SEANCE DU 14 NOVEMBRE 2000


M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. L'occasion m'est donnée ici de me réjouir que l'examen de ce texte se déroule dans un contexte d'amplification et de redressement des comptes de la sécurité sociale, dans le prolongement des deux projets de loi précédents.
Déficitaire, comme on l'a dit, en 1996 de 54 milliards de francs, le régime général a retrouvé son équilibre en 1999 et devrait dégager un excédent de 3,3 milliards de francs en 2001. C'est, comme l'a souligné le rapporteur de la commission des finances, une situation exceptionnelle, et j'ajouterai inespérée, compte tenu de la période précédente.
Ce redressement constant n'est pas, comme je l'ai entendu, seulement le fruit de la conjoncture, il est aussi celui de la confiance, de la confiance retrouvée des Français, que ce Gouvernement a su développer grâce à un ensemble de mesures appropriées, qui, pour la plupart, ont été combattues par la majorité sénatoriale, ne serait-ce que celle concernant les emplois-jeunes.
Il convient d'ailleurs de souligner que ce redressement a été obtenu sans augmentation des prélèvements sociaux ni baisse des remboursements aux assurés. Cela démontre, s'il le fallait, qu'un système fondé sur la solidarité n'est pas systématiquement voué aux déficits, comme certains semblaient le laisser penser à une époque, espérant peut-être trouver par là une sortie vers les systèmes privés.
Les années 1999 et 2000 auront été des années de réformes importantes pour notre système de santé, notamment en matière d'assurance maladie, à l'examen de laquelle je limiterai mon propos.
Je pense, bien sûr, ici, à l'instauration de la CMU, la couverture maladie universelle, améliorant la couverture maladie pour 4 700 000 personnes. Je pense également aux mesures en faveur de l'hôpital public, mises en oeuvre par Mme Martine Aubry qui vous a précédée à ce poste, madame la ministre. Je pense, enfin, à un certain nombre de mesures structurelles visant à la limitation de la croissance des dépenses de l'assurance maladie donc il faut bien cependant déplorer encore la dérive, du moins dans certains secteurs bien identifiés. Je songe notamment au secteur du médicament où la dérive est à deux chiffres. S'agissant de la consommation des médicaments, les Français, là aussi, sont à la première place en Europe.
Incontestablement, ce projet de loi pour 2001 doit être replacé dans le contexte des deux années précédentes avec lesquelles il constitue un ensemble cohérent d'objectifs de santé et d'améliorations sociales.
Examinons successivement ces deux aspects. Je poserai deux questions.
Tout d'abord, les objectifs de santé sont-ils tenus ? La réponse est clairement « oui », sachant que l'équilibre retrouvé permet de tenir ces objectifs grâce à l'augmentation de l'ONDAM qui progresse de 3,5 %, soit 1 % de plus qu'en 2000. Cet engagement permettra de mener à bien les programmes de santé envisagés. Mme Gillot les a évoqués tout à l'heure. Aussi, je ne les détaillerai pas. Ces objectifs de santé, qui, aux yeux de M. le rapporteur, paraissent désordonnés, sont, pour les résumer, essentiellement de trois ordres : la prévention, le développement des équipements sanitaires publics et privés, enfin, les objectifs en matière de pratique médicale.
Le premier objectif, c'est la prévention. Il s'agit, d'abord, du plan cancer dont l'un des points forts concerne le cancer du sein et les cancers colorectaux. Il s'agit, ensuite, du plan greffe avec une ambitieuse politique du prélèvement. Il s'agit, en outre, de la prévention, qui est accentuée, contre les maladies infectueuses : hépatite C, sida, etc. Il s'agit, enfin, de la poursuite des actions de lutte contre le tabagisme et l'alcool qui risquent d'être, à terme si l'on n'y prend garde, des facteurs de régression de l'espérance de vie.
Le deuxième objectif concerne le développement des équipements sanitaires publics et privés.
L'ONDAM est de 3,4 % pour les hôpitaux publics, ce qui représente 10 milliards de francs de plus et permet de maintenir trois priorités autour desquelles s'articule la politique hospitalière conduite depuis 1997, à savoir l'accès aux soins, l'offre de soins et la sécurité sanitaire. Je ne détaillerai pas puisque vous l'avez fait, madame la secrétaire d'Etat. Je ferai simplement remarquer l'aspect plus qualitatif qu'habituellement des SROS de deuxième génération.
En ce qui concerne l'hospitalisation privée, les cliniques, le plan de redistribution est doté de 150 millions de francs, au lieu de 100 millions de francs en 2000, ce qui, aux dires des agences régionales d'hospitalisation, semble suffisant, mais il pourra être abondé si cela s'avère nécessaire.
Enfin, le troisième objectif concerne la pratique médicale. Le fonds d'aide à l'amélioration de la qualité des soins de ville, d'une part, et celui qui est lié à l'amélioration de la prescription médicamenteuse, d'autre part, paraissent, à les écouter, satisfaire les professionnels concernés. Nous ne saurions d'ailleurs oublier, dans ce domaine, madame la ministre, les 3 000 000 de personnes concernées en France par l'incitation aux médicaments orphelins.
J'en viens à la seconde question que je souhaitais poser. L'amélioration de la vie quotidienne des Français est-elle prise en compte dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, à travers les comptes sociaux ? En effet, de notre point de vue, en période de croissance et d'équilibre, ces comptes sociaux peuvent légitimement y participer.
La réponse est, là encore, positive grâce à la réduction des prélèvements sociaux sur les bas revenus.
La réduction de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale a été étendue par nos collègues de l'Assemblée nationale à 1,4 SMIC, ce qui permet de donner un coup de pouce aux salariés les plus défavorisés et de les faire bénéficier des améliorations de revenus des Français liées aux mesures fiscales auxquelles ces salariés, de par leur condition, ne pouvaient prétendre. Elle permet, par ailleurs, comme on l'a dit, d'augmenter leur revenu net d'activité.
En outre, les retraités non imposables et les chômeurs bénéficient de l'exonération totale de la CRDS, tandis que les non-salariés non agricoles bénficient, eux, d'améliorations de leur couverture maladie.
Bref, ces mesures proposées pour 2001 tendent, dans la continuité des précédentes lois, à rendre ce texte plus solidaire, plus juste et plus équitable pour tous les Français, d'autant que les excédents des autres branches y concourent aussi. Plusieurs de mes collègues évoqueront ce point.
En dernier lieu, je souhaiterais intervenir sur deux remarques du rapport de la commission.
La première concerne l'ONDAM pour 2001, qui a été fixé à 693,3 milliards de francs, soit une progression de 3,5 %, mais qui, du fait de son mode de calcul à partir de sa réalité plutôt que de sa prévision, suscite des critiques.
Refuser de rééquilibrer les bases de l'ONDAM, c'est, selon nous, non seulement refuser d'intégrer la notion de croissance dans la demande de soins de nos concitoyens, mais également nier l'effet vieillissement de la population lié au progrès de la médecine.
Au demeurant, on ne peut à la fois s'appuyer sur la notion de maîtrise médicalisée des dépenses, défendre une stricte obédience comptable, voire chipoter sur des chiffres, et s'enfermer dans un purisme excessif sur tel ou tel postulat de financement de la protection sociale.
Ma deuxième remarque porte sur le système conventionnel.
Incontestablement, il nous faut aujourd'hui relancer la politique conventionnelle, en intégrant la majorité des professionnels de santé. Le conventionnement avec une minorité ne peut que déboucher sur des dérives, comme on l'a vu ces dernières années, d'autant que, on le sait, que la politique de la carotte et du bâton n'est pas la meilleure façon de réussir dans la société d'aujourd'hui. Nous avons apprécié, madame la ministre, que, dès votre prise de fonction, vous ayez entrepris cette concertation.
Sur toutes les travées, mais particulièrement sur celles que je représente, se substitue de plus en plus à la notion de maîtrise des dépenses celle de bonne utilisation des ressources.
Elle ne pourra se réaliser, qu'il s'agisse d'un cadre national ou d'un cadre régional, que, d'abord, dans la concertation, ensuite, dans la reponsabilisation et, enfin, dans la coopération de l'ensemble des partenaires. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui, et pour la cinquième année, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
L'examen de ce projet de loi n'est donc plus une nouveauté et cette continuité aurait dû nous permettre de faire des comparaisons, des évaluations, et d'apporter des améliorations par rapport aux années précédentes.
Or, le système de « tuyauterie » que vous nous proposez cette année ne peut être comparé avec les projets de la loi des années précédentes. Il rend ainsi à peu près impossible les évaluations relatives. Les réseaux de financement ont encore été modifiés, les transferts de l'Etat souvent sont de plus en plus complexes, et les principes généraux de la comptabilité ne sont ni respectés et, surtout, ni harmonisés. Le projet de loi est en réalité à ce point complexe et alambiqué qu'il en devient illisible pour nos concitoyens et quasiment incontrôlable pour le Parlement !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est l'objectif !
M. Dominique Leclerc Ce constat, je suis pas le seul à le faire. Le secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale considère ainsi que « cette modification profonde des circuits de financement de la sécurité sociale rend parfois la lecture des évolutions, et notamment l'interprétation des soldes par branche, difficile ».
Pour étayer mon propos, je prendrai, si vous le voulez bien, deux exemples : la modification de la CSG et le financement des 35 heures et du FOREC.
La CSG tout d'abord : sous prétexte d'équité, vous avez décidé d'exonérer de CSG les bas salaires.
Cette mesure qui, en réalité, vous permet de poursuivre un objectif fiscal souffre de plusieurs défauts.
Le premier, majeur, est de remettre en cause l'universalité de notre système de santé.
Le deuxième est d'être inéquitable : en transformant la CSG en premier étage de l'impôt sur le revenu sans pour autant prendre en compte le foyer fiscal, les enfants ou la pluriactivité, vous ne respectez pas l'égalité des citoyens devant les charges.
Enfin - c'est le troisième défaut - cette réforme accentue la dépendance de la sécurité sociale à l'égard des compensations budgétaires, et rend donc aléatoire son financement et complexe son contrôle.
L'autre exemple, c'est le FOREC.
En vue de financer les 35 heures, le Gouvernement creuse de nouveaux trous pour combler les anciens, et ce au détriment de notre protection sociale.
M. Philippe Nogrix. C'est vrai ! M. Dominique Leclerc. Le fonds dédié au financement des 35 heures, c'est-à-dire le FOREC, devra être doté cette année de 85 milliards de francs à 90 milliards de francs pour que soit financé ce surcroît de dépenses.
Pour faire face à cette montée en puissance, des trésors d'imagination sont déployés dans le présent projet de loi.
Pas moins de six ressources fiscales sont affectées à ce fonds : les droits sur les alcools, les droits sur les tabacs, la taxe sur les véhicules de société, la contribution sur les bénéfices des sociétés, la taxe sur les assurances et la taxe sur les activités polluantes.
C'est dire que l'équilibre de ce compte, qui doit être assuré en présentation et en exécution, est bien difficile, problématique, et exige la mobilisation de ressources sans aucun lien avec les 35 heures.
Aussi, là encore, ce montage d'une complexité folle vise à permettre au Gouvernement de débudgétiser les dépenses liées aux 35 heures, mais sûrement pas à améliorer la situation de notre protection sociale.
J'aimerais à présent m'attarder sur la branche maladie et sur les dépenses de santé qui en relèvent.
Dans ce domaine, votre prédécesseur s'était assigné un double objectif : maîtriser les dépenses de santé et nouer des relations de confiance avec les professions de santé. Force est de constater qu'elle a doublement échoué, puisque les dépenses de santé ont augmenté de 10 % en deux ans et que les professionnels de santé sont souvent révoltés par les sanctions qui leur sont infligées.
Vous nous dites poursuivre ces objectifs. J'espère sincèrement que vous y parviendrez. Mais franchement, je doute que le texte que vous nous proposez aujourd'hui vous le permette.
Pourquoi ? En premier lieu, parce que vous nous parlez, pour l'assurance maladie, d'« équilibre » ou de « quasi-équilibre ». Mais ce dernier ne doit pas faire illusion. Comme cela a été dit, il est avant tout le fruit de la croissance et d'un sérieux élargissement de l'assiette des prélèvements.
La Cour des comptes ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisqu'elle a mis l'accent sur la fragilité de cet équilibre dû, selon elle, « pour une large part à l'exellente conjoncture économique ».
En réalité, ce texte prépare mal l'avenir. Vous ne nous proposez pas, en effet, une vraie réforme de l'assurance maladie, une réforme structurelle qui prendrait en compte les besoins réels de santé et les efforts qu'accomplissent les praticiens.
C'est pourquoi, cette année encore, vous vous contentez de nous proposer un ONDAM essentiellement comptable. Il s'agit d'un taux d'augmentation appliqué aux dépenses estimées de l'année passée. La progression pour 2001 sera de 3,5 % par rapport aux dépenses d'assurance maladie attendues en 2000. Mais sur quels critères et pour quelles raisons ce pourcentage a-t-il été fixé à 3,5 % ? Tient-il compte des besoins, du vieillissement de la population ou tout simplement des améliorations techniques ? Non, et je pense que c'est bien dommage.
En effet, tout le monde s'accorde pour dire que la réponse à ces besoins passera nécessairement par une recherche de la qualité maximale des soins, qui conduira inévitablement à débusquer des champs entiers de sous-consommation, voire de non-consommation auxquels il faudra pourtant bien faire face. Je pense par exemple, à cet égard, au dépistage du cancer colorectal.
La mise en place généralisée de tels soins aura un coût ! Qui rendrez-vous responsable de cette augmentation inéluctable ? Les professionnels de santé ? Mais pourquoi vous obstiner dans cette voie alors qu'ils n'y seront pour rien et refuser toute coopération avec ces derniers ?
Cette obstination s'explique d'autant plus mal qu'aucune des mesures prises à leur encontre l'année dernière n'a permis de régler le problème de la hausse des dépenses de santé. Vous le savez d'autant mieux que vous avez été obligée de modifier cette année le mode de fixation du coefficient de croissance de l'ONDAM. Vous avez qualifié pudiquement cette pratique de « rebasage » pour ne pas reconnaître que vos prévisions initiales étaients fantaisistes.
Ainsi l'ONDAM est-il désormais fondé sur les dépenses effectivement constatées et réalisées. Mais alors, cet objectif doit-il réellement être respecté ? Comment expliquer aux médecins, aux kinésithérapeutes, aux infirmières ou encore aux biologistes que les sanctions qui les frappent sont maintenues alors que l'ONDAM peut être réévalué pour être aligné sur les dépenses réalisées dès lors que l'objectif est dépassé ?
Cela sera d'autant plus difficile que ces sanctions sont particulièrement injustes. Elles le sont, en premier lieu, parce qu'elles sont collectives.
Pour notre part, nous nous étions battus contre les lettres clés flottantes en demandant l'individualisation des éventuelles sanctions afin de tenir compte des pratiques de chacun. En effet, s'il existe malheureusement des pratiques déviantes, seules ces dernières doivent être sanctionnées. Les prescriptions abusives sont connues et identifiées grâce à la gestion informatisée des caisses. Il serait donc aisé pour ces dernières d'invidualiser les sanctions. Pourquoi les caisses s'approprient-elles la définition de la qualité des soins et sur quelles connaissances médicales se fondent-elles pour ce faire ? Cette définition devrait au contraire résulter d'un dialogue avec les praticiens à partir des besoins estimés par les observatoires régionaux et exprimés dans les conférences régionales de la santé. Et peut-être une conférence nationale de santé devrait-elle, madame la ministre, vous proposer de soumettre à déclaration obligatoire la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ainsi, pourrait-on disposer, dans l'avenir, de statistiques objectives et surtout indiscutables.
Mais j'en reviens aux sanctions : elles sont également injustes parce qu'elles ne tiennent pas compte de la fongibilité des enveloppes, ainsi que des transferts entre le secteur public et le secteur privé.
La fongibilité des enveloppes pose en effet un réel problème. Si l'on souhaite que l'hôpital et la médecine de ville s'articulent correctement, il faut parvenir à une véritable fongibilité de l'enveloppe ambulatoire et de l'enveloppe hospitalière.
Or, tel n'est pas le cas dans le système actuel. Par conséquent, dans certains cas, on ne sait plus par quelle enveloppe les soins doivent être pris en charge. C'est pourquoi il me semble indispensable d'arriver à une réelle fongibilité.
Enfin - et c'est un autre problème - les professionnels libéraux de santé sont-ils responsables des transferts de charges ou des progrès réalisées par la science ? Sont-ils responsables de tous les transferts entre le secteur public et le secteur privé, des améliorations apportées tous les jours dans les traitements, les diagnostics ou les pratiques chirurgicales ? Non !
Par ailleurs, ces sanctions sont totalement incompréhensibles pour les professions dont les actes sont prescrits : ces professions ne sont pas responsables des actes qu'elles exécutent puisqu'elles interviennent à la suite d'une prescription médicale. Dans ces conditions, qui sanctionner ?
Vous l'aurez compris, nous ne pouvons cautionner de telles pratiques qui démotivent et démobilisent les professionnels de santé, lesquels devraient pourtant être, madame la ministre, vos interloccuteurs politiques dans cette recherche d'une meilleure maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Malheureusement, cette dernière est purement comptable.
J'en veux pour dernière preuve votre politique à l'égard du médicament. Votre projet de loi, là encore, en traite pour mieux le taxer. Il maintient la taxe sur les ventes directes et propose de fixer à 70 % le montant de la contribution dite « clause de sauvegarde » que les laboratoires devront payer si « l'ONDAM médicament » est dépassé de 3 %.
Non seulement ce taux devient confiscatoire, mais le seuil de dépassement de 3 % est irréalisable, selon le terme utilisé par la Cour des comptes pour l'exercice 1999.
En effet, si l'on fait le compte de tous les prélèvemens spécifiques, entre la taxe sur la promotion, les taxes sur les ventes directes aux officinaux et les redevances payées sur certaines spécialités, la facture pour l'industrie pharmaceutique a enregistré une hausse de 30 % en deux ans.
Si l'on y ajoute la clause de sauvegarde, convenez que cela devient difficilement supportable, et ce d'autant plus que, sur les 5 milliards de francs de dépassement constatés, un peu moins d'un milliard de francs incombe, là encore, au transfert des prescriptions hospitalières sur la médecine de ville, une autre part pouvant être attribuée à l'effet CMU.
Cette clause de sauvegarde ne prend par ailleurs pas en compte toutes les économies induites par les nouvelles thérapeutiques médicamenteuses, qui évitent dans certains cas des hospitalisations et des interventions chirurgicales.
Enfin, elle fait abstraction de certaines vérités qui s'imposent pourtant dans le domaine du médicament.
Dans tous les pays développés qui disposent d'un système de santé dit « de haut niveau », la hausse moyenne annuelle des dépenses de santé du médicament est d'environ 8 %.
En outre, des domaines comme ceux du cancer ou de la chimiothérapie exigent des recherches importantes. La production des molécules nouvelles peut entraîner une hausse annuelle des prix de 10 à 30 %. Il est bien évident qu'il n'est pas possible de refuser l'accès à ces molécules aux malades qui en ont besoin.
Fixer un seuil de déclenchement des sanctions en cas de dépassement de 3 % n'a donc pas de sens.
Là encore, il aurait été préférable d'associer la profession afin de réfléchir à une réforme des structures plutôt que de prévoir encore et toujours des sanctions financières à l'égard des uns et des autres.
Pour conclure, madame la ministre, je souhaiterais vous convaincre, après avoir rencontré nombre de professionnels de santé totalement désabusés, que vous faites fausse route.
En réalité, le chantier prioritaire reste celui de la recherche de la qualité des soins et des actes. Il ne pourra être atteint qu'en concertation avec les professionnels et les industriels de santé, et non contre eux tous, notamment afin d'obtenir leur indispensable acceptation dans les évaluations individuelles qui vont de pair avec la maîtrise.
Il ne pourra par ailleurs se réaliser que dans le cadre d'un ONDAM dont la croissance raisonnable serait conforme aux moyens scientifiques nouveaux et aux besoins estimés de la population et dont les dépassements se traduiraient par une réduction négociée du panier de soins de santé pris en charge ; bien évidemment, cela nécessiterait une décision éminemment politique et courageuse de la part du Gouvernement, décision qu'il a encore été incapable de prendre cette année.
Nos rapporteurs ont présenté des solutions adaptées aux problèmes que rencontre à l'heure actuelle notre système de santé, propositions que nous approuvons totalement et dont certaines auraient pu trouver grâce à vos yeux, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, devenu, au cours des années, le simple prolongement de la loi de finances dont nous débattrons très prochainement, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 confirme, une fois de plus, une étatisation excessive et un manque flagrant de transparence entre l'Etat et les caisses dans la définition de leurs responsabilités respectives mais surtout en matière de gestion des risques. Et tout cela au mépris du paritarisme et de la contractualisation sur les retraites, l'assurance maladie et la famille, qui sont les trois piliers essentiels de notre protection sociale.
Je souhaite, madame le secrétaire d'Etat, vous interpeller sur trois aspects de ce texte.
Le premier concerne, sous couvert de logique purement comptable, l'opacité persistante de la loi de financement de la sécurité sociale ainsi que la dérive annuelle du gouvernement auquel vous appartenez, dérive qui consiste à jouer les « vases communicants » entre les différentes branches. Année après année, ce texte de loi devient de plus en plus illisible et purement incompréhensible pour les novices qui cotisent.
Entre compensations, transferts et réaffectations, le Gouvernement ne cesse de multiplier les fonds nouveaux et de faire fi du principe de l'indépendance des branches auquel nous sommes tous très attachés. Par exemple, en décidant de faire supporter par la sécurité sociale les exonérations de CSG, le Gouvernement décide - comble de l'illogisme ! - d'utiliser cette contribution comme instrument de politique de revenus et - comble de l'irréalisme ! - de renoncer à faire participer tous les revenus au financement d'une protection sociale universelle qui a fait ses preuves.
Comme l'a souligné M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, sous couvert de justice sociale, vous voulez que la CSG devienne le premier étage de l'impôt sur le revenu, mais sans tenir compte à un seul moment des lourdes charges imposées aux familles. Je ne reprendrai pas la démonstration de M. Descours sur ce point.
Or, madame le secrétaire d'Etat, et au-delà des aspects purement techniques de ce texte, la seule véritable question en cette période de reprise soutenue de la croissance concerne la meilleure utilisation des excédents de la sécurité sociale. Pourriez-vous m'indiquer clairement s'ils doivent servir à alléger les charges du budget de l'Etat ou à rembourser les dettes accumulées ?
Le deuxième point concerne la maîtrise des dépenses de santé qui, à mes yeux, passe impérativement par le double levier de la solidarité et de la mutualisation.
C'est sans volonté réelle de dialogue conventionnel, seule voie possible pour assurer des soins de qualité tout en préservant l'équilibre des comptes, que le Gouvernement se met à dos les professionnels de santé et s'enfonce durablement dans l'impasse.
Mes chers collègues, n'en doutons pas : tenter de limiter la dérive des comptes sociaux dont les dépenses augmentent de plus de 10 % est une chose ; imposer autoritairement la réduction des honoraires pour éviter leurs dépassements comptables en est une autre. Par vos décisions arbitraires, les masseurs-kinésithérapeutes, les cardiologues, les pneumologues, les laboratoires pharmaceutiques, les infirmières libérales sont poussés à l'exaspération et rejettent en bloc les sanctions collectives que vous leur imposez ou les baisses de majorations d'honoraires la nuit, le dimanche ou les jours fériés.
Enfin, mon troisième et dernier point - il est, à mes yeux, le plus important et le plus inquiétant - concerne l'absence d'ambition du Gouvernement en matière de politique familiale. Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, que j'ai écoutée très attentivement, a parlé tout à l'heure d'une « politique familiale de grande ampleur ». Il me semble qu'en ce domaine nous sommes bien loin du compte.
Bien que saluant la création de l'allocation de congé pour parent malade, initiée par notre excellent collègue Lucien Neuwirth, le projet de budget n'apporte pas d'élément novateur. Vous relevez les retraites de 2,2 %, mais les allocations familiales n'augmentent que de 1,8 % alors que, dans le même temps, les excédents de la branche famille servent à alléger les charges de l'Etat.
A cet égard, je dénonce le transfert sans concertation de la charge des majorations pour enfants dans les régimes de retraite qui va incomber, une fois de plus, à la branche famille. A mes yeux, madame le secrétaire d'Etat, les familles doivent, elles aussi - je dirai même « elles surtout » - profiter des fruits de la croissance redistribués en direction de la petite enfance.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Darniche. Je me permets de rappeler ici, avec consternation, que, dans notre pays, les allocations familiales ignorent toujours le premier enfant et que les familles attendent encore l'élévation à vingt-deux ans de l'âge limite de leur versement, mesure prévue dans la loi du 4 juillet 1994 que le Gouvernement a abrogée en décembre 1999.
Et où se trouve le principe d'équité lorsque le Gouvernement décide de mettre sous condition de ressources l'aide pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée ?
Pour conclure, monsieur le président, mes chers collègues, je dirai que l'opacité financière de ce projet de loi ne permet pas de régler les enjeux sanitaires et n'apaise pas les inquiétudes persistantes de nos concitoyens.
Face à ce constat d'impuissance, je me pose la question de savoir si, au lieu de régler en profondeur les problèmes, l'ambition du Gouvernement n'est pas plutôt de faire croire aux Français que tout va bien et que les comptes sociaux sont à l'abri des difficultés.
Au regard de tous ces éléments, nous nous devons de favoriser un système de santé solidaire mais performant, fondé sur la responsabilité contractuelle, la recherche du meilleur soin et l'évaluation pertinente des pratiques. C'est pourquoi, avec mes collègues non inscrits de cette assemblée, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de mon amertume au regard du projet de loi que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui.
Certes, il faut s'en réjouir, les comptes de la sécurité sociale font apparaître un excédent de 3,3 milliards de francs pour 2000, excédent qui devrait atteindre 4,4 milliards de francs pour 2001. Mais ce retour à l'équilibre s'explique surtout par la croissance et l'alourdissement des prélèvements affectés à la sécurité sociale. Il ne faut donc pas se leurrer : l'équilibre reste très fragile.
Et je ne suis pas certain que cela traduise une amélioration de la protection sociale. Ce sentiment est d'ailleurs partagé tant par les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, qui ont émis un vote négatif à l'encontre du texte, que par l'ensemble des professionnels de santé, qui ont manifesté leur grogne en lançant, le 26 octobre dernier, une journée « santé morte ». C'est là une réprobation générale.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 est donc, à mon sens, très critiquable, et ce pour plusieurs raisons.
La première concerne la réduction dégressive de la contribution sociale généralisée, la CSG, et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS. On veut nous faire croire que cet allégement progressif est une bonne mesure, alors qu'en fait elle va à l'encontre du principe d'égalité puisqu'elle ne tient pas compte de la structure familiale.
Concrètement, un ménage composé de deux salariés touchant le SMIC ne paiera plus de CSG, alors qu'un couple dont un seul des deux travaille et touche 1,4 fois le SMIC acquittera la CSG. C'est la raison pour laquelle je soutiens pleinement la proposition de nos collègues Charles Descours et Philippe Marini visant à instaurer, à la place de cette ristourne, un crédit d'impôt.
Ma seconde critique concerne le fonds de financement des 35 heures, c'est-à-dire le FOREC. Ce fonds est en effet financé, à hauteur de 85 milliards de francs, par six ressources fiscales : la contribution sociale sur les bénéfices, la taxe générale sur les activités polluantes, les droits sur les tabacs, les droits sur les alcools, la taxe sur les véhicules de sociétés et la taxe sur les conventions d'assurance.
M. Alain Gournac. Ce n'est pas sérieux !
M. Jacques Bimbenet. Je ne peux que m'insurger contre ce détournement, car ces ressources devraient être affectées à la protection sociale. D'ailleurs, une partie des droits sur les tabacs était jusqu'à présent affectée à l'assurance maladie et les droits sur les alcools alimentaient le fonds de solidarité vieillesse.
Comment expliquer que les taxes sur les tabacs, les alcools et les activités polluantes alimentent les 35 heures au lieu de servir à lutter contre ces fléaux ?
Enfin, je souhaite tirer la sonnette d'alarme. L'avenir de nos retraites est préoccupant, chacun de nous en convient. Malheureusement, rien dans le texte que nous examinons aujourd'hui n'apporte la moindre réponse. Certes, la branche vieillesse se porte bien, aujourd'hui. Mais qu'en sera-t-il demain ?
De nombreux rapports et bilans, tous plus inquiétants les uns que les autres, nous alertent sur l'urgence et la gravité de la situation. L'évolution démographique de notre pays se traduit par un allongement de la durée de la vie et par l'arrivée à l'âge de la retraite des nombreuses générations de l'après-guerre.
Or, le projet de loi se contente de fixer à 2,2 % le taux de revalorisation des retraites et d'exonérer de la CRDS les retraites non imposables. Par ailleurs, le fonds de réserve pour les retraites n'est alimenté que par des recettes exceptionnelles.
Ces mesures sont louables, j'en conviens. Mais le véritable problème est éludé. Le Gouvernement se refuse à engager les réformes qu'il serait nécessaire et urgent de mettre en place. Si nous ne réagissons pas rapidement, le régime général des retraites connaîtra un déficit considérable, sans parler des régimes spéciaux !
Que dire aux futurs retraités, inquiets à juste titre, de leur avenir ? Qu'ils doivent eux-mêmes préparer leur retraite ? Je crois qu'il serait préférable de mettre en place une véritable politique qui passerait par la création d'un système de retraite mixte répartition-capitalisation.
C'est pour toutes ces raisons que je voterai le projet de loi assorti des modifications proposées par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la situation des retraités et l'avenir des retraites sont deux préoccupations sociales majeures des quelque 12 millions de retraités, qui ne sont pas satisfaits de la situation qui leur est faite depuis plus d'une décennie, mais aussi des salariés, qui s'inquiètent de savoir quels nouveaux efforts leur seront demandés pour pouvoir bénéficier, demain, de leurs droits.
Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que, pour les premiers, la baisse du pouvoir d'achat vient d'être confirmée ? Ce que nous soulignons en permanence vient d'être corroboré par la dernière étude du ministère de l'emploi et de la solidarité : sur cinq ans, de 1995 à 1999, aucune catégorie de retraités n'a gagné en pouvoir d'achat et la plupart en ont perdu, en particulier les cadres du secteur privé.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Ah !
M. Roland Muzeau. La revalorisation des retraites en 1999, la plus forte depuis des années, n'a pas permis de rattraper les pertes de pouvoir d'achat subies auparavant, dues notamment aux alourdissements de cotisations - CSG, CRDS - et aux effets de la réforme Balladur de 1993.
Quant aux seconds, les actifs d'aujourd'hui, les premiers éléments d'une enquête réalisée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de l'emploi font apparaître qu'un tiers des personnes aujourd'hui âgées de trente ans n'ont pas dix années de cotisations derrière elles, soit le triple de la génération précédente. Pour ces dernières, la perspective d'un départ à la retraite à soixante ans semble fortement compromise si rien n'est fait pour garantir l'avenir des retraites.
Cela montre bien que les inégalités de situation en matière de retraite ne s'articulent pas seulement autour du rapport public-privé, qui « préoccupe » visiblement la majorité sénatoriale, qu'elles sont beaucoup plus complexes.
Madame la secrétaire d'Etat, le Gouvernement, par la voix de M. le Premier ministre, a annoncé en début d'année un grand débat national - c'est utile - et la proposition d'une mesure contenue dans le rapport Charpin, à savoir l'alignement, au nom de l' « égalité », de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du privé. Cette mesure de régression sociale, nous ne l'approuvons pas, vous le savez. Elle ne réglera pas les problèmes posés.
Depuis ces déclarations, peu de choses ont évolué. Le conseil d'orientation des retraites travaille, mais son rapport ne sera pas rendu avant la fin de l'année 2001 !
Je crains fort qu'alors le débat ne se limite à quelques slogans lancés au cours de la campagne de la présidentielle - nous en avons déjà eu quelques échantillons ce soir. Ce problème de société mérite une tout autre démarche.
Face à une question aussi importante, il ne faudrait pas que la représentation nationale fasse preuve d'un excès de confiance et de tranquillité : après le catastrophisme du rapport Charpin, ne nous reposons pas sur l'optimisme du rapport Teulade. Une réelle augmentation du nombre d'ayants droit se produira, ce qui impliquera que l'on prenne des mesures adaptées - mais pas celles que propose la droite !
Cette même droite, après l'échec de la réforme des régimes spéciaux de retraite inscrite dans le plan Juppé de 1995, vise toujours à instaurer un système par capitalisation, même si l'on se garde bien d'employer l'expression « fonds de pension ».
La loi Thomas, projetée en 1997, fonde encore la démarche de la majorité sénatoriale aujourd'hui.
Notre système de retraite par répartition serait, d'après le dogme de la pensée unique, archaïque et voué à la faillite, alors que la retraite par capitalisation représenterait l'avenir, la modernité et la fin des problèmes de financement des retraites.
L'examen de la réalité, chiffres à l'appui, invite pour le moins à la prudence.
Le financement des retraites représente aujourd'hui 11,5 % du PIB et en représenterait environ 16 % en 2040, soit une augmentation de l'ordre de 40 % en quarante ans. Mais l'augmentation inéluctable de la productivité permettra sans aucun doute de faire face à cette croissance, dont le rythme annuel sera, somme toute, modéré.
Par ailleurs, que l'on se place dans un système par capitalisation ou par répartition, le niveau des retraites sera toujours conditionné par le niveau des salaires et le nombre d'actifs. Il convient donc maintenant de s'engager dans une politique de véritable plein emploi, de réformes fiscales, de lutte contre les placements financiers spéculatifs.
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, permettez-moi de rappeler ici la très grande réticence du groupe communiste républicain et citoyen vis-à-vis des modalités actuelles du fonds de réserve. Son mode d'alimentation par les excédents de la sécurité sociale est trop fragile. N'incite-t-il pas à la mise en oeuvre d'une réduction des prestations ? Il a autojustifié la privatisation déguisée de la Caisse d'épargne, comme pose problème la question des licences UMTS. Enfin, réserver 30 % de l'objectif du fonds de réserve, soit 300 milliards de francs, aux revenus financiers, cela s'apparente, que cela soit dit ou non, à de la capitalisation.
M. Charles Descours, rapporteur. Eh oui ! Très bien ! C'est un fonds de pension nationalisé !
M. Roland Muzeau. Je reviens sur ce que j'ai dit pour vérifier que je n'ai pas fait d'erreur... Je ne pense pas en avoir fait ! (Rires.)
M. Charles Descours, rapporteur. Mais non !
M. Roland Muzeau. Je suis tout jeune sénateur, c'est pour ça ! (Nouveaux rires.)
L'indexation des pensions sur les salaires, véritable expression de la solidarité entre générations, est une priorité. Comment admettre que l'on maintienne l'indexation sur les prix au moment de la reprise de la croissance ? Une revalorisation des pensions de 3 % ne grèverait pas le budget de l'assurance vieillesse et ne serait que justice.
Si l'égalité veut que l'on harmonise les durées de cotisation, nous proposons qu'on la rétablisse par le retour aux trente-sept annuités et demie dans le privé.
Quant au financement et à la pérennisation de notre système de retraite, le vrai problème est celui du développement de l'emploi et de la répartition du surplus de richesses produites ; c'est aussi celui de la résorption de la précarité et des bas salaires.
Je rappelle que le besoin de financement des retraites correspond à un taux de croissance de la productivité de 0,5 % par an. A cet égard, la réduction continue de la part des salaires dans les richesses produites devrait conduire à une augmentation des contributions sociales des sociétés.
Nous avons donc, si l'on s'engage dans ces directions, des réponses efficaces aux enjeux posés !
C'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre groupe juge prioritaire la question du développement de l'emploi, condition pour préserver notre système de retraites. C'est d'une volonté politique forte que nous devons faire preuve, s'attaquant aux inégalités, à la précarité, au chômage, mais s'attaquant aussi à la spéculation financière qui ronge l'économie nationale et détruit l'activité, et donc l'emploi.
C'est en ce sens que s'inscrivent les amendements de notre groupe, et plus largement son expression dans le débat national. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention, qui se situera dans le prolongement de celle de Bernard Cazeau, portera essentiellement sur la branche famille.
Mais je veux d'abord saluer les mesures nouvelles et importantes proposées dans ce projet pour les autres branches grâce au redressement confirmé des comptes sociaux et souligner aussi, au-delà du champ de financement du projet, l'augmentation à 3 600 francs du plafond de ressources pour bénéficier de la couverture maladie universelle. Cela permettra l'extension de la CMU à des foyers modestes. Trois cent mille personnes supplémentaires seront concernées. C'est une nouvelle avancée.
Pour s'en tenir au projet de loi en discussion, un effort important est fait en faveur de l'assurance maladie avec une augmentation de l'ONDAM de 3,5 %, après « rebasage ». On peut certes discuter ce mode de calcul, mais il faut bien permettre une appréciation plus réaliste des évolutions et donner plus de souplesse, surtout en période de forte croissance. Il faut également se féliciter de la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes de l'amiante.
La branche vieillesse bénéficie aussi de mesures tout à fait appréciables, avec l'augmentation de 2,2 % des retraites, 2,7 % même pour les cinq millions de retraités non imposables. Il faut également souligner la revalorisation de 2,2 % du minimum vieillesse.
Dans ce projet de loi, la famille n'est pas oubliée. Au contraire, elle fait l'objet d'une attention particulière. C'est ainsi que les engagements pris lors de la dernière conférence de la famille, le 15 juin 2000, sont tenus.
Grâce à un retour à l'équilibre, et même à un excédent de près de 7 milliards de francs, la politique familiale peut prendre un nouvel élan, notamment dans le domaine de la garde des jeunes enfants et dans celui des aides au logement.
Nous n'oublions pas que la priorité avait été donnée à l'accueil de la petite enfance.
Les élus locaux comme les associations et les familles apprécieront la création d'un fonds d'investissement pour les crèches. Il sera doté de 1,5 milliard de francs afin d'accélérer la réalisation de nouvelles places. (Murmures sur les travées du RPR.)
Nous apprécions que ce fonds soit immédiatement abondé et que des dispositions soient prises pour favoriser la souplesse du fonctionnement des crèches, avec des horaires d'ouverture élargis, le multi-accueil, l'accueil d'urgence. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
Quand on sait que seulement 9 % des enfants de moins de trois ans bénéficient d'une garde collective, type crèche, on mesure le chemin qui reste à parcourir.
M. Philippe Nogrix. C'est dépassé les crèches !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Mais non !
M. Philippe Nogrix. Personne n'en veut plus !
M. Gilbert Chabroux. Les enquêtes du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, le CREDOC, montrent clairement que les familles demandent de plus en plus des aides à la structure plutôt que des aides à la personne. La dimension éveil à la vie sociale, à la socialisation est maintenant largement prise en compte. Ce mode de garde doit donc désormais se développer beaucoup plus.
Il est nécessaire de lui apporter des aides accrues car il coûte cher. Mais n'est-ce pas le rôle de la CNAF, qui ne consacre, rappelons-le, que 5 % de son budget à l'action sociale, la quasi-totalité, 95 %, allant aux prestations légales ?
M. Philippe Nogrix. C'est son rôle !
M. Gilbert Chabroux. Ne faudrait-il pas corriger progressivement ce déséquilibre ?
Dans un premier temps, l'augmentation de 1,7 milliard de francs du fonds d'action sociale pour aider au fonctionnement des crèches et des centres de loisirs est la bienvenue. Cela ne doit cependant pas empêcher, comme cela est prévu par l'article 14 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'aider les familles qui ne peuvent y avoir recours et qui font appel à une assistante maternelle agréée. L'aide est ainsi sensiblement augmentée pour les familles modestes afin de leur permettre d'avoir réellement le choix des modes de garde.
M. Philippe Nogrix. Ça, c'est bien !
M. Gilbert Chabroux. La garde par une assitante maternelle agréée n'était pas accessible à tout le monde. De 30 000 à 40 000 familles supplémentaires devraient bénéficier de cette aide.
M. Philippe Nogrix. Cela, c'est mieux !
M. Gilbert Chabroux. Parmi les prestations qui jouent un rôle important, il y a l'allocation de rentrée scolaire, que personne ne conteste.
La majoration, le quadruplement même, décidée par le gouvernement de Lionel Jospin en 1997, semble maintenant satisfaire tout le monde. La question que pose notre rapporteur, M. Jean-Louis Lorrain, concerne d'ailleurs non le montant de l'allocation, mais sa compensation, puisqu'elle était prise en charge par le budget de l'Etat.
Il faut le reconnaître, cette allocation est devenue une véritable prestation sociale - ce fut le cas pour d'autres prestations - depuis qu'elle a été étendue à toutes les familles d'un enfant qui remplissent les conditions de ressources. Il est donc normal qu'elle revienne à la branche famille.
La Cour des comptes considère d'ailleurs que la mise en oeuvre du transfert de l'allocation de rentrée scolaire à la CNAF va dans le sens d'une meilleure appréhension de la réalisation des lois de financement de la sécurité sociale.
Je crois par ailleurs que l'on pourrait s'interroger sur la progressivité de cette allocation du primaire au collège et au lycée. Elle pourrait même être majorée pour le lycée professionnel, des familles modestes devant acquérir du matériel coûteux.
Par ailleurs, l'article 15 du projet de loi prévoit la création d'un congé, assorti d'une allocation de présence parentale, pour les parents devant soigner leur enfant gravement malade ou assurer une présence. C'est un problème douloureux, tout comme celui de l'accompagnement des personnes en fin de vie.
M. Alain Gournac. Lucien Neuwirth y avait pensé !
M. Gilbert Chabroux. Nous en avons en effet discuté lors du débat sur la proposition de loi présentée par M. Lucien Neuwirth, le 15 juin dernier.
Des engagements avaient été pris au Sénat par Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, et, le même jour, devant la conférence de la famille, par Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance.
Ces engagements sont tenus. Ils constituent des mesures nouvelles particulièrement importantes de ce projet de loi.
Les modalités prévues pour le congé et l'allocation de présence parentale paraissent tout à fait adaptées. Elles offrent en effet un cadre juridique protecteur grâce au maintien de la protection sociale pendant le congé, à la garantie de retrouver son emploi, à la reconnaissance d'un statut sans risque de licenciement.
C'est une avancée que nous approuvons tous, j'en suis sûr.
Il faut aussi se féliciter que l'allocation parentale d'éducation puisse être cumulée dans certaines conditions avec un revenu professionnel. Il convient en effet de favoriser la reprise d'activité du parent bénéficiaire de l'allocation de présence parentale. Nous savons le risque que fait courir à la carrière professionnelle un arrêt prolongé de l'activité.
L'article 16 du projet de loi, qui prévoit le transfert progressif de la majoration de pension de 10 % servie aux parents de trois enfants ou plus du fonds de solidarité vieillesse à la branche famille, mérite qu'on y porte une attention particulière. Ce dispositif représente, en 2001, 2,9 milliards de francs. A terme, dans sept ans, il atteindra 20 milliards de francs. On comprend donc les arguments de ceux qui craignent que la politique familiale ne soit amputée d'une partie des moyens qui lui sont nécessaires.
Mais il faut bien reconnaître que ces majorations de pensions pour enfants à charge sont des avantages familiaux différés. Il s'agit d'avantages vieillesse liés à la vie familiale, et le transfert à la branche famille permet sans aucun doute de protéger ces avantages.
Toutefois, si le principe est indiscutable, il faut regarder de plus près la manière de procéder et, sans doute, aménager et améliorer ce dispositif en lien étroit avec les partenaires de la politique familiale et la Caisse nationale des allocations familiales.
Il faut aussi souligner, dans le domaine du logement social, l'effort consenti par le Gouvernement, qui s'est employé à réaliser la réforme des barèmes « par le haut », c'est-à-dire par une augmentation très importante de l'enveloppe globale.
Tout n'est pas dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais nous ne pouvons pas ignorer l'ampleur de cet effort car le droit de se loger est un droit fondamental des familles. Au total, 4,8 millions de ménages bénéficieront d'une aide supplémentaire de 1 300 francs par an, en moyenne.
On constate, enfin, comme nous l'appelions de nos voeux, une simplification et une harmonisation des barèmes des aides personnelles.
Il reste un problème qui n'est pas pris en compte, celui des jeunes adultes déstructurés.
Le temps libre des jeunes est devenu un enjeu social important. Il existe bien les contrats « temps libre » qui peuvent être signés avec les caisses d'allocations familiales et qui permettent d'aider les collectivités accomplissant un effort. Mais il ne s'agit pas de la même tranche d'âge ni des mêmes problèmes.
Cela dit, il faut engager une réflexion plus large. Ce doit être le thème de la prochaine conférence de la famille. Alors qu'a été et qu'est réalisé un effort important pour la petite enfance et les différents modes de garde des jeunes enfants, il faudrait pouvoir considérer maintenant le créneau des jeunes adultes.
Peut-on formuler la proposition selon laquelle, si des excédents étaient dégagés par la CNAF sur l'année 2000, au-delà des prévisions qui ont été faites, comme cela a été le cas au cours de l'année 1999 pour le fonds d'investissement pour les crèches, ils seraient prioritairement affectés à ce secteur qui a été, jusqu'à présent, relativement délaissé ?
Madame la secrétaire d'Etat, nous savons bien que la politique familiale est un tout. Elle ne se limite pas au budget de la branche famille de la sécurité sociale. De nombreux ministères y participent : l'éducation nationale dans les zones d'éducation prioritaire, la politique de la ville, la justice avec la réforme du droit de la famille, l'emploi avec, entre autres, les emplois-jeunes, la santé et la solidarité, la culture, la jeunesse et les sports, et d'autres encore.
Les années précédentes, la majorité sénatoriale avait pratiqué des coupes claires dans les budgets de ces ministères : 26 milliards de francs de crédits avaient été supprimés en 1999. Quand on sait à quel point ces secteurs participent à une véritable politique familiale, on peut s'interroger sur la pertinence et la cohérence des positions et des intentions de la droite sénatoriale.
Il faudrait parler aussi des avancées que représentent, pour de nombreuses familles, des lois comme la loi d'orientation, de prévention et de lutte contre les exclusions, la loi relative à la couverture maladie universelle et, également, la loi sur les 35 heures, que la droite n'a pas votées.
Une véritable politique familiale suppose que l'on agisse dans tous les domaines pour créer un environnement favorable aux familles. C'est ce que fait le Gouvernement.
Mes chers collègues, mesurons bien les changements intervenus en trois ans et demi.
Souvenez-vous que le déficit de la branche famille s'établissait à 14 milliards de francs en 1997. Mesurons bien les efforts accomplis et les résultats obtenus. Le paysage s'est transformé, assaini, éclairci. L'équilibre de la sécurité sociale est rétabli.
Tout se tient et nous savons bien qu'il n'y a pas de politique familiale sans la maîtrise des dépenses de santé ou, alors, il ne s'agit que de discours.
Madame la secrétaire d'Etat, la politique familiale rénovée et ambitieuse qui est définie et mise en oeuvre par le Gouvernement depuis 1997, en concertation avec les associations familiales et les syndicats, fait l'objet d'une large approbation dans le pays. Nous en avons eu la preuve lors de la dernière conférence de la famille. Les engagements de cette conférence ont été tenus. Il devrait en être de même aujourd'hui.
Madame la secrétaire d'Etat, le groupe socialiste vous apportera son soutien le plus chaleureux. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai souvent eu le sentiment, face à l'évolution accélérée du monde, que nos sociétés étaient en retard sur notre temps, sentiment qui va de pair avec l'adage selon lequel les seuls combats que l'on perd sont ceux que l'on ne mène pas.
C'est pourquoi je veux aborder ce soir un point précis, l'un de ces combats que l'on mène mal, peut-être parce que la France n'a pas encore de ministère de la santé à part entière, ce qui me désole une fois de plus, et vous voudrez bien m'en excuser, mes chers collègues.
La campagne de prévention et de lutte contre le sida a démontré que, lorsqu'il existait une volonté profonde de la population combinée avec une volonté gouvernementale d'agir dans le même sens, une telle campagne s'avérait efficace. Dans le cas de la lutte contre le cancer, présentée pourtant comme une priorité nationale, on constate que la politique mise en oeuvre est déficiente, voire inexistante, dans un nombre considérable de départements, et je vais tenter de le démontrer.
Plus grave, le rapport de septembre 2000 de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale remis au Parlement dresse un bilan alarmant de la situation en ce qui concerne le cancer.
On y lit - nous le savions déjà, hélas ! - que le cancer est la deuxième cause de mortalité en France et la première cause de décès prématuré avant soixante-cinq ans, que le nombre de nouveaux cas diagnostiqués dans l'année est passé, depuis 1975, de 171 000 à 250 000 ; que l'incidence estimée de cancers en France a augmenté de 40 % en vingt ans ; que la probabilité pour les femmes d'avoir un cancer au cours de leur vie s'élève aujourd'hui à près de 37 % ; que la prévalence des cancers devrait mécaniquement s'accroître au cours des années à venir du fait du vieillissement des populations ; enfin, que les disparités régionales sont très marquées, notamment dans la moitié nord du pays ; ailleurs aussi, hélas !
Si le plan gouvernemental de lutte contre le cancer, que j'ai ici et qui a été annoncé le 1er février 2000, apparaît cohérent, puisqu'il intègre recherche, prévention, dépistage, soins et aide aux malades, les insuffisances relevées par la Cour des comptes démontrent que les moyens sont loin d'être à la mesure des enjeux. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Lucien Neuwirth. Les sources susceptibles de fournir des informations sur l'ampleur du fléau et sur sa prise en charge ne sont pas coordonnées. En outre, elles sont rarement recoupées entre elles et sont incomplètes.
Ainsi, l'information nécessaire à l'élaboration d'une politique cohérente de lutte contre le cancer, que j'appelle de mes voeux, n'est pas disponible. Il est donc impossible à ce jour de corréler ce qui paraît indispensable, à savoir les besoins de santé et l'offre de soins. Il n'est pas possible aujourd'hui d'identifier le nombre de lits ou de places utilisés au titre des soins en cancérologie. Aucune approche globale ni quantitative n'est prévue. Qu'on me prouve le contraire !
Selon le rapport : « La statistique annuelle des établissements, qui décrit l'équipement des établissements de santé publics et privés, ne permet pas de connaître le nombre de lits et de places consacrés au traitement des cancers. [...]
« La part des dépenses ou des personnels affectés à la lutte contre le cancer n'est pas davantage identifiée. Hormis pour les centres de lutte contre le cancer spécialisés dans le traitement de ces pathologies - tel le centre Léon-Bérard à Lyon - et les équipements spécifiques de radiothérapie, il est impossible d'identifier les moyens consacrés par les établissements de santé à la lutte contre les cancers.
« En l'absence de codage des actes et des pathologies, il n'est pas davantage possible de connaître la part de l'activité de médecine de ville consacrée à la cancérologie, qu'il s'agisse de prévention, de dépistage ou de prise en charge diagnostique ou de thérapeutique. »
Les moyens financiers engagés tant pour la prévention que pour le dépistage sont mal connus ; ceux qui sont consacrés aux soins sont encore plus difficiles à évaluer.
Sur le plan communautaire, le troisième programme d'action inscrit, doté de 92 millions de francs en 1999 - « L'Europe contre le cancer » -, a contribué au financement de trente-cinq projets, dont un seul d'initiative française, dans les domaines de la collecte de données, de l'éducation pour la santé, de la prévention et de l'assurance qualité du dépistage et des soins. Si la France participe à de nombreux projets pilotés par d'autres pays, elle n'est que rarement à l'origine de projets impliquant plusieurs membres de l'Union européenne. Cette situation serait due au rôle très limité que joue la direction générale de la santé en matière d'impulsion, de coordination et de suivi des projets.
Pourtant, les enquêtes sectorielles conduites sur le plan local et relatives à la connaissance de l'offre de soins existent. Simplement, leur exploitation au niveau national n'a pas été développée. Il est urgent de donner les moyens de développer les travaux sur l'évaluation du système de soins, afin de pouvoir en savoir plus sur les pratiques de prévention et de dépistage des professionnels de santé, et effectuer des études sur le coût et l'efficacité des programmes de dépistage.
C'est pourquoi je souscris aux recommandations de la Cour des comptes visant à augmenter les moyens consacrés à la prévention, à condition qu'une évaluation stricte de la qualité et de l'efficacité des actions menées soit engagée. A cet égard, la proposition d'accroître la part des recettes sur le tabac affectée à l'assurance maladie me paraît plus qu'intéressante.
La situation que je viens de décrire résulte principalement du cloisonnement du système de santé pour ce qui concerne le dépistage, la formation des professionnels et l'information des patients.
En effet, si le malade est libre de choisir son médecin, il est face à une multitude de centres littéralement « atomisés ». Or la qualité de la prise en charge du patient est très fortement influencée par le premier accès au système de soins. Mais aucune information n'est mise à la disposition du patient alors qu'on lui laisse l'initiative de la première démarche !
L'Etat et l'assurance maladie devraient mieux travailler ensemble pour combiner une approche de pathologie, une approche par population et une approche par producteur d'actes, qu'il s'agisse de prévention, de dépistage, de diagnostic ou de traitement.
Ce qui paraît invraisemblable en ce début de xxie siècle, c'est la scandaleuse absence de structure spécialisée pour les pathologies - notamment pour le cancer - dans les deux grandes directions - la direction générale de la santé et direction des hôpitaux - ce qui ne facilite pas le rapprochement des points de vue.
La Cour des comptes souligne, à ce sujet, la faiblesse des moyens consacrés par la direction générale de la santé à la politique de lutte contre le cancer. Savez-vous, mes chers collègues, combien de personnes s'y consacraient au début de l'année 2000 ? Deux !
Cela explique sûrement pourquoi la circulaire du 24 mars 1998 sur l'organisation des soins en cancérologie est au point mort. Elle devait permettre la mise en place progressive de la gradation en trois niveaux des structures de soins dans les établissements publics et privés. Leur mise en oeuvre par les schémas régionaux d'organisation sanitaire - pour autant qu'elle implique de faire des choix entre les établissements hospitaliers - ne sera que progressive.
De même, la constitution en réseaux, pourtant prévue par la loi, n'est pour l'instant qu'une faculté offerte aux professionnels de santé. Une faculté ! La normalisation des soins à travers l'élaboration de référentiels et de protocoles se développe toujours actuellement en ordre dispersé. Les variations constatées du contenu des référentiels dans les établissements illustrent l'absence d'une politique organisée de qualité des soins.
Le secrétariat d'Etat à la santé n'a toujours pas appliqué les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sur l'organisation des programmes de dépistage, devenu l'article L. 1411-2 du code de la santé publique. N'est toujours pas publié notamment, à ma connaissance, le décret fixant la liste des examens et des tests de dépistage qui ne peuvent être réalisés que par des professionnels et des organismes conventionnés.
Enfin, la Cour des comptes dénonce ce que j'ai pu moi-même constater dans mon département : les distorsions liées au système actuel de tarification et de financement. Elle préconise d'actualiser la nomenclature de radiothérapie, d'harmoniser le niveau de financement de la chimiothérapie dans les secteurs public et privé, en veillant à mieux prendre en compte des coûts fortement croissants.
Ce n'est malheureusement pas tout...
Le professeur Israël indiquait récemment que la moitié du parc français des mammographies était obsolète ; je dis bien : la moitié !
Pour ce qui concerne la formation des radiothérapeutes, trente nouveaux devraient être formés par an pour maintenir le réseau de soins existant. Malheureusement, trois seulement sortent des écoles chaque année, du fait de la non-attractivité des études.
Pour illustrer mon propos, je citerai, parce qu'il faut parler de ce que l'on connaît bien, l'exemple de mon département, la Loire. La situation de la cancérologie illustre trop bien les disparités qui existent entre départements et même entre régions.
Le déficit des budgets hospitaliers publics et privés ne permet pas l'utilisation de nouveaux médicaments plus efficaces et moins toxiques. Il n'existe aucune possibilité d'investissement pour les remises à niveau du plateau technique de radiothérapie ; le dernier investissement date de 1995 ! La Loire perdra, à la fin 2000, les deux seules autorisations de chambre de curiethérapie. La nomenclature des actes de radiothérapie date de 1972, époque de la bombe au cobalt. La nouvelle nomenclature et le nouveau catalogue des actes médicaux sont en préparation depuis cinq ans, ce qui explique, pour partie, l'absence de radiothérapie dans les hôpitaux privés de ce département. Ne parlons pas de la vétusté du parc des appareils : quatre accélérateurs sur cinq sont âgés de plus de quinze ans, tous concentrés dans les hôpitaux publics ou participant au service public hospitalier. On constate un déficit d'équipement d'imagerie - IRM, scanner - et il n'existe aucun appareil de radiothérapie équipé d'un système d'imagerie portable.
En l'état actuel, le fait de résider dans un département défavorisé fait perdre aux patients cancéreux des chances de guérison, en dépit de tous les efforts, de la bonne volonté des personnels médicaux et soignants en charge des patients.
Ce n'est pas tolérable. C'est pourquoi il est indispensable de revoir la politique de lutte contre le cancer dans notre pays, de se donner enfin les moyens de la mettre en oeuvre grâce à un ministère de la santé à part entière disposant d'un budget et de personnels à la hauteur des enjeux de santé publique, et de sortir de ce système doté d'un trop modeste secrétariat d'Etat sous tutelle. Il est même permis de se demander parfois si ce n'est pas sous la tutelle de ses propres directions !
Je veux aborder maintenant le problème du cancer du sein.
Aujourd'hui, aucune personne de bonne foi ne peut mettre en doute le fait que le cancer du sein est devenu un enjeu de société. Nous avons désormais techniquement les moyens, à travers un dépistage précoce de masse et l'amélioration des traitements, de faire changer les choses. C'est la première cause de décès par cancer chez les femmes : 19 %.
Il nous faut d'abord faire entrer le dépistage du cancer du sein dans les consciences et dans les mentalités. Comme la douleur, le cancer n'est ni de droite ni de gauche, c'est un fléau à combattre ensemble. Il frappe une femme sur dix.
A cet égard, je partage tout à fait l'avis de M. Bernard Kouchner quand il affirmait : « Les politiques ont besoin du pouvoir d'influence des malades pour que notre système de soins change et s'humanise. »
J'ajouterai que ce système a besoin non seulement de l'action militante d'associations telles que le Comité féminin de la région de Paris, qui a tenu un colloque ici au Sénat le 23 octobre dernier sur le dépistage du cancer du sein, de la Ligue contre le cancer, qui mérite tout notre soutien, et d'autres associations encore, mais aussi du témoignage irremplaçable des médecins de toutes les disciplines concernées, des généticiens, des personnels soignants.
Des réunions telles que celle qui s'est tenue récemment au Sénat, grâce à la participation de praticiens éminents et renommés qui vont traiter du problème dans toutes ses dimensions, établissent la crédibilité de l'action engagée en faveur du dépistage précoce et de masse du cancer du sein. Oui, de masse, car les femmes représentent la moitié de notre société.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui !
M. Lucien Neuwirth. Grâce aux connaissances modernes, nous savons qu'un cancer du sein a un développement très lent, de sept ans au minimum. Des travaux allemands et anglo-saxons ont démontré que la majorité des cancers du sein commençait à se former dès l'âge de trente-huit à quarante ans. Certains d'entre eux évoluent très vite et se manifestent aussitôt entre quarante et cinquante ans ; d'autres, nés à la même date mais d'évolution moyenne, se manifestent entre cinquante ans et soixante ans en raison des modifications hormonales, voire entre soixante et soixante-dix ans.
Le dépistage au stade le plus petit de la tumeur est capital : d'une part, parce que la tumeur prise à ses débuts a toutes les chances d'être éradiquée ; d'autre part, parce que le traitement sera moins lourd, plus efficace et épargnera des souffrances à la femme.
Il est parfaitement établi aujourd'hui que le cancer du sein reconnu précocement, avant que la tumeur n'atteigne la taille de dix à douze millimètres, est guérissable. Le cancer du sein ne se prévient pas ; il se dépiste.
Comme le professeur Jasmin, éminent cancérologue à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, je suis personnellement convaincu de l'évidente obligation d'un dépistage précoce du cancer du sein.
En effet, le taux de survie est de 90 % à cinq ans quand le cancer a été découvert à un stade précoce et ne présente aucune métastase ou envahissement ganglionnaire.
Un dépistage à partir de cinquante ans n'est pas suffisant. C'est oublier que, chez les femmes plus jeunes, on estime que le cancer du sein diminue la durée de vie de 40 % environ.
Il est donc indispensable de mettre en place un dépistage systématique du cancer du sein chez les jeunes femmes, dès l'âge de quarante ans. Les progrès de l'imagerie médicale nous y encouragent et sont porteurs d'espoir.
Je suis particulièrement frappé de la qualité et de la précision du rapport de la Cour des comptes, qui, cette année, ne s'est pas contentée, comme chaque année, du classique état des lieux comptable, mais a choisi d'émettre un avis très critique et inhabituel - M. le président Joxe m'a précisé qu'il tenait à ce que cet avis soit donné - et a proposé des recommandations sur la politique, je dirais plutôt sur l'absence d'une véritable politique active suivie de prévention et de dépistage du cancer en France.
Dans l'Hérault, par exemple, 24 % des cancers sont détectés chez les femmes de quarante-neuf ans.
Parlons maintenant du programme national de lutte contre le cancer du 1er février 2000, que vous avez présenté, madame le secrétaire d'Etat.
Il est prévu un dépistage pour les femmes de cinquante à soixante-quatorze ans par mammographie. Or - écoutez-moi bien, mes chers collègues, ce point est important - trente deux départements seulement disposent d'un tel programme de dépistage. Le cahier des charges de 1999 n'est pas appliqué. Les moyens sont dérisoires : 2 millions de francs sont alloués à la formation des professionnels et aux études de mobilisation de la population.
S'agissant du dépistage du col de l'utérus, il n'existe que quatre sites expérimentaux. C'est dérisoire !
L'objectif n° 5 est un bon objectif. Il s'agit d'évaluer le dépistage et son impact sur la maladie.
Cette année, l'institut de veille sanitaire accompagnera l'extension du programme de dépistage avec quoi ?... avec 400 000 francs pour les trente-deux départements ; somme dérisoire !
Un programme d'études sur les facteurs favorisant l'utilisation des programmes de dépistage sera mis en place. Mais quand ?
L'objectif n° 3 est de favoriser en permanence la qualité de la prise en charge. Je suis d'accord avec cet objectif.
Il s'agit de renforcer l'équipement en radiothérapie, la France ne disposant que de 183 sites, soit de 367 appareils.
La seule mesure nouvelle, c'est l'augmentation, dès cette année, dans la carte sanitaire, de l'indice de besoin, qui permettrait l'installation de 100 nouveaux appareils.
Il s'agit aussi de mieux prendre en compte l'évolution de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Mais quels moyens existent pour remplir ces objectifs auxquels nous adhérons tous ?
Un groupe de travail « Soins 2000 » a été mis en place pour formuler des propositions au second semestre de l'année 2000. Où en sont ces propositions ?
Quels sont les moyens mis en place pour améliorer la prise en charge initiale, pour l'information sur les modalités du traitement et les différents dispositifs de prise en charge médico-sociale ?... On retrouve le même groupe de travail « Soins 2000 », qui en est encore aux balbutiements, c'est le moins qu'on puisse dire !
J'apprécie particulièrement l'objectif n° 4 : améliorer les conditions de vie et garantir les droits des malades. Pour le soutien psychologique, le travail en réseau, dix millions de francs seront affectés, à partir de 2001, au recrutement de psychologues.
En ce qui concerne les soins palliatifs, 75 millions de francs en 2000 et 75 millions de francs en 2001 seront affectés au développement des structures, 37 millions de francs, répartis sur 2000 et 2001, seront dégagés au titre du fonds national d'action sanitaire et sociale, enfin, 450 000 francs seront destinés à la réédition du livret d'information sur les soins palliatifs.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte, madame le secrétaire d'Etat, pour demander où en est le décret d'application qui permettrait de sortir du paiement à l'acte pour les équipes de soins palliatifs. On l'attend depuis juin 1999, ce fameux décret ! (Mme le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Si ! On l'attend depuis juin 1999 ce décret qui doit permettre de sortir du paiement à l'acte, ce qui ne tient pas dans une équipe de soins palliatifs. Demandez à la CNAM ! Elle sait comment faire ! Elle a déjà l'expérience pour d'autres disciplines.
Pour généraliser la prise en charge de la douleur chez les patients cancéreux et renforcer la formation des professionnels en faveur des populations les plus fragiles, 0,5 million de francs par an seront dégagés pour la formation alors que 10 millions à 15 millions de francs seront consacrés aux schémas régionaux d'organisation des soins.
Madame le secrétaire d'Etat, ce n'est plus possible ! Le moment est venu d'entreprendre une action forte, le volontarisme se manifestant à tous les niveaux d'autorité.
En ce début du xxie siècle, le combat contre le cancer est le nôtre, individuellement et collectivement, ou alors, nous acceptons d'être des complices honteux de ce fléau, qui doit reculer, que nous avons les moyens de faire reculer. Mais ces moyens, il faut les mettre en place ! Sur l'ensemble de ces travées, il n'y aura personne pour vous refuser les moyens que vous nous demanderez.
Les bonnes intentions, les effets d'annonce n'ont jamais été que des sabres de bois. C'est d'armes efficaces dont nous avons besoin. Nous sommes prêts à vous donner les moyens de les forger. La balle est dans votre camp. Même la Cour des comptes sera à vos côtés. Alors qu'attend-on ? Madame le secrétaire d'Etat, il faut y aller maintenant ! (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard. (Applaudissements.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la branche accidents du travail et maladies professionnelles participe au résultat excédentaire de la sécurité sociale. L'objectif fixé pour 2000 s'élevait à 54,7 milliards de francs. L'exécution prévisionnelle est inférieure à 53,3 milliards de francs. Tout comme pour les résultats globaux, nous recueillons en ce domaine les fruits d'une croissance riche en emplois et de mesures structurelles engagées avec efficacité, le tout, il faut le souligner, sans augmentation des cotisations et sans « déremboursement ». Ces moyens vont soutenir une politique ambitieuse.
Ce projet de loi comporte, pour la branche accidents du travail, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, création qu'avait annoncée le Gouvernement, le 15 septembre dernier.
Ce fonds complète le dispositif de cessation anticipée d'activité que nous avions mis en place dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Il manifeste la ferme volonté du Gouvernement de répondre au drame que vivent les salariés contaminés par l'amiante ainsi que leur famille.
En effet, au-delà de la douleur des situations individuelles, c'est l'ampleur de la catastrophe qui est saisissante. Certaines prévisions font état de 100 000 décès d'ici à 2025.
Ce fonds a donc pour mission d'assurer l'indemnisation intégrale des victimes de l'amiante. Les coûts d'indemnisation sont évalués à 8 milliards de francs en direction des familles des personnes déjà décédées et à 3 milliards de francs par an pour les victimes de pathologies liées à l'amiante.
Pour 2001, la participation de la branche accidents du travail, donc le financement effectué par les employeurs, sera de 1,5 milliard de francs. Celle de l'Etat s'élèvera à 500 millions de francs.
A cet égard, je ferai une remarque à l'intention du rapporteur pour avis de la commission des finances. Je m'étonne, en effet, qu'après avoir souligné, dans son rapport, le coût très élevé de ce dispositif, il indique qu'il ne soit pas sûr que les entreprises acceptent facilement une éventuelle augmentation des cotisations afin d'assurer, dans l'avenir, l'indemnisation des victimes.
Faut-il rappeler que les cotisations versées au titre des accidents du travail et leur modulation sont précisément assises sur le nombre et la gravité des accidents du travail intervenus dans chaque entreprise ? Le financement de notre système est fondé sur la corrélation entre les dangers encourus par les salariés, les mesures de prévention prises par l'employeur pour les combattre et le poids des prélèvements supportés par les entreprises. Il ne serait donc pas anormal que la sous-estimation, parfois coupable des entreprises, des risques encourus par leurs salariés se traduise, si besoin était, par une augmentation de leurs cotisations.
Constitué en établissement public, ce fonds d'indemnisation améliore à l'évidence les dispositifs existants. En effet, il fonctionne selon le principe d'une indemnisation intégrale et non forfaitaire des préjudices subis.
Il facilite et accélère les procédures d'indemnisation, ce qui est fondamental pour les victimes, qui étaient parfois obligées de se livrer à un parcours du combattant pour prouver les affections dont elles étaient atteintes.
Par ailleurs, ce fonds concerne aussi des victimes qui se sont retrouvées au contact de ce produit en dehors même de leur lieu de travail.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont amélioré son fonctionnement, notamment en abrégeant les délais d'examen et en étendant aux ayants droit le bénéfice d'une indemnisation.
Les sénateurs socialistes présenteront un amendement visant à ce que les personnes ayant vu leur demande rejetée ou ayant obtenu une indemnisation partielle sous l'empire de l'ancien régime puissent saisir le nouveau fonds afin que leur dossier soit réexaminé.
Toutefois des victimes ou leurs représentants se sont manifestés et ont regretté certains principes de fonctionnement de ce fonds. Nous nous devons de comprendre leur message.
Ce qui anime aujourd'hui certaines de ces victimes, c'est la volonté de faire en sorte que, au-delà d'une indemnisation plus juste et plus efficace, l'occultation manifeste par certaines entreprises d'un risque connu soit sanctionnée par la justice.
Il est de notre responsabilité de parlementaires, au-delà de la reconnaissance par la collectivité nationale d'une plus juste réparation du préjudice subi, d'oeuvrer pour que change l'approche de la sécurité au travail.
Il s'agit d'un véritable enjeu de santé publique, qui dépend, en réalité, de la place faite à la santé du travailleur dans le modèle économique de notre société industrielle.
Les dérives du productivisme et de la recherche de la compétitivité sont connues : recherche d'enclaves juridiques ou géographiques, dans lesquelles l'application du droit peut être contournée, recours au travail précaire, à la délocalisation, par exemple.
Ce qui interpelle toute notre société, c'est que ce modèle économique intègre la précarité et la mise en danger comme des données normales de l'existence.
M. Philippe Nogrix. Oh !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Or la dégradation de la santé d'autrui ne peut être considérée comme une donnée du fonctionnement du marché ; en revanche, sa protection est un droit essentiel de la personne, quel que soit son environnement.
Aujourd'hui, c'est l'existence même du risque qu'il nous faut combattre.
Certains parlent de principe de précaution ; dans ce domaine, je préfère parler de prévention. Et si l'application de ce principe paraît parfois particulièrement exigeant, c'est parce qu'il se met en place dans l'urgence et que l'on prend soudainement conscience de dangers qu'il a été plus confortable de ne pas prendre en compte avec la vigueur nécessaire. La responsabilité est collective.
La prévention ne doit pas seulement être une incantation ou ne se limiter qu'à des moyens supplémentaires. Elle est une culture à développer et à faire vivre.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il convient de dépasser la seule logique de l'assurance et de prendre en compte le fait que la culture du risque n'est peut-être pas celle à laquelle aspirent nos concitoyens. Ceux-ci dénoncent de plus en plus la violence des relations sociales, et le sentiment d'insécurité y a sa part.
Pour cela, il faut être capable d'assurer une prévention très en amont. C'est ici la responsabilité des partenaires sociaux et celle de l'Etat, qui arbitre leurs décisions et fixe des normes.
Il s'agit, certes, de mobiliser des moyens, mais aussi de définir un modèle de développement respectueux de cette santé. Or les entreprises ont tendance, trop tendance, à penser qu'elles ne sont pas en capacité de promouvoir un tel modèle. Elles sont prises dans les contraintes du temps et de la concurrence. Elles exploitent les logiques existantes et ne sont pas promptes à remettre en cause leurs modes de fonctionnement au profit de leurs salariés.
De son côté, l'Etat doit entreprendre de nouvelles démarches dans ce domaine.
Nous avons ainsi voté récemment la création d'un outil permettant de soutenir la prévention : l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Nous souhaitons également qu'aboutisse la nécessaire réforme d'un acteur essentiel de cette politique ; je veux parler de la médecine du travail. Plusieurs orientations ont été présentées. Certaines sont intéressantes, comme la mise en place de réseaux ou la redéfintion des moyens d'action en matière de prévention dans le milieu de l'entreprise. Il conviendra de les approfondir.
Il faut également que la reprise permette d'offrir de meilleures conditions de sécurité aux travailleurs : diminution des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour ce qui nous concerne ici. Mais on peut aussi penser à l'augmentation du pouvoir d'achat individuel ou à la diminution du temps de travail, à la résorption de l'emploi précaire et du recours au travail intérimaire.
Cela étant, lorsqu'on regarde les chiffres de l'évolution des accidents du travail et des maladies professionnelles, on mesure les efforts qui sont encore à réaliser.
Ces chiffres, qui avaient diminué, sont, depuis 1998, en augmentation. En effet, la reprise économique et le retour à l'emploi voient des jeunes, souvent insuffisamment préparés, occuper certains postes de travail. Je peux également évoquer le recours accru à la sous-traitance ou au travail intérimaire. Or, les acteurs de la prévention des accidents du travail nous le disent, c'est en particulier chez ces salariés que l'on trouve une fréquence accrue de ces accidents.
Par ailleurs, soyons vigilants sur les modalités introduites en matière d'aménagement du temps de travail afin qu'elles ne se traduisent pas pour les salariés par une intensification des rythmes du travail, souvent à l'origine d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ; je pense en particulier aux troubles musculo-squelettiques et aux lombalgies.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la branche accidents du travail et maladies professionnelles dégage des excédents qui nous permettent aujourd'hui de faire face à une responsabilité majeure : l'indemnisation des victimes de l'amiante.
Souhaitons que, collectivement, nous sachions tirer les enseignements de ce que nous tentons de réparer aujourd'hui à travers la mise en place de ce fonds. Que de nouvelles démarches incitent à rénover la prévention en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui est devenu un rendez-vous habituel au Parlement, revêt cette année un relief tout particulier avec le départ de Mme Aubry vers des terres plus septentrionales...
Je veux tout d'abord, madame la secrétaire d'Etat - mais mon propos s'adressait plus particulièrement à Mme Guigou - saluer votre esprit de solidarité, qui vous fait assumer ce projet de loi dont la maternité ne vous revient pas.
Mais j'imagine que la solidarité gouvernementale et les liens privilégiés qui unissent Lionel, Martine, Laurent (Sourires) et vous-même...
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Et Elisabeth ! (Nouveaux sourires.)
M. Bernard Fournier. ... vous conduisent à vous inscrire dans la lignée de la susnommée.
Mon intervention se déroulera en deux temps : je parlerai d'abord de la méthode et des objectifs, puis du fond, en évoquant ce qui me semble un exemple topique des insuffisances de ce texte à travers la couverture médicale universelle.
Outre le départ de Mme Aubry - qui plus est à la veille de la discussion du texte phare de son ministère -, la méthode du Gouvernement dans la préparation de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale me semble révélatrice de trois faiblesses : impréparation, absence de concertation et dogmatisme.
Ce projet révèle en effet une rare impréparation, qui apparaît notamment lorsque l'on considère le nombre d'amendements déposés par les rapporteurs des commissions de l'Assemblée nationale. Il convient d'ailleurs de souligner - une fois n'est pas coutume ! - l'ampleur du travail exécuté par M. Claude Evin dans la réécriture de ce projet de loi.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Il a été ministre !
M. Bernard Fournier. Un de mes collègues députés l'a déjà fait, mais j'ai pu constater que l'exercice était effectivement d'une telle ampleur qu'il méritait qu'on y revînt.
Cependant, l'examen des députés n'a pas purgé le texte des incohérences qu'il contient.
Il semble que la rapidité avec laquelle ce projet de loi a été élaboré ait conduit le Gouvernement à oublier des impératifs incontournables. Sur cet aspect, nous avons déjà demandé au Conseil constitutionnel de se prononcer, et les sages nous ont donné raison. J'évoquerai deux points.
Le principe constitutionnel de sincérité budgétaire disparaît dans le flou artistique des financements croisés, des transferts de charges, des transferts de taxes, lesquels sont devenus si complexes que c'est à ne plus rien y comprendre.
Vous financez les 35 heures par des prélèvements précédemment réservés à la CNAM, et ce n'est qu'un exemple. Ainsi, le gouffre de la réduction du temps de travail s'impute également sur les budgets sociaux.
Je ne ferai qu'évoquer la fameuse TGAP. Vous nous aviez dit que s'y appliquait par excellence le sacro-saint principe « pollueur-payeur », principe que l'on retrouve aujourd'hui un peu partout : l'an dernier, dans la loi de financement de la sécurité sociale, cette année dans le collectif budgétaire.
En fin de compte, je pourrais être d'accord - une fois n'est pas coutume - avec M. Aschieri, député Vert, qui souhaitait voir quand même un jour cette « taxe baladeuse » financer des dépenses ayant un lien avec la défense de l'environnement.
Par ailleurs, je vous rappelle que le Conseil constitutionnel invalide systématiquement les dispositions prévoyant des sanctions collectives à l'égard des professions de santé, mesures que vous aviez déjà projetées lors d'un précédent exercice. Mais peu vous chaut ! Vous voici avec la même notion, déguisée en « lettre clef flottante » : ce n'est, à mon avis, respectueux ni des professionnels ni du Parlement.
Et c'est peut-être là le vice essentiel de ce texte : il fait fi de l'avis des intéressés.
En effet, ce projet de texte n'a fait l'objet, me semble-t-il, d'aucune véritable concertation.
Le Gouvernement nous rebat les oreilles avec la concertation. De quelle concertation parle-t-on ?
On nous a expliqué que la méthode Jospin était presque une dialectique, que c'était une nouvelle façon de concevoir le débat avec les forces vives de la nation : « Je propose, on vous écoute et nous synthétisons. » Beau programme, mais qui ne résiste pas à l'épreuve de l'examen.
En effet, à l'usage, que constatons-nous ?
M. Claude Domeizel. La réussite !
M. Bernard Fournier. Sur un grand nombre de dossiers, un manque criant de concertation est dénoncé. Elus locaux, enseignants, artisans, restaurateurs, monde agricole, transporteurs, professions libérales, et maintenant monde de la santé, tous investissent nos permanences pour nous alerter : « On ne nous écoute pas, tout vient d'en haut. » Ce n'est pas moi qui vous le dis, ce sont eux, ces professionnels, qui viennent à notre rencontre.
La dialectique est devenue, me semble-t-il, un monologue... A moins que je ne donne pas le même sens au mot « concertation » que celui qui a été retenu par le Gouvernement...
Peut-être s'agit-il d'une concertation interne à la majorité plurielle, visant à masquer ses divergences profondes sur des textes fondamentaux ?
Serait-ce cela, la méthode du Gouvernement : gérer le grand écart entre le parti communiste et les Verts, tenter de faire la synthèse entre les jacobins et les libéraux du parti socialiste ? Mais, à ce prix, on finit par oublier la vraie concertation : celle qui doit être pratiquée avec les principaux intéressés, à savoir les professionnels.
Je prendrai un seul exemple, celui des kinésithérapeutes : la cotation de leurs actes est ramenée au tarif de 1997. Or que font-ils ? Ils agissent sur prescription ! C'est-à-dire qu'ils n'ont pas de prise sur le volume de leur activité, et l'accord de la caisse d'assurance maladie est requis pour qu'ils puissent intervenir sur un patient.
Comment peut-on leur imposer une lettre clef flottante quand leur pouvoir d'achat ne cesse de se détériorer ?
Mais ce n'est là qu'une illustration parmi d'autres : le sort qui est fait aux infirmiers libéraux est inacceptable, tant leur activité est liée à la prise en charge de la dépendance, dont vous parlez fort bien, mais à laquelle aucun moyen n'est conféré.
En un mot, madame la secrétaire d'Etat, ce texte est dogmatique. Il révèle un esprit de système caractérisé. Il ignore la réalité du terrain, la négociation, l'individu, le patient, le médecin. Il ne retient que des chiffres, des pourcentages.
Ce projet de loi est un fossile du centralisme démocratique ! (M. Fischer s'esclaffe.)
Tout doit être décidé au plus haut niveau : sanctions collectives, rationnement des soins, décisions unilatérales, maîtrise purement comptable des objectifs.
Tout concourt à nous faire voir dans ce texte un manuel du parfait socialisme le plus désuet.
La critique est sévère, certes, mais, je crois ne décrire là qu'une réalité évidente.
A moins que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne soit, pour le Gouvernement, qu'un outil de bricolage budgétaire permettant de dissimuler quelque chose, j'allais dire de « bidouiller ». A moins qu'il ne s'agisse que d'un instrument destiné à organiser des transferts de charges permettant de masquer l'évolution réelle de la dépense publique et d'empêcher la représentation nationale d'en avoir une vision cohérente, une vision d'ensemble.
Mais je n'ose le croire de la part d'un gouvernement qui a été si respectueux du Parlement, l'an passé, à propos des excédents budgétaires...
J'en viens au fond, et ma critique portera une fois encore sur l'absence de vision prospective de la majorité plurielle, qu'illustre le problème de la CMU, sur lequel le Gouvernement ne veut pas, me semble-t-il reconnaître son erreur.
Je veux évoquer ici la situation ubuesque à laquelle nos concitoyens se trouvent confrontés du fait de cet esprit centralisateur que vous avez fait prévaloir. Ce serait risible si ce n'était pas dramatique, car cela touche les populations les plus fragiles : une loi de lutte contre les exclusions qui conduit à la marginalisation des plus modestes d'entre nous !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. N'importe quoi !
M. Bernard Fournier. Certes, madame la secrétaire d'Etat à la santé, vous ne cessez de nous expliquer que vous avez raison et que nous avons tort. C'est de bonne guerre ! Seul change le ton sur lequel vous répondez selon que vous argumentez face à notre collègue Charles Descours ou à une députée communiste.
Cependant, il est temps, madame la secrétaire d'Etat, d'entendre le consensus qui se dégage à propos de la perversité des effets de seuil de la CMU, et le parti socialiste ne peut rester plus longtemps arc-bouté sur sa position actuelle.
Je me permets de vous rappeller que, dans plusieurs départements, dont Paris, il existait précédemment un dispositif d'aide médicale générale - la carte « Paris-santé », par exemple - dont le barème était plus favorable que celui de la CMU. A titre indicatif, le seuil de prise en charge dans la capitale était de 4 040 francs. La CMU, pour sa part, ne se déclenche qu'à 3 500 francs. Il apparaît donc une fenêtre dans laquelle les revenus situés entre 3 501 francs et 4 040 francs se trouvent précarisés : ce sont ainsi, pour la seule ville de Paris, 17 000 personnes qui vont finalement perdre une couverture sociale. L'aide médicale générale des départements fonctionnait selon le même principe.
Plus pervers encore : le seuil de 3 500 francs exclut du bénéfice de la CMU les allocataires du minimum vieillesse et ceux de l'allocation adulte handicapé, l'AAH.
Pour cette dernière catégorie de personnes, marquées dans leur corps, la situation n'est pas acceptable. Je rappelle que l'AAH s'élève à 3 540 francs ; autrement dit, la population intéressée se voit privée de couverture complémentaire parce qu'elle est « trop riche » de 40 francs !
Comment pouvez-vous demeurer inerte face à cet argument ?
Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une attitude de mépris de votre part. Je crois simplement que le Gouvernement s'est entêté sur ce point !
Croyez-moi, entêtés, nous le serons aussi, foi de presque Auvergnat que je suis !
Votre attitude, madame la secrétaire d'Etat, révèle une incompréhension totale. Votre surdité devant nos arguments et ceux, j'y insiste, de certains de vos partenaires de la majorité est inacceptable et intenable.
Mes chers collègues, Mme Gillot tente d'argumenter en exposant que l'on va retarder la mise en place de la bascule de l'AMG sur la CMU pour la seconde fois et ce, jusqu'en mai 2001. Mais cela ne correspond à rien ! C'est de la politique à la petite semaine ! A moins qu'il ne s'agisse d'autres considérations plus électorales !
Nous avons attiré votre attention sur ce point lors des débats. Charles Descours l'a encore fait lors d'une question orale posée le 24 octobre dernier. Vos partenaires et mes amis l'ont également souligné à l'Assemblée nationale. Autant d'obstination gouvernementale à nous ignorer nous laisse quelque peu pantois.
Mme Gillot a évoqué la possibilité d'organiser un transfert de charges supplémentaire vers les départements pour pallier les incohérences du système. Mais, pardonnez-moi, on marche sur la tête !
On ne peut pas rédiger une loi et organiser, dès sa mise en oeuvre, des mécanismes dérogatoires : cela signifie que la loi n'était pas bonne ou qu'elle n'était pas suffisante.
Mme Gillot propose encore la création de fonds d'accompagnement qui seraient mis en place par les caisses complémentaires. Mais que devient le « U » de CMU dans ce cas-là ? Le caractère universel de cette couverture renvoie nécessairement à la solidarité nationale.
Pour être comprise et appliquée, une loi doit être précise. Or la CMU était une loi imparfaite. Acceptez-le et profitez de l'opportunité que nous vous offrons dans le cadre de la discussion de ce projet de loi pour réparer un manque de vision prospective aux conséquences ô combien ! douloureuses. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, Mme Elisabeth Guigou s'est absentée, mais j'aurais souhaité la saluer dans ses nouvelles fonctions et l'assurer que nous continuerons à travailler avec elle dans une totale concertation, comme nous l'avons fait jusqu'à présent avec Mme Aubry, à laquelle je rends hommage et à qui j'exprime ma reconnaissance pour le travail important qu'elle a accompli et les bons résultats qu'elle a obtenus.
Mon intervention se situera dans le prolongement de celles de mes collègues Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Marie-Madeleine Dieulangard et Claire-Lise Campion, qui s'exprimera ultérieurement ; elle portera plus précisément sur la branche vieillesse de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui touche de très près la vie quotidienne des Français, car elle est chargée d'enjeux sociaux, économiques et financiers importants.
Auparavant, je souhaite attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur une question portant sur la branche maladie.
Comme vous le savez, je suis élu d'un département démographiquement déséquilibré. Un récent bilan a fait apparaître certaines carences préjudiciables à une bonne couverture médicale : plusieurs cantons de mon département, souvent limitrophes d'ailleurs, ne comptent que deux médecins, parfois un seul ; deux cantons, même, n'en comptent aucun. Il en va de même pour les infirmières, les kinésithérapeutes ou les officines de pharmacie. Je vous laisse imaginer la vie quotidienne du médecin et les difficultés pour organiser un semblant de service de garde.
Je sais que mon propos n'a peut-être pas tout à fait sa place - encore n'en suis-je pas sûr - dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais je tenais à vous alerter sur cette situation et à vous demander d'envisager des mesures pour y porter remède.
Je ne reviendrai pas sur les causes de ce déficit chronique et sur les remèdes qui ont permis de le juguler, d'autres l'ont fait avant moi. Mais, pour en revenir au chapitre vieillesse, j'ai noté avec satisfaction un certain nombre de points positifs au rang desquels je place la revalorisation des retraites de 2,2 % en 2001, soit un point de plus que l'inflation prévisionnelle de 1,2 %. Cette revalorisation permet de faire progresser le pouvoir d'achat des retraités de 1,3 %.
Je note également l'exonération de la contribution au remboursement de la dette sociale pour les cinq millions de retraités - c'est considérable ! - non imposables, ce qui, pour cette catégorie, équivaut à une augmentation supplémentaire de 0,5 %. Il en sera de même avec la suppression de la redevance audiovisuelle accordée aux retraités âgés de plus de soixante-dix ans.
On ne peut donc que se réjouir de la volonté d'associer les retraités aux fruits de la croissance et de mieux préparer ainsi l'avenir des retraites.
Grâce à ces améliorations sont éradiquées les mesures néfastes pour les retraités prises par les précédents gouvernements. Je n'irai pas jusqu'à rappeler comment avaient évolué les retraites sous le Gouvernement de M. Juppé de 1995 à 1997 ou sous celui de M. Balladur. (M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales, s'exclame.)
Parmi les aspects positifs, je me dois de saluer la réelle volonté affichée par le Gouvernement de faire avancer les dossiers des retraites et sa détermination à poursuivre sa démarche engagée depuis 1997 de consolidation du système par répartition, qui se manifeste au travers tant de ses déclarations que des textes législatifs et réglementaires.
Tout d'abord, le projet de loi vise à abroger la loi sur les fonds de pension. La loi Thomas, si elle avait été appliquée, ne serait-ce qu'un jour, aurait fragilisé l'édifice que nous avons le devoir de préserver, à savoir la retraite par répartition. Je comprends mal l'entêtement de la droite sénatoriale qui revient sur ce point par un amendement de suppression.
J'ai noté également que le Gouvernement, guidé par son souci de consolidation de nos régimes de retraite par répartition, a tenu à encadrer le projet de loi sur l'épargne salariale pour qu'il ne devienne pas un dispositif de monnaie d'échange pour la réforme des retraites.
Nous savons gré au Premier ministre d'avoir eu le courage de prendre ce dossier à bras le corps, avec conviction et méthode. Il est toujours facile de critiquer, de taxer le Gouvernement d'immobilisme ou de faire de l'opposition systématique. Or, au contraire, conformément aux orientations annoncées lors de l'importante déclaration du Premier ministre du 21 mars dernier, le Gouvernement agit dans la concertation, selon une démarche fondée sur cinq principes, que je me plais à rappeler.
Premier principe : une action progressive et concertée. On se souvient qu'en 1995 l'absence de concertation et la brutalité des mesures avaient conduit au blocage. De plus, la question des retraites doit être replacée dans la durée. Prétendre penser la résoudre aujourd'hui pour 2040 par une seule réforme paraît utopique.
Deuxième principe : le respect de la diversité et de l'identité des régimes.
Troisième principe : l'équité et la solidarité entre les régimes.
Quatrième principe : une plus grande souplesse de notre système pour permettre aux Français de choisir leur âge de départ à la retraite.
Enfin, cinquième principe : le besoin d'anticipation et de précaution. C'est la vocation du fonds de réserve.
Cette méthode, nous la soutenons. Sur un tel dossier, il est indispensable de prendre le temps nécessaire, car nous n'avons pas le droit de nous tromper.
La répartition est, en effet, un dossier porteur d'enjeux sociaux et financiers concernant l'ensemble de la société française pour plusieurs générations. Les décisions en ce domaine méritent donc toute notre attention et nécessitent bien la mise en oeuvre d'une démarche concertée dans le but de les inscrire dans la durée et de préserver l'équité entre les générations successives.
Le Gouvernement a déjà pris des initiatives très positives en ce sens.
Comme il a été annoncé le 21 mars dernier, le conseil d'orientation des retraites constitué des partenaires sociaux, de parlementaires dont j'ai l'honneur de faire partie, de personnalités qualifiées, a bel et bien été créé et installé dans les délais fixés.
Tout à l'heure, Mme la ministre a salué la qualité des premiers travaux du conseil d'orientation des retraites. Je partage ce point de vue et je suis persuadé que cet organisme va devenir un précieux outil de réflexion pour les décideurs dans le cadre de sa mission : décrire la situation financière actuelle et les perspectives des différents régimes de retraites ; apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ; enfin, veiller à la cohésion du système de retraite par répartition.
Pour alimenter les réflexions du conseil d'orientation des retraites, le projet de loi crée un répertoire national des retraites et des pensions. Son objet est d'améliorer la connaissance statistique sur les effectifs des retraités et les montants des retraites, mais aussi de faciliter la coordination des régimes de retraite en matière de service des prestations.
Pour en revenir au temps de réflexion, et contrairement aux informations alarmistes qui ont pu être données sur le sujet, la situation des régimes de retraite est encore satisfaisante, avec des éléments conjoncturels favorables, surtout pour le secteur privé. (Murmures sur les travées du RPR.)
Si l'on se réfère à l'évolution des comptes de la protection sociale de 1995 à 1999, on constate une stabilité des prestations de protection sociale dans le produit intérieur brut qui oscille autour de 12,7 %.
La situation démographique est favorable, puisque la courbe représentant le ratio des retraités par rapport aux actifs est inférieure à celle du nombre des personnes atteignant soixante ans au cours de l'année. Ce creux de la vague démographique, propice aux régimes de retraite, correspond, naturellement, aux départs en retraite des personnes nées entre 1940 et 1945, dites classes creuses.
Faut-il également souligner que la masse des cotisations croît plus vite que celle des prestations, surtout dans les régimes du secteur privé, compte tenu du contexte économique favorable que nous connaissons depuis deux ans et grâce à la politique de l'emploi conduite depuis 1997 par le Gouvernement de Lionel Jospin ?
Toutefois, cette période d'embellie ne doit pas nous aveugler et nous devons nous préparer pour faire face aux difficultés qui vont apparaître dès 2005. En effet, le vieillissement inéluctable de la population va entraîner une dégradation de la situation financière, d'où l'importance du fonds de réserve. Ce fonds, que la loi a créé en 1998, s'est vu affecter des ressources nouvelles en 1999. Ces ressources progressent conformément aux engagements pris par le Gouvernement et contrairement - faut-il le souligner ? - aux prédictions de la droite sénatoriale. Nous avons entendu beaucoup de choses ici, ces deux dernières années, à ce sujet.
Aujourd'hui, la grande majorité s'accorde sur la nécessité et la pertinence de ce fonds, qui sera utile pour résorber une bonne partie des déficits à partir de 2020. Or, précisément, puisqu'il est destiné à être un fonds de lissage, il conviendra de trouver les moyens de l'équilibre financier jusqu'à cette date.
Il faut donc trouver des recettes pérennes, car l'objectif des 1 000 milliards de francs en 2020 ne peut pas se limiter à des excédents qui fluctuent en fonction de la situation économique ou des choix du Gouvernement.
Enfin, j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 - mais le sujet est trop grave pour ne pas le répéter -, sa gestion doit être indépendante de tout autre fonds. Compte tenu de l'importance et de la spécificité des enjeux, des masses financières considérables en cause, de la lisibilité nécessaire pour les Français, il est clair que l'organisme chargé de gérer ce fonds ne peut avoir parallèlement d'autre vocation.
C'est la raison pour laquelle, déjà l'an dernier, il m'avait semblé utile d'aborder cette question pour que soit envisagée, afin de piloter le fonds de réserve, la création d'un établissement public spécifique doté d'un conseil d'administration ayant pouvoir de décision. Cette formule juridique permettrait de garantir l'autonomie des décisions, d'affirmer l'importance du fonds constitué et, enfin, d'en assurer la transparence.
C'est l'objet de l'amendement que j'ai déposé, qui peut ainsi se résumer : faire sortir les réserves du fonds de solidarité vieillesse, créer un établissement public administratif doté d'un conseil d'administration responsable et confier la gestion administrative de ce fonds, ainsi qu'une mission d'assistance, à la Caisse des dépôts et consignations.
On a évoqué, ici ou là, la complexité des mouvements financiers de la sécurité sociale entre les branches et dans les branches elles-mêmes. J'avoue partager ce point de vue, et je pense qu'une clarification est nécessaire.
Pour en terminer, je me réjouis en tout cas que les retraités puissent bénéficier de mesures correspondant à leur attente et que ce projet de loi réponde à un double objectif : garantir une meilleure protection sociale des assurés, tout en tenant compte du nécessaire équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Comme vous pouvez le constater, le groupe socialiste du Sénat a de multiples raisons de voter sans arrière-pensée le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gournac. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de même qu'il n'y a pas de bons Français et de mauvais Français, il n'y a pas de bonnes familles et de mauvaises familles.
Vous l'avez compris, je m'en tiendrai, dans mon intervention, à quelques réflexions que m'inspire la politique familiale du Gouvernement.
Conduire une politique de la famille, mes chers collègues, c'est conduire une politique qui rassemble les Français autour de la question de la famille, parce que celle-ci, par nature, est le lieu privilégié d'un « vivre-ensemble » fondamental.
Que ce vivre-ensemble subisse des aléas, on le voit tous les jours, et l'on sent combien les difficultés de notre époque en sont bien souvent la cause.
Aussi convient-il que notre discours et nos actes politiques, prenant la mesure des choses, sachent fixer un cap et apporter les réponses qui conviennent.
La politique familiale doit servir à la défense et à la promotion de la famille ; ne la faisons pas servir à autre chose, madame le secrétaire d'Etat !
La branche famille de la sécurité sociale n'a pas vocation à financer la politique de lutte contre la pauvreté ; elle n'a pas été instituée pour répondre à la question de l'exclusion ou de l'emploi.
M. Philippe Darniche. Très bien !
M. Alain Gournac. La multiplicité des actions à mener ici ou là ne doit pas entraîner une confusion des genres.
Le retour à la croissance a fait naître dans les familles l'espoir d'une aide plus soutenue. Or votre projet de loi, madame le secrétaire d'Etat, ne peut que les décevoir !
Lorsque la croissance se fait attendre, les familles sont mises à contribution par une baisse des prestations. Lorsqu'elle est de retour, ces prestations sont bloquées à la hausse. Les chiffres sont là.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 avait décidé la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. C'était une remise en cause des fondements de la politique en faveur de la famille.
M. Philippe Darniche. Très juste !
M. Alain Gournac. Dès la loi de financement pour l'année 1999, le Gouvernement a dû, devant le tollé des associations familiales, revenir au principe de l'universalité.
Le Gouvernement n'a pu néanmoins s'empêcher d'abaisser fortement le plafond du quotient familial. Difficile alors de le croire quand il prétend défendre la famille !
M. Philippe Nogrix. Il n'aime pas les riches !
M. Alain Gournac. Il se rend mieux compte aujourd'hui, du moins je l'imagine, de son importance comme pilier de notre société et de la nécessité de la promouvoir pour éviter une aggravation de l'atomisation sociale et de ses compétences.
Il s'en rend compte jusqu'à modifier son discours, certes, mais il a quelque peine à mettre ses actes en accord avec ses paroles.
Les résultats de 1999 font, en effet, apparaître que la branche famille aurait pu assumer le retour à l'universalité des allocations familiales sans qu'il soit nécessaire, par ailleurs, de plafonner le quotient familial.
La substitution d'une mesure moins défavorable à une autre qui l'était davantage ne masque pas la perte subie par les familles depuis 1998.
Ce que celles-ci souhaitent, c'est que vous rendiez à la branche famille les moyens qui sont les siens et auxquels elle a droit.
C'est pourquoi notre majorité sénatoriale, derrière nos éminents rapporteurs, Charles Descours et Jean-Louis Lorrain, ne peut que s'opposer à la destination que vous réservez aux excédents de la branche. (M. Philippe Darniche applaudit.)
Le retour à l'excédent a été constaté depuis 1999 et se confirme en 2000 et en 2001, mais il a été acquis au prix inacceptable de mesures qui ont durement touché les familles. Ce retour s'explique, en effet, par une évolution des prestations très en deçà de la croissance des ressources, et ce malgré la restauration du principe de l'universalité.
C'est la politique familiale de notre pays qui se trouve altérée, c'est la conception nataliste de notre politique nationale en ce domaine qui se voit petit à petit vidée de sa substance.
Je m'explique : personnellement, je ne suis pas choqué outre mesure par la décision de faire prendre en charge par la branche famille le financement de l'allocation de rentrée scolaire et sa majoration. J'ouvre une parenthèse : le Gouvernement aurait pu, en l'occurrence, avoir un peu plus de considération pour le Parlement. Je ferme la parenthèse.
Cette allocation, lors de sa création, n'avait pas vocation à être pérennisée, sa majoration non plus. Mais soyons réalistes et proches des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, mes chers collègues : aider les familles les plus démunies au moment de la rentrée scolaire n'est pas un luxe.
Vous comprendrez bien cependant, madame le secrétaire d'Etat, qu'après avoir attenté à l'universalité des allocations, puis échangé leur rétablissement contre une baisse du plafond du quotient familial, le Gouvernement ne puisse que susciter la méfiance des familles à l'égard de ses orientations.
La déclaration liminaire du Premier ministre, lors de la conférence de la famille, le 15 juin dernier, est à cet égard éclairante et ne laisse aucun doute : « Notre politique s'adresse certes à la famille, mais surtout aux familles dans leur diversité. »
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Voilà !
M. Gilbert Chabroux. C'est bien ça !
M. Alain Gournac. Et si le propos n'était pas suffisamment clair, la redéfinition de l'objectif de la politique familiale par le Premier ministre est là pour dissiper les ombres : « la solidarité - a-t-il précisé - est le premier objectif de notre politique familiale ».
Nous ne pouvons qu'être en désaccord avec cette conception des choses qui renverse l'ordre des moyens et des fins. En effet, la solidarité n'est pas le premier objectif d'une politique familiale, elle est un moyen au service de la famille qui, elle, demeure la finalité de toute politique familiale.
M. Philippe Darniche. Très bien !
M. Alain Gournac. C'est pour n'avoir cessé de méconnaître cette vocation essentielle de la branche famille que vous en êtes arrivés peu à peu à financer les 35 heures par l'intermédiaire de cette branche.
M. Philippe Darniche. Il fallait trouver l'argent !
M. Alain Gournac. J'y reviendrai plus en détail, mes chers collègues, lors de l'examen des articles.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous pose une question : le devoir de solidarité s'oppose-t-il à celui de la défense de la famille ? En tant que gaulliste, j'ai l'ambition, pour ma part, de voir mon pays les remplir conjointement.
Or je constate que la prise en charge de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire par la branche famille est une mesure de politique sociale envers certaines familles, et non de politique familiale envers toutes les familles.
Madame le secrétaire d'Etat, les aider toutes sans arrière-pensée et sans discrimination aucune, c'est promouvoir les valeurs de la famille, c'est redonner à celle-ci toute sa place et ainsi oeuvrer pour la restauration dans notre pays, notamment chez nos jeunes, du sens de la responsabilité, de la tolérance, du respect de l'autre, de l'esprit de partage. En effet, c'est dans la famille et par elle que ces valeurs s'acquièrent et s'enracinent.
Je pourrais prendre un autre exemple : le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale la prise en charge par la branche famille d'une majoration des pensions pour les retraités ayant élevé trois enfants ou plus.
Cette majoration a toujours été versée par la Caisse nationale d'allocation vieillesse, son caractère de prestation vieillesse n'ayant jamais été contesté.
Que la solidarité nationale se substitue à la branche vieillesse et prenne en charge le complément de retraite par l'intermédiaire du Fonds de solidarité vieillesse, il n'y a rien à redire. Mais que la branche famille soit mise à contribution à la place de la solidarité nationale, c'est inacceptable.
Je ne nie pas votre souci d'une plus grande solidarité, madame le secrétaire d'Etat. Mais sachez que ce souci est tout autant le nôtre et celui des familles.
Ce que je reproche au Gouvernement, c'est d'être motivé dans sa politique familiale par deux choses : par un préjugé à l'égard de la famille et par l'urgence dans laquelle il se trouve de financer la réduction du temps de travail qui coûte à notre pays 110 milliards à 120 milliards de francs en année pleine.
Le budget que vous nous proposez déçoit les familles ; il nous déçoit aussi. C'est pourquoi nous ne pourrons le voter en l'état et nous devrons l'amender de manière significative. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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