Séance du 29 juin 2000






DURÉE DU MANDAT DU PRÉSIDENT
DE LA RÉPUBLIQUE

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 423, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la durée du mandat du Président de la République. [Rapport n° 426 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de présenter devant vous, au nom du Président de la République, sur proposition du Premier ministre, le projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République, qui tend à instaurer le quinquennat.
Cette réforme a été longuement mûrie. Elle apparaît nécessaire pour donner une nouvelle dynamique démocratique à nos institutions.
Elle est, aujourd'hui, enfin possible. Il faut donc la faire. Elle se justifie par elle-même, mais ne ferme pas d'autres perspectives.
C'est une réforme longuement mûrie, puisque, on le sait, la règle du septennat est en quelque sorte un accident de l'histoire.
M. Philippe de Gaulle. Mais non !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Elle a été retenue, dans des circonstances souvent rappelées, par la loi du 20 novembre 1873, alors que la France n'avait pas encore clairement opté pour la République et que le pays était en proie à des oppositions irréductibles entre partisans d'un régime monarchique, eux-mêmes divisés, et tenants d'un régime républicain.
Le septennat ne répondait donc pas à une logique institutionnelle, mais au souci des monarchistes d'attendre, par un mandat suffisamment long du maréchal de Mac Mahon, exerçant les fonctions de Chef de l'Etat, la succession d'Henri de Chambord, ce délai devant permettre d'installer sur le trône le comte de Paris.
Ce n'est donc qu'un accident de l'histoire, un pari perdu (Protestations sur les travées du RPR), devenu, au fil des ans et des régimes, une tradition républicaine.
M. Patrick Lassourd. C'est de la préhistoire !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, seule Mme le garde des sceaux a la parole.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cette tradition a pu s'installer sans difficulté jusqu'en 1958, sous des régimes parlementaires où les pouvoirs du chef de l'Etat étaient moins importants que ce qu'ils sont aujourd'hui.
Lors de l'élaboration de la Constitution de la Ve République, la question de la durée du mandat n'a pas été débattue. Les promoteurs de la Constitution de 1958 n'ont exprimé aucune intention sur ce point.
M. Philippe de Gaulle. Oh si !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. L'élection du Président de la République au suffrage universel direct a sensiblement modifié la fonction présidentielle et renforcé la légitimité de son titulaire. La question du raccourcissement du mandat a donc été posée dans le débat politique dès le début des années soixante.
Dès l'origine, la gauche l'a défendu, au sein du club Jean Moulin, qui, le premier, en a avancé l'idée au début des années soixante.
En 1964, Gaston Defferre l'avait inscrite au programme de la campagne présidentielle qu'il se proposait alors de conduire. Le quinquennat figurait aussi, en toutes lettres, dans le programme commun de la gauche de 1972. L'idée s'est étendue à l'autre côté de l'échiquier politique.
C'est ainsi que le président Georges Pompidou, estimant que « le septennat n'était pas adapté à nos institutions nouvelles », prenait l'initiative d'une révision à cette fin. Déposé en septembre 1973, le texte fut adopté à l'Assemblée nationale le 16 octobre et au Sénat le 18.
M. Josselin de Rohan. Sans les voix de la gauche !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Toutefois, la réforme ne fut pas conduite à son terme.
Le débat s'est ensuite poursuivi. En 1995, au second tour de l'élection présidentielle, le candidat de la gauche, Lionel Jospin, exposait sa conception d'un « président citoyen » et prenait parti pour le mandat présidentiel à cinq ans. Il s'engageait, s'il était élu, à conduire cette réforme.
Lors des élections législatives de 1997, cet engagement était repris avec la limitation du cumul de mandats et la parité. Ces deux réformes ont été réalisées depuis, l'une pleinement, la parité, l'autre, faute de consensus, de façon encore partielle.
Cet engagement, le Premier ministre l'a ensuite réaffirmé dans sa déclaration de politique générale prononcée le 19 juin 1997 devant l'Assemblée nationale en rappelant : « Comme je m'y suis engagé, je proposerai que les mandats électifs soient harmonisés sur une base de cinq ans. » Cette proposition s'inscrivait dans une volonté de modernisation de notre démocratie. Cette volonté de réduire la durée du mandat présidentiel est donc ancienne puisqu'elle est débattue depuis quarante ans et qu'elle a fait l'objet d'un vote des deux assemblées voilà maintenant vingt-sept ans.
Cette réforme dépasse également les clivages politiques traditionnels. Nous venons de le voir.
Reconnaissons qu'à ce jour il y a peu de parlementaires partisans d'un statu quo, c'est-à-dire d'un septennat indéfiniment renouvelable !
Quant aux Français, les sondages d'opinion confirment leur adhésion majoritaire à une révision constitutionnelle qui renforcera la démocratie.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac. Ils s'en moquent !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est en effet une réforme nécessaire car c'est une réforme qui apporte plus de démocratie.
La confiance donnée par les Français au Président de la République par la voix de l'élection doit trouver une périodicité plus rapprochée.
La quinquennat obéit ainsi à une exigence démocratique plus forte. Qu'est-ce qui, sommairement mais fondamentalement, caractérise la démocratie ? Le fait que les citoyens, à l'occasion d'élections libres et disputées, choisissent leurs gouvernants et qu'ils sont appelés à intervalles rapprochés à confirmer ou à modifier leurs choix politiques.
Elire le président plus souvent, c'est donner aux citoyens la possibilité d'exercer plus souvent l'un de leurs droits fondamentaux, celui du choix de leurs dirigeants. C'est donc bien rendre notre système plus démocratique.
Il est donc justifié de faire aboutir aujourd'hui cette réforme qui donnera plus fréquemment aux Françaises et aux Français la possibilité de s'exprimer.
D'importantes réformes ont déja été réalisées pour donner plus de démocratie à notre vie publique comme la parité ou la limitation du cumul des mandats. D'autres chantiers sont ouverts comme l'approfondissement de la réflexion menée sur la décentralisation. Je dois y ajouter - vous savez le prix que j'y attache - la réforme de la justice qu'il faudra bien mener à son terme.
M. Claude Estier. Très juste !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Par ailleurs, si nous regardons autour de nous et sortons d'un débat franco-français, nous constatons que le quinquennat nous rapprochera des durées de mandat pratiquées par nos voisins.
Dans aucun pays d'Europe le mandat exécutif n'est attribué pour une durée aussi longue. Seules l'Italie et l'Irlande ont un président élu pour sept ans, mais leurs pouvoirs sont bien moindres que ceux qui sont conférés par notre Constitution au Président de la République. Ce mandat est de six ans en Finlande et en Autriche, de cinq ans en Allemagne, en Grèce ou au Portugal.
Dans tous les pays voisins, les députés sont élus pour des durées de mandat comprises entre quatre et cinq ans : quatre ans en Allemagne, en Autriche ou en Finlande, cinq ans en Italie, en Irlande et en Grande-Bretagne.
L'exemple des grandes démocraties occidentales, et en particulier celui de nos principaux partenaires au sein de l'Union européenne, invite ainsi la France à adopter un rythme qui assure à la fois la durée nécessaire à la mise en oeuvre du projet politique choisi et les possibilités d'alternances souhaitées par les électeurs.
Il apparaît clair, en effet, que l'action politique, dans le monde contemporain, appelle une consultation plus fréquente du corps électoral sur les grandes orientations de la politique nationale et sur la désignation du chef de l'Etat.
Il faut dire aussi que le quinquennat permettra un fonctionnement plus ordonné de nos institutions. Les relations entre le Président de la République, le Gouvernement et l'Assemblée nationale s'en trouveront mieux équilibrées.
Par le rapprochement de la durée des différents mandats électifs, Président de la République et députés seront renouvelés à la même période. Exécutif et législatif disposeront ainsi d'une durée raisonnablement longue et dont on peut penser qu'elle sera plus stable, épargnant ainsi à notre vie politique le rythme parfois haché qu'elle a connu jusqu'à présent.
Bien sûr, des accidents peuvent toujours survenir, qui provoqueraient de nouveaux décalages. Un président peut démissionner ou décéder, une assemblée être dissoute en cas de crise. Mais, à regarder la chose de près, il apparaît que la proximité des deux scrutins sera très rapidement rétablie.
La cohabitation, si elle reparaît, ne le fera que de manière brève et exceptionnelle. Sa disparition, j'y insiste, n'est pas l'objet de la réforme. Sa raréfaction en sera un effet secondaire mais bienvenu. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Michel Charasse. On croit rêver !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le système fonctionnera donc de manière plus ordonnée. Le Président de la République, le Gouvernement et la majorité parlementaire devront davantage travailler ensemble, puisque leur renouvellement se fera de façon contemporaine.
Le Président, avec le quinquennat, sera plus attentif aux groupes parlementaires de sa majorité, puisque son mandat prendra fin en même temps que le leur et sera exposé au même verdict, favorable ou défavorable. (Prostestations sur les mêmes travées.)
Le Premier ministre gardera son rôle. Même sous les présidents les plus puissants, les plus interventionnistes, le chef du Gouvernement a rempli une fonction politique propre, car son rôle est irremplaçable, au carrefour de tous les pouvoirs, au coeur de toute l'action de l'Etat, au centre de tout le système politique.
Ainsi, de quelque côté que l'on se tourne, le quinquennat offre des atouts considérables.
Cette réforme est aujourd'hui possible ; elle peut, aujourd'hui, aboutir.
Il existe une conjonction favorable ; le Président de la République et le Premier ministre sont d'accord sur une telle réforme. Elle peut être réalisée dans la sérénité, à deux ans de l'élection présidentielle.
Le choix d'un projet de loi atteste de l'accord sur la réforme au sein de l'exécutif. Il démontre que cette réforme ne sera pas faite pour les uns contre les autres mais que, au contraire, elle est faite pour tous les Français et dépasse ainsi la logique partisane.
Le projet de loi limite la révision à la seule durée du mandat du Président de la République.
Ce choix traduit un souci de méthode. Sur ce sujet, il peut exister un accord suffisamment large. Il faut l'enregistrer.
Réforme pour plus de démocratie, réforme très attendue, réforme possible, c'est une réforme qui se justifie par elle-même mais qui n'empêche pas d'autres perspectives.
M. Josselin de Rohan. On vous fait confiance !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous avez raison et je vous en remercie ! (Sourires.)
Je sais bien que certains veulent plus, ou autre chose. Intellectuellement et politiquement, cette exigence est légitime. Il est normal que chacun cherche dans ce débat à exposer sa vision de nos institutions et qu'il le fasse par la voie de la discussion parlementaire.
Le Gouvernement se réjouit qu'un tel débat s'engage. Il le veut libre. Il comprend que les différents groupes exposent leurs propositions. Ces propositions seront utiles à la réflexion constitutionnelle d'ensemble qui se poursuivra au-delà du texte qui vous est aujourd'hui soumis.
Mais à vouloir trop faire, le risque serait grand aujourd'hui de ne rien pouvoir faire. Un progrès à la fois, cela laisse ouvertes toutes les autres perspectives qui se dessineront à leur heure, mais cela permet aussi et surtout de clore utilement ce sujet.
Le Gouvernement est vivement intéressé par les débats qui vont se dérouler, mais il souhaite aussi que la question du quinquennat - et cette seule question - soit tranchée au Parlement sans surcharges.
Le quinquennat est une réforme importante, bien sûr, car elle touche à la fonction du Président de la République. Mais ce n'est pas un bouleversement de nos institutions que nous vous demandons de voter. Le cadre de la Constitution de la Ve République demeure.
Le quinquennat n'est pas un glissement vers un régime présidentiel qui supposerait la suppression du droit de dissolution et du poste de Premier ministre. Rien de tel n'est envisagé, au contraire.
Le droit de dissolution constitue une prérogative importante du Président de la République, à laquelle répond le droit des députés de mettre en cause la responsabilité du chef de l'Etat. L'un et l'autre participent de l'équilibre des pouvoirs sous la Ve République.
Quant au Premier ministre, j'ai rappelé la place essentielle qu'il tient dans nos institutions pour écarter toute idée de suppression de la fonction.
Le quinquennat n'est pas, non plus, un glissement vers un régime d'assemblée synonyme d'absence de majorité et de chefs et où plane, à tout moment, la menace d'un renversement du Gouvernement.
La réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans ne porte en elle-même aucune dérive. C'est justement la vertu du projet qui vous est présenté que de conserver à notre Constitution toute la souplesse qui lui est nécessaire.
L'adoption, aujourd'hui, du quinquennat, et de lui seul, ne signifie pas que la porte soit fermée à d'autres évolutions.
M. Josselin de Rohan. Quel aveu !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. D'autres débats seront ouverts ou pourront être repris. Ils viendront à leur heure, comme l'harmonisation de la durée des mandats, l'aménagement des pouvoirs du Parlement ou encore l'amélioration du fonctionnement des autorités décentralisées.
La réflexion doit se poursuivre, mais il est sage que le débat porte sur une question et une seule. Celle-ci se suffit à elle-même, elle a sa logique et sa cohérence propres. C'est donc sur cette logique et cette cohérence qu'il faut statuer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai exposé les enjeux de cette réforme importante, dont, j'en suis intimement convaincue, nos institutions sortiront renforcées.
Puisque l'accord semble exister aujourd'hui, j'espère que nous pourrons réaliser ensemble cette réforme. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre histoire constitutionnelle est marquée d'une double caractéristique : l'instabilité, tout d'abord, qui se traduit par des changements fréquents de la Constitution ; la contestation, ensuite.
Il arrive dans notre histoire que l'institution une fois établie ne soit pas pour autant acceptée. Elle demeure un enjeu majeur du débat politique.
Ce fut vrai sous la IIIe République, cela empêcha la IVe République de fonctionner, et la Ve s'ouvrit sous les accusations de « coup d'Etat permanent ».
Ce fut vrai encore lorsque s'engagea en 1973 le premier débat sur le quinquennat. Mais cette appréciation sévère qui était alors portée s'estompa à partir du jour où ceux qui l'avaient formulée bénéficièrent du fonctionnement d'une Constitution dont ils avaient tant critiqué le principe.
Aujourd'hui, l'évolution politique, l'alternance, la pratique de la cohabitation conduisent à une acceptation globale des institutions et à une faculté de les réviser sans dramatisation excessive. C'est dans cet esprit, je crois - et cela ressort de son propos - c'est dans ce climat que nous sommes saisis par le Président de la République d'un projet de loi constitutionnelle dans le texte adopté sans modification par l'Assemblée nationale.
Des amendements ont été proposés. Ils n'étaient pas dénués d'intérêt. La commission, comme il se doit, les a examinés. Elle dira son sentiment. Mais, compte tenu de l'orientation générale qu'elle a adoptée, ces amendements n'ont pas été retenus.
Je note que certains d'entre eux tendaient à revaloriser le rôle du Parlement. C'est un objectif qu'il faudra bien atteindre un jour. Nous pourrions nous-mêmes sans doute y contribuer en réformant certaines de nos méthodes de travail, en particulier en articulant mieux le rôle des commissions et de la séance publique.
La commission des lois du Sénat vous proposera de voter conforme le texte qui vient de l'Assemblée nationale et donc de vous en tenir à l'appréciation de la seule durée du mandat présidentiel.
Le présent projet de loi peut être pour nous l'occasion d'une réflexion sur la relation qui s'établit entre une société et ses institutions.
La démocratie, nous le savons, suppose l'acceptation d'une délégation de souveraineté, même si l'on peut admettre, à titre plus ou moins fréquent et exceptionnel, le correctif de la démocratie directe.
Mais toute délégation de souveraineté implique des choix essentiels qui portent sur l'étendue des pouvoirs délégués, la durée du mandat conféré et le contrôle exercé en cours de mandat.
Le mandat confié au Président de la République est une modalité de la délégation de souveraineté du peuple, mais d'une nature particulière par son importance, par la durée du mandat et l'absence de tout contrôle politique.
Pour ce qui est de la durée du mandat, nous vivons le septennat depuis 1873. Cette durée est demeurée identique, alors que les régimes ont changé. D'un régime parlementaire créé par la coutume, on est passé à un système dans lequel les pouvoirs du Parlement ont été renforcés, pour en venir, enfin, au régime de la Ve République, caractérisé par l'émergence d'un véritable pouvoir présidentiel.
Le septennat était-il un accident de l'histoire ? Suivant la boutade du moment, c'est le temps qu'on laisse à Dieu pour bien vouloir fermer les yeux du prince puisqu'il n'aura pas daigné les lui ouvrir.
Les monarchistes estimaient que le temps était nécessaire et avaient envisagé un mandat de dix ans, les républicains suggérant un mandat de cinq ans. Le septennat est le compromis proposé par Mac Mahon et qui fut accepté.
Après le 16 mai 1877, le problème de la durée du mandat n'est plus réellement posé, car le Président n'a plus qu'un pouvoir d'influence. Ce pouvoir est d'ailleurs parfois important, comme en témoigne, par exemple, le rôle que Poincaré joua dans l'orientation de notre politique étrangère grâce à une relation privilégiée avec le ministre des affaires étrangères, Delcassé. Millerand, face au cartel des gauches qui remporte les élections de 1924, s'est engagé, d'une manière qui fut jugée inhabituelle, dans le combat politique. Il est contraint à la démission.
Le chef de l'Etat, à l'époque, est surtout le garant d'une certaine pérennité de l'Etat, alors qu'à certains moments de l'histoire de la IIIe République se multiplient les crises, qui n'excluent pas pour autant, on l'oublie trop souvent, des périodes remarquables de stabilité gouvernementale sous ce régime.
La durée du mandat est reprise sous la IVe République, l'intention principale de la Constitution nouvelle étant d'institutionnaliser le rôle du Président du Conseil. Pour des raisons diverses, cette tentative échouera. Il est intéressant de noter que le président Vincent Auriol en est parfaitement conscient, puisqu'il rappelle au premier Président du Conseil du nouveau régime, Paul Ramadier, qu'il n'aurait pas dû accepter d'interpellation sur la composition de son gouvernement car il était, lui, Président du Conseil, investi par l'Assemblée nationale, à la majorité absolue, pour l'exécution de son programme.
Dans la rédaction première de la Constitution de 1958, le problème n'est pratiquement pas évoqué, c'est exact. Mais, sous la Ve République, l'importance sous-jacente de l'institution présidentielle apparaîtra du seul fait que le Président de la République sera, à partir de 1962, élu par le peuple tout entier.
Le titulaire détient des pouvoirs essentiels et, pour autant, pour toute la durée de son mandat, sa responsabilité politique ne peut être mise en cause.
Ce faisant, la base même des pouvoirs du Président de la République est modifiée sans que la durée de son mandat ne soit remise en cause.
Très vite, plus vite que les dates le montrent, le successeur du général de Gaulle, Georges Pompidou, va percevoir la contradiction entre l'accroissement de facto des pouvoirs du Président de la République et la durée de son mandat. Il propose, en 1973, de la réduire de sept à cinq ans. Il est conscient de ce que la portée de la nature de cette délégation essentielle s'était, à partir de 1962, trouvée sinon bouleversée, du moins profondément modifiée.
Dans son esprit, en réduisant la durée du mandat, il ne s'agit ni de bouleverser le régime ni de changer les pouvoirs, il s'agit d'harmoniser cette durée avec le mode d'élection et les aspirations de la société.
Certains se sont interrogés, légitiment, sur la possibilité de ne modifier que la seule durée du mandat. Mais, en cet instant, il ne faudrait pas succomber, une fois de plus, à la tentation de vouloir tout prévoir, tout réglementer, tout permettre ou tout interdire.
Laissons faire la coutume, nous verrons ce qu'il en adviendra. Nous sommes un pays de droit écrit, mais la coutume, sous les régimes successifs, aura joué un rôle déterminant.
Sous la IIIe République, le droit de dissolution disparaît. Le Président du Conseil, non prévu par la Constitution, en devient l'institution essentielle.
Sous la IVe République, l'interpellation sur la composition du gouvernement Ramadier vicie le fonctionnement initialement prévu.
Sous la Ve République, la démission du Premier ministre à la demande du chef de l'Etat, qui n'a pas été évoquée lorsque l'on a rédigé la Constitution en 1958, se produit et elle dissimule parfois de véritables et légitimes divergences entre les deux titulaires de l'exécutif.
L'utilisation du référendum connaît des évolutions dont nous avons gardé la mémoire. Elles vont de l'utilisation de l'article 11 pour une révision constitutionnelle à la question de confiance posée par le Président de la République au peuple tout entier.
La coutume crée la nature du régime presque davantage que le texte initial et bien plus encore que les révisions qui, bien que multipliées ces dernières années, n'ont pas changé les équilibres fondamentaux.
Le Président Mitterrand, par deux fois, se soumet au résultat des élections législatives sans se démettre. Il crée la cohabitation que l'on peut considérer comme un exemple de quinquennat de fait. Cette attitude a certainement eu plus d'impact sur notre vie politique que les révisions qu'il n'aura pas effectuées.
L'avenir dira si le quinquennat renforce ou atténue les pouvoirs du Président de la République.
Il reste que la multiplication des révisions au cours des dernières années, le climat dans lequel elles se sont déroulées, dans le respect de l'article 89 de la Constitution, l'absence de passion avec laquelle les Français abordent ce type de réforme, montrent une évolution certaine des esprits.
Voilà sans doute ce qui justifie que le Président de la République ait décidé de saisir à nouveau le Parlement d'une question à l'égard de laquelle la droite parlementaire s'est déjà prononcée positivement en 1973. L'initiative du Président de la République permet ainsi à la gauche parlementaire de nous rejoindre. (Exclamations sur les travées socialistes.) Le décompte des voix lors du vote de l'Assemblée nationale en témoigne déjà.
Cette banalisation relative et cet apaisement, surtout, expliquent sans doute que nous ayons l'occasion de vous voir défendre cette réforme, madame le garde des sceaux, devant l'Assemblée nationale et le Sénat alors que, en 1973, elle était présentée par le Premier ministre. Mais vous nous avez dit, et nous avons découvert dans la presse, tout l'attachement qu'il porte au vote positif que la commission m'a demandé de recommander au Sénat de renouveler vingt-sept ans plus tard.
La démocratie, nous le savons, mes chers collègues, se bâtit tous les jours.
Elle ne peut atteindre le but qu'elle s'assigne et que nous souhaitons tous lui voir atteindre, l'efficacité dans la liberté, que par la participation active des citoyens.
Le citoyen accepte - c'est nécessaire - de déléguer l'exercice de cette souveraineté, mais je crois bon qu'en raison de l'importance de la délégation consentie à l'institution présidentielle celle-ci soit soumise dans le temps à une vérification plus fréquente.
De la même manière, l'équivalence dans le temps du mandat présidentiel et de celui des députés peut permettre d'atténuer les risques d'une cohabitation dont chacun sait qu'à terme, en créant la dualité au sein de l'exécutif, elle affaiblit l'efficacité de l'Etat.
Le rythme du quinquennat me paraît répondre à cette préoccupation.
Nos institutions ont besoin de règles sûres et simples, mais, parce qu'elles sont les garantes de la liberté, elles ont elles-mêmes besoin de ce degré d'incertitude qui est seul compatible avec la nature profonde de l'Etat libéral.
Nous vous proposons de voter ce texte. Votre commission, qui l'a adopté à l'unanimité, ne se dissimule pas l'importance du choix proposé. Nous sommes entrés dans une ère de stabilité constitutionnelle ; nous n'entendons pas y mettre fin. Il ne s'agit donc pas de porter atteinte aux principes qui constituent la base même de la Ve République. Il s'agit, en revanche, de renforcer ce qui demeure sa caractéristique essentielle, la stabilité gouvernementale, qui est le résultat à la fois du jeu des institutions et d'une structuration nouvelle de l'opinion publique.
Votre commission a eu le sentiment que la réforme proposée permettrait le renforcement de cette donnée de base de notre vie politique. C'est pour cette raison qu'en son nom je demande au Sénat de voter conforme le texte adopté par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, Les Difficultés d'un projet sec : tel était le titre d'un point de vue récent sur la réforme constitutionnelle qui nous occupe aujourd'hui. Il me paraît illustrer assez bien la situation, un mois après l'intervention télévisée du Président de la République. A l'évidence, celui-ci n'a pas su trouver les mots pour convaincre les Françaises et les Français de l'importance et de l'urgence qu'il y avait à se mobiliser sur la seule réduction de sept ans à cinq ans du mandat présidentiel.
M. Josselin de Rohan. Vous ne manquez pas de culot !
Mme Nicole Borvo. Cette mobilisation des esprits est d'autant plus difficile à réussir pour l'instant que la précipitation avec laquelle le Parlement est consulté et l'interdiction imposée par le Président de la République d'amender le texte - c'est-à-dire l'impossibilité pour le Parlement d'exercer sa souveraineté - empêchent tout débat de fond. Or c'est précisément ce débat sur les institutions actuelles et sur l'indispensable démocratisation de la vie publique qui est nécessaire.
Le constat s'impose à tout le monde : les institutions en crise, l'abstention massive, le rejet de la politique, la méfiance à l'égard des partis et des personnels politiques en sont, hélas ! l'illustration.
Cette crise a, pendant des années, puisé ses sources dans l'insatisfaction sociale : inégalités qui se sont creusées, exclusions, promesses non tenues... Depuis 1986, chaque élection législative a sanctionné les sortants. Cependant, cette crise résulte aussi du fossé qui existe entre les citoyens et les centres de décision.
Le credo libéral selon lequel l'économie échappe aux politiques dévalorise la politique. Les systèmes de représentation - issus du siècle dernier - délégataires se sont usés. Les modes centralisés de décision sont rejetés et inefficaces. La construction européenne en oeuvre, plus technocratique que démocratique, n'a fait qu'éloigner le citoyen du pouvoir. La contestation croissante de la mondialisation en atteste aujourd'hui. Oui, ouvrons largement le débat sur une nouvelle ère de la démocratie.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Nous nous sommes engagés avec les autres formations de gauche à une réelle démocratisation des institutions : revalorisation du Parlement, scrutin proportionnel, réduction de la durée des mandats, non-cumul des mandats, statut de l'élu. D'autres questions se posent, telles que la citoyenneté dans l'entreprise, la participation directe des citoyens aux choix de la cité.
Ce débat est nécessaire au Parlement et dans le pays. Pour ce qui nous concerne, nous entendons bien l'engager avec les citoyens. Alors, madame le garde des sceaux, je vous ai bien entendue : le quinquennat serait un premier pas. Les Français souhaitent être consultés plus souvent, intervenir davantage, on leur en donne donc l'occasion.
Effectivement, ceux qui s'intéressent à la réforme actuelle disent qu'ils y sont largement favorables. Mais, pour nous, la question de fond ne porte pas sur la durée du mandat. Nous sommes partisans d'une réduction des mandats présidentiels et autres, à commencer par le nôtre, celui des sénateurs.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Mais peut-on laisser croire que la seule réduction du mandat présidentiel rend les institutions actuelles plus démocratiques ?
La Constitution de 1958 est déséquilibrée. Les pouvoirs de l'exécutif sont excessifs, le domaine réservé du Président de la République exorbitant, le rôle du Parlement trop faible. Nous nous sommes opposés à cette constitution et nous continuons de penser - et de dénoncer - qu'elle organise un pouvoir quasi monarchique du président élu, qui n'a de comptes à rendre à personne pendant la durée de son mandat.
Madame la ministre, vous avez à l'Assemblée nationale, cité Jean-Jacques Rousseau : « Le peuple anglais est libre une fois tous les sept ans ». Avec le quinquennat, le peuple français sera libre une fois tous les cinq ans !
Les Français ont en quelque sorte corrigé les excès de la Constitution en décidant les cohabitations qui privilégient, dans l'exécutif, le chef du Gouvernement et, si celui-ci le veut, le Parlement. Mais la cohabitation n'est pas le mode normal de nos institutions et il présente d'autres inconvénients.
Le quinquennat corrige-t-il le déséquilibre entre exécutif et Parlement ? Au contraire, il l'aggrave. Certes, il n'instaure pas, en lui-même, un régime présidentiel à l'américaine, c'est évident. Certains le souhaitent, pas moi. Il ne correspond ni à notre histoire, ni à notre réalité politique, ni à nos pratiques. Mais, à l'évidence, le quinquennat présidentialise encore davantage les institutions de la Ve République.
Si les scrutins présidentiel et législatif coïncident, les prérogatives du Président de la République sont renforcées par rapport au chef du Gouvernement alors qu'il n'est pas responsable devant le Parlement. Le déséquilibre exécutif-législatif est encore plus flagrant, la concentration des pouvoirs est maximale. Qui plus est, le couplage présidentielle-législatives favorisera, à coup sûr, la bipolarisation de la vie politique au profit des seuls partis en situation de présenter un candidat à l'élection présidentielle et donc affaiblira le pluralisme politique nécessaire à une véritable démocratie, à laquelle nous sommes tous, je n'en ai aucun doute, attachés.
Par conséquent, la réforme qui nous est proposée ne nous satisfait pas. Nos raisons, vous pouvez le constater, sont absolument inverses de celles des partisans du statu quo , qui voient dans le quinquennat un abaissement du rôle du président de la République, crime de lèse-majesté en quelque sorte puisque le seul fait de diminuer de deux ans son mandat attenterait à son pouvoir.
En réalité, cette réforme pose deux problèmes majeurs.
Le premier est qu'elle n'est pas anodine et que les conséquences prévisibles méritent débat.
Le second est que la crise de nos institutions appelle des réformes beaucoup plus profondes, qui ne peuvent être le fruit que d'un large débat démocratique. Deux bonnes raisons pour nous de déplorer la précipitation avec laquelle, encore une fois, cette réforme est expédiée !
Nous entendons donc ne pas nous priver de notre pouvoir de législateur. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements, même si nous savons le sort qui leur sera réservé. Par ce biais, nous voulons montrer non seulement le sens des réformes, mais aussi en quoi la seule réduction du mandat présidentiel est inopérante. Bien entendu, ces amendements ne constituent pas un projet constitutionnel. Ils pointent le déséquilibre existant dans nos institutions qui a conduit à une réduction importante des pouvoirs du Parlement.
Le Parlement de la République doit être un parlement souverain. Pour restaurer ses droits, nous proposons que ce soit par la mise en cause des fameux articles 49-3 ou 40 de la Constitution - ce dernier bride le pouvoir budgétaire des assemblées - par l'abrogation de l'article 16 de la Constitution et par l'instauration du droit de se substituer à un gouvernement défaillant pour prendre les décrets d'application.
Nous proposons également de renforcer les droits du Parlement national dans le cadre de l'actuelle construction européenne. Le ministre français doit être clairement mandaté pour aller négocier à Bruxelles.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Nicole Borvo. J'ai déposé aussi, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, un amendement qui modifie l'article 24 de la Constitution - lequel fonde la légitimité du Sénat et son mode d'élection - et qui vise à rappeler ce que le Conseil constitutionnel a maintes fois affirmé, à savoir la nécessité, pour une assemblée élue au suffrage universel, de refléter la réalité démographique du pays.
Le Sénat représente aujourd'hui la France de 1975. Après le refus de la majorité sénatoriale de modifier, en mars dernier, cet état des choses, ce sera toujours le cas en 2004. Cet amendement a donc une portée symbolique : il souligne le décalage croissant entre la seconde chambre du Parlement et la réalité du pays.
Selon nous, une réflexion approfondie doit être engagée sur la place de la seconde chambre dans les institutions. L'existence de cette dernière n'est pas une fin en soi. Les institutions existent pour le peuple, elles ne sont pas destinées à la recherche d'un quelconque équilibre politique.
Avant l'aboutissement de cette réflexion, la réduction du mandat sénatorial, le mandat le plus long d'Europe, doit être engagée d'urgence. C'est une demande ancienne de ma formation politique et de ses élus, depuis 1989. Nous venons, comme d'autres, de déposer une proposition de loi organique en ce sens, indiquant également que le renouvellement du Sénat aura lieu en une seule fois.
Nous proposons également que l'âge d'éligibilité au Sénat soit réduit à vingt-trois ans, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale, quitte à le rabaisser encore dans une seconde étape.
M. Hilaire Flandre. Seize ans !
Mme Nicole Borvo. Bien entendu, nous proposons, enfin, d'aller plus loin dans la représentativité du Sénat, même si les réformes relatives au mode de scrutin et à la parité, qui viennent d'être adoptées, constituent un premier pas positif.
Ces mesures permettraient-elles à l'alternance de devenir réalité au Sénat ? Rien n'est moins sûr.
Le déséquilibre profond entre zones urbaines et rurales, la nature indirecte du suffrage et la clé de répartition des sièges maintiennent le Sénat dans un conservatisme immuable.
Le bicamérisme ne peut être acceptable s'il est conçu non pas comme une possibilité d'affirmer l'élaboration de la loi, ce à quoi nous tenons tous, mais essentiellement comme un élément « modérateur », ou plutôt réducteur de démocratie ; car, ne l'oublions pas, la grande conquête démocratique, c'est le suffrage universel direct.
M. Hilaire Flandre. Majoritaire !
Mme Nicole Borvo. C'est lui qui fonde la souveraineté populaire, et lui seul.
Telles sont les questions que nous voudrions voir aborder. Elles sont une nouvelle fois remises à plus tard. Nous le regrettons, madame la ministre. Je le répète, ce n'est pas la réduction du mandat présidentiel qui nous pose problème ; c'est le fait que ce soit la seule réforme avancée, car le quinquennat « sec », comme il est communément appelé maintenant, aggrave au lieu de les résoudre les problèmes de fond de la Constitution.
Aujourd'hui encore, nous ne savons même pas si la réforme sera soumise à référendum. D'aucuns veulent y renoncer, sous prétexte d'aller plus vite. C'est encore une façon d'escamoter le débat démocratique ! Alors, franchement, sans débat parlementaire, sans débat national, nous nous éloignons encore davantage des attentes de nos concitoyens ! Aussi, je le dis, cette réforme n'est pas acceptable en l'état et nous ne la voterons pas. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la procédure parlementaire sans lendemain de 1973, le quinquennat aura été l'Arlésienne du débat politique : maintes fois évoqué, souvent promis, mais jamais concrétisé. Les contradictions relevées entre les déclarations de la plupart des candidats à l'élection présidentielle et les actes des élus sur ce sujet ont laissé croire qu'un tel choix était dicté par une considération d'opportunité politique.
De nouveau posée par Valéry Giscard d'Estaing dans sa proposition de loi constitutionnelle du 9 mai dernier, la question de la durée du mandat présidentiel s'apprête - enfin ! - à être tranchée avec le projet de révision qui nous est soumis aujourd'hui. Quelle que soit l'opinion de chacun, il faut se féliciter de l'ouverture de ce débat.
Quelles sont les raisons d'être d'une telle réforme ? Au fond, elles demeurent les mêmes que celles qui ont motivé l'initiative du président Georges Pompidou, il y a vingt-sept ans.
Instituée en 1873 dans l'ambiguïté et pour des raisons purement circonstancielles, la règle du septennat a permis, sous les IIIe et IVe Républiques, de compenser la faiblesse du pouvoir exécutif par la permanence et la stabilité d'un arbitre installé à l'Elysée. Elle a aussi contribué, ne l'oublions pas, à la mise en place et à l'affermissement des nouvelles institutions de la Ve République. Cependant, l'importance prise par la fonction présidentielle après la réforme de 1962 a conduit Georges Pompidou - ce qui était tout à son honneur - à remettre en cause, dès 1973, cette donnée devenue presque immuable de notre Constitution.
La première raison tenait à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Celle-ci oblige les candidats à s'engager sur de grandes options de politique étrangère et intérieure dont la mise en oeuvre s'accommode mal d'un long mandat. Dans un monde évoluant sans cesse, peuvent en effet apparaître nécessaires des inflexions sensibles aux orientations initiales ou des choix nouveaux justifiant une durée de mandat mieux adaptée au rythme du temps présent.
La deuxième raison était liée à la fonction même du Président de la République. De par les textes et la pratique, celui-ci dispose de pouvoirs importants. Parce que, en démocratie, il ne peut y avoir d'autorité sans responsabilité, il importe donc de fonder la légitimité de tels pouvoirs en sollicitant dans des délais raisonnablement espacés la confirmation de l'adhésion du peuple français à la politique conduite.
La pratique d'une institution permet de mettre en évidence ses imperfections ou ses vertus. L'expérience, nous a dit Georges Pompidou, l'a confirmé dans l'idée que le septennat n'était pas adapté aux institutions et l'a convaincu de donner sa préférence à un mandat de cinq ans. Ce projet, approuvé par les deux assemblées en octobre 1973, n'a pas été mené à son terme, en raison de l'aggravation de l'état de santé du Président de la République.
Pour autant, que cela ne nous empêche pas d'avoir une pensée émue pour Georges Pompidou, car il a été le premier à envisager que la Constitution de 1958, dont les mérites sont grands, puisse être adaptée et faire l'objet de mesures de transformation relativement importantes.
M. Serge Vinçon. Les socialistes étaient contre !
M. Guy Cabanel. Oui, le vote ne fut pas unanime, comme on aurait pu l'espérer.
Vingt-sept ans plus tard, le constat fait alors demeure valable. Dans un monde qui remet en cause les théories et les pratiques du passé, qui s'interroge constamment sur son avenir, qui est en permanente et rapide mutation, les pouvoirs présidentiels ne peuvent demeurer longtemps éloignés de leur source, le peuple.
L'exemple des autres démocraties occidentales où, quelle que soit la nature du régime, la durée de tous les mandats de décision est plus longue renforce cette analyse.
Le Parlement est donc, pour la deuxième fois, appelé à voter une révision constitutionnelle proposant de réduire la durée du mandat présidentiel à cinq ans.
Quelle sera la portée d'un tel changement ? Allons-nous vers une VIe République avec un régime présidentiel à l'américaine, comme le craignent certains ? Dans quelle mesure évoluera l'étendue des pouvoirs d'un Président élu pour cinq ans ? La fonction de Premier ministre survivra-t-elle dans le contexte du quinquennat ? Quels troubles dans le mécanisme constitutionnel de la Ve République peuvent être engendrés par le vote de la proposition en discussion ce jour ?
Voilà autant de questions auxquelles il est impossible de donner aujourd'hui une réponse, ce qui incite à la prudence : il faut savoir attendre, savoir juger, à la lumière de l'expérience, les conséquences de la réforme.
Je crois qu'il est trop tôt pour mesurer les risques et les avantages résultant de ce passage à cinq ans. Peut-il avoir des incidences sur l'existence et la durée de la cohabitation ? D'aucuns le prétendent, mais ce n'est pas certain pour autant.
Pour répondre à toutes ces questions, il faut attendre au minimum les scrutins législatif et présidentiel de 2002.
Cette échéance passée, il me semble souhaitable qu'une réflexion plus approfondie soit engagée, dès 2003, sur l'ensemble de nos institutions, dans le respect de l'esprit de la Ve République.
C'est pourquoi je suis conduit à m'interroger sur la procédure utilisée pour adopter cette réforme constitutionnelle.
L'article 6 de la Constitution a été transformé en 1962 par un référendum qui a entraîné une approbation dans un climat passionnel. Faut-il, aujourd'hui, soumettre cette nouvelle révision de l'article 6 à référendum ?
Malgré l'intérêt d'associer le peuple à une telle démarche, je ne suis pas convaincu, à titre personnel, de cette nécessité. D'une part, le vote dans les deux assemblées devrait permettre d'obtenir la majorité des trois cinquièmes du Congrès. D'autre part, le changement proposé ne remet pas en cause l'équilibre immédiat des institutions. Le recours au référendum devrait être réservé à une éventuelle modification plus profonde des institutions consécutive à la réflexion ultérieure que j'appelais de mes voeux à l'instant.
S'agissant toujours des procédures de révision constitutionnelle, j'ajoute que je serais favorable à une simplification qui permette d'éviter le recours systématique à des voies coûteuses et laborieuses de ratification. Dans ce sens, je suggère de modifier l'article 89 en prévoyant, outre la faculté laissée au Président de la République de choisir entre le référendum ou la réunion du Parlement en Congrès, qu'un texte soit définitivement adopté lorsqu'il a recueilli la majorité des trois cinquièmes des membres de chacune des assemblées. Je dis bien majorité des trois cinquièmes des « membres » et non majorité des trois cinquièmes des « suffrages exprimés ».
Pour en revenir au présent projet de loi, des risques potentiels ont été évoqués. Certes, il faudra être vigilant, mais je crois qu'aucun d'entre eux n'est aujourd'hui démontré, qu'il s'agisse de la crainte de plusieurs mandats présidentiels successifs, du risque de consultations électorales trop fréquentes ou d'une concordance fâcheuse entre le mandat présidentiel et le mandat législatif.
Une Constitution, si satisfaisante soit-elle, doit recevoir les adaptations exigées par l'évolution de la vie et le fruit de l'expérience. Les uns restent attachés à des principes et à plus d'un siècle de traditions. D'autres pensent qu'il faut tenir compte des leçons de l'expérience. Certains auraient même voulu que l'occasion fût saisie dès aujourd'hui de procéder à des modifications plus substantielles de nos institutions. Quelles que soient les pensées qui animent les uns et les autres, je crois que nous devons tous faire preuve de réalisme et de modernité, mais aussi de prudence et de pragmatisme.
En conclusion, je reprendrai les propos de notre regretté collègue Etienne Dailly, rapporteur du projet de loi sur le quinquennat au Sénat en 1973.
« Tels sont les motifs pour lesquels, m'en tenant au texte et au texte seulement, voulant ignorer les commentaires, ne l'étudiant que pour ce qu'il contient et ce qu'il dit, me refusant à considérer ce qu'il ne contient pas ou ce qu'il pourrait dire, n'ayant pour seul souci que le prestige de notre assemblée, j'approuverai sans amendement le texte qui nous est soumis. » Je fais miennes les conclusions d'Etienne Dailly.
Au sein du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, chacun pourra déterminer librement son vote. A titre personnel, ayant déjà approuvé le principe du quinquennat en 1973, en qualité de député, je voterai le présent projet de loi sans amendement et sans hésitation, mais en souhaitant qu'un suivi attentif des incidences sur nos institutions de la mesure discutée aujourd'hui soit mis en place. L'avenir nous dira si nous avons raison, mais personne ne peut aujourd'hui préjuger l'avenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique à la Haute Assemblée que la télévision russe filme nos travaux, ce qui montre que la France est bien la mère nourricière de la démocratie.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici donc face à une révision constitutionnelle. C'est une réforme importante. Elle s'inscrit dans le rythme constant du septennat en cours : chaque année, nous avons une réforme constitutionnelle. Mais cette réforme-ci est assurément riche de conséquences.
Pour commencer, je vais tout d'abord relever ce qui, en quelque sorte, constitue un élément spécifique et remarquable de notre culture nationale.
Voilà environ douze ans, alors qu'était célébré le bicentenaire de la Constitution des Etats-Unis, j'étais à Washington. Le Chief Justice , M. Rehnquist, avait fait remarquer, avec un orgueil non dissimulé, que les Etats-Unis, première grande République, n'avaient connu qu'une Constitution, et vingt-six amendements en deux siècles.
Je n'ai pu m'empêcher de rappeller que nous, Français, pendant la même période, nous avions connu quelques trois monarchies, deux empires, cinq républiques, quatorze constitutions écrites - je ne mentionnerai pas le nombre des amendements - et qu'à ce titre nous ne pouvions guère être impressionnés par une production aussi limitée que celle dont on faisait état ce jour-là.
Il vrai que le constitutionnalisme est un élément remarquable de la culture française, au même titre que la cuisine !
Cela nous vaut au moins deux avantages sinon la stabilité des institutions : l'éclat de notre culture constitutionnelle et l'intérêt, que j'ai mesuré, que portent les étrangers à nos expériences.
Cela m'a valu de me rendre un certain nombre de fois à l'étranger dans les années 1990-1993, notamment en Russie, pour y travailler à l'élaboration des Constitutions d'Etats qui, enfin, devenaient démocratiques.
J'ai pu alors constater l'intérêt extrême que prenaient à nos institutions tous les responsables de ces pays. En vérité, ils ne concevaient pour leurs démocraties à venir que deux modèles et non pas du tout celui des Etats-Unis : ou bien le modèle parlementaire traditionnel, disons à la britannique, bien que le modèle britannique soit inimitable pour des raisons historiques et de pratiques culturelles, en tout cas le parlementarisme, de façon à briser toute velleité de pouvoir personnel, ou bien le modèle français. Et dans ce modèle français, ce qui leur paraissait particulièrement intéressant, ce qui les fascinait ou ce qu'ils admiraient, c'était la singulière conjonction d'un pouvoir exécutif très fort parce que présidentiel et émanant du suffage universel et un Premier ministre responsable devant le Parlement.
Ils voyaient ainsi, dans l'existence d'un exécutif doté de pouvoirs et de moyens forts, associé à un parlement gardant ses prérogatives, une innovation intéressante.
Je note qu'en revanche le septennat leur apparaissait comme une simple particularité due à l'histoire et à aucun moment, aucun de ces dirigeants n'a évoqué la possibilité d'en proposer le principe à son pays.
Dans la plupart des constitutions qui ont ainsi été instituées, la durée du mandat présidentiel a été fixé à cinq ans. De sept ans, il n'en a même pas été question, tellement cela paraissait anachronique dans le monde où nous sommes !
Quant à la cohabitation, je suis forcé d'avouer qu'ils la considéraient avec perplexité, comme un avatar singulier du génie créateur national dans le domaine de la pratique institutionnelle.
Il n'est jamais indifférent de se découvrir dans le regard d'autrui...
Quand nous considérons la révision qui nous est proposée, nous constatons qu'elle est assurément importante, et ce pour une raison simple : elle touche à la présidence, et la présidence, dans la Ve République, est la clé de voûte de nos institutions. Je n'ai pas besoin de rappeler à cet égard les paroles du général de Gaulle sur la présidence de la République, pas plus que de rappeler ce qui, depuis 1962, donne au pouvoir présidentiel une légitimité incomparable : l'élection au suffrage universel, qui fait du Président de la République « l'homme de la nation ».
Or c'est bien du mandat du Président de la République, élu au suffrage universel, et plus précisément de la durée de ce mandat, que nous allons avoir à décider.
Car je demande à chacun de se souvenir que nous ne modifions en rien les pouvoirs du Président de la République : ceux-ci demeurent intacts, Mme le garde des sceaux l'a observé à juste raison, même si la révision constitutionnelle qui nous est proposée n'en est pas moins importante.
Il convient d'y insister, car certains s'emportent en expliquant que le passage au quinquennat ouvre inévitablement la voie au régime présidentiel, allant même jusqu'à évoquer la Constitution des Etats-Unis.
A ceux-là je réponds qu'il n'en est rien, et cela pour une raison simple mais déterminante : il ne saurait y avoir de régime présidentiel là où demeure la responsabilité du Premier ministre et du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.
J'ajoute qu'il ne saurait non plus y avoir de véritable régime présidentiel là où demeure le droit de dissolution.
Aussi longtemps que nous conserverons - et j'y suis, pour ma part, résolument favorable - l'institution du Premier ministre, la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale ainsi que le droit de dissolution, nous ne serons pas dans un régime présidentiel. Nous sommes dans la Ve République, ce régime original que l'on se plaît à qualifier de semi-présidentiel ou de semi-parlementaire, peu importe.
Je suis d'ailleurs convaincu que la constitution présidentielle à l'américaine n'est pas faite pour nous. Il ne faut jamais oublier que les Etats-Unis sont d'abord une fédération et qu'ils ont développé une culture très particulière de relations conflictuelles - check and balance - entre le Congrès, qui ne peut être dissous, particulièrement le Sénat, et la présidence. Ce climat de négociation permanente entre l'exécutif et le législatif est étranger à notre culture politique. Son introduction chez nous ne serait pas sans risque. Je renvoie, à cet égard, chacun des membres de la Haute Assemblée aux souvenirs et aux regrets de Tocqueville évoquant la Constitution de la IIe République et ses conséquences.
Dans notre actuelle Constitution, que nous maintenons en ce qui concerne les pouvoirs du Président de la République, nous changeons un mot, un simple chiffre : nous remplaçons sept par cinq. Mais le passage au quinquennat n'en est pas moins, je l'ai dit, une réforme importante.
Mme le garde des sceaux et M. le président de la commission des lois l'ont souligné, depuis longtemps déjà, on s'interrogeait sur la durée du mandat. Le président Pompidou a même fait plus que s'interroger puisqu'il a fait voter un texte sur le quinquennat. En vérité, il n'est pas de question qui ait été l'objet de plus de colloques, d'articles et d'ouvrages que celle du quinquennat, cette activité intellectuelle contrastant remarquablement avec l'atonie qui entoure la présente révision...
Nous n'avons, pour notre part, sur le passage du septennat au quinquennat, aucun état d'âme. Non seulement le Premier ministre, à plusieurs reprises, s'est exprimé en faveur du quinquennat, non seulement le parti socialiste a marqué son adhésion mais, à titre personnel, j'ai toujours considéré que le quinquennat devait être la loi de la Ve République, et ce pour une raison simple mais qui suffit à le fonder.
Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel. Dans notre République, comme dans toute démocratie, le peuple est souverain. Dans la société contemporaine, où les changements vont vite, il faut que le peuple puisse exercer sa souveraineté plus régulièrement que tous les sept ans. S'agissant du choix essentiel, la désignation du premier responsable de l'Etat, mieux vaut cinq ans que sept ans.
S'il s'agit du président sortant qui souhaite se représenter, mieux vaut qu'il rende compte au bout de cinq ans. S'il s'agit de désigner un nouveau titulaire de la fonction, mieux vaut que le peuple souverain puisse refaire le choix de son principal responsable tous les cinq ans plutôt que tous les sept ans.
J'ai déjà indiqué que tous ceux qui s'étaient inspirés de la Constitution de la Ve République n'avaient pas retenu le septennat. Celui-ci n'a perduré chez nous que pour des raisons conjoncturelles.
L'importance de cette révision, nous la retrouverons aussi dans ses conséquences. Quelles seront-elles ?
Dès lors qu'il y aura concomitance entre l'élection présidentielle et les élections législatives - je reviendrai tout à l'heure sur l'ordre - dès lors que le mandat du Président et le mandat des députés ont la même durée, les Français n'étant pas schizophrènes - on l'a vu en 1981 et en 1988 - il est quasiment certain que la majorité élue aux législatives - laquelle sera nécessairement plurielle, quel que soit le vainqueur - sera aussi une majorité présidentielle.
Y aura-t-il majorité absolue, comme dans certaines périodes de l'histoire de la Ve République ? Y aura-t-il une majorité relative ? Je dirai que, de la différence d'adjectif le Président aura à tirer les conclusions quant au ralliement du pays à son programme. Je rappelle en effet que le Président de la République n'est pas simplement élu en tant que personnalité, même si cela joue : il est aussi porteur d'un projet, et c'est celui-ci qui est ensuite mis en oeuvre pendant la législature. On voit d'ailleurs ici pourquoi la concordance des mandats entraînera presque inévitablement la concordance des majorités.
Et cela est heureux parce que cela correspond au caractère essentiel, et si utile, de la Vr République : la force et la stabilité de l'exécutif. C'est cela qu'ont voulu ses fondateurs et c'est aussi cela qui, au long des décennies, s'est affirmé comme étant le premier apport de la Ve République à l'histoire de nos institutions.
Pour importante qu'elle soit, cette réforme est-elle « achevée » ? Je ne le pense pas du tout !
Je ne dis pas qu'elle est incomplète. On a voulu que ce soit un quinquennat « sec ». Je dois dire au passage que je n'ai pas pu m'empêcher de m'interroger sur ce que serait un quinquennat « humide. » ...Les auteurs des réformes sont parfois secs, comme les étudiants devant leur copie !
Cette réforme n'est pas achevée parce que, si nous revenons à ce qui a été, sinon la norme, du moins la pratique la plus courante de la Ve République, c'est-à-dire la correspondance entre la majorité présidentielle et la majorité législative, nous avons affaire à une présidence qui détient des pouvoirs très supérieurs à ceux que l'on observe, pour une fonction semblable, dans les autres démocraties occidentales. On a parfois parlé de « monarchie présidentielle », mais la formule n'est pas la bonne !
M. Alain Gournac. Si, sous Mitterrand !
M. Robert Badinter. Quitte à utiliser une telle formule, celle de « présidence impériale » me paraît plus appropriée. C'est celle à laquelle certains grands constitutionnalistes américains recourent pour décrire les périodes où le président est véritablement le maître du jeu parce que le Congrès le suit en tout, comme ce fut la cas pour Reagan.
M. Alain Gournac. Et plusieurs fois sous Mitterrand !
M. Robert Badinter. La caractéristique de cette « présidence impériale » réside dans le fait, nous le savons, que les autres pouvoirs, particulièrement le pouvoir parlementaire, se trouvent réduits, limités, créant un déséquilibre entre les pouvoirs.
Je suis convaincu que la présente réforme ouvre la voie à ce qui doit advenir, et que nous souhaitons profondément pour notre part, c'est-à-dire un rééquilibrage au profit du Parlement des institutions de la Ve République, qu'il s'agisse d'une plus grande initiative du pouvoir législatif, d'une moindre prépondérance et d'une moindre contrainte de l'exécutif sur les travaux du Parlement, d'une réactivation de ce pouvoir trop délaissé dans la pratique de la Ve République qu'est le contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement, des droits de l'opposition, y compris au sein des commissions d'enquête, dans lesquelles doivent intervenir à égalité les prises de responsabilité.
Tout cela est nécessaire, et la restauration du pouvoir du Parlement est maintenant une priorité pour la République.
M. Alain Gournac. Vous avez eu quatorze ans pour le faire !
M. Robert Badinter. Une telle réforme, si l'on veut qu'elle réussisse, requerra de la part des membres du Parlement plus d'intérêt pour les travaux parlementaires et, par conséquent, nécessairement, le non-cumul des mandats. Si l'on veut en exercer un pleinement, il est évident qu'il faut y consacrer tout son temps !
M. Serge Vinçon. Cela vaut pour les ministres aussi !
M. Alain Gournac. Le ministre des finances, par exemple !
M. Robert Badinter. Telles sont les grandes lignes des inévitables réformes à venir, réformes auxquelles, pour notre part, nous sommes prêts. Je suis convaincu que, de toute façon, cela s'inscrira dans les débats futurs.
M. Hilaire Flandre. Que ne l'avez-vous fait plus tôt ?
M. Robert Badinter. Telle qu'elle se présente à nous, la réforme qui sera votée est importante par ses conséquences,...
M. Alain Gournac. Il fallait la faire avant !
M. Robert Badinter. ... mais inachevée parce qu'elle laisse intacte la question qui n'a jamais cessé de préoccuper les constituants.
Hic et nunc, ici et maintenant, deux questions liées à cette réforme se posent immédiatement, que l'on ne peut pas méconnaître et qu'il faudra bien régler.
La plus importante à mes yeux est celle de la chronologie des élections. Il se trouve que, si l'on maintient le calendrier des élections tel qu'il est aujourd'hui prévu, nous aurons, se succédant de manière très proche - ce ne sera, en tout cas, qu'une seule période de passion électorale - des élections législatives, puis l'élection présidentielle. Ce n'est pas ce que le constituant avait, après une longue réflexion, voulu.
Je rappelle que cela est simplement dû à un événement, malheureux mais fortuit, à savoir la mort du président Pompidou. C'est uniquement cet événement qui fait que l'élection présidentielle a lieu au mois de mai. Cela doit-il devenir la loi de la République ? Je suis convaincu du contraire, et je demande à chacun de s'interroger : si le hasard avait fait que le président Pompidou succombe le 1er juillet, aurait-on organisé régulièrement les campagnes électorales au mois de juillet, pour voter au début du mois d'août ? Certainement pas !
Il s'agit donc d'un calendrier qui n'est dû qu'au hasard. Si nous le maintenions, les élections législatives auraient lieu avant l'élection présidentielle. Mais les élections législatives sont naturellement - et il faut qu'il en soit ainsi - l'affaire des partis. Ce sont les partis qui s'affrontent, ce sont les candidats des partis qui se disputent les 577 circonscriptions,...
M. Hilaire Flandre. C'est une déviation !
M. Robert Badinter. ... et, au soir des élections, ce sont les représentants des partis, on le voit à la télévision, qui viennent commenter les résultats de la façon qui leur semble la plus favorable à leur camp. Ensuite commencent des négociations entre les partis, qui aboutissent à des majorités - des majorités plurielles, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Mais les élections législatives sont l'affaire des partis. C'est exactement le contraire de l'élection présidentielle.
Rien ne pourra empêcher que, si se succèdent, dans l'ordre chronologique actuel les élections législatives puis l'élection présidentielle, le premier tour, pour ne pas dire l'éliminatoire, pour ne pas dire le sort de l'élection présidentielle, ne se joue pendant les législatives.
Car il faut tout de même être réaliste : si la victoire sourit à la droite, imagine-t-on sérieusement que les chances du candidat de la gauche ne seront pas obérées, sinon définitivement compromises, au moment de la présidentielle ? C'est la même chose en ce qui concerne la droite. Si le pays se prononce, comme je l'espère, pour la gauche, quelles chances aura, à cet instant-là, le candidat de droite à la présidentielle ?
M. Alain Gournac. Laissez faire les électeurs !
M. Robert Badinter. Je laisse cela de côté, mais je tenais simplement rappeler à ceux qui aiment à s'en réclamer, ce qu'est la Constitution de la Ve République, au regard de l'inspiration de ses fondateurs.
Ce qui demeure, et qui est essentiel, c'est que nous entrons, avec cette chronologie, dans un système où le sort de l'élection présidentielle se jouera lors des élections législatives.
Si vous aviez exposé - je me tourne vers la droite de l'hémicycle - au général de Gaulle ou à Michel Debré que, dans l'avenir, les élections législatives constitueraient le premier tour de l'élection présidentielle, imaginez quelle aurait été leur réaction !
M. Josselin de Rohan. N'invoquez pas Michel Debré ! Appelez-en plutôt à François Mitterrand !
M. Robert Badinter. A cet égard, j'indique que cette situation est appelée à se renouveler pour d'autres élections.
En vérité, réfléchissez bien au fait que, les deux mandats coïncidant, demain, les dissolutions pour des raisons de convenance politique, comme celle que nous avons connue en 1997, seront aussi rares que les dissolutions après l'échec de la tentative de Mac-Mahon.
Il peut y avoir malheureusement décès du Président de la République ou démission pour raisons personnelles et alors il y aura inévitablement une dissolution. Tel sera, si nous n'y remédions pas, le système dans lequel nous allons entrer sans en percevoir toutes les conséquences.
Pour que la réforme qui sera acquise porte ses fruits sans altérer gravement l'esprit de la Ve République, je souhaite très profondément qu'on en revienne à l'ordre logique, je dirais presque naturel, des élections : la présidentielle d'abord, les législatives ensuite.
M. Josselin de Rohan. Ce calendrier vous arrange ! On vous voit venir !
M. Robert Badinter. L'élection présidentielle d'abord, parce qu'à ce moment-là, on vote non seulement pour l'homme, mais aussi pour les grandes lignes de son projet ; les élections législatives, ensuite, qui donneront à ce moment-là, comme le pays le voudra, une majorité relative ou la majorité absolue au Président de la République.
M. Josselin de Rohan. Et voilà !
M. Robert Badinter. Si le peuple ne lui donne pas la majorité, c'est qu'il aura tenu à exprimer sa passion pour la cohabitation, passion qui me laisse sceptique. Les pacifiques voient dans la cohabitation une sorte d'armistice des fureurs politiques. Mais ce que le peuple attend, c'est que le rythme des institutions reprenne. Disons-le franchement, le régime de la cohabitation n'est assurément pas le meilleur que nous puissions avoir, même s'il est maîtrisé avec sagesse depuis l'exemple qu'en a donné le Président Mitterrand.
M. Alain Gournac. Bel exemple ! Quatorze ans de pouvoir !
M. Robert Badinter. Je ne savais pas que la cohabitation avait duré quatorze ans ! Le temps a dû vous paraître long !
MM. Alain Gournac et Josselin de Rohan. Non, c'est la présidence Mitterrand qui a duré quatorze ans !
M. Robert Badinter. Pour parler sérieusement, si cela vous est possible,...
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui n'êtes passérieux ! Vous, vous êtes un politicien !
M. Alain Gournac. Il se répète ! Arrêtez, professeur !
M. Robert Badinter. On dit qu'on ne touchera pas au rythme des élections. C'est ce qui vous préoccupe.
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui en parlez ! Bien sûr, cela vous gêne !
M. Robert Badinter. Moi, je dis très clairement que le maintien de ce calendrier électoral est la plus grande faute que l'on puisse commettre pour la portée de cette réforme. C'est une aberration !
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui en parlez, cela vous gêne !
M. Robert Badinter. Non, c'est l'ordre logique des choses ! Il est inouï d'entendre ceux qui se réclament tant de l'inspiration du fondateur de la Ve République vouloir déterminer l'élection du Président de la République par l'élection législative, ce qui n'est autre chose que l'élection législative, des partis ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan. Laissez-les en paix !
M. Jean-Pierre Raffarin. Le coup d'Etat permanent continue !
M. Robert Badinter. Je conclurai en disant que la meilleure solution pour apaiser les passions serait un projet de loi présenté avec l'accord du Président de la République...
M. Josselin de Rohan. Eh bien le voilà !
M. Alain Gournac. On va le lui demander !
M. Robert Badinter. ... et fixant, comme cela est possible, la date des élections législatives après les élections présidentielles. Rien ne l'interdit dans la Constitution.
Mme Nelly Olin. Eh bien, oui !
M. Robert Badinter. C'est une loi organique qui se justifierait ici pleinement, s'agissant des pouvoirs de l'assemblée, par l'intérêt général lié à cet événement nouveau.
Il n'y a rien d'inconstitutionnel. Il faut simplement le vouloir. Si, pour des raisons sur lesquelles vous vous expliquerez sans doute longuement, cela n'intervenait pas, je souhaite que la majorité de l'Assemblée nationale prenne l'initiative. C'est l'intérêt général qui est en cause.
M. Josselin de Rohan. Maître de morale !
M. Robert Badinter. Je m'aventurerai enfin et rapidement sur la façon d'achever cette révision constitutionnelle.
Il s'agit d'une prérogative du Président de la République. Nous savons tous que c'est à lui, et à lui seul, de choisir entre le référendum ou le Congrès.
Les avis sont partagés. La logique constitutionnelle inclinerait plutôt vers le référendum parce qu'il s'agit ici du mandat du Président de la République et que c'est le peuple qui choisit ce dernier. Les Français sont donc directement concernés puisque c'est l'acte de la vie politique qui leur paraît primordial. Donc, du moment que l'on touche au mandat du Président de la République puisqu'ils l'élisent, il serait constitutionnellement souhaitable de recourir au référendum.
M. Hilaire Flandre. Expliquez cela à M. Hollande !
M. Robert Badinter. Cela dit, je tiens à faire une remarque. Si référendum il doit y avoir, ce qui, encore une fois, est plus conforme à la logique constitutionnelle, la question posée est en outre d'une simplicité extrême et tout Français, à cet égard, pourra clairement répondre à une question claire.
Mais il y a un facteur immédiat et conjoncturel. La France, demain, va exercer la présidence de l'Union européenne pendant six mois. Durant cette période, chacun le sait, et le Président de la République le Premier ministre seront nécessairement très accaparés par des sujets graves, essentiels, qui seront discutés et, nous l'espérons, résolus dans l'intérêt de la France et de l'Union européenne pendant cette présidence.
Je ne crois pas qu'il soit heureux d'organiser un référendum précisément à cette période. La raison en est simple, on sait en effet que les référendums échappent souvent à leurs auteurs, si bien qu'à la question posée, on en substitue, dans le cours du débat politique, une autre, même si l'une n'a rien à voir avec l'autre.
Je crains pour ma part que, s'agissant de la question sur le quinquennat, vous n'assistiez, du côté des adversaires de la construction européenne, des tenants intégristes de la souveraineté, à un effort considérable pour inciter les Français à exprimer directement leur volonté, non pas contre le quinquennat - cela peut attendre, on en parle depuis plus d'un quart de siècle - mais contre ce que le Président de la République et le Premier ministre sont en train de négocier avec les chefs d'Etat ou de gouvernement européens. En résumé, on les incitera à dire non à l'Union européenne et à son développement, laissant le quinquennat plus tard.
Je redoute qu'à cette occasion on ne voie le référendum sur la question claire et simple du quinquennat se transformer, parce qu'il s'inscrira dans le cadre de l'Union européenne et à ce moment-là, en un vaste débat sur plus ou moins l'Europe.
Mme Hélène Luc. C'est aussi un débat que nous devons avoir !
M. Robert Badinter. Cela serait désastreux pour nous, non seulement parce que cela accaparerait, l'énergie du Président de la République et du Premier ministre...
M. Alain Gournac. Il fallait y penser avant !
M. Robert Badinter. ... mais aussi parce qu'il faut penser au spectacle que donnerait aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers une présidence française qui défendrait devant le pays les bienfaits de l'Union européenne.
Puisque le débat sur le quinquennat s'est poursuivi depuis plus d'un quart de siècle, si référendum il doit y avoir, je souhaite très vivement qu'il se tienne après le terme de la présidence de l'Union européenne, voire après les élections municipales. Après tout, un an s'écoulera entre le résultat du référendum et les élections législatives et présidentielles. Il est impératif de réussir la présidence de l'Union européenne et tout doit être mis en oeuvre à cette fin ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous connaissons aujourd'hui un moment important dans la vie des institutions françaises et dans la vie parlementaire. Nous débattons en effet d'une modification de notre Constitution qui concerne le premier des acteurs de la scène politique nationale : le Président de la République. Nous devons répondre à une simple question : doit-on réduire la durée de son mandat de sept à cinq ans ? La problématique est claire, ses enjeux le sont également. La réponse, elle, n'est pas nécessairement aisée.
Des avis divergents se sont déjà exprimés. Mais il est vrai, et vous me permettrez de citer ici un Mayennais, que « la durée est chose trop transparente pour être perçue autrement que colorée de quelques divisions » ; c'est Alfred Jarry qui s'exprimait ainsi. Il nous faut donc tenir d'une main habile et sûre le burin législatif lorsque l'on souhaite graver autrement le marbre de la loi fondamentale.
Je ne reviendrai pas sur le rôle de l'histoire dans la détermination de la durée du mandat du chef de l'Etat : elle nous a légué en 1873 le principe du septennat, qui a traversé les républiques successives sans changement. Il n'y a cependant aucune symbolique particulière dans cette durée de sept années. Ce qui importe avant tout, c'est le respect d'un cadre démocratique, c'est-à-dire l'existence d'institutions solides, stables et équilibrées. C'est aussi l'exercice par l'ensemble des citoyens d'une souveraineté qui leur appartient.
Or c'est largement de ce pouvoir dont il s'agit aujourd'hui. A l'issue de nos discussions, la Constitution pourra favoriser, davantage encore, la prise en compte de l'expression politique des Français. Pour cela, nous avons désormais un instrument qui nous a été proposé par le Président de la République, Jacques Chirac, qui avait été suggéré en son temps par le président Georges Pompidou, et qui a été remis en avant tout récemment par le président Valéry Giscard d'Estaing.
M. Alain Gournac. Pas par Mitterrand !
M. Jean Arthuis. Cet instrument, c'est le projet de loi constitutionnelle instaurant une durée de cinq ans du mandat présidentiel ; c'est le quinquennat.
Qu'on ne nous oppose pas une rigidité totale de notre Constitution, qui interdirait toute évolution de cet ordre. Michel Debré lui-même, père fondateur du texte qui nous régit aujourd'hui, soulignait, au contraire, la souplesse des institutions de la Ve République et ajoutait qu'« aucun équilibre n'est immobile ». Sachons donc « puiser dans les ressources de la Constitution ».
Il est, à cet égard, naturel que les Français prennent la parole pour exprimer leur position vis-à-vis du quinquennat. On ne peut souhaiter l'approfondissement de notre démocratie et refuser sa manifestation la plus tangible que constitue le référendum. Je suis, pour ma part, en ce domaine, très favorable à une consultation référendaire et j'avoue que les réserves exprimées à l'instant par M. Badinter m'ont étonné. Nous ne devons, en aucune façon, redouter de consulter les Français.
M. Paul Girod. Très bien !
M. Jean Arthuis. Nos concitoyens semblent approuver un mandat présidentiel ramené à cinq ans ; les sondages multiples effectués ces dernières semaines nous le confirment. Ils y voient sans aucun doute la reconnaissance de leur besoin d'être consultés à intervalles plus rapprochés sur les grandes orientations politiques du pays.
Ils y trouvent la réaffirmation d'une volonté de démocratie réellement participative, plus conforme à la vision que nous exprimons depuis longtemps au sein de notre formation politique. Ils en attendent une revitalisation de notre système institutionnel, prenant davantage appui sur le dialogue citoyen. Néanmoins, les Français considèrent ce projet non pas comme une fin en soi, mais bien comme un instrument du progrès républicain.
Faut-il pour autant en conclure que l'argument majeur en faveur du quinquennat se résume à la « modernité » ? Je ne crois pas, en tout cas, que le débat politique gagne à développer, en l'an 2000, une autre querelle des anciens et des modernes. Ce serait, convenons-en, une lutte dérisoire, réductrice et dévalorisante, se heurtant, de surcroît, à l'incompréhension des citoyens.
S'il y a modernité, elle est démocratique. Toute revendication d'une autre nature apparaît hors de propos. Il est donc grand temps de rattraper le temps. La loi du 6 novembre 1962 avait, en effet, modifié la Constitution de 1958 en instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Ne peut-on considérer comme une évolution naturelle - un peu tardive, certes - son accompagnement par la réduction de ce mandat ?
Ce choix d'une durée nouvelle devrait favoriser la coïncidence entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Le quinquennat pourrait, presque paradoxalement, redonner du temps pour gouverner. Aux yeux de certains, le temps politique se rapprocherait même du temps médiatique... Mais, surtout, la stabilité nécessaire aux réformes structurelles serait retrouvée. Notre objectif, partagé par tous ceux qui s'intéressent à la vie publique, de redonner de l'espace et du souffle à l'action politique, pourrait-il ainsi être atteint ?
Nous devons l'espérer. Le quinquennat nous laisse effectivement espérer la diminution sensible des risques de cohabitation, ce dévoiement pervers de nos institutions qui affaiblit le pouvoir politique et freine le développement d'une nation. La cohabitation n'est pas un bienfait, c'est une maladie grave. Elle dénature insidieusement les institutions, répandant ses effets paralysants sur toutes les capacités d'action politique.
Notre Constitution nous dit que le Président de la République « ... assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics... ». Peut-il encore, en période de cohabitation, être pleinement cet arbitre actif ? Je ne poursuivrai pas sur ce thème, chacun a en mémoire la liste des méfaits de la cohabitation. Nous avons, pour notre part, le souci d'un meilleur fonctionnement de notre système politique.
Cette réforme que l'on nous propose aujourd'hui constitue à nos yeux un premier champ dans la réflexion que nous devons engager sur l'évolution de nos institutions. Le groupe de l'Union centriste n'a pas souhaité y apporter de modifications.
Nous aurions pu cependant songer à un amendement qui prévoirait de modifier la chronologie des prochaines élections présidentielle et législatives. Mais convenons que nous pouvons régler ce qui apparaît comme une sorte d'anachronisme, ou d'incongruité, par une loi organique ; il n'est nul besoin d'y mêler la Constitution. Néanmoins, il s'agit là d'un débat essentiel que nous devrons ouvrir immédiatement après le vote de cette réforme.
Notre groupe accueillerait favorablement un projet ou une proposition de loi organique visant à prolonger de deux mois la durée de la législature, afin de contribuer au rétablissement d'un calendrier électoral équilibré dans lequel l'élection du chef de l'Etat précéderait celle des députés. N'est-ce pas le Président de la République qui exprime la vision et les grandes orientations politiques ?
J'évoquais au tout début de mon propos la vie parlementaire. J'y reviens, car l'adoption du quinquennat devra nous conduire à veiller plus attentivement encore au respect de l'équilibre des pouvoirs. Notre souci démocratique nous incite clairement à rechercher la réaffirmation du dialogue, non seulement celui de l'Etat avec les citoyens, mais aussi celui de l'exécutif avec les assemblées représentatives.
Aujourd'hui, nous dressons le constat navrant et inquiétant d'un Parlement peu à peu vidé de sa substance. Demain, avec un Président et un exécutif forts, en phase l'un avec l'autre, qu'adviendra-t-il du pouvoir législatif s'il ne se ressaisit pas ? Nous devons prévenir les risques d'affaiblissement du Parlement en confortant son rôle, en lui permettant d'assumer la plénitude de ses missions, en renforçant sensiblement, j'y insiste, sa capacité de contrôle.
La marge de manoeuvre du Parlement ne saurait être réduite, sous peine de fragiliser la démocratie. Elle doit au contraire être amplifiée à l'avenir. Cette réforme de la durée du mandat présidentiel est donc aussi pour nous l'occasion d'engager le débat sur un équilibre institutionnel retrouvé, ce qui appelle un Parlement actif, déterminé, pugnace, doté des moyens nécessaires à l'exercice complet de sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement et des administrations publiques, des moyens humains et matériels. Mais ne nous leurrons pas : il faut une réelle volonté politique pour assurer la reviviscence du Parlement. Au sein des assemblées, c'est nous qui devons nous mobiliser. C'est à nous tous, parlementaires, qu'il appartient d'agir.
Mes chers collègues, avant d'imaginer d'autres transformations de notre Constitution, nous devrons désormais situer l'ensemble de nos réflexions sur l'équilibre des pouvoirs dans le cadre de notre vision de l'Europe. La démarche politique que nous appelons de nos voeux doit à l'avenir s'analyser à trois niveaux : ceux de la démocratie locale, de la démocratie nationale et de la démocratie européenne, que nous devons faire prospérer.
En effet, si l'adoption d'une nouvelle durée du mandat présidentiel a pour contrepartie la réactivation d'un contre-pouvoir, c'est-à-dire le Parlement sur le plan national, elle doit en parallèle avoir pour conséquence le développement des pôles locaux de compétences. Ce sera l'aboutissement indispensable de la décentralisation et l'amplification de l'autonomie des collectivités territoriales. Ce sera le témoignage tangible de l'existence d'une véritable démocratie de proximité.
A l'autre extrémité du champ politique, l'évolution de notre système institutionnel doit, nous semble-t-il, s'inscrire dans un vaste débat sur la nature et le rôle des institutions à donner à l'Europe. Comment pourrons-nous prolonger, dans les années à venir, le dialogue public et citoyen en France, en faisant abstraction de l'ardente nécessité d'une Europe politique ? Les citoyens ne seront pas dupes. Ils n'attendent pas le silence des politiques, ils attendent l'expression de leur vision et leur engagement au service de ce grand projet. C'est en tout cas notre conviction profonde.
Alors, oui, mise ainsi en perspective, la réforme qui nous est proposée aujourd'hui doit être adoptée, parce qu'elle redonne une cohérence institutionnelle qui nous a tant fait défaut ces dernières années et, surtout, parce qu'elle ouvre un nouvel espace de réflexion sur la France politique de demain dans son environnement européen. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste votera, dans sa très grande majorité, ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. de Raincourt. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la mondialisation est en marche. La nouvelle économie ouvre des horizons nouveaux. La France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne. Nos concitoyens, eux, attendent des réponses concrètes à leurs préoccupations.
Mais j'ouvre les guillemets :
« Pendant ce temps, nous allons doctement disserter de nos institutions.
« Je suis d'autant plus tenté de qualifier ce débat de diversion que les motifs qui, d'après le Gouvernement, en justifient l'urgence, ne paraissent pas convaincants. Pourquoi cinq ans ? Pourquoi ce texte ? Pourquoi cette hâte ?
« Le seul droit véritablement reconnu au peuple, le seul grâce auquel sa souveraineté a l'occasion, nous dit-on, de s'exercer pleinement, c'est celui de choisir un président tous les sept ans. Alors, on nous propose un grand progrès : ce choix, nous le ferons non plus tous les sept ans, mais tous les cinq ans !
« La mesure que vous préconisez, limitée à la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, est fragmentaire et insuffisante.
M. Paul d'Ornano. Très bien !
M. Henri de Raincourt. « A quoi bon remanier la Constitution, cet énorme échafaudage sur lequel reposent les institutions, si c'est simplement pour desserrer un boulon, surtout si ce boulon ne sert à rien ?
« C'est une fois de plus - et vous en êtes coutumier - la fausse solution d'un vrai problème. Nous serons installés dans le déséquilibre des pouvoirs. Voilà ce qu'à nos yeux signifie le mandat de cinq ans.
« La réforme de 1962 a, dites-vous, provoqué une mutation institutionnelle profonde. Alors tirons-en les conséquences, toutes les conséquences. En effet, une mutation aussi profonde ne va pas sans un nécessaire réaménagement de l'ensemble.
« Ce projet, c'est trop à la lumière de notre expérience passée et de nos craintes pour l'avenir, et c'est trop peu pour remédier au déséquilibre institutionnel profond dont nous souffrons. Que faisons-nous, comment travaillons-nous ? Arrivons-nous réellement à assumer nos fonctions législatives ? Les textes de loi d'initiative parlementaire sont nombreux. Mais ils ne sont pas discutés et il y a une attitude systématique du Gouvernement. Ajoutez à cela l'abus du tout ou rien, du vote bloqué, de l'article 40 en matière budgétaire.
« Vos méthodes sont telles que la confiance ne peut pas y être. Il est essentiel, avant qu'il ne soit trop tard, que vous preniez des engagements précis pour arrêter la décadence du Parlement car si, un jour, vous avez un parlement de façade, vous n'aurez plus de République.
« Pour toutes ces raisons, notre assemblée ferait oeuvre utile, selon nous, en vous disant d'entrée de jeu : "non pas comme cela et pas ainsi !". » Je ferme les guillemets.
M. Serge Vinçon. C'est important !
M. Henri de Raincourt. Ne vous méprenez pas sur mes propos. Je viens seulement de citer un florilège des déclarations de François Mitterrand...
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Henri de Raincourt. ... et des porte-parole des groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, André Chandernagor et Félix Ciccolini, lors du débat sur le quinquennat en 1973. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) Merci pour eux !
M. Claude Estier. Nous aurions pu vous rappeler d'autres prises de position.
M. Henri de Raincourt. N'y voyez de ma part aucune ironie. Simplement à lire et à entendre certaines déclarations, je me demande qui sont les convertis.
M. Roger Lagorsse. Voir Giscard !
M. Henri de Raincourt. Je m'interroge surtout pour savoir où se trouve la cohérence. Est-elle du côté de ceux qui, après avoir dénoncé le coup d'Etat permanent, se sont glissés dans l'uniforme du général de Gaulle ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Est-elle du côté de ceux qui livrent aujourd'hui une sorte de combat à front renversé en s'appropriant l'héritage gaulliste qu'ils dénonçaient naguère ? (M. Serge Vinçon applaudit.)
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Est-elle du côté de ceux qui, ici même ou à l'Assemblée nationale, ont rejeté le quinquennat en 1973 et s'apprêtent à l'approuver pour des raisons inverses ? Je ne le crois pas.
Je vous ai naturellement écoutée avec attention, madame le ministre. Depuis les années soixante, avez-vous dit, la gauche, la première, milite pour le quinquennat. En 1973, vos amis avaient l'occasion de voter la réforme proposée par le gouvernement de M. Pierre Messmer dont M. Jacques Chirac était le ministre : ils l'ont rejetée, bloquant son adoption par le Congrès.
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. Henri de Raincourt. De 1981 à 1986, puis de 1988 à 1993, le président Mitterrand avait la majorité pour mettre en oeuvre la quarante-cinquième de ses 110 propositions.
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Bravo !
M. Henri de Raincourt. Il a opté pour le sextennat, sans d'ailleurs engager la moindre réforme.
Depuis des semaines, des ministres et des responsables affichent, comme d'habitude, allais-je dire, un air satisfait. C'est à qui revendiquera le mérite et la paternité du quinquennat, un peu comme ces jeux d'enfants : « c'est celui qui dit qui est ». (Sourires sur les travées du RPR.)
N'en déplaise à ceux qui volent au secours de la victoire, je prétends que c'est celui qui fait qui est.
M. Serge Vinçon. Exactement !
M. Henri de Raincourt. Depuis 1997, le Premier ministre s'est habilement retranché derrière la cohabitation pour justifier son immobilisme sur le quinquennat.
Paradoxalement, c'est grâce à la cohabitation que le quinquennat verra le jour. Sans l'accord du Président de la République, rien n'aurait été possible.
En politique, nous le savons bien les uns et les autres, les actes comptent plus que les paroles. L'histoire retiendra que la réforme du quinquennat a été engagée par le président Pompidou et a abouti sous la présidence de M. Jacques Chirac. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mais là n'est pas l'essentiel. Fermons donc cette parenthèse et tournons-nous vers l'avenir. Le quinquennat est-il une bonne chose pour le pays et pour la démocratie ?
Le quinquennat devrait permettre à la démocratie d'élection de regagner du terrain sur la démocratie d'opinion.
Nombre d'observateurs politiques se réfèrent aux sondages pour justifier l'adoption du quinquennat. Comme si gouverner un pays pouvait se résumer à cette phrase : « Je suis leur chef donc je les suis ! ». Comme si le quinquennat était le premier des soucis des Français !
Je ne souscris pas à cette démarche propre à la démocratie d'opinion. Nous engageons une réforme non pas pour faire moderne, mais pour servir le bien commun. Dans une démocratie d'élection, le seul sondage qui vaille est celui des urnes. Aucun d'entre nous n'a à craindre le suffrage universel.
L'élection présidentielle reste le temps fort de la vie politique française, le temps où sont débattues les grandes orientations pour le pays. Avec le quinquennat, les Français pourront s'exprimer plus souvent. Leur liberté démocratique s'en trouvera donc renforcée.
Le quinquennat signifie également un mandant présidentiel mieux en phase avec l'accélération de la vie politique et les transformations de la société.
Nous le savons, le monde change de plus en plus vite. Il devient difficile de s'engager avec certitude sur la durée. Parfois, vouloir être de son temps, c'est déjà être dépassé.
Quoi qu'il nous en coûte, le temps de la politique n'est plus le temps de l'actualité. Faute de réponse rapide à leurs préoccupations, nos concitoyens sont tentés d'essayer autre chose et en quelque sorte « zappent » d'une majorité à l'autre.
Ce n'est probablement pas un hasard si les trois derniers septennats ont été le théâtre d'une cohabitation. Ce n'est pas non plus une fatalité si nous avons connu sept Premiers ministres en quatorze ans.
La légitimité du mandat présidentiel s'approfondira en se retrempant plus fréquemment à sa source. Le quinquennat permettra au Président de la République de mettre en jeu sa responsabilité plus souvent devant le peuple, sans bouleverser la stabilité de nos institutions.
Troisième raison, importante à nos yeux : le quinquennat réduit les risques de cohabitation.
Je ne me prononcerai pas sur l'engouement des Français pour la cohabitation. Traduit-il la volonté d'un climat politique apaisé ? N'est-ce pas plutôt là une manière pour les Français d'exercer leur droit de contrôle ?
Une chose est certaine : la cohabitation n'est pas une voie d'avenir pour une société en mouvement.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Henri de Raincourt. La démocratie suppose l'alternance et la possibilité d'un vrai choix entre des projets différents.
M. Christian Bonnet. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Au contraire, la cohabitation ne fait qu'entretenir l'illusion du consensus. Elle favorise l'abstention des Français, certains d'entre eux considérant que toutes les politiques se valent.
Si nous voulons lutter contre cette dérive, il faut que, du suffrage universel, émergent un chef de l'Etat et une majorité claire chargée de mettre en oeuvre le projet approuvé par les Français.
En favorisant la coïncidence des échéances électorales et la cohérence des majorités, le quinquennat limitera les risques de cohabitation, même s'il ne les élimine pas.
Et si un conflit d'autorité ou une interruption du calendrier devaient se produire, les Français pourraient trancher par un vote. C'est cette souplesse qui, depuis 1958, justifie la confiance populaire dans nos institutions.
Mes chers collègues, modifier la durée du mandat présidentiel est un événement important. Il faut veiller, si on veut qu'il garde sa portée, à ne pas le manipuler à des fins partisanes. En 2001 et 2002, nous allons entrer dans une phase électorale, avec des élections municipales, cantonales, sénatoriales, législatives et l'élection présidentielle. Il faut veiller, à partir de maintenant, à ne pas toucher à un paramètre de l'édifice, sinon cela signifiera que ceux qui s'y risqueraient ont des intentions plus politiciennes que conformes au déroulement de la démocratie. A mes yeux, si le calendrier de 2002 est effectivement instauré par le hasard de la mort du président Pompidou, il ne s'agit sûrement pas de le manipuler en 2002. (M. Serge Vinçon applaudit.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Que l'on y songe pour après. On peut sans doute en discuter. Mais je mets en garde contre la tentation qui pourrait consister à vouloir inverser les facteurs de 2002. Que les choses soient claires entre nous : nous ne nous livrerons pas à ce jeu qui constituerait une manipulation des institutions de la République à des fins partisanes. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Michel Bécot applaudit également.)
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l'a écrit Montesquieu, « à l'égard des modes, les gens raisonnables doivent changer les derniers, mais ils ne doivent pas se faire attendre ».
Certains, qui sont favorables à une refonte d'ensemble de nos institutions, ont regretté que ce débat ne soit pas l'occasion d'un « grand soir constitutionnel ». Mais, comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux, à vouloir tout changer, on risque de ne rien changer. Le quinquennat contribuera - nous l'espérons - à une meilleure expression de la démocratie. C'est pourquoi les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants y sont favorables et le voteront pour la seconde fois, à vingt-sept ans d'intervalle.
Nous savons aussi que le rythme et l'équilibre des institutions vont s'en trouver modifiés et que cela aura des répercussions dans l'avenir.
Pour autant, ne nous leurrons pas. Nos institutions n'expliquent pas à elles seules la crise de confiance qui atteint notre démocratie. D'autres problèmes demeurent entiers : la crise de l'engagement et de la représentation, la fuite des élites, la désincarnation du pouvoir politique, la pression de la pensée unique et le découragement de l'initiative personnelle.
Le Président de la République a eu raison, dans sa récente intervention télévisée, d'insister sur la démocratie locale. Notre groupe et, plus largement, la majorité sénatoriale ont des propositions à faire dans ce domaine, et je souscris sans réserve à ce qui a été explicité voilà quelques instants par mon ami M. Jean Arthuis.
En effet, changer les institutions ne servirait à rien si nous ne modifions pas nos comportements et notre culture politique afin de les adapter aux changements et à la réalité. Cela part du bas pour aller vers le haut, et non plus l'inverse.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Henri de Raincourt. C'est ainsi que l'on recréera un authentique mouvement politique propice à l'épanouissement de la démocratie.
Présentées comme une modernisation de la vie politique, les lois sur la parité et la limitation du cumul des mandats sont peut-être aussi la conséquence de l'impuissance des partis politiques à s'engager eux-mêmes dans la voie du renouvellement.
Devoir en passer par la loi, c'est quelque part un aveu de faiblesse.
Parce que nous aimons la France, nous devons agir ensemble pour éclairer son chemin. Parce que nous avons le privilège de nous être engagés au service de nos concitoyens, nous devons éclairer leur avenir.
Le mérite du quinquennat est d'avoir lancé le débat. Faisons maintenant en sorte qu'il ouvre de nouvelles perspectives vers une démocratie adulte et apaisée, vivante et rayonnante, une démocratie qui honore l'attachement de notre pays aux droits de l'homme et qui donne un véritable sens à la vie politique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, j'ai, en tant que sénateur non inscrit, quatre minutes pour présenter mon opinion sur le texte qui nous est soumis.
Voilà un an, j'ai écrit au Président de la République pour lui demander de mettre en place le quinquennat afin de résoudre deux problèmes : la cohabitation et la lisibilité du pouvoir.
La cohabitation de longue durée est un fléau dans le sens où elle est contraire à l'esprit de nos institutions, elle empêche la mise en oeuvre de réformes de fond, elle nuit à l'unité d'expression de la France.
Faut-il rappeler la récente faute du Gouvernement qui, alors que le Président de la République s'était rendu aux obsèques du Président Hafez el Assad afin de favoriser le processus de paix, a mis en doute la capacité du futur président syrien à conduire son pays ?
Quelle que soit l'opinion des uns et des autres, nous ne pouvons ignorer les conséquences énormes que peut provoquer une telle dissonance.
Chacun d'entre nous a pu s'en rendre compte : lorsque la majorité parlementaire est conforme à la majorité présidentielle, il est très difficile de savoir qui exerce réellement le pouvoir découlant du Président de la République. Qui a la prééminence ? Les conseillers du Président de la République ? Les conseillers du Premier ministre ou les ministres ?
Au moment où l'on s'interroge sur de nouvelles institutions européennes, il aurait été bon d'en tenir compte et d'intégrer cette dimension afin de rationaliser, de clarifier, de responsabiliser, bref de mettre en place un véritable régime présidentiel, moderne, doté de contre-pouvoirs et affichant clairement son nom.
Le texte qui nous est proposé supprime-t-il la cohabitation de longue durée ? Non. Fait-il le choix d'un régime présidentiel clairement défini avec de véritables pouvoirs donnés aux parlementaires ? Non.
En conséquence, n'ayant pas envie de voter contre, car je suis pour un quinquennat moderne, n'ayant pas envie de voter pour, car cette demi-mesure ne résout rien, n'ayant pas le sentiment de gêner le Président de la République qui, sur cette affaire, ne s'est pas vraiment « engagé », n'ayant aucune envie de faire plaisir au Premier ministre qui aimerait un retour à la IVe République, n'ayant aucune envie de faire plaisir à Valéry Giscard d'Estaing, dont la seule ambition semble aujourd'hui de nuire, ce qui me paraît fort regrettable (Sourires sur les travées du RPR et sur les travées socialistes), je m'abstiendrai. La modification de la Constitution est une chose sérieuse qui mérite que l'on n'y recoure qu'avec parcimonie, avec la volonté de véritablement résoudre les questions posées.
J'ajoute enfin que, s'agissant de la modification du scrutin présidentiel, élément essentiel de notre démocratie, seul le référendum me semble approprié. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Monsieur Adnot, vous n'avez utilisé que 2 minutes 50 secondes de temps de parole !
M. Josselin de Rohan. La preuve en est que l'on peut dire beaucoup de choses en peu de temps !
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le 31 janvier 1964, le général de Gaulle déclarait, lors d'une conférence de presse : « Une constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique ».
L'esprit de la constitution de 1958, c'est résolument la volonté de ne pas retomber dans les errances de la IIIe et de la IVe République où régnaient l'instabilité gouvernementale et le désordre politique. Pour ce faire, les constituants ont mis en place des institutions au coeur desquelles le Président de la République est « la clef de voûte », pour reprendre la fameuse expression de Michel Debré devant le Conseil d'Etat en août 1958. Il est le garant de la continuité de l'Etat et dispose de pouvoirs forts qui lui permettent, en dernier recours, d'arbitrer d'éventuels conflits ou blocages des autres composantes de l'équilibre institutionnel. Il dispose du pouvoir discrétionnaire de nommer le Premier ministre, du pouvoir de dissolution et peut soumettre un texte au référendum. Elu en 1958 au suffrage indirect, il lui fallait, pour s'assurer une certaine prépondérance sur les autres pouvoirs, pour acquérir la sérénité nécessaire à son action, un mandat d'une durée supérieure à celui des députés : le septennat.
Il est évident que le septennat a été, du moins dans les premières années d'existence de la Ve République, un facteur de stabilité incontestable. Après la révision constitutionnelle introduite en 1962, qui a permis la désignation du Président de la République au suffrage universel direct, il est resté un élément déterminant de stabilité. Le Président de la République élu au suffrage universel direct pour sept ans disposait d'une durée suffisante pour marquer sa suprématie sur les autres pouvoirs, pour garantir l'équilibre institutionnel.
Pourtant, en 1973, le Président Pompidou a engagé une réflexion, puis une révision du septennat en faveur du quinquennat afin, dit-il alors, de tirer les conséquences de la révision de 1962 et de redonner une plus grande légitimité au Président de la République qui verrait, dans une durée de mandat réduite de deux ans, ses pouvoirs se « densifier ». Faute de consensus, le parti socialiste - eh oui, chers collègues ! - refusant de soutenir cette initiative telle que proposée, cette réforme n'aboutira pas...
Nous sommes aujourd'hui confontés à un choix identique à celui de nos prédécesseurs en 1973 : la réduction du mandat du Président de la République de sept à cinq ans. Nous vivons un moment fort de notre existence de parlementaires, car, pour la famille gaulliste, il est symbolique de modifier une prérogative présidentielle.
La question est fondamentale et la réponse sera, à mon avis, historique.
Il est donc bien normal qu'un certain nombre d'entre nous, dans la famille gaulliste notamment, s'interrogent sur le bien-fondé de cette démarche. Ne risque-t-elle pas de dénaturer « l'esprit et les institutions » de la Ve République ? Ne risque-t-elle pas d'ouvrir la boîte de Pandore dans laquelle s'engouffreront tous les réformateurs partisans d'un passage à une VIe République ?
Ces questions sont légitimes et méritent d'être posées, car elles contribuent à l'enrichissement du débat qui traverse nos rangs depuis si longtemps. Elles témoignent - je voudrais insister sur ce point - de la sincérité caractérisant les gaullistes, lesquels peuvent, individuellement, s'interroger sur la portée et l'opportunité d'une telle réforme. Elles illustrent notre souci constant de conserver une certaine liberté d'esprit, caractéristique du fondateur de la Ve République, qui, si elle ne nous pousse pas à faire automatiquement acte d'allégeance, enrichit le débat et nous permet d'adopter la ligne de conduite qui nous semble servir au mieux l'intérêt général.
Il est indispensable de s'interroger sur les conséquences d'une telle révision de nos institutions, de se demander si une réduction de la durée du mandat présidentiel ne risque pas d'entraîner une modification de « l'esprit » de nos institutions. Et il ne faut pas oublier la troisième composante du triptyque énoncé en 1964 par le Président de la République : « la pratique »...
Deux questions fondamentales se posent dès lors.
Premièrement, le quinquennat risque-t-il d'entraîner un changement dans la nature du régime de la Ve République ? Deuxièmement, quel sera son apport dans la revitalisation tant attendue de notre vie publique ?
Pour répondre à la première question, il convient de s'interroger sur les conséquences du quinquennat sur notre équilibre institutionnel. En clair, courrons-nous le risque, d'une part, de voir le régime glisser vers un régime présidentiel ou, d'autre part, d'abaisser le rôle du Président de la République ?
Y a-t-il risque de dérive vers un régime présidentiel ?
Pour qu'il y ait régime présidentiel, il faut que certains éléments soient réunis : une séparation stricte des pouvoirs sans collaboration ni moyens d'actions réciproques, ainsi qu'un monisme de l'exécutif.
Or, sauf preuve du contraire, ce n'est pas l'introduction du quinquennat tel qu'il nous est présenté aujourd'hui qui aura ces conséquences.
Il ne s'agit en aucun cas de faire tomber en désuétude ni le droit de dissolution ni la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.
Le rôle des composantes de l'exécutif reste inchangé : le Président de la République conserve ses missions définies par l'article 5 de la Constitution et ses pouvoirs propres ; le Premier ministre continue à conduire et à déterminer la politique de la nation au sens de l'article 20 et à être responsable devant le Parlement au sens de l'article 49. On ne peut donc pas parler de dérive présidentielle du régime, ni plus ni moins que ce que la pratique en a fait depuis 1958.
La réduction du mandat pourra-t-elle réduire la faculté du Président de la République d'avoir recours à la dissolution et, de fait, la faire tomber en désuétude ?
L'une des forces mais aussi des ambiguïtés de la Constitution est la maîtrise, par le Président de la République, de la dissolution, qualifiée souvent « d'arme absolue ».
Aux termes de l'article 12, le Président de la République dispose d'un pouvoir propre, défini par l'article 19, qu'il peut utiliser librement et qui lui permet de recourir à l'arbitrage du peuple. C'est en ce sens que vont être mises en oeuvre les deux premières dissolutions décidées par le général de Gaulle : en 1962, pour faire trancher par le peuple le conflit qui l'opposait à l'Assemblée nationale, qui, le 10 octobre, venait de renverser le gouvernement Pompidou pour manifester son désaccord avec la procédure utilisée pour modifier le mode d'élection du Président de la République ; en 1968, pour s'assurer de la confiance du peuple, à la suite des manifestations de mai.
Or, certains craignent que le fait de donner au mandat du Président de la République une durée identique à celui des députés n'entraîne une limitation, de fait, de la dissolution. Une telle situation aurait pour conséquence de limiter les moyens d'action réciproques de l'exécutif sur le législatif et, par extension, la responsabilité du Premier ministre devant l'Assemblée nationale. Il s'agirait ainsi d'un glissement, de fait, de notre régime vers un régime présidentiel...
La dissolution n'étant pas un pouvoir partagé entre le Premier ministre et le Président de la République, cette évolution est fort peu probable, d'autant que le projet de révision qui nous est présenté ne prévoit que la réduction du mandat présidentiel, et rien d'autre. La dissolution, dispensée de contreseing, n'est donc subordonnée à aucune condition de mise en oeuvre, sa seule limite étant la limite constitutionnelle qui interdit à un Président de la République de prononcer une nouvelle dissolution dans l'année qui suit une précédente dissolution, selon le principe de droit public qui prévoit que « dissolution sur dissolution ne vaut ».
Le simple passage au quinquennat n'interfère donc pas avec son utilisation : l'usage de la dissolution restera donc ce que le Président de la République souhaitera qu'il soit. Rien n'empêchera un Président qui le désirera de dissoudre l'Assemblée nationale parce qu'il en jugera le moment opportun ou parce que la situation politique l'exigera... Bien au contraire, le Président de la République, renforcé par une élection plus rapprochée, aura une légitimité plus forte pour utiliser cette arme en cas de blocage de nos institutions. L'utilisation de la dissolution pourrait ainsi devenir plus stratégique, comme c'est le cas notamment en Grande-Bretagne.
L'élection du Président de la République au suffrage universel direct pour une durée identique à celle des députés n'est donc pas une confirmation suffisante à l'installation d'un régime présidentiel en France.
En conséquence, à la première question, nous pouvons répondre : non, le quinquennat, seul, ne nous fera pas dériver vers un régime présidentiel.
Deuxième question fondamentale, concernant les conséquences du quinquennat sur nos institutions : risque-t-il d'entraîner un abaissement des pouvoirs du Président de la République, qui serait ainsi « captif » du Parlement ?
Tout d'abord, on peut affirmer que le chef de l'Etat restera, selon une expression du général de Gaulle, le « capitaine du navire » grâce à ses pouvoirs constitutionnels, qui restent intacts.
Il convient de souligner, mes chers collègues, que cette révision nous est proposée par Jacques Chirac, comme l'avait fait avant lui Georges Pompidou, qui, tous les deux, ont connu l'exercice du pouvoir à la fois en tant que Premier ministre et en tant que Président de la République, ce qui est le gage de l'innocuité de cette mesure sur la fonction présidentielle. En effet, il est facile, lorsque l'on n'est pas encore - ou plus - au pouvoir, de préconiser une mesure que l'on ne s'applique pas à soi-même. Il est plus délicat de la mettre en oeuvre une fois que l'on a atteint la tête de l'Etat. Seule une connaissance parfaite des mécanismes institutionnels peut permettre cette démarche.
On l'a vu, le chef de l'Etat ne sera pas privé, du fait de la réduction de la durée de son mandat, de son droit de dissolution. Il ne perdra pas non plus son pouvoir de désigner le Premier ministre, en fonction de ses orientations personnelles, en période de concordance des pouvoirs, ou en respectant l'équilibre politique, en période de cohabitation, si tel devait être le cas.
Le chef de l'Etat ne sera pas non plus le « souverain captif » de la IIIe République puisque, contrairement à Jules Grévy en 1877, il ne renoncera en rien à l'exercice de son droit de dissolution.
Une autre garantie, elle aussi apportée par le Président de la République, tient au « quinquennat sec ». Il s'agit non pas d'un toilettage de la Constitution, ni d'une refonte de nos institutions, mais bien d'une adaptation de celle-ci à un contexte politique fluctuant qui, depuis bientôt quinze ans, est en profonde mutation.
On le voit, le quinquennat ne risque pas non plus de réduire les pouvoirs du Président de la République qui restera le personnage prééminent de notre édifice constitutionnel.
En 1958, devant le Conseil d'Etat, Michel Debré avait déclaré : « Ni régime présidentiel, ni régime d'assemblée, la voie devant nous est étroite, celle du régime parlementaire ».
L'introduction du quinquennat ne modifie en rien l'équilibre défini à cette époque ; elle ne crée pas non plus une brèche dans notre édifice institutionnel qui permettrait de basculer vers l'une ou l'autre de ces deux solutions.
Alors, me direz-vous, mes chers collègues, si cette réforme n'a pas de conséquences, pourquoi la faire ?
MM. Paul Girod et Jean-Jacques Hyest. Ah !
M. Alain Joyandet. Cela m'amène à aborder le second point de mon propos : quel est l'apport du quinquennat pour les institutions de la Ve République, pourquoi le quinquennat apparaît-il aujourd'hui nécessaire, et pourquoi maintenant ?
Tout d'abord, parce que cette réforme fait l'objet, pour la première fois depuis 1958, d'un large consensus politique. Le parti socialiste est enfin prêt à la soutenir sous cette forme, contrairement à ses positions de 1973. La famille gaulliste, tout comme en 1973, pense qu'il s'agit là d'une réforme nécessaire qui aurait pu être mise en place depuis vingt-sept ans si les réticences de ceux qui aujourd'hui s'en font les apôtres ne l'avaient pas empêchée. (Protestations sur les bancs socialistes.)
M. Claude Estier. Vous oubliez certaines déclarations !
M. Alain Joyandet. Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire ? Parce que, comme je l'ai déjà indiqué, l'élection au suffrage universel direct du Président de la République, depuis 1962, a considérablement changé les données qui étaient celles de 1958.
L'émergence du fait majoritaire et la réticence, depuis 1969, à utiliser la procédure de l'article 11 pour recourir au référendum ont quelque peu coupé le Président de la République de sa légitimité : le peuple.
Le fait de réduire la durée du mandat devrait donc lui permettre de densifier ses pouvoirs.
En début de mandat, le Président dispose d'une grande légitimité qui lui permet de mettre en place le projet sur lequel il a été élu, mais l'érosion du pouvoir et l'affaiblissement du fait majoritaire le coupent progressivement de sa légitimité populaire en fin de mandat, notamment lorsque surviennent des élections législatives qui amènent à l'Assemblée nationale une majorité qui n'est pas la sienne, comme cela a déjà été le cas par trois fois depuis 1986.
M. Claude Estier. Surtout après une dissolution !
Mme Nelly Olin. Oh !
M. Alain Joyandet. En ayant un mandat plus court, il justifie ses pouvoirs propres, qui sont importants. Il légitime le fait qu'il applique le projet sur lequel il a été élu ; bref, il n'a pas des pouvoirs plus importants, puisque définis par la Constitution, mais, je l'ai déjà dit, il a des pouvoirs plus denses...
Par ailleurs, le quinquennat devrait permettre une meilleure adéquation du rythme électoral avec les évolutions de la société, une meilleure respiration politique.
En effet, chacun s'accorde à reconnaître le rôle prééminent du Chef de l'Etat dans les grandes orientations de notre pays, et ce quel que soit l'équilibre institutionnel. Or les événements, les bouleversements économiques et sociaux s'accélèrent, les rythme se précipitent. Le septennat, qui, dans le contexte de 1958, semblait être une durée satisfaisante, apparaît aujourd'hui en décalage avec la rapidité avec laquelle les choses évoluent.
Qui ne voit aussi avec quelle rapidité les techniques de l'information et de la communication envahissent nos familles, nos entreprises, nos écoles ? Le rythme économique et technologique n'est plus en concordance avec le rythme politique.
On a vu aussi, ces quinze dernières années, le paysage politique se transformer entièrement et les Français se détourner des urnes. C'est un fait.
La réduction du mandat présidentiel peut contribuer à redonner un nouveau souffle à nos institutions. On connaît l'intérêt de nos concitoyens pour l'élection présidentielle : les consulter plus souvent devrait leur donner le sentiment qu'ils peuvent influer sur le cours des choses et les ramener vers l'isoloir.
Le Président de la République est irresponsable politiquement devant le Parlement ; il est responsable devant le peuple, dont il tire sa légitimité.
Retourner à la source de sa légitimité plus souvent, demander ou redemander l'onction du suffrage est un geste fort qui ne peut qu'être bénéfique pour la démocratie et que les Français devraient ressentir comme tel.
Ce sont souvent les premières années de mandat qui voient se mettre en oeuvre les réformes. L'instauration du quinquennat augmentera donc le nombre et le rythme des années réformatrices.
Le quinquennat devrait aussi permettre une recomposition tranquille du paysage politique, une plus grande solidarité autour du Président de la République, une plus grande cohésion sociale.
En effet, la réduction du mandat présidentiel devrait contribuer à clarifier le paysage politique, ce qui aboutira à une plus grande cohésion politique.
L'expérience du septennat illustre, je l'ai déjà indiqué, une certaine érosion du pouvoir qui, dans le meilleur des cas, se traduit par des tensions - nous l'avons constaté - au sein de la majorité présidentielle, des divisions et, dans le pire des cas, mais j'y reviendrai, par une cohabitation.
La fréquence des échéances électorales devrait donc permettre de rassembler plus facilement des hommes autour d'un projet fédérateur et autour de celui qui le porte, le Président de la République.
Elle devrait aussi garantir une plus grande cohésion nationale, car nos concitoyens devraient se sentir plus mobilisés par un projet sur lequel ils auront régulièrement la possibilité de se prononcer.
L'autre avantage majeur du quinquennat, c'est de limiter les risques de cohabitation.
En effet, l'expérience de la coexistence institutionnelle a permis de donner une lecture réellement parlementaire de la Constitution de 1958, c'est là son mérite essentiel. Elle a permis de se rendre compte que le texte de 1958 pouvait s'interpréter de différentes façons et selon différentes lectures : tantôt en faveur du Président de la République, tantôt en faveur du Premier ministre. Elle a, en fait, révélé l'absence de dualisme de l'exécutif, dont les deux têtes ne sont jamais égales...
Mais, mise à part cette intéressante découverte, elle n'est pas entièrement satisfaisante car elle est source de conflits latents, chacun guettant le faux pas de l'autre. Cette attitude, obligatoirement générée par le contexte politique et institutionnel, est néfaste à l'intérêt général de notre pays.
Contrairement à ce que les Français pensent, qui semblent apprécier l'expérience de la coexistence institutionnelle, certaines réformes vitales pour notre pays ne se font pas, et c'est le règne de l'immobilisme.
Les réformes à la mode comme celles qui ont trait à la parité ou à la limitation du cumul des mandats se font, mais les réformes essentielles pour l'avenir de notre pays, comme la réforme des retraites, ne se font pas. Ainsi, si la cohabitation est concevable pour une période brève, elle ne peut être un mode de gouvernement à long terme...
Si le quinquennat apparaît donc comme un remède à la cohabitation, il n'en interdira cependant pas l'exercice ; il devrait le limiter, ce qui serait souhaitable et bénéfique au bon fonctionnement de nos institutions.
Le Président de la République ne souhaite pas l'assortir d'autres dispositions qui laisseraient présumer des évolutions potentielles de l'équilibre institutionnel.
Cela étant, mes chers collègues, après la mise en place du quinquennat, si des ajustements se révélaient nécessaires, il serait toujours temps de les prendre en compte au regard de la pratique. Rien ne sert d'anticiper sur ce point, c'est le temps qui sera le bon juge.
Notre Constitution se pilote non pas comme un hors-bord, mais plutôt comme un paquebot.
Toutefois, je souhaite, à titre personnel, que, si certains de ces ajustements devenaient vite évidents consécutivement au quinquennat, nous anticipions, nous soyons actifs, nous ne les subissions pas.
Pour conclure, je dirai que le groupe du Rassemblement pour la République, dans sa grande majorité, votera ce texte parce qu'il a confiance.
Il a confiance dans les institutions de la Ve République qui, grâce au talent de ses fondateurs, ont su s'adapter aux événements : assumer la succession du général de Gaulle, résister à l'alternance et à la cohabitation. Elle ont su nous prouver que notre texte fondateur était un bon texte, suffisamment souple pour s'adapter et permettre des lectures différentes et subtiles, suffisamment précis pour éviter des dérapages auxquels certains auraient pu être tentés de succomber, suffisamment solide, enfin, pour convertir leur plus fervent détracteur une fois arrivé à la tête de l'Etat.
Pour préserver ces institutions, auxquelles nous tenons, il faut savoir les actualiser pour rester en adéquation avec les souhaits de nos concitoyens.
Le groupe du Rassemblement pour la République a confiance aussi en Jacques Chirac, qui, comme l'avait fait avant lui Georges Pompidou, a pris l'initiative de cette révision et qui, gardien de la Constitution, a bien défini les limites qu'il entendait lui donner.
Il a confiance, enfin et surtout, dans le peuple français, auquel on donnera la possibilité de se prononcer plus souvent pour élire son chef de l'Etat, et établir ainsi une relation de confiance privilégiée autour de sa personne. Il s'agit ainsi de renforcer la cohésion nationale autour d'un homme, le Président de la République, qui devra aller vers les Français, qui se prononceront plus souvent sur les choix qui conditionnent l'avenir de la France.
Enfin, je formule le voeu que cette réforme soit reçue par nos concitoyens comme le signal que la politique se rapproche d'eux, que les politiques leur proposent une nouvelle participation citoyenne.
Je suis persuadé que l'instauration du quinquennat - sans remettre en cause l'équilibre institutionnel, auquel nous sommes tous très attachés - aura des conséquences beaucoup plus importantes sur notre vie politique, qui va poursuivre ensuite sa modernisation et ainsi reconquérir - je l'espère vivement - le coeur des Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme qui nous est présentée aujourd'hui me laisse quelque peu dubitatif, puisqu'en fait on ne sait pas clairement quel est l'intérêt d'un tel débat pour les Français.
Il a été dit que cela ferait moderne, alors que ce débat revient en discussion vingt-sept ans après une première tentative qui s'était révélée infructueuse.
A souhaiter être trop « tendance », comme on dit aujourd'hui dans le langage branché, on deviendrait presque has been !
Je ne vois pas pourquoi cinq ans seraient plus modernes que sept ans.
J'ai déjà, en 1973, voté contre le projet avec une grande majorité de mon groupe, qui s'appelait, à l'époque, la gauche démocratique.
Je m'y opposerai à nouveau, pour les mêmes raisons, mais également au regard des profondes mutations que notre pays a connues depuis.
Les rapports entre les acteurs de notre démocratie ont considérablement évolué ; la désaffection des urnes et la croissance sans précédent du tissu associatif en sont les conséquences directes.
Nous sommes ici pour en tirer les leçons et pour dégager, au mieux des intérêts des citoyens, des pistes pour le futur.
Je crois profondément que bien d'autres problèmes, qui touchent de près à la vie quotidienne, devraient être avant tout abordés : le chômage de longue durée, la précarité, les retraites, l'éducation, la réforme de l'Etat, la réforme de l'administration, comme viennent de le faire nos amis italiens avec l'aide des syndicats.
Réduire le mandat présidentiel ne changera en rien le peu de confiance qu'accordent, hélas ! les Français aux politiques pour résoudre leurs principales préoccupations.
Pis, cette révision ne fera que conduire les Français vers un désaveu encore plus criant.
Au moment de la présidence française de l'Union européenne, moment rare puisqu'il n'arrive qu'une fois tous les sept ans et demi, le débat doit également porter sur l'avenir de nos institutions nationales dans leurs rapports avec les institutions communautaires, actuelles et à venir.
Nous savons tous, et ce d'autant plus après les réactions globalement positives qui ont suivi les prises de position de Joschka Fischer, que le pouvoir central européen sera de plus en plus fort.
Il nous appartient donc d'élaborer un système politique national qui soit capable de représenter, à Bruxelles, les aspirations de l'ensemble des diversités qui composent la nation française.
La réforme que l'on nous propose aujourd'hui d'adopter est beaucoup plus sérieuse et beaucoup plus profonde que certains ne le disent. Elle pourrait aboutir, à n'en pas douter, à un nouveau changement dans les fondements du pouvoir.
Exception française au regard de nos voisins européens telles la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, ou encore au regard des Etats-Unis, dont la Constitution remonte à 1787, nous sommes tout le temps tentés de changer la Constitution. Tous les dix ans ou tous les quinze ans, on observe une poussée de fièvre en France et la solution miracle serait le changement de Constitution ! Pourtant, la Constitution de 1958, dont le Président de la République est la véritable clé de voûte, comme vient de le rappeler Alain Joyandet, ne fonctionne pas si mal, et elle n'a que quarante-deux ans ! Laissons-la vieillir...
En fait, le passage au quinquennat, ce n'est pas seulement l'accélération du rythme de la désignation d'une femme ou d'un homme par le peuple. Réduire la durée du mandat - ou, comme en 1962, élire le Président de la République au suffrage universel direct - c'est aussi transformer en profondeur nos institutions et l'équilibre des pouvoirs.
Le général de Gaulle, dans une conférence de presse, en 1964, disait : « Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère et abrégerait la durée de la fonction du chef de l'Etat. »
En écho, le président Chirac déclarait, le 14 juillet 1997 : « Je suis très réservé - je ne dis pas hostile par principe : toute discussion mérite d'avoir lieu - mais très réservé sur cette affaire de quinquennat, qui me paraît comporter un risque d'aventure institutionnelle, et, moi, je suis garant de nos institutions. »
A mes yeux, mes chers collègues, le quinquennat, si l'on devait y arriver, devrait s'accompagner obligatoirement d'un renforcement des pouvoirs de contrôle et des pouvoirs budgétaires du Parlement.
Cela implique une réforme de l'ordonnance de 1959, un droit de tirage de l'opposition pour la création de commissions d'enquête, ou encore la suppression d'une partie de l'arsenal de la rationalisation parlementaire, comme les articles 40 et 44-3.
Le débat sur le quinquennat ne se réduit pas, par ailleurs, à la seule question du rythme de l'adoubement d'un homme ou d'une femme par les citoyens. Il transforme en profondeur l'équilibre des pouvoirs et le jeu institutionnel.
L'absence de contre-pouvoir face au président n'en serait que plus criant. L'Assemblée nationale, de la même couleur politique que le président, n'osera pas, par le fait majoritaire, exercer pleinement sa mission de contrôle, qui est pourtant l'une des fonctions fondamentales dans une démocratie moderne.
Les partisans du quinquennat sont globalement favorables à un système dominé par le Président de la République. Ce système serait pourtant contraire à l'esprit de notre Constitution.
Tous, nous convenons aisément de l'importance de disposer d'un exécutif fort.
La philosophie de notre Constitution place le président en position d'arbitre. Il lui revient d'incarner et de représenter l'Etat, de veiller au respect des intérêts généraux et vitaux de la nation.
Le président suggère, incite et met en garde.
Si cela ne suffit pas, la Constitution lui confie des pouvoirs exceptionnels : l'article 16, la dissolution, le référendum, la révision, dont il use, seul, en conscience, si les circonstances l'exigent.
Le mandat de sept ans, qui dissocie la fonction présidentielle du mandat des députés, s'inscrit dans cette perspective.
Evidemment, pour garantir l'indépendance et la liberté d'esprit de son titulaire, il ne devrait pas être renouvelable.
C'est le seul point de notre Constitution que je souhaiterais voir modifier avant d'entamer la réflexion plus large que j'abordais il y a quelques instants.
Les défenseurs de la réduction du mandat présidentiel à cinq ans affirment que l'adoption du quinquennat réduirait les risques de cohabitation. Peut-être ! mais je n'en suis pas si sûr ; il faudrait aussi s'assurer que les Français sont opposés à ce mécanisme, ce qui n'est pas forcément évident.
Raccourcir le mandat présidentiel a le mérite de caler sa durée sur celle de la législature. Mais encore faudrait-il supprimer le droit de dissolution.
Pouvons-nous formellement affirmer que sortiront des urnes des majorités concordantes ? Est-ce que 577 élections locales donnent nécessairement les mêmes résultats qu'une élection nationale ? Permettez-moi d'en douter !
Madame la ministre, vous avez parlé tout à l'heure, dans votre introduction, d'éventuelles modifications futures. Lesquelles ? Moi, je ne peux pas accepter un chèque en blanc sur l'avenir.
M. Paul Girod. Très bien !
M. Jacques Pelletier. Je souhaite un paquet global, bien ficelé, avec tout. Tant qu'il n'y aura pas cela, je ne voterai pas une réforme qui, insidieusement, introduit d'autres choses.
M. Josselin de Rohan. Ils n'osent pas trop dire ce qu'ils veulent !
M. Jacques Pelletier. Car établir le quinquennat sans renforcer les pouvoirs du Parlement, sans réformer l'Etat, sans accroître les responsabilités décentralisées, sans donner à la justice les moyens de son impartialité, c'est recentrer le nouveau régime sur le président. Et, dans ce cas autant parler d'un passage à un régime présidentiel !
Je ne suis pas sûr que ce soit le régime le mieux adapté à notre pays.
M. Josselin de Rohan. Pas avec les socialistes !
M. Jacques Pelletier. Mais pourquoi pas ?
Mais alors, il faut le dire et avoir le courage d'être clair.
Pour moi, un régime présidentiel qui ne s'accompagne ni d'une séparation des pouvoirs ni d'une véritable décentralisation est un régime dangereux.
C'est pourquoi, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, avec un certain nombre de mes collègues du Rassemblement démocratique et social européen, je ne voterai pas le projet de loi qui vise à réduire la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR).
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la Constitution n'est pas un édifice juridique intangible. Elle est ce que nous en faisons par l'adaptation de son texte ainsi que de sa propre interprétation.
Cependant, force est de constater que moins le législateur touche fréquemment à la loi fondamentale de la République, plus fortes demeurent la légitimité et la souveraineté de nos institutions.
Sur la forme, ce projet de loi constitutionnelle vise à réduire de deux ans le mandat du chef de l'Etat. Sur le fond, il vise à réduire, une fois de plus, notre propre souveraineté nationale au sein de nos institutions républicaines de 1958.
Je ferai trois observations.
Première observation : si la pertinence d'une réduction de la durée du mandat présidentiel peut se poser, nous ne devons pas aborder ce sujet capital de manière précipitée.
Je ne suis pas convaincu que le moment soit opportun. Je crois plutôt que l'on joue sur l'urgence pour faire croire à l'opinion publique, avant qu'elle ne change d'avis, que l'idée du quinquennat est assez mûre. Je considère surtout que la réforme du quinquennat est une réforme institutionnelle sans aucun caractère prioritaire, dès lors qu'elle ne s'inscrit pas au premier rang des préoccupations de nos concitoyens. Nous devons concentrer nos efforts sur la lutte contre le chômage, l'insécurité, les violences scolaires, l'immigration clandestine et intraeuropéenne, la politique familiale, la réforme des retraites et la réforme de l'Etat.
Deuxième observation : nos institutions ont fait leurs preuves sur la durée et l'argument politique de la « modernité » du quinquennat ne me convainc pas.
Si le « double exécutif » français a montré sa fiabilité et son efficacité, le Président de la République reste le président de tous les Français et le Gouvernement demeure l'émanation de la majorité parlementaire.
Quant au « parlementarisme rationalisé », si cher à Carré de Malberg, il n'est pas toujours synonyme de soumission stricte du législatif à l'exécutif. Le Parlement fait parfaitement son travail et possède les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions de législateur et de contrôle du Gouvernement.
Une vraie réforme institutionnelle ne doit rien à des arguments de circonstance, à des calculs préélectoraux ou à des querelles d'ambition interne au sein des partis politiques. En tant que législateurs, nous ne devons pas confondre l'intérêt suprême de la nation avec les intérêts électoraux du moment.
En effet, la révision qui nous est proposée bouleverse, à n'en pas douter, l'équilibre propre de nos institutions et porte atteinte à la « clef de voûte » de la fonction présidentielle, à savoir sa durée.
En réduisant la durée du mandat du Président de la République, on abaisse symboliquement l'autorité et la légitimité de ce dernier. La France a besoin que l'Etat soit représenté, incarné sur la durée et la responsabilité. Par-delà les clivages politiques, toute notre tradition républicaine française a conduit à placer à la tête de l'Etat un arbitre incontestable et impartial, placé dans la continuité et au-dessus de la mêlée des partis politiques.
Seule véritable certitude, à mes yeux, l'unique vraie réforme moderne et ambitieuse pour la France serait de redonner aux Français les moyens véritables de leur propre souveraineté.
Prétendre que le risque de cohabitation disparaîtra grâce à la mise en place du quinquennat n'est que tricherie politicienne. Seul le peuple français, souverain, est habilité à décider si les deux majorités - parlementaire et présidentielle - continueront ou non à coïncider. En effet, pour éliminer définitivement tout risque de cohabitation, il faudra nécessairement supprimer, à terme, la distinction entre les deux fonctions exécutives, ainsi que l'une des armes principales permettant au chef de l'Etat d'assurer sa fonction d'arbitre : je veux parler du droit de dissolution de l'Assemblée nationale. Car en rendant obsolète ce droit constitutionnel, le quinquennat fait perdre au Président de la République la fonction d'arbitrage qui lui est liée.
Enfin, troisième observation, en modifiant en profondeur la pratique démocratique en France, le quinquennat deviendra inévitablement le « déflagrateur » de la Ve République.
En votant ce texte, nous ne lançons pas ici une simple « réformette ». Nous inoculons plutôt un virus juridique mettant fin à l'harmonie architecturale de notre constitution.
Par cette réforme, nous risquons de changer la nature même de notre régime et de glisser, par « petites touches », vers le régime présidentiel de stricte séparation des pouvoirs, avec suppression, pour le Président de la République, du droit de dissolution, suppression du poste de Premier ministre et impossibilité pour le Parlement de renverser le Gouvernement.
Les grandes réformes nécessaires à la conduite d'un pays exigent une stabilité que seule permet la durée. Je considère avec conviction que le septennat simple - voire, éventuellement, double - est indéniablement le temps institutionnel le plus propice à l'action politique à l'échelle des générations, et non à l'horizon des élections.
La stabilité asseoit dans le temps long les trois attributs fondamentaux de la fonction présidentielle : la durée, la suprématie et la fonction d'arbitre.
Après la disparition de la conscription en votant cette réforme, vous retirez maintenant aux jeunes générations le dernier grand repère institutionnel et décidez, sans consultation, de calquer les rythmes de la vie politique sur ceux de la vie médiatique.
Vous vous en doutez, mes chers collègues, entre quinquennat et septennat, mon coeur ne balance pas, et je n'aurai pas besoin de sept ans de réflexion pour faire mon choix en toute âme et conscience. (Sourires.)
Cependant, je reste profondément persuadé qu'il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers en ce domaine et que c'est sans raison précise ni justification plausible, mais surtout dans la plus grande des précipitations, que risque d'être votée une réforme que je ne cautionne pas, dès lors qu'on n'en calcule pas les conséquences sur l'équilibre de l'ensemble de nos institutions.
Après avoir écouté attentivement les différents orateurs de ce matin, j'affirme ici que nous n'ouvrons pas une nouvelle ère de la démocratie en France. Disons les choses clairement : par cette réforme, le Président de la République va se retrouver ravalé au rang de Premier ministre. Ce ne sera plus la Constitution de 1958, exposée ici même dans la salle des conférences, mais plutôt, pour des millions de Français consternés, l'affligeante petite « Constitution Bonux » de la VIe République naissante, avec, élus pour cinq ans, « deux Premiers ministres pour le prix d'un seul ». (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste, du RPR et du RDSE.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord me féliciter de la qualité de la réflexion - elle est habituelle au Sénat...
M. Charles Revet. Merci !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... car nous avons eu, ce matin, un débat de haut niveau. Il est vrai que le sujet le mérite.
Cette réforme est importante parce que, bien entendu, elle concerne le mandat du Président de la République. C'est une réforme qui est arrivée à maturité, qui est dans le débat public depuis presque quarante ans, qui a été votée par l'Assemblée nationale et le Sénat voilà vingt-sept ans.
Il faut la réaliser parce qu'elle est enfin, aujourd'hui, devenue possible grâce à la conjonction de la volonté du Président de la République et du Premier ministre, de la majorité et de l'opposition parlementaire.
Ce matin, ici, seuls deux orateurs ont paru se prononcer contre, M. Darniche et M. Pelletier.
M. Jacques Larché, rapporteur. Et M. Adnot !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Peut-être !
J'ai toutefois noté aussi, s'agissant du groupe du RDSE, que M. Cabanel et plusieurs de ses collègues voteraient pour.
Mme Borvo a évidemment regretté que la réforme ne soit pas plus large. Je l'ai bien entendue. Mais j'ai noté aussi que très peu d'orateurs, sauf peut-être M. Darniche, ont demandé le statu quo. Plusieurs orateurs ont bien sûr souhaité que, plus tard, d'autres réformes soient réalisées, et notamment que soient renforcés les pouvoirs du Parlement.
M. Larché a noté avec lucidité que la question du renforcement des pouvoirs du Parlement concernait le Parlement et l'organisation de son travail. M. Robert Badinter a également insisté sur cet important sujet, notamment sur le pouvoir d'initiative parlementaire et de contrôle de l'exécutif, ainsi que M. Arthuis, qui a mentionné une autre réforme, que j'ai moi-même brièvement évoquée dans mon discours introductif, la décentralisation.
Il est vrai que cette réforme du mandat présidentiel, pour nécessaire et utile qu'elle soit, si elle se suffit à elle-même, si elle a sa logique et sa cohérence propres, ne ferme aucune autre perspective et n'épuise certainement pas le champ des réformes institutionnelles, celles des pouvoirs centraux, comme d'ailleurs celles des pouvoirs locaux.
M. de Raincourt s'est interrogé sur l'utilité de cette réforme, sur la question de savoir si, véritablement, elle figure au premier rang des préoccupations des Français et si elle n'est pas simplement une réponse à un phénomène de mode, à un souci de faire moderne.
Ce n'est pas mon sentiment. Vous noterez d'ailleurs que je n'ai pas employé le terme de « modernité ». Non, ce n'est pas une question de mode, même s'il me paraît infiniment louable que la question de la démocratie citoyenne soit aujourd'hui davantage dans le débat politique. En tout cas, je me garderai bien d'user de l'argument de la modernité, encore plus de celui de la mode, car nous savons tous que rien ne se démode plus vite que la mode. Je crois, bien au contraire, que c'est là une réforme qui résulte d'une réflexion longuement mûrie.
Ne « mégotons » pas, faisons cette réforme, faisons-la sans frilosité, sans faire la fine bouche, car elle instaurera plus de démocratie dans notre République. Qu'elle ne figure pas au premier rang des préoccupations des Français, c'est sans doute exact, mais au même titre que les questions internationales. Faudrait-il pour autant s'interdire de s'en occuper ? Je ne crois pas non plus que, parce que nous consacrons quelques heures à ce débat, cela nous empêche de nous occuper d'autres questions - évidemment, elles sont certainement plus importantes pour la vie quotidienne de nos concitoyens - comme la lutte contre le chômage ou l'insécurité. Mais l'un n'empêche pas l'autre. D'ailleurs, le Gouvernement a obtenu, depuis trois ans, des résultats importants, en particulier dans la lutte contre le chômage.
Plusieurs orateurs ont souligné que cette réforme ne modifie pas le cadre de la Ve République, ni d'ailleurs les pouvoirs du Président de la République. MM. Badinter et Joyandet ont insisté sur ce point, à juste titre. M. Joyandet a tout à fait raison de rappeler que cette réforme n'a pas pour conséquence de supprimer le pouvoir de dissolution du Président de la République, non plus d'ailleurs, comme l'a dit M. Badinter, du Premier ministre, ce qui évidemment montre que nous n'allons pas dériver vers un pouvoir présidentiel. Le pouvoir de dissolution n'est naturellement pas supprimé.
Quant aux circonstances politiques dans lesquelles la dissolution sera perçue comme légitime, demain comme hier, ce sera aux électeurs d'en décider.
M. Badinter a évoqué la question du calendrier des élections législatives et présidentielles. Il a évidemment tout à fait raison de rappeler que la date de l'élection présidentielle, depuis 1974, résulte de la date du décès en avril du Président Georges Pompidou.
Pour autant, je voudrais souligner ici, au nom du Gouvernement, que, s'agissant de la chronologie des élections de l'année 2002, cette réforme constitutionnelle n'a vocation à s'appliquer qu'au mandat du prochain Président de la République et ne doit en rien affecter la durée du présent mandat.
Ici et maintenant, nous n'avons à débattre que de la réforme constitutionnelle sur la durée du mandat du Président de la République. D'ailleurs, comme M. Badinter l'a rappelé, la question du calendrier des élections législatives relève de la loi organique.
Si la réforme était votée conforme par le Sénat, ce que je souhaite, ce que me laissent espérer les discours des différents orateurs que j'ai entendus ce matin, à la question de savoir s'il faut passer par le Congrès ou par le référendum, et quand, je répondrai que la décision relève du Président de la République, et de lui seul.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques remarques que je voulais faire. Il faut voter le quinquennat sans réticence, sans frilosité, sans arrière-pensée. Ce sera la réforme de tous. C'est l'aboutissement d'une réforme longuement mûrie, qui va parfaire notre démocratie sans bouleverser le cadre de nos institutions. C'est une réforme nécessaire qui n'interdit pas que d'autres réformes puissent plus tard voir le jour.
Telles sont toutes les raisons pour lesquelles je souhaite que le Sénat adopte ce projet de loi conforme. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)