Séance du 7 juin 2000
LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2000
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances
rectificative pour 2000 (n° 351, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale.
[Rapport n° 371 (1999-2000) et avis de la commission des affaires sociales.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le collectif que j'ai
l'honneur de vous présenter aujourd'hui est celui d'une croissance retrouvée et
solide que le Gouvernement s'attache à rendre durable et solidaire.
Cette volonté politique est visible sur le front de l'emploi : grâce à la
politique menée depuis trois ans, un million d'emplois ont été créés et nous
avons pour objectif la création d'un million d'emplois supplémentaires d'ici à
la fin 2002, pour passer sous la barre des deux millions de chômeurs.
Cette volonté politique est également visible dans la gestion de nos finances
publiques. A croissance exceptionnelle, recettes exceptionnelles : c'est de ce
succès que proviennent les 51 milliards de francs de recettes qui figurent dans
ce projet de loi de finances rectificative. Ces recettes sont mises au service
d'une stratégie de croissance, grâce à des allégements d'impôts favorables à
l'emploi et au pouvoir d'achat. Au total, 80 milliards de francs auront ainsi
été rendus aux Français sur la seule année 2000.
Cette stratégie de croissance passe également par le renforcement des services
publics, avec 10 milliards de francs de dépenses nouvelles, au titre de
l'indemnisation des tempêtes et de la solidarité dans des domaines essentiels
de la vie des Français, comme l'hôpital ou l'éducation nationale.
Enfin, cette volonté politique est celle qui guide notre stratégie de finances
publiques. Transparente et prévisible, elle conforte les anticipations en
faveur de la croissance.
Transparence pour les évaluations de recettes : le montant figurant dans le
collectif a été évalué sur la base notamment du rapport de M. Didier Migaud sur
« les fruits de la croissance retrouvée », déposé au début du mois de mars de
cette année. Je comprends d'ailleurs que cette évaluation est confirmée par
l'étude demandée par votre commission des finances à l'Observatoire français
des conjonctures économiques, l'OFCE, pour le taux de croissance associé au
collectif.
Transparence de nos débats : plutôt que de recourir à des méthodes
réglementaires et opaques, le Gouvernement a fait le choix du débat
démocratique devant la représentation nationale. Ce moment en est
l'illustration.
Transparence enfin du comportement du Gouvernement : Laurent Fabius et
moi-même nous nous sommes engagés à ce que tout surplus de recettes au-delà de
ce qui est prévu dans ce collectif et toute moindre dépense qui pourrait être
constatée en exécution soient affectés à la réduction du déficit, donc à la
réduction de la dette et des impôts de demain.
M. Michel Sergent.
Très bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Y aura-t-il un surplus de recettes ? De combien sera
ce surplus de recettes au-delà de ce qui est prévu dans le collectif ? Il m'est
encore impossible de le dire.
En effet, je ne suis pas en mesure de chiffrer précisément à ce stade de
l'année le taux de croissance qui sera finalement celui de l'année 2000.
Lorsque nous avons déposé ce projet de loi de finances rectificative devant
l'Assemblée nationale, l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des
études économiques, situait la croissance dans une fourchette allant de 3,4 % à
3,8 %, ce qui explique le taux de croissance moyen de 3,6 % associé à ce
collectif, situé au centre de la fourchette.
Lorsque, il y a quelques semaines, je défendais ce projet de loi devant
l'Assemblée nationale, des hypothèses de croissance allant parfois au-delà de 4
% ont été évoquées par certains instituts de conjoncture.
A l'inverse, la semaine dernière, l'INSEE a publié un chiffre de croissance au
premier trimestre un peu plus faible que prévu, 0,7 %, inférieur à la prévision
de 0,9 % faite un mois plus tôt par ce même institut.
Dans ces conditions, il n'y a pas de raison de modifier, à ce stade,
l'évaluation des recettes figurant dans le collectif qui vous est présenté
aujourd'hui.
De même, toutes les dépenses ne seront pas effectuées au centime près jusqu'au
plafond autorisé par le Parlement. C'est ainsi chaque année, dans des
proportions variables, et sans que nous sachions dire
a priori
sur quels
chapitres et avec quelle ampleur il en sera ainsi.
Tous ces éléments ont fait dire au ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, lors du débat qui a eu lieu devant l'Assemblée nationale, que nous
espérions un déficit en exécution 2000 de l'ordre de 200 milliards de francs.
Tel est bien notre objectif. Telle est aussi notre volonté de transparence
vis-à-vis du Parlement.
Mais nous ne saurions, à cette époque de l'année, le traduire dans notre
projet de loi sans prendre de risques excessifs. Nous aurons donc l'occasion
d'en reparler au moment de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2001
et lors de la discussion du collectif de fin d'année, sur la base de nouvelles
évaluations de recettes qui seront expertisées, comme Laurent Fabius l'a
indiqué hier, par la Commission économique de la nation. Dès cette année, le
Parlement disposera donc d'un avis extérieur au Gouvernement sur les
évaluations de recettes à la fois pour l'année 2000 et pour l'année 2001.
Au-delà de ce débat, le projet de loi soumis aujourd'hui à votre examen
reflète donc deux grandes orientations politiques du Gouvernement, la baisse
des impôts et des dépenses nouvelles en faveur de la solidarité.
Il s'agit d'abord de baisser les impôts, je l'ai rappelé d'emblée.
Il s'agit d'une baisse massive : quarante milliards de francs qui s'ajoutent
aux quarante milliards déjà décidés dans la loi de finances pour 2000.
Il s'agit également d'une baisse instantanée. L'impôt sur les revenus de 1999,
que les Français ont déclarés en mars, baissera dès cette année. Il en sera de
même de la taxe d'habitation. Et il nous est proposé de pérenniser la baisse de
la TVA, qui est effective depuis le 1er avril.
C'est enfin une baisse productive et solidaire. Il s'agit en effet de faire
bénéficier tous les Français de la croissance et d'aider ceux qui voient
aujourd'hui leurs impôts augmenter trop vite lorsqu'ils retrouvent un emploi,
afin de prendre en compte leur situation.
Nous vous proposons, d'abord, une baisse d'un point des deux premiers taux de
l'impôt sur le revenu dès 2000. Pour plus de 650 000 foyers, cela se traduira
par une exonération complète de l'impôt sur le revenu. Pour tous, ce sera un
allégement, important pour les plus bas revenus, modeste mais non négligeable
pour les autres, dans le respect du principe de progressivité et de
redistributivité de l'impôt. Cette mesure représente 11 milliards de francs.
S'y ajoutent deux dispositions introduites par voie d'amendements à
l'Assemblée nationale : l'une concerne la solidarité due aux victimes de
l'amiante et l'autre l'aménagement du régime des dons dans le cas de l'abandon
de produits financiers en faveur d'associations.
Nous vous proposons ensuite une réforme profonde de la taxe d'habitation.
Cette mesure est évidemment complémentaire de la précédente car, si tout le
monde ne paie pas l'impôt sur le revenu, tout le monde est concerné par la taxe
d'habitation.
Or vous en connaissez et vous en éprouvez les défauts : une assiette
vieillissante, une complexité croissante et, surtout, une véritable injustice
d'une taxe qui demande plus aux plus modestes, même avec les mécanismes
existants d'allégement qui existent déjà.
En visant à supprimer sa part régionale, le projet de loi s'adresse à tous les
contribuables et concerne la fraction de cette taxe qui est la plus éloignée du
citoyen et la plus faible dans son produit.
A l'égard des régions, après un dégrèvement en 2000, une compensation indexée
comme la dotation globale de fonctionnement sera mise en place à partir de
2001. Je n'ignore pas les opinions qui ont été exprimées à ce sujet et je sais
qu'ici, au Sénat, nous en débattrons en profondeur. J'estime que cela préserve
la responsabilité et l'autonomie des régions.
Par ailleurs, il est proposé de réformer les mécanismes de dégrèvement, sans,
bien entendu, diminuer les dispositions actuelles de complète exonération.
Malgré les efforts du Gouvernement et de la majorité - je pense en particulier
au prolongement du dégrèvement total, pour les titulaires du RMI, l'année où
ils retrouvent un emploi, ou bien à l'abaissement de 1 500 à 1 200 francs du
minimum de taxe laissé à la charge des plus modestes - le système actuel
comporte encore trop d'injustices : des inégalités car, à ressources égales, on
n'est pas traité de la même manière selon l'origine des revenus ; des effets de
seuil, qui, par leur brutalité, n'encouragent pas la reprise d'activité ; un
poids de la taxe par rapport aux revenus plus faible pour les revenus moyens
que pour les revenus modestes.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose un système unifié et plus juste,
qui fonctionne pour tous en deçà d'un certain seuil de revenu, sans montant
minimum fixe à la charge des contribuables. Cela permettra à 1 300 000
contribuables de bénéficier d'un dégrèvement total. Cette mesure représente,
elle aussi, 11 milliards de francs.
Enfin, nous vous proposons une baisse d'un point du taux de TVA au bénéfice de
tous. Ce faisant, le Gouvernement accompagne la croissance en rendant du
pouvoir d'achat aux Français et donne sur les prix un signal de baisse à
l'heure où des tensions apparaissent dans certains secteurs. L'effet positif de
la mesure apparaît d'ailleurs dans la stabilité des prix constatée en avril.
Le Gouvernement veut aussi, tout simplement, achever de restituer aux Français
la hausse décidée par un précédent gouvernement en août 1995. Avec les baisses
ciblées mises en oeuvre depuis 1998, qui ont représenté 30 milliards de francs,
ce sera chose faite puisque la mesure proposée aujourd'hui, qui représente plus
de 18 milliards de francs dès 2000, mais en représentera 30 milliards de francs
en année pleine en 2001, porte donc nos baisses de TVA à plus de 60 milliards
de francs au total, soit l'équivalent de ce qui avait été prélevé en plus en
1995.
Ce collectif a aussi vocation à financer les dépenses de solidarité liées aux
tempêtes ou à des domaines essentiels dans la vie des Français, comme l'hôpital
ou l'éducation.
Une solidarité exceptionnelle, d'abord, s'exercera pour faire face à des
circonstances elles-mêmes exceptionnelles et aider les personnes qui ont
souffert des deux ouragans qui ont balayé notre territoire, du cyclone Lenny
aux Antilles ou de la marée noire de l'
Erika.
Les engagements pris par le Premier ministre ont été tenus, les crédits
nécessaires étant évidemment mobilisés de manière immédiate. Ils seront donc
confirmés et confortés grâce à ce collectif, puisque plus de 6 milliards de
francs y sont consacrés.
Quelles sont les grandes mesures qui trouvent leur tradition dans ce collectif
?
Des crédits d'un montant de un milliard de francs sont ouverts en faveur des
forêts et deux mesures fiscales viennent renforcer le dispositif : le taux de
TVA sur les travaux forestiers, qui est ramené de 20,6 % à 5,5 %, et l'achat de
parcelles forestières ou de terrains nus destinés à être reboisés, qui est
temporairement exonéré de droits.
Autre axe fort de ce collectif : l'aide apportée aux collectivités locales
sinistrées en métropole et aux Antilles, avec l'ouverture d'un milliard de
francs de crédits et 500 millions de francs au titre de l'accélération des
remboursements de TVA pour les travaux réalisés par les collectivités locales à
la suite de la tempête.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Plus de 700 millions de francs sont ouverts par ailleurs pour la
restauration du réseau routier et des digues, des phares et des balises, ainsi
que des infrastructures portuaires endommagées.
L'Etat s'est également engagé à aider les secteurs économiques les plus
touchés : près de 600 millions de francs sont ouverts pour les agriculteurs,
les pêcheurs et les conchyliculteurs, les entreprises contraintes au chômage
partiel, l'hôtellerie de plein air, le tourisme social et, plus généralement,
l'ensemble du secteur du tourisme. Il importe que la saison soit réussie sur
nos côtes, et ce à la hauteur des efforts déployés par tous pour nettoyer et
remettre en état nos plages et nos rochers.
Un effort particulier de plus de 500 millions de francs a également été prévu
pour restaurer les monuments historiques.
Le budget de l'environnement et de l'aménagement du territoire est lui-même
abondé de près de 300 millions de francs pour accompagner la restauration des
sites et des écosystèmes affectés par la marée noire de l'
Erika
et les
tempêtes.
Enfin, l'Etat a immédiatement apporté son soutien à l'effort de solidarité
déployé par les communes et les organismes sociaux par une dotation
exceptionnelle aux commissions d'aide sociale d'urgence. A ce titre, 350
millions de francs sont ouverts.
Cette solidarité exceptionnelle ne doit pas nous faire oublier la solidarité
au quotidien, pour l'école, la santé et la ville notamment.
Le collectif propose donc d'ouvrir 2,6 milliards de francs d'engagements au
profit des hôpitaux, à la suite du protocole d'accord négocié et signé par
Martine Aubry et Dominique Gillot. Cet argent servira principalement à payer le
remplacement d'agents absents, ce qui se traduira par une amélioration du
service pour nos concitoyens, en particulier dans les services d'urgence.
Un milliard de francs est ouvert au profit de l'éducation nationale, car, dans
ce collectif, nous avons voulu marquer notre soutien au corps enseignant,
montrer aux familles que leurs préoccupations sont les nôtres. La réforme de
l'enseignement professionnel va permettre de moderniser les équipements et de
renforcer le suivi des élèves en stage. Dans le second degré, 1 000 maîtres
d'internat seront recrutés dès la rentrée prochaine pour améliorer
l'encadrement et lutter contre la violence. Le suivi médico-social des élèves,
système d'alerte et de soins essentiel dans les collèges et lycées les plus
défavorisés, sera aussi renforcé. Enfin, des moyens pédagogiques
supplémentaires seront mis à la disposition des enseignants et les carnets de
correspondance qui sont le lien entre l'école et la famille seront désormais
gratuits. Comme vous le savez, comme la lettre de cadrage signée par Lionel
Jospin l'indique, l'éducation nationale sera toujours une priorité dans le
projet de loi de finances pour 2001.
Par ailleurs, 450 millions de francs sont consacrés à la politique de la
ville, une politique de la ville qui est d'ailleurs souvent étroitement liée à
la politique d'éducation nationale. Le renforcement sans précédent des crédits
qui y sont consacrés depuis deux ans doit éviter que la croissance ne s'arrête
à la porte des quartiers les plus en difficulté, car la croissance retrouvée
doit être celle de tous les Français. Grâce à ce collectif, le programme des 10
000 adultes-relais pourra donc débuter. Ces adultes-relais vont contribuer à
rénover les liens sociaux en accompagnant les habitants dans leurs démarches,
en facilitant le dialogue entre générations et en contribuant à résoudre les
petits conflits de la vie quotidienne. Par ailleurs, 150 équipes
emploi-insertion seront également constituées et disponibles sur le terrain.
Enfin, des crédits nouveaux sont ouverts pour la revitalisation économique des
quartiers, et pour encourager le maintien et le développement des services
publics.
Mais les dépenses qui vous sont proposées ne concernent pas seulement l'école,
la santé ou la ville. En effet, il est prévu d'abonder à hauteur de 250
millions de francs la dotation de compensation de la taxe professionnelle,
venant ainsi consacrer les progrès de l'intercommunalité qui a été voulue par
le Gouvernement et dont le succès ne peut que nous réjouir collectivement.
M. Michel Sergent.
Très bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
En outre, la formation professionnelle des
transporteurs routiers et le fonctionnement du Comité national routier sont
améliorés.
La mise en oeuvre du plan d'urgence pour les prisons, dont la Haute Assemblée
s'est saisie, est accélérée, avec des moyens pour la modernisation et la
construction d'établissements pénitentiaires.
Plus de 200 millions de francs sont débloqués pour le programme de dépistage
de la maladie dite « de la vache folle ».
Enfin, 50 millions de francs seront consacrés à la création artistique, et 40
millions de francs financeront un « appel à projets » en direction des
initiatives d'économie solidaire.
Voilà l'essentiel des mesures que le Gouvernement soumet à votre approbation.
Comme vous le voyez, elles s'incrivent dans la stratégie de long terme,
cohérente et déterminée, en faveur d'une croissance au service de la lutte
contre les inégalités.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après un long débat hier, au cours de
l'après-midi et de la soirée, et même encore tôt ce matin jusqu'à une heure
cinquante, sur des considérations de caractère général, nous passons à des
considérations budgétaires et comptables plus précises avec ce projet de loi de
finances rectificative.
Pour établir la liaison avec nos récents propos, je rappelle que le
Gouvernement souhaite - cela figure dans le rapport préparatoire au débat
d'orientation budgétaire, madame le secrétaire d'Etat, - entamer « une nouvelle
étape pour la politique des finances publiques françaises ». A cette fin, il
définit un certain nombre d'orientations : « la priorité est à la fois de
réduire nos déficits et de viser des baisses significatives des impôts, pour
aujourd'hui et pour demain, au travers de la charge de la dette publique que
nous transmettons aux jeunes générations. La clé de voûte de cette stratégie
des finances publiques est une évolution maîtrisée des dépenses publiques ».
A cela, bien entendu, la commission des finances ne peut que souscrire. Mais
elle remarque que la réalité des choses est assez loin du verbe que vous maniez
avec profusion.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
C'est la réalité des choses, mes chers collègues !
M. Jean-Claude Carle.
Tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous avons écouté Mme le secrétaire d'Etat avec
attention et sans l'interrompre !
Mes chers collègues, on ne peut se contenter de pétitions de principe et de
voeux pieux. Il faut quand même regarder la réalité des choses et des chiffres
!
(Très bien ! sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Or que voyons-nous ? Nous rectifions une loi de finances votée très
récemment en remettant au pot, en quelque sorte, 51 milliards de francs de
surplus de recettes fiscales et non fiscales. Nous le savons, ce n'est que la
suite de ce que l'on a appelé improprement - mais l'expression est sur toutes
les lèvres - l'épisode de la cagnotte » !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. François Autain.
Ma cassette !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Et l'on sait - mais vous ne devriez pas vous en
réjouir...
M. Michel Sergent.
Mais si !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... que le Parlement a été particulièrement maltraité
dans cette affaire puisque, pendant tout le second semestre de l'année 1999 et
au cours des derniers mois encore, on nous a raconté des craques, mes chers
collègues.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Si, on nous a raconté des histoires !
M. François Autain.
Vous n'avez rien compris !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous pouvez me faire confiance, nous le démontrerons,
chiffres et documents en mains ! Les informations, nous les connaîtrons et nous
reconstituerons la réalité des choses !
M. Philippe Madrelle.
C'est plus facile à dire qu'à faire !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous allons le faire tous ensemble ; nous avons
d'ailleurs commencé l'exercice qui, je peux le dire, en gêne plus d'un, car
c'est l'épreuve de vérité et c'est l'exercice des droits du Parlement.
M. Jean-Claude Carle.
Eh oui !
M. Jean Chérioux.
C'est cela, la transparence !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous sommes donc en présence d'un surplus de recettes
de 51 milliards de francs, pour une bonne part poussés consciencieusement et
volontairement par le Gouvernement au-delà du 31 décembre 1999.
M. Michel Sergent.
Il vaut mieux des cagnottes que des déficits !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Ecoutez : soit on parle de comptes, soit on se borne
à faire de la politique politicienne ! Et, si l'on parle de comptes, il faut
une certaine permanence de méthode et que les comptes clos au 31 décembre
répondent à certaines règles.
M. Charles Descours.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En fait, selon la commission, on a franchi
allègrement l'exercice budgétaire pour pousser devant soi des recettes qu'on ne
voulait pas avouer au titre de 1999. Et maintenant, au titre de l'exercice
2000, on redéploie ces recettes...
M. François Autain.
Ce n'est pas bien grave ?
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Mais je suis prêt à écouter ce qu'on veut me dire
!
M. Charles Descours.
Ils n'ont pas d'arguments ! Ils n'ont que des invectives !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Répondre à des invectives, c'est difficile !
M. le président.
Il ne faut pas répondre !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En revanche, je suis tout à fait prêt à répondre à
des arguments.
Donc, ce collectif affiche plus de 51 milliards de francs de surplus de
recettes fiscales et non fiscales, qu'il affecte à des mesures de baisse
d'impôts éparses - ce qui répond plus à un souci électoraliste qu'à une volonté
politique - à une augmentation de la dépense, pour 10 milliards de francs, et
enfin, à titre infinitésimal, à une réduction du déficit budgétaire.
Le déficit budgétaire apparaît dans ce collectif à hauteur de 215 milliards de
francs, alors même que Mme le secrétaire d'Etat vient de nous dire que le bon
chiffre est 200 milliards de francs. Il est difficile de comprendre pourquoi on
nous fait voter un collectif avec 215 milliards de déficit si le véritable
chiffre est 200 milliards de francs !
M. François Autain.
Mme le secrétaire d'Etat l'a expliqué.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Les questions qui ont été posées hier à ce sujet
n'ont pas reçu de réponses. Soit un document budgétaire est un document sincère
et reflète les meilleures prévisions possibles de recettes et de dépenses, soit
c'est un document de convenance ! Si le ministre pense que le bon chiffre est
200 milliards de francs, c'est le seul qu'il doit faire apparaître ; c'est une
question de bon sens !
En fait, je pense que M. le ministre, qui a pris connaissance de ce document
au moment où il est entré en fonctions, n'a pas pu ne pas être quelque peu
choqué intellectuellement de constater que les 215 milliards de francs affichés
sont supérieurs aux 206 milliards de francs avoués pour la clôture de
l'exercice de 1999. Il y a là quelque chose de surprenant et difficile à
expliquer.
Dans ce cadre, que je me suis permis de rappeler brièvement, quelles sont les
analyses et propositions de la commission des finances.
La commission estime tout d'abord que les principes annoncés doivent être
traduits dans les faits.
Or vous annoncez, madame le secrétaire d'Etat, une maîtrise des dépenses
publiques, vous annoncez aussi pour la fin de l'année 2000 d'éventuelles
réductions des dépenses publiques, et vous commencez par faire approuver 10
milliards de francs de dépenses supplémentaires ! Certes, ces dépenses sont
pour une part des dépenses exceptionnelles liées aux phénomènes climatiques,
mais il s'agit aussi de dépenses supplémentaires de fonctionnement affectant un
certain nombre de rubriques, comme l'éducation nationale, ainsi que
l'expliquait fort bien hier soir notre collègue M. Darcos, entre autres.
La commission des finances estime que les 10 milliards de francs en question,
dont elle ne conteste pas la nécessité, doivent être financés par
redéploiement, c'est-à-dire grâce à des économie réalisées sur d'autres
rubriques, économies qui ne sauraient concerner les budgets régaliens, à savoir
la défense, les affaires étrangères, l'intérieur et la décentralisation, les
anciens combattants, la justice, etc. Un effort d'environ 1 % doit donc porter
sur les dépenses de fonctionnement des budgets civils non régaliens figurant
aux titres III et V. C'est une affaire de volonté : sur une assiette globale de
1 000 milliards de francs, cet effort peut être accompli.
Comme plusieurs de nos collègues l'ont noté au cours de la séance d'hier, je
ferai observer que, si le fonctionnement continue à progresser,
l'investissement, lui, marque le pas. Nous ne pouvons pas ne pas tirer à
nouveau la sonnette d'alarme sur cet aspect des choses. Les budgets militaires,
notamment, nous semblent mal traités.
Qu'en est-il exactement à ce sujet ?
Des crédits d'équipement sont annulés pour financer une commande de vingt-sept
hélicoptères, conformément au programme NH 90. Cette décision d'équipement
militaire et de technique industrielle avait d'ailleurs déjà été prise. Elle
est confirmée. Et vis-à-vis du monde militaire, on fait apparaître cela comme
un élément positif. Mais, parallèlement, d'autres crédits d'équipement
conformes à la programmation militaire et prévus dans les documents budgétaires
pour l'an 2000 sont annulés plus que proportionnellement. Le tour de
passe-passe est assez surprenant, d'autant plus que le programme d'achat
d'hélicoptères nécessite non pas 6,9 milliards de francs, ce que vous faites
apparaître comme un élément positif, mais 8 milliards de francs. En
conséquence, l'annuité prévue dans le collectif budgétaire est d'ores et déjà
insuffisante pour faire face à cet engagement.
Je mentionne cet élément parmi d'autres pour démontrer une nouvelle fois
combien la politique conduite en la matière, non conforme à la programmation
militaire, est regrettable et susceptible de soulever des doutes, des
problèmes, à la fois réels et psychologiques, au sein de nos forces armées,
avec toutes les conséquences qui en résulteront et qu'il faudra ensuite gérer,
ce qui nous promet bien des difficultés.
La commission des finances propose donc un redéploiement de 10 milliards de
francs pour compenser les dépenses nouvelles qui nous seront soumises.
S'agissant des prélèvements obligatoires, vous connaissez nos convictions ; je
les ai exprimées hier, et je n'y reviendrai donc pas. Je dirai simplement que
j'ai été surpris d'entendre M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, la nuit dernière, aller jusqu'à contester la notion de
prélèvements obligatoires. Il s'est exprimé comme si cette notion était
gênante, ne cadrant pas avec son argumentation générale. Lorsqu'une notion est
gênante, lorsqu'elle n'entre pas dans le langage officiel, mieux vaut donc
l'écarter, comme d'autres ont pu effacer les visages de certaines photographies
!
Et pourtant, le taux des prélèvements obligatoires, le poids des impôts et des
cotisations sociales demeurent des préoccupations tout à fait fondamentales,
surtout lorsque l'on compare la situation de notre pays à celle de ses
principaux partenaires en Europe.
Il est donc nécessaire - la commission des finances ne peut que réitérer ce
point de vue - d'assigner des objectifs assurant notre compétitivité. Il
s'agit, je le répète, de ne pas être plus mauvais que notre principal
partenaire - l'Allemagne - c'est-à-dire de nous fixer un taux de prélèvements
obligatoires - impôts et cotisations sociales - qui ne soit pas, d'ici à trois
ans, supérieur à celui de l'Allemagne. Cela suppose un réel effort de réduction
des prélèvements obligatoires de 250 milliards de francs en l'espace de trois
ans, mais aussi de ralentissement des dépenses publiques à un rythme annuel
inférieur à 1 % en volume. Manifestement, cela peut être fait et serait
opportun en termes de politique économique, afin d'avoir un effet anticyclique,
alors que la politique que vous menez tire parti de la belle croissance et des
tendances favorables de la consommation sans réellement préparer l'avenir.
Venons-en, si vous le voulez bien, mes chers collègues, au contenu fiscal de
ce collectif budgétaire.
Je le considère comme décevant, car l'efficacité économique à terme des
baisses d'impôt que vous nous proposez me semble vraiment sujette à caution. Or
il est temps de faire quelque chose dans ce domaine. Selon vos propres chiffres
- sans doute est-ce l'illustration du fameux théorème Strauss-Kahn - les
prélèvements obligatoires ont augmenté de 435 milliards de francs entre 1997 et
2000. Hier, M. Fabius a eu l'air de s'étonner de ces évaluations en demandant
d'où elles émanaient. Mais, madame le secrétaire d'Etat, notre source est la
réponse à la question n° 29 du questionnaire de la commission des finances et
vient donc de chiffres établis par vos services ! Nous avons comparé la somme
des prélèvements obligatoires pour 2000 et ceux de 1997. Nous n'avons rien
inventé.
Bien entendu, les baisses d'impôt proposées doivent être acceptées, mais nous
nous interrogeons sur la méthode que vous utilisez en ce qui concerne la taxe
d'habitation. Nous ne sommes pas favorables à la réduction de l'autonomie
fiscale des collectivités territoriales.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Nous proposerons donc au Sénat le maintien de la part
régionale, mais nous proposerons également un effort fiscal en faveur des
contribuables de l'ordre de 12 milliards de francs au total, soit un effort
quelque peu supérieur à celui que vous préconisez. Sur ces 12 milliards de
francs, 10 milliards de francs bénéficieront aux contribuables à la taxe
d'habitation et 2 milliards de francs aux contribuables à la taxe foncière,
contribuables qu'ils ne faut pas oublier non plus.
Nous sommes favorables à la simplification, à l'harmonisation des dispositifs
de dégrèvement, mais nous considérons que, par la suppression des frais
d'assiette et d'évaluation, il est tout à fait possible d'apporter aux
contribuables locaux ce soulagement de 12 milliards de francs.
Nous allons un peu plus loin que vous sur un certain nombre de sujets. Je
citerai à ce propos les amendements que nous avons déposés concernant le régime
fiscal des sociétés de capital risque.
Je voudrais également évoquer - je sais que c'est un sujet auquel s'intéresse
particulièrement M. le président du Sénat...
M. François Autain.
Le quinquennat !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... les problèmes fiscaux et de trésorerie rencontrés
par un grand nombre d'entreprises touchées par la marée noire.
M. Serge Vinçon.
Il a raison !
M. François Autain.
Heureusement qu'il est là !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Cela vous surprend, monsieur Autain ? Je pense que
cela devrait vous faire plaisir ? J'espère donc que vous voterez avec
enthousiasme l'amendement que nous avons déposé, après concertation avec de
nombreux élus locaux de ces régions, concernant les reports d'imposition pour
les entreprises situées dans les départements, dont le vôtre, victimes de la
marée noire.
Il est effectivement nécessaire d'aider les entreprises qui peuvent connaître
des situations de trésorerie délicates - je pense notamment à celles qui
oeuvrent dans les activités touristiques - à franchir un cap difficile.
C'est une mesure qui ne figure pas dans les préconisations du Gouvernement et
qui peut, me semble-t-il, utilement s'y ajouter. En tout cas, elle ne me paraît
pas mériter votre ironie, car elle concerne des entreprises et des emplois tout
à fait réels dans un certain nombre de départements qui ont été durement
frappés.
M. François Autain.
Ce n'est pas cela qui suscite notre ironie !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Enfin, mes chers collègues, nous vous soumettrons
diférentes suggestions sur des sujets de nature institutionnelle, s'agissant en
particulier des prérogatives des commissions des finances et du rôle des
rapporteurs spéciaux. Nous comprenons bien que les demandes formulées à cet
égard par l'Assemblée nationale doivent être appréciées dans le cadre de
relations bilatérales entre le Gouvernement et sa majorité plurielle.
Dans le cours de la discussion, madame le secrétaire d'Etat, je serai amené à
vous interroger plus avant sur ces sujets, lorsque seront examinés les articles
15 A à 15 D du projet de loi.
Nous restons par ailleurs un peu perplexes devant l'article 21, qui tend à
améliorer - sur le papier - l'information du Parlement quant aux relations
entre l'Etat et la sécurité sociale. Nous vous donnons bien entendu acte des
bonnes intentions ainsi affichées, mais Charles Descours, rapporteur pour avis
de la commission des affaires sociales, serait mieux placé que moi pour
rappeler nos demandes communes de discussion consolidée, des perspectives
financières de l'Etat et des organismes de sécurité sociale.
En effet, de plus en plus, les débats limités à la seule loi de finances que
nous tenons prennent un caractère sinon surréaliste, du moins très partiel.
Nous savons bien que nous ne parlons plus que de 40 % environ des prélèvements
obligatoires, les 60 % restants prenant naissance dans d'autres textes, avec
des affectations qui obéissent à d'autres règles juridiques et financières.
Au titre des initiatives qu'elle vous proposera, mes chers collègues, la
commission des finances vous demandera également de confirmer votre position
sur le régime de France Télécom en matière de taxe professionnelle. Nous avions
déjà voté sur ce point, notamment lors de la discussion de la loi de finances
initiale pour 1999, et nous demanderons au Sénat de réitérer la position qu'il
avait alors adoptée.
Il semble important, dans l'intérêt tant de nos collectivités territoriales
que de France Télécom, d'amener cette entreprise à respecter le droit commun
des impôts locaux, sans pour autant, bien sûr, nier les problèmes de
répartition que posent les impositions susceptibles d'être levées sur France
Télécom
La proposition que nous formulerons visera donc à affecter 50 % d'une taxe
professionnelle calculée dans les conditions de droit commun aux communes sur
le territoire desquelles s'exercent les activités et 50 % au Fonds national de
péréquation de la taxe professionnelle.
J'en termine en rappelant que le collectif que nous examinons aujourd'hui
suscite de la part de la commission un sentiment d'insatisfaction. A la vérité,
il s'agit d'un texte d'attente, d'un texte de rattrapage après les
atermoiements de l'année dernière.
(Protestations sur les travées socialistes.)
C'est un texte qui est
dépassé par les faits avant même d'être voté. Il nous contraint à nous
prononcer sur des chiffres dont M. le ministre lui-même nous dit qu'ils ne sont
pas complets, ce ministre qui manie le terme de transparence avec une habileté
que nous saluons tous, mais à qui nous demandons de mettre sa pratique
gouvernementale en harmonie avec les principes qu'il énonce et auxquels
l'ensemble du Sénat ne peut pas ne pas souscrire.
Entre les intentions et les faits, il est tentant d'établir des comparaisons.
Or nous avons, à cet égard, une expérience toute récente : celle de l'année
1999, au cours de laquelle, c'est le moins que l'on puisse dire, la
transparence n'a pas régné de manière incontestable sur les relations entre le
Gouvernement et le Parlement !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur celles du RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
L'année 1997 a aussi été une année importante !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, le Gouvernement s'est soudain senti contraint de
rédiger à la hâte un collectif budgétaire, celui que nous sommes appelés à
examiner cet après-midi.
Pourtant, ce collectif aurait pu, selon moi, être évité. Contrairement à
l'objectif qu'il affiche, M. le rapporteur général vient de le dire, il ne
contribue même pas à éclairer la nation.
Les gouvernements proposent, en général, un collectif budgétaire au printemps
lorsqu'ils réorientent sensiblement la politique des finances du pays. C'est le
cas, par exemple, lors d'un changement de majorité à l'Assemblée ou lors d'un
changement de gouvernement, ce qui n'est pas le cas, du moins pour
l'instant.
Certes, ce projet prévoit trois réductions d'impôt, concernant la TVA, l'impôt
sur le revenu et la taxe d'habitation. Mais ces réductions d'impôts ne sont pas
révolutionnaires. Tout en entrant en vigueur cette année, elles auraient pu
figurer dans la loi de finances pour 2001 ou dans la loi de finances
rectificative de fin d'année.
Quant aux ouvertures de crédits, si l'on souhaite vraiment que la
représentation nationale en débatte, il aurait été bien préférable de nous les
soumettre avant qu'elles ne soient décidées. Sous cette réserve, elles auraient
d'ailleurs pu être, comme c'est l'habitude, ratifiées dans le collectif de fin
d'année.
Non, la vraie raison de ce collectif est tout simplement que la loi de
finances adoptée pour 2000 était erronée, et elle l'était dès son dépôt sur le
bureau des assemblées. Après s'être obstinée à ne pas vouloir changer quoi que
ce soit pendant les trois mois de débat parlementaire, de septembre à décembre
1999, le Gouvernement a fini par reconnaître dès février 2000 - l'encre de la
loi de finances était à peine sèche ! - qu'il fallait revoir substantiellement
l'équilibre de cette loi.
M. René-Pierre Signé.
Parce qu'il y a eu la croissance, et c'est le signe d'une réussite !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Reste une énigme, mais je ne
doute pas que M. Signé pourra l'élucider. Le Gouvernement a-t-il cherché à
cacher des éléments qui étaient en sa possession dès cet hiver ? Ou bien ne
disposait-il pas des instruments lui permettant de réviser ses hypothèses en
temps réel ?
M. François Autain.
Voilà, c'est cela !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Quel est votre sentiment, mes
chers collègues ?
M. Jean-Pierre Raffarin.
Mensonge ou incompétence ?
M. Jean-Claude Carle.
Les deux !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Dans les deux cas, les finances
de notre pays sont bien mal pilotées !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Afin de vous montrer toute
l'objectivité de la majorité sénatoriale, je dirai que cela ne date pas
d'aujourd'hui.
Nous essaierons donc de déterminer, dans le cadre des travaux pour lesquels le
Sénat a doté la commission des prérogatives de commission d'enquête, laquelle
de ces deux tristes hypothèses doit être privilégiée.
Quoi qu'il en soit, si le Gouvernement, dont vous faisiez d'ailleurs déjà
partie, madame le secrétaire d'Etat, avait davantage accepté le dialogue lors
du débat sur le projet de loi de finances pour 2000, il aurait échappé à ce
pensum qu'est le collectif. C'est le défaut d'information des assemblées lors
de l'examen du projet de loi de finances - un défaut qui est totalement
aberrant dans un pays moderne et démocratique - qui a engendré ce collectif.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Tout à fait !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il n'aurait jamais dû exister,
et j'espère que nous n'aurons pas à en connaître d'autres de ce type.
Au surplus, ce collectif n'atteint pas l'objectif fixé, qui devrait être de
fournir un éclairage à la nation sur l'état de nos finances publiques, qui
demeurent toujours aussi opaques.
En effet, cet acte budgétaire demeure, même si le mot est un peu sévère,
tronqué, et ce au moins à trois points de vue.
En premier lieu, le Gouvernement s'apprête à lancer sa procédure d'attribution
des licences de téléphones mobiles de la troisième génération : 130 milliards
de francs, mes chers collègues ! Une petite somme !
M. Ladislas Poniatowski.
Une nouvelle et bien belle cagnotte !
M. Serge Vinçon.
Ce n'est pas rien !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Eh bien ! mes chers collègues,
on ne trouve aucune trace financière de ces 130 milliards de francs dans le
document budgétaire qui nous est proposé.
M. Gérard Cornu.
C'est cela, la transparence des socialistes !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
En deuxième lieu, alors que le
Gouvernement révise les hypothèses de la loi de finances, il ne le fait pas
pour les hypothèses de la loi de financement de la sécurité sociale, qui sont
pourtant les mêmes, et je parle ici sous le contrôle du président de la
commission des affaire sociales, Jean Delaneau, et de Charles Descours.
En toute logique, les recettes de sécurité sociale devraient être réévaluées
d'au moins 14 milliards de francs, si l'on suit les estimations de l'OFCE.
En troisième lieu, une question se pose : de quoi débattons-nous, mes chers
collègues ? Dans ce projet, sont soumis au vote des assemblées des recettes,
très précisément fixées, au franc près, des dépenses et un déficit. Toutefois,
le ministre ajoute, comme M. le rapporteur général l'a souligné, que ces
chiffres ne sont sans doute pas les bons puisque l'on affiche un déficit de 215
milliards de francs mais qu'il sera probalement de 200 milliards de francs.
Comment parvient-on à ce résultat ? Est-ce que ce sont les recettes qui seront
modifiées ? Seront-ce les dépenses ? Ou bien les deux ? Dans une loi de
finances, il serait quand même utile d'obtenir des réponses sur ce sujet.
En effet, les chiffres qui vous sont soumis, mes chers collègues, sont liés à
des calculs savants. Mais le seul calcul savant que nous ne pouvons pas faire,
c'est celui du montant précis des recettes estimées à la date d'aujourd'hui et
celui du montant des dépenses. En tout cas, lors de l'examen du collectif de
fin d'année, nous essaierons de comprendre les raisons pour lesquelles il ne
nous est pas donné davantage de précisions aujourd'hui.
Dès lors, à quoi rime ce débat ? Au fond - le rapporteur général a esquissé
cette hypothèse - ne s'agit-il pas de donner un habit flambant neuf de
transparence à la présentation de nos finances publiques ? Si tel est
l'objectif, beaucoup de progrès restent à faire.
Je relève d'ailleurs que nos collègues de la commission des finances de
l'Assemblée nationale ne se contentent pas des éléments fournis par le
Gouvernement puisqu'ils ont jugé utile d'étendre les prérogatives des
rapporteurs généraux et des rapporteurs spéciaux des commissions des
finances.
Ce collectif, madame la secrétaire d'Etat, ne m'inspire guère. Je doute qu'il
soit d'une franche opportunité et, s'agissant de la transparence, mieux
vaudrait que vous comptiez sur notre commission des finances pour continuer à
vous y encourager, de manière que, comme le prescrit la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, tous les citoyens exercent effectivement leur « droit
de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la
contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en
déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
En vérité, mes chers collègues, ce n'est pas notre droit, c'est notre devoir
!
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il n'est pas
habituel que le rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale
intervienne dans une loi de finances rectificative. Mais nous n'avons pas, pour
l'instant, de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. C'est
pourtant un budget, comme viennent de le rappeler M. le président de la
commission des finances et M. le rapporteur général, plus important que celui
de l'Etat.
Si le budget de l'Etat n'est pas aussi transparent que le souhaiterait la
commission des finances, que dire des lois de financement de la sécurité
sociale ? Mais il paraît que nous sommes au début de la démocratie sociale ! Je
souhaiterais qu'elle avance un peu plus vite.
Si la commission des affaires sociales a demandé à être saisie pour avis du
collectif budgétaire de printemps, ce n'est pas seulement parce que quelques
ajustements de crédits ont été opérés sur divers budgets sociaux relevant de la
loi de finances. Ce n'est pas non plus pour examiner les crédits budgétaires
mobilisés par la « nouvelle étape hospitalière », selon l'expression utilisée
par Mme Aubry, décidée par le Gouvernement dans le protocole du 14 mars
dernier.
Vous venez de le souligner, madame la secrétaire d'Etat, 2 milliards de francs
sont inscrits en dépenses ordinaires dans un chapitre nouveau intitulé « aide
exceptionnelle au service public hospitalier » et vous avez noté - c'est
exact, d'ailleurs - que ces 2 milliards de francs ont vocation à financer les
remplacements de personnel.
Par ailleurs, 100 millions de francs complètent la dotation en crédits de
paiement du fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le
FIMHO.
Mais, je souhaite insister sur ces 2 milliards de francs. Je comprends bien,
madame la secrétaire d'Etat, la logique qui autorise le subventionnement par
l'Etat d'investissements hospitaliers. Je ne comprends pas, en revanche, celle
qui conduit aujourd'hui le Gouvernement à inscrire au budget de l'Etat des
dépenses de fonctionnement, en l'occurrence des dépenses de personnel. Je me
fais ici le porte-parole des représentants des dirigeants hospitaliers qui sont
très inquiets à ce sujet.
En effet, les personnels hospitaliers sont normalement payés par l'assurance
maladie au travers de la dotation globale hospitalière ; c'est en tout cas
ainsi depuis de nombreuses années. Ce nouveau financement par le budget de
l'Etat répond-il à une évolution des principes de financement de notre système
de santé et à un changement de nature ? Si tel est le cas, il faut le dire et
ce nouveau pas vers une nationalisation de la sécurité sociale doit donner lieu
à un débat et non pas se faire en catimini, car il s'agit d'un changement
radical de politique.
Dans le cas contraire, madame la secrétaire d'Etat - et là vous êtes tout à
fait dans vos fonctions - quelle sera la pérennité de ces crédits ?
J'ai bien entendu Mme Aubry : quand elle a parlé d'un plan de 10 milliards de
francs, elle a clairement indiqué que le Gouvernement s'engageait pour trois
ans. J'en prends acte ! Mais je voudrais rappeler que les crédits budgétaires
sont votés chaque année et peuvent être périodiquement remis en cause. Au bout
de ces trois ans, que fera-t-on des personnels qui auront été recrutés pendant
ce temps-là ?
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est la même logique que pour les emplois-jeunes !
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis.
Effectivement, monsieur Fourcade !
J'ai rencontré les représentants des hôpitaux : ils se réjouissent de cette
manne hospitalière, justifiée. Voyez que je suis plein de mansuétude pour le
Gouvernement ! Mais, dans trois ans, comment va-t-on payer ces personnels ?
En fait, ces crédits budgétaires ne sont que la partie d'un tout.
Parallèlement, en effet, le Gouvernement a décidé une dépense supplémentaire -
qui ne figure évidemment pas dans la loi de finances - de près de 2 milliards
de francs à la charge de l'assurance maladie, qui majore donc du même montant
l'objectif de dépenses de cette branche de la sécurité sociale, et dont plus de
1 milliard de francs s'impute sur l'objectif national de dépenses d'assurance
maladie, le fameux ONDAM, le reliquat étant inscrit au fonds d'accompagnement
social pour la modernisation des établissements de santé, le FASMO, et
constitue une dépense de l'assurance maladie non incluse dans l'ONDAM.
Il serait injuste de reprocher au ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie que sa collègue la ministre de l'emploi et de la solidarité n'ait
pas jugé bon de présenter au Parlement un collectif social qui aurait permis
d'aborder, dans le cadre qui convient, cette nouvelle étape hospitalière. Je
rappelle au Parlement, si besoin était, que ce qui a été décidé par la loi doit
être modifié par la loi.
Je constate en outre que, lors de la discussion de ce collectif budgétaire à
l'Assemblée nationale, ni Mme Aubry ni Mme Gillot n'ont jugé bon
d'intervenir.
L'exposé des motifs du présent projet de loi consacre seulement un paragraphe
de cinq lignes au « programme annoncé par la ministre de l'emploi et de la
solidarité » et conclut : « la modernisation des hôpitaux pourra ainsi être
menée dans des conditions budgétaires satisfaisantes ».
Nous ne pouvons que prendre acte de la volonté du Gouvernement de refuser tout
débat sur la « nouvelle étape hospitalière » décidée par Mme Martine Aubry.
C'est, en réalité, une curieuse conception du Parlement qui semble prévaloir
dans le domaine social.
Ainsi, le Gouvernement modifie, de son propre chef, les objectifs de dépenses
votés solennellement par le Parlement. Je rappelle que, avant la réforme de
1996, le vote par le Parlement d'un « budget social » avait été demandé par
tous les groupes, qui avaient déposé des propositions de loi en ce sens.
Le Parlement vote donc solennellement, depuis 1996, cette loi de
financement.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000,
l'objectif de dépenses de la branche maladie est arrêté par l'article 39.
L'objectif national de dépenses de l'assurance maladie est fixé par l'article
40.
Par ailleurs, cette loi crée un fonds de financement des trente-cinq heures et
prévoit que des parlementaires doivent siéger à son conseil de surveillance. Ce
fonds est en principe opérationnel depuis le 1er janvier 2000 mais,
curieusement, le Gouvernement n'a toujours pas demandé au Parlement de désigner
ses représentants, chargés pourtant de contrôler la gestion des flux financiers
considérables qui transiteront par ce fonds.
En revanche, le Gouvernement décide de son propre chef, le 21 mars dernier, de
créer un Conseil d'orientation des retraites. Au cours de mon intervention de
cette nuit, j'ai cité les propos étonnants de son président : surtout ne pas
proposer de réforme !
Dès le 10 mai, le décret est publié. Dans la foulée, le président de ce
conseil est désigné - un haut fonctionnaire - et la date de la première réunion
est fixée. Accessoirement, le Parlement est sommé de désigner toutes affaires
cessantes - nous venons de le faire au début de cette séance, monsieur le
président - ses représentants dans cette instance qui est chargée -
rappelons-le - de conseiller le Premier ministre et de lui rédiger des
rapports.
D'ailleurs, je n'ai pas très bien compris à quel article de la Constitution on
faisait référence en demandant aux parlementaires de rédiger des rapports pour
le Premier ministre !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas constitutionnel !
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis.
On voit bien que le Gouvernement fait peu de cas de
ce qui figure dans la loi. En revanche, pour essayer de faire croire qu'il agit
en matière de retraites, alors que chacun sait qu'il ne fait rien, il crée ce
Conseil d'orientation des retraites. Or il a été clairement indiqué, lors de sa
première réunion, qu'il n'y aura pas de « grand soir » des retraites, parce
qu'il faudrait être plus courageux que velléitaire.
Le Parlement aurait aimé que pareille célérité s'appliquât aux organismes
qu'il a lui même décidé de créer par la loi.
Curieuse conception de la hiérarchie des normes, de l'ordre des priorités et
du rôle du Parlement sur laquelle j'aurais souhaité recueillir le sentiment,
non pas du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui était
présent la nuit dernière, mais bien de l'ancien président de l'Assemblée
nationale.
Pourquoi la commission des affaires sociales s'est-elle saisie pour avis du
collectif budgétaire ? Parce qu'elle s'inquiète, comme la commission des
finances, de la cohérence des comptes de l'Etat avec ceux de la sécurité
sociale.
De quoi s'agit-il ?
Vous vous souvenez, mes chers collègues, que la branche famille verse une
allocation de rentrée scolaire, qui est une prestation familiale de l'ordre de
430 francs, à laquelle les familles sont légitimement attachées, ainsi que
nous-mêmes, sur quelque travée que nous siégions.
Le Gouvernement avait pris l'habitude, depuis 1993, de décider une majoration
substantielle de cette allocation, majoration qui, naturellement, était à la
charge du budget de l'Etat, puisque c'était une décision de l'Etat. Cette
majoration n'était pas automatique et le Gouvernement se réservait la
possibilité de prendre cette décision en cours d'année. Aussi, les crédits
nécessaires - et c'était tout à fait logique - figuraient non pas dans la loi
de finances initiale, mais dans la loi de finances rectificative et, de fait,
dans le collectif de fin d'année.
La Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, faisait l'avance des
sommes versées en septembre et n'était remboursée généralement qu'avec quatre
mois de retard.
En juillet 1999, changement de décor ! Lors de la Conférence de la famille, le
Gouvernement - par la voix du Premier ministre ! - annonce solennellement la
pérennisation de cette majoration. Le « relevé de décision » de cette
conférence en témoigne : « ce Gouvernement a décidé de pérenniser l'allocation
de rentrée scolaire majorée. » Bravo !
Mais cette bonne nouvelle pour les familles est accompagnée d'une moins bonne
nouvelle pour la sécurité sociale : c'est la branche famille qui doit prendre
progressivement en charge cette majoration, qui représente la modique somme de
7 milliards de francs.
A titre de modeste contrepartie, le Gouvernement annonce qu'il décharge la
branche famille des dépenses du fonds d'action sociale pour les travailleurs
immigrés et leur famille, le FASTIF, soit 1 milliard de francs.
Dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, une première
tranche de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire est mise à la
charge de la branche famille, soit 2,5 milliards de francs.
Mais, première surprise, ni le reliquat de cette majoration pérennisée ni les
crédits du FASTIF, soit au total 5,5 milliards de francs, ne sont
symétriquement inscrits dans la loi de finances pour 2000.
Votre rapporteur pour avis, qui est tout indulgence à l'égard du Gouvernement,
veut bien croire que ce dernier avait alors quelques raisons techniques à faire
valoir : le projet de loi de finances a été déposé avant le projet de loi de
financement ; les comparaisons entre lois de finances initiales sont plus
lisibles lorsqu'elles peuvent être faites à structure constante. Or la
majoration de l'allocation de rentrée scolaire était inscrite
traditionnellement dans le collectif budgétaire.
En revanche, madame la secrétaire d'Etat, il est proprement incompréhensible
que cette prestation, qui sera versée en septembre 2000, ne soit pas inscrite
dans le collectif budgétaire de printemps dont nous sommes en train de
discuter.
Dès lors, il y a un défaut de sincérité quelque part : soit dans les comptes
de l'Etat - le président de la commission des finances le disait voilà un
instant - soit dans les comptes de la sécurité sociale, soit encore dans le
discours que l'on tient aux familles, ce qui serait encore pire et je n'ose y
croire.
Première hypothèse : le Gouvernement n'entend inscrire ces 5,5 milliards de
francs que dans le collectif de fin d'année. Ce choix appelle trois
observations.
Cela veut dire, d'abord, que la branche famille, en septembre prochain, devra
en faire l'avance au prix d'une majoration par décret des plafonds d'emprunt
autorisés par le Parlement et, en tout état de cause, d'une charge de
trésorerie qui est totalement injustifiée, dès lors que le Gouvernement dispose
de l'instrument qu'est le collectif budgétaire de printemps et peut donc
mobiliser les fonds nécessaires en temps utile, d'autant que le Gouvernement
lui-même l'a annoncé l'année dernière.
Mais cela signifie également que les comptes de l'Etat pour 2000, tels qu'ils
sont présentés au Parlement, ne sont pas sincères, car ils n'intègrent pas une
dépense certaine.
Mes chers collègues, moi je crois, comme l'opinion, ce que dit M. le Premier
ministre : il dit que l'Etat va prendre en charge ces 5,5 milliards de francs.
Cela ne figure nulle part ! Cela veut dire, que ces comptes ne sont pas
sincères. En d'autres termes, le déficit de l'année 2000, serait non pas de 215
milliards de francs mais de 220 milliards de francs. Il est vrai que M. Fabius
nous a dit hier qu'il s'élèverait peut-être à 200 milliards de francs. Alors,
200, 215, ou 220 milliards de francs...
Tout cela, M. le rapporteur général vient de le souligner, est d'une confusion
absolue. Je rappelle que le désir de transparence qui anime le ministère des
finances a été rappelé à plusieurs reprises hier par M. Fabius. Nous souhaitons
vivement que cette transparence concerne aussi les comptes sociaux.
Peut-être le Gouvernement entend-il cultiver les effets d'annonce jusqu'au
bégaiement. En effet, en juillet 1999, il a décidé solennellement de pérenniser
l'allocation de rentrée scolaire majorée. Or, comme la Conférence de la famille
se réunit le 15 juin 2000, peut-être va-t-il annoncer la majoration de
l'allocation de rentrée scolaire de 2000. Mais nous lui rappellerons alors
qu'il l'avait déjà annoncée l'année dernière. Certes, mieux vaut se répéter que
se contredire, mais il faut tout de même tenir compte des décisions que l'on
annonce. La commission des affaires sociales du Sénat s'est donc résolue à
envisager une autre hypothèse, tout à fait inquiétante, qui seule pourrait
expliquer l'absence de cette dépense certaine dans le collectif de
printemps.
Cette deuxième hypothèse, peut-être plus grave encore, serait la suivante : le
Gouvernement a décidé de transférer à la charge de la branche famille dès 2000
- je puis vous dire que les associations familiales sont inquiètes - et sans
compensation l'intégralité de la majoration de l'allocation de rentrée
scolaire.
Je rappelle que, le 6 avril dernier, M. le Président de la République prenait
la défense d'une politique familiale ambitieuse et estimait qu'« il est
indispensable de garantir la progression des recettes de la branche famille et
d'appliquer scrupuleusement ce principe fondamental de la sécurité sociale qui
veut que les excédents de la Caisse nationale d'allocations familiales ne
puissent être dérivés pour le financement d'autres branches ». Nous avons même
voté, en 1994, une loi qui l'interdit. C'est la raison pour laquelle il n'y a
pas, contrairement à ce qu'a annoncé Mme Aubry, un excédent de 250 millions de
francs de la sécurité sociale. Il y a un excédent de la branche famille de
quatre milliards de francs, un excédent de la branche retraite de cinq
milliards de francs et un déficit de la branche maladie de neuf milliards de
francs. Voilà la réalité des comptes de la sécurité sociale !
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
M. Jean Chérioux.
En effet !
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis.
Dans la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2000, le Gouvernement a, en effet, détourné une partie du prélèvement de 2
% sur les revenus du patrimoine pour la transférer de la branche famille vers
le fonds de réserve pour les retraites.
Si la deuxième hypothèse que je suis en train d'évoquer se vérifiait, cela
voudrait dire qu'une nouvelle ponction de 5,5 milliards de francs aurait lieu
sur la branche famille, ce qui serait une décision d'une exceptionnelle
gravité.
Ce faisant, j'observe que la branche famille financerait indirectement, et
bien au-delà, la contribution budgétaire de deux milliards de francs que vous
venez de nous annoncer, madame le secrétaire d'Etat.
En tout cas, si cette hypothèse était exacte, cela voudrait dire que, cette
fois, ce sont les comptes sociaux qui ne sont pas sincères et que la commission
des comptes de la sécurité sociale, qui s'est réunie le 22 mai dernier, a
présenté des chiffres erronés pour l'exercice 2000 : l'excédent de la branche
famille pour 2000, évalué à 4,5 milliards de francs, recouvrirait, en réalité,
un déficit d'un milliard de francs. Nous verrons bien !
Ou bien les comptes de l'Etat ne sont pas sincères ou bien les comptes de la
sécurité sociale ne le sont pas et une ponction lourde sera opérée sur la
branche famille.
Voilà quelques jours, M. Alain Vasselle, M. Jacques Machet et moi-même avons
présenté un rapport d'information sur ce sujet. Nous y reviendrons lors de la
discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Cela étant dit, puisque vous seule, madame le secrétaire d'Etat, avez la
possibilité de déposer des amendements « dépensiers », je vous suggère, pour
lever cette ambiguïté et afin que le Gouvernement montre la sincérité des
comptes tant du budget de l'Etat que du budget des affaires sociales, de
déposer un amendement visant à majorer les crédits budgétaires des 5,5
milliards de francs nécessaires au financement de l'allocation de rentrée
scolaire qui sera versée aux familles en septembre prochain.
M. Jean-Pierre Raffarin.
On l'appellera « l'amendement Descours » !
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis.
Je vous assure, madame le secrétaire d'Etat, que
les familles vous en seront très reconnaissantes.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
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