SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000


M. le président. Par amendement n° 17, MM. Haenel, Gélard, André et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 26 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée est complété in fine par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les années d'activité professionnelle accomplies par les magistrats recrutés par les voies du deuxième et du troisième concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature, ainsi que ceux recrutés au titre de l'article 18-1 de la présente ordonnance, sont prises en compte pour leur classement indiciaire dans leur grade et pour leur avancement. Ces dispositions sont applicables aux magistrats concernés qui ont été nommés dans les dix années qui précèdent la date d'entrée en vigueur de la loi organique n°... du... modifiant les règles applicables à la carrière des magistrats.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Permettez-moi, avant de présenter cet amendement, de faire une petite mise au point à l'adresse de Mme la ministre.
Tout à l'heure, madame la ministre, vous m'avez invité à téléphoner la réponse aux observations que j'avais faites aux juges du Livre foncier. Chacun le sait ici, je ne suis le porte-parole de personne, ni d'aucune catégorie quelle qu'elle soit ! J'avais fait une observation tout à l'heure uniquement en tant que président de la commission d'harmonisation, un travail étant actuellement entrepris dans vos services, vous le savez, sur un avant-projet de loi sur le Livre foncier. Je ne suis donc le porte-parole de personne !
Quant au problème que je vais soumettre maintenant au Sénat avec l'amendement n° 17, je peux vous dire que je l'ai découvert uniquement à l'occasion de mes contrôles sur place et sur pièces !
Cela dit, l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature ne prévoit, pour les magistrats recrutés par les voies du deuxième et du troisième concours ou au titre de l'article 18-1 de cette ordonnance, aucune prise en compte de leur passé professionnel contrairement aux magistrats, qui, avec un profil équivalent, ont été recrutés par intégration directe ou par concours exceptionnels. Le déroulement de carrière des uns et des autres se trouve dès le départ pénalisé ou bonifié selon qu'ils empruntent l'une ou l'autre de ces voies d'accès.
Cette disparité contrevient au principe de l'égal accès des citoyens aux emplois publics, en ne tenant pas compte de leurs capacités, vertus et talents, et au principe du traitement égal des candidats à la magistrature de même profil dans le déroulement de la carrière qui leur est proposée.
Il convient donc d'harmoniser ces situations en appliquant à tous un même principe de reprise partielle d'ancienneté, avec reprise indiciaire, conformément aux dispositions applicables aux magistrats recrutés par voie d'intégration directe, par détachement judiciaire ou recrutés par concours exceptionnels.
Une telle disposition permettra peut-être de remédier à la désaffection de ces voies de recrutement annuelles conçues pour intégrer dans la magistrature des candidats d'expérience. D'ailleurs, M. Jean-François Weber, avocat général près la Cour de cassation, s'est inquiété de cette situation dans son rapport relatif au recrutement des auditeurs de justice au titre des deuxième et troisième concours, car maintenir en toute connaissance de cause ces concours annuels sans revaloriser les carrières de ceux qui y réussissent revient à les condamner sans avoir le courage de supprimer ce qui demeure une filière de promotion sociale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous sommes favorables à cette proposition pour des raisons voisines de celles qui ont été avancées précédemment.
Cet amendement tend à permettre la prise en compte des années antérieures d'activité professionnelle des magistrats recrutés par le deuxième - ce sont des fonctionnaires - ou troisième - les personnes concernées ont huit ans d'expérience dans d'autres activités, en rapport, bien évidemment, avec la justice - concours d'accès à l'Ecole nationale de la magistrature.
Actuellement, ces magistrats ne bénéficient d'aucun dispositif de reclassement indiciaire, contrairement aux magistrats recrutés par concours exceptionnel et aux fonctionnaires recrutés par les deuxième et troisième concours d'accès à l'ENA. Il y a donc une distorsion qui n'est pas justifiée.
Les magistrats issus des deuxième et troisième concours sont donc classés au même niveau indiciaire que les magistrats issus du premier concours bien qu'ils aient naturellement déjà acquis une ancienneté soit dans la fonction publique, soit dans d'autres secteurs professionnels. C'est donc par souci d'équité - notamment par rapport aux fonctionnaires issus des deuxième et troisième concours de l'ENA - qu'il apparaît justifié de prévoir un tel dispositif de reclassement indiciaire et la commission est favorable à l'amendement n° 17.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je vous prie de bien vouloir me pardonner, monsieur Haenel, si la façon dont je me suis exprimée vous a blessé, car telle n'était pas mon intention.
Dans mon commentaire, j'avais oublié cette catégorie de magistrats qui avaient fait part de leur inquiétude à la commission et qui devraient, selon moi, connaître rapidement la réponse du Gouvernement. C'est dans cet esprit que je vous invitais à téléphoner au plus vite, et nullement parce que je vous considérais comme le porte-parole d'un quelconque groupe de pression ! Je ne l'ai jamais pensé, monsieur Haenel !
M. Hubert Haenel. Dont acte !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 17, la position du Gouvernement est délicate. En effet, s'il est favorable à une telle proposition, il est défavorable à l'amendement lui-même, et je vais m'en expliquer.
Nous partageons le souci des auteurs de l'amendement de voir revaloriser le concours interne et le troisième concours d'accès à l'ENM, et le Gouvernement est favorable au principe d'un reclassement indiciaire des magistrats issus de ces recrutements pour tenir compte de leur expérience antérieure. Des dispositions de ce type existent d'ailleurs déjà pour les deuxième et troisième concours d'accès à l'ENM et des mesures similaires figuraient déjà dans l'avant-projet de loi organique, mais elles ont été disjointes, le Conseil d'Etat ayant estimé qu'étant ordre purement pécuniaires elles ne présentaient pas de caractère statutaire et ne relevaient donc pas de loi organique. Elles seront donc prises par voie réglementaire.
En revanche, le Gouvernement n'est pas favorable à une reprise d'ancienneté pour l'avancement qui relèverait du champ de la loi organique. J'ai expliqué tout à l'heure que les dispositions prévues à cet égard pour les seuls concours exceptionnels, à l'exclusion de toutes les autres voies de recrutement, n'ont pas vocation à être étendues. Je demande donc le retrait de l'amendement n° 17.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je propose que le Sénat vote cet amendement aujourd'hui, étant entendu qu'à l'occasion de la navette qui va s'instaurer vous aurez l'occasion, madame la ministre, d'en discuter à nouveau à l'Assemblée nationale et de montrer que vous êtes prête à déposer un projet de décret dans ce sens-là.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. D'accord !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l'article 5.

Article 6