SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2000


M. le président. « Art. 17. - Au chapitre II du titre III du livre V du code de la sécurité sociale, il est créé un article L. 532-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 532-4-1 . - Par dérogation à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 532-1, l'allocation parentale d'éducation à taux plein peut être cumulée pendant une durée fixée par décret avec un revenu professionnel en cas de reprise d'activité du parent bénéficiaire alors qu'il a un enfant à charge remplissant des conditions d'âge fixées par décret.
« Lorsque le parent bénéficiaire a cumulé l'allocation parentale d'éducation à taux plein avec un revenu professionnel, le droit à l'allocation parentale d'éducation à taux plein ne peut être réouvert qu'en cas de changement de sa situation familiale. »
Sur l'article, la parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion. L'allocation parentale d'éducation répond à une forte attente des familles, qui souhaitent accompagner les premières années de vie de leurs enfants. Mais la pratique a révélé une faiblesse dans cette mesure. En effet, au moment de reprendre une activité professionnelle, les jeunes mères sont confrontées à de nombreuses difficultés occasionnées par un éloignement durable du marché du travail.
Cet article, dans le prolongement des mesures incitatives à la reprise d'activité figurant dans la loi relative à la lutte contre les exclusions au profit des allocataires de minima sociaux, tend à pallier cet inconvénient et ouvre aux allocataires de l'APE la possibilité de cumuler le bénéfice de celle-ci avec un retour à l'emploi.
Cette mesure favorable à la reprise d'une activité instaure donc une période transitoire de deux mois pendant laquelle le cumul de l'allocation parentale d'éducation et d'un revenu d'ordre professionnel sera possible lorsque la reprise s'effectuera entre le dix-huitième et le trentième mois de l'enfant.
J'approuve cette disposition, car j'y vois plus qu'une simple incitation à la reprise d'activité. Elle aura, en outre, l'avantage de permettre aux femmes de choisir le moment de leur retour dans un milieu professionnel.
M. le président. Par amendement n° 88, MM. Fischer, Muzeau, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine le second alinéa du texte présenté par l'article 17 pour l'article L. 532-4-1 du code de la sécurité sociale par les mots : « ou professionnelle ».
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement a pour objet de permettre à une personne ayant cumulé l'allocation parentale d'éducation à taux plein avec un revenu professionnel de voir rouvrir ses droits à l'allocation parentale d'éducation en cas, non seulement de changement de situation familiale, comme le prévoit le texte, mais aussi de changement de situation professionnelle.
Cela peut paraître discutable, mais nous souhaitons renforcer le caractère social de l'article et favoriser encore plus la possibilité d'un retour à l'emploi.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. L'allocation parentale d'éducation a été considérablement renforcée en 1994 : ses conditions d'ouverture ont été assouplies et elle peut être demandée dès le deuxième enfant.
Cette allocation connaît un succès assez remarquable dans la mesure où 500 000 familles environ en bénéficient, et son coût s'élève à 18 milliards de francs par an.
S'appuyant sur une étude du CREDOC, le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie selon laquelle le taux d'activité des femmes à la sortie du dispositif serait plus faible que ce qu'il est pour l'ensemble des femmes, le Gouvernement prétend que l'APE piège les femmes qui ont choisi de garder elles-mêmes leur enfant car elles peinent à retrouver un emploi.
Sous couvert de favoriser la sortie du dispositif et l'activité féminine, le Gouvernement propose d'autoriser un cumul très temporaire de l'APE avec un revenu d'activité pour les allocataires ayant choisi de retourner sur le marché du travail.
Mais, au-delà de la volonté affichée de favoriser le travail des femmes, le Gouvernement songe-t-il peut-être également à favoriser la sortie d'un dispositif qui coûte cher et qui est plébiscité... Mais, je n'ai pas l'intention de faire un mauvais procès.
Selon un rapport remis au Gouvernement, la mesure, en raison de son succès, donnerait lieu à des dérapages financiers.
Au demeurant, j'observe que l'article 17 crée une faculté et non une obligation pour les familles allocataires. Aussi, la commission ne s'y opposera pas.
J'observe, en outre, que l'annexe C du projet de loi présente cette mesure comme génératrice d'une économie de 110 millions de francs pour la branche famille, ce qui est tout de même important.
Toutefois, le dispositif proposé par le Gouvernement introduit un risque pour les familles. Le bénéficiaire de l'allocation à taux plein, s'il choisit de reprendre une activité, ne pourra se voir rouvrir le droit à une allocation qu'en cas de changement de sa situation familiale.
L'amendement n° 88 propose d'élargir la possibilité de réouverture d'une allocation parentale d'éducation à un changement de situation professionnelle. En effet, si une personne choisit de sortir du dispositif pour souscrire un contrat à durée déterminée et si, à l'issue de ce contrat, cette personne ne se voit pas renouvelée dans son emploi, elle aura perdu son droit à l'APE.
Le dispositif proposé n'est donc que faiblement incitatif à un retour à l'emploi pour les personnes à qui il n'est pas proposé de contrat à durée indéterminée. Cette disposition révèle bien la nature du dispositif : ne veut-on pas réaliser des économies sur une prestation ? Nous n'irons pas jusqu'à l'affirmer, mais quand même... On ne peut s'empêcher de penser à la baisse du plafond de l'AFEAMA, mesure que le Gouvernement semblait proposer en faveur des familles, alors qu'en fait s'engageait une baisse du niveau des prestations. Cela n'est pas anodin.
En conséquence, et sous réserve de précisions supplémentaires, la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Je ferai tout d'abord observer que le taux de chômage des femmes qui sortent de l'allocation parentale d'éducation est environ le double du taux de chômage du reste de la population. Il est clair qu'à la sortie d'une APE les femmes éprouvent beaucoup de difficultés à se réinsérer dans le monde du travail.
Seconde observation : certaines femmes hésitent à s'engager dans un nouvel emploi car elles se trouvent brutalement confrontées au problème de la garde de leurs enfants.
La possibilité de cumuler pendant deux mois cette allocation avec un salaire, ce qui constitue une dérogation exceptionnelle, a un double objectif : aider les femmes qui ont retrouvé un emploi à faire face aux frais de garde de leurs enfants et les encourager à rechercher un emploi stable.
L'amendement que vous proposez, monsieur le sénateur, part d'une bonne intention. Vous pensez que, si une femme perd son emploi, il faut qu'elle puisse retrouver l'allocation parentale d'éducation.
Après avoir mûrement réfléchi, je pense qu'un tel dispositif pourrait se retourner contre les femmes elles-mêmes, dans la mesure où certains employeurs recruteraient des femmes à l'essai pendant deux mois et leur diraient ensuite : vous n'avez qu'à redemander l'APE.
Avec le dispositif proposé, en deux mois, une femme pourra évaluer si elle fait un bon choix. En tout cas, elle cherchera un contrat à durée indéterminée et hésitera à accepter un contrat à durée déterminée précaire.
J'ajouterai qu'il s'agit d'un dispositif facultatif.
En tout cas, il ne me semble pas bon de laisser penser aux femmes qu'elles peuvent devenir salariées, puis revenir sous le régime de l'APE.
Je peux vous proposer, mesdames, messieurs les sénateurs, de faire évaluer le dispositif dans un an. Nous verrons alors si certaines femmes ont été véritablement privées d'une possibilité de retour en APE. En attendant, je pense que ce serait donner un mauvais signal, allant dans le sens de la précarité, que de ne pas faire le pari d'un retour stable et durable des femmes qui ont fait le choix du monde du travail.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Madame la ministre, notre rapporteur pour la branche famille a signalé que le problème allait se poser pour les femmes qui obtiendraient un CDD.
Selon vous, une femme qui voudra reprendre une activité professionnelle trouvera un contrat à durée indéterminée.
Or, compte tenu de ce que vous avez dit vous-même des difficultés qu'ont les femmes qui sortent de l'APE à retrouver du travail, je crains qu'on ne leur propose des contrats à durée déterminée.
Pour les encourager à accepter malgré tout ces CDD, je pense qu'il faut adopter cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 88.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je partage le point de vue de notre rapporteur.
Cette discussion me donne l'occasion de dire à M. Chabroux, qui semblait considérer que seule la gauche était capable de créer des allocations, que tel n'est pas le cas. Ainsi, l'APE n'a pas été créée par vous, mais par un gouvernement placé sous la direction de Jacques Chirac, Mme Barzach étant ministre chargé de la santé. Je le regrette pour vous car c'est une allocation importante.
Je sais que, par la suite, on a dit que la loi « famille » de Mme Veil coûtait fort cher. Certes ! Mais ce coût est la rançon d'un très gros succès, auquel on ne s'attendait pas. Si plus de 500 000 femmes se sont précipitées pour bénéficier de cette allocation, c'est bien parce que cela répondait à leur souci. C'est à croire que vous nous reprochez d'avoir fait une politique réaliste qui corresponde aux besoins des familles ! Voilà une curieuse façon de concevoir la politique familiale ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Gilbert Chabroux. Et les 14 milliards de francs de déficit en 1997 0!
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 88, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 17, ainsi modifié.

(L'article 17 est adopté.)

Article additionnel après l'article 17