SEANCE DU 6 DECEMBRE 2000


M. le président. Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi concernant la décentralisation.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 25 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférences des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour vingt-cinq minutes.
La parole est M. Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le domaine des collectivités locales, il me paraît temps de passer de la parole aux actes. Mais le constat que l'on peut faire, à la lecture attentive de ce projet de budget, ne m'incite pas à penser que le Gouvernement a vraiment la volonté de donner un nouveau souffle à la décentralisation. Ce n'est pas faute, pourtant, d'insister sur la nécessité de procéder, vingt ans après la grande réforme décentralisatrice des années quatre-vingt, à un approfondissement de ce processus législatif. MM. les rapporteurs l'ont d'ailleurs pleinement exprimé ce matin.
Le Sénat, d'ailleurs, sous l'impulsion de son président, a pris une part plus qu'active à cette démarche, de la constitution d'une mission commune d'information au dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, en passant par l'organisation de nombreux colloques ou réunions sur le sujet.
Alors, je m'interroge : le Gouvernement, conscient de l'envergure d'un tel chantier législatif, osera-t-il enfin ouvrir ce dernier ?
Il semble plus facile de se consacrer à l'inversion du calendrier électoral plutôt que de passer à « l'acte II de la décentralisation » !
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Alain Dufaut. Il ne s'agit pourtant pas, monsieur le ministre, de tout remettre en cause. La réforme, en effet, ne consiste pas nécessairement à vouloir brutalement tout bouleverser pour tout reconstruire ensuite.
Il importe, en revanche, puisque justement la décentralisation est désormais entrée dans « l'âge de raison » et que l'expérience tirée de bientôt deux décennies de pratique le permet, de franchir enfin un seuil important dans la clarification des responsabilités et des compétences.
Or, en fait de réforme, monsieur le ministre, nous avons eu droit, jusqu'à présent, à une réduction sensible de l'autonomie fiscale des collectivités locales, c'est-à-dire à une mesure à l'évidence recentralisatrice, puisque tout à fait contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales et, par conséquent, limitant leur autonomie. Comme le soulignait tout à l'heure le rapporteur spécial, M. Michel Mercier, c'est contraire à la relation de confiance souhaitable entre l'Etat et les collectivités locales.
A l'appui de cette affirmation, je n'aurai qu'à signaler les différentes mesures prises depuis trois ans et frappant durement les collectivités locales dans leur autonomie : baisse des droits de mutation des départements, suppression des droits de mutation des régions, suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation et, tout récemment, de la vignette, et ce sans concertation préalable des associations nationales représentatives des collectivités locales.
Face à ce constat, vous comprendrez, je l'espère, que nous ayons quelques doutes sur votre capacité à relancer la décentralisation, voire sur votre volonté de le faire, monsieur le ministre. Et ce ne sont pas les conclusions de la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par Pierre Mauroy, qui nous rassureront pleinement.
Le renforcement de la démocratie locale ainsi que la recherche d'une plus grande efficacité dans l'action publique locale et d'un développement mieux équilibré du territoire, le tout dans un cadre financier borné par une loi sur l'évolution des budgets locaux, s'imposent pourtant à tous avec force.
Parallèlement, il faudra bien effectuer des choix pour éviter les effets pervers des diverses strates administratives qui se créent au gré des différentes lois, en clarifiant les compétences, sur la base d'une concertation avec les structures représentatives des différentes collectivités locales.
Franchement, monsieur le ministre, dans le système actuel, les élus ne savent plus où ils en sont ! On n'a jamais vu, je crois, une organisation du territoire aussi compliquée et disparate. La technocratie, parfaitement incarnée, à mon sens, par la DATAR, la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, est en train de redessiner le territoire à l'aide de circulaires, et l'on empile allègrement les structures - établissements publics de coopération intercommunale, pays, régions, etc. - sans se soucier de la cohérence, sans rechercher les articulations nécessaires au bon fonctionnement de l'ensemble et, comme l'a souligné Michel Mercier ce matin, sans mettre en place les financements nécessaires à l'intercommunalité. Tout cela est bien dommage !
Pourtant, de nouveaux transferts de compétences dans des domaines comme les routes, la culture ou l'enseignement supérieur pourraient bénéficier au département et à la région, lesquels sont prêts à les assumer. Mais, pour cela, il faut bien sûr, auparavant, en arrêter le principe ensemble et, surtout, prévoir les transferts de ressources correspondants.
S'agissant de la région, une réforme du mode de scrutin est indispensable pour rapprocher les citoyens de leurs représentants à ce niveau. Quant à l'échelon administratif de base, il paraît nécessaire que le développement de l'intercommunalité, même s'il est souhaitable, ne remette pas en cause le respect des identités locales.
L'exercice n'est pas facile, nous en convenons, mais il faut trouver le juste milieu, l'échelon le plus efficace pour procéder à un réel aménagement du territoire, le « niveau pertinent », selon la formule chère aux dirigeants de la DATAR. Mais, de grâce ! ouvrons enfin le débat de fond et tranchons une bonne fois pour toutes.
Nous sommes nombreux, ici, à penser qu'il nous faut passer à une nouvelle phase de la décentralisation, cet acte II que tout le monde souhaite, une phase devant impérativement intégrer une clarification des compétences des collectivités locales, avec, c'est certain, de nouvelles compétences, la limitation des financements croisés, qui constituent un véritable obstacle à l'avancée de nos dossiers, l'adoption d'un véritable statut de l'élu, et l'autonomie fiscale des collectivités locales, laquelle nous obligera à réformer en profondeur et à moderniser notre fiscalité, comme l'a indiqué ce matin M. Daniel Hoeffel.
Ce ne sont bien sûr que quelques pistes de réflexion, mais elles me semblent essentielles en vue d'une bonne maîtrise de l'aménagement du territoire ; nous souhaiterions qu'elles soient abordées à l'occasion d'un grand débat au Parlement, en particulier au Sénat.
En attendant, force est de constater que nous devons nous contenter d'un budget qui n'ouvre aucune perspective de réforme et qui, de plus, confirme, comme l'a très justement indiqué le rapporteur spécial à l'Assemblée nationale, M. Gérard Saumade, que « les modalités de financement des collectivités territoriales ne semblent plus en mesure de leur assurer les moyens nécessaires pour supporter les charges croissantes qui leur incombent ».
M. Gérard Cornu. Nous sommes tous d'accord !
M. Alain Dufaut. Vous ne vous étonnerez pas, par conséquent, monsieur le ministre, que votre impuissance à résoudre ces questions pourtant essentielles pour l'avenir des collectivités locales et votre incapacité à présenter les réformes qui s'imposent nous incitent à refuser de voter les crédits consacrés à la décentralisation.
M. le président. La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar. Monsieur le ministre, mon intervention portera sur la situation des communes forestières.
Un an après la tempête qui les a si lourdement frappées, je veux, en ma qualité d'élu d'un des départements de France les plus sinistrés et au nom de la fédération nationale des communes forestières, qui m'a demandé de le faire, et qui a pu, je crois, très utilement travailler avec votre cabinet, vous alerter avec force sur la gravité de la situation de ces communes et sur les menaces pesant sur leur avenir pour de nombreuses années.
Le temps du bilan est aujourd'hui venu. Il apparaît aux yeux de tous que la forêt française a subi la plus grande catastrophe de son histoire en décembre dernier. Les chiffres - je me limiterai à n'en citer que deux ou trois - témoignent de l'ampleur du désastre. La forêt française a perdu 115 millions de mètres cubes, dont 25 millions de mètres cubes pour la seule forêt communale, qui nous intéresse aujourd'hui.
A titre d'exemple, parce que l'on ne parle bien que de ce que l'on connaît bien, la Meurthe-et-Moselle a perdu plus de 8 millions de mètres cubes, soit l'équivalent de dix années de production.
Les conséquences sont lourdes pour le cadre de vie et pour l'environnement. Elles sont accablantes sur le plan économique pour l'ensemble des professionnels de la filière bois. Elles vont, enfin, peser durablement sur le budget des communes forestières, qui se voient confrontées à d'immenses difficultés tant à court qu'à moyen ou à long terme.
La réponse des élus de ces communes a été exemplaire à double titre. Je veux invoquer l'effort immense que ces communes ont fait pour exploiter, stocker et commercialiser dans des conditions très éprouvantes les chablis, mais aussi la solidarité manifestée par les communes moins touchées ou non touchées, qui ont soit gelé, en 2000, les coupes vendues et non exploitées, soit purement et simplement supprimé celles de 2001.
L'inquiétude des communes, monsieur le ministre, est à la mesure de l'effort qu'elles ont consenti. Pour des centaines d'entre elles, la perte de la forêt ampute le budget d'une ressource essentielle pour de nombreuses années et compromet durablement l'équilibre budgétaire.
A titre d'exemple, une nouvelle fois, puisque je me réfère à ce que je vois tous les jours dans mon département, en Meurthe-et-Moselle, la forêt communale représentait 163 000 hectares : 90 000 hectares sont endommagés ou à terre, certaines forêts communales étant détruites à 90 %. Cela signifie que nombre de communes ont perdu jusqu'à cinquante ans et plus de leurs revenus forestiers. Pour nombre d'entre elles, cette recette représentait jusqu'à 40 % de leur budget, alors même qu'elles vont devoir remettre en état leur voirie forestière et régénérer leur forêt.
C'est tout l'effort d'investissement qu'elles ont consenti qui risque d'être remis en cause, avec les conséquences qui s'ensuivront pour les entreprises travaillant pour elles. C'est aussi tout l'avenir de secteurs entiers du monde rural qui est durablement compromis.
Comment les élus pourront-ils continuer à créer les services et les équipements publics nécessaires pour attirer une population nouvelle et revitaliser leurs communes ? Comment ces dernières, qui ont réalisé un effort d'investissement tout à fait remarquable, pourront-elles faire face aux charges de fonctionnement et aux annuités d'emprunts pesant sur leur budget ? Il ne faudrait pas que des années d'effort soient anéantis et que nous voyions s'aggraver cette fracture géographique qui nous mènerait tout droit à une France à deux vitesses et à deux catégories de citoyens.
Des dispositions ont été prises par le Gouvernement tout au long de l'année 2000. Deux circulaires très importantes, en date des 20 mars et 16 mai derniers, ont institué une commission d'aide aux communes forestières dans chaque département, associant administration et élus - je ne peux que m'en féliciter - et prévu un dispositif complexe que l'on peut ramener à une subvention d'équilibre versée après avis de cette commission et soumise à un certain nombre de conditions qui s'assimilent à l'exigence d'un déséquilibre du budget de la commune, soit un déséquilibre constaté, si le budget est voté en déséquilibre, soit un déséquilibre potentiel, si le budget ne peut être équilibré qu'avec l'imputation de recettes non certaines.
Ce dispositif appelle deux remarques.
Tout d'abord, les conditions d'éligibilité sont, à l'évidence, trop strictes, car la notion même de budget en déséquilibre ne peut que se heurter aux objections légitimes des maires, soucieux à la fois de la bonne gestion des deniers communaux et d'une présentation transparente et sincère - exigence légale, je le rappelle au passage - des documents budgétaires.
Ensuite, et surtout - ce point est fondamental, monsieur le ministre - ce dispositif ne vaut que pour 2000 et 2001. Or, dans la plupart des cas, j'y insiste, c'est à partir de 2002 que les ressources des communes forestières vont se tarir.
En 2000, la plupart des communes forestières ont retiré de la vente des chablis, malgré l'effondrement des cours, malgré les difficultés d'écoulement du bois, les recettes nécessaires pour équilibrer leur budget. Certaines ont reporté à 2001 la vente d'une partie des bois tombés pendant la tempête.
Encore faut-il noter que ces recettes sont amputées par les frais importants entraînés par la réfection des chemins et le début des travaux de régénération des massifs, pour lesquels la charge résiduelle pesant sur la commune est d'au moins 20 %.
De plus, remarque d'évidence, ces communes n'avaient évidemment pas souhaité percevoir de telles sommes, qu'elles n'ont pu, je le souligne au passage, placer comme elles l'auraient souhaité et qui représentent en une seule fois l'équivalent de nombreuses années de coupe.
Monsieur le ministre, ce qu'attendent les communes forestières, c'est d'abord que l'Etat considère qu'elles ont été sinistrées, au sens plein du terme, et que le dispositif actuel, dont je ne critique ni le principe ni les grandes lignes, soit perfectionné et pérennisé au-delà de 2001.
Le dispositif doit être, tout d'abord, perfectionné car la notion de déséquilibre budgétaire doit être assouplie pour ouvrir droit à la subvention d'équilibre. Il serait souhaitable, à cet égard, que soit réalisée une étude financière sur la situation de chaque commune pour la durée nécessaire à la régénération et au retour de la ressource forestière.
Dans le cadre de cette étude, des cas particuliers devraient pouvoir être intégrés. Certaines communes ont en effet subi des dommages tout à fait exceptionnels et d'une gravité toute particulière. Je citerai le cas d'une commune de mon département, qui, ignorant, bien sûr, ce qui allait se passer quelques années plus tard, avait acquis, en 1995, une forêt qui est aujourd'hui intégralement rasée, alors qu'il reste 1,5 million de francs d'emprunts étalés sur quinze ans à payer.
Dans ces conditions, une nouvelle circulaire, complétant, en les affinant, les deux circulaires que je viens de citer, pourrait indiquer de manière très claire la façon dont les maires pourraient présenter leur budget afin de le rendre éligible à la subvention d'équilibre.
Une solution, que je vous suggère, pourrait consister à intégrer dans les prévisions de recettes la subvention d'équilibre correspondant à la perte constatée. Je rappelle qu'en mars 2000 le Sénat avait adopté une proposition de loi que j'avais déposée avec mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants, et qui instituait semblable dispositif.
Après avoir évoqué la nécessité de préciser et de perfectionner le dispositif, je voudrais surtout insister sur ce qui est essentiel, à savoir la pérennisation de ce dispositif au-delà de 2001, lorsque les communes traverseront une période très difficile, privées qu'elles seront alors, pour la plupart d'entre elles, des ressources tirées de la forêt.
Il faut que ce dispositif continue à s'appliquer année après année, à se perfectionner si nécessaire, en associant les élus et les administrations dans le seul souci de l'intérêt général.
N'oubliez pas, monsieur le ministre, l'importance des communes forestières pour l'avenir économique de notre pays. Un seul chiffre : elles produisent, à elles seules, 40 % du bois d'oeuvre en France.
La forêt communale ouvre également d'intéressantes perspectives pour notre environnement. Je n'évoquerai que l'usage du bois énergie, qui se développe de plus en plus dans les réseaux de chaleur.
N'oubliez pas, enfin, monsieur le ministre, que cette exigence de solidarité nationale pour les communes forestières aujourd'hui, pour d'autres catégories de communes en difficulté demain, est pour l'Etat une ardente obligation si l'on veut éviter de voir se creuser le déséquilibre entre les différentes régions de notre pays. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, après les excellents rapports de nos collègues Michel Mercier et Daniel Hoeffel, qui ont bien expliqué les raisons qui s'opposent à ce que le Sénat adopte votre budget, raisons qui ont convaincu la grande majorité des parlementaires de mon groupe, je me bornerai, dans les quelques minutes qui me sont imparties, à traiter le sujet essentiel, s'agissant des concours de l'Etat, de la dotation globale de fonctionnement.
Créée en 1978, plusieurs fois réaménagée, notamment lorsque M. Hoeffel était au Gouvernement, la DGF est aujourd'hui en crise - et ce ne sont pas les éminents commissaires du Gouvernement qui vous entourent qui contesteront ce fait !
La DGF a trois rôles distincts : d'abord, assurer à toutes les collectivités locales, départements et communes, un minimum pour financer leurs dépenses de fonctionnement ; ensuite, réaliser une péréquation en tenant compte de la richesse, mesurée par des indicateurs complexes et difficiles à maîtriser, aussi bien entre les départements qu'entre les communes ; enfin, et ce depuis quelques années, financer l'intercommunalité.
Ces trois objectifs sont certes louables et intéressants, mais ils aboutissent à une véritable explosion de la DGF. C'était parfaitement clair quand les grandeurs économiques sur lesquelles était fondée cette dotation - évolution des prix et évolution du PIB - étaient relativement faibles.
Le Gouvernement a d'ailleurs reconnu, monsieur le ministre, que ces trois rôles étaient difficiles à concilier, puisqu'il a pris, depuis deux ans, la déplorable habitude non pas de majorer le montant total de la DGF, mais d'ajouter des abondements spécifiques : et tant pour la dotation de solidarité urbaine, la DSU, et tant pour la dotation de solidarité rurale, la DSR, et tant pour l'intercommunalité, et tant pour le recensement ! Bref, toute une série de bricolages qui ne font qu'aggraver le phénomène et qui permettent de tenir une année de plus. Mais jusqu'à quand ? Je crains vraiment que nous ne soyons au terme de notre exercice.
Encore une fois, monsieur le ministre, puisque tout ce qu'il fallait dire sur votre budget a été dit, et parfaitement dit, par les rapporteurs, je me bornerai à faire trois propositions de clarification.
La première, la plus simple pour vous, consiste à en revenir à la réalité démographique de nos collectivités, c'est-à-dire à supprimer le système mis en place par la loi en 1993 et qui veut que l'on ne tienne pas compte de la population réelle, si bien qu'aujourd'hui certaines communes, dont la population a baissé, gardent la dotation ancienne, alors que d'autres, dont la population a augmenté, ont une dotation minorée de façon fictive. Tout cela est absurde.
Il faut en revenir à la réalité, c'est-à-dire utiliser des données démographiques réelles, celles du décompte de 1999, et mettre en place un système de recensement permanent, que l'INSEE prépare, d'ailleurs.
En effet, le fait que les recensements globaux n'interviennent que tous les neuf ans et que certaines communes procèdent à des recensements partiels entre-temps introduit de très grandes inégalités.
Je connais l'exemple d'une commune qui, partant de l'indice 100 au recensement de 1990, a vu, après un recensement partiel - recensement dont chacun connaît le caractère contestable - intervenu quelques années après, sa DGF considérablement augmentée parce que l'on a tenu compte de la population alors recensée. Au recensement réel de 1999, la population décomptée était bien inférieure, mais, du fait du mécanisme, la commune a gardé la population fictive supplémentaire qu'elle avait pu obtenir à l'époque du recensement partiel. Là encore, c'est absurde.
Nous avons, dans ce pays, des principes fictifs partout : on en a en matière fiscale, en matière sociale ; il est absurde d'en avoir en matière démographique. Comme nous avons suffisamment de fonctionnaires et d'agents publics pour décompter les gens, ce qui n'est tout de même pas extraordinaire - on le faisait déjà au début de notre ère ! - je crois que l'on pourrait revenir à la réalité des choses.
Deuxième proposition : il faut développer la péréquation de la DGF en partant de bases sérieuses et de critères objectifs. Ces critères, c'est évidemment l'effort fiscal demandé aux contribuables de chaque commune. Mais l'effort fiscal, cela tient compte à la fois des valeurs locatives et des taux de l'impôt ; et non pas seulement des taux, car il peut y avoir des taux très élevés avec des bases très faibles ou des taux modérés avec des bases très fortes. Ce qui est important, c'est le produit par habitant.

On peut développer la péréquation, en essayant de resserrer l'écart entre les petites communes rurales et les très grandes agglomérations et en faisant un programme étalé sur plusieurs années pour que le resserrement de cet écart permette d'arriver à une meilleure péréquation en matière de dotation totale.
Troisième proposition, la plus importante : il faut accepter de faire trois parts dans l'enveloppe globale de la DGF : une part pour les départements - elle existe ; une part pour les communes ; une part pour l'intercommunalité.
C'est sur la part de l'intercommunalité que le Gouvernement pourrait exercer sa générosité, en faisant des dotations et des abondements particuliers, de sorte que les départements et l'ensemble des communes bénéficieraient de l'augmentation réelle des données économiques et l'intercommunalité bénéficierait, par des dotations ou des abondements particuliers, de la prise en compte du développement des opérations.
J'attendais beaucoup, mes chers collègues, de la commission Mauroy. Sur ce sujet, elle n'est pas allée très loin dans le détail.
Mon temps de parole étant épuisé, j'en termine.
Monsieur le ministre, sur ces trois propositions, à mon avis pleines de bons sens, et que le Gouvernement peut mettre à l'étude, j'attends avec intérêt une réponse positive de votre part. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation est un sujet des plus prisés. Elle fait couler beaucoup d'encre et suscite de nombreuses réactions. Quasiment vingt ans après les premières lois de décentralisation, tous les partis politiques s'accordent à dire qu'il faut franchir un nouveau pas pour aller vers plus de décentralisation.
Les lois de décentralisation sont aujourd'hui reconnues par tous et apparaissent à chacun comme des éléments majeurs de la modernisation de notre pays, même à vous, chers collègues de la droite, alors qu'il en allait tout autrement en 1982, lors du premier débat sur la décentralisation !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. C'est un peu usé comme argument !
M. Robert Bret. Depuis trois ans, de multiples missions, bilans, rapports ont permis de dégager des orientations de réforme.
C'est le cas de la mission d'information sénatoriale, monsieur Mercier, mais surtout de la mission Mauroy, chargée de dresser le bilan de la décentralisation.
La discussion de nombreux textes a également fourni l'occasion aux uns et aux autres de donner leur point de vue, qu'il s'agisse de la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, de la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, de la loi tendant à fournir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ou de la loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Un constat unanime se dégage de ce débat collectif, à savoir que les transferts de compétences consentis depuis 1982 n'ont pas été suivis de transferts financiers suffisants. Tel est le cas en ce qui concerne le patrimoine scolaire : de nombreux collèges, écoles et lycées en mauvais état sont devenus la propriété des collectivités, et l'on constate aujourd'hui que les sommes consacrées par celles-ci à leur entretien dépassent largement le montant des transferts financiers consentis au titre du transfert des compétences scolaires.
D'une façon générale, on observe une déconnexion entre le montant des dotations et ce que ces dernières sont censées financer ou compenser. Il en est ainsi pour la dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui était supposée couvrir les moins-values liées à l'abattement généralisé de 16 %, et pour la compensation du plafonnement des taux de la taxe professionnelle. On peut estimer, grosso modo, la perte actuelle à 20 milliards de francs.
Les missions des collectivités territoriales se sont énormément diversifiées et multipliées, alors que leurs budgets n'ont pas augmenté à la raison des besoins. Cela étant, le Gouvernement montre son attachement à la réussite de la modernisation des règles de répartition des compétences. Nous nous en félicitons, tout comme nous mesurons les efforts qui ont été consentis ces dernières années.
La loi de finances de 1999, par exemple, a permis aux collectivités locales, avec l'instauration du pacte de croissance et de solidarité, de bénéficier plus fortement des fruits de la croissance. L'enveloppe normée s'établit aujourd'hui à 182, 534 milliards de francs, contre un peu plus de 167 milliards de francs précédemment. Cette augmentation importante est liée au changement de périmètre global de l'enveloppe, puisque, sur 15,528 milliards de francs de hausse, 12 milliards de francs proviennent de la compensation de la suppression de la vignette. L'Association des maires de France note que si nous étions restés sous le régime de l'ancien pacte de stabilité, les budgets des collectivités auraient encore été amputés de 3,7 milliards de francs.
Quoi qu'il en soit, de nombreuses dotations ont bénéficié de crédits supplémentaires. Ainsi, cette année encore, la dotation de solidarité urbaine augmente de 850 millions de francs, et la dotation d'intercommunalité de 1 milliard de francs, ce qui entraîne une majoration de la dotation globale de fonctionnement de près de 3 milliards de francs.
La situation financière des collectivités locales semble s'améliorer. Pour autant, nous ne pouvons pas dire que tout va pour le mieux. En effet, la tendance à la financiarisation des budgets locaux, au détriment de leur fiscalisation, se confirme.
Au total, en dix-sept ans, au travers de vingt-quatre mesures, pas moins de 167 milliards de francs d'impôts ont été remplacés par des dotations, des compensations et des dégrèvements. Au terme de la mise en oeuvre de la réforme relative à la suppression de la part salariale dans l'assiette de la taxe professionnelle, 53 % du montant des budgets des collectivités territoriales proviendront du budget de l'Etat. La suppression de la vignette automobile contribue à cette évolution.
Ce constat renvoie au principe d'autonomie des collectivités posé par l'article 72 de la Constitution. La commission des lois du Sénat estime qu'il faut donner une valeur constitutionnelle au principe de libre administration des collectivités locales, afin de les prémunir contre les tentations centralisatrices de l'Etat et du législateur et de leur garantir des moyens suffisants. Pourtant, le corollaire indispensable de l'autonomie financière des collectivités territoriales ne peut consister en une reconnaissance constitutionnelle.
Le plus grave, me semble-t-il, est non pas que les ressources des collectivités locales proviennent pour la plus grande part du budget de l'Etat, mais qu'elles soient insuffisantes. Le plus inquiétant pour nous est donc non pas la perte d'autonomie financière, mais la perte de l'autonomie de gestion.
A notre sens, les collectivités territoriales doivent simplement disposer de crédits leur permettant d'assumer pleinement leurs missions, sans être tiraillées entre la satisfaction des besoins et l'accroissement de la pression fiscale. Comment les communes peuvent-elles répondre à l'ensemble des demandes sans augmenter les impôts ? Le chômage, la précarité, la violence sont autant de difficultés à gérer pour les collectivités locales, qui voient également monter en puissance un certain nombre de contraintes auxquelles elles devront se plier au prix de lourds investissements, qu'il s'agisse des travaux d'assainissement, de la récolte et du traitement des déchets ou de la protection de l'environnement.
La réponse à cette question passe nécessairement par la mobilisation de nouveaux financements. Le groupe communiste républicain et citoyen propose d'inclure les actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle. Il s'agit, et nous en avons déjà débattu lors du débat budgétaire spécifique aux finances locales, de faire participer ces capitaux au financement des dépenses publiques.
Cette proposition est un élément de régulation des comportements spéculatifs, qui permettrait d'alléger la contribution, apportée par l'Etat au titre des compensations, et de mettre un terme aux inégalités territoriales grâce à un mode de répartition par péréquation. Son adoption permettrait d'entamer, de façon sereine, une nouvelle étape de la décentralisation, sans se focaliser sur les questions financières, et de traiter ainsi les autres problèmes en toute quiétude.
La pyramide institutionnelle française compte trois échelons de collectivités locales : la commune, le département et la région. Nous considérons que chacun d'entre eux est pertinent et qu'il ne faut pas en supprimer un, comme certains le préconisent s'agissant du département, même si, ces derniers temps, un bémol a été mis à cette suggestion...
En revanche, nous souhaitons faire évoluer le mode de scrutin pour les élections cantonales, afin de le rendre plus accessible et plus démocratique, et nous nous réjouissons que le rapport Mauroy fasse sienne cette proposition.
En ce qui concerne la coopération intercommunale, le rapport Mauroy préconise l'élection au suffrage universel des conseillers communautaires, ce qui leur donnerait une légitimité élective et conférerait une assise institutionnelle aux structures intercommunales.
Par ailleurs, faut-il, mes chers collègues, que les établissements publics de coopération intercommunale soient érigés en collectivités locales ? Nous ne le pensons pas : les EPCI doivent être l'un des moyens de fédérer des projets, de mettre en commun des expériences et de partager des richesses, mais la coopération intercommunale doit rester un outil au service des communes.
La dernière question, et non des moindres, qui touche directement à la décentralisation est celle de la démocratie locale.
Le Premier ministre a annoncé, lors du congrès des maires de France, que le Gouvernement soumettrait au Parlement un projet de loi relatif à la démocratie locale. Nous nous réjouissons de cette initiative, comme nous apprécions la rapidité dont vous avez su faire preuve, chers collègues de la majorité sénatoriale, pour déposer puis faire inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée votre proposition de loi sur le statut de l'élu. (Sourires.)
Depuis de nombreuses années, les membres du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent l'élaboration d'un véritable statut de l'élu. Nous avons déposé de nouveau une proposition de loi visant à permettre aux élus de bénéficier d'une sécurité matérielle et professionnelle, ainsi que d'une formation et d'une clarification de leur statut juridique et de leur responsabilité, condition indispensable pour permettre la constitution d'un tissu électif diversifié et représentatif de notre société. La richesse et la vitalité de notre démocratie en dépendent.
Nous souhaitons que l'Etat mette tout en oeuvre pour que ces mesures entrent en vigueur, ce qui soulève également des questions d'ordre financier. Aussi proposons-nous la création d'un fonds national de compensation destiné à rembourser les entreprises des absences légales de leurs salariés élus. Cela permettra de garantir une application réelle des droits d'absence, et la création d'un tel fonds est donc absolument nécessaire.
Le projet de loi sur la démocratie locale est la première initiative législative destinée à renforcer le lien entre élus et citoyens. Sur le terrain, les élus qui en ont eu la volonté politique ont déjà effectué de nombreuses tentatives d'exercice de la démocratie participative. Ce sont des expériences riches et intéressantes, aussi approuvons-nous l'initiative gouvernementale tendant à instaurer des conseils de quartier dans les villes de plus de 20 000 habitants.
Mes chers collègues, la nouvelle étape de la décentralisation est, à mon sens, bien engagée, et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pensent que le projet de budget qui nous est présenté correspond aux engagements pris par le Gouvernement. Pour ces raisons, nous le voterons, sans pour autant renoncer à une réforme d'ensemble des finances locales. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est facile de repérer, dans le budget de l'Etat, les masses financières consacrées aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Pour 2001, ces crédits s'élèvent à 50,5 milliards de francs.
Pourtant, il est fort difficile, comme d'ailleurs dans nos collectivités, s'agissant en particulier des départements, à cause de l'évolution de la DGD, d'établir des comparaisons de budget à budget. Il y faudrait en fait une présentation simplement comptable, mais aussi à législation ou à réglementation constante.
Ainsi, la part très importante des dotations de l'Etat destinées à compenser des impôts levés auparavant par les collectivités locales introduit des perturbations. Pour 2001, la prise en compte de la compensation de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation et, surtout, de la vignette représente 18,5 milliards de francs, ce qui fait que l'augmentation nominale, qui est de plus de 60 %, doit en fait être ramenée à 3,5 %.
Par parenthèse, ce n'est cependant pas cette gymnastique qui est très gênante, c'est le principe de cette regrettable évolution à la baisse des recettes fiscales des collectivités territoriales. Bien entendu, je n'ai guère apprécié le coup médiatique de nos éminents collègues de droite, qui ont voulu inscrire dans la Constitution la garantie des ressources des collectivités territoriales et, surtout, donner au passage des pouvoirs exorbitants au Sénat, mais il n'en demeure pas moins que, comme l'immense majorité des élus, je déplore cette longue dérive. Elle n'est certes pas nouvelle, mais elle aboutit aujourd'hui à une situation qui n'est plus acceptable.
Pourtant, l'évolution des dotations des collectivités territoriales est très favorable dans la mise en oeuvre du contrat de croissance et de solidarité. En effet, les indexations prévues sont appliquées, ce qui donne, pour les collectivités, des résultats nettement meilleurs que ceux qu'a permis d'obtenir le pacte de stabilité de la législature précédente : l'enveloppe normée croît ainsi de 2,32 %, contre 1,48 % en 2000. Cette seule évolution suffirait à justifier sans difficulté notre vote positif, même si je me garderai d'entrer dans le détail des chiffres, qui ont été présentés par nos excellents rapporteurs. Cela me dispense de les répéter, d'autant que, la semaine dernière, nous avons eu un débat important sur les recettes des collectivités locales, au cours duquel tous ces dossiers ont été largement évoqués.
Cependant, il est remarquable de constater que, afin de prendre acte du succès inespéré de l'intercommunalité, vous avez prévu, monsieur le ministre, d'affecter à celle-ci une dotation globale de fonctionnement d'un montant double de ce qui était prévu initialement, soit un milliard de francs, au lieu de 500 millions de francs pour les quatre années à venir, dotation qui a même été portée à 1,2 milliard de francs par l'Assemblée nationale.
Cette décision me semble tout à fait judicieuse et devrait se révéler suffisante, mais le succès de l'intercommunalité est tel que, sans faire de procès d'intention, rien ne peut être assuré. Il faudra surveiller attentivement la courbe du nombre des créations de communauté de communes ou d'agglomération, pour ne pas limiter, en raison d'un assèchement prématuré des fonds qui lui sont consacrés, l'ample mouvement qui se dessine.
Comme je l'ai indiqué, le groupe socialiste votera ce projet de budget, qui nous paraît bon. Certes, M. Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois, peut bien, dans le détail, relever les points qui posent problème et fonder son jugement négatif sur le fait que la modernisation de la vie publique locale n'est pas achevée.
Il reste, bien entendu, de l'ouvrage à accomplir en ce qui concerne, par exemple, le statut de l'élu ou le renforcement de l'intercommunalité. Néanmoins, M. Hoeffel, comme je le lui ai dit en commission, doit se livrer à certaines contorsions intellectuelles pour élaborer sa critique, cette remarque étant faite en toute respectueuse amitié.
Pour ma part, je voudrais simplement formuler quelques observations sur la future réforme qui est annoncée.
Tout d'abord, j'ai cru comprendre qu'un débat d'orientation se tiendrait au Parlement au mois de janvier. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser si le Gouvernement déposera un texte d'orientation ? Dans l'affirmative, quand le fera-t-il, et quelle échéance prévoyez-vous pour l'achèvement de ce débat, et donc pour la mise en oeuvre de la nouvelle loi de renforcement de la décentralisation ?
Par ailleurs, avez-vous déjà des certitudes, monsieur le ministre, quant à la clarification à apporter en matière fiscale, s'agissant notamment de l'idée, séduisante mais qui donne lieu à débat, de « spécialiser » les impôts locaux par collectivités ?
Mais peut-être jugez-vous qu'il est encore trop tôt pour donner des orientations dans ce domaine.
En ce qui concerne maintenant la vignette, je ne reviendrai pas sur l'opportunité de la suppression de cet impôt, dont le produit avait de toute façon tendance à baisser. Cela étant, il serait plus satisfaisant de le supprimer totalement, ne serait-ce que parce que l'on peut prévoir que la fraude sera massive. En effet, gendarmes et policiers feront difficilement la différence entre une voiture de société banalisée, qui devrait afficher la vignette, et l'automobile d'un particulier. En outre, à la suite de cette réforme, il deviendra ridicule que les conseils généraux prélèvent, au titre de leurs propres véhicules, une recette qui ne fera que transiter, en quelque sorte, sur les pare-brise concernés... Tout cela coûtera cher, pour un profit qui, à cause notamment de la fraude, va diminuer.
Pour en revenir à des propos plus généraux, je voudrais attirer l'attention sur l'association des collectivités territoriales aux négociations nationales relatives aux personnels. Bien sûr, on connaît, dans ce domaine, les accords nationaux du type des accords « Durafour », mais il existe aussi de nombreuses négociations, non pas secrètes mais discrètes, qui entraînent, sans que les collectivités territoriales y participent, des conséquences financières très fâcheuses.
Je dispose ainsi d'une note relative à la révision de la convention collective de 1966, pour les cadres des associations soumises à celle-ci. Cette note indique que le surcoût résultant des augmentations de salaire, payé par les départements, sera de quelque 2 millions de francs. La convention en question a été validée par le ministère des affaires sociales, au mois de juillet dernier, sans que les collectivités aient eu leur mot à dire.
Monsieur le ministre, il faut créer une instance nationale où siège l'employeur collectif des 1 500 000 fonctionnaires qui finance les établissements dont le poste principal de dépenses est lié au personnel ; je pense notamment aux établissements pour handicapés. Les collectivités locales doivent être associées à la prise de décision.
Il est clair, en outre, que l'approfondissement de la décentralisation doit être concomitant avec une amélioration des conditions de fonctionnement des services territoriaux de l'Etat, et sur ce point, je vous poserai trois questions précises, monsieur le ministre.
Tout d'abord, que comptez-vous faire pour mettre en oeuvre ce véritable serpent de mer que Gaston Defferre prônait déjà en 1982 : placer tous les services extérieurs de l'Etat sous l'autorité du préfet, ce qui n'est pas encore le cas, loin s'en faut ?
Ensuite, ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire de donner au sous-préfet, par l'intermédiaire d'une instruction adressée aux préfets, outre leur mission de proximité - vous avez opportunément rappelé que vous ne souhaitiez pas supprimer les sous-préfectures - des missions transversales à travers le département, et ce de façon systématique ?
Enfin, vous semble-t-il opportun, ne serait-ce que pour des raisons d'équité, mais avec un surcoût induit, de supprimer la fusion des fonctions de préfet de région et de préfet de département ?
Telles sont les questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre, en vous précisant bien, mais vous l'avez compris, qu'elles n'étaient pas de nature à remettre en cause notre vote positif. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le ministre ; revenons brièvement, si vous le voulez bien, dix-huit ans en arrière, et remémorons-nous ce qui constituait le socle de la première loi de décentralisation : rapprocher les citoyens des lieux de décisions, renforcer les pouvoirs locaux par rapport au pouvoir central, transférer sans charges supplémentaires de nouvelles compétences aux autorités élues et faciliter le développement local sur l'initiative des acteurs de terrain, enfin, assurer une gestion plus efficace afin de mieux répondre aux besoins.
Le ministre de l'intérieur de l'époque, Gaston Defferre, caractérisait ainsi ce système intermédiaire entre centralisation et autonomie, en déclarant : « Désormais, les élus seront libres, libres d'exercer pleinement leur mandat, libre de prendre leurs responsabilités, sans entraves, sans les limitations, sans les détournements imposés par les services ministériels. »
M. Michel Caldaguès. C'est fini !
M. Gérard Cornu. Il est un fait certain que les lois de décentralisation ont suscité beaucoup d'espoir, notamment celui de voir renforcer les libertés locales et la démocratie de proximité. Pour cela, elles ont opéré des transferts importants de pouvoirs au profit des exécutifs locaux, qu'ils soient régionaux, départementaux ou communaux, des transferts de compétences et, par voie de conséquence, des transferts de moyens au travers des dotations de l'Etat vers les collectivités. Ces transferts ont eu quelque chose de révolutionnaire en ce qu'ils se sont faits au détriment de l'Etat par la suppression de la tutelle de celui-ci a priori.
Mais ces lois ont également nourri des inquiétudes au premier rang desquelles l'insuffisance des garanties fiscales et financières en matière de compensation des transferts de compétence.
Vingt ans après, il y a tout lieu de constater que nous avions quelques raisons d'être inquiets. L'autonomie locale ne va pas sans une certaine autonomie fiscale, laquelle est depuis quelques années bien malmenée. Le total des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales a connu une progression très importante.
Le Gouvernement, bien que reconnaissant par la voix du premier ministre que « le système de financement des collectivités locales est obsolète et injuste », supprime toujours plus de recettes fiscales aux collectivités territoriales : la part salariale de la taxe professionnelle, la part régionale de la taxe d'habitation, la baisse des droits de mutation en matière immobilière et, désormais, la taxe différentielle sur les véhicules à moteur. La liste est connue de chacun d'entre nous, responsables et élus locaux.
Certes, en contrepartie, l'Etat accroît son effort financier en faveur de nos collectivités : il compense les exonérations fiscales et les dégrèvements d'impôts locaux par une augmentation de crédits. Mais, en même temps, il porte de plus en plus atteinte à l'indépendance de nos exécutifs et au principe constitutionnel de libre administration de nos collectivités locales, le tout dans le mépris le plus total des élus qu'il place volontairement devant le fait accompli, en l'absence de toute concertation.
Ces tentatives de recentralisation ne datent certes pas d'aujourd'hui. Si elles déplaisent, elles n'étonnent plus. Depuis 1997, elles se sont même accentuées. Ce sont, en effet, près de 80 milliards de francs de produit fiscal que les collectivités territoriales se sont vu confisquer depuis 1997. La part des recettes fiscales dans les budgets de fonctionnement des conseils généraux est ainsi passée de 70 % à 54 %. Ces modalités de financement ne semblent plus en mesure d'assurer aux collectivités locales les moyens nécessaires pour supporter les charges croissantes qui leur incombent. Comme l'a très justement souligné notre rapporteur spécial, M. Michel Mercier, ces crédits constitueront des dépenses de fonctionnement incompressibles dans le budget national. Qu'en sera-t-il exactement quand les marges de manoeuvre de l'Etat seront réduites par un possible ralentissement de la croissance et par une dégradation des finances publiques ?
Pour donner un nouvel élan à la décentralisation, il est impératif de changer la nature des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Les missions et les responsabilités des élus locaux doivent être mieux respectées, et la concertation doit redevenir la règle pour mener à bien toute réforme d'ampleur. Cette réforme s'impose, car la plainte des élus se fait entendre de plus en plus fort.
Quand les vraies questions seront-elles enfin abordées ? Quand vous attellerez-vous à la nécessaire modernisation de la fiscalité locale ? Quand donnerez-vous un signe encourageant aux élus locaux, qui, chaque jour, subissent les défaillances du système et vivent en direct les lacunes des lois initiales ?
M. Philippe François. Très bien !
M. Gérard Cornu. Une réforme allant au-delà des ajustements ponctuels doit sérieusement être envisagée. Le rapport Mauroy est une base de travail. Le Conseil économique et social, dans l'avis qu'il a adopté le 21 juin dernier, s'est lui aussi penché sur toutes ces questions et formule des propositions tout à fait intéressantes s'orientant autour de trois axes : mieux équilibrer la libre administration des collectivités d'un côté et, de l'autre, le rôle régulateur de l'Etat ; simplifier la répartition des compétences entre des structures modernisées en conciliant efficacité et démocratie ; réconcilier les élus et les citoyens en conjuguant démocratie représentative et démocratie participative.
M. Patrick Lassourd. Ah !
M. Gérard Cornu. En bref, ces suggestions visent à une gestion plus efficace et plus claire du territoire en même temps qu'à une participation plus active du citoyen. J'ai bien conscience que l'examen du projet de budget de la décentralisation ne nous offrira pas le cadre adapté pour poser les prémices d'une réforme, mais il est l'occasion de lancer un nouvel appel au Gouvernement, un appel à prendre conscience de l'urgence qu'il y a à s'attaquer aux difficultés que tous nous rencontrons dans l'action publique locale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Haut.
M. Claude Haut. La discussion de votre budget, monsieur le ministre, intervient cette année - le groupe socialiste ne peut que s'en réjouir - dans un contexte favorable, parce que la croissance économique est et reste au rendez-vous, ce qui a des conséquences très positives pour nos collectivités locales. Il conviendra cependant d'être vigilant et d'imaginer pour les années à venir une suite au pacte triennal de croissance et de solidarité, qui ne pénalise pas nos collectivités locales.
Mon propos aujourd'hui, monsieur le ministre, consistera, d'une part, à vous inviter à mettre en oeuvre une véritable réforme d'ensemble des finances locales déjà annoncée et, d'autre part, à vous sensibiliser à l'urgence qu'il y a à mettre en oeuvre un véritable statut de l'élu local, moderne et rénové, qui mettrait notre pays à l'unisson de la plupart de ses voisins européens.
Les finances locales, en tout premier lieu, monsieur le ministre, et les crédits affectés aux collectivités locales progressent cette année, tous concours confondus, de 10,5 %. S'agissant des concours sous enveloppe, à structure constante, leur progression sera de 2,32 %, c'est-à-dire une évolution supérieure à celle qui a été enregistrée au cours de ces deux dernières années. La situation sera plus favorable grâce au contrat de croissance et de solidarité initié en 1998 par votre gouvernement et indexé pour 2001 sur 33 % du PIB, ce qui donne - on doit bien le reconnaître - une marge de manoeuvre certaine à nos collectivités pour 2001.
Dans tous les cas, ce contrat de croissance et de solidarité nous change agréablement du pacte de stabilité, dont je rappelle qu'il n'avait de pacte que le nom, engagé par le gouvernement précédent.
Pour l'avenir, monsieur le ministre, il faudra respecter l'esprit et la lettre de ce contrat de croissance et de solidarité : l'esprit tout d'abord, cela signifie l'importance d'une réelle négociation avec l'ensemble des associations d'élus, menée largement en amont de la décision ; la lettre ensuite, c'est-à-dire faire en sorte d'intégrer une part croissante du PIB dans le calcul des dotations d'Etat aux collectivités locales.
Une inquiétude cependant, monsieur le ministre, vient quelque peu ternir cette appréciation positive de l'évolution des principales dotations. On ne peut en effet que regretter le poids croissant du financement de l'intercommunalité qui pèse sur les dotations de solidarité et sur la DCTP - dotation de compensation de la taxe professionnelle - qui sont les variables d'ajustement de ce qu'on appelle dans le jargon de la direction générale des collectivités locales l'enveloppe « normée », c'est-à-dire les concours de l'Etat aux collectivités.
Ainsi, en 2001, la dotation des groupements augmente de 16 %, ce qui aurait pu conduire à une diminution de la dotation de solidarité rurale et de sa fraction « bourg-centre », si l'Assemblée nationale n'avait pas voté un amendement majorant cette dotation de 150 millions de francs, à l'instar de ce qui avait été décidé pour l'année 2000. C'est donc une bonne chose pour ces villes-là.
Je crois donc, monsieur le ministre, que la sortie du pacte de croissance et de solidarité devra impérativement donner lieu à une réflexion approfondie sur les modes de financement de l'intercommunalité.
Il faudra peut-être également à cette occasion s'interroger sur cette disparité persistante qui consiste à opérer deux traitements différents en termes de DGF supplémentaire pour les communautés de communes et pour les communautés d'agglomération. Même si j'ai bien compris que la loi de votre prédécesseur devait en tout premier lieu dynamiser la coopération urbaine, il serait dommageable pour l'équilibre du territoire de pérenniser cette situation.
Toutes les discussions, et elles ont été particulièrement nombreuses ces derniers temps sur le sujet, démontrent le caractère urgent qu'il y a à procéder à une réforme d'ensemble de la fiscalité locale. Nous sommes en effet arrivés à l'heure de vérité pour ce qui concerne un système inextricable et dont les mécanismes subtils ne sont connus que par quelques initiés.
Si l'on se refuse, et c'est ce qui ressort de la position majoritaire des élus locaux, mais aussi des travaux de la commission présidée par notre collègue Pierre Mauroy, sur l'avenir de la décentralisation, à envisager la suppression pure et simple des impôts locaux, comme remède à l'injustice, à l'inefficacité et à la mauvaise répartition, il faut s'engager résolument dans la modernisation de notre système de fiscalité locale.
Il est selon moi hors de question de remplacer des impôts dont les collectivités locales ont la maîtrise par des dotations octroyées par l'Etat car il est éminemment souhaitable de conserver un lien fiscal, ou plutôt un lien de citoyenneté, entre les électeurs et les collectivités locales : supprimer ce lien direct serait, me semble-t-il, une véritable régression démocratique.
Par ailleurs, il serait dommageable que, catalyseurs et moteurs du développement local, les collectivités locales ne profitent pas des retombées fiscales de ce développement. Cette nécessaire réforme, monsieur le ministre, il faut l'aborder en se fondant sur trois points : l'autonomie, la simplification et la péréquation.
En ce qui concerne l'autonomie, il faudra faire en sorte que nos collectivités ne soient plus à la merci d'une simple loi de finances annuelle. Pour cela, nous avons davantage besoin de règles simples et durables pour pouvoir anticiper et préparer l'avenir.
Par le terme « simplification » j'entends une clarification des relations Etat-collectivités locales. Ainsi que le propose la commission Mauroy, la spécialisation fiscale, qui vient de connaître une rigoureuse avancée avec « l'intercommunalisation » de la taxe professionnelle, est une voie qui mérite d'être examinée très sérieusement.
Pour ce qui a trait à l'évolution des dotations de l'Etat à nos collectivités, ne serait-il pas possible, monsieur le ministre, d'institutionnaliser une réunion annuelle associant le Gouvernement et les associations d'élus, et qui serait notamment chargée d'examiner et d'évaluer les mesures ayant un impact budgétaire pour nos collectivités.
Enfin, monsieur le ministre, il faut renforcer sensiblement nos dispositifs de péréquation, car les distorsions entre collectivités continuent de s'accroître. Il faut donc mieux tenir compte des potentiels fiscaux et des critères de charges.
Je souhaiterais aborder devant vous, monsieur le ministre, un second point qui préoccupe les élus locaux que nous sommes, au moins autant que la question des finances locales : le statut de l'élu ou, plutôt, les conditions d'exercice des mandats locaux, qu'il est urgent de moderniser.
A l'approche des élections municipales et cantonales, ce sujet est d'une grande actualité : une première proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale, une seconde sur celui du Sénat. Toutes ces réflexions ont le mérite de souligner combien la question des moyens donnés aux élus, notamment aux maires et à leurs adjoints, est maintenant dans les têtes.
Vous avez, monsieur le ministre, annoncé qu'un projet de loi, qui serait déposé l'année prochaine, comporterait des dispositions permettant de progresser dans cette matière.
L'objectif principal d'une telle réforme est d'assurer l'égalité des chances devant l'éligibilité. Il s'agit d'améliorer la situation des salariés qui servent leur collectivité en y assumant des fonctions électives, sans quoi la sur-représentativité des fonctionnaires et, surtout, des retraités, ne pourra que s'accroître.
Mais, il existe d'autres pistes que le Gouvernement ne doit pas méconnaître : la formation, la rémunération, la protection sociale.
L'amélioration des conditions dans lesquelles les actifs peuvent assurer les missions que les électeurs leur ont confiées doit être prioritairement recherchée dans le cadre du futur « statut de l'élu ». Elle passe aussi bien par la suppression de la limitation du droit à suspension du contrat de travail à un seul mandat que par l'augmentation des possibilités d'absence, que ce soit sous la forme de crédits d'heures pour les salariés ou de compensations pour pertes de revenus pour les professions libérales.
Garantir à l'élu qu'il ne sera pas, une fois son mandat perdu, écarté du marché du travail est un autre moyen d'inciter les salariés du secteur privé et les indépendants à s'engager davantage dans les fonctions électives. Ne faut-il pas envisager la création d'une indemnité de transition de fin de mandat, qui équivaudrait à une année de rémunération du mandat, et qui serait versée, selon les choix de chacun, sous la forme d'une rente ou d'un capital, ce dernier permettant aux membres de professions libérales de relancer leur activité ?
M. Alain Dufaut. Très bien !
M. Claude Haut. Nous souhaitons tous, monsieur le ministre, que notre pays s'engage dans une deuxième phase de décentralisation. Mais cette volonté restera lettre morte si les élus des plus petites collectivités, encore trop souvent dépourvus de personnel hautement qualifié, continuent de se trouver sous la tutelle des services de l'Etat et des grandes collectivités, faute d'une formation suffisante.
Il serait urgent de prévoir au moins une multiplication par cinq des jours pendant lesquels les élus peuvent s'absenter de leur travail pour se former, en percevant tout de même des compensations. Ce droit est aujourd'hui limité à six jours : c'est notoirement insuffisant !
M. Alain Dufaut. C'est en effet ridicule !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Claude Haut. La rémunération des fonctions électives est sans doute, monsieur le ministre, le point le plus sensible de la question. C'est un point sensible pour les finances publiques, certes, mais également pour nos concitoyens ; qui sont de plus en plus nombreux à partager notre point de vue et à considérer que le niveau de rémunération des maires est notoirement insuffisant.
Vous noterez, mes chers collègues, que j'ai parlé de « rémunération » et non plus d'« indemnités ». Je crois que le mythe du bénévolat a vécu et que les vingt dernières années ont considérablement tranformé la fonction de maire : plus de technicité, de disponibilité et de responsabilité leur sont demandées, la loi limitant le cumul des mandats en prend d'ailleurs acte.
Je citerai également la protection sociale que doit compléter la loi du 5 avril 2000, ainsi que la retraite des élus, qui, avec 1 000 francs par mois après vingt ans de cotisations, paraît aujourd'hui ridicule.
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Haut, car vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Claude Haut. Le statut de l'élu local rénové et modernisé est donc devenu, monsieur le ministre, un chantier prioritaire. C'est cette réforme globale de la décentralisation que j'appelle aujourd'hui de mes voeux par le biais d'un grand débat que vous avez d'ailleurs annoncé.
En conclusion, je souhaiterais vous dire que le groupe socialiste votera votre budget parce qu'il va dans le bon sens et parce que nous vous faisons pleinement confiance pour mettre en oeuvre la deuxième phase de la décentralisation. Nous savons, en effet, où sont les véritables décentralisateurs, ceux qui se situent dans la lignée de François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre. (Applaudissement sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du budget de la décentralisation me conduit à souligner le hiatus dans lequel le Gouvernement s'enferre et qui transparaît au grand jour.
Les options politiques de la majorité mettent en lumière une volonté insidieuse de remembrement du territoire, tandis que, sur le plan des moyens, une logique recentralisatrice, héritière du dogme du système et du « tout à l'Etat » gouverne.
M. Raymond Courrière. C'est nous qui avons fait la décentralisation !
M. Bernard Fournier. Premièrement, nous assistons à un double mouvement d'écartèlement de notre conception de l'Etat. L'indivisibilité de la République n'est plus qu'un concept s'effaçant sous les coups de butoir du fédéralisme triomphant.
Cette dérive ne se fait pas au grand jour. Elle rampe dans les arcanes de la technocratie. On la débusque au gré des « orientations » ou des « programmes » du Gouvernement.
Le débat est évité, la concertation repoussée, le peuple oublié.
M. Raymond Courrière. Oh là là !
M. Claude Haut. Il ne faut pas exagérer !
M. Bernard Fournier. La tentation fédéraliste est à son comble ! Elle s'observe tant au niveau supranational qu'au niveau infranational. L'Europe coiffe la République, laquelle semble être condamnée à se dissoudre en régions autonomes, tranformant notre pays, au mieux en Etat régional, au pire en fédération d'entités autonomes. Tout se discute, certes, mais laissez-nous au moins le temps d'un débat là-dessus : on ne peut pas défaire à coup de discours ce que la Constitution a établi.
Hiatus, disais-je - ce sera le second point de mon propos -, parce que le Gouvernement ne manque pas une occasion de procéder à la recentralisation. Vos lois d'orientation furent le prétexte à une amputation des moyens et des compétences des collectivités, avec, en arrière-plan, la suppression des ressources, l'augmentation des contrôles de l'Etat, la défiance et les sanctions envers les communes, qui sont - faut-il le dire ? - au banc des accusés.
Vous stigmatisez l'augmentation des besoins des collectivités locales. Ceux-ci augmentent, car les transferts de charges augmentent et parce que vous recentralisez les ressources fiscales : faut-il rappeler que, depuis que vous êtes aux affaires, monsieur le ministre, nous avons perdu deux points en matière d'autonomie des collectivités locales ?
« Il faut, certes - c'est vrai - une véritable réforme fiscale. Les propositions de certains de vos collègues de la majorité visant l'affectation d'un impôt d'Etat aux collectivités ont le mérite d'aller dans le bon sens : je ne suis pas ingrat, je vous l'accorde.
Malgré ce débat naissant, ce projet de loi de finances n'échappe pas à la règle en matière de recentralisation. La fiscalité locale est mise à mal. On supprime des ressources pour les remplacer par des dotations étatiques qui resserrent la dépendance des communes, des départements et des régions à l'égard du pouvoir central.
La localisation de l'impôt est symbolique. Elle est importante, aux yeux tant des contribuables que des gestionnaires.
Les contribuables, d'abord, peuvent ainsi comprendre la destination de leur impôt : les réalisations des collectivités, notamment en termes d'équipements ; deviennent palpables.
S'agissant des élus, c'est leur compétence qui est en cause : en localisant l'impôt, on les responsabilise et l'on peut tabler sur une meilleure conception de la mission d'intérêt général qu'ils remplissent.
De cela, vous ne voulez plus et vous organisez la reprise en main de l'impôt par une centralisation dissimulée.
Je mettrai juste l'accent sur le domaine culturel. Le projet de loi de finances pose les limites de la politique de contractualisation et de cofinancement menée par le Gouvernement. Le système actuel aboutit à une inadéquation patente, entre la nature des activités, leur mode de financement et l'échelon territorial qui en est responsable. L'exigence de sincérité budgétaire est bafouée et l'on s'y perd dans le dédale des transferts de charges et de compétences. Dès lors, l'article 72 de la Constitution devient une coquille vide.
Vous avez oublié que le principe de libre administration a pour corollaire celui de la libre gestion, c'est-à-dire la possibilité de disposer de ressources fiscales propres. La proposition de loi de M. le président Christian Poncelet, adoptée par le Sénat, corrige ces dérives. Le Conseil constitutionnel l'a maintes fois rappelé et je ne doute pas un instant qu'il le fera une nouvelle fois. Vous malmenez en quelque sorte la Constitution.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Fournier.
M. Bernard Fournier. En conclusion, sur un autre plan, permettez-moi de sourire lorsque je vous vois vous draper dans le voile de l'indignation parce que nous nous opposons à votre tripatouillage sur l'inversion du calendrier électoral. Vous vous placez, alors, en défenseurs des conceptions gaullistes des institutions ! Votre défense de la Ve République est à géométrie variable. Nous ne sommes pas dupes, le peuple non plus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le ministre, le crédits que nous examinons aujourd'hui enregistrent une augmentation dont nous nous félicitons tous.
Ce qui devrait nous réjouir, à l'heure où chacun s'accorde à reconnaître qu'il est grand temps de donner une nouvelle impulsion à la décentralisation, ne nous leurre pas, car cette augmentation n'est en aucune façon le reflet d'une politique volontariste du Gouvernement en faveur de la décentralisation.
Bien au contraire, cette hausse des crédits est plutôt, à bien y regarder, la conséquence d'une politique insidieuse, mais certaine, de recentralisation du Gouvernement.
Vous ne cessez en effet de supprimer des recettes pour les remplacer par des subventions d'Etat, et cela non en vue d'alléger les charges des collectivités locales ou d'améliorer leurs ressources, mais bien pour des raisons idéologiques.
Par ce biais, vous disposez de moyens de contrainte à l'encontre des collectivités locales afin qu'elles se conforment bien à votre schéma, à savoir assurer une égalité dogmatique de traitement des citoyens sur tout le territoire à l'aide de dispositifs uniformes au niveau national.
Il est clair que, chaque fois que vous supprimez un impôt dont le taux est librement fixé par des élus locaux pour le remplacer par une dotation allouée par l'Etat, c'est une part considérable de l'autonomie des collectivités locales qui disparaît et donc une marge de manoeuvre qui se réduit. Il y a eu, entre autres, la suppression de la part de la taxe professionnelle assise sur les bas salaires, qui s'achèvera dans deux ans. En bref, il y a eu cinq réformes en l'espace de trois années, 85 milliards de francs de fiscalité locale ont été remplacés par des dotations de l'Etat et la part de la fiscalité dans les recettes totales des collectivités locales hors emprunts est passée, en trois ans, en dessous de 50 %.
Ainsi, sous le prétexte d'uniformisation, de lissage des territoires, vous êtes parvenu à aliéner les initiatives locales en les découplant de leurs implications budgétaires, ce qui est absolument contraire au principe d'autonomie fiscale des collectivités locales reconnu par les lois de décentralisation.
Même le président Mauroy s'est insurgé contre cette pratique, puisqu'il a souligné que, « si la modernisation des impôts locaux reste une priorité, la commission estime que celle-ci ne devra plus se faire au détriment de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales ».
Cela pose un réel problème de démocratie locale !
Par ailleurs, on note une certaine recentralisation. En effet, la marge de manoeuvre des collectivités locales est de plus en plus réduite. En se défaussant sur ces dernières de certaines obligations par le biais des contrats de plan Etat-région, le Gouvernement oriente de plus en plus les dépenses de ces collectivités.
Quant à la liberté locale, la domination de l'Etat ne cesse de se renforcer sur les actions des collectivités locales, notamment par l'accentuation du pouvoir de tutelle de préfets dans le cadre de dispositions législatives.
J'en viens aux contrats.
Ces derniers auraient pu constituer un instrument privilégié pour développer des actions communes entre l'Etat et les collectivités locales.
Malheureusement, c'est une logique contractuelle inégalitaire qui a prévalu, car l'Etat utilise le contrat pour associer les collectivités locales à des politiques qui relèvent de sa propre responsabilité, mais qu'il n'était pas en mesure de financer seul, sans pour autant partager la compétence.
Dans son rapport sur l'exécution des contrats de Plan 1994-1996, après avoir relevé que, pour cette génération de contrats, les participations locales, régions comprises, s'étaient élevées à un niveau supérieur à celui de l'Etat, la Cour des comptes a jugé cet état de fait : « Paradoxal puisque les principales actions inscrites aux contrats concernent des domaines qui sont de la responsabilité de ce dernier ». Cela se confirme pour les routes nationales, les plans universitaires ou encore la sécurité publique.
Je doute fort que le bilan soit moins lourd pour ces collectivités à l'issue des contrats de Plan conclus pour la période 2000-2006, car il est notoire qu'ils ne sont que le prolongement de votre vision de la stratégie à tenir dans les régions, pour laquelle vous avez fixé, dès juillet 1999, lors du comité interministériel de l'aménagement et de développement du territoire, les enveloppes ministérielles et régionales de crédits.
Mais, au-delà de ces contrats de Plan qui organisent la cogestion des compétences dans un cadre inégalitaire assurant la prédominance de l'Etat, vous êtes également à l'origine de mesures législatives tout à fait contraignantes pour les collectivités locales. Ces mesures nous les avons largement combattues, parce qu'elles nous sont apparues en totale contradiction avec le principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par la Constitution.
Certaines des dispositions de la loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage sont particulièrement contraignantes, voire coercitives, pour les collectivités locales. Nous pensons notamment au pouvoir de substitution reconnu au représentant de l'Etat pour remplir les obligations mises à la charge d'une commune ou d'un établissement public de coopération.
Peut-on considérer que les collectivités locales sont encore dotées « d'attributions effectives » si l'Etat peut se passer de leur accord dans ce domaine de compétences que la loi leur attribue ? Hélas non ! Voilà donc bien un des nombreux exemples de coups portés à la libre administration des collectivités locales.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, nous ne pouvons pas cautionner votre politique, qui consiste non pas à augmenter les ressources propres des collectivités locales, mais seulement à compenser les impôts que vous supprimez pour mieux orienter à votre guise leurs actions.
Pour conclure, j'aimerais vous rappeler que la décentralisation est en réalité en panne en France. C'est pourquoi nous saluons les efforts de notre président, Christian Poncelet, qui a engagé toute son énergie pour relancer le débat sur ce thème majeur. Tout comme lui, nous considérons qu'il est essentiel de réaffirmer le principe d'autonomie financière de nos collectivités locales. Nous estimons qu'il faudra, dans le même temps, avoir le courage de clarifier les compétences, l'enchevêtrement actuel des compétences n'étant plus supportable tant pour les différentes collectivités terriroriales, et plus encore pour les communes, que pour nos concitoyens, qui sont en droit de savoir qui fait quoi et à quoi servent leurs impôts.
Par ailleurs, il me semble essentiel de faire enfin confiance aux collectivités locales pour mener à bien certaines missions d'intérêt général. Comme l'a si bien dit notre président, Christian Poncelet, osez faire le pari du local ! Cela sous-entend que vous transfériez de nouvelles compétences aux collectivités locales et que ce transfert soit assorti de la possibilité, pour ces dernières, de gérer, sans interférence de l'Etat, les ressources afférentes à ces nouvelles compétences. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)