Séance du 6 avril 2000






STOCKAGE DES DÉCHETS RADIOACTIFS

Suite de la discussion
d'une question orale avec débat

M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale avec débat n° 21 de M. Arthuis.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette question orale avec débat est l'occasion pour notre assemblée de débattre sur un sujet sensible, qui préoccupe l'ensemble de nos concitoyens.
En effet, les études d'opinion, tous secteurs et toutes activités confondus, montrent que les déchets nucléaires constituent une préoccupation figurant au tout premier rang de la liste des risques redoutés par nos concitoyens.
De quelle manière répondre à leurs préoccupations ?
L'objectif fondamental de la gestion à long terme des déchets radioactifs est de protéger l'homme et son environnement contre toute émission ou dissémination de matières radioactives.
En France, les déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie courte sont gérés par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, dans deux centres de stockage en surface. Cette agence, plus connue sous le nom de ANDRA, est un établissement public, indépendant des producteurs de déchets, et dont les statuts et la mission ont été clairement définis par le législateur.
L'un des centres de stockage se trouve dans mon département ; il s'agit du centre de la Manche, situé à la pointe du Cotentin, à vingt-cinq kilomètres à l'ouest de Cherbourg.
Mis en exploitation en 1959, ce centre était conçu à l'origine pour un simple stockage en tranchée.
Dès sa création en 1979, l'ANDRA a élaboré un nouveau concept qui a fait de la France le pionnier de ce type de stockage : case de stockage, dalles en béton de protection de la nappe phréatique, conditionnement pour garantir l'étanchéité des colis ont été conçus et mis en place pour assurer une protection sûre et efficace de l'environnement. Le centre est entré en phase de surveillance depuis 1994.
Grace à une plus grande transparence de l'information, notamment à l'organisation de visites, nos concitoyens ont pu accueillir ce centre et, par la suite, d'autres infrastructures de manière plus sereine. En effet, le souci d'information doit être constant et l'on ne peut oublier les errements du passé, qui ont longtemps jeté un discrédit sur le nucléaire et nourri une suspicion à son égard.
A ce propos, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous interroger sur les normes de sécurité de la première tranche creusée entre 1969 et 1978 sur le site de la Manche. Il semblerait que l'étanchéité ne soit pas parfaite au regard des connaissances techniques actuelles. Pourriez-vous rassurer à cet égard les habitants de ce département ?
Malgré tout, l'opacité subsiste. Elle a notamment entouré la mission collégiale de concertation « granite », chargée de rencontrer les élus, les associations et la population des quinze massifs granitiques retenus en France pour l'étude du projet d'implantation d'un laboratoire de qualification géologique en vue de la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à durée de vie longue. Cette mission a suscité une forte hostilité de la part de la population, des associations, ainsi que des élus, comme l'ont souligné de nombreux collègues dont M. Arthuis s'est fait en quelque sorte l'interprète.
Par ailleurs, le problème du stockage des déchets radioactifs ne peut être dissocié de la problématique de réduction des rejets. En effet, l'objectif de réduction des rejets doit être privilégié tandis que des précisions plus poussées sur les connaissances actuelles en matière d'effets de rayonnements ionisants sur la santé doivent être demandées. En tout cas, la Communauté européenne engage les Etats membres à poursuivre leurs efforts en vue de la réduction des quantités et de l'activité des déchets provenant de toutes les applications nucléaires.
Sur ce point, il est important de rappeler que des efforts considérables ont été réalisés depuis vingt ans ; il conviendra d'en accomplir encore dans l'avenir.
Dans les conclusions qu'il a adoptées le 15 juin 1999, le conseil des ministres de l'Union européenne se dit conscient de l'importance cruciale que revêt l'existence d'une saine gestion et d'un stockage effectué dans de bonnes conditions de sécurité des déchets nucléaires dans la Communauté.
Le conseil a également souligné l'importance d'assurer la transparence, au niveau des gouvernements, des autorités réglementaires, des opérateurs et du public, des opérations de gestion des déchets dans l'ensemble de la Communauté en vue de permettre une meilleure compréhension des questions techniques, sociales, environnementales en cause.
C'est dans ce contexte que devrait s'inscrire la ratification de la convention commune sur la sûreté de la gestion des combustibles usés et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs.
Cependant, cette réduction ne pourra être envisagée que si elle est accompagnée de moyens financiers qui permettront d'intensifier les recherches avec, pour objectif, non pas d'arriver à des rejets radioactifs proches de zéro d'ici à 2020, comme le préconise Michelle Rivasi, dans le rapport qu'elle a effectué au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, tout simplement parce que le « zéro rejet » n'existe pas, mais d'obtenir l'impact zéro sur la santé.
Je souhaiterais donc entendre votre réponse sur ces points, monsieur le ministre.
En conséquence, permettez-moi de rappeler ce que j'ai souligné à l'époque, dans mon avis relatif au projet de loi de finances pour 2000, à savoir que la multiplication des normes relatives à la lutte contre les pollutions de toutes natures modifie trop fréquemment le champ réglementaire, ce qui complique singulièrement la tâche des responsables locaux et des professionnels, qui ont besoin d'une certaine lisibilité à moyen terme pour programmer des investissements coûteux.
Enfin, je déplore que cette plus grande prise en compte de l'environnement par les pouvoirs publics se soit souvent traduite par un durcissement des exigences imposées aux collectivités locales et aux entreprises, exigences imposées sans beaucoup de concertation.
Ce sujet, à l'instar de quelques autres, est un vrai sujet de société, et nos concitoyens souhaitent être partie prenante dans l'élaboration des décisions qui présideront à leur évolution.
Nous vivons dans une « société d'inquiétude », où la démocratie, par essence représentative, a de plus en plus tendance à devenir participative, au-delà même des seuls élus de la République, ne l'oublions pas !
Monsieur le ministre, nous entendrons donc avec intérêt les réponses que vous voudrez bien apporter aux diverses questions que je viens de vous poser et serons heureux de savoir quelle appréciation vous portez sur le faible souci de concertation et d'information dont ce gouvernement a fait preuve jusqu'à présent s'agissant de la filière nucléaire, une filière à laquelle nous sommes attachés, car elle est le gage de notre indépendance énergétique nationale et de la préservation de notre environnement au regard de l'effet de serre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. Arthuis d'avoir suscité ce débat en posant sa question orale.
La question du stockage des déchets radioactifs vient d'enflammer nos régions, nos campagnes, tout particulièrement celles où se trouvent les quinze sites susceptibles d'accueillir un laboratoire de recherche souterrain.
Je voudrais brièvement rappeler l'historique des faits.
Le 30 décembre 1991, le Parlement a adopté la loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Cette loi définit trois axes de recherches.
Le premier concerne la recherche sur la séparation-transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans les déchets.
Le deuxième est l'étude des procédés de conditionnement et d'entreposage de longue durée en surface de ces déchets.
Ces deux missions de recherche ont été confiées au CEA. A ce sujet, il serait intéressant, monsieur le ministre, de connaître les avancées réalisées par nos scientifiques en la matière et les perspectives d'évolution des crédits mis à leur disposition pour mener à bien les recherches en question.
Le troisième axe est l'étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains. La loi prévoit que quinze ans au maximum après sa promulgation - cela nous amène à 2006 - devra être prise une décision afin de déterminer la ou les méthodes à retenir en matière de stockage des déchets nucléaires.
Cette troisième mission de recherche a été confiée à l'ANDRA, qui a déjà réalisé enquêtes et expertises sur les sites de Bure, de Chusclan et de La Chapelle-Bâton et s'apprête à y installer des laboratoires de recherche.
L'arrêté du 19 novembre 1999 nomme une mission collégiale de concertation « Granite », chargée d'établir un rapport après consultation des élus, des associations et des populations concernées par les sites de recherche.
L'annonce de la venue de cette mission et la détermination des sites granitiques choisis ont soulevé les passions, réveillé les militants antinucléaires, interpellé les élus et mobilisé les associations. La culture du secret, qui a longtemps prévalu en matière de nucléaire, a contribué à accentuer le doute et la méfiance dans le grand public.
Il est vrai que l'occasion est trop belle pour certains de remettre en cause l'énergie nucléaire en tant que telle, sans proposer par ailleurs de solutions alternatives susceptibles de répondre aux besoins énergétiques de la société française.
En France, la production d'énergie électrique est à 80 % d'origine nucléaire. Ce chiffre montre qu'il convient de diversifier les modes de production et d'accentuer la recherche sur les énergies renouvelables qui restent marginales et qui, au demeurant, n'échappent pas aux critiques quant à leur impact sur l'environnement.
A travers ces questions, c'est le problème du développement de l'énergie électrique et de l'évolution future de la consommation globale d'énergie qui est posé.
Les hasards du calendrier parlementaire juxtaposent aujourd'hui deux débats intimement liés ; je fais bien sûr allusion à la proposition de loi de mon ami Paul Vergès, portant création d'un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique et visant à reconnaître comme une priorité nationale la lutte contre l'effet de serre.
Les communistes ne privilégient pas un mode de production énergétique par rapport à un autre. Ils préconisent au contraire l'accentuation de la recherche et la diversification des modes de production d'énergie. Nous sommes bien conscients que les enjeux financiers ont déterminé et déterminent encore des choix défavorables à l'environnement, alors qu'il conviendrait de mettre au premier plan la durabilité, le respect de l'environnement, le souci des générations futures.
A cet égard, l'autre problème que pose la loi de 1991 est bien celui de l'irréversibilité des solutions d'enfouissement. Un document adressé récemment aux élus concernés précisait : « Ces recherches doivent s'inscrire dans une logique de réversibilité. » Mais ce document en dit moins que la loi, qui évoque la réversibilité ou l'irréversibilité des solutions à trouver en matière d'enfouissement.
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous apportiez également des éclaircissements devant notre assemblée sur ce sujet.
Pour en savoir plus sur l'irréversibilité, la conception des laboratoires, les investigations censées y être menées, j'ai consulté le site Internet de l'ANDRA, et je dois vous avouer que je n'ai pas été vraiment rassuré.
Au-delà d'un certain nombre de mesures mécaniques, calorifiques, hydrologiques et chimiques qui doivent être effectuées dans ces laboratoires, on apprend que des sources radioactives peuvent y être installées et qu'il faudra déterminer comment sceller les puits, les gaines et les forages.
L'enfouissement apparaît bien, aux yeux des populations, comme une solution à risque pour l'avenir, ayant un caractère particulièrement irréversible, quelles que soient les précautions prises aujourd'hui. Psychologiquement, enfouir, c'est cacher, et cacher, d'une certaine façon, c'est mentir ! Chacun peut imaginer le pire pour les décennies et les siècles à venir : secousses sismiques, détérioration des puits, pollution de l'eau et d'un volume considérable de matière... Que feront alors nos descendants ?
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, la mission collégiale « Granite » est plutôt fraîchement accueillie, voire rejetée par certains. Cela étant, je ne cautionne pas ce qui s'est passé dans la Mayenne. Nous avons notre analyse, mais nous ne refusons pas de rencontrer la mission, de lui exposer notre point de vue, de lui faire part des réactions de nos concitoyens. Il y va du fonctionnement de la démocratie républicaine, à laquelle nous sommes attachés.
En Bretagne et plus particulièrement dans les Côtes-d'Armor, département abritant trois sites, nous avons fait valoir, pour motiver notre refus, un certain nombre de problèmes, notamment environnementaux, que connaît déjà notre région : qualité de l'eau, algues vertes, marée noire, émanations de radon naturel. Faut-il vraiment en rajouter d'autres ? La nature géologique du sous-sol breton et d'autres régions granitiques de France ne peut, selon nous, constituer à elle seule un critère d'éligibilité. Nous ne sommes donc pas candidats à l'accueil de ces laboratoires, même si nous sommes bien conscients que la région Bretagne est particulièrement déficitaire en sources d'énergie.
Nous avons également insisté sur le nucléaire militaire - je pense ici, en particulier, au site de l'Ile-Longue, à Brest - car nous estimons qu'il faut aussi envisager une réduction concertée de la puissance nucléaire, laquelle n'est pas sans incidence sur ces problèmes de déchets.
Certes, si l'on veut faire appliquer la loi de 1991, toute la loi, mais rien que la loi, il conviendrait de disposer de la palette complète des solutions préconisées. Mais je crains que, eu égard à nos connaissances actuelles et à l'état de l'opinion publique, il ne soit préférable de ne retenir que les deux premiers axes, à savoir la séparation-transmutation et le stockage en surface ou subsurface. C'est, en tout cas, l'idée qui gagne du terrain, si j'en crois ce que j'ai pu entendre au sein de l'association d'élus que je préside en Côtes-d'Armor, ainsi que ce qui s'est dit dans les nombreuses réunions et manifestations qui se sont déroulées.
En tout état de cause, la question des choix énergétiques de notre pays ne doit pas rester une affaire de spécialistes, ni même ressortir du seul champ du politique.
De nouvelles formes de citoyenneté doivent prévaloir afin de porter le débat sur les choix énergétiques dans l'ensemble de notre société : c'est la seule garantie de voir retenues des options responsables pour le futur.
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un rapport d'information sur la situation de l'énergie nucléaire en Europe m'ayant été confié par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je voudrais apporter un éclairage européen à notre débat.
Le nucléaire, tout le monde en convient, est un enjeu essentiel pour l'indépendance énergétique de l'Europe. Mais le degré d'acceptation sociale et politique est très variable dans les quinze Etats membres.
Si l'on met à part le problème de la prolifération, qui ne se pose pas vraiment en Europe de l'Ouest, les deux points de controverse et même de polémique sur la filière nucléaire sont le risque d'accident majeur dans une centrale et le devenir des déchets.
Il s'agit là de questions qui ne peuvent être traitées qu'en rassemblant tous les éléments issus de l'expérience des quarante dernières années et des études en cours faites par divers organismes.
Le nucléaire se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins en Europe. Bien que vivement contesté, il constitue la seule réponse pour mener à bien une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui sont à l'origine du réchauffement climatique de la planète.
Le nucléaire répond également à la préoccupation de sécurité d'approvisionnement énergétique de l'Union, selon Mme Loyola de Palacio, le nouveau commissaire européen chargé de l'énergie. Enfin, il doit faire la preuve de sa compétivité économique dans le cadre concurrentiel du marché unique de l'électricité qui est mis en place.
Dans ce contexte européen, la France a une responsabilité particulière et majeure. En effet, la France produit à elle seule près de la moitié de l'électricité d'origine nucléaire eu Europe. A ce titre, elle fait figure de « chef de file » naturel des Etats membres favorables au nucléaire. Elle se doit donc d'être exemplaire, dans tous les aspects de la politique qu'elle conduit dans ce domaine.
Les Etats membres qui ont fait le choix de l'énergie nucléaire sont aujourd'hui minoritaires au sein de l'Union : sept sur quinze. Et encore deux d'entre eux, la Suède et l'Allemagne, ont-ils officiellement annoncé leur intention de renoncer au nucléaire.
Pour ce qui est du sujet essentiel des déchets radioactifs, il ne faut jamais oublier que les adversaires du nucléaire misent sur l'incapacité des pouvoirs publics à traiter correctement cette question. En l'absence de solutions acceptables et crédibles pour ce qu'il est convenu d'appeler l'« aval du cycle », c'est toute la filière nucléaire qui se trouverait irrémédiablement compromise.
Il s'agit là d'un problème difficile, à l'égard duquel j'avoue mes propres interrogations.
Un sondage réalisé récemment par Eurobaromètre à la demande de la Commission de Bruxelles donne la mesure des inquiétudes que la gestion et le stockage des déchets nucléaires inspirent à l'opinion publique européenne.
Il faut savoir que 79 % des citoyens européens interrogés pensent que tous les déchets radioactifs sont très dangereux. Cette opinion est fort loin de la réalité, mais elle conditionne les réactions des populations concernées.
Si 79 % des citoyens européens interrogés s'intéressent à la gestion des déchets dans leur propre pays, ceux qui se soucient également de la gestion des déchets dans les autres Etats de l'Union représentent une proportion à peine moindre : 70 %. Nous devons garder à l'esprit que cette préoccupation ignore les frontières et que, lorsque nous avons à prendre des décisions à caractère national, nous agissons devant l'opinion publique européenne.
Enfin, nous devons relever une contradiction majeure dans les avis exprimés : près de 75 % des citoyens européens interrogés se prononcent en faveur de l'implantation d'un site de stockage dans chacun des Etats membres. Mais 3 % seulement accepteraient de vivre à une distance de 10 kilomètres d'un tel site, 5 % à une distance de 50 kilomètres et 8 % à une distance de 100 kilomètres. Plus de 40 % des sondés refusent de vivre à moins de 1 000 kilomètres d'un site de stockage de déchets radioactifs. Et 15 % déclarent n'accepter aucune distance minimale entre eux-mêmes et un tel site !
Je mesure bien, monsieur le ministre, la difficulté de conduire une politique de stockage cohérente face à une défiance aussi forte, et par certains côtés irrationnelle, de l'opinion publique.
Pourtant, par rapport à ses voisins, la France peut se targuer d'une meilleure acceptation sociale du nucléaire. Mais cette relative confiance des Français dans leur filière nucléaire n'est pas acquise. Elle résulte d'un effort de transparence de la part des industriels et des autorités publiques, qui n'a d'ailleurs pas toujours été très spontané.
Sur ce point, l'émancipation progressive de la direction de la sûreté des installations nucléaires et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire a joué un rôle essentiel. L'indépendance des organismes en charge du contrôle de la filière nucléaire renforce leur objectivité, et donc leur efficacité réelle, et améliore grandement leur crédibilité aux yeux de l'opinion.
Le projet de loi sur la transparence nucléaire annoncé par le Gouvernement devrait consacrer cette évolution positive. A ce sujet, monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire pourquoi la présentation de ce texte au Parlement tarde tant ?
Pour ce qui est de la mise en oeuvre de la transparence, je voudrais saluer, en particulier, l'action positive de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. L'ANDRA s'acquitte remarquablement bien de la mission qui lui a été confiée par la loi Bataille de 1991. Je la rappelle : approfondir les pistes d'études retenues pour le devenir des déchets radioactifs et assurer leur stockage provisoire en attendant une solution plus satisfaisante.
L'action quotidienne de l'ANDRA a beaucoup contribué à dépassionner le débat. D'une certaine manière, on peut même considérer que la filière nucléaire constitue aujourd'hui un modèle de gestion responsable des déchets produits par toute activité humaine.
Il faut rappeler que beaucoup d'autres activités polluantes pourraient s'inspirer de l'effort de recensement des déchets radioactifs, de réduction de leur volume, de contrôle de leur nature exacte et, in fine, de retraitement et de conditionnement. Dans ce domaine, les solutions imaginées pour l'industrie nucléaire mériteraient d'être appliquées à d'autres industries qui, aujourd'hui, dispersent leurs effluents et leurs déchets sans grande précaution, alors que la nocivité de ceux-ci est parfois plus grande et, souvent, pérenne.
L'ANDRA remplit donc efficacement les missions qui lui ont été confiées par le législateur, mais elle ne peut pas, à elle seule, prendre en charge le débat démocratique sur les déchets radioactifs. Aussi efficaces que soient les administrations dans ce domaine, il ne peut y avoir, là non plus, de confiance publique sans orientations claires données par les autorités politiques. Le « modèle français » d'acceptation sociale du nucléaire reste un combat permanent. Il peut être remis en cause à tout instant par le moindre faux pas des responsables politiques, ou simplement par une atmosphère de flottement et d'indécision.
C'est pourquoi je m'associe à la question posée aujourd'hui par notre collègue Jean Arthuis. Le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, tergiverse publiquement en matière d'énergie nucléaire. Les déclarations intempestives de certains de ses membres entretiennent une impression de flou politique extrêmement dommageable.
Certes, d'après la loi Bataille, les choix définitifs pour le stockage des déchets radioactifs ne doivent être faits qu'en 2006. Mais, dans l'intervalle, il est de votre responsabilité de faire progresser les études en toute transparence, afin de ne pas provoquer d'inquiétudes irraisonnées chez nos concitoyens.
Monsieur le ministre, par votre réponse, vous vous engagerez non seulement devant l'opinion publique française, mais aussi devant l'opinion publique européenne. La politique que la France va décider aura des conséquences majeures sur le coût de son énergie électrique, son indépendance énergétique et sa contribution à la réduction de l'effet de serre, mais elle conditionnera aussi l'avenir de l'énergie nucléaire au sein de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me placerai pas, comme l'a fait ce matin, - contrairement d'ailleurs à son habitude -, l'auteur de la question, sur un plan trop polémique.
M. Alain Lambert. C'est une question orale avec débat !
M. Michel Moreigne. Deux sites potentiels d'implantation d'un laboratoire destiné à l'étude du stockage des déchets ultimes en granit profond, ceux de Crocq et d'Auriat, se trouvent dans le département de la Creuse, que j'ai l'honneur de représenter dans cette assemblée.
Les conseils municipaux, le conseil général et le conseil régional ont délibéré et s'opposent à ce projet ; les parlementaires ont fait part par écrit de leur hostilité ; les populations s'opposent, ont manifesté et manifestent aujourd'hui même à Clermont-Ferrand, au pied des volcans de la chaîne des puys, située à moins de cinquante kilomètres de Crocq. Je ne doute pas que les délibérations des collectivités seront respectées, comme le prévoit la loi Bataille et comme nous l'a affirmé ici même M. Pierret à l'occasion d'une récente question d'actualité au Gouvernement.
La loi Bataille, qui a été votée en 1991, semble être le résultat de l'application en France d'une doctrine déjà retenue par les Etats-Unis depuis 1981-1982 sur les bases des connaissances de l'époque et qui consiste à retenir uniquement des sites appartenant au domaine continental et à privilégier le stockage géologique profond, chaque pays prenant l'engagement d'entreposer ses déchets sur son propre territoire.
Depuis une quarantaine d'années, la tectonique des plaques a donné une nouvelle image dynamique de la déformation de la croûte terrestre. En particulier, le phénomène de subduction conduit certaines plaques lithosphériques à s'engager sous d'autres plaques et à plonger dans l'asthénosphère visqueuse, à des profondeurs allant jusqu'à sept cents kilomètres, souvent au niveau des fosses océaniques.
L'idée d'enfouir des déchets aux abords de ces fosses océaniques, avec l'espoir qu'ils soient engloutis pour des millions d'années, se heurtait jusqu'à présent au fait que dans la zone de pinçage des plaques se forme un prisme d'accrétion où se manifestent une intense activité et des mouvements tectoniques ascendants, ce qui explique la remise en cause totale de l'enfouissement dans ces zones.
Mais, depuis quinze ans, des travaux, en particulier ceux de M. Bourgeois, directeur de recherche au CNRS, permettent d'affiner notre compréhension de ce type de mécanisme. M. Bourgeois a notamment montré que, dans certaines zones de subduction, il n'existe pas de prisme d'accrétion. On peut penser que, dans ce cas, des déchets convenablement placés pourraient disparaître, emportés vers les profondeurs du manteau terrestre. Le Gouvernement envisage-t-il de prendre en compte ces données nouvelles et de lancer des campagnes d'études afin d'explorer cette possibilité ?
En outre - cela a été démontré ce matin - la variabilité du climat pourrait constituer une menace pour tous les sites continentaux retenus par la loi Bataille, quels qu'ils soient, et l'impossibilité actuelle de « craquer », c'est-à-dire de dissocier les atomes lourds actiniques pour les transformer en atomes à période courte, faute de moyens adéquats tels que le surgénérateur ou la fusion nucléaire, non encore opérationnelle, semble exclure pour au moins une quarantaine d'années, selon des informations tout à fait fiables, le recours au stockage continental.
Tous ces éléments convergent pour inciter à prendre en considération la possibilité d'enfouissement des déchets radioactifs dans des zones de subduction des fosses océaniques. Les travaux de M. Bourgeois ont été publiés dans le numéro de janvier 1996 de la revue Réalités industrielles , que je vous ai fait parvenir, monsieur le ministre, sous le titre : « Un processus naturel pour éliminer définitivement les déchets nucléaires ultimes ». Il y a là, me semble-t-il, une piste intéressante à explorer. Je vous remercie à l'avance, monsieur le ministre, de la réponse que vous m'apporterez. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour reprendre le titre en forme d'interrogation d'un grand quotidien, la question « Que faire des déchets nucléaires ? » n'est pas en elle-même suffisante, même si elle s'impose à notre pays, qui a fait, voilà un demi-siècle, le choix de l'indépendance énergétique en promouvant le nucléaire.
En effet, les autorités sont confrontées au choix du mode de stockage des déchets, aucun pays européen n'ayant véritablement fait sa religion sur le sujet.
En revanche, tout le monde s'accorde pour considérer la question comme très sensible, et il convient de s'interroger sur la méthode de concertation. Le Gouvernement a chargé une mission « Granite » de sonder la population et les élus des quinze sites susceptibles d'accueillir un deuxième laboratoire, après celui de Bure dans la Meuse, situé en terrain argileux. Le département des Deux-Sèvres, plus particulièrement la région granitique de Neuvy-Bouin, est concerné.
J'ai encore en mémoire les événements qui se sont produits voilà une dizaine d'années, quand une précédente tentative de l'ANDRA avait été menée, avec le concours du préfet du moment, dans de très mauvaises conditions.
En effet, la démarche des différents acteurs de l'époque, qui arrivaient un peu en pays conquis et ne faisaient pas preuve de la plus élémentaire psychologie vis-à-vis des populations locales, loin de dissiper les peurs et les résistances que suscite le dossier du nucléaire et que même les scientifiques ont du mal à apaiser, a renforcé considérablement les nombreuses oppositions.
Ainsi, dans le département du président de notre groupe, les populations rurales et les élus ont récemment vu se lever une réaction violente qui avait pour thème : « la gâtine n'est pas à vendre ». Les propositions qui avaient été faites étaient, pour l'essentiel, d'ordre financier, ce qui a été fort mal perçu par les habitants de la région. Ces événements ont laissé une trace très vivace dans les mémoires et ont forgé un véritable esprit de résistance.
Je constate à regret, aujourd'hui, que les responsables au plus haut niveau n'ont pas appris grand-chose et sont en passe de renouveler les mêmes erreurs.
Entre-temps, bien entendu, le territoire auquel j'ai fait allusion a mis en oeuvre de nombreux projets économiques et culturels fondés sur ses atouts naturels : les paysages, l'environnement, avec, par exemple, le développement de la pêche en étang.
Il m'apparaît que les populations des principaux sites pressentis manifestent une même opposition.
Ce qui est en cause, par-delà le problème, réel, je le répète, du sort réservé aux déchets nucléaires, c'est la méthode du secret et l'opacité de la gestion des aides financières, qui sont totalement inacceptables. Certains mots sont galvaudés, parmi lesquels, incontestablement, celui de « concertation ». L'Etat ne peut continuer à agir ainsi.
L'ensemble des grands projets d'infrastructures - autoroutes, lignes TGV, lignes électriques à haute tension, barrages, usines, centres d'enfouissement des déchets... - touchant à l'environnement et, d'une manière générale, à l'aménagement du territoire sont l'objet d'une forte contestation émanant principalement des populations concernées, mais également de groupes de pression quelque peu spécialisés.
La loi de 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement est trop limitée, et la loi de 1995 offrant la faculté d'ouvrir un débat public sur les grandes opérations d'aménagement ne prévoit pas l'obligation, pour les maires, de procéder à une consultation à l'échelon communal.
Soucieux de modifier cet état de fait, j'ai déposé, dès 1996, une proposition de loi - démarche renouvelée récemment au nom du groupe de l'Union centriste - portant sur l'organisation d'audiences publiques lors de la réalisation de grandes infrastructures, un peu selon le modèle anglo-saxon.
Si ce texte était adopté, la démocratie en sortirait renforcée et cela permettrait, dans l'optique de la décentralisation, de faire participer encore plus la population aux décisions locales concernant son avenir et celui de ses enfants. Cela irait dans le sens de l'intérêt général, et la décision politique y gagnerait en efficacité et en clarté, par une complète association des populations. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre, dont je salue les débuts au Sénat.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Monsieur le président, c'est un honneur pour moi de m'adresser à la Haute Assemblée, dont je connais la très grande qualité des travaux. J'ai pu apprécier encore une fois, en entendant les différents intervenants, à quel point le dialogue avec les sénateurs pouvait être utile et enrichissant.
Même si je ne dirige ce ministère que depuis peu de temps, je vais essayer de répondre aussi complètement que possible aux orateurs, en particulier à M. Arthuis.
Beaucoup d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont rappelé que nous disposons d'un instrument législatif de très grande qualité, à savoir la loi Bataille du 30 décembre 1991, qui a été votée à l'unanimité et qui reflète la nécessité d'orienter les recherches selon trois axes explorés de façon équilibrée : la séparation-transmutation, l'entreposage et le stockage profond. Des recherches et des études sont menées dans ces domaines, tant par le Commissariat à l'énergie atomique que par l'ANDRA.
Sans hiérarchiser ces trois axes, j'évoquerai d'abord celui, tout à fait important, de la séparation-transmutation des déchets.
De nombreux intervenants, ayant souligné l'intérêt que présentait cette solution, m'ont interrogé sur l'état d'avancement des recherches en la matière.
Il s'agit, vous le savez, de mettre au point les moyens d'isoler chimiquement, dans la mesure du possible, des éléments radioactifs de très longue période et de leur faire subir en réacteur une transmutation en des formes susceptibles de retrouver beaucoup plus rapidement un état stable.
Cette solution, qui est évidemment séduisante, est examinée avec intérêt et attention par chacun.
En ce qui concerne la séparation, les études ont atteint le stade de la démonstration en laboratoire, et une démonstration industrielle peut être envisagée pour 2006.
Quant à la transmutation, la démonstration en laboratoire est en cours de mise au point selon deux voies : dans les réacteurs à eau pressurisée - cela est actuellement possible - et dans les réacteurs spécialisés. Des études visent par ailleurs à établir un dossier en vue de la mise en place d'un démonstrateur à l'horizon 2006, de manière à atteindre l'un des objectifs qui avaient été fixés par la loi Bataille dont nous parlions tout à l'heure.
En ce qui concerne l'entreposage, en surface ou en subsurface, c'est surtout une solution provisoire, une solution d'attente, dont il ne faut pas méconnaître, bien sûr, l'intérêt, mais qui ne saurait constituer une solution définitive s'agissant de déchets radioactifs à durée de vie longue. C'est cela, notamment, que je souhaitais répondre à M. Le Cam, qui a, très judicieusement d'ailleurs, soulevé le problème.
Notre objectif, c'est bien évidemment la sécurité des personnes et de l'environnement, qui est une préoccupation majeure. C'est d'ailleurs un principe fondamental de la loi Bataille : protection de la nature, de l'environnement et de la santé, et prise en considération du droit des générations futures.
Plusieurs sénateurs ont cité le rapport Mme Michèle Rivasi, qui n'est pas suspecte d'indulgence particulière envers les installations confrontées à ce genre de problème,...
M. Ladislas Poniatowski. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. ... et M. Poniatowski veut bien en porter témoignage.
Le rapport Rivasi a été établi dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je tiens, à cette occasion, à souligner l'intérêt pour le Parlement, tant le Sénat que l'Assemblée nationale, conjointement s'agissant de cet office, de disposer d'un organisme de ce type, qui peut faire des études extrêmement avancées et poussées.
C'est vrai s'agissant du sujet traité dans le rappport de Mme Rivasi. C'est vrai également pour d'autres sujets, je pense notamment au rapport sur le synchrotron. Nous aurons sans doute l'occasion d'évoquer ce point, compte tenu du débat suscité par la construction de cet ouvrage. Aujourd'hui, restons-en à la question de M. Arthuis, qui appelle une réponse assez complexe.
Le rapport de Mme Rivasi précise que l'impact des installations de stockage nucléaire sur la santé publique et l'environnement est, selon toutes probabilités, limité.
Ces techniques d'entreposage provisoire, en surface ou en subsurface, sont connues et sûres, comme le souligne le rapport, que vous citiez. Par ailleurs, les recherches se poursuivent pour améliorer la sécurité des installations d'entreposage, notamment en cas de catastrophe naturelle, comme l'a souhaité Mme Rivasi dans son rapport.
J'en viens au troisième axe : le stockage en formation géologique profonde, qui a été à l'origine de la question de M. Arthuis.
Je répondrai d'entrée de jeu à M. Moreigne, qui a proposé le stockage dans les fosses océaniques. C'est une idée intéressante. Je le remercie de m'avoir transmis un document scientifique dans lequel ce mode de stockage est évoqué.
Il est extrêmement difficile de savoir si une telle opération ne présenterait pas de risques imprévus. Tout le problème du stockage de longue durée réside en effet dans la démonstration de la sûreté. Or, il est difficile, dans des fosses océaniques, d'installer des équipements qui permettent de procéder préalablement à la démonstration de la sûreté, à laquelle le Gouvernement est attaché. Toutefois, nous examinerons cette suggestion, qui est intéressante.
Le Gouvernement a décidé que le stockage en formation géologique profonde doit être réversible. Je tiens à le rappeler de nouveau ici, puisque plusieurs sénateurs m'ont interrogé sur ce point.
Il a été jugé nécessaire d'explorer deux sites de nature différente : l'un en argile, l'autre en granite.
S'agissant de l'argile, la décision a été prise sans réelles difficultés. Vous le savez, ce mode de stockage sera exploré dans le site de la Meuse, à Bure.
Quant au granite, et là les problèmes sont sans doute plus consistants, quinze sites ont été présélectionnés. Une mission a été désignée afin d'engager et de mener la concertation sur ces sites susceptibles d'accueillir un second laboratoire.
La loi prévoit que nous devrons présenter au Parlement une proposition de deux sites en 2006 : un site argile - qui a été choisi - et un autre site, vraisemblablement en granite.
La mission de concertation est venue sur le terrain non pour décider, pour imposer, mais pour ouvrir le dialogue avec la population, les élus, les associations et toutes les personnes concernées.
M. Alain Gournac. Cela a été fait maladroitement !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Attendez un instant.
Il s'agit non pas d'imposer mais de proposer.
M. Alain Gournac. Il faut le dire à la mission !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. En tout cas, je voudrais recadrer très clairement la philosophie qui est celle du Gouvernement dans son ensemble. Il s'agit pour nous, sans que cela comporte aucune critique à l'égard de ce qui s'est passé s'agissant de la mission, d'écouter et de dialoguer, là comme ailleurs. Notre volonté, c'est la transparence, le dialogue, la concertation.
C'est le dialogue avec tous les secteurs de la société, les citoyens, et leurs élus au premier chef, les associations, les producteurs de déchets, quels qu'ils soient.
L'objectif de cette mission, est de recueillir les interrogations, les avis, les propositions des élus, des populations et des associations concernées.
Je sais que sur le terrain - mais pas partout, d'ailleurs, car certains sénateurs ont cité des exemples où le dialogue a pu s'instaurer entre les élus et la mission - dans certains départements, notamment celui que représente M. Arthuis, la situation a été très difficile pour la mission de concertation, qui a fait l'objet, disons-le, de pressions fortes, de la part de certains en tout cas.
Cela me paraît tout à fait regrettable et il importe de retrouver des conditions de sérénité pour ce dialogue, qui est nécessaire, qui inspire la philosophie même de la loi Bataille, laquelle est une loi de démocratie, de transparence et de concertation.
Si le sentiment existe qu'il convient, une fois la concertation lancée - et elle l'a été ! - d'améliorer cette concertation et ses modalités, il est en effet souhaitable de réfléchir aux moyens d'y parvenir. Je ne doute pas que ce soit du domaine du possible.
En ce qui concerne le stockage géologique, pour conclure sur ce point, je souligne que, pour l'instant, il s'agit bien sûr simplement - encore que l'adverbe « simplement » soit sans doute un peu miminaliste - d'implanter un laboratoire chargé d'effectuer toutes les mesures nécessaires. Il ne s'agit pas de décider de l'implantation d'un centre de stockage. D'ailleurs nous n'en aurions pas le droit, car il appartient au Parlement de le faire par le vote d'une loi spécifique. Il s'agit de décider de l'éventuelle implantation d'un second laboratoire. En effet, le premier laboratoire existe à Bure, dans la Meuse, pour l'argile. S'agissant du granite, il faut, comme cela a été dit, trouver une solution.
Le passage du laboratoire qui serait créé à un éventuel stockage prendrait plusieurs années, au moins pour deux raisons, en dehors même des raisons techniques. Première raison : le Parlement devra tout d'abord se prononcer sur une solution globale de gestion des déchets radioactifs, incluant ou non le stockage géologique. Seconde raison : une loi spécifique - et cette disposition figurera dans la loi Bataille - serait nécessaire pour autoriser un tel stockage. La loi Bataille invite le législateur à prendre, en 2006, la décision de créer ou non un centre de stockage des déchets radioactifs en formation géologique profonde, si toutes les conditions nécessaires de sûreté et de protection sont remplies. Mais cela nécessitera, je le répète, le vote d'une loi spécifique et, par conséquent, de nouveau, bien sûr, l'intervention des sénateurs et des députés.
J'ajouterai, dans le sens de la transparence, tant sur le plan scientifique que sur le plan technique, que la loi Bataille a créé une commission nationale d'évaluation, composée de douze personnalités éminentes, qui fait chaque année un rapport au Gouvernement sur l'évolution des recherches. Cette commission nationale d'évaluation auditionne tous les acteurs de la recherche, les gestionnaires et les producteurs de déchets. Elle fait naître un débat scientifique et technique de grande qualité. Ensuite, le ministre chargé de la recherche fait établir chaque année, en collaboration avec chacun des acteurs de la recherche et les industriels, un document qui est intitulé : Stratégie et programme des recherches, au titre de la loi du 30 décembre 1991. Ce document est, à son tour, un instrument de dialogue avec la commission nationale d'évaluation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant conclure mon propos.
Cette intervention, qui est peut-être brève, cadre, je crois, les intentions du Gouvernement en la matière, sans répondre bien sûr très spécifiquement sur l'opportunité qu'il y aurait d'implanter ou non un éventuel laboratoire souterrain dans tel ou tel site. En tout cas, soyez assurés que rien ne sera imposé, que personne ne sera contraint. Il est évidemment indispensable de prendre pleinement en considération les avis exprimés par les élus locaux et aussi, bien sûr, par les parlementaires. Soyons ensemble particulièrement lucides, et je le dis d'autant plus facilement ici que, je le sais, le Sénat est lucide.
Quelle serait l'alternative à cet éventail de trois solutions qui figurent dans la loi Bataille ? Elle consisterait, en réalité, à ne rien faire ; c'est d'ailleurs souvent celle qui est retenue dans la vie.
Mais ne rien faire serait en soi extrêmement dangereux...
M. Ladislas Poniatowski. Cela signifie un stockage en surface !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. ... car c'est précisément quand les déchets sont dispersés, non stockés de manière convenable ou, en tout cas, mal conditionnés, voire oubliés, que peuvent se poser des problèmes de sécurité mettant en cause l'environnement ou la santé publique.
Je crois donc indispensable que notre société prenne en considération cette question. Elle produit des déchets, notamment dans ce secteur d'activité. Il faut faire quelque chose de ces déchets. Nous ne pouvons pas nous contenter de refouler ce problème, l'extraire de notre analyse et de notre esprit. Une société adulte, et la France en est une, doit regarder la réalité en face, même si celle-ci comporte des difficultés. Il faut, dans ce secteur qui concerne vraiment l'intérêt national, instaurer une solidarité entre toutes les générations. Les générations futures ne doivent pas se trouver confrontées à un problème qui se poserait dans des conditions encore plus difficiles s'il n'était pas traité par les générations actuelles. Il nous faut donc regarder les problèmes en face, ne pas les nier, ne pas les occulter, et essayer ensemble de les résoudre en tenant compte de l'intérêt général, qui, en la matière, correspond à l'impératif de protection de l'environnement et de la santé publique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?... En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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