SEANCE DU 26 OCTOBRE 2000


LIBRE ADMINISTRATION
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Suite de la discussion et adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi constitutionnelle de MM. Christian Poncelet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, modifier la Constitution est un acte grave et solennel, et les parlementaires ne souhaitent recourir à cette solution extrême que lorsque toutes les autres formes d'intervention ont été épuisées.
Le Sénat a constamment et obstinément essayé de faire progresser le débat sur la libre administration des collectivités locales par tous les autres moyens techniques à sa disposition : colloques, questions orales, questions écrites, projets et propositions de loi et, chaque année, l'examen du projet de loi de finances. Nous avons été patients, déterminés, combatifs, mais nous n'avons pas été entendus par le Gouvernement.
Notre demande est donc fondée sur une réalité, les atteintes récurrentes et croissantes à la libre administration des collectivités locales, et un espoir, celui de voir ces mêmes collectivités locales conquérir leur autonomie dans le cadre de la République grâce à une nouvelle étape de la décentralisation.
M. Raymond Courrière. Grâce à la vignette !
M. Aymeri de Montesquiou. En préambule, je voudrais rendre hommage à l'ensemble des élus locaux, et en particulier aux maires, qui ne comptent ni leur temps, ni leur énergie pour faire vivre la démocratie de proximité. Les maires ont d'autant plus de mérite dans les petites communes où ils ne disposent pas de moyens en personnel suffisants, pour ne pas parler de la faiblesse de leur indemnité. Avec éclat et dans la plus parfaite concorde républicaine, la fête de la fédération a fort heureusement permis de leur témoigner la gratitude de la nation, ce dont on peut remercier M. le président Christian Poncelet.
Je mettrai tout d'abord l'accent sur une réalité : cette proposition de loi constitutionnelle est avant tout le fruit d'une inquiétude exprimée par les élus locaux face à la suppression récurrente et croissante de l'autonomie financière des collectivités dont ils ont la charge.
Pourtant, tout en assurant environ les deux tiers de l'investissement public, les élus locaux ont su développer une gestion financière saine et, ne l'oublions pas, c'est aussi à eux que la France doit d'avoir satisfait aux critères de Maastricht : leur effort collectif a été bien mal récompensé puisque, progressivement, les impôts qu'ils pouvaient lever sont remplacés par des dotations de l'Etat.
La recentralisation est en marche avec, par exemple, pour les régions, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, qui représente 15 % de leurs recettes totales et 22 % de leurs recettes fiscales, et pour les départements la suppression programmée de la vignette automobile, qui équivaut à 5 % de leurs recettes totales et à 10 % de leurs recettes fiscales.
La dépendance des collectivités locales vis-à-vis de l'Etat devient croissante et elles sont considérées comme des variables d'ajustement du budget de l'Etat, sans même parler de leurs charges toujours croissantes et insuffisamment compensées !
Face à cette réalité, je voudrais exprimer l'espoir que suscite ce texte qui dépasse largement les querelles politiciennes et relève d'une réflexion approfondie sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales. Il s'agit de donner un contenu à l'article 72 de notre Constitution et d'y inscrire le principe de l'autonomie fiscale des collectivités.
Il faudra ensuite aller plus loin dans la décentralisation. C'est le souhait de la majorité des Français : 39 % pensent qu'il faut aller « un peu plus loin », tandis que 18 % considèrent qu'il faut « l'amplifier largement ». C'est aussi le thème du congrès des maires cette année.
Monsieur le ministre, à moins de cinq mois des élections municipales, ne découragez pas les élus locaux de se représenter. Ils forment un tissu dense de solidarité, jouent un rôle formidable à l'écoute de nos concitoyens. Ne bridez pas leur créativité et leur volonté d'expérimentation ! Donnez-leur les moyens de leur action !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Non, le Sénat ne veut pas s'arroger de « pouvoir exorbitant » à travers ce texte, comme le prétend l'opposition sénatoriale. Ne serait-il pas normal que le Sénat joue un rôle majeur sur tous les textes touchant aux collectivités locales dont, tout le monde doit en convenir, il est le représentant ? Certes, je sais que cette solution n'a pas été entièrement retenue par la commission des lois, mais le Sénat, légitimement, veut « jouer dans la même division » que l'Assemblée nationale dans ce domaine, si vous me pardonnez cette expression sportive.
Le renforcement de ses pouvoirs participe de la défense des collectivités locales, afin qu'elles aient les moyens financiers de jouer pleinement leur rôle. Un grand quotidien du soir ne s'y est d'ailleurs pas trompé en parlant des « ambitions du président Poncelet pour les collectivités locales ».
Le Gouvernement gère la question de la libre administration des collectivités dans l'incohérence la plus totale : d'un côté, il est sourd aux demandes des élus de toutes les régions ; de l'autre, il ose prévoir pour une collectivité territoriale - la Corse - un mode d'organisation qui déroge à notre conception d'une République une et indivisible dans laquelle la loi votée par le Parlement est la même pour tous sur l'ensemble du territoire.
Monsieur le ministre, le Sénat offre au Gouvernement une opportunité. Cette proposition de loi constitutionnelle est ambitieuse, car elle veut contrer une tendance sourde, mais bien réelle. Oserez-vous la soutenir ? C'est dans l'audace que l'on juge aussi les hommes politiques. Défendons un texte qui le mérite ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech. Je suis heureux que ce débat ait lieu, j'en remercie en particulier le président du Sénat, M. Christian Poncelet.
Je souhaite lui dire combien nous avons apprécié son action inlassable, sa mobilisation permanente en faveur des collectivités locales. Le débat d'aujourd'hui en est un nouvel exemple.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Merci !
M. Jean Puech. Ce débat sur l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales ainsi que l'issue de cette proposition de loi constitutionnelle sont essentiels pour l'avenir de la décentralisation, et ce à plus d'un titre.
Ce débat est essentiel parce qu'il n'y a pas de décentralisation véritable sans liberté et sans autonomie. En l'absence d'une évolution forte en la matière, la décentralisation à la française ne serait en définitive qu'une parenthèse dans la vie institutionnelle de notre pays.
Ce débat est essentiel, ensuite, parce que la reconnaissance constitutionnelle de ce principe permettra de changer radicalement les relations entre l'Etat et les collectivités locales, et ce au bénéfice de nos concitoyens. Il nous faut dès lors plus que jamais jeter les fondements d'un nouveau dialogue.
Enfin, ce texte est important parce qu'il changera aussi le mode de relations que nous aurons avec nos populations et nos forces économiques et sociales. Le principe de proximité rejoindra ainsi celui de la rénovation de la démocratie locale.
Nous avons derrière nous dix-huit ans d'application des lois de décentralisation, dix-huit ans d'expérience. Nous disposons de bilans réalisés par de nombreuses instances. Tous estiment que la décentralisation est une oeuvre irréversible. Ils ont, pour la plupart, présenté ce que pourraient être les conditions d'un passage à un acte II de la décentralisation. Les derniers rapports en date viennent du Commissariat général du Plan, du Sénat, de la DATAR et de la commission sur l'avenir de la décentralisation. Les associations nationales d'élus ont, par ailleurs, alimenté ces travaux d'évaluation de leurs propres analyses et propositions.
Si l'on étudie ce qui se passe dans les pays européens, on constate que la décentralisation repose partout sur un principe d'autonomie locale, même si elle peut prendre des formes diverses. Il existe d'ailleurs une charte européenne de l'autonomie locale, qui a été ratifiée dès 1985 par de nombreux Etats et dont s'inspirent aujourd'hui des pays candidats à l'intégration.
Cette vision de l'autonomie est partagée par les Etats européens. Elle repose toujours sur un principe de liberté de décision et d'action et une capacité de faire avec des ressources suffisantes que les collectivités peuvent fixer et dont elles peuvent disposer librement.
Aujourd'hui, il est temps pour nous de passer à l'étape suivante, de marquer l'opinion en adoptant des mesures qui engagent clairement notre pays.
Mes chers collègues, le sujet est connu : les experts se sont exprimés, les élus locaux attendent des décisions politiques fortes. On ne va pas constater, année après année, que nos marges de manoeuvre diminuent, ni laisser l'Etat, quel qu'il soit, nationaliser nos ressources et, surtout, l'entendre nous dire qu'il est le plus grand décentralisateur puisqu'il est le plus grand contributeur local !
On ne va pas indéfiniment regarder avancer la recentralisation alors qu'un accroissement de la décentralisation est attendu par nos concitoyens !
Nous, qui sommes pour la plupart des élus locaux, on nous place devant un paradoxe extraordinaire puisqu'on doit expliquer, au risque d'apparaître impopulaires, que la fiscalité locale est un des fondements de notre démocratie et l'autonomie fiscale une composante essentielle de la libre administration ! C'est un exercice difficile dans les conditions que vous nous proposez et dans la situation dans laquelle vous nous mettez.
Dans ses travaux récents sur la question de l'autonomie des collectivités locales en Europe, le professeur Gérard Marcou relève d'ailleurs que « conçue et protégée par rapport à l'Etat, l'autonomie des collectivités locales était souvent comprise de manière défensive plutôt que participative et tournée vers l'action ».
Oui ! nous souhaitons une autonomie participative au service de l'action. C'est bien l'ambition que nous devons avoir.
L'autonomie financière des collectivités locales a au moins deux dimensions : celle de la dépense et celle de la ressource.
Une autonomie sur la seule dépense, comme certains le préconisent, conduit à une conception tronquée de l'autonomie financière locale. En effet, on prive ainsi les élus locaux de la possibilité de gérer leur budget autrement qu'en reconduisant tout simplement les services votés. On les prive de toute initiative, on les prive aussi de toute forme de responsabilisation.
Or nos investissements représentent aujourd'hui 75 % de l'investissement public. Cela a déjà été dit, mais je crois qu'il nous faudra le répéter inlassablement.
Cet engagement sous la responsabilité des élus locaux pour équiper et moderniser, au fort effet de levier économique, qui se manifeste aussi dans d'autres domaines - je pense par exemple à la prévention sociale - nécessite une maîtrise des engagements et des programmations. Or la baisse de l'autonomie fiscale va à l'encontre de cette exigence. L'animation et le développement territorial reposent avant tout sur notre faculté à répondre au plus près aux besoins exprimés ! Il faut à tout moment être réactif, et ce n'est sûrement pas en dépendant des autres qu'on le devient !
Le maintien d'un système fiscal à l'échelon local est le seul qui permette de lier le financement local au territoire. Il contribue à favoriser la localisation des activités. L'évolution des bases fiscales d'une collectivité locale est la conséquence directe des dépenses que les collectivités locales réalisent. La fiscalité locale est donc un indicateur de retour sur investissement de leurs dépenses.
On doit répondre à la question fondamentale de savoir à quelle logique de service ou de redistribution doit répondre la fiscalité locale. En répondant à cette question, on avance sur le chemin de la lisibilité et de la transparance, qui sont expressément demandées par nos concitoyens contribuables.
La fiscalité locale induit plus de transparence : lier le mode de financement au territoire permet une plus grande lisibilité entre l'impôt perçu et le service rendu. La fiscalité locale offre aussi la possiblité d'une responsabilisation de l'élu et du citoyen. L'impôt local sert donc la démocratie locale. La destination et l'usage de l'impôt prélevé sur le contribuable doivent être connus du citoyen et des forces vives, économiques et sociales. La part prépondérante de dotations de l'Etat versées aux collectivités locales en substitution d'un impôt local aboutit, en réalité, à nier le contribuable local, ce qui constitue une régression importante en termes de démocratie.
Bien entendu, le rôle régulateur de l'Etat est indispensable. Vouloir renforcer le lien constitutionnel de notre autonomie fiscale ne doit pas conduire l'Etat à renoncer à ce rôle majeur. Toutefois, il faut lier l'évolution de son rôle avec une réflexion plus large sur la fiscalité en général. Les ressources issues d'une redistribution nationale doivent constituer les fondements de nouveaux mécanismes de péréquation. Je pense que la réorganisation de la répartition des dotations de l'Etat dans une logique de péréquation et sous la responsabilité des collectivités locales est certainement l'une des composantes majeures de la réflexion sur le devenir du financement local.
A la logique de ressources, il convient bien entendu d'ajouter la question des charges et de leurs évolutions.
Notre autonomie financière est, bien sûr, largement dépendante de l'évolution de nos charges, et nous savons combien, depuis les premières lois de décentralisation, le décalage a grandi entre nos charges et les ressources transférées.
Les charges transférées, c'est un fait, ne sont pas intégralement compensées et ce de quelque nature que ce soit !
L'Etat est allé très loin, trop loin, dans ces transferts.
A ce point de vue, on pourrait aussi parler des politiques contractuelles récentes, qui permettent ni plus ni moins à l'Etat de trouver les moyens qu'il n'a plus d'assumer ses missions territoriales.
Nous sommes confrontés à un sacré paradoxe : d'un côté, l'Etat nationalise l'impôt local et le redistribue aux collectivités locales et, de l'autre, il va chercher dans les politiques contractuelles le soutien des collectivités locales pour faire financer ce qu'il n'est pas capable d'assurer seul ! C'est vraiment tout faire pour que nos citoyens contribuables ne comprennent plus rien à rien.
Nous sommes dans la première année de l'application des contrats de plan pour la période 2000-2006. A l'issue de cette période, voire avant, il faudra tirer les leçons de l'engagement des collectivités locales aux côtés de l'Etat, en évaluant notamment les charges qu'elles ont prises à leur compte pour financer ce qui relève effectivement de la responsabilité de l'Etat.
Action économique, routes, universités, hôpitaux, logements, à combien s'élèveront en définitive les engagements de nos collectivités locales en substitution de l'Etat ?
Face à ces constats, on devra une bonne fois pour toute, me semble-t-il, se décider à rompre avec ces pratiques. La solution sera alors de transférer les compétences que l'Etat n'est plus en mesure d'assumer.
Supprimons en effet l'illusion des fonds de concours nationaux alimentés par les collectivités locales ou les entreprises ou organismes publics. Un Etat moderne n'est sûrement pas un Etat quémandeur !
Je le souligne à nouveau, les fondements d'un nouveau dialogue sont nécessaires. Un nouveau pacte de confiance doit être engagé sur des bases saines, claires et pérennes.
J'ajoute que le principe de libre administration est aussi lié à la question des hommes et des femmes qui assurent au quotidien la réalité et la proximité du service public local. Cela n'est pas suffisamment rappelé me semble-t-il.
Les collectivités locales doivent obtenir à la fois le respect de la liberté de gestion de leurs personnels, qui se fonde, elle aussi, sur le principe constitutionnel de libre administration, et l'affirmation d'une fonction publique locale à part entière.
Cela passe au moins par trois évolutions fortes.
Cela passe, d'abord, par la reconnaissance des collectivités territoriales comme employeurs à part entière. Nous sommes aujourd'hui totalement ignorés, quand je dis « aujourd'hui », c'est une façon de parler. A titre d'exemple, des négociations sont actuellement en cours avec les représentants de la fonction publique d'Etat ; les collectivités territoriales n'y sont pas associées ; il ne leur restera qu'à subir, qu'à enregistrer les décisions qui auront été prises en leur absence.
Ensuite, les instances de la fonction publique territoriale, le Conseil supérieur et le CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale, doivent jouer un rôle majeur ; elles ne doivent plus dépendre des services de l'Etat.
Enfin, le processus de transfert de personnels entre les services de l'Etat et ceux de nos collectivités locales doit aboutir pour éviter les doublons. Je pense notamment au cas des agents des directions départementales de l'équipement.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean Puech. Finalement, mes chers collègues, après la reconnaissance du rôle majeur de nos collectivités locales dans l'administration de notre pays, la vraie réforme qui s'impose, et cela a été dit et répété, mais sa concrétisation a été évitée, c'est la réforme de l'Etat.
Qu'il s'agisse de l'évolution de notre autonomie fiscale, financière, ou de gestion, ou du respect du principe de libre administration, la question du rôle de l'Etat se pose continuellement.
Dans ce pays de tradition jacobine, on ne fait rien sans référence à l'Etat. Bien évidemment, l'unité républicaine, à laquelle nous sommes tous très attachés, nous pousse à vouloir un Etat fort, garant de nos libertés et des équilibres territoriaux et sociaux. Pour autant, est-ce manquer au pacte républicain qui a fondé notre démocratie que de vouloir pour l'Etat qu'il évolue et qu'il se modernise ?
Tous les colloques et tous les rapports constatent ce décalage permanent entre un Etat qui a du mal à bouger et l'évolution de la société et des nouveaux enjeux territoriaux face à un environnement économique, social et technologique en profonde mutation.
Cela vaut aussi, c'est vrai, pour la question de la décentralisation. On dit partout que l'Etat n'a pas su encore tirer les leçons de ce mouvement de fond des lois de décentralisation de 1982.
Le rapport du Commissariat général du Plan à cet égard est explicite.
Nous, élus locaux, nous ne cessons de l'affirmer.
Le véritable paradoxe réside dans le fait que l'Etat non seulement a doublé systématiquement les niveaux de collectivités locales par ses propres administrations, mais en plus n'a jamais voulu s'appliquer à lui-même le principe de subsidiarité. La déconcentration n'avance pas au rythme souhaité. Si bien qu'en plus d'un maintien de nos administrations centrales et verticales à l'échelon local, ce qui ne se justifie plus, nous avons des administrations sans mission, sans moyens et souvent désorientées.
Quand l'Etat acceptera-t-il de réfléchir par le haut à la redistribution des missions entre lui et les collectivités locales décentralisées ? Cela relève aussi - je le répète - d'un contrat de confiance entre ce que l'on a appelé la République d'en bas et la République d'en haut.
Il est clair aux yeux de tous qu'en confortant dans notre Constitution les principes de l'autonomie financière et fiscale des collectivités,on permettra à l'Etat de discuter avec elles sur une base nouvelle.
Un Etat moderne, c'est un Etat qui sait s'adapter à son environnement en perpétuel mouvement. C'est un Etat qui sait promouvoir une nouvelle ère de décentralisation. C'est dans cette voie que je souhaite ardemment que nous nous engagions. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que mon propos ne s'appuiera pas beaucoup sur le texte qui nous est soumis ; j'ai déjà le sentiment que nous sommes passés au-delà. Je crois qu'il a le mérite d'avoir aujourd'hui permis aux sénateurs d'engager un débat sur un thème qui nous est cher. Reprenant l'expression de mon collègue Jean-Claude Peyronnet, je crois que c'était un coup, je crains que ce ne soit un « flop ». Mais nous sommes là pour en débattre.
Je voudrais tout d'abord saluer le travail accompli par la commission sous la présidence de M. Pierre Mauroy. C'est du bon travail, accompli par les élus, urbains et ruraux qui ont la connaissance du territoire, ce qui me semble essentiel.
Connaître le territoire, cela me semble être le minimum si l'on prétend aborder le double problème de son avenir et de son organisation. Le connaissons-nous tous et de la même façon ? Cela signifierait, me semble-t-il, qu'il faut réinterpréter certains faits objectifs. Je prends quelques exemples.
Selon l'INSEE, 2 000 habitants agglomérés forment une ville. A partir de là, 80 % de la population est urbaine. C'est faux ! Si nous partions de ce postulat, nous nous acheminerions, je le crains, vers des erreurs. Si l'on affirme que 80 % de cette population vit sur 20 % du territoire, c'est peut-être vrai mais, si l'on ajoute que 80 % du territoire est vide, c'est faux !
Attention, donc, à l'interprétation de l'occupation de l'espace, à ces définitions et à ces postulats : s'ils sont faux ou approximatifs, la politique définie ne sera pas juste.
Je ferai une dernière observation sur cette occupation de l'espace, parce qu'elle détermine toute réflexion ultérieure. On prend toujours en compte la population permanente, sans jamais évoquer la population fluctuante.
Permettez-moi de prendre l'exemple dans mon département de Lourdes. Cette commune, que vous connaissez, compte 15 000 habitants et accueille 6 millions de pèlerins par an. Comment ces derniers sont-ils comptabilisés ?
Dans ces conditions, la décentralisation, une belle loi qui a été votée sans vous...
M. Henri de Raincourt. On en a voté une avant ! Vous devriez changer de disque : il est rayé !
Mme Josette Durrieu. ... a, à l'évidence, besoin d'un second souffle.
Mon expérience m'amène à formuler un certain nombre de remarques.
Aujourd'hui, dans certains secteurs - et dans certains secteurs plus que dans d'autres, sans doute des énergies locales se sont décuplées, ces dix ou quinze dernières années extrêmement difficiles de crise. Je veux parler des élus, des maires, des conseils généraux.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Ils sont devenus les nouveaux agents du développement local, les porteurs de l'intercommunalité bien avant que nous en parlions ici, les générateurs des politiques contractuelles. Ces élus, s'identifiant à leur territoire, voire à leur terre, ont réalisé, ces dernières années, dans certains secteurs et peut-être dans certains départements, un travail exceptionnel.
J'ai parlé des conseillers généraux. J'évoquerai donc les départements et les cantons. Je ne veux pas suivre systématiquement un effet de mode qui consisterait à dire qu'il faut supprimer le canton.
M. Jean Delaneau. Bravo !
M. Henri de Raincourt. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Mais je n'ai pas dit pour autant qu'il ne fallait pas repenser un certain nombre de divisions administratives de notre pays, et j'inclus dans ma réflexion le devenir des cantons. Force est de constater, après ce que je viens d'affirmer et dans l'espace qui est le mien parce que je le connais bien, que le canton est devenu, ces dix ou quinze dernières années, un espace de pertinence et de microprojets peut-être, mais de projets, ainsi que le symbole d'un développement local.
Le canton est aussi devenu l'expression d'un ancrage efficace des élus. J'en tire quelques enseignements généraux dans un cadre administratif qui serait redéfini, maintenant les élus au plus près des citoyens et des réalités locales. Il s'agit du fameux principe de proximité auquel faisait référence M. Puech et qui est inclus dans la charte européenne de l'autonomie locale élaborée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à laquelle, en tant que membre élu par le Sénat, j'appartiens avec d'autres, notamment M. Bordas.
J'ai envie de dire, de la façon la plus forte, dans cette enceinte, qu'un scrutin à la proportionnelle est totalement inadapté à l'espace rural, soit à 80 % du territoire ! (Très bien ! et applaudissements.) Je pense que les citoyens ne veulent plus d'élus « hors-sol ». (Sourires.) Ce système n'a pas tellement réussi à la région.
Le département, collectivité de proximité ?
M. Henri de Raincourt. C'est la meilleure !
Mme Josette Durrieu. Mais oui ! C'est le département qui a accompagné tous nos efforts, alors que la région a une mission d'aménagement du territoire qu'elle n'a pas toujours assumée.
Dans le département qui est le mien ont été perdus, en dix ans, dix mille emplois industriels. Mais, à partir de programmes spécifiques portés par des élus et accompagnés par le département, hors de ses compétences, nous avons recréé, en dix ans, dix mille emplois ! De plus, les initiatives prises par les élus locaux à l'occasion de leurs actions de terrain ont été plus efficaces que celles de la chambre de commerce et d'industrie locale. Il faut prendre en compte cette réalité et garder le département. Cela figure dans le rapport réalisé par la commission Mauroy, et je m'en réjouis. A l'évidence, il faudra refonder le département et probablement redéfinir ses compétences et ses moyens.
M. Henri de Raincourt. Les élargir !
Mme Josette Durrieu. Quel est l'avenir de la décentralisation à partir de ces réalités ?
Il faudra faire preuve non seulement de beaucoup de courage, M. Mauroy le disait ce matin, mais aussi d'une certaine écoute. A l'évidence, nous nous acheminerons vers trois axes.
Tout d'abord, il faut regrouper l'intercommunalité. Cette assise, constituée déjà par des actes conscients et volontaires qui en garantissent toute la solidité, est bonne. L'intercommunalité, je le pense, est la vraie dimension pour une nouvelle solidarité.
Il faut ensuite, c'est évident, légitimer les pouvoirs et les missions par le suffrage universel.
Il faut, enfin, donner des moyens réels aux collectivités locales. Je suis totalement d'accord avec M. Fourcade qui ne veut pas sanctuariser l'autonomie fiscale en tant que telle et qui pense que c'est à l'Etat de réguler. En effet, l'autonomie fiscale, si on s'arrête là - et dans votre texte initial c'était le cas - sincèrement, ne changera rien à la nature des choses pour certaines collectivités.
Fiscalité locale, oui, mais il faut ajouter dotation de l'Etat et, naturellement, puisque cela va ensemble, péréquation. Voilà un mot qui n'était pas dans votre texte initial et, vis-à-vis des élus que vous représentez, que nous représentons, croyez-moi, c'était une lacune fondamentale.
M. Raffarin faisait référence au provincial qu'il était. Je suis également une provinciale. Mais il ne suffit pas de dire que nous sommes provinciaux parce que les comtes de Toulouse et de Bourgogne étaient plus riches, à certaines périodes, que les rois de France !
M. Henri de Raincourt. En Bourgogne, c'était des ducs !
Mme Josette Durrieu. Par conséquent, fiscalité locale, dotation de l'Etat et péréquation, oui !
Certes, cela n'est pas sans risques.
L'autonomie locale présente un risque. Il existe aussi le risque de voir naître de nouvelles féodalités au niveau régional comme au niveau de l'intercommunalité ; j'en connais. Les principes de la charte européenne du Conseil de l'Europe à laquelle vous faisiez référence prévoient non pas une tutelle, mais un contrôle, qui, je pense, est nécessaire.
L'objectif que nous devons atteindre ensemble est un territoire mieux défini et mieux aménagé et des élus et des citoyens engagés et responsables, car nous voulons faire vivre une démocratie moderne ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut se demander si les atteintes à l'autonomie fiscale des collectivités territoriales proviennent d'une volonté délibérée ou d'une simple tentative de simplification du maquis fiscal dans lequel vit notre pays. Là est la question. Toujours est-il que, sans faire de procès d'intention et même si des mesures avaient été prises dans ce sens auparavant, l'autonomie fiscale de ces collectivités n'a cessé de se restreindre depuis trois ans.
La part salariale de la taxe professionnelle, la taxe d'habitation dans les régions, les droits de mutation et, bien entendu, la vignette ont été remplacés par des dotations de l'Etat et ont provoqué par leur accumulation une vive protestation.
Il était donc naturel que, es qualités, le président de notre assemblée, qui, je le rappelle, assure la représentation des collectivités locales de la République - notion qu'il faudrait d'ailleurs approfondir - se joigne au président de l'Association des maires de France, au président de l'Assemblée des départements de France, au président de l'Association des régions de France et au président du comité des finances locales pour susciter en notre sein un débat sur cette question en proposant des moyens de stopper le processus continu de remise en cause de la fiscalité locale.
Si, comme l'a réaffirmé à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, le principe de libre administration des collectivités locales, tel que prévu à l'article 72 de la Constitution, suppose qu'elles disposent de ressources fiscales nécessaires à l'exercice de leurs compétences, comme l'a noté dans son rapport M. Gélard, c'est un principe dont le contenu reste assez flou. Personne n'a jamais d'ailleurs prétendu que les collectivités locales ne devaient disposer que de ressources fiscales dont elles maîtriseraient les taux pour assumer les compétences que leur confère la loi.
Les acquis de la décentralisation, qui ne sont plus guère contestés, du moins publiquement puisque les quelques députés qui contestaient la décentralisation sont maintenant au Conseil constitutionnel, ...
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Ce n'est pas une garantie !
M. Jean-Jacques Hyest. ... risquent cependant d'être largement remis en cause si l'on change en permanence les règles du jeu fiscal, faute sans doute comme M. Mauroy l'a noté ce matin, de réformer les impôts locaux, dont la modernisation est jusqu'à présent toujours reportée, malgré de nombreuses tentatives.
Je rappelle que la tentative de réforme de 1990 ont coûté très cher, comme M. Fourcade l'a rappelé très justement ce matin.
M. Raymond Courrière. Adressez-vous à vos amis !
M. Jean-Pierre Fourcade. Plutôt aux vôtres !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, c'est aux vôtres qu'il faut s'adresser. En effet, c'est vous et vos amis qui aviez proposé la réforme en 1990 ; cela fait dix ans ! Et, que je sache, vous avez gouverné plus longtemps que nous depuis 1990 !
M. Raymond Courrière. De 1995 à 1997, vous aviez la possibilité de la mettre en oeuvre !
Mme Nelly Olin. Quelle amnésie !
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Tout a commencé en 1981 !
M. Jean-Jacques Hyest. En fait, je crois que la responsabilité est partagée. Mais vous me permettrez de vous dire que nous n'avons pas donné de leçon dans ce domaine, alors que certains ne s'en privent pas...
Le rapport de nos excellents collègues MM. Delevoye et Mercier, le rapport de la commission pour l'avenir de la décentralisation remis récemment à M. le Premier ministre, qui comporte de nombreuses pistes, mais aussi quelques fausses pistes, notamment sur la spécialisation des impôts locaux - risque, si nous n'y prenons garde, de n'être que l'objet de travaux universitaires, tant la culture profonde de l'Etat en France est peu décentralisatrice. Nous savons bien que notre technostructure accepte difficilement le partage du pouvoir.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très juste !
M. Henri de Raincourt. C'est sûr !
M. Jean-Jacques Hyest. Et les ministres, volontiers décentralisateurs quand ils sont élus, obéissent à leur administration quand ils se retrouvent au Gouvernement.
Si les lois de 1982 avaient fixé pour principe que, désormais, les subventions spécifiques devaient disparaître au profit de dotations fixées objectivement, observez combien de mesures sont prises régulièrement dans tous les domaines par l'Etat, parfois sous prétexte de contractualisation, pour rogner l'autonomie des collectivités locales, quand il n'incite pas celles-ci à agir dans des domaines de compétence qu'il s'est réservés. Comment les collectivités peuvent-elles résister quand il s'agit du domaine universitaire, du domaine de la santé ou du domaine routier, par exemple ?
Nous savons bien que les collectivités locales, qui sinon, s'exposeraient aux reproches, sont tentées de céder à l'Etat et d'accepter, en fait, des transferts de charges, bien entendu sans les transferts de ressources correspondants.
C'est pourquoi il nous a paru très utile de réaffirmer l'autonomie fiscale des collectivités locales et la compensation intégrale et concomitante des transferts de compétences et de charges.
Bien entendu, nous sommes très favorables à une nouvelle étape de la décentralisation - l'on peut lire à ce sujet des choses extrêmement intéressantes tant dans le rapport de MM. Delevoye et Mercier que dans celui de M. Mauroy - nouvelle étape qui conduise à confier de nouvelles responsabilités aux collectivités locales ; car nous savons bien que gérer au plus près du terrain est souvent plus efficace que gérer de loin, à travers des structures administratives de plus en plus complexes.
Toutefois, et les auteurs de la proposition de loi l'avaient certainement en vue sans l'exprimer explicitement, il est évident que la décentralisation implique, compte tenu de la disparité des ressources existant entre les diverses collectivités, ne serait-ce qu'au nom de l'aménagement du territoire, une péréquation de ces ressources, même fiscales, péréquation que la législation a d'ailleurs opérée à plusieurs reprises. Je crois que la confusion entre péréquation et dotation n'est pas complètement pertinente. Il s'agit de deux notions différentes.
Le principe d'égalité entre les collectivités locales ne saurait s'effacer devant celui d'autonomie fiscale sans compensation. C'est pourquoi il faut réaffirmer que ce principe, posé par la proposition de loi sur l'autonomie fiscale, s'applique à « chacune des catégories de collectivités » pour préserver la nécessité de péréquation entre ces dernières.
La compensation intégrale et concomitante des charges transférées ne souffre guère de discussion et le réaffirmer dans la Constitution ne peut que conforter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales.
En revanche, même si nous avons le droit de nous faire plaisir, tant parfois le rôle du Sénat est mal connu et critiqué jusque dans les plus hautes instances de l'Etat, ce que vous n'avez jamais fait, monsieur le ministre, je ne suis pas sûr que le fait de donner à notre assemblée un véritable veto sur l'ensemble des textes concernant les collectivités territoriales soit réalisable dans la conjoncture actuelle.
Certains pays européens - ce sont en général des fédérations - connaissent cette heureuse pratique constitutionnelle, mais il est peut-être suffisant pour aujourd'hui de retenir les propositions plus modestes et réalistes que nous soumet la commission des lois.
En me permettant d'insister de nouveau pour éviter tout procès d'intention sur la péréquation indispensable entre collectivités riches et pauvres, je souhaite, monsieur le président, que cette proposition de loi constitutionnelle prospère comme elle le mérite. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président du Sénat.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. On ne peut reprocher au président du Sénat d'avoir de l'ambition pour l'institution qu'il préside ! C'était le cas lorsque j'ai présenté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un vrai débat sur l'autonomie fiscale locale, ce premier pilier de la libre administration des collectivités locales, suivant l'heureuse formule de M. Fourcade.
J'aborde ce débat avec deux idées simples, mais aux conséquences contradictoires : l'une fondée sur un principe politique, l'autre de nature économique.
Le principe politique - tout le monde en a parlé - de la libre administration des collectivités locales par des conseils élus impose, naturellement, que les élus soient responsables devant leurs contribuables-électeurs. Et quelle meilleure manière de le faire que de les rendre responsables au vu des taux des impôts ? C'est un mécanisme de régulation politique qui fonde la décentralisation du pouvoir de décision et que nous approuvons.
Mais il y a la réalité économique. L'évolution économique est telle que de bons impôts localisés, modernes, à assiette large, neutres économiquement et équitables socialement, sont de plus en plus difficiles à définir.
L'impôt sur la propriété correspondait à une société rurale. La taxe professionnelle, réformée en 1975, s'appuyait sur le capital technique des outillages, caractéristique d'une société industrielle.
Aujourd'hui, il reste à imaginer, si cela est possible, les impôts locaux d'une société de services et d'information dont les flux se moquent de nos limites départementales, régionales et a fortiori communales. En un mot, l'exigence constitutionnelle de l'autonomie fiscale locale est-elle soutenable ?
Au demeurant, je pense que la menace sur l'autonomie fiscale est suffisamment grave pour appeler une réforme constitutionnelle.
Pourtant, c'est un paradoxe, la France est encore de tous les pays européens, à part les pays scandinaves, celui où la part des impôts locaux dans les recettes locales est la plus forte.
Elle atteint 55 % et, pendant longtemps, on a même considéré que l'absence ou l'insuffisance des dotations d'Etat était un handicap pour notre pays puisque ces dotations sont l'instrument nécessaire d'une politique efficace de péréquation. La suppression - assez ancienne - de la taxe locale sur le chiffre d'affaires a été très bien ressentie par les 30 000 communes rurales, qui voyaient dans le VRTS - versement représentatif de la taxe sur les salaires - l'ancêtre de la DGF, l'assurance de leur autonomie financière.
Dès lors, pourquoi ce retournement de pensée ? Parce que le système fiscal local est miné de l'intérieur et sapé de l'extérieur.
Il est miné de l'intérieur, disons-le clairement, parce que nous n'avons pas eu collectivement, gauche et droite confondues, le courage de réformer ce système. Nous acceptons, année après année, de reconduire entre communes et entre contribuables une répartition de l'impôt datant des années soixante ou soixante-dix, et préférons continuer à faire payer des sommes indûment élevées à certains plutôt que de toucher aux avantages injustifiés des autres.
Dans ces conditions, nos concitoyens, il faut le dire, jugent que la fiscalité locale - et, pourrais-je ajouter, les dotations de l'Etat - s'apparentent à une véritable loterie.
Nous le savons tous, cet édifice pourri de la fiscalité locale ne tient qu'à coup de dégrèvements, et c'est une conception curieuse de l'autonomie fiscale que de croire que, parce qu'on inscrit des sommes au budget d'une commune, l'autonomie est respectée, alors que, parallèlement, ce sont les dégrèvements financés par l'Etat qui assurent le paiement de l'impôt. Dans les grandes villes comme la mienne, la moitié des contribuables sont dégrevés partiellement ou totalement de taxe d'habitation. On est loin naturellement du principe de responsabilité que nous défendons !
Le système est donc miné de l'intérieur, mais il est aussi sapé, dans son tréfonds, de l'extérieur, et ce au nom de la réforme fiscale. Je n'énoncerai pas toutes les suppressions d'impôts locaux auxquelles il a été procédé - cela a été fait - depuis la réduction de 16 % des bases de la taxe professionnelle jusqu'à celle de la vignette. Mais est-ce nécessairement un mal ? Il existe de nombreuses réformes fiscales que, pour ma part, je n'approuve pas. L'exemple type, c'est la suppression des bases « salaires » de la taxe professionnelle, qui éloigne celle-ci d'une taxe sur la valeur ajoutée locale et qui fait que seuls les outillages et les immobilisations seront imposés, ce qui, à terme, conduira nécessairement à la mort de cet impôt.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Bien sûr !
M. Yves Fréville. Il y a donc de mauvaises réformes fiscales par suppression d'impôts locaux, mais il y en a aussi de bonnes, et je ne voudrais pas que l'on croie que, parce qu'un impôt est localisé, il est nécessairement excellent. A cet égard, je donnerai l'exemple des droits de mutation à titre onéreux qui, je le reconnais pour avoir géré les finances d'un département, apportent de nombreuses ressources à ces collectivités. Mais peut-on justifier un impôt inefficace, injuste et qui freine la mobilité ? Pourquoi celui qui est amené à changer de résidence devrait-il payer, au cours de sa vie, plus d'impôts que celui qui peut habiter continuellement la même localité ?
Par conséquent, je pense que notre rôle de sénateur ne consiste pas seulement à défendre les collectivités locales mais qu'il consiste aussi à défendre, lorsque cela s'impose, les contribuables locaux. (MM. Arthuis et Machet applaudissent.)
Si j'approuve la réforme constitutionnelle qui nous est proposée, c'est parce que je vois en elle une incitation forte à la réforme de ce système pourri. Tel est, je crois, le sens qu'il faut lui donner.
Face à cette menace, les mécanismes de garantie qui ont été introduits dans la proposition de loi constitutionnelle sont-ils satisfaisants ?
J'aurai là, qu'on m'en excuse, l'outrecuidance d'entrer dans le corps du texte.
Je vois que deux garanties ont été introduites, l'une au niveau de chaque collectivité locale, l'autre au niveau de l'ensemble des catégories de collectivités locales.
Aux termes du premier alinéa du texte proposé pour l'article 72-1, toute collectivité doit disposer - c'est la première garantie - de ressources fiscales - sans dire lesquelles ni préciser la quotité - dont elle maîtrise les taux. En d'autres termes, ce peut être 10 %, 20 % ou 100 %, mais pas 0 %.
J'entendais hier un député - je ne vous dirai pas de quel groupe - expliquer qu'il concevait que le département puisse n'avoir aucun impôt à sa disposition et vivre uniquement de dotations.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Qui a bien pu dire une chose aussi stupide ?
M. Yves Fréville. Il était plutôt de notre bord, monsieur le président ! (Sourires.)
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Ce n'est pas une raison !
M. Yves Fréville. Cela montre en tout cas l'utilité d'une telle disposition, car elle éliminerait cette éventualité.
La libre administration suppose une certaine forme d'autonomie locale, à la hausse comme à la baisse. Je pense que c'est un bon choix. On aurait pu, bien sûr, imaginer d'autres garanties.
Pour les petites communes, il est bien certain que ce sont les dotations de péréquation qui assurent le financement essentiel et qui constituent donc la garantie fondamentale.
Pour l'ensemble des communes, l'attribution d'un impôt à taux fixe, à condition qu'il s'agisse d'un impôt à base large et évolutive, est une bonne solution.
Cela étant, je crois qu'il faut au moins admettre le principe selon lequel certains impôts doivent voir leur taux fixé par un conseil élu.
Cependant, il faut aussi que ce vote de taux envoie des signaux corrects aux électeurs. Il ne faudrait pas que des taux plus élevés de taxe d'habitation soient votés dans les communes où les dépenses sont les plus faibles et réciproquement. Or, à l'heure actuelle, ces signaux sont en général incorrects. Il se peut très bien qu'une commune qui dépense beaucoup, mais qui bénéficie de fortes rentrées de taxe professionnelle, envoie comme signal un faible taux de taxe d'habitation.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Yves Fréville. Par conséquent, il faudra prévoir, après cette réforme constitutionnelle, la disparition de ces effets pervers.
La deuxième garantie, suivant le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 72-1, jouerait au niveau des catégories de collectivités. Si j'ai bien compris, ces catégories de collectivités qui ne sont pas définies seraient, constitutionnellement, les communes et les départements et, de par la loi, les régions. Je pense que les communes incluent les EPCI à fiscalité propre.
La garantie suivant laquelle 50 % des ressources, hors emprunts, de chaque catégorie de collectivités doivent être constitués par des ressources fiscales est-elle une garantie claire ?
Monsieur le rapporteur, il faudra être bien précis : il s'agit ici d'une proposition de loi constitutionnelle. Cela inclut certainement les ressources fiscales dont les collectivités maîtrisent librement les taux. Je pense que cela inclut tous les autres impôts « localisés ».
Je dois dire que je me pose un problème : puisque l'on raisonne au niveau des catégories de collectivités, est-ce qu'un impôt partagé nationalement par l'Etat entre lui-même et une catégorie de collectivités ou affecté globalement par l'Etat à cette catégorie de collectivités entre bien dans votre calcul ?
Il y a une nuance importante : si l'impôt est affecté globalement à une catégorie de collectivités - on l'a vu avec la taxe sur les salaires, en 1968, et, plus tard, lorsqu'un pourcentage de TVA a été affecté à la DGF - il est réparti comme une dotation. Par conséquent, il existe malgré tout une frontière - le Premier ministre parlait de « ligne jaune » ce matin - qu'il faudrait définir de façon un peu plus précise.
Je pense que cette question est très importante pour l'avenir de la décentralisation. En effet, il est clair que, si les compétences des collectivités s'accroissent, comme nous le souhaitons, il sera peut-être nécessaire de faire appel à ce type de ressources.
Est-ce une garantie souhaitable ?
Je comprends parfaitement, et je la partage globalement, la volonté qui a animé les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle de fixer un seuil à l'autonomie. Ceux-ci parlaient de « part prépondérante » de ressources propres. La commission des lois a préféré préciser que la part de ces ressources devrait être d'au moins 50 % par catégorie.
A la réflexion, je préfère la notion, certes plus vague, de « part prépondérante », et cela pour une raison bien simple : fixer une part minimale de 50 % revient à conférer au juge constitutionnel un pouvoir d'appréciation extrêmement grand. Aujourd'hui, nous en sommes à peu près à 51 %. Imaginez, mes chers collègues, que les collectivités locales baissent leurs impôts - ce que, bien sûr, nous souhaitons - et que, par miracle, monsieur le ministre, vous augmentiez les dotations. Le juge constitutionnel pourrait alors vous objecter que la frontière de 50 % n'est plus respectée.
M. Michel Charasse. On ne risque pas grand-chose !
M. Yves Fréville. Je suis donc favorable à une certaine souplesse et, dès lors, la notion de « part prépondérante » me paraît plus satisfaisante.
Par ailleurs, est-il souhaitable d'appliquer une norme unique de 50 % à chacune des catégories ? Je ne le pense pas. En effet, il serait plus logique - contrairement à ce qui se passe actuellement - d'accorder des ressources aux régions parce qu'elles sont de grande taille, de « localiser » les assiettes modernes à cet échelon, plutôt qu'à l'échelon des communes. Par conséquent, il me paraît préférable de raisonner sur l'ensemble des collectivités locales plutôt que par catégorie.
Enfin, je m'interroge sur la portée normative de ces dispositions constitutionnelles. Je ne suis pas juriste, et j'ai toujours peur du juge constitutionnel.
Le juge constitutionnel fonde évidemment sa décision sur des textes. Or nous sommes ici dans une matière mouvante.
A cet égard, deux initiatives me paraissent nécessaires.
D'abord, il serait hautement souhaitable, puisque nous devons définir cette part prépondérante, qu'un organisme qui a la compétence du comité des finances locales ou de son observatoire, où siègent des représentants des élus et des représentants de l'administration, nous présente chaque année des statistiques qui fassent foi. Cela nous apporterait une garantie quant au mode de calcul.
En ce qui concerne le Parlement, l'article 34 de la Constitution demeure inchangé. C'est toujours la loi qui fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. Or le législateur devra maintenant exercer sa compétence dans le respect de cette norme financière, qui est une innovation dans notre droit. Je pense, par conséquent, qu'un débat lors de l'examen du projet de loi de finances sera nécessaire.
M. Christian Poncelet, président du Sénat. Oui !
M. Yves Fréville. Il faudra prévoir, dans la réforme de l'ordonnance organique, un débat global sur l'ensemble des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales, qu'ils s'appellent prélèvements, dégrèvements ou que sais-je encore !
En conclusion, mes chers collègues, ces dispositions constitutionnelles sur l'autonomie fiscale pourraient être considérées par certains comme la pire des choses et par d'autres commes la meilleure. Ce serait la pire des choses si elles apparaissaient comme un blanc-seing donné aux élus locaux pour accroître la pression fiscale sur la base de mauvais impôts locaux. Mais je me rallie évidemment à la seconde interprétation : ce sera la meilleure des choses si ces dispositions contribuent à renforcer la portée démocratique du vote de l'impôt local, à responsabiliser les élus locaux et à nous inciter à réformer la fiscalité locale.
C'est dans cet esprit que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle m'apparaît comme un texte tout à fait fondamental. En tout cas, elle nous incite à réfléchir, à remettre en cause un certain nombre de vérités supposées acquises, à faire preuve d'esprit d'innovation.
Le président Poncelet nous invite à réfléchir à l'autonomie financière des collectivités territoriales, mais aussi, dans le même mouvement, à la place du Sénat dans nos institutions. Les deux sujets sont, en effet, étroitement imbriqués.
Le Sénat tire sa légitimité de la représentation de l'espace français, de toutes les collectivités territoriales qui le constituent ; il tire sa légitimité de sa différence. Cette différence fait notre richesse, une richesse qui reflète l'infinie variété de nos collectivités territoriales, qu'elles soient rurales ou urbaines, qu'elles soient petites ou grandes.
Monsieur le président du Sénat, les trois associations nationales d'élus locaux, ainsi que le comité des finances locales, ont témoigné de leur soutien et, par là même, de leur exaspération croissante face à une dérive qui est en train de priver progressivement, insidieusement, année après année, texte après texte, nos collectivités territoriales de leur autonomie et, par conséquent, la démocratie locale de sa substance.
C'est une recentralisation rampante qui s'effectue, sans dire son nom, au fil des années, et de manières diverses : normes qui nous sont imposées et qui déterminent nos dépenses ; accord salarial dans la fonction publique, qui, lui aussi, vient définir une grande part de nos budgets de fonctionnement sans que nous ayons quoi que ce soit à dire ; carte forcée dans les contrats de plan, par exemple pour contribuer au simple entretien des bâtiments de l'Etat, dans le domaine universitaire.
M. Michel Charasse. On peut dire non !
M. Philippe Marini. Certes, mais, vous le savez fort bien, mon cher collègue, c'est un contrat global : pour obtenir la carotte ou pour obtenir telle ou telle réalisation à laquelle on attache du prix, on est prêt à faire des sacrifices ! Pour ma part, en tant que maire de la ville de Compiègne, je ne l'ai pas accepté. Mais beaucoup sont contraints de le faire parce qu'il existe d'autres enjeux.
M. Michel Charasse. C'est de la prostitution ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Et puis, il faut bien dire qu'on se trouve pris dans tout un système qui, progressivement, insidieusement, si l'on n'y prend garde, vient nier nos responsabilités propres.
Au demeurant, si je me place du point de vue non plus de l'élu local, mais de l'élu national, soucieux des finances de l'Etat, je suis en mesure de formuler une mise en garde aussi nette. En effet, lorsque l'Etat transforme des éléments de fiscalité locale en dotations, il se contraint lui-même en imputant sur tous les budgets futurs des charges pérennes et qui viendront inéluctablement rogner la marge de manoeuvre dont il doit disposer pour mener une authentique politique économique et réagir à la conjoncture.
Quant à nos collectivités, chaque fois que leurs ressources propres s'érodent ou sont remplacées par des transferts, elles voient le lien qui les rattache aux contribuables locaux se distendre, en même temps qu'elles perdent une part de leur réactivité, puisqu'elles sont aux prises avec un budget qui dépend de plus en plus de dotations calculées administrativement au sommet de l'Etat, c'est-à-dire dans les bureaux.
Veut-on que l'élu local devienne une sorte de fonctionnaire de l'Etat ou veut-on maintenir une véritable démocratie locale qui permette aux candidats de présenter un projet global - et, partant, une politique fiscale globale - s'adressant non seulement à toutes les catégories de la population mais aussi aux entreprises.
La démocratie locale existe-t-elle encore ou est-on en train de priver progressivement les collectivités territoriales de tout véritables moyens d'affirmer leur spécificité en leur imposant à toutes le même costume ? C'est en effet bien l'esprit d'initiative de nos collectivités territoriales qui est ici en cause.
Bien entendu, lesdites collectivités sont très différentes, tant par leurs richesses que par les problèmes qu'elles doivent affronter, mais faut-il pour autant considérer que tout budget doit obéir à des directives édictées à l'échelon central ? Ce serait certainement aller trop loin !
Lorsque j'évoque l'esprit d'initiative, je veux aussi parler de la compétition légitime entre les territoires. Il est parfaitement normal et même sain de chercher, par exemple, à attirer des activités économiques sur un territoire plutôt que sur un autre, mais cela suppose qu'il dispose de l'outil de l'incitation fiscale.
Mes chers collègues, lorsque M. le président Christian Poncelet nous appelle à cette réflexion et nous invite à affirmer dans cette proposition de loi constitutionnelle qu'une ressource fiscale soustraite aux finances locales doit être remplacée par une autre ressource fiscale, je crois qu'il met l'accent sur une exigence absolument essentielle.
Il ne faut plus en effet que les ressources fiscales dont l'Etat prive les collectivités territoriales en faisant, sur leur dos, un cadeau aux contribuables soient remplacées par des dotations administrativement calculées et qui n'évolueront qu'en fonction d'indices définis par l'administration : une ressource fiscale doit être remplacée par une autre ressource fiscale. Il est extrêmement agréable de dire à nos concitoyens que la vignette est supprimée, mais, bien entendu, on oublie de leur dire, d'une part, qu'ils continuent à la financer puisque sa suppression est compensée par le biais du budget de l'Etat et que, par conséquent, il ne s'agit pas d'une baisse mais d'un transfert d'impôts au plan national ; d'autre part, qu'à l'échelon départemental succédera à une ressource évolutive une ressource administrée selon le modèle que je viens de m'efforcer de décrire.
Il est donc absolument essentiel, si nous voulons que les collectivités territoriales continuent à assumer leurs rôle en toute clarté qu'elles puissent encore se prévaloir de l'autonomie financière, laquelle suppose, naturellement, l'autonomie fiscale.
Certes, monsieur le ministre, nous savons bien que notre République est unitaire et que, telle que l'a définie la Constitution de 1958, elle respecte des principes traditionnels depuis au moins deux siècles dans notre droit. Mais lorsque certains d'entre nous nous invitent à réfléchir à une modernisation de la fiscalité locale, à une véritable réforme en profondeur de celle-ci, je crois qu'ils font oeuvre utile.
A cet égard, M. Fréville a évoqué une notion qui doit indubitablement nous interpeller, celle d'impôts partagés. Ne faudrait-il pas que nous l'approfondissions plutôt que de prôner, comme certains le font volontiers, le principe, difficile à appliquer et à mon avis très contestable, de la spécialisation des impôts locaux par niveau de collectivités ?
La spécialisation comporte en effet toute sorte d'effets pervers et ne peut se traduire que par l'apparition de nouveaux systèmes administrés et centralisés de péréquation.
A l'inverse, l'impôt partagé - impôt sur les ménages, impôt sur le revenu d'un côté ; impôt sur l'entreprise, impôt sur les sociétés de l'autre, à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres pays serait sans doute un moyen de donner plus de responsabilités à l'ensemble des collectivités territoriales et de permettre à leurs élus d'affirmer leurs valeurs, chacun ayant bien entendu pour mission de défendre ses idées et ses conceptions politiques.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie vivement de votre attention et je souhaite non moins vivement que la proposition de loi constitutionnelle soit adoptée par le vote le plus large possible au sein de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, en son nom, je vous demande d'accepter les excuses de M. le président du Sénat, qui nous a quittés, non pas parce qu'il se désintéresse d'un débat dont chacun sait qu'il est l'instigateur, mais parce qu'il doit se rendre à Orléans dans le cadre des états généraux de la décentralisation et de l'exposition Média Sénat.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes nombreux à être intervenus dans cette discussion, tantôt pour la défendre, tantôt pour vous y opposer, sur la proposition de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumise.
J'ai évidemment consacré beaucoup d'attention à écouter les uns et les autres, mais je ne reviendrai pas sur tous les arguments qui viennent d'être développés, car j'ai répondu à bon nombre d'entre eux lors de mon intervention, ce matin, devant la Haute Assemblée. Je vais cependant tenter d'apporter des éléments de réponse aux questions dont l'intérêt particulier a été souligné.
J'ai bien noté que votre rapporteur a lui-même précisé dans sa présentation que la présente proposition de loi constitutionnelle n'est en définitive que le début d'un long travail, la première d'une série de réformes à accomplir.
M. le président Christian Poncelet et plusieurs sénateurs ont rendu un hommage appuyé au rapport élaboré par la commission présidée par M. Mauroy, ce que le Gouvernement, par ma voix, avait déjà fait ce matin de son côté.
Le travail considérable accompli par la commission pour l'avenir de la décentralisation - commission, je le répète, de composition pluraliste - doit, en effet, ouvrir la voie à une réflexion d'ensemble, et je me réjouis que le Sénat y prenne toute sa part et apporte toute la compétence qu'on lui connaît dans ces matières. La qualité de nos échanges, même si certains étaient un peu vifs, témoigne d'ailleurs de cette compétence et annonce l'apport des sénateurs dans la discussion future. Ces échanges alimenteront le débat sur l'avenir de la décentralisation que M. le Premier ministre propose aux deux chambres du Parlement.
En réponse à M. Mauroy, M. le rapporteur a fait le lien entre la proposition de loi soumise aujourd'hui à la discussion et certaines suggestions formulées par la commission pour l'avenir de la décentralisation. Ce lien est évident, mais, je le répète, modifier la Constitution ne changera rien. C'est bien au législateur ordinaire qu'il appartient d'intervenir. Gardons-nous d'enserrer son intervention dans un carcan trop rigide qui pourrait se retourner contre la décentralisation elle-même, comme l'a justement fait remarquer M. Mauroy ce matin.
Que M. Raffarin se rassure : l'intention du Gouvernement est bien d'agir. Il le montre depuis trois ans et demi de manière constante. Seulement, pour ce qui concerne les finances locales, le sujet - chacun s'accorde à le reconnaître - est trop complexe pour que nous procédions à des réformes parcellaires sur le mode de la précipitation, voire de la brutalité.
M. Michel Charasse. Complexité multiséculaire !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. MM. Hoeffel et Lambert, si j'en crois leurs propos, seraient d'ailleurs sans doute les premiers à critiquer une telle méthode, et M. Fourcade, en sa qualité de président du comité des finances locales, sait à quel point les équilibres, en la matière, sont difficiles à déterminer. Il nous a d'ailleurs mis en garde contre tout bricolage et nous a invités à nous engager dans un travail de fond. C'est tout particulièrement nécessaire pour ce qui concerne la fiscalité locale.
Alors, justement, venons-y.
En réponse à MM. Adnot, Oudin et Darniche, je veux rappeler que les modalités de compensation des quatre réformes fiscales les plus récentes ne désavantagent pas les budgets locaux. Chaque fois - pour la part des salaires de la taxe professionnelle, pour les droits de mutation à titre onéreux, pour la part régionale de la taxe d'habitation et, l'année prochaine, pour la vignette - c'est le taux d'évolution de la dotation globale de fonctionnement qui a été choisi, ou celui de la dotation générale de décentralisation, qui évolue comme la dotation globale de fonctionnement.
M. Jacques Oudin. Le problème n'est pas là, monsieur le ministre !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Or, dans la réalité, cette évolution sera de 3,42 % en 2001. Voilà une progression bien supérieure à l'inflation et, si la croissance se maintient, on peut escompter la même progression pour l'avenir.
Plusieurs d'entre vous, notamment M. le président Christian Poncelet, mais aussi M. le rapporteur, ont souligné que l'Etat est devenu pour certains impôts le premier contribuable local.
Pour la taxe professionnelle, par exemple, c'est exact, et ce depuis fort longtemps puisqu'en 1990 l'Etat prenait déjà en charge 29 % de la taxe professionnelle. Ce pourcentage a augmenté pour atteindre 39 % en 1995.
Il me semble que la conclusion qu'il faut en tirer est que les gouvernements les uns après les autres, ont fait le constat de la nécessité d'une bonne adéquation entre les décisions fiscales nationales et le régime des impôts locaux.
Je ne peux cependant pas laisser dire - notamment par M. Oudin - que la réforme fiscale engagée par ce gouvernement pèserait d'abord sur les impôts locaux. Je veux tout de même rappeler qu'il est à l'origine d'une baisse générale de la TVA alors que vous l'aviez, mesdames, messieurs, augmentée brutalement de 2 %.
M. Michel Charasse. Juppé !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Rappelons également que ces prélèvements de l'Etat que sont l'impôt sur le revenu et la CSG diminueront dans des proportions très importantes.
M. Henri de Raincourt. Il y a une erreur !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Tous les orateurs, je pense notamment à MM. Hyest et Fréville, ont fait le constat de la nécessité d'une réforme fiscale, et M. le rapporteur lui-même a précisé que la proposition de loi constitutionnelle ne dispensait pas de réformer la fiscalité locale. Je partage ce point de vue, mais j'en déduis l'inutilité du présent texte, notamment de son article 1er.
La réforme doit viser, comme l'ont bien exprimé MM. Mauroy et Peyronnet, à la nécessaire modernisation de nos impôts locaux avec, à la clé, plus de justice fiscale.
Je vous confirme l'engagement pris aujourd'hui par le Gouvernement qu'un premier rapport sera déposé au Parlement d'ici à la fin de l'année 2001 afin de préparer les voies et moyens d'une réforme d'ensemble des ressources des collectivités locales. A cette occasion, il faudra non seulement examiner la question de la fiscalité locale, mais également se pencher sur les dotations dont le calcul même est évidemment très lié à la fiscalité tant elles visent à compenser l'inégale répartition sur le territoire.
En ce qui concerne les dotations, M. le président Christian Poncelet a lui-même souligné la nécessité de procéder à une réforme et au renforcement de leur caractère péréquateur, aujourd'hui unanimement jugé insuffisant.
Il est vain d'opposer fiscalité et dotation, comme tend à le faire la proposition de loi constitutionnelle, et de laisser penser qu'il existe un niveau idéal pour l'une et l'autre. Ce qui importe, c'est que la fiscalité comme les dotations soient en bonne adéquation avec les missions et les besoins des collectivités locales et soient conformes à l'esprit démocratique de nos institutions, qui exige un lien entre le contribuable et l'élu local.
Comme l'a fait justement observer Mme Durrieu, la proposition de loi constitutionnelle ne comporte aucune disposition susceptible d'accroître la péréquation des dotations existantes. Pourtant, c'est l'orientation principale qu'il nous faudra prendre en tentant d'accomplir un effort de simplification d'un système financier devenu, c'est vrai, trop complexe.
S'agissant des transferts, des compensations et des compétences, je partage avec M. Bret la crainte, énoncée par celui-ci, que le texte proposé, et là il s'agit plutôt de l'article 2, n'entraîne une « préconstitutionnalisation » des compétences des collectivités locales.
M. Vasselle est intervenu avec vigueur pour rappeler les transferts de compétences opérés par la décentralisation. Mais je ne peux adhérer à l'analyse qu'il en a faite.
Il a cité l'insuffisance de compensations financières pour le transfert aux départements et aux régions des collèges et des lycées. Mais c'est oublier qu'en plus des dotations créées à l'origine d'autres financements de l'Etat sont venus soutenir l'effort de ces collectivités, qu'il s'agisse de la rénovation des lycées ou de la mise aux normes de sécurité des établissements scolaires.
Quant aux contrats de plan Etat-région, cités, notamment, par M. Alain Lambert, j'observe simplement qu'il s'agit bien de contrats et que tous ont été signés. Je n'irai pas plus loin et me contenterai de faire remarquer que la modification constitutionnelle proposée aujourd'hui ne contribue en rien à la clarification des compétences que M. Jean Puech, notamment, a appelée de ses voeux.
Enfin, je m'étonnerai simplement que certains orateurs comme M. Vasselle veuillent remettre en cause l'esprit même de la Constitution en conférant au Sénat un rôle bien éloigné de celui que le général de Gaulle et Michel Debré voulaient lui assigner. La nécessaire modernisation du Sénat, dont j'entends parler sur toutes les travées de cet hémicycle, passe évidemment par d'autres réformes.
Je m'étonne également, je le dis sans aucune polémique...
M. Henri de Raincourt. Bien sûr ! (Sourires.)
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ...à M. Marini, des propos qu'il a tenus faisant penser, il ne faut pas le dire trop fort à l'extérieur de cette enceinte, que le vote du projet de loi de finances et des dispositions fiscales qu'il contient ne serait pas de nature démocratique parce que voté par le Parlement. Très franchement, il faut avoir une autre vision du Parlement et d'une démocratie parlementaire comme la nôtre, le Parlement, Sénat et Assemblée nationale, ce sont deux chambres qui représentent le peuple à travers le suffrage universel, même si, j'en conviens, ce dernier est d'une nature différente à l'Assemblée nationale et au Sénat. Néanmoins, ce sont deux chambres. Je l'ai souvent dit en tant que ministre des relations avec le Parlement, et je pense qu'il ne faut pas suggérer que le vote des lois à l'Assemblée nationale ou au Sénat, notamment des lois de finances, aurait un caractère technocratique. Je crois qu'il faut se méfier de cela, car nos concitoyens pourraient en déduire que le Parlement n'est pas un lieu de démocratie.
En conclusion, je soulignerai, notamment à l'attention de M. de Montesquiou, l'intention du Gouvernement de passer aux actes par des moyens sans doute plus propres à soutenir l'action des élus locaux que la réforme constitutionnelle qui nous est proposée aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reprendrai pas les arguments du Gouvernement pour rejeter cette proposition de loi visant à modifier la Constitution. J'estime en tout cas que ce fut un débat utile, mais j'ai bien senti aussi, à travers un certain nombre d'interventions, que l'essentiel était qu'il ait lieu aujourd'hui au Sénat.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est notre travail !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il est en effet toujours utile d'avoir un débat au Sénat avant que d'autres débats soient lancés ailleurs, dans tout le pays, s'agissant d'un grand sujet comme celui de l'approfondissement de la décentralisation, que le Gouvernement entend vraiment poursuivre après la première vague mise en oeuvre, avec la volonté que l'on sait, par le gouvernement que dirigeait M. Pierre Mauroy. Malgré les réticences qui se sont exprimées, la volonté de décentraliser semble aujourd'hui largement partagée, et c'est tant mieux. En ce qui concerne les modalités de cette décentralisation, il y aura débat, et c'est tant mieux aussi ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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