Séance du 7 juin 2000






LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2000

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2000 (n° 351, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 371 (1999-2000) et avis de la commission des affaires sociales.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le collectif que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est celui d'une croissance retrouvée et solide que le Gouvernement s'attache à rendre durable et solidaire.
Cette volonté politique est visible sur le front de l'emploi : grâce à la politique menée depuis trois ans, un million d'emplois ont été créés et nous avons pour objectif la création d'un million d'emplois supplémentaires d'ici à la fin 2002, pour passer sous la barre des deux millions de chômeurs.
Cette volonté politique est également visible dans la gestion de nos finances publiques. A croissance exceptionnelle, recettes exceptionnelles : c'est de ce succès que proviennent les 51 milliards de francs de recettes qui figurent dans ce projet de loi de finances rectificative. Ces recettes sont mises au service d'une stratégie de croissance, grâce à des allégements d'impôts favorables à l'emploi et au pouvoir d'achat. Au total, 80 milliards de francs auront ainsi été rendus aux Français sur la seule année 2000.
Cette stratégie de croissance passe également par le renforcement des services publics, avec 10 milliards de francs de dépenses nouvelles, au titre de l'indemnisation des tempêtes et de la solidarité dans des domaines essentiels de la vie des Français, comme l'hôpital ou l'éducation nationale.
Enfin, cette volonté politique est celle qui guide notre stratégie de finances publiques. Transparente et prévisible, elle conforte les anticipations en faveur de la croissance.
Transparence pour les évaluations de recettes : le montant figurant dans le collectif a été évalué sur la base notamment du rapport de M. Didier Migaud sur « les fruits de la croissance retrouvée », déposé au début du mois de mars de cette année. Je comprends d'ailleurs que cette évaluation est confirmée par l'étude demandée par votre commission des finances à l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, pour le taux de croissance associé au collectif.
Transparence de nos débats : plutôt que de recourir à des méthodes réglementaires et opaques, le Gouvernement a fait le choix du débat démocratique devant la représentation nationale. Ce moment en est l'illustration.
Transparence enfin du comportement du Gouvernement : Laurent Fabius et moi-même nous nous sommes engagés à ce que tout surplus de recettes au-delà de ce qui est prévu dans ce collectif et toute moindre dépense qui pourrait être constatée en exécution soient affectés à la réduction du déficit, donc à la réduction de la dette et des impôts de demain.
M. Michel Sergent. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Y aura-t-il un surplus de recettes ? De combien sera ce surplus de recettes au-delà de ce qui est prévu dans le collectif ? Il m'est encore impossible de le dire.
En effet, je ne suis pas en mesure de chiffrer précisément à ce stade de l'année le taux de croissance qui sera finalement celui de l'année 2000. Lorsque nous avons déposé ce projet de loi de finances rectificative devant l'Assemblée nationale, l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques, situait la croissance dans une fourchette allant de 3,4 % à 3,8 %, ce qui explique le taux de croissance moyen de 3,6 % associé à ce collectif, situé au centre de la fourchette.
Lorsque, il y a quelques semaines, je défendais ce projet de loi devant l'Assemblée nationale, des hypothèses de croissance allant parfois au-delà de 4 % ont été évoquées par certains instituts de conjoncture.
A l'inverse, la semaine dernière, l'INSEE a publié un chiffre de croissance au premier trimestre un peu plus faible que prévu, 0,7 %, inférieur à la prévision de 0,9 % faite un mois plus tôt par ce même institut.
Dans ces conditions, il n'y a pas de raison de modifier, à ce stade, l'évaluation des recettes figurant dans le collectif qui vous est présenté aujourd'hui.
De même, toutes les dépenses ne seront pas effectuées au centime près jusqu'au plafond autorisé par le Parlement. C'est ainsi chaque année, dans des proportions variables, et sans que nous sachions dire a priori sur quels chapitres et avec quelle ampleur il en sera ainsi.
Tous ces éléments ont fait dire au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, lors du débat qui a eu lieu devant l'Assemblée nationale, que nous espérions un déficit en exécution 2000 de l'ordre de 200 milliards de francs. Tel est bien notre objectif. Telle est aussi notre volonté de transparence vis-à-vis du Parlement.
Mais nous ne saurions, à cette époque de l'année, le traduire dans notre projet de loi sans prendre de risques excessifs. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler au moment de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2001 et lors de la discussion du collectif de fin d'année, sur la base de nouvelles évaluations de recettes qui seront expertisées, comme Laurent Fabius l'a indiqué hier, par la Commission économique de la nation. Dès cette année, le Parlement disposera donc d'un avis extérieur au Gouvernement sur les évaluations de recettes à la fois pour l'année 2000 et pour l'année 2001.
Au-delà de ce débat, le projet de loi soumis aujourd'hui à votre examen reflète donc deux grandes orientations politiques du Gouvernement, la baisse des impôts et des dépenses nouvelles en faveur de la solidarité.
Il s'agit d'abord de baisser les impôts, je l'ai rappelé d'emblée.
Il s'agit d'une baisse massive : quarante milliards de francs qui s'ajoutent aux quarante milliards déjà décidés dans la loi de finances pour 2000.
Il s'agit également d'une baisse instantanée. L'impôt sur les revenus de 1999, que les Français ont déclarés en mars, baissera dès cette année. Il en sera de même de la taxe d'habitation. Et il nous est proposé de pérenniser la baisse de la TVA, qui est effective depuis le 1er avril.
C'est enfin une baisse productive et solidaire. Il s'agit en effet de faire bénéficier tous les Français de la croissance et d'aider ceux qui voient aujourd'hui leurs impôts augmenter trop vite lorsqu'ils retrouvent un emploi, afin de prendre en compte leur situation.
Nous vous proposons, d'abord, une baisse d'un point des deux premiers taux de l'impôt sur le revenu dès 2000. Pour plus de 650 000 foyers, cela se traduira par une exonération complète de l'impôt sur le revenu. Pour tous, ce sera un allégement, important pour les plus bas revenus, modeste mais non négligeable pour les autres, dans le respect du principe de progressivité et de redistributivité de l'impôt. Cette mesure représente 11 milliards de francs.
S'y ajoutent deux dispositions introduites par voie d'amendements à l'Assemblée nationale : l'une concerne la solidarité due aux victimes de l'amiante et l'autre l'aménagement du régime des dons dans le cas de l'abandon de produits financiers en faveur d'associations.
Nous vous proposons ensuite une réforme profonde de la taxe d'habitation. Cette mesure est évidemment complémentaire de la précédente car, si tout le monde ne paie pas l'impôt sur le revenu, tout le monde est concerné par la taxe d'habitation.
Or vous en connaissez et vous en éprouvez les défauts : une assiette vieillissante, une complexité croissante et, surtout, une véritable injustice d'une taxe qui demande plus aux plus modestes, même avec les mécanismes existants d'allégement qui existent déjà.
En visant à supprimer sa part régionale, le projet de loi s'adresse à tous les contribuables et concerne la fraction de cette taxe qui est la plus éloignée du citoyen et la plus faible dans son produit.
A l'égard des régions, après un dégrèvement en 2000, une compensation indexée comme la dotation globale de fonctionnement sera mise en place à partir de 2001. Je n'ignore pas les opinions qui ont été exprimées à ce sujet et je sais qu'ici, au Sénat, nous en débattrons en profondeur. J'estime que cela préserve la responsabilité et l'autonomie des régions.
Par ailleurs, il est proposé de réformer les mécanismes de dégrèvement, sans, bien entendu, diminuer les dispositions actuelles de complète exonération.
Malgré les efforts du Gouvernement et de la majorité - je pense en particulier au prolongement du dégrèvement total, pour les titulaires du RMI, l'année où ils retrouvent un emploi, ou bien à l'abaissement de 1 500 à 1 200 francs du minimum de taxe laissé à la charge des plus modestes - le système actuel comporte encore trop d'injustices : des inégalités car, à ressources égales, on n'est pas traité de la même manière selon l'origine des revenus ; des effets de seuil, qui, par leur brutalité, n'encouragent pas la reprise d'activité ; un poids de la taxe par rapport aux revenus plus faible pour les revenus moyens que pour les revenus modestes.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose un système unifié et plus juste, qui fonctionne pour tous en deçà d'un certain seuil de revenu, sans montant minimum fixe à la charge des contribuables. Cela permettra à 1 300 000 contribuables de bénéficier d'un dégrèvement total. Cette mesure représente, elle aussi, 11 milliards de francs.
Enfin, nous vous proposons une baisse d'un point du taux de TVA au bénéfice de tous. Ce faisant, le Gouvernement accompagne la croissance en rendant du pouvoir d'achat aux Français et donne sur les prix un signal de baisse à l'heure où des tensions apparaissent dans certains secteurs. L'effet positif de la mesure apparaît d'ailleurs dans la stabilité des prix constatée en avril.
Le Gouvernement veut aussi, tout simplement, achever de restituer aux Français la hausse décidée par un précédent gouvernement en août 1995. Avec les baisses ciblées mises en oeuvre depuis 1998, qui ont représenté 30 milliards de francs, ce sera chose faite puisque la mesure proposée aujourd'hui, qui représente plus de 18 milliards de francs dès 2000, mais en représentera 30 milliards de francs en année pleine en 2001, porte donc nos baisses de TVA à plus de 60 milliards de francs au total, soit l'équivalent de ce qui avait été prélevé en plus en 1995.
Ce collectif a aussi vocation à financer les dépenses de solidarité liées aux tempêtes ou à des domaines essentiels dans la vie des Français, comme l'hôpital ou l'éducation.
Une solidarité exceptionnelle, d'abord, s'exercera pour faire face à des circonstances elles-mêmes exceptionnelles et aider les personnes qui ont souffert des deux ouragans qui ont balayé notre territoire, du cyclone Lenny aux Antilles ou de la marée noire de l' Erika.
Les engagements pris par le Premier ministre ont été tenus, les crédits nécessaires étant évidemment mobilisés de manière immédiate. Ils seront donc confirmés et confortés grâce à ce collectif, puisque plus de 6 milliards de francs y sont consacrés.
Quelles sont les grandes mesures qui trouvent leur tradition dans ce collectif ?
Des crédits d'un montant de un milliard de francs sont ouverts en faveur des forêts et deux mesures fiscales viennent renforcer le dispositif : le taux de TVA sur les travaux forestiers, qui est ramené de 20,6 % à 5,5 %, et l'achat de parcelles forestières ou de terrains nus destinés à être reboisés, qui est temporairement exonéré de droits.
Autre axe fort de ce collectif : l'aide apportée aux collectivités locales sinistrées en métropole et aux Antilles, avec l'ouverture d'un milliard de francs de crédits et 500 millions de francs au titre de l'accélération des remboursements de TVA pour les travaux réalisés par les collectivités locales à la suite de la tempête. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Plus de 700 millions de francs sont ouverts par ailleurs pour la restauration du réseau routier et des digues, des phares et des balises, ainsi que des infrastructures portuaires endommagées.
L'Etat s'est également engagé à aider les secteurs économiques les plus touchés : près de 600 millions de francs sont ouverts pour les agriculteurs, les pêcheurs et les conchyliculteurs, les entreprises contraintes au chômage partiel, l'hôtellerie de plein air, le tourisme social et, plus généralement, l'ensemble du secteur du tourisme. Il importe que la saison soit réussie sur nos côtes, et ce à la hauteur des efforts déployés par tous pour nettoyer et remettre en état nos plages et nos rochers.
Un effort particulier de plus de 500 millions de francs a également été prévu pour restaurer les monuments historiques.
Le budget de l'environnement et de l'aménagement du territoire est lui-même abondé de près de 300 millions de francs pour accompagner la restauration des sites et des écosystèmes affectés par la marée noire de l' Erika et les tempêtes.
Enfin, l'Etat a immédiatement apporté son soutien à l'effort de solidarité déployé par les communes et les organismes sociaux par une dotation exceptionnelle aux commissions d'aide sociale d'urgence. A ce titre, 350 millions de francs sont ouverts.
Cette solidarité exceptionnelle ne doit pas nous faire oublier la solidarité au quotidien, pour l'école, la santé et la ville notamment.
Le collectif propose donc d'ouvrir 2,6 milliards de francs d'engagements au profit des hôpitaux, à la suite du protocole d'accord négocié et signé par Martine Aubry et Dominique Gillot. Cet argent servira principalement à payer le remplacement d'agents absents, ce qui se traduira par une amélioration du service pour nos concitoyens, en particulier dans les services d'urgence.
Un milliard de francs est ouvert au profit de l'éducation nationale, car, dans ce collectif, nous avons voulu marquer notre soutien au corps enseignant, montrer aux familles que leurs préoccupations sont les nôtres. La réforme de l'enseignement professionnel va permettre de moderniser les équipements et de renforcer le suivi des élèves en stage. Dans le second degré, 1 000 maîtres d'internat seront recrutés dès la rentrée prochaine pour améliorer l'encadrement et lutter contre la violence. Le suivi médico-social des élèves, système d'alerte et de soins essentiel dans les collèges et lycées les plus défavorisés, sera aussi renforcé. Enfin, des moyens pédagogiques supplémentaires seront mis à la disposition des enseignants et les carnets de correspondance qui sont le lien entre l'école et la famille seront désormais gratuits. Comme vous le savez, comme la lettre de cadrage signée par Lionel Jospin l'indique, l'éducation nationale sera toujours une priorité dans le projet de loi de finances pour 2001.
Par ailleurs, 450 millions de francs sont consacrés à la politique de la ville, une politique de la ville qui est d'ailleurs souvent étroitement liée à la politique d'éducation nationale. Le renforcement sans précédent des crédits qui y sont consacrés depuis deux ans doit éviter que la croissance ne s'arrête à la porte des quartiers les plus en difficulté, car la croissance retrouvée doit être celle de tous les Français. Grâce à ce collectif, le programme des 10 000 adultes-relais pourra donc débuter. Ces adultes-relais vont contribuer à rénover les liens sociaux en accompagnant les habitants dans leurs démarches, en facilitant le dialogue entre générations et en contribuant à résoudre les petits conflits de la vie quotidienne. Par ailleurs, 150 équipes emploi-insertion seront également constituées et disponibles sur le terrain. Enfin, des crédits nouveaux sont ouverts pour la revitalisation économique des quartiers, et pour encourager le maintien et le développement des services publics.
Mais les dépenses qui vous sont proposées ne concernent pas seulement l'école, la santé ou la ville. En effet, il est prévu d'abonder à hauteur de 250 millions de francs la dotation de compensation de la taxe professionnelle, venant ainsi consacrer les progrès de l'intercommunalité qui a été voulue par le Gouvernement et dont le succès ne peut que nous réjouir collectivement.
M. Michel Sergent. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. En outre, la formation professionnelle des transporteurs routiers et le fonctionnement du Comité national routier sont améliorés.
La mise en oeuvre du plan d'urgence pour les prisons, dont la Haute Assemblée s'est saisie, est accélérée, avec des moyens pour la modernisation et la construction d'établissements pénitentiaires.
Plus de 200 millions de francs sont débloqués pour le programme de dépistage de la maladie dite « de la vache folle ».
Enfin, 50 millions de francs seront consacrés à la création artistique, et 40 millions de francs financeront un « appel à projets » en direction des initiatives d'économie solidaire.
Voilà l'essentiel des mesures que le Gouvernement soumet à votre approbation. Comme vous le voyez, elles s'incrivent dans la stratégie de long terme, cohérente et déterminée, en faveur d'une croissance au service de la lutte contre les inégalités. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après un long débat hier, au cours de l'après-midi et de la soirée, et même encore tôt ce matin jusqu'à une heure cinquante, sur des considérations de caractère général, nous passons à des considérations budgétaires et comptables plus précises avec ce projet de loi de finances rectificative.
Pour établir la liaison avec nos récents propos, je rappelle que le Gouvernement souhaite - cela figure dans le rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire, madame le secrétaire d'Etat, - entamer « une nouvelle étape pour la politique des finances publiques françaises ». A cette fin, il définit un certain nombre d'orientations : « la priorité est à la fois de réduire nos déficits et de viser des baisses significatives des impôts, pour aujourd'hui et pour demain, au travers de la charge de la dette publique que nous transmettons aux jeunes générations. La clé de voûte de cette stratégie des finances publiques est une évolution maîtrisée des dépenses publiques ».
A cela, bien entendu, la commission des finances ne peut que souscrire. Mais elle remarque que la réalité des choses est assez loin du verbe que vous maniez avec profusion. (Exclamations sur les travées socialistes.)
C'est la réalité des choses, mes chers collègues !
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous avons écouté Mme le secrétaire d'Etat avec attention et sans l'interrompre !
Mes chers collègues, on ne peut se contenter de pétitions de principe et de voeux pieux. Il faut quand même regarder la réalité des choses et des chiffres ! (Très bien ! sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Or que voyons-nous ? Nous rectifions une loi de finances votée très récemment en remettant au pot, en quelque sorte, 51 milliards de francs de surplus de recettes fiscales et non fiscales. Nous le savons, ce n'est que la suite de ce que l'on a appelé improprement - mais l'expression est sur toutes les lèvres - l'épisode de la cagnotte » ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. François Autain. Ma cassette !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et l'on sait - mais vous ne devriez pas vous en réjouir...
M. Michel Sergent. Mais si !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... que le Parlement a été particulièrement maltraité dans cette affaire puisque, pendant tout le second semestre de l'année 1999 et au cours des derniers mois encore, on nous a raconté des craques, mes chers collègues. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Si, on nous a raconté des histoires !
M. François Autain. Vous n'avez rien compris !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous pouvez me faire confiance, nous le démontrerons, chiffres et documents en mains ! Les informations, nous les connaîtrons et nous reconstituerons la réalité des choses !
M. Philippe Madrelle. C'est plus facile à dire qu'à faire !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous allons le faire tous ensemble ; nous avons d'ailleurs commencé l'exercice qui, je peux le dire, en gêne plus d'un, car c'est l'épreuve de vérité et c'est l'exercice des droits du Parlement.
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Jean Chérioux. C'est cela, la transparence !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous sommes donc en présence d'un surplus de recettes de 51 milliards de francs, pour une bonne part poussés consciencieusement et volontairement par le Gouvernement au-delà du 31 décembre 1999.
M. Michel Sergent. Il vaut mieux des cagnottes que des déficits !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ecoutez : soit on parle de comptes, soit on se borne à faire de la politique politicienne ! Et, si l'on parle de comptes, il faut une certaine permanence de méthode et que les comptes clos au 31 décembre répondent à certaines règles.
M. Charles Descours. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En fait, selon la commission, on a franchi allègrement l'exercice budgétaire pour pousser devant soi des recettes qu'on ne voulait pas avouer au titre de 1999. Et maintenant, au titre de l'exercice 2000, on redéploie ces recettes...
M. François Autain. Ce n'est pas bien grave ?
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais je suis prêt à écouter ce qu'on veut me dire !
M. Charles Descours. Ils n'ont pas d'arguments ! Ils n'ont que des invectives !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Répondre à des invectives, c'est difficile !
M. le président. Il ne faut pas répondre !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En revanche, je suis tout à fait prêt à répondre à des arguments.
Donc, ce collectif affiche plus de 51 milliards de francs de surplus de recettes fiscales et non fiscales, qu'il affecte à des mesures de baisse d'impôts éparses - ce qui répond plus à un souci électoraliste qu'à une volonté politique - à une augmentation de la dépense, pour 10 milliards de francs, et enfin, à titre infinitésimal, à une réduction du déficit budgétaire.
Le déficit budgétaire apparaît dans ce collectif à hauteur de 215 milliards de francs, alors même que Mme le secrétaire d'Etat vient de nous dire que le bon chiffre est 200 milliards de francs. Il est difficile de comprendre pourquoi on nous fait voter un collectif avec 215 milliards de déficit si le véritable chiffre est 200 milliards de francs !
M. François Autain. Mme le secrétaire d'Etat l'a expliqué.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les questions qui ont été posées hier à ce sujet n'ont pas reçu de réponses. Soit un document budgétaire est un document sincère et reflète les meilleures prévisions possibles de recettes et de dépenses, soit c'est un document de convenance ! Si le ministre pense que le bon chiffre est 200 milliards de francs, c'est le seul qu'il doit faire apparaître ; c'est une question de bon sens !
En fait, je pense que M. le ministre, qui a pris connaissance de ce document au moment où il est entré en fonctions, n'a pas pu ne pas être quelque peu choqué intellectuellement de constater que les 215 milliards de francs affichés sont supérieurs aux 206 milliards de francs avoués pour la clôture de l'exercice de 1999. Il y a là quelque chose de surprenant et difficile à expliquer.
Dans ce cadre, que je me suis permis de rappeler brièvement, quelles sont les analyses et propositions de la commission des finances.
La commission estime tout d'abord que les principes annoncés doivent être traduits dans les faits.
Or vous annoncez, madame le secrétaire d'Etat, une maîtrise des dépenses publiques, vous annoncez aussi pour la fin de l'année 2000 d'éventuelles réductions des dépenses publiques, et vous commencez par faire approuver 10 milliards de francs de dépenses supplémentaires ! Certes, ces dépenses sont pour une part des dépenses exceptionnelles liées aux phénomènes climatiques, mais il s'agit aussi de dépenses supplémentaires de fonctionnement affectant un certain nombre de rubriques, comme l'éducation nationale, ainsi que l'expliquait fort bien hier soir notre collègue M. Darcos, entre autres.
La commission des finances estime que les 10 milliards de francs en question, dont elle ne conteste pas la nécessité, doivent être financés par redéploiement, c'est-à-dire grâce à des économie réalisées sur d'autres rubriques, économies qui ne sauraient concerner les budgets régaliens, à savoir la défense, les affaires étrangères, l'intérieur et la décentralisation, les anciens combattants, la justice, etc. Un effort d'environ 1 % doit donc porter sur les dépenses de fonctionnement des budgets civils non régaliens figurant aux titres III et V. C'est une affaire de volonté : sur une assiette globale de 1 000 milliards de francs, cet effort peut être accompli.
Comme plusieurs de nos collègues l'ont noté au cours de la séance d'hier, je ferai observer que, si le fonctionnement continue à progresser, l'investissement, lui, marque le pas. Nous ne pouvons pas ne pas tirer à nouveau la sonnette d'alarme sur cet aspect des choses. Les budgets militaires, notamment, nous semblent mal traités.
Qu'en est-il exactement à ce sujet ?
Des crédits d'équipement sont annulés pour financer une commande de vingt-sept hélicoptères, conformément au programme NH 90. Cette décision d'équipement militaire et de technique industrielle avait d'ailleurs déjà été prise. Elle est confirmée. Et vis-à-vis du monde militaire, on fait apparaître cela comme un élément positif. Mais, parallèlement, d'autres crédits d'équipement conformes à la programmation militaire et prévus dans les documents budgétaires pour l'an 2000 sont annulés plus que proportionnellement. Le tour de passe-passe est assez surprenant, d'autant plus que le programme d'achat d'hélicoptères nécessite non pas 6,9 milliards de francs, ce que vous faites apparaître comme un élément positif, mais 8 milliards de francs. En conséquence, l'annuité prévue dans le collectif budgétaire est d'ores et déjà insuffisante pour faire face à cet engagement.
Je mentionne cet élément parmi d'autres pour démontrer une nouvelle fois combien la politique conduite en la matière, non conforme à la programmation militaire, est regrettable et susceptible de soulever des doutes, des problèmes, à la fois réels et psychologiques, au sein de nos forces armées, avec toutes les conséquences qui en résulteront et qu'il faudra ensuite gérer, ce qui nous promet bien des difficultés.
La commission des finances propose donc un redéploiement de 10 milliards de francs pour compenser les dépenses nouvelles qui nous seront soumises.
S'agissant des prélèvements obligatoires, vous connaissez nos convictions ; je les ai exprimées hier, et je n'y reviendrai donc pas. Je dirai simplement que j'ai été surpris d'entendre M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la nuit dernière, aller jusqu'à contester la notion de prélèvements obligatoires. Il s'est exprimé comme si cette notion était gênante, ne cadrant pas avec son argumentation générale. Lorsqu'une notion est gênante, lorsqu'elle n'entre pas dans le langage officiel, mieux vaut donc l'écarter, comme d'autres ont pu effacer les visages de certaines photographies !
Et pourtant, le taux des prélèvements obligatoires, le poids des impôts et des cotisations sociales demeurent des préoccupations tout à fait fondamentales, surtout lorsque l'on compare la situation de notre pays à celle de ses principaux partenaires en Europe.
Il est donc nécessaire - la commission des finances ne peut que réitérer ce point de vue - d'assigner des objectifs assurant notre compétitivité. Il s'agit, je le répète, de ne pas être plus mauvais que notre principal partenaire - l'Allemagne - c'est-à-dire de nous fixer un taux de prélèvements obligatoires - impôts et cotisations sociales - qui ne soit pas, d'ici à trois ans, supérieur à celui de l'Allemagne. Cela suppose un réel effort de réduction des prélèvements obligatoires de 250 milliards de francs en l'espace de trois ans, mais aussi de ralentissement des dépenses publiques à un rythme annuel inférieur à 1 % en volume. Manifestement, cela peut être fait et serait opportun en termes de politique économique, afin d'avoir un effet anticyclique, alors que la politique que vous menez tire parti de la belle croissance et des tendances favorables de la consommation sans réellement préparer l'avenir.
Venons-en, si vous le voulez bien, mes chers collègues, au contenu fiscal de ce collectif budgétaire.
Je le considère comme décevant, car l'efficacité économique à terme des baisses d'impôt que vous nous proposez me semble vraiment sujette à caution. Or il est temps de faire quelque chose dans ce domaine. Selon vos propres chiffres - sans doute est-ce l'illustration du fameux théorème Strauss-Kahn - les prélèvements obligatoires ont augmenté de 435 milliards de francs entre 1997 et 2000. Hier, M. Fabius a eu l'air de s'étonner de ces évaluations en demandant d'où elles émanaient. Mais, madame le secrétaire d'Etat, notre source est la réponse à la question n° 29 du questionnaire de la commission des finances et vient donc de chiffres établis par vos services ! Nous avons comparé la somme des prélèvements obligatoires pour 2000 et ceux de 1997. Nous n'avons rien inventé.
Bien entendu, les baisses d'impôt proposées doivent être acceptées, mais nous nous interrogeons sur la méthode que vous utilisez en ce qui concerne la taxe d'habitation. Nous ne sommes pas favorables à la réduction de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous proposerons donc au Sénat le maintien de la part régionale, mais nous proposerons également un effort fiscal en faveur des contribuables de l'ordre de 12 milliards de francs au total, soit un effort quelque peu supérieur à celui que vous préconisez. Sur ces 12 milliards de francs, 10 milliards de francs bénéficieront aux contribuables à la taxe d'habitation et 2 milliards de francs aux contribuables à la taxe foncière, contribuables qu'ils ne faut pas oublier non plus.
Nous sommes favorables à la simplification, à l'harmonisation des dispositifs de dégrèvement, mais nous considérons que, par la suppression des frais d'assiette et d'évaluation, il est tout à fait possible d'apporter aux contribuables locaux ce soulagement de 12 milliards de francs.
Nous allons un peu plus loin que vous sur un certain nombre de sujets. Je citerai à ce propos les amendements que nous avons déposés concernant le régime fiscal des sociétés de capital risque.
Je voudrais également évoquer - je sais que c'est un sujet auquel s'intéresse particulièrement M. le président du Sénat...
M. François Autain. Le quinquennat !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... les problèmes fiscaux et de trésorerie rencontrés par un grand nombre d'entreprises touchées par la marée noire.
M. Serge Vinçon. Il a raison !
M. François Autain. Heureusement qu'il est là !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela vous surprend, monsieur Autain ? Je pense que cela devrait vous faire plaisir ? J'espère donc que vous voterez avec enthousiasme l'amendement que nous avons déposé, après concertation avec de nombreux élus locaux de ces régions, concernant les reports d'imposition pour les entreprises situées dans les départements, dont le vôtre, victimes de la marée noire.
Il est effectivement nécessaire d'aider les entreprises qui peuvent connaître des situations de trésorerie délicates - je pense notamment à celles qui oeuvrent dans les activités touristiques - à franchir un cap difficile.
C'est une mesure qui ne figure pas dans les préconisations du Gouvernement et qui peut, me semble-t-il, utilement s'y ajouter. En tout cas, elle ne me paraît pas mériter votre ironie, car elle concerne des entreprises et des emplois tout à fait réels dans un certain nombre de départements qui ont été durement frappés.
M. François Autain. Ce n'est pas cela qui suscite notre ironie !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Enfin, mes chers collègues, nous vous soumettrons diférentes suggestions sur des sujets de nature institutionnelle, s'agissant en particulier des prérogatives des commissions des finances et du rôle des rapporteurs spéciaux. Nous comprenons bien que les demandes formulées à cet égard par l'Assemblée nationale doivent être appréciées dans le cadre de relations bilatérales entre le Gouvernement et sa majorité plurielle.
Dans le cours de la discussion, madame le secrétaire d'Etat, je serai amené à vous interroger plus avant sur ces sujets, lorsque seront examinés les articles 15 A à 15 D du projet de loi.
Nous restons par ailleurs un peu perplexes devant l'article 21, qui tend à améliorer - sur le papier - l'information du Parlement quant aux relations entre l'Etat et la sécurité sociale. Nous vous donnons bien entendu acte des bonnes intentions ainsi affichées, mais Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, serait mieux placé que moi pour rappeler nos demandes communes de discussion consolidée, des perspectives financières de l'Etat et des organismes de sécurité sociale.
En effet, de plus en plus, les débats limités à la seule loi de finances que nous tenons prennent un caractère sinon surréaliste, du moins très partiel. Nous savons bien que nous ne parlons plus que de 40 % environ des prélèvements obligatoires, les 60 % restants prenant naissance dans d'autres textes, avec des affectations qui obéissent à d'autres règles juridiques et financières.
Au titre des initiatives qu'elle vous proposera, mes chers collègues, la commission des finances vous demandera également de confirmer votre position sur le régime de France Télécom en matière de taxe professionnelle. Nous avions déjà voté sur ce point, notamment lors de la discussion de la loi de finances initiale pour 1999, et nous demanderons au Sénat de réitérer la position qu'il avait alors adoptée.
Il semble important, dans l'intérêt tant de nos collectivités territoriales que de France Télécom, d'amener cette entreprise à respecter le droit commun des impôts locaux, sans pour autant, bien sûr, nier les problèmes de répartition que posent les impositions susceptibles d'être levées sur France Télécom
La proposition que nous formulerons visera donc à affecter 50 % d'une taxe professionnelle calculée dans les conditions de droit commun aux communes sur le territoire desquelles s'exercent les activités et 50 % au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
J'en termine en rappelant que le collectif que nous examinons aujourd'hui suscite de la part de la commission un sentiment d'insatisfaction. A la vérité, il s'agit d'un texte d'attente, d'un texte de rattrapage après les atermoiements de l'année dernière. (Protestations sur les travées socialistes.) C'est un texte qui est dépassé par les faits avant même d'être voté. Il nous contraint à nous prononcer sur des chiffres dont M. le ministre lui-même nous dit qu'ils ne sont pas complets, ce ministre qui manie le terme de transparence avec une habileté que nous saluons tous, mais à qui nous demandons de mettre sa pratique gouvernementale en harmonie avec les principes qu'il énonce et auxquels l'ensemble du Sénat ne peut pas ne pas souscrire.
Entre les intentions et les faits, il est tentant d'établir des comparaisons. Or nous avons, à cet égard, une expérience toute récente : celle de l'année 1999, au cours de laquelle, c'est le moins que l'on puisse dire, la transparence n'a pas régné de manière incontestable sur les relations entre le Gouvernement et le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur celles du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. L'année 1997 a aussi été une année importante !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Gouvernement s'est soudain senti contraint de rédiger à la hâte un collectif budgétaire, celui que nous sommes appelés à examiner cet après-midi.
Pourtant, ce collectif aurait pu, selon moi, être évité. Contrairement à l'objectif qu'il affiche, M. le rapporteur général vient de le dire, il ne contribue même pas à éclairer la nation.
Les gouvernements proposent, en général, un collectif budgétaire au printemps lorsqu'ils réorientent sensiblement la politique des finances du pays. C'est le cas, par exemple, lors d'un changement de majorité à l'Assemblée ou lors d'un changement de gouvernement, ce qui n'est pas le cas, du moins pour l'instant.
Certes, ce projet prévoit trois réductions d'impôt, concernant la TVA, l'impôt sur le revenu et la taxe d'habitation. Mais ces réductions d'impôts ne sont pas révolutionnaires. Tout en entrant en vigueur cette année, elles auraient pu figurer dans la loi de finances pour 2001 ou dans la loi de finances rectificative de fin d'année.
Quant aux ouvertures de crédits, si l'on souhaite vraiment que la représentation nationale en débatte, il aurait été bien préférable de nous les soumettre avant qu'elles ne soient décidées. Sous cette réserve, elles auraient d'ailleurs pu être, comme c'est l'habitude, ratifiées dans le collectif de fin d'année.
Non, la vraie raison de ce collectif est tout simplement que la loi de finances adoptée pour 2000 était erronée, et elle l'était dès son dépôt sur le bureau des assemblées. Après s'être obstinée à ne pas vouloir changer quoi que ce soit pendant les trois mois de débat parlementaire, de septembre à décembre 1999, le Gouvernement a fini par reconnaître dès février 2000 - l'encre de la loi de finances était à peine sèche ! - qu'il fallait revoir substantiellement l'équilibre de cette loi.
M. René-Pierre Signé. Parce qu'il y a eu la croissance, et c'est le signe d'une réussite !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Reste une énigme, mais je ne doute pas que M. Signé pourra l'élucider. Le Gouvernement a-t-il cherché à cacher des éléments qui étaient en sa possession dès cet hiver ? Ou bien ne disposait-il pas des instruments lui permettant de réviser ses hypothèses en temps réel ?
M. François Autain. Voilà, c'est cela !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Quel est votre sentiment, mes chers collègues ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Mensonge ou incompétence ?
M. Jean-Claude Carle. Les deux !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Dans les deux cas, les finances de notre pays sont bien mal pilotées ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Afin de vous montrer toute l'objectivité de la majorité sénatoriale, je dirai que cela ne date pas d'aujourd'hui.
Nous essaierons donc de déterminer, dans le cadre des travaux pour lesquels le Sénat a doté la commission des prérogatives de commission d'enquête, laquelle de ces deux tristes hypothèses doit être privilégiée.
Quoi qu'il en soit, si le Gouvernement, dont vous faisiez d'ailleurs déjà partie, madame le secrétaire d'Etat, avait davantage accepté le dialogue lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2000, il aurait échappé à ce pensum qu'est le collectif. C'est le défaut d'information des assemblées lors de l'examen du projet de loi de finances - un défaut qui est totalement aberrant dans un pays moderne et démocratique - qui a engendré ce collectif.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il n'aurait jamais dû exister, et j'espère que nous n'aurons pas à en connaître d'autres de ce type.
Au surplus, ce collectif n'atteint pas l'objectif fixé, qui devrait être de fournir un éclairage à la nation sur l'état de nos finances publiques, qui demeurent toujours aussi opaques.
En effet, cet acte budgétaire demeure, même si le mot est un peu sévère, tronqué, et ce au moins à trois points de vue.
En premier lieu, le Gouvernement s'apprête à lancer sa procédure d'attribution des licences de téléphones mobiles de la troisième génération : 130 milliards de francs, mes chers collègues ! Une petite somme !
M. Ladislas Poniatowski. Une nouvelle et bien belle cagnotte !
M. Serge Vinçon. Ce n'est pas rien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh bien ! mes chers collègues, on ne trouve aucune trace financière de ces 130 milliards de francs dans le document budgétaire qui nous est proposé.
M. Gérard Cornu. C'est cela, la transparence des socialistes !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. En deuxième lieu, alors que le Gouvernement révise les hypothèses de la loi de finances, il ne le fait pas pour les hypothèses de la loi de financement de la sécurité sociale, qui sont pourtant les mêmes, et je parle ici sous le contrôle du président de la commission des affaire sociales, Jean Delaneau, et de Charles Descours.
En toute logique, les recettes de sécurité sociale devraient être réévaluées d'au moins 14 milliards de francs, si l'on suit les estimations de l'OFCE.
En troisième lieu, une question se pose : de quoi débattons-nous, mes chers collègues ? Dans ce projet, sont soumis au vote des assemblées des recettes, très précisément fixées, au franc près, des dépenses et un déficit. Toutefois, le ministre ajoute, comme M. le rapporteur général l'a souligné, que ces chiffres ne sont sans doute pas les bons puisque l'on affiche un déficit de 215 milliards de francs mais qu'il sera probalement de 200 milliards de francs.
Comment parvient-on à ce résultat ? Est-ce que ce sont les recettes qui seront modifiées ? Seront-ce les dépenses ? Ou bien les deux ? Dans une loi de finances, il serait quand même utile d'obtenir des réponses sur ce sujet.
En effet, les chiffres qui vous sont soumis, mes chers collègues, sont liés à des calculs savants. Mais le seul calcul savant que nous ne pouvons pas faire, c'est celui du montant précis des recettes estimées à la date d'aujourd'hui et celui du montant des dépenses. En tout cas, lors de l'examen du collectif de fin d'année, nous essaierons de comprendre les raisons pour lesquelles il ne nous est pas donné davantage de précisions aujourd'hui.
Dès lors, à quoi rime ce débat ? Au fond - le rapporteur général a esquissé cette hypothèse - ne s'agit-il pas de donner un habit flambant neuf de transparence à la présentation de nos finances publiques ? Si tel est l'objectif, beaucoup de progrès restent à faire.
Je relève d'ailleurs que nos collègues de la commission des finances de l'Assemblée nationale ne se contentent pas des éléments fournis par le Gouvernement puisqu'ils ont jugé utile d'étendre les prérogatives des rapporteurs généraux et des rapporteurs spéciaux des commissions des finances.
Ce collectif, madame la secrétaire d'Etat, ne m'inspire guère. Je doute qu'il soit d'une franche opportunité et, s'agissant de la transparence, mieux vaudrait que vous comptiez sur notre commission des finances pour continuer à vous y encourager, de manière que, comme le prescrit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tous les citoyens exercent effectivement leur « droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
En vérité, mes chers collègues, ce n'est pas notre droit, c'est notre devoir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN,
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il n'est pas habituel que le rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale intervienne dans une loi de finances rectificative. Mais nous n'avons pas, pour l'instant, de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. C'est pourtant un budget, comme viennent de le rappeler M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, plus important que celui de l'Etat.
Si le budget de l'Etat n'est pas aussi transparent que le souhaiterait la commission des finances, que dire des lois de financement de la sécurité sociale ? Mais il paraît que nous sommes au début de la démocratie sociale ! Je souhaiterais qu'elle avance un peu plus vite.
Si la commission des affaires sociales a demandé à être saisie pour avis du collectif budgétaire de printemps, ce n'est pas seulement parce que quelques ajustements de crédits ont été opérés sur divers budgets sociaux relevant de la loi de finances. Ce n'est pas non plus pour examiner les crédits budgétaires mobilisés par la « nouvelle étape hospitalière », selon l'expression utilisée par Mme Aubry, décidée par le Gouvernement dans le protocole du 14 mars dernier.
Vous venez de le souligner, madame la secrétaire d'Etat, 2 milliards de francs sont inscrits en dépenses ordinaires dans un chapitre nouveau intitulé « aide exceptionnelle au service public hospitalier » et vous avez noté - c'est exact, d'ailleurs - que ces 2 milliards de francs ont vocation à financer les remplacements de personnel.
Par ailleurs, 100 millions de francs complètent la dotation en crédits de paiement du fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO.
Mais, je souhaite insister sur ces 2 milliards de francs. Je comprends bien, madame la secrétaire d'Etat, la logique qui autorise le subventionnement par l'Etat d'investissements hospitaliers. Je ne comprends pas, en revanche, celle qui conduit aujourd'hui le Gouvernement à inscrire au budget de l'Etat des dépenses de fonctionnement, en l'occurrence des dépenses de personnel. Je me fais ici le porte-parole des représentants des dirigeants hospitaliers qui sont très inquiets à ce sujet.
En effet, les personnels hospitaliers sont normalement payés par l'assurance maladie au travers de la dotation globale hospitalière ; c'est en tout cas ainsi depuis de nombreuses années. Ce nouveau financement par le budget de l'Etat répond-il à une évolution des principes de financement de notre système de santé et à un changement de nature ? Si tel est le cas, il faut le dire et ce nouveau pas vers une nationalisation de la sécurité sociale doit donner lieu à un débat et non pas se faire en catimini, car il s'agit d'un changement radical de politique.
Dans le cas contraire, madame la secrétaire d'Etat - et là vous êtes tout à fait dans vos fonctions - quelle sera la pérennité de ces crédits ?
J'ai bien entendu Mme Aubry : quand elle a parlé d'un plan de 10 milliards de francs, elle a clairement indiqué que le Gouvernement s'engageait pour trois ans. J'en prends acte ! Mais je voudrais rappeler que les crédits budgétaires sont votés chaque année et peuvent être périodiquement remis en cause. Au bout de ces trois ans, que fera-t-on des personnels qui auront été recrutés pendant ce temps-là ?
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est la même logique que pour les emplois-jeunes !
M. Charles Descours, rapporteur pour avis. Effectivement, monsieur Fourcade !
J'ai rencontré les représentants des hôpitaux : ils se réjouissent de cette manne hospitalière, justifiée. Voyez que je suis plein de mansuétude pour le Gouvernement ! Mais, dans trois ans, comment va-t-on payer ces personnels ?
En fait, ces crédits budgétaires ne sont que la partie d'un tout. Parallèlement, en effet, le Gouvernement a décidé une dépense supplémentaire - qui ne figure évidemment pas dans la loi de finances - de près de 2 milliards de francs à la charge de l'assurance maladie, qui majore donc du même montant l'objectif de dépenses de cette branche de la sécurité sociale, et dont plus de 1 milliard de francs s'impute sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, le fameux ONDAM, le reliquat étant inscrit au fonds d'accompagnement social pour la modernisation des établissements de santé, le FASMO, et constitue une dépense de l'assurance maladie non incluse dans l'ONDAM.
Il serait injuste de reprocher au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie que sa collègue la ministre de l'emploi et de la solidarité n'ait pas jugé bon de présenter au Parlement un collectif social qui aurait permis d'aborder, dans le cadre qui convient, cette nouvelle étape hospitalière. Je rappelle au Parlement, si besoin était, que ce qui a été décidé par la loi doit être modifié par la loi.
Je constate en outre que, lors de la discussion de ce collectif budgétaire à l'Assemblée nationale, ni Mme Aubry ni Mme Gillot n'ont jugé bon d'intervenir.
L'exposé des motifs du présent projet de loi consacre seulement un paragraphe de cinq lignes au « programme annoncé par la ministre de l'emploi et de la solidarité » et conclut : « la modernisation des hôpitaux pourra ainsi être menée dans des conditions budgétaires satisfaisantes ».
Nous ne pouvons que prendre acte de la volonté du Gouvernement de refuser tout débat sur la « nouvelle étape hospitalière » décidée par Mme Martine Aubry. C'est, en réalité, une curieuse conception du Parlement qui semble prévaloir dans le domaine social.
Ainsi, le Gouvernement modifie, de son propre chef, les objectifs de dépenses votés solennellement par le Parlement. Je rappelle que, avant la réforme de 1996, le vote par le Parlement d'un « budget social » avait été demandé par tous les groupes, qui avaient déposé des propositions de loi en ce sens.
Le Parlement vote donc solennellement, depuis 1996, cette loi de financement.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, l'objectif de dépenses de la branche maladie est arrêté par l'article 39. L'objectif national de dépenses de l'assurance maladie est fixé par l'article 40.
Par ailleurs, cette loi crée un fonds de financement des trente-cinq heures et prévoit que des parlementaires doivent siéger à son conseil de surveillance. Ce fonds est en principe opérationnel depuis le 1er janvier 2000 mais, curieusement, le Gouvernement n'a toujours pas demandé au Parlement de désigner ses représentants, chargés pourtant de contrôler la gestion des flux financiers considérables qui transiteront par ce fonds.
En revanche, le Gouvernement décide de son propre chef, le 21 mars dernier, de créer un Conseil d'orientation des retraites. Au cours de mon intervention de cette nuit, j'ai cité les propos étonnants de son président : surtout ne pas proposer de réforme !
Dès le 10 mai, le décret est publié. Dans la foulée, le président de ce conseil est désigné - un haut fonctionnaire - et la date de la première réunion est fixée. Accessoirement, le Parlement est sommé de désigner toutes affaires cessantes - nous venons de le faire au début de cette séance, monsieur le président - ses représentants dans cette instance qui est chargée - rappelons-le - de conseiller le Premier ministre et de lui rédiger des rapports.
D'ailleurs, je n'ai pas très bien compris à quel article de la Constitution on faisait référence en demandant aux parlementaires de rédiger des rapports pour le Premier ministre !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas constitutionnel !
M. Charles Descours, rapporteur pour avis. On voit bien que le Gouvernement fait peu de cas de ce qui figure dans la loi. En revanche, pour essayer de faire croire qu'il agit en matière de retraites, alors que chacun sait qu'il ne fait rien, il crée ce Conseil d'orientation des retraites. Or il a été clairement indiqué, lors de sa première réunion, qu'il n'y aura pas de « grand soir » des retraites, parce qu'il faudrait être plus courageux que velléitaire.
Le Parlement aurait aimé que pareille célérité s'appliquât aux organismes qu'il a lui même décidé de créer par la loi.
Curieuse conception de la hiérarchie des normes, de l'ordre des priorités et du rôle du Parlement sur laquelle j'aurais souhaité recueillir le sentiment, non pas du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui était présent la nuit dernière, mais bien de l'ancien président de l'Assemblée nationale.
Pourquoi la commission des affaires sociales s'est-elle saisie pour avis du collectif budgétaire ? Parce qu'elle s'inquiète, comme la commission des finances, de la cohérence des comptes de l'Etat avec ceux de la sécurité sociale.
De quoi s'agit-il ?
Vous vous souvenez, mes chers collègues, que la branche famille verse une allocation de rentrée scolaire, qui est une prestation familiale de l'ordre de 430 francs, à laquelle les familles sont légitimement attachées, ainsi que nous-mêmes, sur quelque travée que nous siégions.
Le Gouvernement avait pris l'habitude, depuis 1993, de décider une majoration substantielle de cette allocation, majoration qui, naturellement, était à la charge du budget de l'Etat, puisque c'était une décision de l'Etat. Cette majoration n'était pas automatique et le Gouvernement se réservait la possibilité de prendre cette décision en cours d'année. Aussi, les crédits nécessaires - et c'était tout à fait logique - figuraient non pas dans la loi de finances initiale, mais dans la loi de finances rectificative et, de fait, dans le collectif de fin d'année.
La Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, faisait l'avance des sommes versées en septembre et n'était remboursée généralement qu'avec quatre mois de retard.
En juillet 1999, changement de décor ! Lors de la Conférence de la famille, le Gouvernement - par la voix du Premier ministre ! - annonce solennellement la pérennisation de cette majoration. Le « relevé de décision » de cette conférence en témoigne : « ce Gouvernement a décidé de pérenniser l'allocation de rentrée scolaire majorée. » Bravo !
Mais cette bonne nouvelle pour les familles est accompagnée d'une moins bonne nouvelle pour la sécurité sociale : c'est la branche famille qui doit prendre progressivement en charge cette majoration, qui représente la modique somme de 7 milliards de francs.
A titre de modeste contrepartie, le Gouvernement annonce qu'il décharge la branche famille des dépenses du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leur famille, le FASTIF, soit 1 milliard de francs.
Dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, une première tranche de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire est mise à la charge de la branche famille, soit 2,5 milliards de francs.
Mais, première surprise, ni le reliquat de cette majoration pérennisée ni les crédits du FASTIF, soit au total 5,5 milliards de francs, ne sont symétriquement inscrits dans la loi de finances pour 2000.
Votre rapporteur pour avis, qui est tout indulgence à l'égard du Gouvernement, veut bien croire que ce dernier avait alors quelques raisons techniques à faire valoir : le projet de loi de finances a été déposé avant le projet de loi de financement ; les comparaisons entre lois de finances initiales sont plus lisibles lorsqu'elles peuvent être faites à structure constante. Or la majoration de l'allocation de rentrée scolaire était inscrite traditionnellement dans le collectif budgétaire.
En revanche, madame la secrétaire d'Etat, il est proprement incompréhensible que cette prestation, qui sera versée en septembre 2000, ne soit pas inscrite dans le collectif budgétaire de printemps dont nous sommes en train de discuter.
Dès lors, il y a un défaut de sincérité quelque part : soit dans les comptes de l'Etat - le président de la commission des finances le disait voilà un instant - soit dans les comptes de la sécurité sociale, soit encore dans le discours que l'on tient aux familles, ce qui serait encore pire et je n'ose y croire.
Première hypothèse : le Gouvernement n'entend inscrire ces 5,5 milliards de francs que dans le collectif de fin d'année. Ce choix appelle trois observations.
Cela veut dire, d'abord, que la branche famille, en septembre prochain, devra en faire l'avance au prix d'une majoration par décret des plafonds d'emprunt autorisés par le Parlement et, en tout état de cause, d'une charge de trésorerie qui est totalement injustifiée, dès lors que le Gouvernement dispose de l'instrument qu'est le collectif budgétaire de printemps et peut donc mobiliser les fonds nécessaires en temps utile, d'autant que le Gouvernement lui-même l'a annoncé l'année dernière.
Mais cela signifie également que les comptes de l'Etat pour 2000, tels qu'ils sont présentés au Parlement, ne sont pas sincères, car ils n'intègrent pas une dépense certaine.
Mes chers collègues, moi je crois, comme l'opinion, ce que dit M. le Premier ministre : il dit que l'Etat va prendre en charge ces 5,5 milliards de francs. Cela ne figure nulle part ! Cela veut dire, que ces comptes ne sont pas sincères. En d'autres termes, le déficit de l'année 2000, serait non pas de 215 milliards de francs mais de 220 milliards de francs. Il est vrai que M. Fabius nous a dit hier qu'il s'élèverait peut-être à 200 milliards de francs. Alors, 200, 215, ou 220 milliards de francs...
Tout cela, M. le rapporteur général vient de le souligner, est d'une confusion absolue. Je rappelle que le désir de transparence qui anime le ministère des finances a été rappelé à plusieurs reprises hier par M. Fabius. Nous souhaitons vivement que cette transparence concerne aussi les comptes sociaux.
Peut-être le Gouvernement entend-il cultiver les effets d'annonce jusqu'au bégaiement. En effet, en juillet 1999, il a décidé solennellement de pérenniser l'allocation de rentrée scolaire majorée. Or, comme la Conférence de la famille se réunit le 15 juin 2000, peut-être va-t-il annoncer la majoration de l'allocation de rentrée scolaire de 2000. Mais nous lui rappellerons alors qu'il l'avait déjà annoncée l'année dernière. Certes, mieux vaut se répéter que se contredire, mais il faut tout de même tenir compte des décisions que l'on annonce. La commission des affaires sociales du Sénat s'est donc résolue à envisager une autre hypothèse, tout à fait inquiétante, qui seule pourrait expliquer l'absence de cette dépense certaine dans le collectif de printemps.
Cette deuxième hypothèse, peut-être plus grave encore, serait la suivante : le Gouvernement a décidé de transférer à la charge de la branche famille dès 2000 - je puis vous dire que les associations familiales sont inquiètes - et sans compensation l'intégralité de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire.
Je rappelle que, le 6 avril dernier, M. le Président de la République prenait la défense d'une politique familiale ambitieuse et estimait qu'« il est indispensable de garantir la progression des recettes de la branche famille et d'appliquer scrupuleusement ce principe fondamental de la sécurité sociale qui veut que les excédents de la Caisse nationale d'allocations familiales ne puissent être dérivés pour le financement d'autres branches ». Nous avons même voté, en 1994, une loi qui l'interdit. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas, contrairement à ce qu'a annoncé Mme Aubry, un excédent de 250 millions de francs de la sécurité sociale. Il y a un excédent de la branche famille de quatre milliards de francs, un excédent de la branche retraite de cinq milliards de francs et un déficit de la branche maladie de neuf milliards de francs. Voilà la réalité des comptes de la sécurité sociale !
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
M. Jean Chérioux. En effet !
M. Charles Descours, rapporteur pour avis. Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, le Gouvernement a, en effet, détourné une partie du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine pour la transférer de la branche famille vers le fonds de réserve pour les retraites.
Si la deuxième hypothèse que je suis en train d'évoquer se vérifiait, cela voudrait dire qu'une nouvelle ponction de 5,5 milliards de francs aurait lieu sur la branche famille, ce qui serait une décision d'une exceptionnelle gravité.
Ce faisant, j'observe que la branche famille financerait indirectement, et bien au-delà, la contribution budgétaire de deux milliards de francs que vous venez de nous annoncer, madame le secrétaire d'Etat.
En tout cas, si cette hypothèse était exacte, cela voudrait dire que, cette fois, ce sont les comptes sociaux qui ne sont pas sincères et que la commission des comptes de la sécurité sociale, qui s'est réunie le 22 mai dernier, a présenté des chiffres erronés pour l'exercice 2000 : l'excédent de la branche famille pour 2000, évalué à 4,5 milliards de francs, recouvrirait, en réalité, un déficit d'un milliard de francs. Nous verrons bien !
Ou bien les comptes de l'Etat ne sont pas sincères ou bien les comptes de la sécurité sociale ne le sont pas et une ponction lourde sera opérée sur la branche famille.
Voilà quelques jours, M. Alain Vasselle, M. Jacques Machet et moi-même avons présenté un rapport d'information sur ce sujet. Nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Cela étant dit, puisque vous seule, madame le secrétaire d'Etat, avez la possibilité de déposer des amendements « dépensiers », je vous suggère, pour lever cette ambiguïté et afin que le Gouvernement montre la sincérité des comptes tant du budget de l'Etat que du budget des affaires sociales, de déposer un amendement visant à majorer les crédits budgétaires des 5,5 milliards de francs nécessaires au financement de l'allocation de rentrée scolaire qui sera versée aux familles en septembre prochain.
M. Jean-Pierre Raffarin. On l'appellera « l'amendement Descours » !
M. Charles Descours, rapporteur pour avis. Je vous assure, madame le secrétaire d'Etat, que les familles vous en seront très reconnaissantes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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