SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000


M. le président. « Art. 21. - Il est inséré, dans la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 précitée, un article 12 bis ainsi rédigé :
« Art. 12 bis. - Pour assurer l'application des recommandations émises par l'instance internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le blanchiment de l'argent, le Gouvernement peut, pour des raisons d'ordre public et par décret en Conseil d'Etat, soumettre à des conditions spécifiques, restreindre ou interdire tout ou partie des opérations réalisées pour leur propre compte ou pour compte de tiers par les organismes financiers établis en France avec des personnes physiques ou morales domicilées, enregistrées ou ayant un compte auprès d'un établissement situé dans un Etat ou territoire mentionné au sixième alinéa de l'article 3. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements identiques
L'amendement n° 196 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° 31 est déposé par M. Hyest, au nom de la commission des lois.
Tous deux tendent à rédiger comme suit cet article :
« Il est inséré, dans la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 précitée, un article 12 bis ainsi rédigé :
« Art. 12 bis. - Pour faire échec aux opérations de nature à favoriser la réalisation des infractions visées aux articles 324-1 et 324-2 du code pénal et à l'article 415 du code des douanes, le Gouvernement peut, pour des raisons d'ordre public et par décret en Conseil d'Etat, soumettre à des conditions spécifiques, restreindre ou interdire tout ou partie des opérations réalisées pour leur compte ou pour compte de tiers par les organismes financiers établis en France avec des personnes physiques ou morales domiciliées, enregistrées ou ayant un compte auprès d'un établissement situé dans un Etat ou un territoire mentionné au sixième alinéa de l'article 3. »
L'amendement n° 196 est assorti d'un sous-amendement n° 453 rectifié, présenté par Mmes Bidard-Reydet, Borvo, MM. Loridant, Saunier, Autexier, Bécart, Mme Beaudeau, MM. Bret, Fischer, Foucaud, Le Cam, Lefevbre, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite, Renard, Mme Terrade, MM. Vergès, Auban, Autain, Bel, Mme Bergé-Lavigne, MM. Besson, Biarnès, Bony, Boyer, Mme Campion, MM. Carrère, Cazeau, Chabroux, Courteau, Courrière, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Debarge, Mmes Derycke, Dieulangard, MM. Domeizel, Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu, MM. Dussaut, Fatous, Godard, Guérini, Haut, Labeyrie, Lagauche, Lagorsse, Le Pensec, Lejeune, Marc, Madrelle, Miquel, Pastor, Penne, Peyronnet, Picheral, Piras, Plancade, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Roujas, Sutour, Tremel, Vidal, Weber, Désiré, Larifla, Lise, Collin et Delfau et tendant à compléter in fine le texte proposé par l'amendement par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans un délai de trois ans, les opérations ou transactions visées à l'alinéa précédent sont interdites ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 196.
M. Philippe Marini, rapporteur. Cet amendement concerne également la référence au GAFI, que, cette fois-ci, l'on aborde par un autre biais. Il traite en outre d'un point complémentaire.
Nous ne sommes pas favorables à une moindre rigueur, mais nous pensons que, si le Gouvernement édicte par voie de décret ses propres listes, il sera libre d'aller éventuellement plus loin que ce qui peut être fait dans un cadre international, où forcément il faut toujours tenir compte des intérêts des uns et des autres.
Toutefois, il ne faut pas exagérer la portée de notre objection de méthode. C'est bien pour des raisons liées à la conception que nous avons du droit et pour des raisons d'efficacité que nous soutenons les positions que nous avons prises voilà un instant et qui sont réaffirmées dans cet amendement n° 196.
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre le sous-amendement n° 453 rectifié.
M. Robert Bret. Par ce sous-amendement que nous présentons avec un certain nombre de sénateurs socialistes et de sénateurs du RDSE, nous souhaitons tirer toutes les conséquences du classement durable d'un pays dans la liste des pays dits « non coopératifs » en prévoyant qu'au terme d'un délai de trois ans les opérations avec ces pays, qui sont déjà restreintes, seront purement et simplement interdites.
Le coût économique, mais aussi politique et social, des paradis fiscaux et des centre off shore est, on le sait, particulièrement élevé.
Sur le plan économique, un récent rapport de la commission des finances a mis l'accent sur les « facteurs d'instabilité et de risque » que constituent « les flux d'argent sale, les zones de non-droit bancaire et financier, les paradis fiscaux, les centres off shore », lesquels représentent environ chaque année entre 2 % et 5 % du produit intérieur brut mondial. Cela a un coût pour les pays en voie de développement : l'ONG Oxfam a évalué le manque à gagner en termes de recettes fiscales à l'équivalent de tous les budgets d'aide à ces pays, soit à peu près 50 milliards de dollars.
Cela a aussi un coût en termes de vies humaines puisque, comme le relève la Lettre de la Transparence du deuxième trimestre 2000, les centres off shore « ne se contentent pas d'attirer les investisseurs par une faible imposition. Ils offrent aux fraudeurs étrangers des niches souples et opaques dont profitent aussi les plus grands criminels ».
Mes chers collègues, la France doit être d'autant plus intransigeante avec ces pays qu'elle est particulièrement perméable à l'entrée d'argent préblanchi par eux.
Quarante milliards de francs provenant d'organisations criminelles pénètrent chaque année en France, dont 0,5 % seulement sont « récupérés » par décision judiciaire ; 500 milliards de francs de « stocks d'argent sale » sont déjà accumulés ; tels sont les chiffres avancés dans le rapport remis dernièrement au ministre de l'intérieur. Ils donnent la mesure de l'inefficacité des systèmes de filtrage en France ! Les auteurs du rapport préconisent de surveiller particulièrement les flux en provenance des centres off shore , quitte à les soumettre à déclaration automatique avec éventuelle interdiction d'opérer.
Nous proposons d'être plus radical en prévoyant une interdiction de transaction générale plutôt que ponctuelle, opération par opération.
M. le président. La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 31.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. J'ai déjà indiqué tout à l'heure les motifs pour lesquels nous préférons notre rédaction tout en adhérant aux objectifs du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 453 rectifié ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce sous-amendement risque plutôt d'affaiblir l'article 21. En effet, celui-ci comporte la bonne formule : « Le Gouvernement peut, pour des raisons d'ordre public et par décret en Conseil d'Etat, soumettre à des conditions spécifiques, restreindre ou interdire tout ou partie des opérations réalisées pour leur propre compte ou pour compte de tiers par les organismes... »
Nous ne souhaitons pas limiter la liberté du Gouvernement ou brider ses initiatives. Tantôt, il sera préférable de ne pas attendre trois ans ; tantôt, il faudra observer une période transitoire afin de contrôler une situation. C'est au Gouvernement d'apprécier. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, ce matin ou hier, vous souhaitiez réhabiliter le ministre et le politique ... Laissons chacun faire de son mieux !
La commission est donc défavorable au sous-amendement n° 453 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n° 196 et 31, ainsi que sur le sous-amendement n° 453 rectifié ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. En effet, le sous-amendement est un élément d'affaiblissement de l'article. De plus, on ne peut pas être favorable au sous-amendement quand on ne l'est pas à l'amendement.
Pour terminer cet argumentaire que nous développons depuis quelque temps, en espérant le retrait de ces amendements - mais je ne me fais guère plus d'illusions en cet instant -, je dirai que la rédaction actuelle reflète l'espoir commun de convaincre l'ensemble des membres du GAFI de procéder de manière coordonnée et concomitante à l'application des recommandations de celui-ci, et donc de ne pas laisser le soin à chaque Etat membre de les mettre en oeuvre à sa convenance. Ne laissons pas percer des signes de faiblesse ! Je dois peut-être paraître, par rapport à certains membres du Gouvernement, quelque peu méfiante, ce qui me gêne un peu, vous le comprendrez. Mais je pense que, si nous voulons une autorité forte, il ne faut pas permettre à chacun de dresser des listes comme bon lui semble.
En tout cas, notre position me semble plus garante d'efficacité que celle que vous proposez, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 453 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 196 et 31, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 21 est ainsi rédigé.

Article 21 bis (priorité)