Séance du 21 juin 2000






PRESTATION COMPENSATOIRE
EN MATIÈRE DE DIVORCE

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 397, 1999-2000) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.
Dans la discussion générale, la parole est à M. lerapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au fil des lectures successives, nous avons le bénéfice d'avoir des ministres différents. Nous nous réjouissons, notamment, de la polyvalence de M. Besson. Mais nous connaissons les difficultés de fin de session. Pourtant, je crois que c'est un moment important du travail parlementaire. La prestation compensatoire en cas de divorce est en effet resté un problème récurrent.
En fait, la loi de 1975 a cherché à régler définitivement les problèmes, notamment pécuniaires, rencontrés par les époux à la suite d'un divorce. Or tel n'a pas été lecas.
En effet, la plupart du temps, la prestation compensatoire était versée sous la forme non pas d'un capital, ce qui était la règle, mais d'une rente, générant ainsi des injustices et des situations humaines difficiles à supporter.
Hélas ! la jurisprudence de la Cour de cassation, trop rigide, n'a pas permis de procéder à des révisions qui, pourtant, à l'évidence, auraient pu être possibles. C'est pourquoi le Sénat, sur l'initiative de Nicolas About et de Robert Pagès, avait proposé d'examiner les possibilités de révision de la prestation compensatoire et avait pris des dispositions pour permettre cette révision. L'Assemblée nationale s'est saisie de cette question deux ans après puisque l'on attendait une grande loi sur le droit de la famille. Celle-ci viendra un jour en discussion, mais elle n'est pas encore mûre.
Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont estimé que les bases sur lesquelles le Sénat avait travaillé étaient intéressantes, ce dont nous nous réjouissons. L'Assemblée nationale a également apporté des contributions non négligeables, notamment en favorisant le versement en capital de la prestation compensatoire. Bien entendu, lors de ces débats, des dispositions importantes faisaient défaut : les mesures fiscales. En effet, tout était fait, fiscalement, pour favoriser le versement d'une rente. Les juges comme les parties privilégient donc ce mode deversement.
Le Sénat a approuvé ces dispositions en deuxième lecture et il a alors, sur proposition du Gouvernement, adopté des mesures fiscales.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale n'a pas profondément modifié le texte voté par le Sénat puisque seuls quatre articles restent en discussion. Ce sont des points relativement mineurs par rapport au grand débat que nous avons eu : il s'agit de l'assouplissement des possibilités de révision du montant des rentes, de la prééminence donnée au versement en capital et surtout - nous en avons longuement débattu tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, en expliquant qu'il n'était pas possible de le supprimer - du maintien de la transmission de la charge de la prestation compensatoire aux héritiers.
Bien entendu, une possibilité de révision de la prestation compensatoire est ouverte aux parties, notamment aux héritiers, si leur situation connaît une évolution par rapport à celle des créanciers. Mais il est apparu impossible de supprimer totalement la transmissibilité de la prestation compensatoire lors du décès du débiteur sans risquer de créer des situations injustes. Ce dispositif ne peut être systématique puisque toutes les mesures que nous avons votées visent précisément, à permettre des révisions en fonction de l'évolution des situations.
Nous espérons que, pour l'avenir, le capital sera la règle et la rente l'exception. Bien sûr, à l'heure actuelle, la possibilité de révision existe.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a apporté une précision utile en ce qui concerne les déclarations sur l'honneur relatives à la situation financière des époux. Mais en fait, pratiquement, dans le cas de divorce contentieux, elles sont la règle, puisque le juge demande aux époux des éléments sur leur situation.
En revanche, il nous est apparu, lors de la commission mixte paritaire, que là où cela était le plus utile, c'était dans le cas d'un divorce par consentement mutuel, puisque le juge pouvait alors vérifier si l'on ne créait pas des inégalités qui, demain, provoqueraient des situations injustes. C'est pourquoi il a été prévu que, dans le cas de divorce par consentement mutuel, il y aurait aussi un état et une déclaration sur l'honneur de la situation desparties.
En ce qui concerne la transmissibilité de la rente et la déduction de la pension de réversion, l'Assemblée nationale a adopté trois modifications d'ordre formel.
Nous avions notamment posé le problème complexe de la perte du droit à pension, puisque, dans certains cas, les retraites de la fonction publique et les retraites du secteur privé n'obéissent pas toujours au même dispositif. L'Assemblée nationale a donc retenu des termes qui couvrent toutes les situations. Pour notre part, nous avions essayé de préciser deux cas.
Enfin, nous avions adopté, et c'est justifié, une disposition relative à la non-prise en compte de la rente dans le calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune. Cette mesure avait été critiquée par le rapporteur de l'Assemblée nationale, qui a tenu à dire, dans son rapport, qu'il n'avait pas compris ce que nous voulions faire. En fait, cette disposition fiscale est quand même tout à fait secondaire par rapport au dispositif.
L'important, pour nos deux assemblées, est de voter le plus rapidement possible un texte qui permette de régler des situations difficiles. Le législateur veut se tenir au-dessus des groupes de pression, au-dessus de ceux qui, quelquefois, l'insultent par presse interposée. On n'a jamais le droit d'insulter le législateur ! Nous sommes utiles à tous ceux qui sont confrontés à des difficultés en raison de l'évolution de leur situation personnelle.
Aller au-delà aurait été détruire tout le dispositif, juste, prévu par la loi de 1975. En fait, nous aurions créé d'autres injustices, ce qui n'est pas le rôle de la loi.
C'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a pu aboutir. Elle vous propose d'adopter le projet de loi dans la rédaction résultant du texte qu'elle a élaboré. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes maintenant au terme de l'entreprise de réforme de la prestation compensatoire engagée voilà plus de deux ans par votre assemblée, sur proposition de M. About.
Le Gouvernement souhaite rendre hommage à votre travail qui, conjugué à celui de l'Assemblée nationale, aura abouti à une réforme consensuelle au-dessus de toutes pressions - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - et au-delà des clivages partisans.
On ne saurait passer sous silence la qualité de la réflexion menée par les rapporteurs des commissions des lois de chaque assemblée. La réussite de la commission mixte paritaire en est, me semble-t-il, la traduction éclatante.
Prise de vitesse par l'évolution de notre société, la législation ne correspondait plus aux réalités familiales et professionnelles : les femmes sont toujours plus nombreuses à s'impliquer dans le monde du travail, tandis que la précarité économique peut fragiliser la solvabilité des débiteurs. Des ajustements étaient devenus nécessaires.
Vous vous êtes ralliés à la nouvelle physionomie du régime de la prestation compensatoire proposée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Vos apports en deuxième lecture ont précisé et complété le dispositif.
La loi nouvelle permettra au principe, déjà affirmé en 1975, du versement en capital de la prestation compensatoire de trouver enfin sa traduction concrète dans les pratiques, en limitant le maintien artificiel des relations financières entre anciens époux. En effet, l'adoption de différents amendements a permis de diversifier les modalités de paiement de ce capital.
Les aménagements fiscaux que le Gouvernement vous a proposés en constituent le complément indispensable.
L'équité commandait non pas de supprimer totalement les rentes viagères, mais de les cantonner à des cas exceptionnels, lorsque l'âge et l'état de santé empêchent le créancier de subvenir à ses besoins. L'octroi d'une telle rente, qui pourra être révisée en cas de changement important de la situation des parties, se justifie alorspleinement.
Même dans ces cas exceptionnels, vous avez adopté des passerelles permettant de transformer cette rente en capital et d'apurer définitivement la dette du débiteur.
Je n'ignore pas que la question la plus délicate concernait la transmissibilité de la prestation aux héritiers. Vous êtes un certain nombre à avoir, avec passion, défendu le principe de l'extinction de la prestation au décès du débiteur.
Le Gouvernement s'est lui-même interrogé sur ce point, mais il pense que la suppression automatique aurait présenté plus d'inconvénients que d'avantages au vu des situations de nombreuses créancières pour qui la prestation compensatoire constitue l'unique ressource, après une vie consacrée au foyer familial au détriment de leur propre carrière. Ces situations, bien qu'aujourd'hui en recul, ne pouvaient être ignorées par le droit.
Vous avez choisi une voix médiane et souple, plus soucieuse de l'équilibre entre protection du créancier et intérêts des héritiers du débiteur, résidant dans le maintien de la transmissibilité, mais tempérée par trois mesures : d'abord, la déductibilité automatique des pensions de réversion éventuellement versées du chef du conjoint décédé ; ensuite, la possibilité pour les héritiers du débiteur de capitaliser la rente ; enfin, l'ouverture du droit à la révision si le décès se traduit par un changement important de la situation des parties.
Au terme de ce processus législatif, le Gouvernement souhaite une dernière fois remercier tous les acteurs de ce débat, au premier rang desquels le rapporteur de votre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, pour la qualité de leurs travaux, qui se sont traduits par un vote unanime de chacune des deux assemblées, à l'occasion des différentes lectures. C'est là le signe de l'excellence du travail qui a été réalisé. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. James Bordas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mandaté par personne et porte-parole d'aucun groupe de pression, je m'étais promis de revenir sur les conséquences désastreuses de la loi de 1975 si le hasard ou les électeurs me permettaient de retourner au Parlement. Ce fut chose faite en 1995. Donc, dès 1996, je déposais une proposition de loi, qui portait en germe la réforme d'aujourd'hui.
Dès le mois de février 1998, nous adoptions, mes chers collègues, le premier volet de cette réforme du divorce. Il fallut ensuite attendre deux ans, deux longues années de tergiversations, d'hésitation, de reports en effets d'annonce, pour que, enfin, sous la pression de l'opinion publique - il ne faut pas sous-estimer le rôle de ceux qui ont souffert de la loi de 1975 - le texte soit inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Au fur et à mesure de la navette, ce texte s'est enrichi, et c'est l'occasion, pour moi, de saluer le travail accompli par les deux commissions des lois et de remercier notre rapporteur M. Jean-Jacques Hyest.
Au départ, ma proposition de loi comportait trois points. Le premier, c'était la révision du montant de la rente en cas de changement notable dans la situation des parties. Le deuxième point, c'était la limitation de la durée de la rente. J'avais proposé dix ans. Enfin, le troisième point, c'était la non-transmissibilité de la dette aux héritiers.
Sur les deux premiers points, j'estime que les objectifs que je m'étais fixés sont globalement satisfaits. La révision sera désormais possible en cas de changement important dans la situation des parties. On peut espérer que,désormais, la maladie, le chômage ou une baisse importante des revenus seront enfin des causes suffisantes pour obtenir la révision.
Quant à la limitation de la rente dans le temps - je remercie ceux qui ont travaillé sur ce point - les dispositions introduites par les deux chambres y contribuent très largement, puique l'attribution de la rente viagère restera exceptionnelle et nécessitera une motivation spéciale de la part du juge. Des dispositions fiscales viennent enfin, et de façon très opportune, favoriser le versement en capital. De surcroît, en autorisant l'étalement des échéances sur huit ans, on opère incontestablement un revirement en faveur du capital, et on fixe un terme raisonnable aux liens financiers qui unissaient les ex-époux.
Il restera néanmoins - permettez-moi de le dire, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur - une ombre au tableau : la transmissibilité de la rente aux héritiers. Voilà un an, j'ai cru que Mme le garde des sceaux allait dans mon sens. En effet pendant un quart de seconde, j'ai vu dans ses yeux qu'elle était favorable à la suppression de cette transmissibilité. (Sourires.) . Mais, finalement, elle n'a pas franchi le pas. C'est dommage !
Vous le savez, cette transmissibilité est une anomalie française. Aucun pays de l'Union européenne ne reconnaît un tel principe, qui ne figure dans aucun droit successoral. Dans toute l'Europe, les rentes découlant d'un divorce finissent toujours par s'éteindre au décès du débiteur. J'ai toutefois la conviction que l'histoire finira, un jour, par me donner raison. Il faut bien vivre d'espoir.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !
M. Nicolas About. Les situations aberrantes engendrées par cette transmission ne seront plus tenables bien longtemps, même si vous avez très largement contribué à en atténuer les effets.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On permet les révisions.
M. Nicolas About. Absolument !
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, conscient du travail accompli, pour avoir souhaité et initié ce texte, je le voterai en vous remerciant mais aussi en pensant à tous ceux qui ont souffert des manques de la loi de 1975...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et de la jurisprudence !
M. Nicolas About. ... et de son application non conforme aux voeux du législateur pendant vingt-cinq ans. J'espère que, demain, les juges respecteront l'esprit de cette loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous parvenons aujourd'hui, avec l'examen du texte élaboré par la commission mixte paritaire, au terme de nos débats sur la prestation compensatoire en matière de divorce.
Près de deux ans et demi auront été nécessaires pour imposer ce débat et pour aboutir à un accord entre les deux chambres, susceptible d'éviter que les situations douloureuses, dont nous avons tous pris connaissance et conscience, ne se reproduisent.
Parti de deux propositions de loi sénatoriales, ce texte, qui aurait pu connaître le même sort que tant d'autres d'origine parlementaire, aura demain force de loi. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
A l'Assemblée nationale comme au Sénat, au-delà des passions, un consensus a donc été trouvé pour apporter des remèdes durables à un dossier dont les conséquences sociales, humaines et économiques sont telles qu'on ne peut y être indifférent.
Les navettes parlementaires auront eu l'avantage de mettre en avant la nécessité et l'urgence de moderniser les dispositions du code civil relatives à la prestation compensatoire.
Les points essentiels de cette réforme, je le souligne, portent sur la révision désormais plus ouverte du montant des rentes et sur l'incitation au versement en capital, avec, notamment, les mesures fiscales proposées par le Gouvernement.
En effet, c'est bien l'absence de ces deux mesures dans la loi de 1975 qui a, principalement, généré ces situations dramatiques.
Mon seul regret concerne, vous le savez, l'impossibilité en droit de supprimer la transmissibilité de cette dette qui mène à des situations invraisemblables que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer.
Mais je veux être optimiste et espérer sincèrement que le versement en capital, une fois privilégié, et la possibilité de révision, désormais ouverte y compris aux prestations compensatoires dues par les héritiers du débiteur, éviteront que de tels faits ne se reproduisent.
Les parlementaires communistes avaient, par ailleurs, fait des propositions pour supprimer le versement de cette prestation en cas de remariage, de concubinage notoire ou de conclusion d'un PACS, mesures qui ont l'avantage d'éviter de surcharger les tribunaux, qui sont déjà engorgés, et de générer des frais supplémentaires pour les parties.
En conclusion, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, conscients à la fois du chemin parcouru depuis les débats du 25 février 1998, initiés par nos collègues Nicolas About et Robert Pagès, et du fait que le résultat d'aujourd'hui était loin d'être acquis hier encore, voteront le texte tel qu'il résulte des travaux de la commission mixte paritaire, même si des questions demeurent entières et s'ils estiment qu'on aurait pu aller plus loin.
S'agissant d'un compromis qui permet une entrée en vigueur très prochaine de dispositions meilleures, nous l'acceptons en tant que tel. (Applaudissements sur lestravées socialistes.)
M. Nicolas About. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :