, et que celui-ci adresse ainsi à l'Assemblée nationale et à l'ensemble de l'opinion publique un message tendant à faire de la lutte contre l'effet de serre une priorité nationale.
Je comprends parfaitement les réserves de notre collègue Marcel Deneux. Mais ce que nous allons décider aujourd'hui ne remet absolument pas en cause le mécanisme du rapport dont il est chargé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Face à un problème d'une dimension historique, les réticences tenant à des raisons de procédure doivent, me semble-t-il, s'effacer.
Quelqu'un l'a dit, je viens d'une petite île située à 10 000 kilomètres de Paris. Notre insularité et notre éloignement nous permettent de prendre plus facilement nos distances par rapport au bruit et à la fureur des débats du moment, et de réfléchir aux grandes forces qui vont agir au cours du prochain siècle.
Tous les intervenants ont souligné les bouleversements que ne manqueront pas d'apporter partout dans le monde les changements climatiques.
Mais le xxie siècle sera aussi marqué par la poursuite d'un phénomène totalement inédit dans l'histoire de l'humanité. Je veux parler de l'explosion démographique qui a déjà fait passer la population mondiale de 1,5 milliard d'individus en 1900 à plus de 6 milliards aujourd'hui, et qui devrait la porter à 8 milliards en 2025, puis à 10 milliards en 2050. Il y a là un phénomène de fond qui va tout changer sur la planète, et qui se produit parallèlement à ce que nous évoquons tous les jours : la mondialisation des échanges, la globalisation des marchés, l'apparition des nouvelles technologies, les interrogations qui surgissent dans tous les pays sur l'identité culturelle et la spécificité des peuples, les crises que tout cela provoque.
Bien sûr, nous avons naturellement tendance à nous pencher d'abord sur les problèmes qui se posent dans l'immédiat, mais nous ne devons pas oublier de lever la tête et de regarder au-delà de l'horizon d'une, deux, voire trois décennies, pour considérer les bouleversements que nous allons connaître.
Leur prise en compte nous est rendue difficile par tout notre héritage historique et socioculturel.
J'évoquerai à nouveau l'île de la Réunion parce qu'elle est aussi un laboratoire. Dans cette île tropicale, soumise du 1er janvier au 31 décembre aux alizés et à un soleil constant, dominée par un volcan en activité permanente, nous n'avons que très peu recours à l'énergie éolienne, à l'énergie solaire, à l'énergie géothermique, et nous nous orientons vers la solution classique des centrales thermiques, qui nous oblige à importer des matières premières énergétiques !
En vérité, nous sommes à un tournant de l'histoire de l'humanité et nous devons remettre en cause tous les modèles de développement. Il s'agit de savoir comment nous allons, au siècle prochain, adapter toutes les conquêtes techniques héritées de notre passé à une situation totalement bouleversée.
C'est à la lumière de cette analyse que nous avons suggéré la création d'un observatoire. Après tout, il est normal que cette proposition soulève une approbation unanime pour l'avenir mais suscite des appréciations différentes pour l'immédiat.
Vous me permettrez, en concluant, de souhaiter que ce signal adressé depuis le Sénat à la nation et au monde soit unanime. N'oubliez pas, mes chers collègues, que, chez nos voisins des Caraïbes et d'Amérique, comme chez nos voisins du Pacifique, votre décision sera interprétée comme le témoignage de la volonté de la France d'apporter son savoir et d'anticiper l'avenir. (Applaudissements.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 159.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'Union centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 54:

Nombre de votants 297
Nombre de suffrages exprimés 245123
Pour l'adoption 245

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente-cinq.)