SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000


M. le président. « Art. 1er. - Au début du premier alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale, les mots : « Sans préjudice de l'application des dispositions des articles 505 et suivants du code de procédure civile » sont remplacés par les mots : « Sans préjudice de l'application des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire ».
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 2, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« La première phrase du 1er alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision devenue définitive de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou constatant la prescription, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »
Par amendement n° 3, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« La première phrase du 1er alinéa de l'article 149 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt pour présenter ces deux amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire l'amendement n° 2, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les deux précédents amendements que je viens de retirer comportaient le mot « prescription ».
Nous reprenons ici le texte de l'article 149 du code de procédure pénale, à ceci près que nous introduisons les mots : « réparation intégrale ».
L'article 149, dans sa rédaction actuelle, dispose : « Sans préjudice de l'application des dispositions des articles 505 et suivants du code de procédure civile, » - la commission est d'accord pour constater que l'article 505 a été abrogé et que c'est l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire qui doit être visé - « une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire... afin de réparer le préjudice moral et matériel qu'elle a subi à cette occasion. » Pour que les choses soient claires, il faut préciser que l'intéressé a droit à réparation « intégrale » de ce préjudice matériel et moral.
Tel est l'objet de cet amendement n° 3.
Nous sommes obligés de renverser la phrase, mais elle ne dit rien d'autre que ce que viens d'indiquer : « Sans préjudice de l'application des dispositions des alinéas deux et trois de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ».
Il est nécessaire, je le répète, de le préciser, parce que, apparemment, la commission nationale a du mal à se défaire de ses habitudes fort anciennes d'allouer « à la tête du client » des indemnités qui varient beaucoup et qui sont souvent forfaitaires. Il n'existe pas d'inconvénient à le dire puisque cette notion de réparation intégrale figure déjà dans l'article 706-3 du code de procédure pénale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mon intervention sera peut-être moins courte que je ne le souhaiterais parce que je n'ai pas répondu à certaines questions dans mon exposé général, comme l'a fait par anticipationM. Dreyfus-Schmidt.
A la vérité, la discussion porte sur la nécessité, pour la protection de ceux qui demandent une indemnité, de prévoir que la réparation du préjudice est ou non intégrale.
La première fois que j'ai eu le plaisir d'étudier la proposition de loi de M. Dreyfus-Schmidt, j'ai constaté que notre collègue avait ajouté le qualificatif « intégrale ». En fait, nous avons repris son idée : nous sommes passés d'un système d'indemnisation presque optionnel pour la commission nationale à un système d'obligation.
En outre, et c'est très important, la commission nationale a désormais obligation d'accorder une indemnité « pour réparer ». Et comme si cela n'était pas suffisant, le texte que nous avons adopté précise que la réparation concerne les deux éléments de la théorie générale du préjudice, à savoir le préjudice moral et le préjudice matériel. En effet, lorsque quelqu'un est allé en prison indûment, il subit un préjudice moral, qui doit être réparé.
Dès lors, fallait-il encore indiquer que la réparation du préjudice doit être « intégrale » ?
Peu importe que le terme soit déjà employé dans un autre texte ! J'irai presque jusqu'à dire que c'est superfétatoire. Ce que nous devons faire - ce que tous les grands légistes ont fait, en droit français - c'est du droit concret, court et précis.
Il est vrai que l'article 1382 du code civil, qui constitue la base de toute la théorie du préjudice, est d'une concision prodigieuse : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est du droit civil !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ajouter le terme « intégrale » pourrait créer par la suite une certaine confusion : il y aurait le préjudice qui donnerait lieu à une réparation intégrale et celui qui serait simplement réparé. D'ailleurs, tout cela relève de l'appréciation des magistrats. Par conséquent, peu importe les mots que l'on emploie ! Ce n'est pas une querelle sur le sexe des anges, monsieur Dreyfus-Schmidt. Il suffit de préciser que la réparation concerne le préjudice moral et matériel.
Nous avons simplement voulu alléger ce texte et nous situer davantage dans la tradition juridique française, qui se perd un peu, c'est vrai : de plus en plus, la tendance est au délayage.
Les dispositions que nous vous proposons sont suffisantes pour assurer ce que nous voulons tous : la réparation complète du préjudice avec un texte simple et clair.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je n'ai pas l'impression que je vais m'attirer de votre part des louanges pour ma clarté, monsieur le rapporteur.
Je comprends ce que vous avez dit mais, en fait, il semble que la loi comme les intentions du législateur sont claires.
A plusieurs reprises au cours des débats, ElisabethGuigou, présentant les nouvelles dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale, a déclaré que ce texte améliorait l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées en instaurant la réparation intégrale de tous les chefs de préjudice.
Le préjudice, tant moral que matériel, résultant de la détention, l'intégralité du préjudice subi doit donc être évaluée. Cette évaluation peut d'ailleurs nécessiter une expertise, qui est expressément envisagée par le nouveau texte. Une fois évalué, le préjudice subi doit être indemnisé et le montant de l'indemnisation accordée doit correspondre au montant intégral du préjudice.
Que l'on utilise le mot « réparation » ou le mot « indemnisation », même si je vous rejoins sur une interprétation qui se détache un peu de la sémantique, ne change rien au fond du texte. D'ailleurs, M. Dreyfus-Schmidt ne propose pas cette simple substitution de termes, puisqu'il y accole également l'adjectif « intégrale ».
Cette précision supplémentaire ne me paraît pas non plus indispensable, puisque le nouveau texte fait référence au préjudice matériel et moral, donc à l'ensemble des chefs de préjudice qui a été subi.
Il est vrai qu'en matière d'indemnisation des victimes l'article 706-3 du code de procédure pénale utilise les termes « réparation intégrale ». Mais l'intitulé du titre consacré à cette disposition fait référence au « recours en indemnité » des victimes. Les expressions « indemnité » ou « réparation » seraient donc bien synonymes.
Si l'article 706-3 précise que la réparation doit être intégrale, c'est pour éviter une confusion avec l'article 706-14, qui prévoit, quant à lui, la possibilité de donner aux victimes de certaines infractions contre les biens une indemnisation qui, à la différence de l'indemnitation de l'article 706-3, ne peut dépasser un montant maximum fixé par la loi.
En revanche, aucun plafonnement n'est prévu pour l'indemnisation des détentions provisoires. Il n'y a donc pas de confusion possible.
Sous réserve de ces observations, j'en appelle à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. le rapporteur a dit que j'avais pris les devants. En effet. Mais il n'en a pas tenu compte ! Il a fait référence à l'article 1382. Mais il s'agit d'un article du code civil qui est appliqué depuis tellement longtemps qu'il n'y a pas de discussion à son égard.
Pour ma part, j'ai cité le code de procédure pénale et Mme le garde des sceaux, elle, vient de me répondre.
L'article 706-3 dispose : « Toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes : ».
En outre, dans la circulaire qui est publiée au Dalloz, qui émane donc de la Chancellerie, il est répété par trois fois que la réparation intégrale est réservée aux victimes d'atteintes graves à la personne.
Cela signifie clairement que la réparation peut ne pas être intégrale ! Il est donc normal de préciser dans le même code de procédure pénale, aux articles 149 et 626, que la réparation doit être intégrale, à défaut de quoi certains plaideront que, dès lors que le terme « intégrale » figure dans l'article 706-3, mais pas dans les articles 149 et 626, cela signifie que la réparation peut, là, ne pas être intégrale.
J'ajoute que j'ai sous les yeux le compte rendu des débats du 25 juin 1999, au cours desquels le Sénat a adopté un amendement n° 38 rectifié bis , présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des lois, qui commence ainsi : « Toute personne mise en détention provisoire a droit à la réparation intégrale du préjudice matériel et moral résultant de cette détention si elle a bénéficié d'une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement... »
Je ne comprends pas votre attitude, monsieur le rapporteur, car, je le répète, le Sénat a voté cette disposition sur votre proposition. En outre, cette disposition figure déjà dans le code de procédure pénale, à l'article 706-3.
Je me permets d'insister auprès de l'ensemble de mes collègues pour qu'ils votent mon amendement et que l'on dise enfin ce qui doit être clair, à savoir qu'en cas de détention provisoire à tort ou de condamnation à tort la réparation doit être intégrale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Articles additionnels après l'article 1er