SEANCE DU 8 NOVEMBRE 2000


ÉPARGNE SALARIALE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne salariale.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Les liens partenariaux peuvent aussi prendre la forme du plan d'épargne entreprise, qui ajoute aux précédents des versements libres d'épargne et des abondements de l'entreprise. C'est également le compte épargne-temps, qui transforme l'effort du salarié en liberté horaire. Ce sont, par ailleurs, les options de souscription qui anticipent sur l'avenir. C'est, enfin, le rachat d'entreprise par les salariés qui est une forme ultime de l'association.
Ces mécanismes ont plus ou moins bien fait leurs preuves. Ils représentent un coût pour la collectivité nationale à la hauteur de l'enjeu de société qu'est l'idée de participation, soit plus de 30 milliards de francs de pertes de recettes fiscales et sociales par an.
Cependant, chacun s'accordera à reconnaître qu'une relance est nécessaire. Elle doit s'organiser autour de trois grands axes.
Il s'agit, d'abord, de la méthode de promotion de l'épargne salariale. Il convient de favoriser toutes les formes possibles de dialogue social, de ne brider aucune initiative, car la liberté est la condition essentielle de la réussite des dispositifs pour les salariés, les chefs d'entreprise, les gestionnaires.
Le second axe, c'est la nécessaire promotion dans les secteurs où la participation est la moins développée, à commencer par les petites et moyennes entreprises. Il y a là un véritable enjeu pour l'ensemble des responsables publics. Une réforme qui ne se donnerait pas les moyens d'y parvenir risquerait de passer à côté de ce devoir envers les salariés des PME.
Enfin, il faudra de toute évidence de nouveaux outils. Chacun sent bien que, quoique déjà diversifiée, l'épargne salariale a besoin de répondre aux attentes qui se font jour chez chacun des partenaires pour des instruments dédiés à l'épargne longue et très longue. Si le consensus existe autour du principe d'un produit à long terme, ce qui n'exclut pas des différences d'approche sur ses modalités, le débat reste vif sur l'épargne-retraite. Je reviendrai sur ce point.
Le projet de loi améliore partiellement certains dispositifs en proposant, par exemple, de les adapter à la mobilité croissante des salariés, en cherchant à donner une définition homogène de la notion de groupe ou en donnant aux entreprises la faculté de mettre en place un intéressement infra-annuel. En revanche, il risque de complexifier l'existant, par exemple par la création d'un livret d'épargne salariale là où un simple relevé suffirait, ou bien en créant des SICAV d'entreprise.
Parallèlement, l'Assemblée nationale a voulu étendre le bénéfice de l'épargne salariale, notamment par la création d'un plan d'épargne interentreprise, dont l'idée avait été émise par notre collègue, M. Jean Chérioux, et par l'ouverture du plan d'épargne entreprise aux mandataires sociaux des petites entreprises. Mais, là aussi, le texte s'arrête à mi-chemin, en limitant cette possibillité aux entreprises de moins de 100 salariés ou en restreignant les modes de conclusion d'un plan d'épargne interentreprises.
La grande nouveauté réside dans la création du plan partenarial d'épargne salariale volontaire. La volonté de promouvoir une épargne plus longue est louable et certains avantages associés sont les bienvenus. Mais les modalités retenues reflètent tant de compromis que l'instrument risque de perdre de son intérêt. Pourquoi en limiter les modes de conclusion ? Pourquoi faire cohabiter une durée fixe et une durée glissante ? Pourquoi prévoir un prélèvement croupion sur les sommes investies au-delà d'un seuil d'ailleurs presque jamais atteint ?
Le quatrième volet du texte, qui est l'innovation conceptuelle majeure aux yeux d'une partie de la majorité plurielle, c'est la consécration législative pour un département ministériel encore bien jeune ; je veux parler du secrétariat d'Etat à l'épargne solidaire.
L'examen des articles nous donnera l'occasion de débattre sur les champs, pour le moins fluctuants, que le Gouvernement, dans ses publications, dans le corps du projet de loi, dans ses déclarations, donne à cette notion d'épargne populaire dont les contours sont loin d'être précis. Nous pourrons également débattre pour savoir si un grand groupe bancaire ou d'assurance mutualiste a besoin de bénéficier du même avantage fiscal que la petite entreprise d'insertion.
Enfin, le projet de loi entend renforcer les droits des salariés dans l'entreprise, singulièrement des salariés actionnaires. De nombreuses dispositions vont dans la bonne direction. Mais, d'une part, certaines risquent d'alourdir considérablement les procédures et de créer des inégalités entre actionnaires et, d'autre part, notre collègue M. Jean Chérioux aura à coeur de compléter le dispositif sur certains points.
Au total, sans querelle en paternité ni esprit polémique, la commission vous proposera une lecture pragmatique du projet de loi afin ici de le simplifier et de le compléter et, toujours, de l'améliorer.
Dans le même temps, elle entend prendre une position de principe forte sur la question des retraites en proposant au Sénat de renouveler les votes exprimés l'année dernière sur les propositions de loi de nos collègues MM. Charles Descours et Jean Arthuis et d'introduire un important dispositif sur les plans de retraite.
Tout d'abord, nous ne voulons pas entrer dans le débat sur l'assimilation ou non du plan d'épargne salariale à un outil de retraite qui a pu déchirer la majorité plurielle. A nos yeux, le plan d'épargne salariale n'est pas l'instrument que les quatorze millions de salariés français attendent afin de calmer leur inquiétude sur la retraite.
La question des retraites est à la fois trop grave et trop urgente pour être traitée par le biais d'un instrument imparfait, fruit d'un compromis, qui, à trop hésiter entre les objectifs inconciliables, n'en atteindrait aucun. Il peut, certes, contribuer à préparer la retraite, amorcer un autre dispositif de plus long terme, lancer le débat. Il ne sera pas le troisième pilier de capitalisation attendu depuis trop longtemps. Il faut aller plus loin.
Je ne vous ferai pas l'offense de vous démontrer à nouveau l'urgence absolue que représentent des actes en matière de politique des retraites.
Le Gouvernement a mis au point une méthode infaillible sur ce sujet : il consulte, demande un rapport, un contre-rapport, puis il met en place une instance de concertation chargée de faire des études et, dans la loi de financement pour 2001, propose même de se doter de nouveaux moyens statistiques, probablement pour lancer de nouvelles études... Nous allons avoir la plus belle collection d'études sur le sujet des retraites au monde si nous continuons sur cette voie !
Parallèlement, le Gouvernement propose un fonds de réserve dont, deux ans après la création, il ne précise ni l'objectif, ni les modes pérennes d'alimentation, ni les méthodes de gestion, ni les organismes de surveillance, ni le terme, ni la structure juridique.
Quant à la promotion d'une épargne-retraite individuelle, le Gouvernement laisse les fonctionnaires bénéficier de la PREFON, les professions libérales des dispositifs Madelin, les agriculteurs de mécanismes propres et les salariés du secteur privé pleurer sur leur sort !
Cela ne peut pas durer ! Nous avons aujourd'hui une occasion unique de traiter la question, de montrer aux Français qu'alors que le Gouvernement propose des rapports le Sénat adopte des projets adaptés à leurs attentes. Nous ne voulons pas remettre en cause les régimes par répartition qui sont - et doivent rester - au coeur de notre contrat social. Il s'agit seulement de leur adjoindre, sans les affecter, la possibilité d'une épargne volontaire, libre et souple en vue de la retraite.
Le dispositif que je vous présenterai est facultatif, il repose sur le libre choix. Il préserve l'équilibre des régimes de retraite en soumettant à cotisations sociales les versements, en intégrant éventuellement une modulation au bénéfice des plus bas salaires. Dans une logique de justice sociale, il prévoit une sortie essentiellement en rente et le libre choix du gestionnaire.
Vous me répondrez tout à l'heure, monsieur le ministre, qu'il ne s'agit pas du même débat, vous l'avez d'ailleurs dit à l'instant, mais vous vous trompez. Il me semble en effet vain et erroné de vouloir vider le débat sur l'épargne salariale de sa dimension d'épargne retraite.
La seule manière de mettre en place des dispositifs d'épargne-retraite complémentaire sans remettre en cause les bases de notre contrat social réside justement dans la chance que représente l'épargne salariale et dans la dimension collective, participative, facultative qu'elle revêt. Si l'épargne-retraite ne se raccroche pas à l'épargne salariale, alors, elle se fera en dehors, sur des bases plus dangereuses pour notre contrat social, sur une logique individualiste que nous rejetons tous et qui, pourtant, se met progressivement en place.
De la participation à la retraite en passant par l'épargne salariale et l'intéressement, le Sénat pourra ainsi embrasser l'ensemble du champ des relations nouées entre le capital et le travail, au-delà du seul rapport salarial, et tenter d'extraire ce texte des contingences plurielles contradictoires qui l'ont affecté.
La commission vous invite à adopter ce projet de loi, amendé comme je viens de le dire. C'est notre devoir de législateur de perfectionner, là où il est perfectible, le texte de l'Assemblée nationale. C'est notre devoir de représentants du peuple d'y ajouter une proposition de réponse aux attentes de nos concitoyens. C'est notre devoir de Français de consolider l'oeuvre importante accomplie dans notre pays sur l'association du capital et du travail. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici donc appelés à nous prononcer sur le projet de loi relatif à l'épargne salariale.
Il s'agit d'un texte pour le moins attendu : attendu par les salariés, attendu par les entreprises, mais attendu aussi, et peut-être surtout, par notre assemblée, le Sénat ayant attaché une attention toute particulière à la question de la participation ces derniers mois.
Je ne résisterai pas à la tentation de faire ici un bref retour en arrière.
Voilà maintenant un an et demi, en effet, la commission des affaires sociales m'avait confié la mission de me pencher sur le développement de l'actionnariat salarié et ses implications.
J'avais, en septembre 1999, présenté devant la commission mes conclusions sur ce thème. J'avais alors insisté sur la nécessité de favoriser un développement organisé de l'actionnariat salarié, celui-ci pouvant en effet constituer le fondement d'un nouveau partenariat dans l'entreprise.
A la suite de ce rapport, j'avais présenté une proposition de loi reprenant ces conclusions, que de nombreux commissaires avaient bien voulu cosigner. Parallèlement, M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste déposaient sur le même sujet une proposition dont les dispositions étaient pour la plupart très proches, voire identiques.
Ces propositions furent inscrites à l'ordre du jour réservé du 16 décembre 1999 et le Sénat adopta, ce jour-là, une proposition de loi tendant à favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié, comprenant trente-deux articles.
La démarche de notre assemblée était donc claire : diagnostic, concertation et décision en furent les trois étapes.
Hélas ! cette démarche devait s'arrêter là, le Gouvernement n'ayant pas souhaité inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et n'ayant donc pas permis que cette démarche constructive se poursuive.
Il n'est pas dans mon propos d'instruire ici je ne sais quel procès en paternité. Bien au contraire, je ne peux que me féliciter que le Gouvernement se soit - enfin ! du moins semble-t-il - converti à la participation.
Certes, cette conversion est tardive. Nous avons en effet perdu presque un an pour légiférer, alors qu'il aurait suffi au Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi votée au Sénat. La situation est d'autant plus paradoxale que le Gouvernement, après avoir perdu un an à tergiverser, à hésiter entre plusieurs avant-projets et à se lancer dans des tractations de dernière minute, choisit de déclarer l'urgence sur le présent projet de loi.
Certes, cette conversion se fait également du bout des lèvres. Le Gouvernement préfère en effet retenir la notion d'épargne salariale plutôt que l'appellation classique de participation. Il semble qu'il y ait toujours des mots qui fassent peur ou qui déplaisent.
Mais l'important n'est pas là. Ce qui importait, c'était que le Gouvernement renonce à une conception quelque peu archaïque des rapports sociaux et s'inscrive dans une vision plus associative du monde du travail, telle qu'a cherché à la mettre en place le général de Gaulle.
Ainsi, le 27 septembre 1999, alors que la commission des affaires sociales du Sénat s'apprêtait à publier son rapport d'information, M. le Premier ministre annonçait à Strasbourg, aux journées parlementaires d'information du parti socialiste, que « le Gouvernement pense nécessaire, s'agissant des salariés actionnaires, de renforcer leur rôle, leurs moyens d'action et leur représentation ».
Peu après, le 13 octobre 1999, il confiait à MM. Balligand et de Foucauld une mission destinée à étudier « les modalités d'une participation plus active des salariés au développement de leurs entreprises et au partage des fruits de la croissance, notamment grâce à l'épargne salariale et à l'actionnariat salarié ». Au même moment, M. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des finances, déclarait le 22 octobre : « L'épargne salariale est au coeur de notre projet. »
Ces déclarations laissaient alors présager non seulement un ralliement de la majorité plurielle à notre volonté d'assurer un nouveau partenariat dans l'entreprise, mais aussi un texte d'envergure.
Et il est vrai que, à lire l'exposé des motifs du projet de loi, les objectifs en sont ambitieux. Il s'agit, en effet, d'ouvrir l'épargne salariale au plus grand nombre ; de créer un dispositif d'épargne salariale à long terme ; de moderniser l'actionnariat salarié ; de renforcer les droits des salariés.
Ces objectifs paraissent d'autant plus faciles à partager que ce sont, en effet, les mêmes que ceux qui ont été poursuivis par le Sénat dans sa proposition de loi le 16 décembre dernier.
Il est vrai que le principal mérite de ce projet de loi est sans doute d'avoir, à la suite du rapport de MM. Balligand et de Foucauld, bien identifié les principaux enjeux d'une réforme des dispositifs de la participation.
La commission des affaires sociales considère en effet que, même si ces dispositifs fonctionnent actuellement bien, ils souffrent toutefois de certaines imperfections.
D'une part, les mécanismes de participation ne couvrent qu'une faible part des salariés - vous avez insisté sur ce point tout à l'heure, monsieur le ministre - et restent insuffisamment négociés. Ainsi, en 1997, 48 % des entreprises de cinquante salariés et plus n'avaient pas d'accord de participation ou d'intéressement. Ce taux atteint 95 % pour les entreprises de dix à quarante-neuf salariés. Il en va de même pour l'actionnariat salarié. En 1998, seuls 3 % des ménages - je dis bien 3 % ! - possédaient des titres de leur entreprise.
D'autre part, l'orientation de l'épargne salariale est encore loin d'être optimale. La durée des placements, même si elle tend à augmenter, reste trop courte pour garantir un financement stable de notre économie. Surtout, l'épargne salariale n'est encore que faiblement investie en titres de l'entreprise. Au 31 décembre 1999, 45 % de l'encours des fonds communs de placement d'entreprise étaient certes composés d'actions de l'entreprise, pour un montant total de 148 milliards de francs, mais ce montant reste, à l'évidence, largement insuffisant pour assurer la stabilité des fonds propres des entreprises françaises quand on le rapporte à leur capitalisation boursière, qui dépasse 10 000 milliards de francs à la même date.
En outre, si la montée en puissance de l'épargne a certes permis une meilleure association des salariés à la croissance de leur entreprise, la représentation collective des salariés actionnaires reste, en revanche, insuffisamment organisée.
Enfin, les dispositifs d'épargne salariale n'ont pris en compte qu'imparfaitement les évolutions du monde du travail comme la mobilité croissante des salariés ou l'internationalisation des entreprises.
Face à ce constat, le projet de loi prévoit plusieurs mesures qui, pour beaucoup, se révèlent très proches de celles qui avaient été avancées par le Sénat dans ses travaux antérieurs.
Dans certains cas, le projet de loi reprend purement et simplement des propositions du Sénat.
Deux d'entre elles figurent d'ailleurs parmi les plus importantes du projet de loi. Il s'agit, d'une part, de l'institution de plans d'épargne interentreprises - c'est l'article 5 - pour favoriser le développement encore très lent de l'épargne salariale dans les PME et, d'autre part, de la possibilité, pour un salarié changeant d'entreprise, de transférer parallèlement les sommes placées sur son plan d'épargne d'entreprise - c'est l'article 2 - afin d'adapter les systèmes de participations à la mobilité croissante des salariés et d'éviter la déshérence regrettable de fonds d'épargne salariale.
Le projet de loi reprend également d'autres propositions de notre assemblée, à savoir la possibilité pour les holdings de calculer leur intéressement en fonction des résultats et des performances du groupe - c'est l'article 4 - et, pour les salariés membres des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise, d'accéder à une formation adéquate afin de pouvoir veiller efficacement à leurs intérêts - c'est l'article 3 quinquies.
Dans d'autres cas, les dispositions du projet de loi divergent des propositions du Sénat, mais répondent en apparence à un souci. Il s'agit principalement de certaines dispositions du titre V relatives au renforcement des droits des salariés dans l'entreprise et du titre VI concernant l'actionnariat salarié.
Je pense, en particulier, au souci de développer une épargne salariale à long terme - c'est l'article 7 -, au renforcement du rôle du dialogue social pour la mise en place des dispositifs d'épargne salariale - c'est l'article 11 -, à la mise en oeuvre du « rendez-vous obligatoire » institué en 1994 pour la représentation des salariés actionnaires dans les organes délibérants de l'entreprise - c'est l'article 13 -, au renforcement des pouvoirs des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise dans lesquels sont représentés les salariés - c'est l'article 12 - ou à la volonté d'associer prioritairement les salariés à toute augmentation de capital - c'est l'article 14.
Dans tous ces cas, le texte du Gouvernement reste néanmoins en retrait par rapport aux propositions du Sénat.
Pour autant, cette proximité apparente des deux textes ne peut faire longtemps illusion !
A y regarder de plus près, en effet, le texte qui nous est soumis aujourd'hui se révèle décevant car, derrière un affichage ambitieux, se cache en définitive un texte de circonstance.
A côté de mesures techniques parfois utiles se trouvent de véritables « usines à gaz » ; je pense, en particulier, aux plans d'épargne interentreprises tels qu'il sont ici présentés ou au plan partenarial d'épargne salariale volontaire qui, loin de simplifier les dispositifs existants, brouillent la lisibilité d'ensemble du système.
Mais, surtout, le Gouvernement ignore une dimension majeure : celle de l'actionnariat salarié, auquel ne sont consacrés que deux « malheureux » articles sur les vingt-sept articles du texte issu de l'Assemblée nationale. L'actionnariat salarié est donc incontestablement le parent pauvre du texte qui nous est soumis aujourd'hui, au moment où celui-ci tend pourtant à devenir un thème fédérateur.
En réalité, ces similitudes entre le projet de loi et le texte adopté au Sénat restent insuffisantes pour ne pas mettre en lumière une différence d'approche fondamentale.
Pour le Sénat, il s'agissait finalement d'adapter l'ensemble des dispositifs de participation pour favoriser le développement de l'actionnariat salarié dans le sens du progrès social.
L'épargne salariale et a fortiori l'actionnariat salarié ne peuvent se résumer à une simple « coquille vide » servant simplement à fournir un complément de rémunération. Ils doivent, au contraire, se traduire par une participation croissante du salarié actionnaire à la marche de l'entreprise et surtout aux décisions qui engagent le destin de l'entreprise. C'est pour cela qu'ils doivent être fidélisés et organisés, afin de permettre l'émergence d'un pôle d'actionnariat stable et collectif, seul capable de fournir un contrepoids suffisant à la puissance des autres pôles d'actionnariat de l'entreprise.
C'est à ces conditions - et à ces conditions seulement - que l'épargne salariale et l'actionnariat salarié pourront réellement constituer une « révolution sociale », pour reprendre l'expression chère au président Poncelet.
A l'inverse, le texte du Gouvernement s'inscrit, lui, dans une perspective qui, en dépit de certains faux-semblants, tend plutôt à privilégier l'approche financière.
Il est en effet à craindre que le Gouvernement ne cherche ici à apporter une réponse à deux questions très éloignées de la problématique sociale que nous avions cherché à développer : le financement des retraites et la stagnation du pouvoir d'achat.
Les plans partenariaux d'épargne salariale volontaire, du moins dans leur version originale, apparaissent en effet comme des ersatz à la mise en place de réels fonds de pension et de plans d'épargne retraite. Il semble bien que, reportant continuellement la nécessaire réforme des retraites, le Gouvernement ait voulu permettre aux salariés de se constituer une épargne longue pouvant leur servir de complément de retraite. L'épargne salariale deviendrait alors un pis-aller à l'épargne retraite.
Le débat à l'Assemblée nationale a cependant permis d'éclaircir en partie cette question.
Par la suppression de la sortie en rente et par la possibilité d'une sortie « glissante », le plan partenarial d'épargne salariale volontaire se rapproche d'un plan d'épargne à long terme, même s'il constitue toujours un « produit hybride ». A ce propos, votre rapporteur pour avis ne peut que regretter que ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'aient choisi la solution la plus simple qu'il avait d'ailleurs proposée dans son rapport d'information, à savoir moduler les aides financières de l'entreprise - abondement et décote pour les actions - en fonction de la durée d'immobilisation des sommes dans le plan d'épargne d'entreprise, cette durée d'immobilisation pouvant alors dépasser cinq ans lorsqu'un accord collectif le prévoit.
La seconde ambiguïté concerne la nature même de l'épargne salariale. Il n'est pas exclu que, conscient de l'impact défavorable de la mise en place des 35 heures pour l'évolution des salaires, le Gouvernement ait souhaité favoriser l'extension des compléments de rémunération afin de compenser la stagnation du pouvoir d'achat individuel.
La commission des affaires sociales s'inquiéterait d'une telle dérive, si elle devait se confirmer. Les dispositifs d'épargne salariale n'ont en effet vocation ni à se substituer aux rémunérations ni à compenser la stagnation des salaires. Ce serait contraire à l'idée de participation du général de Gaulle.
M. André Jourdain. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Leur logique est tout autre : ils visent à une meilleure association du salarié et de l'entreprise.
On ne peut donc que regretter ce « mélange des genres ». Ces ambiguïtés entretenues par le Gouvernement invitent donc à orienter ce texte dans le sens qui aurait dû être le sien dès l'origine.
La commission des affaires sociales, qui n'est saisie que pour avis, a choisi d'orienter ses propositions dans le sens du travail qui est le sien depuis un an et demi. Aussi, les amendements que je vous présenterai tout à l'heure viseront principalement à renforcer le volet trop succinct de ce texte consacré à l'actionnariat salarié.
Je n'insisterai pas, une nouvelle fois, sur les raisons qui militent en faveur d'un accompagnement actif du mouvement actuel de progression de l'actionnariat salarié ; mais je tiens à en souligner les deux implications majeures.
Dans l'entreprise, l'actionnariat salarié tend à transformer les rapports sociaux en permettant aux salariés d'être associés, je dis bien associés, au destin de leur entreprise et donc de leur emploi. En jouant leur rôle d'actionnaires, les salariés peuvent peser sur les décisions.
Plus généralement, l'actionnariat salarié peut permettre également d'accompagner les mutations de l'économie française.
Il peut contribuer à renforcer les fonds propres des entreprises en favorisant le placement de l'épargne en actions.
Il répond également au souci de garantir le caractère national de nos entreprises en renforçant la place des actionnaires français dans leur capital.
Il peut soutenir les entreprises de croissance en leur assurant un accès à de nouveaux capitaux et en compensant les contraintes de leur politique salariale.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales propose prioritairement de rétablir, par voie d'amendements, la plupart des dispositions relatives à l'actionnariat salarié qui avaient été adoptées par le Sénat en décembre dernier.
Je rappellerai ici, pour mémoire, les grandes lignes de ce texte.
La démarche du Sénat était, et reste, résolument pragmatique. Le texte adopté tendait simplement à renforcer l'existant pour lever certains obstacles au développement de l'actionnariat salarié et pour l'adapter à l'évolution du monde du travail et de la vie économique.
Il reposait sur cinq grands principes.
Le développement de l'actionnariat salarié passe avant tout par une démarche incitative. Ce n'est pas en instaurant par la loi de nouvelles obligations et de nouvelles contraintes que l'actionnariat salarié se développera. Bien au contraire, il est nécessaire que l'actionnariat résulte d'une action volontaire et soit de surcroît défini et organisé par voie contractuelle.
M. René-Pierre Signé. Et organisé !
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Cela doit vous faire plaisir, mes chers collègues !
La réglementation doit donc être avant tout incitative et favoriser la négociation dans l'entreprise. Cela aussi doit vous faire plaisir, mes chers collègues !
L'actionnariat salarié doit être adapté aux spécificités des entreprises. Il s'agit donc non pas d'imposer un modèle unique, mais d'ouvrir des voies différentes et souples. Aussi, ne faut-il pas succomber au mythe d'une règle uniforme, applicable à tous, ce qui est, hélas ! bien souvent le travers de notre législation sociale.
L'actionnariat salarié doit être stable et aussi durable que possible. Sa vocation n'est pas d'offrir un placement spéculatif. Il doit donc être fidélisé !
L'actionnariat salarié ne peut être une coquille vide. Il doit se traduire par une participation croissante du salarié à la marche de l'entreprise et, surtout, aux décisions qui engagent le destin de l'entreprise.
L'actionnariat salarié ne sera efficace que s'il est organisé ! Un actionnariat exercé individuellement pèse trop peu et ne permet pas aux salariés actionnaires d'être directement associés aux décisions les plus importantes de l'entreprise. Aussi, cette organisation doit s'inscrire dans une démarche collective, seule capable de fournir un contrepoids suffisant à la puissance des autres pôles d'actionnariat de l'entreprise. Cela aussi doit vous faire plaisir, mes chers collègues !
Pour autant, la commission des affaires sociales ne vous proposera pas de rétablir in extenso les articles adoptés par le Sénat en décembre dernier s'ils sont pour partie satisfaits par le projet de loi, ce dont je vous donne acte, monsieur le ministre. Je pense notamment aux dispositions concernant le plan d'épargne interentreprises ou le transfert des sommes placées sur les PEE lorsque les salariés changent d'entreprise.
Elle n'a pas souhaité non plus vous proposer de rétablir deux articles de la proposition de loi adoptée au Sénat.
Le premier concernait l'actionnariat salarié issu de l'attribution d'options sur actions. Compte tenu de la spécificité de ces plans, il ne faut pas prendre le risque d'ajouter à la confusion et au mélange des genres qui pourraient être entretenus par ce texte.
Le second concernait l'actualisation des plans d'actionnariat salarié issus de la loi du 27 décembre 1973. Ces plans sont très peu utilisés actuellement. Seule une centaine d'entreprises les a mis en place, avant tout pour permettre la mise en oeuvre de plans d'actionnariat à l'échelon international. Or le projet de loi - une fois de plus, je vous en donne acte, monsieur le ministre - en clarifiant la notion de groupe, répond largement aux préoccupations qui justifiaient le recours à ces plans. Notre souci est donc, sur ce point, largement satisfait.
Dans ces conditions, la commission a examiné plus particulièrement les titres V - Renforcement des droits des salariés dans l'entreprise - et VI - Actionnariat salarié -, mais aussi le titre Ier - Amélioration des dispositifs existants - dans la mesure où il aborde la modernisation des mécanismes d'épargne salariale, qui sont les vecteurs principaux de l'actionnariat salarié.
Il appartient naturellement à la commission des finances, saisie au fond, d'examiner l'ensemble du texte. La teneur très financière de celui-ci rapproche en effet ce texte des compétences traditionnelles de ladite commission.
Certains pourraient juger que notre démarche relève de l'entêtement. Tel n'est pas notre propos.
Nous craignons en fait que ce projet de loi ne constitue une occasion manquée, dont les conséquences seraient graves.
Nous sommes aujourd'hui dans un monde nouveau, bouleversé par l'emprise sans cesse croissante de la mondialisation. Dans ce nouveau contexte, la vieille idée de l'association, chère au général de Gaulle, retrouve, une fois encore, une actualité renouvelée. En effet, l'actionnariat salarié, qui constitue le stade ultime de l'association, peut offrir un instrument efficace pour accompagner la mutation de notre économie tout en protégeant nos entreprises et leurs salariés d'une conception trop peu humaine de la compétition économique.
A propos de l'association justement, le général de Gaulle écrivait, dans ses Mémoires d'espoir : « Mais, par delà les épreuves, les délais, les tombeaux, ce qui est légitime peut, un jour, être légalisé ; ce qui est raisonnable peut finir par avoir raison. »
C'est la voie dans laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons de vous engager en cherchant à développer et à encourager l'actionnariat salarié. Tel est le sens des propositions que la commission des affaires sociales vous soumet aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Vous êtes le dernier gaulliste !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes.
Groupe socialiste, 38 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes.
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme des relations entre l'homme, les fruits de l'entreprise et son capital est, à mon sens, un enjeu essentiel pour l'ensemble des acteurs économiques.
Comment ne pas entendre en effet l'appel des salariés, soucieux d'être associés à la fois au partage des bénéfices et au processus de prise de décisions dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue ?
En témoigne le taux de participation très élevé que l'on a connu lors des ouvertures de capital des entreprises publiques engagées à partir de 1986, les demandes de souscription dépassant très largement les offres proposées.
Quant aux entreprises, elles manifestent également un intérêt grandissant pour l'actionnariat salarié : selon une enquête récente, 42 % d'entre elles déclarent détenir un tel système. Nombre de PME souhaiteraient sans doute l'adopter, mais aussi elles ne le peuvent pas pour des raisons strictement financières.
Les chefs d'entreprise prennent de plus en plus conscience non seulement de la nécessité de renforcer leur fonds propres, mais également de ce que l'amélioration du dialogue social peut apporter à l'entreprise, dans la démarche gagnant-gagnant que vous évoquiez dans votre propos liminaire, monsieur le ministre.
De son côté, le Sénat n'a pas attendu cet automne 2000 pour aborder de façon approfondie l'un des sujets qui dominera l'actualité économique et sociale des prochaines années : l'affirmation en France d'un nouveau type de capitalisme, que j'appelerai « capitalisme participatif », avec des salariés directement liés à la vie et aux résultats de l'entreprise.
Je pense, évidemment, à l'excellent rapport sur l'actionnariat salarié de notre collègue Jean Chérioux et de la commission des affaires sociales, travail particulièrement complet qui fera date sur ce sujet, au rapport établi en 1994 par nos collègues Jean Arthuis, Philippe Marini et Paul Loridant, portant sur la clarification indispensable des stock-options, ainsi qu'à la proposition de loi créant des fonds d'épargne-retraite, qui a été adoptée par le Sénat le 14 octobre 1999, sur l'initiative, notamment, de mon groupe parlementaire, l'Union centrise.
La réconciliation entre l'homme et l'entreprise, son épanouissement pour et dans l'entrerise passe, en particulier, par le développement de l'actionnariat salarié. L'évolution des rapports sociaux en France n'a jamais été aussi nécessaire : ce sera le premier point de mon propos.
Il faut, par ailleurs, définir quelques priorités. C'était l'objectif de la proposition de loi, déposée par mon groupe, relative au développement du partenariat social, qui fut examinée en décembre dernier au Sénat.
Certaines des propositions sénatoriales ont été reprises dans le texte qui nous est soumis, et nous nous en réjouissons. Des divergences demeurent néanmoins : ce sera l'objet de la deuxième partie de mon intervention.
Le projet d'association entre le capital et le travail formulé par le général de Gaulle en 1958 est une idée ancienne.
Après quarante ans d'application des systèmes de participation et d'intéressement, le bilan est intéressant, mais il témoigne que beaucoup reste à faire. Il est vrai que près de 5 millions de salariés bénéficient des fruits de la participation et 3 millions de l'intéressement. Ces dispositifs constituent, avant tout, un moyen de compléter des salaires qui augmentent très faiblement depuis 1990.
L'actionnariat des salariés dans leur propre entreprise reste relativement limité : selon l'INSEE, 700 000 salariés seraient actionnaires de leur entreprise, soit seulement 3 % des ménages ; et l'actionnariat salarié ne représenterait que 2 % de la capitalisation boursière en France.
Or, comme je le disais tout à l'heure, il existe une réelle attente de la part des salariés de notre pays, au-delà des entreprises cotées ou des anciennes entreprises publiques. Sans doute la faiblesse relative de l'actionnariat salarié provient-il donc de l'inadaptation et de l'insuffisance des outils proposés.
Toutefois, le problème central du système d'actionnariat à la française n'est pas uniquement la portée limitée des incitations ou avantages financiers proposés aux salariés et aux entreprises : sa grande faiblesse provient sans doute, ce qui n'étonnera personne, de sa grande complexité, de sa lourdeur et, bien sûr, de la multiplicité des dispositifs. A l'instar d'une grande partie de notre législation, ce système d'actionnariat salarié ressemble en quelque sorte à un mille-feuille constitué de dispositions souvent contradictoires et économiquement contre-productives.
Or, plus que jamais, l'émergence d'un capitalisme participatif est nécessaire dans notre pays pour accompagner de manière positive l'évolution actuelle de l'économie de marché, dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue. Face à l'influence grandissante des investisseurs étrangers, qui contrôlent plus de 40 % du capital des sociétés françaises cotées, la création de fonds d'épargne retraite, mais aussi un développement de l'épargne salariale peuvent constituer des moyens efficaces de renforcement des fonds propres des entreprises et de stabilisation dans la durée de leur capital.
Dans cette perspective, nous devons réformer en profondeur l'ensemble de la législation définissant les modes de participation financière des salariés et définir des priorités.
L'amélioration des dispositifs existants, la clarification fiscale et la simplification de l'ensemble sont les objectifs majeurs de la proposition de loi qu'a déposée l'année dernière le groupe de l'Union centriste en faveur du partenariat social.
A cet égard, le projet de loi gouvernemental ne répond que très partiellement à nos attentes. Il cherche à concilier plusieurs objectifs : ouvrir l'épargne salariale au plus grand nombre, moderniser l'actionnariat salarié, renforcer les droits des salariés en développant la négociation et en renforçant le rôle et les pouvoirs des conseils de surveillance des fonds communs de placement.
Sur ces différents points, le projet du Gouvernement reprend un certain nombre d'idées déjà émises par le groupe de l'Union centriste et par l'ensemble de la majorité sénatoriale, à l'occasion de l'adoption d'une proposition de loi le 16 décembre dernier. Il s'en distingue cependant en créant un dispositif d'épargne salariale à long terme, d'une durée de dix ans.
En voulant donner une réponse unique à l'insuffisance des fonds propres des entreprises et à la stagnation du pouvoir d'achat des salariés, d'une part, au problème du financement des retraites, d'autre part, le Gouvernement a pris le risque de présenter un projet hybride et contradictoire, qui plus est fortement dénaturé par certains amendements de la gauche plurielle adoptés par l'Assemblée nationale. Il aurait fallu, au contraire, dissocier le problème de l'épargne salariale de celui de l'indispensable complément de retraite par capitalisation, comme l'a fait le Sénat en adoptant deux propositions de loi distinctes à la fin de l'année 1999.
Revenons néanmoins sur les points positifs. L'idée d'un plan d'épargne interentreprises, ou PEI, fait, je le crois, l'unanimité. Il s'agit en effet de mettre fin à l'inégalité entre la situation des salariés des PME et celle des salariés des grandes entreprises. Ces nouveaux produits permettraient de mutualiser les frais de gestion des fonds communs de placement, qui constituent le support institutionnel et financier des PEE. Les PEI ont, en outre, un caractère souple et contractuel : ils sont donc particulièrement adaptés aux spécificités et à la diversité des PME.
Le Gouvernement aurait peut-être intérêt à faire preuve d'un semblable pragmatisme dans un autre dossier qui préoccupe tout particulièrement le secteur des petites entreprises : les 35 heures !
Une autre avancée positive est réalisée avec le titre Ier, qui prend en compte la mobilité des salariés dans les règles régissant les PEE.
Les progrès apportés par ce projet, inspirés des propositions du Sénat, sont toutefois contrebalancés par des demi-mesures ou par des concessions à l'aile gauche de la majorité plurielle.
Ainsi, on peut s'interroger sur l'intérêt même du « super-PEE » que devient le plan d'épargne à long terme en l'absence d'incitations financières fortes et compte tenu du prélèvement social qui serait opéré sur les abondements de l'employeur, en application d'un amendement voté par l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, il conviendrait d'aller plus loin dans l'amélioration de certains des dispositifs existants, par exemple en donnant plus de poids aux actionnaires salariés dans la gestion des fonds tirés de l'actionnariat salarié. De concert avec la commission des affaires sociales, mon groupe parlementaire proposera, au cours de la discussion, que les représentants des salariés dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement investis en titres de l'entreprise soient désormais élus et non plus désignés. C'est une revendication tout à fait légitime des associations d'actionnaires salariés, qui sont actuellement une dizaine en France.
Un autre sujet a été abordé lors de l'examen du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques - j'y reviens, car il s'inscrit tout à fait dans le cadre de l'actionnariat salarié, et il est vraiment dommage qu'il en ait été ainsi dissocié. Je veux parler de la simplification et de l'allégement de la taxation des stock-options, ou plutôt des BSPCE, les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, qui constituent une forme d'épargne de plus en plus répandue.
Les stock-options, qui se sont considérablement développés en France ces dernières années, sont désormais indispensables, notamment dans les secteurs en fort développement ou en contact direct avec la concurrence internationale. Il s'agit de motiver et de fidéliser certains salariés, mais aussi de les récompenser de la confiance qu'ils ont placée dans l'entreprise à son démarrage en y investissant certaines sommes.
C'est la reconnaissance du risque. Ce système est, dans les faits, actuellement réservé à des cadres supérieurs et dirigeants, mais rien dans la loi n'interdit à l'entreprise de distribuer des stock-options à l'ensemble des salariés ou à certains non-cadres. C'est déjà le cas dans des PME du secteur de l'informatique ou des nouvelles technologies.
Comment amplifier ce phénomène ? Il s'agit surtout de simplifier le mode de taxation. Notre système est, en effet, particulièrement complexe, avec une double taxation : au moment de la levée de l'option et à l'occasion de la cession des titres.
La proposition émise par notre groupe a le grand mérite de la simplicité, sans sacrifier l'efficacité : les stock-options ne seraient taxées que lors de leur cession, la plus-value étant calculée par rapport au prix de souscription. La taxation se ferait au taux de droit commun de 16 % en cas de respect d'un délai de portage de cinq années. Dans le cas contraire, elle serait taxée comme un salaire.
Mes chers collègues, nous devons absolument innover dans ce domaine si nous voulons éviter, par exemple, qu'un certain nombre de nos ingénieurs ou chercheurs ne soient finalement attirés dans d'autres pays européens ou, ce qui est plus grave, outre-Atlantique par des incitations financières plus attrayantes.
En conclusion, je dirai qu'il est maintenant nécessaire d'imaginer de nouvelles relations entre l'homme, l'argent, l'entreprise et son travail. Pour cela, il faut abandonner notre culture de conflit pour favoriser une nouvelle expression collective des salariés par l'accès au capital.
Si nous voulons garder la compétitivité nécessaire pour rester dans le peloton de tête d'un monde où le pouvoir économique est synonyme d'indépendance, de choix et de liberté, il nous faut réconcilier un maximum d'hommes avec l'entreprise et les mobiliser pour celle-ci.
Je remercie les deux commissions du Sénat de l'ensemble de leur travail. Je suis persuadé que les propositions du Sénat contribueront à mieux faire comprendre à nos concitoyens que notre avenir passe d'abord par l'entreprise. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Philippe Marini et Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, annoncé à grand renfort de trompes médiatiques, voici présenté devant le Sénat un projet de loi dont le but affiché est de concilier deux facteurs - j'allais dire : deux valeurs - que certains membres de la majorité plurielle ne manquent jamais de considérer comme totalement antagonistes : le travail et le capital.
Enfin, oserai-je dire, un peu de bon sens commence à illuminer les réflexions du Gouvernement ! Car c'est un problème qui est depuis longtemps mis sur la table dans notre pays. Je me rappelle un chef d'Etat un peu visionnaire qui parlait de la participation comme d'un moyen d'essayer de concilier travail et capital. Peut-être avons-nous perdu beaucoup de temps...
M. André Jourdain Hélas !
M. Paul Girod. ... avant de commencer à considérer que cet antagonisme est probablement plus artificiel qu'on ne le croit.
A lire l'exposé des motifs du projet de loi, on constate que les objectifs affichés sont extrêmement larges puisqu'ils consistent aussi bien à inciter les entreprises à encourager l'épargne salariale qu'à revoir les mécanismes d'implication des salariés actionnaires déjà existants ou bien à favoriser l'épargne longue par le biais des plans d'épargne salariale volontaire.
Ce sont, certes, des objectifs nobles. Mais, par rapport à l'idée fondamentale de ceux qu'ont mené pendant longtemps ce pays avant vous, admettez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le projet manque un peu d'ambition : par son caractère purement technique - car il se garde bien d'aborder les problèmes de fond - il risque de troubler la perception de ces nouveaux concepts que sont l'épargne salariale et l'épargne retraite.
S'agissant de l'épargne salariale, deux difficultés doivent être mises en exergue.
La première a trait à la mauvaise orientation générale de l'épargne en France. Au fond, une grande partie de l'épargne rentable est captée par des mécanismes institutionnels, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins allemands et anglo-saxons.
A titre de comparaison, la rentabilité de l'épargne est bien moindre en France qu'elle ne l'est ailleurs : l'écart est de un à cinq.
De plus, les Français, trop souvent victimes d'une fiscalité confiscatoire, participent moins à l'épargne salariale que certains de leurs voisins et ont, par conséquent, tendance à la dévier en direction de placements qui ne sont pas aussi productifs qu'il serait souhaitable pour le bien de notre économie.
L'autre difficulté tient au fait que nombre d'entreprises manquent de capitaux et que 40 % des parts des entreprises françaises sont détenues par des non-résidents, en particulier, ô paradoxe, par des fonds de pension étrangers, ce qui fait que ce sont nos salariés qui travaillent pour financer les retraites des autres.
C'est pourquoi l'épargne salariale - si elle réussit, ce qui n'est pas encore acquis - devrait permettre à nos entreprises de renforcer leur productivité, d'améliorer l'innovation, bref de revitaliser notre tissu économique.
Elargir l'accès à l'épargne salariale est le meilleur moyen de drainer des capitaux plus importants en donnant aux entreprises qui en ont besoin la possibilité d'en profiter. L'épargne salariale devrait alors constituer une synthèse entre la réussite de l'entreprise et la participation des salariés. Ce serait ouvrir la voie à l'épanouissement et à l'enrichissement de tous au sein des entreprises et peut-être aussi - c'est là mon souhait, mais je ne suis pas sûr que les dispositifs, encore une fois exagérément techniques, qui figurent dans votre texte, monsieur le secrétaire d'Etat, aboutissent à cela - à un changement dans les mentalités des Français par rapport à la notion de risque, qui est malheureusement trop souvent absente.
Soit dit entre nous, l'un des problèmes que nous rencontrons régulièrement sur le terrain n'est pas tant de voir se créer trop peu d'entreprises, que d'en voir trop capoter lors de leur phase de développement, parce que c'est alors qu'elles ont du mal à trouver des capitaux. C'est peut-être l'un des apports importants de l'Assemblée nationale, qui a prévu, d'une certaine manière, des mutualisations par bassin d'emploi permettant d'établir des rapports directs entre ceux qui placent leur épargne salariale et les entreprises du secteur, dont ils peuvent surveiller l'épanouissement éventuel et s'intéresser ainsi de manière plus impliquée à la vie économique.
Cela ne figure pas dans les buts affichés de votre projet de loi, mais j'espère que c'en sera une résultante, quand bien même elle n'aurait pas été recherchée.
En ce qui concerne l'épargne retraite, je me réjouis que la commission des finances du Sénat propose l'insertion d'une division additionnelle. L'épargne salariale n'a pas la même fonction que l'épargne-retraite, et le seul lien entre les deux ne peut se faire que sur la base du volontariat, lorsque le salarié veut transformer son capital d'épargne salariale en instrument de rendement pour la retraite.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le problème de la retraite est un problème majeur, et on le dit depuis longtemps. Je regrette que M. le ministre de l'économie et des finances soit parti, car, si j'en crois la presse du matin, au dernier conseil ECOFIN qu'il vient de présider, on n'a pas parlé d'autre chose...
J'en déduis qu'il y a une prise de conscience à l'échelon européen de l'importance de cette question.
Cette prise de conscience nous était encore plus nécessaire qu'à nos partenaires dans la mesure où notre système par répartition va, si j'ose dire, dans le mur, et en klaxonnant ! S'il existe quelques régimes par capitalisation en France, ils ne touchent qu'un nombre extrêmement réduit de bénéficiaires, et notre système reste complètement axé sur la répartition, lequel a été analysé dès 1993 par le Sénat, qui a pris un certain nombre d'initiatives.
J'ajoute que, en 1991 et en 1995, un panorama des systèmes par répartition avait été réalisé à deux reprises, à l'occasion de la publication du livre blanc sur les retraites et lorsque furent dessinées les perspectives à long terme des retraites. Or les enseignements de ces rapports me semblent avoir été parfaitement explicites mais totalement négligés.
A partir de 1955-1956, les systèmes de répartition se sont trouvés handicapés et n'ont pu être sauvés que par l'arrivée massive des femmes, dans le monde du travail.
M. Paul Loridant. Heureusement !
M. Paul Girod. Je n'ai pas dit que c'était malheureux, monsieur Loridant.
Il reste que les difficultés n'auraient pas manqué d'apparaître de plus en plus nettement dès cette époque si l'on était resté à nombre de salariés constant. Cependant, l'élargissement de l'assiette cotisante par l'entrée des femmes dans le monde du travail a été, pardonnez-moi l'expression, un « fusil à un coup » : cela ne se renouvellera plus.
La réalité à laquelle nous sommes maintenant confrontés est l'arrivée des générations du baby boom à l'âge de la retraite ; nous allons nous retrouver un beau matin avec dix retraités pour six salariés, ce qui est parfaitement intenable !
A partir de 2010, si nous ne faisons rien, nos régimes de retraite par répartition ne pourront en aucun cas faire face. Il faut donc se dépêcher de mettre en place un système qui soit plus adapté aux perspectives dont je viens de parler.
Toute l'Europe réforme ses systèmes de retraite. Nous sommes probablement les derniers à commencer à nous en occuper et les plus frileux dans les solutions que nous y apportons.
L'entêtement de l'Assemblée nationale sur ce point est absolument condamnable et ce que je considère, de la part du Gouvernement, comme de l'inertie critiquable.
J'espère qu'à l'issue des délibérations du Sénat le texte comportera les dispositions complémentaires que nos commissions ont prévues, ce dont je les remercie. Elles sont en effet susceptibles d'aider à une prise de conscience de l'Assemblée nationale et de l'ensemble du pays quant aux problèmes devant lesquels nous sommes et auxquels ne sont apportées, pour le moment, que des solutions insuffisantes.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement, lui aussi, fasse un peu son chemin de Damas en cette matière, de façon que, ensemble, nous proposions à nos concitoyens des solutions un peu plus solides, un peu plus consistantes et un peu plus prospectives que celles qui sont contenues dans le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à l'épargne salariale traite, à nos yeux, à la fois de la situation des salariés et de celle des entreprises de notre pays, alors même que les modes de production sont en pleine mutation.
Du point de vue des salariés, ce projet de loi prévoit un produit d'épargne supplémentaire : il vient en complément de l'intéressement volontaire, de la participation obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés et du plan d'épargne d'entreprise, qui est établi sur la base d'un accord d'entreprise et qui permet aux entreprises d'abonder l'épargne salariale souscrite par les salariés.
A cela s'ajoute un quatrième dispositif, dont on parle beaucoup, connu sous le nom de stock-options. Il est, certes, réservé à une élite, et il aboutit parfois, disons-le, à quelques exagérations, voire à quelques scandales.
A ce titre, monsieur le secrétaire d'Etat, on peut s'interroger sur l'opportunité de créer un nouveau produit d'épargne salariale, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire. N'est-il pas, en dépit des dénégations du Gouvernement, un précurseur des fonds de pension qui, à terme, mettraient en cause la philosophie même de la retraite par répartition ?
M. Philippe Marini. Mais non !
M. Paul Loridant. Le présent projet de loi vise un certain nombre de finalités parmi lesquelles on peut distinguer, de manière un peu rapide, le souci de donner aux entreprises, et singulièrement aux petites et moyennes entreprises, les moyens financiers de leur développement, celui de donner aux salariés la possibilité de disposer de revenus fondés sur une épargne individuelle, volontaire, intelligemment et utilement constituée, celui de résoudre pour partie le décalage croissant entre la croissance et le partage des fruits de cette croissance, celui de répondre aux besoins de comprendre et d'agir que les salariés expriment de plus en plus dans la vie quotidienne de leur entreprise. Ce texte tend à répondre pour partie à un certain nombre de ces questions.
Le groupe communiste républicain et citoyen se demande si, sous des dehors tout à fait estimables et qui correspondraient, d'une certaine manière, à l'air du temps et au sentiment général des salariés, le dispositif qui est mis en place n'est pas susceptible de produire des effets pervers peu souhaitables : par exemple, favoriser l'abondement des entreprises sur le compte des salariés épargnants au détriment des salaires directs et de la revalorisation de ces salaires, ou bien risquer de remettre en cause des ressources des caisses de retraite ou des caisses de sécurité sociale par le biais de l'exonération de cotisations patronales.
Reconnaissons, de manière liminaire, que la position défendue par le rapporteur de la commission des finances présente l'avantage de la clarté et qu'elle est incontestablement cohérente avec des débats qui sont intervenus précédemment dans notre assemblée.
Nous ne serons donc pas en peine de trouver ici la justification d'un vote final qui se fondera essentiellement sur une divergence profonde de finalités.
Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que la participation des salariés aux fruits de l'expansion, telle qu'elle est codifiée par le titre IV du livre IV du code du travail, est une donnée relativement ancienne du paysage social et économique de notre pays, puisqu'elle remonte aux ordonnances de 1967 et que ce sont, aujourd'hui, plus de quatre millions de salariés de notre pays qui sont directement concernés par ces dispositifs.
L'une des finalités du projet de loi, en étendant largement les possibilités de mise en oeuvre du dispositif de participation, est d'accroître très sensiblement le nombre des bénéficiaires de ce dispositif qui, il est vrai, n'a pas connu, ces dernières années, une évolution importante, si ce n'est les progressions tout à fait ponctuelles et non durables causées par la mise en oeuvre des lois de privation.
La plupart des salariés de notre pays travaillant dans des petites entreprises, singulièrement dans des entreprises de moins de cinquante salariés, c'est donc à un important changement d'échelle que risque de procéder le projet de loi, quand bien même est directement posée une question essentielle, celle de savoir si les nouveaux produits d'épargne créés par le projet de loi, notamment le PPESV, seront suffisamment attractifs.
La seconde question qui découle de ce choix de fond concerne l'utilisation de la ressource collectée au moyen des produits d'épargne salariale. En effet, en visant la « cible » du salariat dans les petites et moyennes entreprises, le projet de loi pose naturellement la question du noyau de collecte et, surtout, de l'utilisation de la ressource ainsi collectée.
Qui dit collecte auprès des salariés des PME, dit aussi collecte au plus près des bassins de vie et d'emploi, nombre de zones d'activité de notre pays étant essentiellement conçues autour d'un ensemble de petites et moyennes entreprises.
Le recours aux dispositifs d'épargne salariale dans ces bassins de vie et d'emploi pose donc la question essentielle et déterminante de l'affectation de la ressource ainsi collectée.
Nous ne pourrions admettre, par exemple, que la montée en charge de l'épargne salariale conduise, une fois développée la collecte sur l'ensemble du territoire, à ce que cette épargne soit finalement distraite du terrain de production pour être affectée ailleurs, notamment sur les marchés financiers.
Des garanties essentielles doivent donc être apportées au principe même de la mise en place de ces fonds, garanties allant plus loin, à notre sens, que celles qui sont proposées par l'article 9 du présent projet de loi sur ce que l'on appelle l'économie solidaire et qui n'est pas sans poser quelques problèmes de définition.
Le projet de loi relatif à l'épargne salariale pose de surcroît une autre question importante ; celle du financement de l'économie et de l'activité des entreprises.
Les ordonnances de 1967 ont mis en place des dispositifs de participation dans les plus grandes entreprises, qui sont également celles qui accèdent le plus facilement au crédit bancaire ou au crédit obligataire et, a fortiori , compte tenu de leur statut, à l'épargne publique.
Elles n'ont pas fait autre chose qu'aggraver encore les inégalités qui existent entre les entreprises quant à leurs possibilités d'accéder au crédit et à la diversité des sources de financement. Des inégalités profondes demeurent de ce point de vue entre les grands groupes et les PME, inégalités que l'on a déjà pu constater et qui recouvrent, par exemple, les différences de taux d'intérêt des emprunts, l'inégal accès à la ressource CODEVI, les limites des possibilités d'intervention de la banque de développement des PME ; je ne m'étendrai pas davantage.
Il est donc tout à fait évident pour nous que ce débat sur l'épargne salariale doit viser clairement à favoriser toute formule d'allégement du coût de la ressource mobilisable au titre de l'investissement productif et non pas financier, et être pleinement associé aux futurs débats que nous nous devons de mener sur la question du crédit bancaire et de la place de notre système financier aux côtés de notre dispositif économique de production.
Ce serait en effet commettre une profonde erreur que de placer ce débat sur l'épargne salariale en dehors de la réflexion plus globale sur les conditions financières du développement de l'activité économique, réflexion où la part de la réduction du loyer de l'argent nous semble fondamentale pour parvenir à une amélioration des conditions de financement de l'investissement productif.
De deux choses l'une en ces matières : ou bien l'épargne salariale permet de dégager un moyen « interne » de financer les investissements au-delà de la simple application des règles comptables des entreprises, ou bien l'on assiste à un reprofilage de l'endettement des entreprises et cette épargne est distraite de son lieu d'utilisation que constitue le lieu de production où elle est collectée.
Ces tensions conduiront naturellement, comme on a déjà pu l'observer dans le passé, à pousser les travers de la gestion d'entreprise vers toujours plus de rentabilité immédiate, toujours plus de flexibilité, toujours plus de profit, toujours moins de recherche et de développement, sans traduction concrète en termes de profitabilité, ce qui conduira souvent à remettre en question les choix d'investissement en direction des salariés, des outils et des conditions générales de production. Bref, tout cela se ferait au détriment des salariés et au profit des actionnaires.
Cela conduira aussi à tendre les conditions du crédit bancaire, qui, par définition, vient amputer la valeur ajoutée de l'entreprise.
Si l'épargne salariale est amenée par la loi à se rapprocher du terrain, du bassin de vie et d'emploi, elle doit contribuer à le fertiliser, à le vivifier et non pas, comme on peut le craindre, à dériver vers la pure et simple intégration du financement et du développement des petites et moyennes entreprises sous la seule logique des marchés financiers.
Les questions posées par le texte ont donc, sous certains aspects, une portée autrement plus grande que celle que pourraient modestement recouvrer l'exposé des motifs et, plus encore, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, dont il est assez évident qu'il est d'une opérabilité limitée.
Le lien fort et naturel entre développement économique, création et partage de la valeur ajoutée entre salaires et capital est au coeur de notre débat. Nous y reviendrons tant dans la discussion générale que lors de l'examen des articles. La meilleure preuve en est fournie par la controverse sur les structures de gestion de l'épargne salariale - qui a le dernier mot au sein des organes de gestion ? - ou sur la prise en compte de cette épargne au titre du financement des cotisations sociales.
Ce débat nous donne à réfléchir quant à la manière dont la loi peut permettre de fixer les conditions d'un financement moins coûteux de l'investissement et du développement économique, susceptible de favoriser la croissance durable.
Ce texte doit absolument préserver les intérêts des salariés, leur épargne, en évitant les risques de spéculation financière. Nous participerons donc à ce débat avec le souci d'améliorer le dispositif qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale et nous ne manquerons pas d'intervenir par voie d'amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui va permettre, je n'en doute pas, par sa construction pragmatique et ses objectifs équilibrés, de procéder à une grande réforme de l'épargne salariale.
A ceux qui considèrent que ce projet de loi est, en revanche, trop timide, je dirai qu'aujourd'hui les flux d'épargne salariale s'élèvent à seulement 45 milliards de francs, contre 400 milliards de francs pour la seule assurance-vie, ce qui n'est pas un résultat très performant pour l'épargne salariale, dont on sait, par ailleurs, que les dispositifs les plus importants ont été mis en place dans des périodes où nous n'étions pas au pouvoir. Il n'y a donc pas de leçon à nous donner.
Je ferai également remarquer que le texte prévoit de nouveaux dispositifs, intéressants fiscalement parlant, et qu'en période d'allégement d'impôt, comme c'est le cas avec le prochain projet de loi de finances pour 2001, on ne peut pas, en plus, accroître démesurément les dépenses fiscales, sauf à opter pour une démarche libérale dont vous comprendrez qu'elle soit bien éloignée de nos préoccupations.
Je ne pense pas non plus qu'un certain courant de l'opposition nationale ait le monopole de l'épargne salariale, pas plus que la droite en général n'a le monopole du monde de l'entreprise.
Nos approches politiques sont, certes, différentes dans ce domaine, mais il n'y a pas de sujet tabou pour nous touchant à l'économie, surtout quand existent des perspectives réelles de créations d'emploi et de renforcement du dialogue social dans l'entreprise, comme du droit des salariés.
Nous vivons dans une économie de marché ; les salariés en sont des acteurs essentiels. Il est donc important de leur permettre d'accroître la rémunération qu'ils tirent de leur travail, sans que cette démarche empiète sur l'évolution de leur salaire.
Le travail et le capital sont liés dans le processus de production. Il n'y a donc pas de raison que les salariés n'aient pas, comme les actionnaires ou les chefs d'entreprise, des retombées positives du rôle qu'ils jouent au sein de l'entreprise.
La situation en matière d'épargne salariale étant très imparfaite, il était nécessaire de s'emparer de ce sujet de manière globale et, pour cela, de reprendre bon nombre de dispositifs existants.
C'est ce que le Gouvernement a fait, et nous l'approuvons, même si ce texte ne va certainement pas simplifier les règles en usage. Mais, comme l'écrivaient MM. Balligand et de Foucauld dans leur rapport : « La complexité est aussi la rançon de la multiplicité des choix ! »
Sur le fond, ce texte est empreint de pragmatisme. Je pense que cette qualité est due à une large réflexion préalable, conduite par le Gouvernement, mais aussi par la mission Balligand - de Foucauld que je viens de citer : voilà un bon exemple de travail associant exécutif et législatif ; le travail doit se faire, bien sûr, dans l'hémicycle, mais également en amont.
Ce pragmatisme n'aurait pu voir le jour sans la large concertation qui a eu lieu avec les acteurs sociaux à l'occasion de cette réforme et cela nous semble, bien sûr, fondamental.
Quelle analyse pouvons-nous faire de ce texte ?
Ce projet de loi fixe des axes de réforme qui nous apparaissent à la fois orientés sur des préoccupations différentes, mais complémentaires et, donc, équilibrées.
Il doit permettre à l'épargne salariale de réduire les inégalités entre les salariés, de relancer la négociation collective, de réguler l'économie.
Oui, une réforme de l'épargne salariale, celle du Gouvernement en tout cas, concourt à la réduction des inégalités.
Aujourd'hui, en effet, les dispositifs d'épargne salariale sont source d'inégalités, et ce à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, il existe des inégalités entre les salariés, selon qu'ils travaillent ou non dans des entreprises qui développent des dispositifs d'épargne salariale. Chacun sait qu'au total seule une faible minorité des salariés du privé peut profiter de ces dispositifs.
Le fait est d'autant plus fâcheux que ceux qui n'en profitent pas sont les salariés des PME, dont les rémunérations, le plus souvent, évoluent déjà moins vite que celles des salariés des grandes entreprises.
Les dispositifs en place, en quelque sorte, potentialisent les inégalités de revenus.
Pourquoi les salariés qui, actuellement, ne sont pas concernés ne pourraient-ils pas, alors que leurs entreprises aujourd'hui prospèrent comme les autres, profiter des fruits de la croissance ?
Il n'est donc pas étonnant que 77 % des Français souhaitent voir développée l'épargne salariale à l'avenir.
Le projet de loi s'attaque également aux inégalités qui existent entre les salariés d'une même entreprise selon leur contrat de travail, ou s'ils quittent l'entreprise, ce qui n'est pas normal. Il n'y a aucune raison que des discriminations de ce type s'opèrent.
Le texte comporte des avancées, en ce qu'il règle pour l'ensemble des dispositifs existants la question de l'ancienneté et du changement d'employeur.
Mais le projet de loi doit permettre aussi, et c'est son deuxième objectif, de relancer la négociation collective, bien souvent exsangue, dans bon nombre d'entreprises françaises.
Les nouveaux dispositifs seront mis en place par accord collectif, alors que, aujourd'hui, la décision unilatérale de l'employeur peut être encore de mise dans certains cas - je pense ici aux PEE.
Désormais, les partenaires sociaux devront négocier chaque année la possibilité de mettre en place un ou plusieurs mécanismes d'épargne lorsqu'il n'en existe pas.
Par ailleurs, de réels pouvoirs de gestion seront également accordés aux salariés, dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise diversifiés, dont les devoirs seront renforcés à leur égard.
L'extension du bénéfice d'une formation économique aux salariés membres du conseil de surveillance est également une bonne chose, comme le fait que, dans tous les cas, le président du conseil de surveillance soit un représentant des porteurs de parts.
L'amélioration de la diffusion de l'information en direction des salariés mérite d'être saluée. Je pense notamment au livret d'épargne salariale, qui en est un bon exemple : il permettra au salarié de suivre l'évolution des sommes qu'il a épargnées et, surtout, d'être plus à même de les récupérer à la fin. Sur ce point, encore faut-il que les décrets permettent que ce livret soit facilement gérable dans la réalité et, notamment, qu'il soit fait appel aux nouvelles techniques d'information et de communication. Je suis pour ma part toujours stupéfait de savoir que, depuis la loi de 1967, plus de 350 millions de francs de fonds non récupérés sont bloqués à la Caisse des dépôts et consignations et soumis à déchéance trentenaire.
Le troisième objectif de ce projet de loi est, enfin, de permettre à l'épargne salariale de réguler l'économie.
Il ne s'agit pas d'augmenter l'épargne dans notre pays. Celle-ci est suffisamment élevée, et une augmentation pourrait, en contrepartie, freiner la relance de la consommation des ménages qui, comme chacun sait, a permis depuis 1997 une relance de notre économie et le développement des créations d'emplois.
Il s'agit plutôt de susciter des transferts d'épargne au profit des PME, et sur un plus long terme, parce que, pour ces dernières notamment, le retour sur investissement dépasse la période de cinq ans. En bref, il s'agit d'inciter les investisseurs à s'orienter vers des placements plus productifs que les placements obligataires, par exemple.
La question ne se pose pas uniquement pour les PME. Il n'est pas non plus normal que nos grandes entreprises soient « prises d'assaut » par des actionnaires non résidents. Ces derniers détiennent 36 % des actions des entreprises cotées en France : c'est évidemment trop.
La mise en place d'un plan partenarial d'épargne salariale volontaire, ou PPESV, ouvert à tous les salariés et qui ne peut être décidée qu'avec l'accord des partenaires sociaux, contribue à répondre à cette problématique.
Voilà les quelques remarques générales que nous souhaitions faire sur le projet de loi.
Pour le reste, la majorité de l'Assemblée nationale a réalisé un travail important en faveur du renforcement des droits des salariés, mais aussi en vue de régler la vraie fausse querelle à propos des prétendus fonds de pension que nous aurions créés avec le PPESV. Nous partageons, bien entendu, les points de vue de nos collègues députés de la majorité, points de vue que la majorité sénatoriale nous aiderait, s'il en était besoin, à défendre !
En effet, chacun aura pu constater que le rapporteur au fond a déposé toute une série d'amendements concernant la mise en place de fonds de pension, et de manière disjointe par rapport au corps même du texte. L'amendement sur l'intitulé du projet de loi est déjà tout un symbole !
Et si nous manquions d'arguments pour démontrer que les dispositifs proposés en matière d'épargne salariale n'ont rien à voir avec l'épargne-retraite, nous aurions l'embarras du choix avec les amendements qui ont déjà été examinés en commission des finances.
S'agissant des fonds de pension, je ne peux pas m'empêcher de rappeler que, voilà maintenant plus de trois ans, je m'étais opposé, au nom du groupe socialiste, à la majorité sénatoriale, sur la loi Thomas.
Pour des raisons de fond certainement, mais aussi par absence de volonté de dresser tout simplement un état des lieux, la majorité nationale d'alors avait cherché à calquer des modèles qui, certes, existent à l'étranger, mais qui ne peuvent s'appliquer dans notre pays, sauf à remettre en cause les fondements mêmes de nos systèmes de retraite.
Vous auriez pu améliorer la législation sur l'épargne, comme nous le faisons aujourd'hui. Au lieu de cela, vous avez mélangé les genres en faisant croire aux Français que cette épargne de très long terme sur laquelle les salariés n'avaient aucun droit de contrôle, allait servir à compléter leur retraite. Or les mécanismes que vous aviez votés n'auraient été utilisés que par les ménages aux revenus les plus élevés,...
M. Philippe Marini. C'est complètement faux !
M. Marc Massion. ... puisque la démarche proposée était facultative et individuelle, sans oublier les avantages excessifs accordés alors aux entreprises.
Mes chers collègues, aujourd'hui, les vieilles lunes ressurgissent...
A ceux qui pourraient penser néanmoins qu'il peut y avoir confusion entre un PPESV et un fonds de pension, je rappellerai d'abord les paramètres que je qualifierai de techniques et qui ont déjà été maintes fois énumérés : d'une part, des versements réguliers et sur très longue période, avec une sortie en rente pour l'épargne-retraite ; d'autre part, un dispositif de plus court terme, avec des versements aléatoires dépendant des résultats de l'entreprise, avec une sortie en capital pour l'épargne salariale.
Je rappelle, ensuite, l'exonération des charges sociales qui s'appliquait dans la loi Thomas, par exemple, alors que le nouveau produit introduit par le texte, le PPESV, est assujetti à la CSG et au CRDS et affecté au profit du fonds de solidarité vieillesse pour la fraction de l'abondement de l'employeur dépassant 15 000 francs. Certes, ce montant est supérieur à ce qui se constate en moyenne, mais il faut aussi permettre que la loi se projette dans l'avenir et parte du principe que la réforme que nous engageons va réussir pour redonner un nouvel élan à l'épargne salariale, et aux abondements des employeurs en particulier.
Pour nous, s'agissant des retraites, les choses sont claires. Le gouvernement de M. Lionel Jospin, dès sa mise en place, a réaffirmé notre choix en faveur des régimes par répartition, qu'il souhaite consolider.
Le Gouvernement a ainsi demandé un diagnostic associant les partenaires sociaux, travail qui a abouti au fameux rapport Charpin ; il a mis en place un fonds de réserve qui fait « des petits », comme on dit : 50 milliards de francs aujourd'hui, sans compter les licences de la nouvelle génération qui vont être versées. C'est beaucoup plus que lors de l'instauration du fonds.
Ce fonds doit d'ailleurs être structuré prochainement.
M. Philippe Marini. Il serait temps !
M. Marc Massion. Il doit atteindre le montant de 1 000 milliards de francs pour la période 2020-2040.
M. Philippe Marini. Avec quoi ?
M. Marc Massion. Par ailleurs, des discussions s'engagent sur les régimes spéciaux et la fonction publique, comme pour le secteur privé, où les partenaires sociaux devront prendre leurs responsabilités.
Enfin, un conseil d'orientation des retraites, constitué de représentants des partenaires sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées a été créé. Il dresse des bilans réguliers de la situation et veille à l'équité et à la nécessaire solidarité entre les régimes.
Pour notre part, nous sommes toujours convaincus du fait que les solutions fondées sur la seule épargne individuelle déstabiliseraient le pacte entre générations.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Claude Estier. Très bien !
M. Marc Massion. Si l'on devait faire oeuvre de réforme, il suffirait tout simplement d'améliorer les régimes existants de suppléments de retraite, du type « articles 82, 83, 39 », comme on dit dans le jargon des spécialistes des retraites ; ces régimes existent dans nombre de grandes entreprises, mais ne sont pas toujours parfaits et, de toute manière, ne se retrouvent pas dans les PME.
Personnellement, je pense que la voie peut rester ouverte vers ces régimes de retraite, sous réserve qu'ils soient paritaires, collectifs et obligatoires.
Mais je reviens au présent texte. Nous présenterons quelques amendements qui auront pour objet de renforcer le droit des salariés et de faciliter l'application de la loi. Cette volonté d'améliorer le texte qui nous est soumis prouve, s'il en était besoin, notre plein accord sur ce projet de loi, important pour les salariés et pour les entreprises, notamment les PME. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cela fait longtemps que nous attendons ce texte, annoncé à de multiples reprises et par plusieurs ministres des finances successifs, avant d'être défendu par l'actuel titulaire du poste, représenté ce jour par le secrétaire d'Etat à la consommation.
Voici donc le projet de loi sur l'épargne salariale. La majorité de cette assemblée ne peut que l'accueillir avec un certain sentiment de déception. Certes, comme l'ont excellement souligné nos rapporteurs, M. Joseph Ostermann, pour la commission des finances, et M. Jean Chérioux, pour la commission des affaires sociales, nous avons là d'intéressants développements en matière d'épargne salariale, mais, monsieur le secrétaire d'Etat, reconnaissons-le ensemble, rien de révolutionnaire, rien qui soit d'ailleurs très éloigné des propositions que, sur l'initiative de notre collègue Jean Chérioux, le Sénat a votées, il y a un an à peine.
Fallait-il donc faire perdre un an au Parlement et à la nation quand il suffisait de reprendre cet excellent texte, qui nous proposait déjà des plans d'épargne interentreprises, ou PEI, qui nous proposait aussi la possibilité pour un salarié de transférer ses avoirs d'un plan d'épargne d'entreprise à un autre, ainsi que l'adaptation de l'intéressement dans les sociétés holding et bien d'autres dispositions que nous retrouvons presque inchangées dans ce projet de loi ?
De plus, ce texte pose certains problèmes techniques qui ne sont pas vraiment résolus. Je citerai, à titre d'exemple, la notion de « groupe » qui, selon ce texte, figurerait dans le code du travail, mais sans tenir compte des dispositions qui existent déjà à ce sujet dans le code de commerce.
Le rapporteur de la commission des finances, M. Joseph Ostermann, s'est efforcé, par les amendements qu'il va nous proposer et qui ont été votés par la commission, d'opérer des coordinations pour éviter que certaines entreprises ne soient pénalisées, cela notamment en élargissant le périmètre du groupe, conformément à l'article L. 225-180 du code du commerce.
Tous les problèmes n'auront pas été résolus pour autant, certaines entités demeurant exclues du dispositif, comme en témoignent d'ailleurs les nombreux amendements présentés par différents groupes sur ce sujet. Ainsi, en ce qui concerne la définition du groupe, nous sommes confrontés à un dilemme.
Soit nous élargissons le dispositif proposé, mais la multiplication des définitions du groupe fait perdre sa cohérence à cette notion, et on peut alors se demander légitimement s'il ne fallait pas en rester à la solution actuelle, qui permet aux parties de déterminer librement le périmètre du groupe.
Soit nous essayons de préserver une certaine homogénéité de la notion, mais elle risque d'être, alors, trop restrictive.
Dans tous les cas, on peut regretter que le Gouvernement n'ait pas fait un effort de réflexion plus poussé pour proposer une définition qui, contrairement à celle que nous allons examiner, ne soulèverait pas toutes ces difficultés.
Par ailleurs, il est encore regrettable que, sous prétexte d'examiner un projet de loi sur l'épargne salariale, on introduise des dispositions dans le code du travail qui relèvent d'autres législations comme la loi du 23 décembre 1988 sur les organismes de placement collectif en valeurs immobilières ou le code de commerce récemment promulgué. Cette tendance prête à confusion et risque de créer des divergences d'interprétation sur des textes qui ont pourtant tous la même portée législative.
Je tiens également à souligner que, tout en partageant la volonté exprimée dans ce texte de développer l'épargne salariale et l'actionnariat des salariés, il est indispensable de trouver un compromis entre le renforcement des droits des salariés et un alourdissement excessif des procédures.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la vision que porte le Gouvernement et la majorité dite plurielle sur les entreprises est parfois caricaturale.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Elle n'est pas caricaturale !
M. Philippe Marini. Je vais m'en expliquer, ma chère collègue. Elle donne l'impression d'un refus systématique des chefs d'entreprise à développer l'actionnariat salarié ou encore à dialoguer avec les syndicats. C'est une image plaquée sur les entreprises.
En conséquence, le projet de loi tel qu'il nous parvient de l'Assemblée nationale impose des procédures lourdes. Je citerai quelques exemples.
Le premier, c'est la création d'un livret d'épargne salariale qui doit contenir l'état récapitulatif des sommes et valeurs mobilières épargnées dans le cadre des dispositifs d'épargne salariale. Cette formalité nous paraît excessivement lourde et inutile.
Le deuxième exemple, c'est la convocation tous les trois ans d'une assemblée générale extraordinaire pour se prononcer sur la nomination d'administrateurs par les salariés.
Le troisième exemple, c'est la multiplication des sujets de négociations annuelles, là aussi dans un esprit de dirigisme et de pointillisme constant.
Le quatrième exemple, c'est la nécessité de consulter le comité d'entreprise lors de la création d'un plan d'épargne d'entreprise sur l'initiative de l'employeur puis de déposer le règlement auprès de la direction départementale du travail. Toutes ces dispositions nous semblent être le reflet d'une méfiance excessive à l'égard des dirigeants du monde économique.
En réalité, les relations au sein des entreprises sont bien différentes de l'image véhiculée par le Gouvernement et, surtout, les situations sont très diverses. J'ai déjà eu l'occasion de dire, lors de l'examen du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, qu'il fallait cesser d'interférer systématiquement dans la vie de l'entreprise. Cette préconisation vaut également pour le présent projet de loi.
Puisque je viens d'évoquer le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques, que nous avons examiné récemment en première lecture, je rappelle, au passage, que bien qu'il ait fait l'objet d'une déclaration d'urgence la commission mixte paritaire n'est toujours pas convoquée. C'est intéressant ! Si M. Laurent Fabius avait été présent dans l'hémicycle en cet instant, sans doute aurait-il pu m'apporter des précisions sur ce point. Ce projet de loi, qui résultait d'une conjonction de circonstances en septembre-octobre 1999, a été déposé en janvier 2000, examiné en première lecture à l'Assemblée nationale en avril 2000, puis au Sénat en octobre 2000. Or, je le répète, la commission mixte paritaire n'est toujours pas convoquée. De qui se moque-t-on, monsieur le secrétaire d'Etat ? Pourquoi avoir déclaré l'urgence sur ce texte sinon pour passer à la va-vite dans les assemblées parlementaires, alors que ce texte aurait mérité un travail plus approfondi ?
Je reviens à mon propos. Faut-il rappeler que les chefs d'entreprise n'ont pas attendu le Gouvernement pour innover dans le domaine de l'épargne salariale, en allongeant la durée des plans d'épargne entreprise, en introduisant des opérations avec un effet de levier par l'intermédiaire de prêts complémentaires sans intérêt et en accompagnant un tel financement de garanties de capital ou de performance.
En fait, le développement de l'épargne salariale, qu'il faut encourager, concerne surtout les petites et moyennes entreprises. En l'occurence, le Gouvernement s'inspire très largement, sans citer l'auteur, des dispositions proposées, à bon escient, par notre excellent collègue Jean Chérioux.
Toutefois, je crains que certaines mesures, telles que vous les avez interprétées dans votre texte, n'aillent à l'encontre du but poursuivi.
Le projet du Gouvernement incite ainsi les entreprises à abonder les placements de leurs salariés dans des « fonds solidaires ». Je me demande, pour ma part, si ce dispositif, issu d'une concession à l'un des éléments de la majorité plurielle, ne risque pas, dans bien des cas, de tromper les salariés en les alléchant avec un produit dont on ne leur exposerait pas les dangers ou dont ils ne mesureraient pas les risques.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'épargne pour faire face à des besoins de ces salariés, sinon pour préparer leurs vieux jours, du moins pour leur permettre d'affronter des événements pouvant marquer leur vie familiale.
Par ailleurs, le texte proposé par le Gouvernement est frappé pour nous d'une très grave carence, qui a déjà été évoquée par plusieurs des orateurs qui se sont succédé : il ne comporte aucun volet sur les retraites.
Lors de la discussion des propositions de loi sur l'épargne retraite de M. Charles Descours et de M. Jean Arthuis, en octobre 1999, voilà un an, le ministre des finances de l'époque, qui l'était encore pour peu de temps, M. Dominique Strauss-Kahn, nous avait renvoyés sur ce point à un projet de loi en préparation. C'est ce qu'il nous avait dit et ses propos figurent donc au Journal officiel . Nous ne pouvons croire qu'il s'agisse du présent projet de loi. Le PPESV ne constitue pas, à nos yeux, un outil adéquat pour préparer la retraite. D'ailleurs, M. Marc Massion a pris tout à l'heure toutes sortes de précautions pour que ses collègues de l'Assemblée nationale ne puissent faire aucune confusion en la matière. Il a beaucoup insisté sur cet aspect. Le PPESV, c'est clair, et j'en conviens avec lui, n'est ni assez long ni assez sécurisé pour remplir cette office. Il ne faudrait pas tromper les salariés en leur laissant croire que c'est un outil de préparation de la retraite.
C'est pourquoi la commission des finances, constante dans ses positions et sur l'initiative de son rapporteur, M. Joseph Ostermann, a proposé de renforcer le volet « retraite » de ce projet de loi en instituant, à côté de ce que vous proposez, un outil vraiment spécifique : le « plan de retraite ». Pour ma part, bien entendu, constant moi aussi dans mes positions, je défendrai cette initiative qui est particulièrement essentielle, en votant avec conviction les amendements de notre commission.
Je rappellerai brièvement, à ce stade et en conclusion, pourquoi il convient, à mes yeux, de mettre en place un système d'épargne retraite.
Nous le savons tous, le monde de la retraite est un monde d'inégalités ; inégalités notamment entre ceux qui peuvent bénéficier d'un complément de retraite par capitalisation et les autres. Ceux qui peuvent en bénéficier, ce sont ceux qui disposent des plus hauts revenus et qui ont accès à toutes sortes de méthodes, de véhicules ou de produits.
Mais ce sont également les travailleurs indépendants grâce à la loi dite « Madelin » et les fonctionnaires ou les anciens fonctionnaires grâce au régime PREFON. Tous ceux-là peuvent capitaliser leur épargne, s'ils le souhaitent, pour la retraite. Les fonctionnaires ou les anciens fonctionnaires peuvent même le faire en bénéficiant d'un levier fiscal significatif. Je précise à M. Massion, via le Journal officiel puisqu'il a quitté l'hémicycle que le régime facultatif de capitalisation existe avec un fort levier fiscal pour les fonctionnaires et les anciens fonctionnaires, même ceux qui, un jour, ont eu un lien ténu avec la fonction publique et, le cas échéant, par l'intermédiaire de leur conjoint.
Est-il juste d'accepter de telles incitations pour les salariés qui sont issus de la fonction publique et de les refuser pour les salariés du secteur privé ? Il faut faire cesser ces inégalités et instaurer un mécanisme de retraite par capitalisation accessible à tous les salariés du privé, en complément, bien sûr, des régimes par répartition existants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, en matière de retraite, il ne faut pas se le cacher, l'urgence commande. C'est dès 2006, selon toutes les projections, que les difficultés des régimes obligatoires commenceront à apparaître. Or 2006 c'est assurément demain.
Face à une telle urgence, que fait le Gouvernement ? Il prend des engagements et ne les tient pas.
En octobre 1998, il annonçait noir sur blanc qu'un texte sur la réforme des retraites et l'instauration de plans partenariaux de retraite serait présenté en 1999 au Parlement. Depuis lors, que de temps perdu ! Le PPESV est-il, dans votre esprit, un plan partenarial de retraite ? Je souhaiterais qu'il soit répondu à cette question.
Le Gouvernement a ensuite commandé un rapport - l'excellent rapport Charpin - mais celui-ci ne fait que confirmer la gravité de la situation et l'urgence des réformes. Qu'a-t-on fait depuis ce rapport ? Nous le savons : le Gouvernement a engagé une concertation avec un assez grand nombre de partenaires. Mais pour quel résultat, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Enfin, le Gouvernement affiche comme seule politique pour les retraites la constitution d'un fonds de réserve, au sujet duquel de nombreuses questions fondamentales subsistent. Ce fonds a-t-il une réalité dans un pays aussi déficitaire et endetté que le nôtre ? Pouvez-vous nous garantir que les 55 milliards de francs qu'il détiendra à la fin de l'année prochaine permettront de bénéficier de plus de produits financiers que l'on aurait économisé de charges financières en réduisant à due concurrence l'endettement de l'Etat ? Si vous ne pouvez pas nous le garantir, cela signifiera que la collectivité aura perdu de l'argent avec ce montage. Pouvez-vous nous dire quel est l'horizon de ce fonds de réserve ? Pouvez-vous nous dire quelle politique sera conduite ? S'agit-il d'un fonds de simple lissage ? Est-ce un fonds de garantie ? Pouvez-vous nous dire quelle sera la règle du jeu pour sa gestion ? Pouvez-vous nous dire qui assurera sa gestion, dans le cadre de quelle mise en concurrence des professionnels ? Lorsque nous aurons des réponses à ces questions, nous serons certainement un peu plus avancés, au-delà du « cosmétique », sur ce que le Gouvernement veut bien proposer à la représentation nationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi le Gouvernement s'obstine-t-il à refuser à 14 millions de salariés l'accès à une retraite capitalisée, alors que les travailleurs indépendants, les fonctionnaires et autres, ainsi que je l'ai évoqué tout à l'heure, y ont déjà accès ? Le Gouvernement n'entretient-il pas là volontairement l'inégalité entre différentes catégories de travailleurs ?
J'aimerais entendre au moins un avis sur ce point. En d'autres temps, M. Laurent Fabius, alors qu'il assurait d'autres fonctions, m'avait paru être plus ouvert sur ce sujet, plus réceptif à nos arguments. Mais il semble bien que, lorsqu'on passe de l'hôtel de Lassay à la citadelle de Bercy les horizons changent quelque peu, et les contraintes également au sein de la majorité plurielle. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez transmettre la question à celui à qui elle s'adresse.
Je ne saurais terminer ce propos, mes chers collègues, sans féliciter chaleureusement nos rapporteurs pour le travail excellent et approfondi qu'ils ont accompli sur ce texte technique et difficile mais extrêmement important pour l'ensemble des salariés.
Je voudrais ajouter que j'ai écouté avec beaucoup d'émotion les propos de M. Jean Chérioux en particulier, car il a veillé à replacer l'épargne salariale, l'intéressement, la participation, dans toute une lignée historique que nous ne devons pas oublier. Alors que les distances s'accroissent sans cesse dans la société, que des marchés se développent en s'interconnectant les uns aux autres et s'amplifient sans cesse, nous avons naturellement besoin que règne une plus grande solidarité au sein de nos entreprises et que ces dernières constituent des communautés vivantes ; telle est bien la finalité fondamentale des idées que défend inlassablement notre collègue depuis déjà un certain temps.
Mes chers collègues, entamons l'examen de ce texte, qui ne mérite certainement ni un excès d'honneur, ni un excès d'indignité. Il constitue, sur un certain nombre de sujets techniques, un petit ajout qu'il ne faut certainement pas refuser. Mais ce projet de loi manque et d'ampleur et de souffle, car il ne s'attaque pas à l'essentiel du problème. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi sur l'épargne salariale dont nous entamons la discussion, est, selon nous, un texte important qui pose la question de l'évolution de la nature du salariat dans notre société.
A notre sens, une réforme de l'épargne salariale devrait prendre en considération quatre objectifs : la non-substitution de l'épargne salariale au salaire, l'affectation des fonds collectés au développement de l'emploi, le renforcement des pouvoirs des salariés pour la gestion de l'épargne salariale et l'absence de confusion entre épargne salariale et épargne-retraite.
Ma remarque se justifie d'autant plus que la commission des finances propose la création de plans de retraite ressemblant étrangement à une rampe de lancement des fonds de pension. Nous sommes au coeur d'un débat.
Ce texte nous amène, en fait, à nous poser notamment deux questions majeures. A cet égard, je me placerai sur le plan social, celui que nous avons abordé en commission des affaires sociales où notre collègue Jean Chérioux, notamment, défend depuis nombre d'années son point de vue sur l'actionnariat salarié et où nous avons eu l'occasion de montrer toutes les différences qui nous opposent.
Première question, l'épargne salariale est-elle du salaire ou bien, comme des études très fouillées le prétendent, joue-t-elle contre les salaires ? Seconde question, la mise en place de l'épargne salariale dégage-t-elle les entreprises de leurs obligations en termes de politique sociale et de relance du dialogue social ?
Monsieur Marini, vous qui voulez donner de l'entreprise une autre vision que celle que nous en avons et qui voulez parfois caricaturer notre position, il y a là matière à débattre !
L'ambition essentielle de l'épargne salariale est certainement - et nous sommes là à un tournant - de définir un nouveau paysage social dans l'entreprise en permettant, d'une part, d'augmenter les capacités de financement des PME et, d'autre part, de poser la question de l'équilibre des pouvoirs au sein de l'entreprise.
Cependant, afin de mieux cerner la portée de ce texte, il convient d'en apprécier la teneur sur un plan quantitatif.
Actuellement, les dispositifs d'épargne salariale existants représentent 45 milliards de francs par an. L'objectif poursuivi est de doubler ce chiffre en cinq ans en visant explicitement les salariés des PME, qui sont les plus nombreux dans les faits.
En apparence, si l'on prend en compte certaines enquêtes d'opinion, ce projet de loi répondrait à une attente des salariés. Nous ne partageons pas tout à fait ce point de vue. On se retrouve en effet face à l'introduction d'une évolution du mode de rémunération des salariés, lesquels verraient se développer, à côté de leur salaire classique, l'épargne salariale.
Pour nous, la généralisation de l'épargne salariale à l'ensemble des salariés, notamment à ceux des PME, aura naturellement des conséquences sur le mode de rémunération : une partie de la valeur ajoutée sera transformée en épargne salariale et sera donc directement liée à la situation économique des entreprises, ce qui pourra, si l'on n'y prend garde, peser à terme - et nous pensons que tel sera le cas - sur les salaires eux-mêmes.
Toujours d'après les études approfondies et sérieuses déjà mentionnées, l'épargne salariale aurait tendance à amputer le bon vieux salaire, auquel nous tenons, et même à amplifier les écarts de revenus entre salariés. Est-il besoin de préciser - et nous sommes là au coeur du problème - que seul le salaire classique tel que nous l'entendons, tel que, communément, nous le vivons, ouvre des droits à la retraite ou à un salaire de remplacement en cas de maladie ou de chômage ?
On peut donc rapprocher l'évolution de la rémunération de l'évolution récente en matière de gestion de personnel : la flexibilité opérée dans les conditions de travail ne risque-t-elle pas d'être ainsi étendue à la rémunération des salariés ?
Cependant, le désir légitime des salariés de participer aux fruits de la croissance et donc d'accroître leur rémunération, y compris parfois par le biais de l'épargne salariale, n'est-il pas lié à la politique de modération, voire de stagnation salariale opérée depuis quelques années ?
Aujourd'hui, nous posons solennellement le problème des salaires. En effet, de toute évidence, une revendication quant à une évolution des rémunérations gronde dans les entreprises et les services.
On pourrait donc comprendre que les salariés disposant de revenus très modestes soient sensibles à un concept qui leur permettrait en apparence de les augmenter. Mais la préoccupation des personnes occupant des emplois précaires, par exemple, n'est-elle pas ailleurs ? Ne réside-t-elle pas plutôt dans l'évolution de leur travail et de leur rémunération ?
Comment, en effet, ne pas entendre l'exigence des salariés de profiter davantage de l'embellie économique quand les entreprises affichent des profits records ?
Rappelons tout de même que la part des salaires dans la valeur ajoutée est retombée à son niveau de 1970 et que la moitié des salariés à temps plein gagnent moins de 9 000 francs par mois.
Le patronat ne saurait être dégagé de ses responsabilités en matière de politique salariale.
Or l'épargne salariale ne va-t-elle pas conduire les salariés à supporter directement, avec une rémunération variable, les aléas de l'économie ?
Par ailleurs, la généralisation de l'épargne salariale, de par les exonérations de cotisations sociales et fiscales qu'elle induit, ne risque-t-elle pas d'engendrer un manque à gagner pour le financement de la protection sociale ?
Notre système de retraite par répartition pourrait se retrouver privé de certaines de ses ressources.
L'épargne salariale est assurément - c'est un constat - l'une des formes d'épargne les plus subventionnées. Des exemples chiffrés parus dans la presse montrent qu'un flux annuel de 35 milliards de francs, et donc un encours de 330 milliards de francs, coûte, par le biais des exonérations de cotisations sociales et d'impôts, 20 milliards de francs de déficit de cotisations sociales et 5 milliards de francs de non-rentrées fiscales.
On peut se demander s'il est utile, au travers des plans d'épargne, d'encourager des comportements individualistes qui distendent le lien social assurant la cohésion de notre société, et notamment la nécessaire solidarité entre les générations, fondement de la retraite par répartition.
Il nous apparaît important d'essayer de rompre avec une logique qui consiste à accompagner le libéralisme et ses excès par des mesures à caractère social.
C'est pourquoi nous souhaitons une mise à plat des systèmes existants en matière d'épargne salariale.
Nous sommes également favorables à des mesures qui assujettiraient ces systèmes d'épargne salariale aux cotisations sociales, au même titre que les salaires, et opposés à la ligne suivie par la commission des finances, qui préconise la plus large exonération et la création de fonds de pension. Le problème de fond est ici, aujourd'hui.
Les exonérations sociales et fiscales consenties dans ce cadre représentent une moins-value de plusieurs milliards de francs en termes de recettes sociales et fiscales et représentent sur la durée un terrible manque à gagner pour les retraités eux-mêmes.
En ce qui concerne la relance du dialogue au sein de l'entreprise qui découlerait de la mise en place de l'épargne salariale, il est clair que nous l'appelons de nos voeux.
Nous l'avons dit, la mise en place de l'épargne salariale relèvera de la négociation dans l'entreprise et de l'adhésion aux plans, rendue volontaire.
Quand on connaît la faible propension des employeurs à faire participer les salariés aux décisions concernant la gestion des entreprises, on peut s'interroger au sujet du contrôle des salariés sur leur épargne, surtout à l'heure où le paritarisme est quelque peu malmené.
Nous pensons, sur ce point, que les salariés doivent être les seuls dépositaires de la gestion des sommes qu'ils épargnent, et nous défendons des propositions dans ce sens.
Il nous apparaît en effet essentiel que les salariés aient le contrôle de la destination de leur épargne et que leur pouvoir au sein de l'entreprise soit réévalué.
Ce sont là quelques observations que je souhaitais faire dans le cadre de cette discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'épargne salariale, de même que l'actionnariat salarié, est un sujet sur lequel le regard de nos concitoyens s'est largement modifié depuis plusieurs décennies.
Cet « OVNI » de l'économie s'est fait progressivement une place, sans fracas, et il semble aux plus jeunes des salariés avoir toujours existé. Le très vif succès remporté par des opérations d'introduction en bourse - je pense par exemple à France Télécom - auprès des salariés des entreprises concernées démontre très largement l'existence d'une véritable demande à cet égard.
C'est ainsi que les salariés des petites entreprises regardent avec envie les bénéfices réalisés par ceux des groupes importants, auxquels il n'ont pas accès. Pas encore accès, devrait-on dire, puisque ce projet de loi vise à réparer l'inégalité qui les touche.
On constate même une évolution des discours et des pratiques des syndicats, qui voient bien l'intérêt qu'il y a à être présents dans les conseils de surveillance des FCPE des entreprises.
Devant ce succès, le législateur doit, nous semble-t-il, garder la tête froide.
Qu'il s'agisse d'épargne salariale placée en FCPE ou d'actionnariat salarié, nous devons faire la part des choses et distinguer, d'une part, les effets de la croissance retrouvée et, d'autre part, ceux de la hausse des valeurs mobilières qui donne à beaucoup le sentiment que des gains sont faciles à réaliser. Sur ce point, nous devons bien mesurer que nous ne maîtrisons pas l'avenir, surtout dans un environnement international ouvert et concurrentiel. Nous n'avons aucune certitude quant à la longueur du cycle de croissance et nous ignorons si un mouvement à court terme ne viendra pas enrayer la machine. Il importe donc - et vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que les sénateurs socialistes y soient particulièrement attentifs - que nous n'engagions pas les salariés, le plus souvent dépourvus de fortune personnelle, dans la voie de l'aventure.
Il importe également que les sommes qui seront affectées à cette forme d'épargne ne viennent pas affecter l'évolution de la masse salariale de l'entreprise.
En d'autres termes, il ne faudrait pas que les salariés - et les syndicats ont ici un rôle primordial à jouer - soient conduits à accepter des formes préjudiciables de flexibilité salariale.
Nous attirons l'attention sur le point suivant : de nombreux experts attribuent aujourd'hui pour partie l'absence d'inflation aux Etats-Unis à un phénomène de ce type, lié dans ce pays à l'épargne-retraite. Est-il certain que tous les salariés y trouveront, à terme, leur véritable intérêt ? Je l'ignore, et il faut attendre de voir quelle sera la situation lorsque les grands fonds de pension anglo-saxons vont devoir procéder à des liquidations importantes. En toute hypothèse, il convient d'avoir cette question à l'esprit quand nous examinons la situation française.
Nous sommes également très sceptiques devant ce que l'on nous pésente comme une modification majeure du contrat social, dont on verrait les prémices dans les start-up : je veux parler de la rémunération du salarié, partagée entre un salaire net et des bénéfices sur les parts détenues par lui dans l'entreprise. Outre que cela est très localisé dans notre économie, il est bien évident que ces entreprises risquent de connaître, au fil du temps, la même cristallisation dans la propriété du capital que les autres.
En revanche, entretenir une telle illusion à l'échelle de l'ensemble de l'économie serait particulièrement dangereux. Et, bien sûr, nous légiférons pour toute l'économie.
C'est dangereux, bien entendu, pour les revenus des salariés, la constitution du revenu primaire risquant d'être affectée par l'espérance d'un revenu secondaire aléatoire. Mais - et c'est ici que les membres socialistes de la commission des affaires sociales seront attentifs - c'est aussi le statut du salarié qui évolue insensiblement, sans qu'il ait pour autant le pouvoir d'agir sur l'avenir de l'entreprise.
Les salariés n'ont pas la possibilité - ni la vocation, d'ailleurs - de détenir une part significative du capital, même par la voie d'un FCPE. Il y aurait danger à entretenir l'ambiguïté sur ce point.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, ce projet de loi se rattache à notre réflexion sur l'évolution de la société du travail, après les secousses qu'il a subies lors de la crise économique et les mutations politiques et économiques que le monde a connues.
Ces précautions étant indiquées, nous sommes, bien évidemment, favorables à ce texte, qui correspond à l'aspiration de nombreux salariés.
En effet, la diffusion de l'épargne salariale aux petites entreprises par la voie des plans partenariaux d'épargne salariale volontaire permettra à leurs salariés de bénéficier des fruits du développement de celles-ci.
C'est une raison tout à fait majeure puisque l'actionnariat reste concentré aujourd'hui sur les salariés des grands groupes, dans lesquels les salaires sont en moyenne plus élevés que dans les PME.
Dans le même temps, l'incitation à épargner en direction de catégories moyennes et modestes est une bonne chose. C'est d'autant plus vrai qu'il s'agit d'une épargne longue, donc plus intéressante à terme qu'une épargne courte ou à vue.
Il est, à cet égard, très intéressant que les salariés précaires puissent en bénéficier. C'est un pas intéressant vers l'égalité de droits entre eux et les salariés en contrat à durée indéterminée.
Ce projet de loi a aussi vocation à réorienter l'épargne de nos concitoyens vers nos entreprises, plutôt que la voir partir massivement vers l'assurance vie. C'est le début de la réappropriation, au moins partielle, de notre économie par nos concitoyens.
C'est également l'occasion d'une simplification et d'une clarification des textes actuels sur la participation, qui s'empilent dans la plus grande complexité.
C'est, enfin, l'opportunité de développer la démocratie sociale dans l'entreprise.
Les dispositions du texte vont dans le sens d'un renforcement des droits des salariés et d'une diffusion du dialogue social très large au sein des entreprises sur tous les aspects relatifs à l'épargne salariale.
Vous me permettrez de noter avec intérêt et satisfaction que cet aspect du texte n'a pas échappé à notre collègue M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, qui propose même d'aller plus loin dans plusieurs de ses amendements.
Il semble qu'il y ait là un débat qui traverse la majorité sénatoriale et qui reflète deux visions différentes du fonctionnement de notre économie, le libéralisme absolu n'étant pas, semble-t-il, partagé par tous.
Quoi qu'il en soit, il importera que les représentants syndicaux sachent bien se saisir de ce nouvel enjeu et veiller aux intérêts de tous les salariés, porteurs de parts ou non.
Telles sont, en quelques mots, les remarques que ce projet de loi nous a suggérées.
Certes, nous n'allons pas résoudre ici le conflit entre le capital et le travail, il importe de le souligner. Toutefois, ce texte s'inscrit dans une évolution positive parce qu'il peut permettre aux salariés de bénéficier plus complètement des fruits de leur travail et qu'il ouvre de nouvelles perspectives à la démocratie dans l'entreprise.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous soutiendrons donc votre démarche par un vote positif.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, au moment où je succède à cette tribune au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je tiens à dire que c'est pour moi un honneur de participer à ce premier débat sur un texte qui est important, bien que certains aient voulu en minimiser la portée. Pour ma part, je mesure tout l'intérêt qu'il présente pour plusieurs millions de Français et je me félicite d'avoir à défendre un tel texte devant le Sénat pour tenter de l'améliorer avec vous, dans ce climat que je connaissais par ailleurs pour être venu déjà à plusieurs reprises dans cette enceinte, soit en tant que parlementaire, soit lors des séances de questions au Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec intérêt toutes vos interventions. Après M. Laurent Fabius, qui a bien démontré à la fois l'intérêt, l'importance et l'impact de ce texte en en démontant les mécanismes, je pense qu'il faut éviter de tomber dans les faux débats et qu'il faut prendre ce projet pour ce qu'il est : c'est un texte novateur, équilibré, ambitieux, qui est présenté dans un contexte bien particulier, celui d'une croissance consolidée. Ce texte a pour objet l'intéressement, l'épargne salariale, la participation, et il ne vise pas d'autres sujets qui ont déjà été évoqués ou qui le seront prochainement.
J'ai noté, dans la plupart de vos interventions, une vraie modération et, pour une part, une vraie adhésion. Pour le reste, j'ai relevé soit des critiques qui m'apparaissent mineures, soit au contraire des propositions visant des points que ce texte n'a pas vocation à traiter.
Monsieur Ostermann, vous avez rappelé votre attachement à la participation. Je vous en donne acte. Mais notre projet ne remet pas en cause la participation, bien au contraire, puisqu'il vise à en faciliter l'accès.
L'épargne salariale va aujourd'hui au-delà. Ainsi, vous avez souligné les apports du projet de loi au développement de l'épargne dans les petites et moyennes entreprises, et j'en suis heureux.
Vous estimez que, si le plan partenarial d'épargne salariale volontaire répond à une nécessité, il est trop complexe pour être facilement mis en oeuvre. Faites cependant confiance, comme le Gouvernement, aux partenaires sociaux pour choisir les modalités qui leur conviendront le mieux, ne les privez pas du choix qui doit leur revenir !
Vous mettez en cause le prélèvement de 8,2 % sur les abondements supérieurs à 15 000 francs au motif que ce montant ne serait jamais atteint. Il est vrai, monsieur le rapporteur, que l'abondement moyen est de 7 000 francs. Mais c'est une moyenne ! Parce que nous croyons au succès du PPESV, nous pensons que les abondements seront importants. La disposition adoptée par l'Assemblée nationale permettra donc de renforcer la non-substitution de l'épargne au salaire sans en menacer le développement.
Vous souhaitez également, monsieur le rapporteur, faire de ce projet de loi un projet d'épargne-retraite. Le ministre de l'économie et des finances l'a souligné avant moi, nous refusons de créer une confusion entre l'épargne salariale et l'épargne-retraite. Aussi, nous ne pourrons qu'exprimer notre opposition aux dispositions que vous proposerez à cet égard.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez regretté à la fois que le Gouvernement ait tardé à présenter ce projet de loi et que, afin d'en permettre une mise en oeuvre rapide, il ait eu recours à la procédure d'urgence. C'est un peu contradictoire !
Vous avez tous rappelé l'importance de la réflexion, après le rapport de M. Balligand et de M. de Foucauld et après la discussion qui a eu lieu à la fois dans le monde socio-économique et au Parlement.
Nous avons voulu prendre le temps de la négociation et, aujourd'hui, nous souhaitons aboutir à un texte équilibré, applicable, aux effets immédiats. D'où l'intérêt de la procédure qui a été retenue.
Je prends acte de vos remarques, mais convenez, monsieur le rapporteur, que la concertation menée avant la rédaction de ce projet de loi, alimentée notamment par les travaux de votre assemblée, permettra de répondre à l'inadéquation dans le temps que vous avez évoquée et nous donnera sans doute raison.
Monsieur Chérioux, la commission des affaires sociales ne se prononçait sur ce texte que pour avis, mais quel avis !
Je vous ai écouté vous aussi avec beaucoup d'attention. Vous avez donné un avis éclairé par une pensée, hélas ! souvent oubliée par ceux qui auraient dû en être les principaux défenseurs. Quel dommage que le gaullisme de gauche n'ait pu prévaloir !
Votre avis est, à bien des égards, un hommage au Gouvernement.
En effet, nous avons les mêmes objectifs, à savoir ouvrir l'épargne salariale à tous, donner des fonds stables aux entreprises, créer ou améliorer le dialogue social. Nous avons la même démarche, qui se résume en trois mots : diagnostic, concertation, décision. Nous proposons parfois les mêmes mesures, comme c'est le cas aux articles 5 et 2, vous l'avez rappelé, et nous avons les mêmes sources, à savoir le rapport Balligand - de Foucauld, que vous avez évoqué.
M. Jean Chérioux, rapporteur pour avis. Nous n'avons pas « évoqué » ce rapport ! Nous avons travaillé avant eux !
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Nous avons aussi les mêmes chiffres : 97 % des salariés des PME sont exclus du système de l'intéressement.
Il ne s'agit donc pas du texte anodin évoqué à l'instant par M. Marini.
Quant aux problèmes que vous avez soulevés, monsieur le rapporteur pour avis, seraient-ils liés à une paternité partagée ? Ce point me paraît biologiquement inextricable ! Et, si notre texte n'est pas celui de la majorité du Sénat, je vous l'accorde, il est celui de la majorité plurielle. Vous avez su nous le rappeler et le Gouvernement s'en honore.
Sur les critiques relatives au temps - avons-nous été trop lents ou trop rapides ? - je vous ai répondu à l'instant.
Quant à vos critiques concernant le vocabulaire - le mot « participation » vous ferait peur - je ne les crois pas fondées et il me semble préférable de négliger le substantif et de pratiquer la réalité. La participation, pour nous, n'est pas un slogan. C'est du concret, et nous le prouvons avec ce texte.
Vous avez aussi émis des critiques au sujet des finalités. Nous n'instaurons pas des fonds de pension pour la retraite, je vous le concède bien volontiers.
Ce projet de loi prévoit un plafond de 30 000 francs, sur une durée de dix ans. Il s'agit, à vingt ans, à trente ans, à quarante ans, de financer un projet de logement, un rêve ou les études des enfants. Cela ne représente-t-il rien pour vous ?
Quant à d'autres utilisations ultérieures ou au placement du capital obtenu, chacun en sera libre ! Nous ne vous proposons pas un texte d'opportunité, mais un texte de volonté, de participation et de liberté.
Le Gouvernement, dans ce domaine, a pris ses responsabilités : il s'agit de financer pour les pérenniser les régimes de retraite par répartition. Je vous renvoie d'ailleurs à la déclaration de Laurent Fabius, qui répondait par avance tout à l'heure à certaines des interrogations et des critiques qui ont été formulées par M. Marini.
L'épargne salariale n'est pas de l'actionnariat salarié. En effet, le système est plus souple et il est possible d'en sortir en cas d'imprévu. Il est plus rémunérateur, puisque l'entreprise verse trois fois plus que le salarié. Il est moins risqué que le système de mutualisation du plan d'épargne d'entreprise et il évite les dangers, les écarts de rendement et les conflits d'intérêts selon les sociétés et les salariés. Face à des dispositifs anciens, juxtaposés, compliqués, nous proposons un accord « gagnant-gagnant », M. Fabius l'a rappelé, qui réconcilie chacun dans l'entreprise, qui favorise la codécision - même si, révolutionnaires au Sénat, vous proposez la cogestion - qui donne un « plus » de rémunération sans être un « moins » de salaire puisque vous reconnaîtrez que, à ce titre, depuis trois ans, les salaires ont augmenté.
Monsieur Grignon, vous avez bien voulu admettre que le projet de loi présenté par le Gouvernement comportait des améliorations qui lui permettront de donner un nouveau dynamisme à l'épargne salariale.
Vous avez notamment évoqué le plan d'épargne interentreprises, qui permettra de faire bénéficier les salariés des PME des dispositifs d'épargne salariale.
Vous avez également relevé l'attention qui est portée à la situation des salariés qui passent d'une entreprise à une autre, et chacun a développé ici l'intérêt des fonds interentreprises à cet égard. J'ai apprécié votre ouverture d'esprit sur ces dispositions et je pense que cela augure d'un débat constructif.
Certes, il est des points sur lesquels il sera plus difficile au Gouvernement de vous suivre. C'est le cas, notamment, de votre appréciation sur le PPESV. Contrairement à vous, j'estime que nous avons trouvé là un bon compromis entre l'encouragement à l'épargne longue des salariés et la protection de nos régimes de retraite par répartition.
Il ne s'agit, dans ce texte, ni de stock-options ni, par ailleurs, de retraite capitalistique au sens où vous l'entendez. Il s'agit d'abord et avant tout - je réponds ce faisant à d'autres intervenants - de donner tout son sens à l'épargne salariale, de la préserver, de la conserver telle qu'elle est voulue et âprement défendue, aujourd'hui, par l'ensemble du monde du travail.
Permettez-moi, enfin, de vous dire, comme je l'ai déjà indiqué à MM. Ostermann et Chérioux, qu'il n'est pas juste d'attendre de ce projet de loi une révision de fond en comble de l'actionnariat salarié, qui n'est qu'une des modalités, et pas la plus répandue, de l'épargne salariale.
Monsieur Girod, notre projet ne vise pas à dissiper les antagonismes entre le travail et le capital, qui sont réels. Nous souhaitons permettre aux salariés, en sus de leur salaire, de bénéficier de leur juste part de l'amélioration des résultats de leur entreprise. Nous souhaitons même leur faciliter l'accès à la propriété de leur entreprise, en liant le développement de l'actionnariat salarié au renforcement de leurs droits.
S'agissant des retraites, je ne reviendrai pas sur ce que je viens d'indiquer à l'instant pour affirmer la réalité de notre volonté.
A M. Loridant, je dirai que l'épargne salariale, ce n'est ni les stock-options des pauvres ni, par son montant, ses délais, son mode de gestion et ses destinations, le cheval de Troie des fonds de pension.
On a beaucoup débattu de ce sujet à l'Assemblée nationale. J'étais, à l'époque, parlementaire et je me souviens de ce faux débat, que la réalité des textes, aujourd'hui, vient bien confirmer comme tel.
Je crois que la fiscalité adaptée, le dialogue employeur-employé accru, la vigilance des salariés et la réalité de la hausse des revenus individuels constatée depuis trois ans ne plaident vraiment pas en ce sens.
M. Loridant s'interroge sur la sortie du dispositif. Le texte répond en deux points : sortie en capital selon trois modalités diversifiées qu'il connaît et qu'il a évoquées, et libre appréciation du salarié sur la destination finale - chacun fera ce qu'il voudra, réalisera un projet ou fera un placement à partir d'une épargne longue, jusque sur dix ans.
M. Loridant s'interroge également sur l'utilité de ces fonds. Je lui réponds : stabilité et solidité des capitaux, développement des PME, innovation et création, maintien des centres de responsabilité dans notre pays, donc croissance et confiance, donc embauche et activités. C'est bien là un élément de la politique économique de l'emploi voulue par le Gouvernement.
M. Massion a fort justement souligné la faiblesse actuelle des flux de l'épargne salariale par rapport à ceux de l'assurance-vie.
Notre projet, en effet, ne vise pas à augmenter l'épargne, aujourd'hui tout à fait suffisante, pour financer la croissance, qui n'est pourtant pas molle. Il tend à améliorer les dispositifs existants d'épargne salariale pour atteindre trois objectifs que M. Massion, que je veux remercier de son analyse du texte et de sa volonté marquée de l'améliorer, a bien définis : d'abord, la réduction des inégalités entre les salariés, notamment au bénéfice des salariés des PME, puisque, je le répète, aujourd'hui, seuls 4 % d'entre eux peuvent accéder à ces fonds, ce qui est une véritable injustice que nous entendons réparer ; ensuite, la relance du dialogue social, qui est, il est vrai, un peu faible dans le domaine de l'épargne salariale, dialogue social dans lequel j'ai confiance, étant entendu qu'il s'agit non pas d'entrer dans les entreprises, d'être là où nous n'avons pas à être, mais, au contraire, de généraliser le dialogue à l'intérieur des entreprises elles-mêmes, et cela vaut pour l'épargne comme pour la réduction du temps de travail ; enfin, une meilleure orientation de l'épargne vers les PME, afin de leur permettre de consolider leurs fonds propres au même titre que les grandes entreprises.
En effet, à côté de l'épargne, à côté de la participation, à côté de l'intéressement, il y a aussi ce besoin tout à fait réel, évoqué par Mme Dieulangard, pour les entreprises françaises de disposer aujourd'hui d'une épargne longue de proximité pour la création, l'innovation et la consolidation de leurs fonds propres.
Je me suis demandé qui M. Marini voulait convaincre. Je l'ai écouté. Je me suis demandé s'il voulait se convaincre lui-même. Sa colère était-elle factice, était-elle fondée ? Je le connais de longue date, et je connais aussi sa façon d'analyser les dossiers.
Il a fait une caricature du texte en disant que c'était une « lègère avancée ». Cette avancée a tout de même donné lieu à quantité de débats et, aujourd'hui, à quantité d'attentes. Il a néanmoins reconnu que c'était une avancée en disant que l'on aurait pu le faire il y a un an. Mais il est des projets dont votre assemblée a voulu débattre longuement, et le Gouvernement met à l'ordre du jour des assemblées les textes qui lui paraissent importants, qui sont acceptés par la majorité des Français et qui sont aujourd'hui salués comme des textes d'avancée sociale. Celui-là en est un.
Sur la question de la définition du groupe, je ne peux pas suivre M. Marini dans son souhait de laisser aux parties le pouvoir de décider qu'elles constituent un groupe. Les avantages fiscaux liés au dispositif justifient une définition qui, à défaut de satisfaire toutes les entreprises, permet de faire réellement correspondre cette notion avec l'existence de liens en capital suffisamment forts.
Par ailleurs, notre volonté de renforcer la place de la négociation collective prouve, s'il en était besoin, notre confiance dans la capacité des partenaires sociaux. Les fonds solidaires comprendront entre 5 % et 10 % des titres d'entreprises solidaires. Le risque est donc limité. Ces fonds permettront ainsi à la fois de financer l'économie solidaire et de garantir l'épargne salariée.
Quant au projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, le Gouvernement aurait souhaité que votre assemblée puisse l'examiner avant l'été. Le Gouvernement a demandé la constitution de la commission mixte paritaire. Il appartient maintenant aux présidents des deux commissions des finances de fixer la date de sa réunion. Le Gouvernement souhaite qu'elle ait lieu le plus tôt possible. Quant à l'examen en nouvelle lecture, il devrait intervenir en janvier 2001.
M. Joseph Ostermann, rapporteur. Bonne nouvelle !
M. François Patriat, secrétaire d'Etat Pour ce qui est de vos questions sur les retraites, monsieur Marini, ce n'est pas dans ce débat, je l'ai déjà dit, que vous aurez les réponses. L'épargne salariale n'est pas l'épargne retraite, je le répète. Patientez donc un peu puisque vous serez bientôt soumis au projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui vous donnera l'occasion de vous exprimer sur ces questions.
Vous nous avez interrogés sur le fonds de retraite. Sans rouvrir le débat, je dirai que le Gouvernement, en la matière, répond parfaitement à vos demandes.
D'abord, il est prévoyant, dans la mesure où ce fonds a été créé et où il est alimenté par des sommes qui ne sont pas négligeables. Les dernières décisions du Gouvernement, prises notamment par le ministre de l'économie et des finances, tendent à démontrer cette volonté d'abonder ce fonds et d'en faire assurer la gestion dans de bonnes conditions, au-delà des questions ponctuelles que vous avez imaginées.
Ensuite, le Gouvernement participe au désengagement de l'Etat. Les dernières mesures prises en la matière prouvent que, sur ces deux leviers importants que sont la réduction de la dette et la sauvegarde des retraites à l'avenir, le Gouvernement s'engage, prend des mesures porteuses d'avenir et allant dans le sens de ce que souhaitent aujourd'hui nos concitoyens.
Monsieur Fischer, vous avez, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, témoigné de la différence très forte qui existe entre le projet du Gouvernement et ceux de la majorité sénatoriale, ce dont je vous remercie. Ce n'est pas la même analyse. Il n'y avait pas lieu de confondre ni de parler de ce qui n'avait pas lieu d'être.
Vous demandez plus de dialogue social. Ce projet vise à obliger chaque entreprise à s'y soumettre davantage, à dépasser les questions d'organisation et de durée du temps de travail.
Pour ce qui est de la rivalité avec les salaires, la place centrale donnée à la représentation syndicale, la non-substitution intéressement-rémunération renforcée par le code du travail, une fiscalité particulière sont autant de garde-fous face aux dangers que vous avez évoqués.
Vous vous êtes interrogé aussi - je le comprends - sur l'individualisme ambiant. Celui-ci est contrecarré par la dimension solidaire, que l'on retrouve dans l'article 9, et dans la consolidation des systèmes de répartition voulue par ailleurs par le Gouvernement.
L'augmentation des revenus est constante depuis trois ans. Les chiffres sont là pour le prouver, même si le ratio que vous avez évoqué ne m'a pas échappé. Les revenus ont participé de la croissance. Depuis 1997, ils ont fait un bond en avant que l'on peut certes relativiser, mais qui est réel. D'ailleurs, les salariés le sentent bien.
Je comprends que, dans le climat ambiant, développé parfois à tort, d'une croissance réelle, soutenue, alimentée par le Gouvernement et que ce dernier souhaite maintenir par une politique à la fois de l'offre et de la demande - nous agissons sur les deux leviers - vous auriez, comme tout un chacun, souhaité plus. L'heure, avouez-le, était au travail pour tous la priorité était à l'emploi. Mais demain, le problème que vous avez évoqué ; n'échappera à personne et alimentera les débats que nous aurons.
Vos préoccupations, je les partage, et le Gouvernement, dans les différentes réponses qu'il a faites, dans la loi de finances, dans le PLFSS, dans ce texte, en particulier, répond à votre souci d'entendre les salariés, de les voir participer au dialogue et de les voir bénéficier, aujourd'hui, des fruits de la croissance.
Mme Dieulangard a bien marqué les limites hors desquelles le projet de loi cesserait d'être raisonnable. Il ne faut pas exposer les salariés à des aléas financiers qui n'ont aucune raison de faire disparaître les aléas réels que sont l'évolution de la conjoncture, la marche des entreprises et la pérennité des emplois.
Il ne faut pas affaiblir le salariat, tant dans son poids économique - la part des salaires dans la valeur ajoutée - que dans sa représentation symbolique - l'épargne salariale ne doit pas tenir lieu de substitut au salaire. Je souscris donc à l'analyse de Mme Dieulangard.
Enfin, comme je l'ai déjà dit aux deux rapporteurs - je n'y insisterai donc pas - il faut éviter toute confusion entre épargne salariale et retraite, ce qu'elle a fait.
Je souhaite, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous puissions dès maintenant commencer l'examen des articles de ce texte, en respectant bien sa lettre et son esprit ; il vise, je le rappelle, à favoriser l'épargne, la participation, l'intéressement, le financement des entreprises et, par là même, le plus grand développement du dialogue social et l'épanouissement de ces PME auxquelles le secrétaire d'Etat que je suis est très attaché. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la décision générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

AMÉLIORATION DES DISPOSITIFS EXISTANTS

Article 1er A