Séance du 30 mai 2000






PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
ET DROITS DES VICTIMES

Adoption des conclusions modifiées
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 349, 1999-2000) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme de la procédure législative sur ce projet de loi renforcant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Le moment est important, car ce texte procède à des réformes qui sont attendues depuis longtemps.
Avant de revenir sur quelques aspects du texte, j'évoquerai brièvement les travaux de la commission mixte paritaire. Celle-ci, qui s'est réunie le 18 mai dernier, est parvenue à un accord sur l'ensemble des dispositions qui restaient en discussion. A vrai dire, les véritables désaccords étaient peu nombreux, une grande partie du chemin ayant déjà été faite.
En ce qui concerne la garde à vue, la difficulté la plus sensible était, bien sûr, la question de l'enregistrement des interrogatoires, compte tenu, surtout, des incertitudes qui entouraient cette mesure et de son adoption dans une certaine improvisation. La commission mixte paritaire a tenu à répondre à trois questions : qui doit-on enregistrer ? Comment cet enregistrement doit-il être fait ? Pour quoi faire ?
Seuls les interrogatoires des mineurs donneront lieu, si vous la suivez, à un enregistrement audiovisuel et cette procédure ne pourra éventuellement être étendue ensuite aux adultes que par le biais d'un nouveau projet de loi. Ces enregistrements ne pourront pas être diffusés à l'audience, car nous avons craint qu'une telle évolution ne porte atteinte au principe fondamental de l'oralité des débats. Les éventuelles contestations entre l'écrit et l'enregistrement devront donc être tranchées avant le procès par le juge d'instruction ou le juge des enfants, procédure prévue pour les mineurs.
A ce sujet, permettez-moi de vous dire, madame le garde des sceaux, même si votre département ministériel n'est pas directement concerné, que s'il est important d'améliorer les droits de la défense au stade de l'enquête il conviendrait également de se préoccuper des moyens de la police judiciaire. Il semble qu'il y ait encore beaucoup à faire pour faciliter le travail de la police et je ne suis pas certain que nous soyons très en avance s'agissant de l'utilisation des techniques scientifiques d'enquête. Ayant été rapporteur du texte, je regrette qu'il ait fallu attendre deux ans après l'adoption de la loi réprimant les infractions sexuelles la parution du décret sur le fichier des empreintes génétiques.
A propos de la détention provisoire, le Sénat a réussi à convaincre l'Assemblée nationale de l'utilité de doter le nouveau juge créé par le projet de loi de prérogatives plus étendues que les seules décisions de placement en détention provisoire. Dans un délai de deux ans, ce juge se verra confier les pouvoirs du président du tribunal en matière de libertés. Après un long dialogue, nous avons aussi pu convaincre nos collègues que pour assurer l'autorité de ce juge il n'était pas possible de l'appeler juge de la détention provisoire ou juge des mesures de contrainte ; on le dénommera donc juge des libertés et de la détention, et la pratique devrait rapidement en faire le juge des libertés.
S'agissant de l'appel en matière criminelle, quelques divergences séparaient encore l'Assemblée nationale et le Sénat et les solutions élaborées par la commission mixte paritaire me paraissent satisfaisantes. L'appel sera ouvert non seulement à l'accusé mais aussi au parquet, sauf en cas d'acquittement, et à la victime quant à ses intérêts civils. La cour d'assises de premier ressort continuera, comme actuellement, à comporter neuf jurés alors que la cour d'assises d'appel en comprendra douze, de sorte que le poids des jurés par rapport aux magistrats professionnels ne sera en aucun cas affaibli, puisqu'il est, au contraire, augmenté en appel.
Après avoir présenté les solutions élaborées par la commission mixte paritaire sur les quelques difficultés qui subsistaient, je m'arrêterai quelques instants, de manière plus générale, sur ce texte que nous examinons pour la dernière fois.
Il aura fallu près de deux ans pour mener à bien la procédure législative. C'est long, mais je crois que le texte ne s'en porte pas plus mal. Vous nous aviez présenté en septembre 1998, madame la ministre, un projet de loi de quarante articles, contenant des mesures importantes en matière de garde à vue, de détention provisoire et de déroulement de l'instruction. Le texte que nous allons adopter aujourd'hui a un autre visage. Il comprend désormais cent quarante-deux articles et procède à des réformes attendues depuis longtemps. Je crois pouvoir dire que le Parlement en général et le Sénat en particulier n'ont pas peu contribué à améliorer le texte. C'est un grand texte parlementaire.
La réforme la plus importante opérée par ce texte, c'est bien sûr cet appel en matière criminelle qu'on n'espérait plus après tant de réflexion et de tentatives inabouties. Dès la première lecture de ce projet de loi, nous avons estimé que la réforme de la procédure pénale était vaine si l'on ne mettait pas un terme à cet archaïsme qu'était l'absence de deuxième degré de juridiction en matière criminelle. Personnellement, je suis heureux de voir cette réforme aboutir enfin, heureux surtout que l'initiative en soit revenue au Sénat, que l'on dit si conservateur, lorsqu'on ne connaît pas vraiment son oeuvre législative. (M. Haenel fait un signe d'assentiment.)
De la même manière, le projet de loi ne contenait aucune décision sur la mise en examen, pourtant si lourde de conséquences au regard de la présomption d'innocence. Nous avons donc souhaité que celle-ci ne soit possible qu'en présence de charges déjà importantes. De même, nous avons mis fin à ces mises en examen effectuées par lettre recommandée sans que la personne concernée ait la moindre chance de s'expliquer devant le juge d'instruction.
En ce qui concerne le statut du témoin assisté, nous avons estimé qu'il était souhaitable de l'étendre dans toute la mesure possible et de ne pas donner à cette personne tous les droits des mis en examen, afin que les deux statuts - statut du mis en examen et statut du témoin assisté - ne se confondent pas.
S'agissant de la communication, nombre des dispositions du texte peuvent être revendiquées par le Sénat. Grâce à notre collègue M. de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, auquel je tiens à rendre hommage, les délais d'exercice du droit de réponse sont harmonisés. Il s'agit là d'une mesure tout à fait heureuse pour la presse écrite, le délai d'exercice du droit de réponse étant ramené d'un an à trois mois.
La présomption d'innocence sera mieux protégée grâce à la précision de l'article 9-1 du code civil. Toute personne présentée comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction pourra saisir le juge afin de faire cesser cette atteinte à la présomption d'innocence. La présomption d'innocence des personnes qui sont présentées comme coupables alors qu'elles ne sont impliquées en rien dans une procédure est aussi importante que celle des personnes placées en garde à vue ou mises en examen, auxquelles jusqu'à présent la procédure était réservée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a longtemps qu'on vous le dit !
M. Jacques Larché, président de la commission de lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous avez raison de le répéter !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je dirai un mot également de l'exécution des peines. Là encore, le projet de loi initial n'abordait pas ce sujet. L'Assemblée nationale, qui, elle aussi, sous l'impulsion de sa rapporteuse Mme Christine Lazerges, a beaucoup travaillé pour améliorer ce texte, a décidé de donner un caractère juridictionnel aux décisions du juge de l'application des peines. Celles-ci seront désormais prises après débat contradictoire et pourront donner lieu à un appel. Nous avons voulu, avec votre accord, madame la ministre, aller plus loin en modifiant complètement les règles de la libération conditionnelle, conformément aux conclusions du rapport Farge. Dorénavant, cette mesure fondamentale pour la prévention de la récidive sera prononcée soit par le juge de l'application des peines, soit par une juridiction collégiale dont les décisions seront susceptibles d'appel. Le système ancien était une sorte d'anomalie de notre code de procédure pénale.
Pour conclure, je dirai que le Sénat a joué tout son rôle d'assemblée de réflexion. Il a constamment été une force de proposition dans ce débat,...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Charles Jolibois, rapporteur. ... il a souvent pu emporter la conviction des députés et du Gouvernement et a démontré le rôle constructif qu'il entendait jouer dans la réforme de la justice.
Je crois que ce projet de loi est aujourd'hui un bon texte. Il sera un texte important, peut-être pas une réforme définitive de la procédure pénale - mais qui peut prétendre réformer de manière définitive ? -, lorsque vous l'aurez adopté, mes chers collègues. Il sera sûrement une grande réforme, l'une des plus grandes du code de procédure pénale. Ce dernier n'est-il pas, en effet, le garant de nos libertés et du fonctionnement harmonieux d'une démocratie moderne ?
A ce stade, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter, sous réserve de quelques amendements de précision et de coordination, le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de la réussite de la commission mixte paritaire, dont votre rapporteur, M. Jolibois, vient de vous rendre compte, et de l'adoption par l'Assemblée nationale en dernière lecture, sans aucun vote contre, de ce projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes, le 24 mai dernier.
Ainsi se met en place la réforme de la justice que j'avais annoncée lors de ma communication en conseil des ministres, le 29 octobre 1997.
Je rappelle en effet que le premier volet de cette réforme est depuis longtemps définitivement voté à travers deux lois très importantes : d'une part, la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits et, d'autre part, la loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité des procédures pénales.
Ce premier volet de la réforme ne cesse d'être enrichi, puisque le Parlement sera bientôt saisi de la réforme des tribunaux de commerce et des professions d'administrateur et de liquidateur judiciaires, réforme que je dois présenter le mois prochain en conseil des ministres.
Par ailleurs, je prépare une importante réforme du droit de la famille, que je souhaite naturellement soumettre à une concertation compte tenu de l'importance de ce sujet sur lequel il me paraît utile de rechercher un consensus aussi large que possible.
Ce premier volet consacré à l'amélioration de la justice au quotidien a été aussi considérablement soutenu par les trois excellents budgets que vous avez bien voulu voter à l'unanimité, ce dont je vous remercie. Ces trois budgets ont accordé au ministère de la justice des moyens d'une ampleur sans précédent depuis de nombreuses années pour améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien.
Avec le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, c'est le deuxième volet de la réforme de la justice, c'est-à-dire une justice qui soit davantage au service des droits et libertés individuels, que vous allez voter.
Reste le troisième volet, concernant l'indépendance et l'impartialité de la justice, qui aurait dû donner lieu à l'adoption par le Congrès du projet de loi relatif au Conseil supérieur de la magistrature. Son blocage actuel, vous le savez, n'est le fait ni du Gouvernement ni de la majorité, et je confirme que je suis prête, quant à moi, à le faire aboutir dès que ce blocage sera levé. Je vois que, disant cela, je suscite l'intérêt de M. le président et de M. le rapporteur de la commission des lois, ce dont je suis toujours très heureuse !
Revenant au deuxième volet de la réforme et au projet de loi renforcant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes, je veux d'abord rendre hommage à la qualité du travail parlementaire, et plus spécialement, dans cette assemblée, au travail accompli par la commission des lois, par son président, M. Jacques Larché, et par son rapporteur, M. Charles Jolibois.
Je salue également le travail des membres de la commission mixte paritaire, dont la réussite témoigne de ce que la volonté de faire progresser la justice existe sur tous les bancs.
Comme je l'ai déjà dit devant l'Assemblée nationale lors de la dernière lecture, les débats particulièrement riches et constructifs qui se sont déroulés devant les deux assemblées ont permis de bâtir un accord sur un grand texte, équilibré et fondateur sur bien des points d'un renouveau de notre procédure pénale.
A la vérité, l'ampleur des sujets traités dans ce projet de loi aurait pu justifier quatre grandes lois : une loi sur l'appel des décisions des cours d'assises, une loi sur la réforme de la libération conditionnelle, une loi sur le renforcement des droits des victimes, une loi, enfin, sur le renforcement de la présomption d'innocence.
Je reviendrai brièvement sur ces aspects essentiels, car il faut replacer les travaux de la commission mixte paritaire dans un contexte plus large, les désaccords, à l'entrée de la commission mixte paritaire, ne portant finalement que sur quelques sujets bien identifiés et d'importance seconde - certes, rien n'est secondaire en matière de procédure pénale ! - par rapport aux quatre grands sujets que je viens d'évoquer.
Tout d'abord, c'est le Sénat qui a pris l'initiative en juin 1999, lors de la première lecture, d'un appel contre les décisions des cours d'assises, ce que j'ai alors salué comme il convenait. Dans ma communication du 29 octobre 1997, en conseil des ministres, j'avais d'ailleurs affirmé la volonté du Gouvernement d'instituer l'appel contre les décisions de la cour d'assises. J'avais toutefois indiqué devant la Haute Assemblée que je ne souhaitais pas poursuivre sur la base du dispositif proposé par mon prédécesseur, dispositif qui me paraissait trop coûteux en magistrats.
Par conséquent, le Sénat, après que nous avons travaillé ensemble, avec les services de la Chancellerie, sur le principe de l'appel tournant, l'un de ces travaux non pas souterrains mais méconnus,...
M. Jacques Oudin. Oh que oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... sur la base d'une note que j'ai fait abondamment circuler, le Sénat, disais-je, a pris parti en faveur de cet appel tournant, qui constituait donc un changement par rapport au texte qui avait été jusqu'ici discuté ; le Sénat a donc accepté d'entrer dans le raisonnement qui était le mien, à savoir trouver une modalité moins coûteuse en magistrats de l'appel contre les décisions de la cour d'assises, compte tenu de la priorité que je souhaitais donner à l'amélioration de la justice au quotidien et qui concerne évidemment des centaines de milliers de nos concitoyens, alors que, malgré leur résonance, leur impact, leur caractère symbolique, les procès des cours d'assises, surtout ceux qui sont contestés, sont infiniment moins nombreux.
Le Sénat - et je l'en remercie encore aujourd'hui - a posé le principe de l'appel tournant. Et, en continuant le travail, nous sommes parvenus, grâce à votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, à un consensus, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, sur ce système.
Je veux vous en remercier tout particulièrement parce que chacun, ici, se souviendra de la difficulté des débats précédents. D'ailleurs, sans doute avons-nous bénéficié du fait que ces débats aient existé. Je veux vraiment rendre à César ce qui appartient à César ! C'est en effet parce que ce débat a muri que nous avons pu trouver un accord dans des conditions de rapidité qui m'ont quand même étonnée : la discussion a duré vingt minutes à l'Assemblée nationale et trente ou quarante minutes au Sénat. Par conséquent, il y a des vertus à ce travail constructif entre le Gouvernement et les deux assemblées lorsque l'une des deux assemblées prend une initiative.
S'agissant maintenant des moyens humains, allons-nous les avoir ? Là était en effet la question. Cette réforme arrive à mon avis au bon moment puisque nous avons obtenu, dans ce troisième budget, un nombre record de créations de postes de magistrats : cette année, deux cent douze postes de magistrats ont en effet été créés, ce qui représente un record depuis vingt-cinq ans.
Ayant réussi à financer les réformes que nous avions prévues, je pense que, dans le budget pour 2001, je pourrai dégager les moyens pour cette réforme de la cour d'assises que vous avez souhaitée ardemment. Il aurait été très difficile de le faire avant, compte tenu des réformes déjà engagées, sur lesquelles je m'étais exprimée.
Cette réforme fait évidemment suite à un travail de tous les groupes parlementaires. Sur cette question de la réforme de la cour d'assises, j'ai naturellement eu des entretiens particulièrement approfondis avec M. Badinter, dont on sait la part qu'il a prise à ce grand débat depuis des années et avant même que la réforme vienne devant le Parlement, ainsi qu'avec M. Dreyfus-Schmidt et avec beaucoup d'autres encore. Je me réjouis par conséquent que nous ayons réussi dans cette coproduction à réaliser cette réforme historique après tant de tentatives restées sans suite.
J'en viens à une autre réforme historique : celle de la libération conditionnelle. On se souvient que M. Robert Badinter nous a raconté comment la réforme qu'il avait proposée, voilà dix-sept ans maintenant, avait dû être retirée et que plus personne depuis n'avait même songé à la remettre sur la table.
Pourquoi est-ce si important ? Parce que, autour de la libération conditionnelle, peut se construire un projet d'exécution de peine qui donne un sens à la sanction, qui favorise la réinsertion et qui, en définitive, prévient la récidive.
Or, le nombre des libérations conditionnelles n'a cessé de diminuer depuis vingt ans, par l'effet conjugué d'un allongement de la durée des peines, de l'exigence d'un emploi et du caractère administratif, voire quelquefois bureaucratique de l'instruction des dossiers.
Dans ce contexte, j'avais annoncé, en particulier lors de ma communication en conseil des ministres sur la politique pénitentiaire, le 8 avril 1998, ma volonté de relancer le dispositif.
Ainsi que je l'avais indiqué en juillet 1999 au Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire, j'ai confié à une commission présidée par M. Farge, conseiller à la Cour de cassation, une mission d'étude sur les moyens de relancer la libération conditionnelle.
M. Farge m'a remis son rapport le 17 février 2000 et, à peine un mois et demi plus tard, l'essentiel de ses propositions a pu, à ma demande - ou avec mon accord, puisque M. Jolibois a déposé un amendement identique à celui que j'ai présenté au nom du Gouvernement, ce dont je me réjouis - être intégré dans le projet de loi lors des deuxièmes lectures.
Si cette réforme a été faite à ce moment-là, c'est aussi parce que j'avais fait aboutir, grâce aux moyens supplémentaires que j'avais obtenus, la réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation, réforme qui avait été mise sur le métier en 1998, que j'ai financée par des créations de postes de surveillants et d'éducateurs de l'administration pénitentiaire en 1998 et en 1999, et qui a naturellement ouvert la voie à l'application de cette réforme de la libération conditionnelle.
Deux mesures essentielles caractérisent maintenant la nouvelle libération conditionnelle ; elles figurent dans la loi sous la forme adoptée par le Sénat, le Gouvernement et la commission ayant, je le rappelle, déposé des amendements identiques.
D'une part, les critères d'admission ont été élargis, de sorte que tous ceux qui font des efforts sérieux de réinsertion pourront espérer bénéficier de la mesure, sans condition d'obtention d'un emploi. Il faudra justifier d'un stage ou même d'un suivi médical, donc d'un effort pour se réinsérer.
D'autre part, la décision d'admission à la libération conditionnelle ou de refus sera toujours prononcée par une juridiction, conformément aux propositions contenues dans les rapports que j'avais demandés.
La décision sera prise après débat contradictoire. Le condamné pourra être assisté d'un avocat, et il aura la possibilité d'interjeter appel s'il n'obtient pas satisfaction.
Ainsi, nous reconnaissons aux personnes détenues les garanties d'un débat judiciaire en assurant à la société une meilleure prévention de la récidive.
Le troisième grand axe de ce projet de loi concerne le renforcement des droits des victimes.
Après la loi du 17 avril 1998 relative aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs, ce texte est le second que vous adopterez au cours de cette législature contenant une série de dispositions spécialement consacrées aux droits des victimes.
Je sais bien que la mise en place des décrets d'application sur la loi de 1998 a été longue. Je voudrais cependant faire observer à M. le rapporteur - il le sait d'ailleurs, car il est très attaché à la préservation des droits et libertés individuels - que l'on ne fabrique pas pour la première fois, dans un pays démocratique comme le nôtre, le premier fichier d'empreintes génétiques comme l'on mettrait à jour un fichier d'empreintes digitales. Cela pose d'autres types de problèmes. Cela demande une consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et du Conseil d'Etat. Cela demande que l'on réfléchisse, s'agissant d'un instrument entièrement nouveau, à ce que nous faisons, et naturellement aux conditions dans lesquelles ce fichier est élaboré, aux conditions d'accès et aux conditions de son utilisation.
Je veux donc dire que notre souci n'était évidemment pas de faire traîner les choses. Nous voulions, bien entendu, nous assurer que toutes les précautions nécessaires étaient prises pour éviter véritablement toute contestation sur cet important instrument visant à lutter contre la délinquance sexuelle.
Quoi qu'il en soit, grâce à ce texte, les victimes seront mieux accueillies, mieux écoutées, mieux protégées et mieux indemnisées.
Les mesures que j'ai proposées, enrichies par les apports des deux assemblées, ont fait l'objet d'un large consensus et ont donc été votées conformes dès les premières lectures.
Il en est ainsi des dispositions qui obligent les autorités policières ou judiciaires à informer les victimes de leurs droits, ou encore de celles qui consacrent le rôle des associations d'aide aux victimes, qui facilitent les constitutions de partie civile et qui permettent aux commissions d'indemnisation des victimes d'infractions pénales d'indemniser des préjudices résultant de dégradations ou d'extorsions, ainsi que le préjudice psychologique résultant de telles infractions.
Il en est également ainsi des dispositions qui instituent l'infraction d'atteinte à la dignité de la victime d'un crime ou d'un délit et permettent de sanctionner, à la demande de la victime, la reproduction de certaines images que ne justifient nullement la liberté - pourtant essentielle - de l'information.
Les victimes auront aussi le droit de mieux intervenir dans le cours de la procédure. Elles bénéficieront, comme les autres parties au procès, de l'extension du principe contradictoire.
Le quatrième grand axe de ce projet de loi est la protection de la présomption d'innocence des personnes mises en cause par la justice.
C'est à une réforme en profondeur de notre droit que vous allez procéder. Sans remise en cause complète des principes directeurs de notre procédure pénale, nous accordons une plus grande part au contradictoire.
Les dispositions concernant le déroulement de l'instruction préparatoire sont profondément modifiées.
Votre assemblée a apporté une contribution déterminante à la refonte complète du statut du témoin assisté, qui constitue une des innovations majeures de ce texte.
Ainsi, même une personne contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d'une infraction ne sera plus obligatoirement mise en examen mais pourra être entendue comme témoin assisté, en présence de son avocat, et avoir ainsi accès au dossier.
La mise en examen sera réservée aux personnes contre lesquelles sont réunis des indices graves « ou » concordants, autre amélioration apportée par le Sénat. Elle interviendra après audition par le juge et non avant, de sorte que le magistrat sera complètement informé avant de prendre sa décision.
L'égalité des armes sera mieux assurée par une extension des mêmes droits à toutes les parties au procès. Ainsi, les parties civiles pourront demander des actes, des confrontations, des expertises, des perquisitions ou des transports sur les lieux, et pourront directement interroger les témoins à l'audience.
De même, selon un mécanisme conforme à celui qui a été voté par votre assemblée, les personnes mises en examen, les témoins assistés et les parties civiles disposeront d'un droit de regard sur la durée de l'information. C'est évidemment un point essentiel ! Ainsi, la chambre d'accusation, devenue chambre de l'instruction, autre amendement sénatorial, pourra faire mieux respecter le principe du délai raisonnable.
D'importantes modifications sont apportées au régime de la garde à vue.
Les simples témoins ne pourront plus faire l'objet de cette mesure. Les personnes gardées à vue pourront dès le début compter sur la présence d'un avocat - c'est une innovation majeure - sauf infraction de criminalité organisée. Ainsi, ce n'est pas, comme actuellement, à la seule vingtième heure que la personne rencontrera son avocat, mais à la première, à la vingtième et à la trente-sixième heure.
Sur la question de l'enregistrement des déclarations de personnes gardées à vue, je n'insisterai pas, M. Jolibois en a longuement parlé. Cela a finalement été « le » sujet remarqué de la commission mixte paritaire, même si beaucoup d'autres sujets y ont été évoqués.
La commission mixte paritaire a finalement opté pour l'enregistrement audiovisuel des mineurs, et le texte adopté a le mérite de préciser le statut de ces enregistrements, qui ne pourront être utilisés à l'audience de jugement.
Nous pourrons, un an après l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, c'est-à-dire deux ans après la publication de la loi, faire le point sur cette innovation importante.
Toujours dans le cadre de la présomption d'innocence, le régime de la détention provisoire est modifié en profondeur. Un double regard sur cette décision très importante est prévu, puisque la décision est confiée à un juge distinct du magistrat instructeur, le « juge des libertés et de la détention » Cette dénomination n'appelle pas d'objection de ma part car, si tous les juges sont juges des libertés, tous ne sont pas juges de la détention.
Nous avons trouvé, là encore, comme en matière d'enregistrement, un compromis honorable.
Ainsi, dans ce dispositif, c'est véritablement un nouveau métier que pourra exercer le juge d'instruction. Déchargé du contentieux de la détention, disposant d'une grande latitude dans le recours à la procédure du témoin assisté, il pourra, mieux que par le passé, se livrer à sa mission d'instruire à charge et à décharge, ainsi qu'il sera inscrit au nouvel article 81 du code de procédure pénale.
Dans l'hypothèse, que l'on voudrait aussi rare que possible, de détentions provisoires suivies d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, le mécanisme d'indemnisation est largement amélioré avec l'adoption du principe d'une indemnisation intégrale et obligatoire du préjudice. Les décisions rendues dans ce domaine seront motivées, publiques et susceptibles de recours.
Enfin, le renforcement de la présomption d'innocence se manifeste aussi par la règle nouvelle selon laquelle la diffusion de l'image d'une personne menottée ne pourra se faire sans son consentement.
La liberté de la presse est également renforcée par plusieurs dispositions du projet de loi.
Ainsi, la commission mixte paritaire a décidé la suppression des peines d'emprisonnement en matière d'outrage et de diffamation, ce qui n'a rien à voir, je le souligne, avec la question des images, pour lesquelles jamais des peines d'emprisonnement n'ont été prévues. J'insiste sur ce point, parce que la confusion a été faite, hélas ! dans une dépêche d'agence qui, bien que rectifiée dès le lendemain, a provoqué quelques dégâts : j'ai pu encore le constater ce matin, à l'occasion du colloque « Presse liberté », où l'on a mélangé les deux sujets.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas exceptionnel !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant des images, seules des peines d'amende ont été prévues, et le texte a d'ailleurs été considérablement amélioré grâce au débat parlementaire.
Pour les outrages, en revanche, des peines de prison existent dans notre code, mais ne sont plus appliquées depuis longtemps en France. La question m'a été posée par l'association Reporters sans frontières, dont j'ai reçu les représentants il y a un an : selon eux, c'est parce que ces dispositions existent dans la loi française que, dans certains pays étrangers, on applique à la lettre ce qui n'est plus appliqué chez nous. Il était donc justifié de supprimer ces dispositions, pour qu'on ne puisse pas les prendre comme prétexte pour mettre en prison des journalistes qui portent des jugements critiques sur tel ou tel chef d'Etat ou sur tel ou tel responsable politique à l'étranger. Nous avons donc très bien fait, et je m'en félicite. C'est sur ce point - et sur ce point seulement - que des peines de prison étaient prévues, non pas par nous d'ailleurs mais par la loi sur la presse, et ce depuis très longtemps. Nous avons donc naturellement supprimé ces peines.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi, nous aurons, je crois, réussi à nous débarrasser d'un archaïsme.
Par ailleurs, des fenêtres de publicité sont prévues à tous les stades de la procédure, en particulier si la personne mise en examen en fait la demande.
Enfin, la loi rétablit dans la loi de 1881 sur la presse un article permettant d'arrêter l'exécution provisoire d'une décision ordonnée en référé mais qui aurait des conséquences manifestement excessives dans la restriction apportée à la diffusion de l'information.
Cette disposition extrêmement importante, qui n'était pas prévue auparavant, permet d'obtenir un délai lorsqu'un ouvrage doit être retiré de la vente parce qu'un tribunal en a condamné un passage ou quelques pages.
Je crois que nous pouvons dresser un bilan très largement positif des travaux parlementaires, et je vous en remercie. Un travail constructif a été effectué par le Parlement, en collaboration avec le Gouvernement, et a permis d'enrichir le texte : des dispositions qui n'étaient pas prévues au départ et que nous souhaitions y voir figurer ont été ajoutées, afin d'améliorer ce projet et d'en faire, je crois, une très grande loi.
Je remercie le Sénat de la part importante qu'il a prise dans ce travail. Certains pourront peut-être regretter que l'on ne soit pas allé plus loin, encore que je me demande quelquefois ce qu'aller plus loin veut dire : pour moi, s'il s'agissait de changer la procédure pénale, je vous ai exposé toutes les raisons pour lesquelles je pense qu'il ne fallait pas le faire.
Quoi qu'il en soit, je crois que les progrès accomplis sont considérables.
L'applicaiton de cette loi fera évidemment l'objet d'une observation attentive. Au moment même de son entrée en vigueur, une circulaire renseignera les juridictions sur les dispositions immédiatement applicables, et d'autres circulaires détaillées suivront.
J'ai aussi décidé la constitution d'un groupe de suivi composé de magistrats et de fonctionnaires exerçant en juridiction pour m'assurer que cette grande loi sera effectivement appliqué.
Toutes les catégories seront représentées, siège, parquet, magistrats siégeant dans les tribunaux, dans les cours d'appel ou en cour d'assises, grandes et petites juridictions.
Nous serons informés en temps réel des conditions d'application de la loi, des éventuelles difficultés qu'il sera possible de corriger avant qu'elles ne s'aggravent, mais aussi des progrès accomplis grâce aux nouvelles dispositions que vous aurez votées.
J'installerai ce groupe de travail le 13 juin prochain.
Ainsi pourra vivre cette réforme, qui met notre législation en accord avec les normes européennes et montre que notre pays demeure la patrie des droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travée du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je crois que le présent projet de loi restera dans nos mémoires comme empreint d'une certaine exemplarité. Il a démontré une fois de plus l'utilité concrète du bicaméralisme et la capacité d'action des parlementaires, quoi qu'on en dise ici et là, et ce, qui plus est, dans une période de cohabitation parfois marquée par des attaques et des procès d'intention reproduits par la presse et dont on peut se demander s'ils ne sont pas teintés d'une certaine exagération.
Madame la garde des sceaux, votre projet de loi a été considérablement remanié et enrichi au cours des navettes parlementaires, aussi bien par l'Assemblée nationale que par nous, et, en dernier ressort, grâce aux travaux de la commission mixte paritaire.
J'avais souligné - vous vous en souvenez peut-être - une certaine discordance entre son titre, qui était très légitimement ambitieux, et une certaine timidité quant aux mesures qui nous étaient proposées.
Je vous avais dit aussi qu'un tel texte n'aurait de valeur juridique, et même sociale, que s'il était adopté par le Parlement tout entier. Cela nous conduisait à l'entente ! J'avais d'ailleurs rappelé l'exemple du code pénal, pour lequel nous avons travaillé dans le même esprit pendant plusieurs années, avec un même résultat.
Ce n'est pas un mince honneur pour le Sénat et pour notre rapporteur, qui a tant travaillé sur ce texte, que de vous avoir entendue si bien reprendre à votre compte l'importance de l'appel des cours d'assises dans le discours que vous avez prononcé la semaine dernière à l'Assemblée nationale, à tel point que vous l'avez placé en tête de votre présentation du projet de loi. Comme nous, sans doute, vous avez jugé que c'était peut-être de cette disposition que, les années passant, l'opinion publique se souviendrait.
Je constate qu'aujourd'hui vous avez rétabli de manière exhaustive une chronologie de la réforme plus exacte que celle qui avait pu transparaître dans certains de vos propos. Je me réjouis de votre reconnaissance de cette paternité sénatoriale, qui augure bien, sans doute, de certaines avancées que nous pourrons peut-être également réaliser dans d'autres domaines, tels que le droit de la famille. Depuis trois ans maintenant, vous nous annoncez des réflexions et des projets, mais nous n'avons encore rien vu venir. Peut-être est-ce pour un avenir rapproché ?
Quoi qu'il en soit, il a fallu que le Sénat, pour combler certaines lacunes, prenne l'initiative, comme il l'a fait en matière de prestations compensatoires. Il n'est en effet pas possible d'attendre indéfiniment, et certaines situations urgentes doivent être résolues.
Nous sommes donc en présence d'un projet de loi qui a été construit pour l'essentiel au Parlement, par deux chambres aux majorités différentes mais dont les votes n'ont pas reflété les clivages traditionnels entre la droite et la gauche. Ce fait est particulièrement apparu au cours de nos débats, aussi bien en commission, en séance publique qu'au sein de la commission mixte paritaire, et j'en rends hommage à mon collègue président de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Je le disais, ce que nous venons de faire a valeur d'exemple et de démonstration : lorsque le Gouvernement veut bien laisser au Parlement, sur des questions importantes comme celle-là, le temps de délibération nécessaire, tout le monde y gagne.
L'urgence ne fait pas avancer les choses. Et qu'en aurait-il été si, comme sur tant d'autres textes importants - trois au cours de ce mois, par exemple - le Gouvernement avait, là aussi, déclaré l'urgence ? Nous connaissons les effets de l'urgence : le débat est tronqué, il est caricaturé, il aboutit à ce qu'une chambre, Assemblée nationale ou Sénat, ne puisse pas prendre connaissance des apports, sans doute intéressants, que l'autre est capable de réaliser.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ne l'avez pas toujours dit !
M. Jacques Larché, président de la commission. Je l'ai très souvent dit, et je le dis chaque fois que je considère nécessaire de le dire (Rires.)
Il le fallait, car, avec la présomption d'innocence, nous touchons au coeur des libertés publiques primordiales : la liberté d'aller et venir, les droits de la défense, le droit à la sécurité pour les victimes et le droit à un deuxième recours.
Cela a été possible parce que le dialogue a pu s'établir et peut-être même dépasser les projets initiaux auxquels nous étions confrontés.
La seconde lecture aura été - nous le notons - beaucoup plus fertile que la première parce qu'elle comportait déjà nos avancées, dont vous aviez finalement bien voulu tenir compte, madame le ministre, après vos rejets premiers sur un certain nombre de points particulièrement importants.
Nous avons pu ainsi, grâce à un travail parlementaire d'approche, nous présenter en commission mixte paritaire en connaissant les divergences qui subsistaient - elles étaient importantes - mais, les connaissant, en découvrant peu à peu - nous l'avons fait à l'occasion de contacts puis au cours des travaux officiels - ce qu'il était possible de faire sans que l'une ou l'autre de nos deux assemblées soit conduite à renoncer à ce qui pouvait lui paraître essentiel.
J'ajouterai que ce dialogue a sans doute été permis par la nature même du texte : nous sentions bien que cela ne pouvait pas être l'occasion de débats strictement partisans. Mais, dans le même temps, certains ont pu penser que le fait que le Congrès soit reporté nous avait permis d'approfondir, plus que nous ne l'aurions fait dans d'autres conditions, la réflexion que nous entendions mener.
Je ne peux que saluer le travail astreignant, solide, que les rapporteurs ont accompli, travail accepté par le Gouverment et auquel les deux présidents de la commission des lois de l'Assemblée nationale avec lesquels j'ai eu l'honneur de travailler, Mme Tasca et M. Roman, ont apporté une contribution personnelle que j'ai appréciée.
Pour ma part, j'ai toujours souhaité l'issue constructive à laquelle nous avons abouti. Oh ! cela n'a pas toujours été commode. La presse l'a dit, nous avons été, à un certain moment, au bord de la discordance fatale. Mais certaines mesures, qui auront beaucoup fait parler, éclipsent parfois l'essentiel.
Encore une fois, ce que l'on retiendra de ce texte, ce ne sera pas le problème de l'enregistrement, surtout de la manière que nous l'avons traité, ce sera la réforme de la cour d'assises.
Nous avons obtenu de la commission mixte paritaire que le système d'enregistrement envisagé le soit en quelque sorte à titre expérimental. Un rapport est annoncé, après lequel une extension sera possible - possible mais non obligatoire ! De toute manière, ce rapport n'interviendra qu'après 2002. Nous aurons donc tout le temps de réfléchir, lorsque le débat viendra, à ce qu'il y a lieu de faire.
Peut-être, compte tenu de certains débats en commission mixte paritaire, compte tenu du fait que certaines décisions n'ont été écartées que de très peu, nous apparaîtra-t-il que, pour mieux assurer le droit des personnes en garde à vue, l'enregistrement n'est pas la meilleure solution, voire qu'il n'est pas la seule.
Peut-être, le temps passant - et passant vite, je l'espère - aurons-nous la possibilité, d'ici à 2002, de voir s'il n'y a pas lieu de réfléchir à d'autres procédures qui assureraient peut-être davantage cette protection.
Je crois pouvoir résumer, sans trop y insister, car cela a été parfaitement fait par le rapporteur, M. Charles Jolibois, ainsi que par vous-même, madame le garde des sceaux, les différents volets de la réforme : l'appel des cours d'assises, la libération conditionnelle, l'équilibre des droits dans la procédure pénale.
Je veux surtout marquer ce que tout cela signifie. Nous reconnaissons intellectuellement - et nous n'en faisons reproche à personne - une certaine faillibilité de l'homme dans la recherche de la vérité judiciaire, et parce que cela est difficile, parce que cela est contraignant, parce que cela est aléatoire, il faut que tous, femmes, hommes, victimes, prévenus, témoins, magistrats, policiers, connaissent ces droits et ces devoirs nouveaux que nous nous efforçons de leur assurer.
J'ai le sentiment que nous vivons peut-être une dernière expérience. En effet, si nous ne réussissons pas ce que nous sommes en train de décider, peut-être faudra-t-il, alors, nous interroger un jour sur le principe même de notre procédure. Faudra-t-il rester dans la tradition de la procédure inquisitoire ou ne pas craindre d'aller plus loin et envisager une procédure accusatoire ?
J'en reviens, pour conclure, à ce qui me paraît le plus important.
Une fois de plus, l'« anomalie » que nous constituons aura pleinement joué le rôle que la Constitution lui reconnaît. Lorsque nous ne nous heurtons pas à une prise de position strictement idéologique de l'autre chambre - c'est parfois le cas ! - grâce à notre écoute, grâce aux initiatives qui émanent de nos rangs, la loi de la République sort renforcée de nos débats, et, au-delà de la loi, ce sont la liberté et la dignité de tous ceux qu'elle concerne qui sont ainsi mieux assurées. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu deux années, deux années de réflexion, de polémique parfois, de procès d'intention aussi, malheureusement, pour, en fin de compte, conclure - peut-être provisoirement, diront certains - le beau et grand débat parlementaire sur la présomption d'innocence au travers de l'examen de ce texte, qui est aussi relatif, ne l'oublions pas, aux droits des victimes.
Nous devons tous, au tant que nous sommes - je pense que nous n'hésiterons pas à le faire - nous féliciter de l'ampleur de la tâche accomplie, l'apport et le rôle du Sénat - même Mme la ministre vient de le dire - ayant été substantiels, je dirai même essentiels, sur certains points.
N'oublions pas non plus, tout de même, en passant, que la réforme de la présomption d'innocence a été voulue par le Président de la République, puis initiée par le Gouvernement.
Le projet de loi que nous avons examiné pendant deux ans, adopté par le conseil des ministres après examen par le Conseil d'Etat, préalablement arbitré par le Premier ministre après de nombreuses réunions interministérielles et bien des hésitations des services aussi, paraissait peut-être, en première lecture, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, quasiment « inamendable » sur des points essentiels.
En première lecture, l'Assemblée nationale donna d'ailleurs l'impression d'être contrainte à se plier à cette règle.
En juin dernier, le Sénat, grâce au travail de notre excellent rapporteur, M. Charles Jolibois, prit le temps qu'il fallait pour examiner un texte de cette importance. Et ce fut, on peut le dire, l'ouverture qui permit de prendre en compte à la fois la compétence de tous nos collègues, de la gauche à la droite, de part et d'autre de l'hémicycle, et, oserai-je dire, le travail de sagesse que peut accomplir le Sénat, sagesse qui sans doute a été contagieuse et a permis d'aboutir à cet accord.
On peut dire que les parlementaires ont su et ont pu, d'une certaine manière, imposer leur point de vue. Alors, ringard le Sénat ?
C'est aussi, en quelque sorte - on l'a dit, je crois, à l'Assemblée nationale, et c'est vrai - une coproduction Président, Gouvernement - vous avez eu un rôle essentiel, madame le ministre - Sénat et Assemblée nationale.
Alors, nous voici arrivés, à la satisfaction générale - la vôtre d'abord, madame la ministre, la nôtre aussi, largement partagée - à la fin de tout un processus qui a abouti à ce texte, certes encore incomplet aux yeux de certains d'entre nous, mais qui enregistre tout de même des avancées considérables. Il marque peut-être une étape, mais, en tout cas, une étape décisive.
Je crois que l'on peut dire - je suis pénaliste de formation - que voilà au moins cinquante ans qu'il n'y a pas eu de réforme aussi importante dans le domaine de la procédure pénale !
Notons aussi que nous n'avons pas travaillé avec l'épée de l'urgence dans les reins, qui conduit toujours à un travail superficiel, donc très souvent bâclé, ou tout au moins insuffisant.
Quels sont les points où nous pouvons constater des avancées significatives ? Ils sont très nombreux ; M. le rapporteur et vous-même, madame la ministre, les avez rappelés.
Certains ont hésité ; fallait-il un article 1er ? Je crois qu'il était nécessaire, dans cet article préliminaire sur la présomption d'innocence, de rappeler les grands principes. Cet article éclaire l'ensemble des autres dispositions du texte.
Il y a le recadrage et la réforme, en quelque sorte, de la mise en examen, la création du juge des libertés et de la détention, la limitation de la durée de la détention provisoire, l'appel des décisions d'assises, le réexamen des décisions pénales tirant les conséquences d'un arrêt de la cour de Strasbourg, la liberté de la presse - on a eu raison de souligner, à cet égard, l'excellent travail du rapporteur pour avis, M. Louis de Broissia - la publicité, l'exécution des peines, les droits des victimes.
On me permettra de mettre rapidement en exergue trois points : la garde à vue, les relations entre justice et police judiciaire et les questions liées à la mise en oeuvre de cette réforme.
Il y a eu beaucoup d'hésitations, de réflexions, de tergiversations, de polémiques même, sur certaines dispositions concernant le régime de la garde à vue. Soulignons les avancées : la présence de l'avocat dès la première heure, la dixième heure, la vingtième heure et, pour être complet, la trente-sixième heure, en cas de prolongation de la garde à vue par décision du procureur de la République.
Est-ce trop d'avocat ? Pas assez d'avocat ? En tout cas, grâce à cette mesure, nous allons pouvoir observer le comportement des barreaux, ceux qui pourront et voudront s'organiser pour rendre cette présence effective et les autres.
En tout cas, madame la ministre, dans le prolongement de ce que vous nous avez annoncé, à savoir l'instauration d'une sorte de commission de suivi, il serait intéressant de faire tenir des statistiques pour savoir si l'on demande fréquemment la présence d'un avocat, si celui-ci vient et dans quel délai il vient. Il conviendra peut-être aussi d'observer s'il y a changement de comportement de la part des officiers de police judiciaire relevant de la police nationale et de la gendarmerie. Cela aussi mérite que les procureurs y regardent de très près.
Je voudrais par ailleurs revenir sur cette affaire de l'enregistrement audiovisuel - et non pas sonore. N'oubliez pas que, lorsque nous avons abordé ce débat à l'occasion de la deuxième lecture, je me suis toujours opposé, et mon groupe avec moi, à l'enregistrement sonore, parce que celui-ci n'a pas de sens. J'ai dit qu'il fallait aller jusqu'au bout de la logique, au moins pour les mineurs, et procéder à l'enregistrement audiovisuel. Vous l'avez accepté, madame la ministre, et nous l'accepterons aussi, puisque mon groupe votera sans hésitation et unanimement l'ensemble du texte, mais je crois qu'il faudra encore que l'on observe quels seront les résultats de ce qui demeure une expérimentation.
Des questions se posent d'ailleurs sur le plan pratique, tant pour les services de la police nationale que pour ceux de la gendarmerie. On verra, au bout de deux, trois ou quatre ans, comment se déroule l'enregistrement audiovisuel des auditions pendant les gardes à vue des mineurs. Nous en tirerons ensuite toutes les conséquences.
Toujours en ce qui concerne la garde à vue, je regrette que le rôle essentiel de contrôle joué par les procureurs de la République n'ait pas encore été suffisamment affirmé. En première lecture, j'avais obtenu la tenue, par les parquets, de deux registres. Cette disposition a été maintenue dans le texte ; j'espère qu'elle deviendra effective.
J'en arrive aux relations entre la justice et la police judiciaire, sujet éminemment délicat, sujet récurrent s'il en est, et d'ordre sans doute moins juridique qu'historique, culturel, voire corporatiste.
Je constate plusieurs avancées, tout du moins sur le plan théorique. Seule la pratique permettra de mesurer l'effectivité de cette réforme, et, là encore, une surveillance constante sera donc nécessaire, madame la ministre.
Il s'agit tout d'abord de la fixation par le procureur de la République du délai dans lequel une enquête préliminaire doit être diligentée par les officiers de police judiciaire mandatés à cet effet.
Il s'agit ensuite du compte rendu en temps réel au procureur de la République ou à ses substituts, notamment lorsqu'une personne est placée en garde à vue, mais pas seulement dans ce cas.
Il s'agit enfin d'une disposition à laquelle je tiens tout particulièrement, et je remercie M. le rapporteur d'y avoir été très attentif, car elle aura des conséquences très importantes dans l'avenir : désormais, les enquêtes administratives relatives aux comportements d'un OPJ ou d'un APJ dans l'exercice d'une mission de police judiciaire associeront l'inspection générale des services judiciaires aux services d'enquête compétents, relevant soit de la direction générale de la police nationale, soit de la direction générale de la gendarmerie. Elles pourront aussi être ordonnées par vous, madame la ministre : dans ce cas, elles seront dirigées par un magistrat.
Je suppose, madame la ministre, que cette disposition législative nécessitera au moins un décret d'application, puis une circulaire commune du ministre de la justice et du ministre de l'intérieur. Il sera d'ailleurs intéressant de mesurer les délais que s'accorderont certains services du ministère de l'intérieur avant d'appliquer la volonté du législateur...
Cette dernière observation m'amène à aborder la mise en oeuvre des réformes.
L'application de l'ensemble du dispositif que nous allons adopter conviendra d'être suivie de très près car - cela vient d'être rappelé - il touche aux libertés. Sa mise en oeuvre doit donc être exemplaire tant sur le plan de la célérité que sur celui des moyens.
De très nombreuses questions pourront être posées, mais nous y reviendrons peut-être à l'occasion de l'examen des crédits de la justice à la fin de l'année. Faudra-t-il, par exemple, spécialiser des locaux de garde à vue pour les interrogatoires des mineurs, car il est certain qu'ils ne pourraient pas être interrogés dans les locaux actuels de toutes les brigades de gendarmerie ou de tous les commissariats ? Dans l'affirmative, dans quels délais ? Combien de magistrats et de greffiers seront-ils nécessaires pour mettre en oeuvre l'appel en matière criminelle ?
Je réserve ces questions, mais elles se posent. Vous avez ommencé à y répondre, madame la ministre, en annonçant la mise en place d'une commission de veille ou de surveillance de l'application de la réforme, ce qui est très important.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, oui, nous pouvons être légitimement satisfaits du travail accompli. Ce n'est peut-être qu'une étape mais, avec ce texte, le respect du principe de la présomption d'innocence et des droits des victimes aura fait, je le crois, un bond considérable.
Enfin, et là j'interviens plus à titre personnel qu'au nom de mon groupe, voilà des années que j'attends que le débat « Politique » sur la justice s'enrichisse et s'apaise. Je me réjouis donc de la conclusion à laquelle nous allons aboutir. C'est ainsi que l'on fait de bonnes lois. Puisse ce texte préfigurer l'esprit avec lequel il nous faudra désormais - Gouvernement, Assemblée nationale et Sénat - aborder, traiter et régler d'autres aspects de la réforme judiciaire et du fond du droit !
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe du Rassemblement pour la République, sans hésitation et à l'unanimité, votera le texte sur la présomption d'innocence et les droits des victimes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé. Vous êtes en progrès !
M. Robert Bret. Il peut mieux faire !
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pour clore cette longue et assez fructueuse procédure législative, je présenterai, au nom de mon groupe, trois réflexions : la première sur l'appel des arrêts criminels ; la seconde sur la distinction quelque peu artificielle et sur l'opposition que l'on entretient entre les notions de procédure inquisitoire et de procédure accusatoire ; la troisième sur la garde à vue et la présence de l'avocat au cours de cette garde à vue, question qui me tient particulièrement à coeur.
L'appel des arrêts criminels est la décision la plus importante que nous avons eu à prendre, tant dans son principe que sur le plan de son efficacité. En effet, nous sommes sûrs que cela va se faire, si je puis me permettre d'employer cette expression à la différence d'autres dispositions de ce texte, comme l'institution d'un juge de la liberté et de la détention notamment, pour lesquelles il faudra attendre quelques années avant de savoir si cela marche. Pour l'instant, nous ne le savons pas.
La réforme de la cour d'assises va donc entrer dans les faits, et je remercie M. le rapporteur d'avoir joué un rôle décisif dans cette affaire.
Bien entendu, il s'agit non pas d'un appel au sens classique du terme, mais plutôt d'une seconde chance. Cette distinction est en réalité fondamentale, car il ne faut pas qu'il y ait trop d'équivoques sur ce point, du moins dans le milieu des juristes.
L'appel, nous l'avons bien vu au cours de la lecture précédente, posait un problème de juridiction et, surtout, un problème de motivation de la première décision auquel nous n'avons pas pu apporter de réponse.
Nous ne prétendons donc pas instaurer un second niveau de juridiction après un appel, mais nous souhaitons donner une seconde chance à ceux qui sont condamnés. Notre motivation est plus humaine que juridique : la pire des choses pour la justice est la condamnation d'un innocent. La non-condamnation de coupables, c'est quotidien, si j'ose dire, et beaucoup moins grave ! (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Il en reste des coupables en liberté !
M. Pierre Fauchon. La condamnation d'un innocent est chose véritablement épouvantable. Chaque fois que nous avons connaissance d'un tel cas, nous sommes effrayés ! N'est-ce pas La Bruyère qui disait que la condamnation d'un innocent est l'affaire de tous les honnêtes gens ? Avec une telle formule, il n'est pas surprenant que le Sénat s'en soit inquiété et qu'il ait donné le moyen à ceux qui sont condamnés, mais qui prétendent être innocents, d'avoir une seconde chance. Sur le plan humain, c'est un progrès fondamental.
Je dirai maintenant quelques mots de l'opposition que l'on entretient, non peut-être sans une certaine complaisance et une facilité un peu formelle, entre les procédures dites inquisitoires et celles dites accusatoires, sans se soucier d'ailleurs de définir les deux procédures, tant les cas sont rares de procédures purement inquisitoires ou purement accusatoires. Tout cela évolue : dans une démarche visant à améliorer le mécanisme judiciaire, on est parti quelquefois d'une procédure accusatoire et on a introduit des mesures inquisitoires, ou inversement.
Ceux de ma génération se rappellent ce que nous avons vécu en matière civile. Nous avons commencé avec une procédure pratiquement accusatoire, puis nous avons connu une procédure plus inquisitoire avec l'instauration du juge chargé de suivre la procédure. D'une certaine façon, les référés, dont on connaît l'importance, ont abouti à donner un rôle actif au juge qui relève de la procédure inquisitoire, et nous en sommes très contents.
Les Anglais, qui souffrent d'avoir une justice civile dont il faut bien dire qu'elle est très loin d'être satisfaisante, essaient d'y introduire, à la suite du rapport de lord Wolf, des éléments de procédure inquisitoire.
En matière pénale, c'est à peu près pareil, les choses ne sont pas ausi claires que cela. Les audiences auxquelles ont peut assister ont, à certains moments, un caractère accusatoire et, à d'autres, peut-être un peu trop inquisitoire, mais ce sont plus des nuances que des différences fondamentales.
D'ailleurs, on dit que l'Angleterre pratique un système accusatoire, mais le prévenu qui est en face du bobby, de l'agent de police qui l'interroge, a bien l'impression d'être en face d'un inquisiteur, et il est dans une situation inquisitoire. Ensuite, ce qui se sera passé durant l'enquête en Angleterre n'est quand même pas nul et non avenu et n'est pas sans jouer un certain rôle à l'audience et durant la procédure accusatoire qui suit.
Tout cela est assez mélangé et je suis de ceux qui considèrent - et j'ai été heureux d'entendre Mme le garde des sceaux le dire à plusieurs reprises - qu'il faut prendre notre système pour ce qu'il est et ne pas renier ce qu'il y a de valable dans l'inquisitoire, il faut simplement l'améliorer. C'est ce que nous essayons de faire et c'est, à mon sens, une démarche tout à fait raisonnable.
La troisième réflexion, qui me tient davantage à coeur, est la présence de l'avocat durant la garde à vue.
Je suis de ceux qui croient qu'il faut un avocat durant toute la durée de la garde à vue. M. Dreyfus-Schmidt, qui est l'un de ceux avec qui nous avons passablement réfléchi à cette question, ainsi que M. Badinter, savent ce qu'il en est.
Il faut répéter sans cesse que la garde à vue est une épreuve terrible. La personne qui est conduite devant la police ne sait pas ce qui va lui arriver. On lui annonce soudain qu'elle est placée en garde à vue et elle entre alors dans un monde où elle se sent menacée par l'appareil judiciaire avec tout ce qui l'accompagne de violence morale. Elle est seule, peut-être innocente ou peut-être impliquée de très loin seulement dans une affaire délictueuse.
Nous avons récemment auditionné des maires. Le maire d'une commune où un accident s'était produit nous a raconté comment il s'était retrouvé placé en garde à vue pendant toute une journée, ayant pu seulement passer un coup de téléphone à sa famille pour expliquer pourquoi il ne rentrait pas. C'est un véritable traumatisme moral !
Si l'on admet que la présence d'un avocat est indispensable devant le juge d'instruction, a fortiori ne l'est-elle pas encore plus au cours de cette première étape qui en un sens est pire que l'instruction ?
Bien sûr, je suis conscient qu'en cette première étape il ne faut tout de même pas, non plus, que la situation de la personne interrogée soit si confortable, si sécurisée et si libre que, véritablement, elle puisse résister à toutes les investigations de la police. J'admets volontiers, parce que, bien entendu, il faut bien que les forces de police poursuivent leur action, qu'on ne peut pas mettre sur un pied d'égalité celui qui est interrogé, celui qui est placé en garde à vue et la police.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais déposé un amendement imposant la présence de l'avocat pendant toute la garde à vue, mais sans accès au dossier - le dossier en principe n'est pas constitué à ce moment-là - et sans possibilité de poser des questions. Ce n'était donc pas un avocat totalement passif, puisqu'il assistait à la garde à vue, pouvait s'entretenir avec son client, pouvait faire des observations, mais pas totalement actif non plus dans son rôle de contradicteur, face à l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête. Nous étions un certain nombre à penser que cette solution, finalement, était plus satisfaisante, à tous égards, que celle de l'enregistrement, pratiquée, d'ailleurs - nous l'avons vérifié - de manière habituelle et sans problème en Angleterre.
Nous avons cru qu'elle serait retenue, parce que, au sein de la commission mixte paritaire, du moins, beaucoup de nos collègues, dont un bon nombre du groupe socialiste, y étaient tout à fait favorables ; mais ensuite, a été passée je ne sais laquelle de ces consignes secrètes, de ces lois non écrites, et cette mesure a été qualifiée de prématurée.
Il ne fallait donc pas mette en oeuvre cette réforme dès à présent, et mon amendement n'a pas été voté, si ce n'est par quelques-uns, et non des moindres, que je tiens à remercier à cette tribune. Je le regrette et je le garde en réserve. Le temps viendra où cette forme d'assistance paraîtra évidente et où l'on fera ce qu'on a fait voilà un siècle pour l'instruction. Il faut être philosophe !
Il paraît que cette réforme est prématurée. Pour ma part, cela fait des dizaines d'années que j'attends, et il me faudra peut-être attendre encore sinon des dizaines d'années, du moins des lustres. J'espère toutefois que l'on n'attendra pas trop longtemps.
C'est donc avec philosophie que je voterai ce texte, mais non sans regrets.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il règne cet après-midi dans l'hémicycle une sorte de douceur, un parfum de louanges réciproques ; je pourrais presque parler d'état de grâce.
Notre éminent collègue et ami Michel Charasse, dont chacun connaît le fougueux tempérament laïque, me disait d'ailleurs : « C'est la messe, et elle est dite ». Pas du tout, lui ai-je répondu, encore faut-il s'interroger : s'agit-il d'un Magnificat, d'un Te Deum ou d'un Laudamus ? (Sourires.)
Quoiqu'il en soit, nous baignons indiscutablement dans une atmosphère plus que consensuelle et heureuse, comme dans les opéras chinois à la fin de la représentation où chacun applaudit l'autre, je veux, à mon tour, apporter ma part de louanges à la corbeille.
J'avoue, madame la garde des sceaux, que vous m'avez posé un problème car, instinctivement, voulant commencer par vous, j'avais senti renaître en moi le vieil axiome : « à tout seigneur... ». Et là, je me suis arrêté. Je me suis demandé comment mettre le mot « seigneur » au féminin. (Nouveaux sourires.) J'avoue ne pas avoir résolu cette difficulté inattendue. Je vais d'ailleurs interroger ma femme dès ce soir à ce sujet. Je laisse donc les seigneuries de côté et je dis que c'est à vous, en premier lieu, qu'il convient de rendre hommage.
Vous avez mené jusqu'à son terme - cela a été long, parfois difficile et incertain quant à l'issue - un projet qui a été largement étoffé depuis lors, mais toujours sous votre égide, et qui marquera indiscutablement un moment important dans les réformes de la procédure pénale française. De cela, je suis absolument convainvu.
Je suis également certain que, les choses étant ce qu'elles sont, les lois finissent par avoir pour auteur seulement celui ou celle qui les signe. On oublie que c'est M. « Y » - sauf quand il s'agit de la fondation de la IIIe République -, qui a, au moment opportun, déposé l'amendement qui change tout. Un texte de loi, c'est peut-être une oeuvre commune, mais son auteur premier, c'est le ministre et, dans ce cas - sans jeu de mots - c'est justice.
Par ailleurs, la contribution de notre éminent rapporteur a été majeure à plusieurs reprises, chacun le sait. Sinon la postérité, en tout cas ses amis retiendront que c'est grâce à sa fermeté bien connue depuis des décennies que nous avons enfin abouti à la réforme tant attendue de la cour d'assises.
Monsieur Fauchon, je ne sais pas s'il s'agit à proprement parler d'un appel, d'un recours ou d'une deuxième chance, mais je sais en tout cas qu'il s'agit d'une autre possibilité juridictionnelle. Quelle que soit la qualification juridique, pour les accusés et pour les condamnés, cela suffit.
C'est à coup sûr ce que l'on retiendra au premier chef dans la perspective historique, tout d'abord à cause de l'intense dramatisation qui s'attache à la cour d'assises et, ensuite, parce que, dans l'histoire de la procédure pénale, tout ce qui touche à la cour d'assises revêt une importance considérable.
Je rappelle que lorsqu'il s'est agi de composer la cour d'assises, Bonaparte, devenu Napoléon, s'interrogeait sur l'opportunité des jurés. A sa surprise - à l'époque il était triomphant, c'était le Napoléon au sommet de sa gloire, c'est-à-dire dans les années 1806-1808 - le Conseil d'Etat a maintenu d'une façon extraordinairement ferme le principe du jury et a rappelé, en termes solennels, que c'était la première conquête de la Révolution française.
C'était peut-être excessif et Napoléon, qui était plus occupé à la préparation de la campagne d'Eylau qu'à autre chose, a dit : vous voulez le jury, messieurs, vous l'aurez. Et il a ajouté ce mot formidable : mais veillez à le composer bien.
Si j'apporte ces précisions, c'est simplement pour bien marquer que, en deux siècles, cette institution n'a connu qu'une transformation, qui l'a d'ailleurs peut-être altérée. Nous savons à quelle triste époque, c'était du temps de Vichy, quand on a, pour la première fois, mêlé les jurés, qui expriment la conscience populaire, et les magistrats, qui sont les professionnels de la justice.
En tout cas, la création du deuxième degré de juridiction en matière criminelle demeurera, j'en suis convaincu. Cela normalise notre justice, cela la rend plus conforme à la convention européenne des droits de l'homme.
Je n'aurai en cet instant qu'une forme de nostalgie, qu'un brin de regret purement littéraire : une fois que la peine de mort a fort heureusement disparu du prétoire et, maintenant qu'apparaissent les deux degrés de juridiction en matière criminelle, l'éloquence judiciaire ne sera plus la même. Je me disais donc, avec une pointe de mélancolie que seuls mes vieux amis comprendront, que c'est le triomphe posthume de Floriot sur Thorez !
Mais laissons cet aspect des choses de côté et venons-en aux autres aspects de la réforme, qui sont également importants. Cela dit, je ne vais pas les reprendre tous à cette heure.
Vous avez marqué avec raison que la juridictionnalisation des sanctions que nous espérions depuis si longtemps et qui va enfin se réaliser - qu'un hommage soit rendu à cet égard à nos collègues de l'Assemblée nationale - est aussi une très importante mesure.
Vous savez mieux que personne, madame la garde des sceaux, combien la décision de libération conditionnelle, en définitive dans la solitude et en conscience, est difficile à prendre.
La juridictionnalisation avec l'avantage des procédures, des expertises, des mesures contradictoires et des possibilités d'écoute de celui qui va être libéré comme éventuellement des parents des victimes, tout cela améliorera sensiblement, j'en suis convaincu, le processus et libérera celles et ceux qui ne l'ont jamais demandé d'un des plus lourds fardeaux que la conscience humaine puisse assumer.
S'agissant maintenant de ce qui nous tient tout particulièrement à coeur, la limitation de la détention provisoire, il est certain que ce projet de loi entraînera, comme nous le souhaitons tous, une réduction du nombre des placements en détention provisoire et de leur durée, ce qui n'est pas la moindre de nos préoccupations. Cette réduction résultera, d'abord, de l'élévation des seuils, et ensuite, certainement, de la limitation dans le temps.
Sur la procédure elle-même, à défaut de la collégialité à trois, c'est le double regard qui a été choisi. Je l'avais vu avec sympathie et une certaine dose de scepticisme, comme les vieilles troupes. Vous savez d'ailleurs que j'ai des incertitudes quant à sa conformité à la Convention européenne des droits de l'homme. Jusqu'à ce jour, je m'interroge. Nous aurons certainement un jour prochain la réponse.
Puisse ce double regard avoir au moins des conséquences positives en ce qui concerne le nombre des placements en détention. Mais je n'en suis pas sûr. Je le dis clairement : je m'interroge. Je crains en effet que ce double regard ne « louche » !
En tout cas, nous souhaitons que cette réforme réussisse et que, dans quelques années, nous puissions avoir l'occasion de dresser un bilan positif dans ce domaine-là.
J'en viens maintenant au dernier moment de ce long processus législatif - je laisse de côté le problème du droit des victimes que vous avez heureusement et fort bien rappelé, madame la garde des sceaux - c'est-à-dire la discussion à propos de l'enregistrement audiovisuel.
On avait commencé par prévoir un enregistrement sonore des interrogatoires dans le cours de la garde à vue. Finalement, on a retenu la voie expérimentale, audiovisuelle, pour les mineurs seulement. Cela engendre une incertitude, et je crois que nous n'allons pas dans la bonne direction.
Nous allons faire l'expérience - je l'ai moi-même voté en commission mixte paritaire, comme nous tous - mais je vais vous dire pourquoi je n'y crois pas.
Je pense, s'agissant des interrogatoires des personnes placées en garde à vue, que la vraie réponse - je n'ose pas dire la seule - c'est la présence d'un avocat.
Qu'on m'entende bien : quand je dis « présence d'un avocat », je ne dis pas : « assistance active ». Nous ne sommes pas dans le cadre de l'instruction ! Je ne pense pas une seconde que l'avocat se fasse communiquer le dossier, comme c'est le cas dans l'instruction. Ce n'est là ni le moment, ni le lieu, ni sa mission. Non !
Je rappelle d'ailleurs que la procédure des pays anglo-saxons, dans la plupart des Etats et aux Etats-Unis notamment, exclut, à ce stade, de communiquer le dossier de l'accusation à la défense. La défense est là, mais elle ne sait pas quelles charges l'accusation a déjà accumulé à cet instant. Donc, je ne pense pas du tout à ce que l'on appellerait ailleurs la disclosure, à l'ouverture des charges. Je dis que la présence d'un avocat à l'orée de la garde à vue, au moment où l'interrogatoire se déroule, règle toutes les difficultés.
Finies toutes les incertitudes sur ce qui a pu être dit à tel ou tel moment, avec tout ce que cela suscite dans la suite de la procédure pénale. Finies les allégations de ceux qui affirment avoir fait l'objet de sévices ou de violences. Finies - ce qui est plus important encore - les angoisses absolues de celui qui est placé en garde à vue et auquel on demande de répondre. Tout cela est réglé par la seule présence d'un avocat, qui n'a pas du tout besoin d'être l'avocat nécessairement choisi par lui.
La demande, est : « voulez-vous l'assistance d'un avocat ? » Dans l'affirmative, la réponse est la présence d'un avocat, qui est là comme un témoin de la légalité du déroulement de la garde à vue, du respect des droits de la défense de la sincérité et de la loyauté des opérations.
Je suis tout à fait convaincu qu'à cet égard les officiers de police judiciaire s'en trouveraient fort bien comme, finalement, ils se sont trouvés fort bien - ainsi qu'ils en conviennent maintenant - de la présence de l'avocat à la vingtième heure de la garde à vue. Tout cela doit se faire et se fera, j'en suis persuadé.
Je relève à cet égard la réponse du bâtonnier quand je lui ai demandé ce qu'il en était à cet instant de la présence des avocats lors de la garde à vue, quand ils sont demandés, et seulement dans ce cas : à Paris, le nombre des gardes à vue pour 1999 s'est élevé à 26 685 et 10 674 gardés à vue, soit 40 % d'entre eux, ont demandé à s'entretenir avec un avocat. Cela correspond exactement au nombre de diligences effectuées par le barreau. Celui-ci est donc prêt à y satisfaire.
Je suis certain que, lorsqu'on parviendra au terme de l'expérience audiovisuelle aujourd'hui tentée, on se rendra compte que, beaucoup mieux que les machines, toujours incertaines dans leur fonctionnement et dont on mettra en cause la validité ou l'utilisation, mieux vaut la présence d'un avocat et que, coût pour coût, il vaut mieux que ce soient les jeunes avocats, dans le cadre des commissions d'office, qui assurent cette mission de défense.
Je relève d'ailleurs au passage - mais peut-être les éminents experts de la Chancellerie ont-ils étudié plus profondément que moi cette question ! - qu'une difficulté subsiste à propos de ces enregistrements : en cas de défaillance de la machine, serons-nous en présence d'une nullité au titre de la violation des droits de la défense ? Je ne sais pas ; je m'interroge. Cette question, on ne se la poserait pas avec la présence de l'avocat !
Madame la garde des sceaux, des progrès très importants ont été réalisés. Je vous en donne le crédit premier et j'y associe volontiers tous ceux qui y ont contribué. Et Dieu sait que les membres de la commission des lois du Sénat ont fait tout ce qu'ils pouvaient, oubliant d'ailleurs absolument leurs appartenances quelles qu'elles soient, y compris politiques, pour essayer de déceler ce qui, à ce stade de notre procédure, devait apparaître comme le meilleur remède possible en l'état.
En effet, et ce sera mon dernier mot, il n'y a pas de réforme définitive ; dans le domaine de la procédure pénale, nous sommes en état de création ou de refondation continue. S'agissant du double degré de juridiction, je suis convaincu, pour ma part, que le progrès est irréversible. Les modalités mêmes du déroulement du procès se trouveront modifiées quand on posera la question : « coupable ou non coupable ? », avec certainement des conséquences sur le déroulement de l'audience.
Nous évoluons irrésistiblement - je n'emploie pas le futur, je mets le verbe directement au présent ! - vers un modèle qui, je l'espère, sera commun à toute l'Europe et qui retiendra ce qu'il y a de meilleur dans les différentes procédures, la nôtre comme les autres.
Cela se fera, cela prendra quelques années et nous y travaillerons tous ; je sais à quel point vous en êtes vous-même convaincue.
Pour l'instant, améliorons la vieille machine ; vous l'avez fait. Soyez-en remerciée, et remercions au passage tous ceux qui y ont contribué. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient la tâche difficile d'intervenir en dernier dans la discussion générale !
Nous arrivons aujourd'hui à la fin de la discussion du projet de loi relatif au renforcement de la présomption d'innocence : sauf incident inédit, après l'Assemblée nationale, le Sénat devrait approuver les conclusions de la commission mixte paritaire et les amendements de coordination présentés par le Gouvernement.
A ce stade, mon premier sentiment, largement partagé ici, est celui du travail bien fait. Je ne verse généralement pas dans l'autosatisfaction mais, à la mesure du chemin parcouru depuis le dépôt du texte sur le bureau de l'Assemblée nationale au mois de septembre 1998, chacun d'entre nous est en droit de se réjouir.
En effet, cela a déjà été rappelé, le texte sur lequel nous allons nous prononcer aujourd'hui est véritablement une oeuvre collective. Chaque groupe s'est fortement impliqué dans le débat sur un sujet aussi décisif que le renforcement des droits et libertés des individus confrontés à la justice pénale. Chacun y a apporté sa propre contribution, son originalité. De ce point de vue, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont le sentiment d'avoir eu leur pleine et entière place dans le débat. Il s'agit donc d'une oeuvre collective qui a permis la confrontation des idées, avec le souci permanent de parvenir à un juste équilibre.
Sur ce point, madame la garde des sceaux, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous rendent grâce de votre volonté d'aboutir et de votre esprit d'ouverture qui a permis au projet de loi de s'enrichir considérablement au fil des débats.
C'est ensuite le travail des rapporteurs et des présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat qu'il nous faut saluer ici. Ils ont su jouer, particulièrement dans cette enceinte, un rôle à la fois novateur et modérateur qui a permis à la commission mixte paritaire d'aboutir. Ils ont su exercer une constante vigilance pour éviter que le débat n'emprunte des sentiers, peut-être attrayants à première vue, mais qui nous semblent déboucher sur des impasses. Je veux parler d'un basculement brusque, sans réflexion de fond, dans le système inquisitorial. Je pense également à un régime d'exception pour les élus vers lequel quelques-uns voudraient nous entraîner. Je pense, enfin, à la liberté de la presse, heureusement préservée contre les tentations de certains de la restreindre.
Cette attitude constructive des intervenants a permis au débat d'évoluer bien au-delà du texte initial, pour le plus grand bénéfice du justiciable aujourd'hui. Il est d'autant plus regrettable que certains aient cru bon, à l'Assemblée nationale, de revenir sur un consensus qui avait pourtant emporté l'accord unanime de la commission mixte paritaire, et fait prévaloir des considérations fort éloignées du texte lui-même. J'ose espérer qu'il n'en sera pas de même aujourd'hui.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui reflète parfaitement l'esprit dans lequel s'est effectué le travail parlementaire en faisant converger les points de vue ; c'est vrai au-delà des clivages traditionnels : Assemblée nationale-Sénat ou encore gauche-droite.
L'enregistrement des interrogatoires de garde à vue nous semble en être l'exemple type.
Restreint aux mineurs en première lecture, l'enregistrement sonore des interrogatoires de garde à vue n'a, en effet, été généralisé aux majeurs qu'en seconde lecture par un vote unanime de l'Assemblée nationale visant à renforcer les garanties des personnes. Cette disposition a été l'objet de vives critiques, principalement de la part des personnels de police et de gendarmerie, qui l'ont ressentie comme une marque de suspicion. Faisant écho à ces oppositions, le Sénat avait choisi de la remplacer par la présence de l'avocat à la dixième heure.
Il revient à la commission mixte paritaire d'avoir su proposer un texte transactionnel, qui retient, dans un premier temps, un système d'enregistrement sonore et vidéo des interrogatoires pour les seuls mineurs. Le système devrait être étendu aux majeurs à l'issue de cette phase expérimentale.
Au-delà de ce point de focalisation, sachons convenir des avancées fondamentales que constitue le texte, tel qu'il ressort de nos débats, pour les droits des justiciables.
Certes, le texte comporte, aux yeux des uns ou des autres, des lacunes.
Les sénateurs de notre groupe ne font pas exception, qui continueront d'exprimer leurs réserves à l'égard, par exemple, du bracelet électronique ; ils regrettent, en outre, que l'on n'ait pas davantage mis l'accent sur la prévention et que l'on ait laissé de côté les procédures de comparution immédiate.
Néanmoins, nous sommes, au groupe communiste républicain et citoyen, profondément convaincus que le texte qui nous est soumis constitue une amélioration réelle de notre procédure pénale.
Ainsi, les citoyens bénéficieront désormais de garanties supplémentaires à tous les stades de la procédure pénale, de l'interpellation à l'exécution de la peine, et c'est là l'essentiel.
La garde à vue se déroulera sous contrôle accru - qu'il s'agisse de la présence de l'avocat dès la première heure ou de l'enregistrement des interrogatoires - et la mise en examen ne sera désormais possible qu'en cas d'« indices graves ou concordants rendant vraisemblable » la participation, comme auteur ou complice, à une infraction. Cet encadrement est renforcé par l'instauration d'un statut de témoin assisté, intermédiaire entre ceux de mis en examen et de simple témoin.
L'instruction devra être effectuée dans un délai raisonnable, et la décision de mettre une personne en détention provisoire, à défaut d'être collégiale, sera du moins prise sous le double regard du juge d'instruction et du juge de la détention et des libertés. Elle sera, par ailleurs, strictement limitée dans son recours et dans sa durée : il s'agit d'un progrès décisif des droits des justiciables. Corrélativement sont renforcés les droits des victimes, qui, trop souvent, demeurent les oubliées du procès pénal : la possibilité de demander la clôture de l'instruction, le droit de se constituer partie civile pour les associations de victimes contribuent, enfin, à donner aux victimes la place qu'elles sont en droit de réclamer.
Enfin, le projet de loi, tel que modifié, met fin à des anachronismes de notre droit pénal qui heurtaient singulièrement les principes démocratiques : l'appel des décisions de cour d'assises permet ainsi de satisfaire l'exigence du droit au recours. Il en est de même de la possibilité désormais ouverte de demander le réexamen de sa condamnation pénale définitive suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, la séparation des pouvoirs est mieux respectée avec la judiciarisation des décisions de libération conditionnelle, puisque le garde des sceaux ne sera plus habilité à intervenir.
Dans le même sens, je suis personnellement très sensible au fait qu'on ait rapproché les garanties dont doivent bénéficier les personnes étrangères maintenues dans les centres de rétention ou les zones d'attente des garanties dont bénéficient les nationaux privés de leur liberté. Le respect de la dignité des personnes nécessite que les étrangers privés de leur liberté bénéficient des mêmes garanties que celles dont ils bénéficieraient s'ils étaient des nationaux.
Désormais, ces lieux d'enfermement des étrangers pourront être visités par les parlementaires de la même façon que les établissements pénitentiaires et les locaux de garde à vue. Espérons qu'ils sauront user de cette faculté ! De même le procureur pourra effectuer des contrôles presque aussi fréquemment qu'il le fait dans les locaux de garde à vue.
Madame la ministre, mes chers collègues, parce qu'il va dans le sens d'un renforcement des libertés individuelles, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront sans réserve ce texte. Ils expriment cependant un souhait : que tous les moyens soient mis en oeuvre pour faire vivre cette grande réforme et faire taire les réserves que nous pouvons encore entendre ici et là ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte, en ne retenant que les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :