Séance du 9 mai 2000







M. le président. Sur cet article, je suis saisi de six amendements qui pouvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les cinq premiers sont identiques.
L'amendement n° 302 est déposé par M. Althapé, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement n° 415 est présenté par M. Bimbenet, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 500 rectifié est déposé par MM. Poniatowski, Revet, Cléach, Emin, Mme Bardou et les membres du groupe des Républicains et Indépendants.
L'amendement n° 629 est présenté par MM. Demuynck et Lanier.
L'amendement n° 709 est déposé par MM. Caldaguès, Chérioux, De Gaulle, de La Malène et Ulrich.
Tous tendent à supprimer le texte proposé par l'article 25 pour l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation.
Par amendement n° 501 rectifié, MM. Poniatowski, Revet, Cléach, Emin, Mme Bardou et les membres du groupe des Républicains et Indépendants proposent de supprimer le second alinéa du texte présenté par l'article 25 pour l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 302.
M. Louis Althapé, rapporteur. La nouvelle rédaction de l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation introduit un dispositif coercitif supplémentaire en reconnaissant un pouvoir de substitution au représentant de l'Etat dans le département.
Outre la majoration du prélèvement prévu à l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation, le nouvel article L. 302-9 ouvre la faculté pour le représentant de l'Etat dans le département de se substituer à la collectivité locale défaillante visée par l'arrêté préfectoral de carence.
Le représentant de l'Etat pourra ainsi - il s'agit d'une faculté et non d'une obligation - passer convention avec un organisme d'HLM pour réaliser des logements sociaux, soit en construction neuve, soit par voie d'acquisition-amélioration.
Dans ce cas, lorsque l'Etat verse une subvention foncière, une dépense égale est mise à la charge de la commune, qui vient s'ajouter au montant du prélèvement majoré. Cette disposition paraît également largement porter atteinte au principe de libre administration des communes, car elle relève du pouvoir d'appréciation discrétionnaire du préfet et n'est soumise à aucun encadrement, à la différence de ce qui est prévu par l'article R. 331-24 s'agissant de la prise en charge par une collectivité locale d'une fraction de la subvention foncière versée par l'Etat pour certaines opérations. La fraction prise en charge par les collectivités locales est limitée en fonction des critères très précis limitant le montant de la subvention de l'Etat.
Tel n'est pas le cas du dispositif introduit par l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation.
En outre, l'Assemblée nationale a rendu obligatoire l'intervention du préfet sans tenir compte des circonstances locales qui pouvaient amener celui-ci à différer l'adoption de mesures coercitives pour réaliser, contre la volonté de la commune, des logements sociaux.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires économiques vous propose de supprimer cet article L. 302-9.
M. le président. La parole est à M. Bimbenet, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 415.
M. Jacques Bimbenet, rapporteur pour avis. Cet amendement vise, comme le précédent à supprimer le pouvoir de substitution du représentant de l'Etat.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski, pour défendre l'amendement n° 500 rectifié.
M. Ladislas Poniatowski. Je suis totalement hostile au texte proposé pour l'article L. 302-9. Ce dernier est doublement inacceptable. Tout d'abord, c'est un retour de l'autorité de tutelle en matière d'urbanisme, méconnaissant par là même le principe de libre administration des collectivités locales.
Je regrette que M. Mauroy ne soit pas parmi nous ce soir. Je me demande en effet vraiment à quoi sert la mission qu'il est en train de présider.
Cette mission a pour but d'étudier ce que l'on peut décentraliser en plus, et comment on peut y parvenir. Ainsi, le Gouvernement, grâce à l'autorité d'une personne dotée, disons-le, d'une bonne image, fait un peu de cinéma et donne l'impression à l'opinion publique qu'il veut continuer à décentraliser ; mais, parallèlement, il reprend une par une toute une série de compétences accordées aux collectivités locales. L'article L. 302-9 est un exemple typique de cette pratique, et voilà pourquoi j'y suis hostile.
Par ailleurs - c'est la seconde raison de mon hostilité - l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation précise que « le préfet passe dans un délai n'excédant pas un an, en concertation avec le conseil départemental de l'habitat, une convention avec un organisme pour la construction ou l'acquisition - réhabilitation de logements sociaux, en vue de réaliser les objectifs... » dans la commune qui n'aura pas respecté ces derniers.
Cela signifie-t-il, monsieur le ministre, que l'on viendra trouver le président d'un organisme d'HLM que je suis pour me désigner le mauvais élève n'ayant pas rempli son quota et pour m'ordonner de construire des logements sociaux dans cette commune ?
Je ne le ferai pas ! Même si je pense que cette commune a commis une erreur en ne construisant pas de logements sociaux, je ne vais pas, moi, président d'un organisme d'HLM, me mettre à dos toutes les collectivités locales qui n'auront pas rempli la mission que vous leur attribuez ! (Mme Beaudeau s'exclame.)
D'ailleurs - et ce n'est pas prévu dans le texte - qu'allez-vous faire ? Allez-vous réquisitionner, obliger mes services à travailler sur un programme de construction de logements sociaux dans une commune qui ne remplit pas les conditions ?
Voilà donc la seconde raison pour laquelle je suis tout à fait hostile à cette recentralisation et à ce pouvoir qui va être donné au préfet. C'est une disposition qui est de nature à provoquer de multiples problèmes partout dans le territoire, dès l'instant où vous la mettrez en application, monsieur le ministre.
M. le président. Les amendements n°s 629 et 709 sont-ils soutenus ?...
La parole est à M. Poniatowski, pour défendre l'amendement n° 501 rectifié.
M. Ladislas Poniatowski. Il s'agit d'un amendement de repli au cas où les amendements identiques n°s 302, 415 et 500 rectifié ne seraient pas adoptés.
M. le rapporteur a d'ailleurs particulièrement insisté sur cet aspect nocif de l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 501 rectifié ?
M. Louis Althapé, rapporteur. Cet amendement sera satisfait si les amendements n°s 302, 415 et 500 rectifié sont adoptés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 302, 415 et 500 rectifié, ainsi que sur l'amendement n° 501 rectifié ?
M. Claude Bartolone, ministre délégué. L'amendement n° 302 prévoit la suppression du pouvoir de substitution du préfet en cas de non-réalisation des objectifs prévus. Le texte initial permet de garantir, si nécessaire, la réalisation effective de logements sociaux. La volonté du Gouvernement et la logique de sa proposition, c'est la réalisation effective de ces logements sociaux.
Monsieur Poniatowski, j'entends bien vos inquiétudes, mais il y a quand même le choix : il existe près de trois cents offices et autant de SA. Je pense donc que les préfets auront la possibilité de créer un certain nombre de vocations.
Pourquoi préférons-nous cette logique-là, monsieur le rapporteur ? C'est parce que le texte présenté par le Sénat ne prévoit que des sanctions financières, sanctions d'ailleurs plus légères que la contribution souhaitée par le Gouvernement en faveur du logement social. Là aussi, nous tombons sur une logique différente.
Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements identiques n°s 302, 415 et 500 rectifié, ainsi qu'à l'amendement n° 501 rectifié.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 302, 415 et 500 rectifié.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ces amendements visent à supprimer l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation, qui autorise le préfet à passer une convention avec un organisme en vue de la réalisation, en lieu et place de la commune défaillante, des objectifs de construction de logements sociaux.
Nous n'ignorons plus rien, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, de votre position sur la construction de logements sociaux dans toutes les communes.
M. Patrick Lassourd. Et allez donc ! On recommence !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Tout ce que vous défendez depuis le début de la discussion de l'article 25 va dans le même sens, et les amendements n°s 302, 415 et 500 rectifié sont tout à fait dans la logique de ce que vous avez préconisé jusqu'à maintenant.
Or il nous semble que cette substitution est primordiale pour assurer aux dispositions prévues une réalisation effective. Elle s'affiche comme garante de la réussite du rééquilibrage territorial et elle illustre la volonté et la responsabilité du Gouvernement.
Vous ne pouvez pas, mon cher collègue Poniatowski, invoquer les principes de décentralisation ; celle-ci vise, au contraire, à mieux répartir activités, développement, équilibre et harmonie entre les régions pour donner à chacune sa chance.
Le principe d'unité républicaine est complémentaire des principes de décentralisation. Cette dernière n'appelle pas la notion de pénalisation. Le préfet est donc le garant non seulement de la loi républicaine, mais aussi de l'unité républicaine.
Je vous rappelle que cette possibilité n'est offerte au préfet que deux ans après le constat de carence de la commune qui bénéficie, elle-même, de vingt ans pour réaliser ses objectifs, 15 % des objectifs étant à construire tous les trois ans.
En réalité, mes chers collègues, vous adoptez une attitude que j'ai envie de qualifier de « contournement », sans refuser frontalement la mixité sociale : vous videz le dispositif des mesures efficaces pour permettre aux municipalités de déroger à la règle sans être trop sanctionnées.
Nous n'allons pas, bien entendu, relancer le débat qui se déroule ici depuis jeudi dernier ; mais je dois quand même vous rappeler que 78 % des Français et 66 % de votre électorat approuvent cette disposition. (M. Braye s'exclame.)
Cet article étant gage de réussite, le garde-fou d'une réalisation effective, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre les amendements de suppression. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Plancade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Le pouvoir de substitution de l'Etat en cas de carence constatée d'une commune pour la réalisation de logements sociaux soulève, semble-t-il, la désapprobation de la majorité sénatoriale. Il s'agit là, à vous entendre, mes chers collègues, d'un retour de la tutelle de l'Etat et, par conséquent, d'une atteinte à la décentralisation.
Mais la décentralisation, ce n'est pas forcément l'autonomie des communes ; c'est encore moins s'affranchir des règles de la République. La décentralisation suppose le respect des règles et des objectifs d'intérêt général fixés par le législateur. Or le législateur a voulu - et ce n'est pas nouveau - introduire de la solidarité en matière de politique de l'habitat. Il a voulu faire de la mixité sociale un objectif majeur et premier de la politique du logement, mais aussi de l'urbanisme. Il est alors normal que, fixant ces objectifs, il définisse ensuite les moyens pour les atteindre.
Le projet de loi respecte les principes de la décentralisation : la loi fixe un objectif et renvoie aux collectivités locales la responsabilité de le mettre en oeuvre selon les moyens qui leur semblent appropriés, sur une durée raisonnable de vingt ans.
Le projet de loi privilégie, par ailleurs, l'entente intercommunale, tout en maintenant l'objectif de 20 % par commune. Ce n'est qu'en dernier ressort, au bout de trois ans, après arrêté motivé du préfet constatant la carence de la commune et avis du conseil de l'habitat, que l'on peut alors envisager que l'Etat se substitue à la commune. Mais là encore, ce n'est qu'une faculté ouverte au préfet. Ce n'est que lorsque la loi n'a pas été respectée que l'on peut envisager l'intervention du préfet.
Il n'y a pas, en fait, à débattre du respect ou non des libertés communales ; ces dernières sont respectées. Le débat est ailleurs : c'est celui du droit au logement pour tous, dont vous ne voulez guère entendre parler ; c'est celui de la diversité de l'habitat ; c'est enfin celui de la solidarité.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre cet amendement. M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je voudrais simplement dire à tous mes collègues qui se sont exprimés qu'il ne faut pas s'y tromper : cette recentralisation n'est, en fait, qu'une recentralisation sur le papier !
Vous avez tous défendu l'idée du caractère idéologique de ce texte, et, me semble-t-il, avec raison. En effet, je ne vois pas comment cette disposition sera appliquée sur le terrain ! Malgré l'accroissement de leurs pouvoirs, jamais les préfets n'appliqueront les dispositions votées contre la volonté des élus et contre la volonté de la population. Ou alors, vous imaginez ce qui pourrait se passer et les comités d'accueil qui attendraient les personnes chargées de mettre en oeuvre le dispositif !
On me dit que l'on n'est pas là pour ne pas respecter la loi républicaine. Dans ce domaine, je dirai, comme notre actuel ministre de l'éducation nationale, Jack Lang, que, quand une loi est aussi mauvaise, on doit tout faire pour s'y opposer jusqu'à pouvoir la changer !
Et bien ! c'est ce que nous ferons sur le terrain, et croyez bien, madame Beaudeau, que nous serons soutenus, dans ce combat, par nos populations, qui ne demandent que cela.
Une fois de plus, ce gouvernement est allé à la facilité. Ce gouvernement, qui n'arrête pas de nous abreuver de belles paroles sur la vertu du dialogue, sur la force de la persuasion, sur la participation des habitants, fait passer le texte en force, ou plutôt essaye bêtement de le faire passer en force, car il faut qu'on sache qu'il ne passera pas.
Cette loi aura le même sort, mes chers collègues, j'ai le regret de vous le dire, que la loi sur les chiens dangereux, dont, en tant que rapporteur, je disais qu'elle serait inapplicable.
Vous avez vu, comme moi, les tristes événements qui se sont produits récemment, et vous avez entendu je ne sais combien de vétérinaires dire sur les ondes que, de toute façon, depuis le vote de la loi, le nombre de stérilisation de pitbulls ou autres n'avait pas le moins du monde augmenté. Par conséquent, cette loi n'est pas appliquée.
M. Jean-Pierre Plancade. Ce ne sont pas les questions d'actualité !
M. Dominique Braye. Le Gouvernement a fait voter un texte en étant content d'avoir mobilisé sa majorité, d'avoir recollé les morceaux cassés de sa majorité plurielle. Effectivement, il lui devait ce gage, compte tenu de toutes les couleuvres qu'il lui fait avaler ! Il lui devait l'adoption de ce texte idéologique, moyennant quoi, c'est naturellement avec conviction que je voterai les amendements, et donc la suppression du texte en question. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, la réponse que vous m'avez faite est grave. En effet, lorsque je vous ai fait valoir qu'aucun organisme d'HLM ne serait prêt à construire des logements sociaux dans une commune contre le gré de ses élus, vous m'avez dit qu'on passerait outre, qu'on se débrouillerait.
Cela signifie-t-il que vous irez chercher des organismes d'HLM hors du département, que vous utiliserez ce qu'en matière de grève on appelle des « jaunes » ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est vous qui êtes pour le service minimum !
M. Ladislas Poniatowski. Ainsi, il y aura des organismes d'HLM « jaunes » qui descendront dans les départements où vous ne trouverez pas un organisme départemental pour construire ces logements !
Le texte proposé pour l'article L. 302-9 va être supprimé au Sénat. Mais en dernière lecture, à l'Assemblée nationale, puisque l'urgence est déclarée, je vous invite, dans la rédaction qui sera proposée alors, à être prudent, monsieur le ministre, car cette clause ne peut qu'être une source de conflits très graves.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 302, 415 et 500 rectifié, repoussés par le Gouvernement.

(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article L. 302-9 du code de la construction et de l'habitation est supprimé, et l'amendement n° 501 rectifié n'a plus d'objet.

ARTICLE L. 302-10 DU CODE DE LA CONSTRUCTION
ET DE L'HABITATION