SEANCE DU 14 DECEMBRE 2000


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Conférence des présidents (p. 1 ).

3. Conseil européen de Nice. - Discussion d'une question orale avec débat. ( Ordre du jour réservé.) (p. 2 ).
MM. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, auteur de la question ; Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères ; Dominique Leclerc, Daniel Hoeffel, Hubert Durand-Chastel.

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

MM. James Bordas, Aymeri de Montesquiou, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Claude Estier.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
MM. le président de la délégation pour l'Union européenne ; Dominique Leclerc, Aymeri de Montesquiou, Daniel Hoeffel, le ministre délégué.
Clôture du débat.
M. le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 3 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 4 ).

réforme de l'aide juridictionnelle (p. 5 )

Mmes Hélène Luc, Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice.

inscription à l'ordre du jour de l'assemblée nationale
d'une proposition de loi adoptée par le Sénat (p. 6 )

MM. Jean Faure, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.

conséquences de la crise de la « vache folle » (p. 7 )

MM. Ambroise Dupont, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.

pérennisation des emplois-jeunes (p. 8 )

Mme Josette Durrieu, M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

modalités de la privatisation
de la compagnie générale maritime (p. 9 )

MM. Josselin de Rohan, Lionel Jospin, Premier ministre.

état des négociations sur l'avenir institutionnel
de la corse (p. 10 )

MM. André Vallet, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.

enseignement agricole (p. 11 )

M. Philippe Darniche, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

« vache folle » et primes à l'élevage (p. 12 )

MM. Jacques Machet, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.

violence des adolescents en banlieue (p. 13 )

MM. Jacques Mahéas, Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.

réorganisation de la poste
et suppression des trains postaux (p. 14 )

MM. Jean-Paul Hugot, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

5. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 16 ).

6. Droit d'accès aux manifestations culturelles organisées sur la voie publique. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission. ( Ordre du jour réservé. ) (p. 17 ).
Discussion générale : M. Philippe Nachbar, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication ; MM. Josselin de Rohan, Serge Lagauche.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 18 )

MM. James Bordas, Michel Esneu, Roland Muzeau.
Adoption des conclusions du rapport de la commission.

7. Modification de l'ordre du jour (p. 19 ).

8. Pénuries de main-d'oeuvre. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission. ( Ordre du jour réservé.) (p. 20 ).
Discussion générale : M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Esneu.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 21 )

Motion n° 1 de M. Roland Muzeau. - M. Roland Muzeau, Mme le secrétaire d'Etat, MM. le rapporteur, Michel Esneu, Pierre Hérisson. - Rejet par scrutin public.

Articles 1er et 2. - Adoption (p. 22 )

Article 3 (p. 23 )

Mme le secrétaire d'Etat.
Adoption de l'article.

Vote sur l'ensemble (p. 24 )

M. Pierre Hérisson.
Adoption des conclusions du rapport de la commission.

Suspension et reprise de la séance (p. 25 )

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

9. Ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté. - Adoption d'une proposition de résolution. ( Ordre du jour réservé.) (p. 26 ).
Discussion générale : MM. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Ladislas Poniatowski, Pierre-Yvon Trémel, Gérard Larcher, Pierre Lefebvre.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
Clôture de la discussion générale.

Proposition de résolution (p. 27 )

Amendements n°s 1 à 4 de M. Pierre-Yvon Trémel. - MM. Jacques Bellanger, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Pierre Lefebvre, Gérard Larcher. - Rejet, par scrutin public, de l'amendement n° 1 ; rejet des amendements n°s 2 à 4.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.

10. Transmission d'une proposition de loi (p. 28 ).

11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 29 ).

12. Dépôt de rapports (p. 30 ).

13. Dépôt d'un rapport d'information (p. 31 ).

14. Ordre du jour (p. 32 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
Jeudi 14 décembre 2000 :

Ordre du jour réservé

A neuf heures trente :
1° Question orale avec débat n° 30 de M. Hubert Haenel à M. le ministre des affaires étrangères sur le Conseil européen de Nice.
Pourront intervenir dans le débat l'auteur de la question (vingt minutes), le président de la commission des affaires étrangères (quinze minutes), un orateur par groupe (dix minutes) et un sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe (cinq minutes), ainsi que le Gouvernement. En outre, chacun des intervenants disposera d'un droit de réponse au Gouvernement (cinq minutes) ;
L'ordre des interventions sera fixé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance avant le mercredi 13 décembre 2000, à dix-sept heures.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures.

Ordre du jour réservé

3° Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 124, 2000-2201) sur la proposition de loi de MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique (n° 478, 1999-2000).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 13 décembre 2000, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
4° Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 125, 2000-2001) sur la proposition de loi de MM. Alain Gournac, Jean Arthuis, Pierre Laffitte, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique (n° 44, 2000-2001).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 13 décembre 2000, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
5° Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 122, 2000-2001) sur la proposition de résolution (n° 89, 2000-2001) de MM. Gérard Larcher, Pierre Hérisson, Paul Girod, François Trucy, Louis Althapé et Philippe Adnot présentée en application de l'article 73 bis du règlement sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (n° E-1520).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 13 décembre 2000, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
Lundi 18 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A dix-neuf heures trente, à quinze heures et le soir :
Projet de loi de finances rectificative pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n° 130, 2000-2001).
La conférence des présidents a fixé au vendredi 15 décembre 2000, à seize heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
Mardi 19 décembre 2000 :
A neuf heures trente :
1° Dix-huit questions orales :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
- N° 863 de M. André Rouvière à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (Circulation de véhicules-épaves) ;
- N° 907 de M. Auguste Cazalet à M. le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire (Situation des associations intermédiaires d'Aquitaine) ;
- N° 916 de Mme Nicole Borvo à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (Mode de transport du courrier) ;
- N° 919 de M. Dominique Braye à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Stockage des déchets radifères) ;
- N° 923 de M. Simon Sutour à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Création d'un registre du cancer dans le département du Gard) ;
- N° 924 de M. Michel Doublet à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Redevance d'occupation du domaine public par une canalisation d'assainissement) ;
- N° 926 de M. Jean-Patrick Courtois à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Régime fiscal applicable au travail des jeunes) ;
- N° 927 de Mme Josette Durrieu à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Responsabilité des maires en matière de contrôle des systèmes d'assainissement non collectif) ;
- N° 928 de M. Jean Boyer à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Usage de stupéfiants et sécurité routière) ;
- N° 929 de M. Francis Giraud à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Diminution préoccupante du nombre de médecins pédiatres) ;
- N° 933 de M. José Balarello à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (Rapport d'inspection relatif au tribunal de grande instance de Nice) ;
- N° 939 de M. Jacques Legendre à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (Conséquences des mesures de précaution sanitaire) ;
- N° 940 de M. Aymeri de Montesquiou à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité (Imputation du montant des bourses d'études sur le RMI) ;
- N° 942 de M. Jean-Jacques Hyest à M. le ministre de l'intérieur (Réforme de la profession de sapeur-pompier) ;
- N° 944 de M. Christian Demuynck à M. le ministre de l'intérieur (Armes des agents de police municipale) ;
- N° 948 de M. Jacques Donnay à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Présence de produits phytosanitaires dans les eaux de pluie du Nord - Pas-de-Calais) ;
- N° 949 de M. Patrick Lassourd à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes (Versement des subventions FEDER) ;
- N° 955 de M. Philippe Richert à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Mise en place du projet de soins infirmiers).
A seize heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire

2° Eventuellement, suite à l'ordre du jour de la veille.
3° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'archéologie préventive (n° 129, 2000-2001).
La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
4° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi de finances pour 2001.
La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
5° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998 (n° 23, 2000-2001).
La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
Mercredi 20 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente, à quinze heures et le soir :
1° Eventuellement, suite à l'ordre du jour de la veille.
2° Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises (n° 21, 2000-2001).
3° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées d'origine animale et modifiant le code rural (n° 110, 2000-2001).
4° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 111, 2000-2001).
Pour l'ensemble des textes inscrits à l'ordre du jour de cette séance, la conférence des présidents a fixé le délai limite pour le dépôt des amendements au mardi 19 décembre 2000, à dix-sept heures.
Jeudi 21 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente :
1° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille.
2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale (AN, n° 2740).
La conférence des présidents a fixé à l'ouverture de la discussion générale le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
3° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire (n° 132, 2000-2001).
4° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique, ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale (n° 133, 2000-2201).
5° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports (n° 123, 2000-2001).
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
6° Suite de l'ordre de jour du matin.
7° Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2000.
La conférence des présidents a fixé à l'ouverture de la discussion générale le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
Eventuellement, vendredi 22 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente et à quinze heures :
Suite à l'ordre du jour de la veille.
Le Sénat a décidé de suspendre ses travaux de séance publique du dimanche 24 décembre 2000 au dimanche 7 janvier 2001.
Mardi 9 janvier 2001 :

Ordre du jour prioritaire

A seize heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la lutte contre les discriminations (n° 26, 2000-2001).
La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 8 janvier 2001, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;
- à deux heures, la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 8 janvier 2001.
2° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (n° 314, 1999-2000).
La conférence des présidents a fixé au lundi 8 janvier 2001, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
Mercredi 10 janvier 2001 :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'adoption internationale (n° 287, 1999-2000).
2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires (n° 415, 1999-2000).
Pour ces deux textes, la conférence des présidents a fixé le délai limite pour le dépôt des amendements au mardi 9 janvier 2001, à dix-sept heures.
Jeudi 11 janvier 2001 :
A dix heures :

Ordre du jour prioritaire

1° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille.
2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AN, n° 2612).
La conférence des présidents a fixé au mercredi 10 janvier 2001, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.
A quinze heures :
3° Questions d'actualité au Gouvernement.
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures.

Ordre du jour prioritaire

4° Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l'ordre du jour réservé ?...
Ces propositions sont adoptées.
J'indique au Sénat que la prochaine conférence des présidents se réunira le jeudi 21 décembre 2000.

3

CONSEIL EUROPÉEN DE NICE

Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 30 de M. Hubert Haenel à M. le ministre des affaires étrangères, sur le Conseil européen de Nice, suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre des affaires étrangères d'exposer au Sénat les résultats du Conseil européen réuni à Nice les 7 et 8 décembre 2000.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me garderai bien de qualifier le sommet de Nice. Je me contenterai d'examiner le principal résultat de ce Conseil sous présidence française à la lumière des résultats de ce qu'on a appelé la Conférence intergouvernementale, la CIG, à savoir que la voie de l'élargissement est désormais libre.
Rappelons tout d'abord que la nécessité d'une réforme institutionnelle en préalable à l'élargissement était déjà reconnue avant la négociation d'Amsterdam. Celle-ci n'ayant pas abouti sur ce point, la France, la Belgique et l'Italie avaient rappelé, dans une déclaration annexée au traité, que l'élargissement restait subordonné à une réforme institutionnelle. L'Assemblée nationale et le Sénat avaient d'ailleurs tenu, chacun s'en souvient, à inscrire cette exigence dans la loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam par la France. Progressivement, les autres pays membres s'étaient ralliés à cette démarche. C'est ainsi qu'a été lancée la Conférence intergouvernementale qui vient de se conclure.
Il n'était pas acquis qu'un accord serait obtenu à Nice. Jusqu'à présent, l'Europe n'avait jamais connu de négociation strictement limitée au fonctionnement des institutions ; il y avait toujours une question de fond qui entraînait à la suite les questions purement institutionnelles. Ce n'est que pour réaliser l'achèvement du marché intérieur que l'on a obtenu le consensus sur la prise de décision à la majorité qualifiée dans l'Acte unique. C'est parce que la monnaie européenne était un objectif mobilisateur que l'on s'est mis d'accord sur le traité de Maastricht. L'on fut bien heureux de mettre en avant la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice pour le traité d'Amsterdam. Cette fois-ci, la négociation se limitait à quatre questions institutionnelles et avait pour seul objectif de revoir les règles du jeu.
L'exercice était d'autant plus difficile que ces questions avaient déjà été abordées, sans succès, lors de la négociation d'Amsterdam. Dès lors qu'il s'agissait de définir, finalement, la place de chaque pays dans le processus de décision, les gouvernements avaient une marge de manoeuvre très étroite.
Finalement, si un accord a pu être trouvé, c'est parce que aucun Etat membre ne voulait endosser la responsabilité de donner un coup d'arrêt au processus d'élargissement et de provoquer une crise qui aurait pu mettre en péril la monnaie européenne.
Après l'accord de Nice, le préalable institutionnel se trouve donc levé. Personne ne semble tout à fait sûr que le nouveau traité permettra aux institutions de bien fonctionner après l'élargissement, mais, du moins, tout le monde est d'accord pour ne plus revenir sur cette question. Nous savons donc désormais quelle sera la physionomie de l'Union élargie.
Deux objectifs ont été mis en avant dans le débat qui a entouré les négociations : conforter la légitimité des institutions et en améliorer l'efficacité.
Considérons la légitimité, tout d'abord.
Le maintien des règles en vigueur aurait, à coup sûr, compromis la légitimité du processus de décision. Pour des raisons historiques, la pondération des votes au Conseil était très favorable aux Etats les moins peuplés. C'était acceptable dans une Union à douze, qui comptait sept « petits » Etats et cinq « grands » ; mais, déjà, l'équilibre avait commencé à se détériorer dans l'Europe à quinze. Avec l'élargissement, qui va concerner dix « petits » Etats, un « moyen », la Roumanie, et un seul « grand », la Pologne, on serait arrivé à un déséquilibre flagrant. Il fallait donc modifier les règles pour retrouver un équilibre raisonnable dans l'Union élargie.
A l'issue du traité de Nice, les institutions sont-elles plus légitimes ?
Pour ce qui est de la pondération des votes au Conseil, il y a un progrès, mais un progrès relativement modeste.
Prenons un exemple qui nous concerne de près : la France représentera 12,5 % de la population de l'Union élargie ; avec les anciennes règles, elle aurait eu 7,5 % des droits de vote ; avec les nouvelles règles, elle en aura 8,4 %. La représentativité du Conseil est donc un peu améliorée, mais de là à voir dans le nouveau système une sorte de directoire des « grands » Etats, il y a un pas qu'on ne saurait franchir.
Et l'on ne doit pas oublier que les nouvelles règles restent favorables aux Etats les moins peuplés, ce qui est d'ailleurs normal, finalement, dans une union d'Etats comme l'Union européenne.
Il est vrai que, par ailleurs, le nouveau système de vote comporte un « filet démographique ». Lorsque la majorité qualifiée aura été atteinte en nombre de voix, il faudra s'assurer que ces voix représentent au moins 62 % de la population de l'Union. A l'heure actuelle, la majorité qualifiée représente au moins 58 % de la population de l'Union. En l'absence de réforme, le pourcentage aurait été d'à peine 50 % dans l'Europe élargie. Le « filet démographique » est donc un progrès pour la représentativité du Conseil.
On dira qu'il s'agit là d'une mesure très favorable aux grands Etats, spécialement à l'Allemagne, qui représentera à elle seule 17,5 % de la population de l'Europe élargie. Certes, mais les « petits » Etats ont obtenu en contrepartie une clause stipulant que toute décision devra être approuvée par une majorité d'Etats membres. Cela permettra, le cas échéant, à une coalition de « petits » Etats représentant moins de 12 % de la population de bloquer une décision ; l'hypopthèse est, bien entendu, un peu extrême, du moins on l'espère, mais elle montre que le système n'écrase pas, loin de là, les Etats les moins peuplés.
Dans l'ensemble, la légitimité du Conseil sort plutôt renforcée du nouveau traité ; sa représentativité se trouve améliorée sans que les « petits » Etats puissent se juger marginalisés.
Pour ce qui est du Parlement européen, la situation est plus étrange.
Les députés des « grands » Etats représenteront tous à peu près 800 000 habitants, mais ensuite la règle adoptée paraît moins claire. Par exemple, un député néerlandais représentera 630 000 habitants et un député belge en représentera 460 000 : on a peine à comprendre la légitimité d'un tel écart. D'une manière générale, les écarts de représentation resteront considérables et seront même plus accentués qu'aujourd'hui : un électeur luxembourgeois vaudra onze électeurs français, un électeur chypriote en vaudra six et un électeur danois en vaudra deux. En bref, la légitimité du Parlement européen ne sort pas renforcée du traité de Nice.
J'ajouterai un mot, enfin, sur la Commission européenne.
Il n'y a pas lieu, en principe, de la considérer sous l'angle de la représentativité. Son rôle n'est absolument pas de représenter les Etats ; il est de prendre l'initiative de la législation communautaire, de favoriser un accord sur les textes et de participer à leur exécution. Mais, dans les faits, on a constaté que les Etats membres tenaient presque tous très fermement à avoir « leur » commissaire. La solution à laquelle on est parvenu, un commissaire par Etat membre, n'est pas inattendue. Le risque de cette solution est que chaque Etat se sente en quelque sorte représenté par « son » commissaire.
La Commission serait alors, dans le processus de décision, le seul lieu où les Etats seraient représentés de manière égalitaire, ce qui est d'ordinaire, dans un système fédéral, le rôle dévolu à la deuxième chambre et non à un organe exécutif. Il reste à espérer que les nouveaux pouvoirs reconnus au président de la Commission, qui sera désormais désigné par le Conseil à la majorité qualifiée et qui disposera d'une autorité accrue sur son équipe, permettront d'empêcher une telle évolution.
Venons-en maintenant au second critère permettant d'apprécier la réforme, celui de l'efficacité.
Un élément va dans le sens du progrès, c'est l'augmentation du nombre des domaines où le Conseil statuera à la majorité qualifiée. Certes, l'avancée n'est pas aussi grande qu'on aurait pu l'espérer dans l'absolu, mais nombre de progrès avaient déjà été réalisés par les traités précédents et l'on atteignait une sorte de « noyau dur » de matières très sensibles pour tel ou tel Etat, y compris le nôtre. Le gain de Nice n'est donc pas négligeable.
En revanche, la procédure de décision sera manifestement plus lourde qu'auparavant. Les décisions du Conseil devront respecter trois critères : la majorité des Etats membres, la majorité qualifiée en nombre de voix et la majorité démographique de 62 %. Il faut ajouter que la majorité qualifiée sera un peu plus difficile à obtenir puisqu'il faudra près de 75 % des voix pour l'atteindre, au lieu de 71 % aujourd'hui.
Par ailleurs, la procédure de codécision avec le Parlement européen s'appliquera à de nouveaux domaines, devenant pratiquement la procédure de droit commun.
Tout laisse donc à penser que le processus de décision sera, dans l'ensemble, plus lent qu'aujourd'hui.
Quant à la révision des traités, qui suppose l'unanimité, on peut juger d'après les expériences d'Amsterdam ou de Nice qu'elle ne sera pas une mince affaire dans une Union à vingt-sept.
Mais l'efficacité repose en grande partie sur un bon équilibre des institutions. Depuis quelques années, cet équilibre est en évolution. Le rôle du Conseil européen s'est beaucoup affirmé - peut-être trop, aux yeux de certains - de même que celui du Parlement européen ; en revanche, le Conseil des ministres et surtout la Commission se sont retrouvés plus en retrait. Qu'en sera-t-il après Nice ?
Il est difficile de savoir si le Conseil européen, qui statue par consensus, pourra pleinement jouer son rôle quand il comptera vingt-sept membres.
Pour ce qui est de la Commission, lorsqu'elle sera composée d'un commissaire par Etat membre, aura-t-elle tendance à refléter les intérêts des Etats membres ou saura-t-elle d'autant mieux en faire la synthèse ? Les deux hypothèses sont envisageables.
Le Conseil risque, quant à lui, d'être affaibli par l'alourdissement du processus de décision. Il lui sera difficile d'entretenir un dialogue équilibré avec le Parlement européen, qui, pour sa part, ne subira pas de nouvelles contraintes.
Finalement, on peut déjà dire que les nouvelles règles devraient permettre au Parlement européen de poursuivre sa montée en puissance.
Cette évolution peut être positive pour la vie démocratique européenne. Cependant, il ne serait pas souhaitable pour l'Union d'en venir, insensiblement, aux « délices et poisons » du régime d'assemblée.
Le Parlement européen a longtemps exercé un rôle limité. Ce n'est plus vrai aujourd'hui : ses pouvoirs sont, en pratique, plus importants que ceux dont disposent les assemblées dans les régimes parlementaires nationaux, et je parle non seulement du Sénat français mais aussi de l'Assemblée nationale.
Il ne serait pas anormal, il serait même urgent, à ce stade, d'encadrer un peu mieux cette montée en puissance. Peut-être pourrait-on réfléchir, sur le plan budgétaire, à une sorte d'« article 40 » européen qui favoriserait la maîtrise des dépenses ; la mise en jeu de la responsabilité de la Commission européenne pourrait, elle aussi, obéir à des règles plus précises ; surtout, une meilleure distinction pourrait être opérée entre la législation européenne proprement dite, entre ce qui relève de la loi, comme on dit chez nous, défini par l'article 34 de notre Constitution, et les textes de caractère technique.
Le Parlement européen est amené aujourd'hui à se prononcer en codécision avec le Conseil, par exemple, sur les normes applicables aux ascenseurs, les dimensions des tracteurs ou encore la puissance des motos. Est-ce bien là le rôle que doit jouer le Parlement d'une Union de près de 500 millions d'habitants ? L'efficacité et la rapidité du processus de décision gagneraient sans doute à une clarification dans ce domaine.
Au terme de cette rapide analyse, on est tenté de conclure que, après le traité de Nice, le processus de décision sera certes un peu plus légitime, mais ne sera sans doute guère plus efficace qu'aujourd'hui et que l'équilibre entre les institutions sera très fragile.
Comme le préalable institutionnel est aujourd'hui levé, l'élargissement apparaît plus que jamais comme un saut dans l'inconnu. Nous avons brûlé nos vaisseaux : il nous faut maintenant réussir à nous orienter, alors que nous entrons dans un territoire nouveau.
La première conséquence que nous devons tirer du traité de Nice, c'est la nécessité de faire preuve de beaucoup de vigilance dans la négociation de l'élargissement. L'adhésion doit se faire sur la base de règles précises et raisonnables, car, une fois l'élargissement réalisé, il sera difficile d'effectuer des ajustements.
Cette vigilance devra d'abord porter sur la question budgétaire. En effet, une application immédiate et complète aux pays candidats des systèmes d'aide européens sans les avoir revus, en particulier dans le domaine agricole, entraînerait un emballement des dépenses. L'élargissement devra impérativement s'accompagner d'une meilleure maîtrise de la dépense communautaire et d'une adaptation des aides agricoles à la situation des différents pays candidats.
Ces aides ont été mises en place dans l'Union européenne actuelle pour compenser la diminution des prix garantis : or, pour les agricultures des pays candidats, l'adhésion entraînera plutôt, en règle générale, un relèvement de ces prix, ou, au minimum, leur maintien. Il n'est donc pas nécessaire d'appliquer sans discernement aux pays candidats les aides directes telles qu'elles existent aujourd'hui.
La vigilance devra aussi porter tout particulièrement sur la capacité des pays candidats à appliquer le droit communautaire et à respecter la discipline de l'Union.
L'Europe est une tête sans corps : ce sont les Etats membres qui sont, pour l'essentiel, chargés de mettre en oeuvre ses décisions et qui disposent des moyens pour le faire. C'est sur la confiance mutuelle dans la volonté et la capacité d'appliquer les décisions prises en commun que repose en grande partie le fonctionnement de la Communauté.
Les administrations des pays candidats et leurs systèmes judiciaires sont-ils en mesure de mener rapidement à bien l'immense effort nécessaire pour assurer le respect effectif des règles communes ?
Cet aspect de l'élargissement devra faire l'objet de toute notre attention, car, si l'Union cessait de pouvoir pleinement s'appuyer sur les Etats membres, c'est tout son équilibre qui serait menacé. Quelle valeur conserveraient, dans un marché unique, des règles qui seraient peu, mal ou pas appliquées par certains ? On l'a bien vu récemment avec la transposition des directives par la voie des ordonnances.
Pour asseoir sa légitimité, la construction européenne doit devenir synonyme de sécurité accrue pour tous les citoyens. Quelles seraient les réactions de l'opinion si, à la suite de l'élargissement, la lutte contre la délinquance transnationale devenait encore plus difficile ou si la sécurité alimentaire paraissait moins bien garantie ? C'est une question cruciale.
Après l'accord de Nice, l'élargissement est une perspective prochaine. Raison de plus pour dire aux pays candidats que c'est le moment pour eux d'accentuer leurs efforts de réforme, et non de les relâcher.
Mais soyons clairs : même en supposant, comme nous l'espérons tous, que l'élargissement soit un succès complet, l'Union sera malheureusement, par la force des choses, un ensemble moins cohérent, moins homogène qu'aujourd'hui. Les progrès de l'intégration seront nécessairement plus lents.
Il faudra donc accepter d'avancer de manière plus différenciée qu'auparavant. Les « coopérations renforcées » introduites par le traité d'Amsterdam, et dont l'accord de Nice a assoupli le régime, peuvent apparaître comme l'instrument d'une différenciation encadrée et maîtrisée. Parviendront-elles à jouer ce rôle ? Dans certains domaines, c'est possible et en tout cas souhaitable. Mais si les coopérations réunissent certains pays dans tel domaine et d'autres pays dans tel ou tel autre domaine, on risque de s'orienter vers une union « à la carte » qui ne constituerait pas un véritable approfondissement de la construction européenne.
L'Europe élargie aura plus que jamais besoin d'une force d'entraînement, d'un « noyau dur » de pays décidés à aller de l'avant et prêts à participer à toutes les coopérations renforcées. Cela veut dire que le couple franco-allemand reste irremplaçable et a encore, en tout cas à mes yeux, un grand avenir.
On a beaucoup dit - peut-être trop - que ce couple serait désormais moins équilibré qu'auparavant. C'est sans doute vrai. Par sa population, par son économie, par sa place au coeur de l'Europe élargie, l'Allemagne se retrouve désormais au premier rang. Mais l'histoire lui a enseigné qu'elle n'avait pas intérêt à faire cavalier seul. Cette fameuse « voie particulière » allemande, le Sonderweg , est un chemin qui ne mène nulle part.
Un renouveau du couple franco-allemand est dans l'intérêt des deux partenaires et, plus généralement, dans l'intérêt de l'Europe. En effet, cette relance, associant les autres pays fondateurs, permettrait de contrebalancer les ferments de dispersion que comporte l'élargissement et surtout de conserver une véritable ambition politique pour l'Union européenne.
Depuis l'accord de Nice, nous avons entendu beaucoup de critiques sur la présidence française. Elles me paraissent injustes. Compte tenu de l'état d'esprit qui régnait dans les délégations, pouvait-on obtenir un meilleur résultat ? Au risque de paraître « ringard » aux yeux de beaucoup, je ne le crois pas. Bien des gouvernements qui, aujourd'hui, font la moue devant l'accord de Nice étaient parmi les plus intransigeants lors des négociations. En réalité, au lieu de se demander comment rendre les institutions plus efficaces, beaucoup de pays voulaient surtout s'assurer qu'ils pourraient continuer à bloquer les décisions dans les domaines qui les intéressaient le plus.
Il n'y avait pas de vision stratégique commune pour cimenter les quinze Etats membres. Le souci d'affirmer l'identité européenne était loin d'être prioritaire. J'en veux pour preuve, monsieur le ministre, la manière dont on a proclamé la charte des droits fondamentaux, presque en catimini, comme si l'on avait honte de ce texte. Nous savions bien qu'on ne pourrait l'intégrer dès maintenant dans les traités, mais il le sera un jour, j'en prends le pari, et peut-être plus vite qu'on ne le croit. En tout cas, ce n'était pas une raison pour minimiser à ce point sa portée.
Finalement, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de Nice est un révélateur de l'état de l'Union, une Union qui a tendance à perdre un peu l'élan sur lequel elle avait vécu jusqu'à maintenant. Rien n'est perdu, mais nous savons bien qu'il faudra donner le plus vite possible à l'Europe élargie un deuxième souffle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un semestre d'une présidence française active, le Conseil européen de Nice a permis d'aboutir à un traité. Il est le résultat d'un compromis difficile sur des questions institutionnelles qui mettent aux prises, d'un côté, les intérêts nationaux et, de l'autre, une logique communautaire fondée sur leur dépassement librement consenti.
Les calendriers politiques de certaines capitales européennes ne sont pas sans influence sur le résultat final : ils démontrent, et ce n'est pas le moins préoccupant, que les opinions publiques sont loin d'être acquises à l'Europe. On mesure le travail de rapprochement qui reste à faire entre l'Europe et ses citoyens.
C'est dans ce contexte qu'il faut, à mon avis, porter une juste appréciation sur notre présidence. Je suis de ceux qui lui rendent acte du travail considérable réalisé en moins de six mois. J'ai de l'estime pour le Président de la République et pour ceux qui, comme vous, monsieur le ministre, l'ont accompagné. Critiquer après coup est facile ; obtenir des résultats, même imparfaits, constituait un exercice beaucoup plus compliqué.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Je mentionnerai brièvement les avancées que constituent la proclamation de la Charte des droits fondamentaux, l'adoption d'un agenda social, l'attention portée aux intérêts des consommateurs ou encore à la sécurité maritime. Le résultat obtenu sur le plan des institutions, principal sujet de l'ordre du jour, me paraît acceptable, même si, c'est vrai, il se situe en deçà des ambitions initiales.
Nous avons eu, hier matin, au sein de la commission des affaires étrangères, un débat particulièrement riche sur le résultat de ce Conseil européen. Il a permis à chacun des membres présents, quelle que soit sa sensibilité, d'exprimer son appréciation sur le sujet en débat aujourd'hui.
Un échec à Nice aurait signifié une rupture dans le processus d'élargissement engagé depuis des années, alors que celui-ci s'inscrit dans l'ambition originelle de la construction européenne. C'est dans cette perspective que l'Union se devait d'aménager son système institutionnel.
La nouvelle grille de pondération des voix au Conseil est de nature à rééquilibrer l'influence des Etats les plus peuplés dans une Union élargie, dans cinq à dix ans, à une majorité de petits Etats. Le dispositif de décision est cependant très complexe. Ne permettra-t-il pas davantage les minorités de blocage qu'une véritable capacité à avancer sur les sujets relevant de la majorité qualifiée ?
Le poids démographique spécifique de l'Allemagne a été pris en compte non pas dans le cadre des pondérations des voix au Conseil mais dans celui des effectifs de ce pays au Parlement européen et au travers d'une clause de vérification démographique. Vous nous préciserez, monsieur le ministre, les conditions de mise en oeuvre de cette disposition.
Sur les sujets soumis à la majorité qualifiée, des progrès ont été réalisés, mais des domaines d'action essentiels relèveront, hélàs ! encore pour longtemps, de l'unanimité. Presque chaque Etat, dont le nôtre, avait sa « ligne rouge » qu'il entendait ne pas dépasser.
L'amélioration du mécanisme des coopérations renforcées est un point positif, M. Haenel l'a dit. Nous étions nombreux, au sein de la commission, à en regretter le caractère trop paralysant. Il semble qu'au-delà des premier et troisième piliers des coopérations renforcées puissent être réalisées dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC. Je vous serai reconnaissant, monsieur le ministre, de nous apporter des précisions sur ce point.
Le plafonnement différé des effectifs de la Commission, avec, potentiellement, un commissaire par Etat membre, ne me paraît guère conforme à la logique profonde de ce collège. Je crains que la lourdeur ne menace cet organisme, qui joue un rôle essentiel dans l'initiative et la gestion des domaines communautaires. Vous nous direz si les nouveaux pouvoirs accordés au président sont de nature à apaiser ces craintes.
Je souhaite, à présent, aborder ce qui me paraît être l'un des résultats les plus positifs du Conseil européen de Nice : la mise en oeuvre, à quinze, d'une politique de défense commune.
La réunion franco-britannique de Saint-Malo, les conseils de Cologne, d'Helsinki et de Feira ont été les jalons de cette avancée concrète de l'Union, que la présidence française a menée à bien jusqu'à la conférence d'engagement des capacités du 20 novembre dernier et dont le Conseil européen de Nice a entériné l'aspect tant institutionnel que capacitaire.
Je ne reviendrai pas ici sur le détail du contenu « militaire » de la force de réaction rapide européenne, dont votre collègue Alain Richard, monsieur le ministre, a eu l'occasion ici même de nous présenter le dispositif. Celui-ci, crédible et ambitieux, mettra l'Union, à l'horizon 2003, à même d'intervenir dans une crise régionale sur la base des trois types de missions dites de Petersberg.
Ma première interrogation, monsieur le ministre, concernera la relation de l'Union européenne et de l'OTAN.
Il a été entendu que, dans le domaine de la sécurité, ces deux organisations entendaient non pas développer entre elles des relations de concurrence, mais nouer des liens étroits de coopération et de concertation. L'ambition européenne a d'ailleurs été finalement perçue positivement par nos alliés américains, qui y ont vu le moyen le plus adapté au renforcement équilibré des capacités militaires profitant à l'une comme à l'autre des deux institutions.
Deux incertitudes persistent cependant quant à la réalité de l'autonomie européenne par rapport à l'Alliance, sur lesquelles nous souhaiterions, monsieur le ministre, obtenir quelques éclaircissements.
La première concerne la relation entre le conseil de l'Atlantique nord et le comité politique et de sécurité, et le niveau d'autonomie de l'un par rapport à l'autre, chacun de ces deux organes rassemblant, au niveau des ambassadeurs, les représentants des Etats parties respectivement à l'Alliance atlantique et à l'Union européenne.
Il semblerait que certains alliés, notamment américains, souhaitent que les relations de travail entre les deux organisations se fassent à ce niveau le plus souvent possible, dans un cadre conjoint dit « à 23 », à savoir les 19 pays de l'Alliance et les 4 membres de l'Union n'appartenant pas à l'Alliance atlantique.
Une telle démarche risquerait sans doute, pour peu qu'elle devienne le mode habituel de fonctionnement entre les deux instances, de diminuer le dégré d'autonomie de l'Union, autonomie qui fonde pourtant l'action qu'elle a entreprise.
Dans le même ordre d'idée, ma seconde interrogation concerne les relations entre l'OTAN et l'Union quant aux capacités de planification militaire. Nombre de nos alliés, y compris européens, souhaitent qu'elles restent l'apanage de l'Organisation atlantique, quitte à en garantir l'accès, de droit, à l'Union européenne.
Nous vous serions reconnaissants, monsieur le ministre, de nous préciser l'état des négociations sur ces questions ou les décisions qui ont pu être prises à Nice.
D'une façon générale - c'est ma deuxième observation - la capacité européenne de gestion des crises se distingue de celle de l'OTAN en ce qu'elle se veut globale, associant aux seuls aspects militaires des enjeux civils : action humanitaire, restauration de l'état de droit ou encore forces de police, dont la création a été décidée au Conseil européen de Feira. Un mécanisme spécifique de gestion civile des crises a d'ailleurs parallèlement été décidé au printemps dernier.
Il se trouve que, dans cette conception globale de la gestion des crises, une certaine confusion institutionnelle risque de se faire jour entre les instances communautaires, d'une part, et celles qui relèvent de l'autorité du Conseil, d'autre part. Leurs compétences respectives peuvent se recouper et aboutir à une dispersion des responsabilités et des moyens dont on imagine les effets en termes d'efficacité. Un « cadre de référence » a été élaboré à Nice, destiné à coordonner l'ensemble. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en clarifier la philosophie générale ?
Ma dernière observation quant à cette politique européenne commune de sécurité et de défense a trait à la méthode qui a été utilisée pour lui permettre d'aboutir dans le domaine la défense.
Dans cette méthode, trois éléments me paraissent devoir être relevés.
En premier lieu, il y avait, au départ, une ambition française, à laquelle l'Allemagne s'est associée pour donner naissance à la brigade franco-allemande puis au corps européen. Ensuite - quelle originalité ! - une implication britannique, véritable déclencheur de la démarche européenne, a abouti au dispositif à quinze.
En deuxième lieu, des progrès importants ont été réalisés lors des conseils européens successifs, mais dans un cadre intergouvernemental strict, et en marge des traités.
Enfin, en troisième lieu, et il s'agit sans doute là de l'ingrédient principal, il faut la citer volonté politique dont l'expérience militaire au Kosovo aura été le terreau fécond pour faire prendre conscience, aux opinions comme aux gouvernements, de l'impérieuse nécessité d'agir ensemble.
L'appréciation que l'on peut porter sur cette méthode dépasse le cadre de la seule défense européenne.
Elle démontre qu'un petit nombre de pays déterminés, animés d'une volonté politique claire, peuvent initier un projet que les autres rejoignent ensuite pour faire franchir à l'Union un pas considérable.
Ce succès a cependant un prix, en ce sens que l'on fait progresser l'Europe en dehors de son cadre habituel, en une sorte de coopération renforcée de fait, un peu comme le fut, au départ, la réflexion « Schengen » sur la libre circulation des personnes.
Si je me suis permis, monsieur le ministre, de développer cet aspect de la démarche qui fonde la défense européenne, c'est qu'elle est, d'une certaine façon, un modèle et qu'elle n'est pas sans lien avec les idées émises cette année, autour des termes d'« avant-garde », de « centre de gravité », d'« Etats pionniers ».
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Ces propositions devraient constituer la base d'une réflexion plus vaste sur l'organisation future de l'Union européenne à laquelle notre pays, désormais affranchi des contraintes de la présidence, se doit de prendre toute sa part dans la perspective du prochain rendez-vous de 2004.
Un accord à Nice était nécessaire, mais le traité qui en résulte n'est pas totalement suffisant pour une Europe ambitieuse. Les quatre années qui viennent devront être l'occasion de préparer des réponses audacieuses aux attentes et aux espoirs que les peuples de l'Europe réunie placent dans une véritable refondation de l'Union. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France achèvera sa présidence de l'Union européenne le 31 décembre prochain.
Le bilan de la présidence française est tout a fait convenable. Contrairement à ce qu'une certaine presse, assassine et partisane - et je pèse mes mots - a bien voulu dire, le sommet de Nice est une réussite.
Pendant plus de six mois, il sera revenu à notre pays de présider aux destinées d'une communauté de quinze pays européens représentant 375 millions d'habitants et près de 20 % du produit national brut mondial.
Le défi, pour le Président de la République, Jacques Chirac, et pour les autorités françaises, chargés d'insuffler une nouvelle dynamique au fonctionnement de cet ensemble, notamment avec les dossiers de la révision des institutions, de l'élargissement ou encore de l'agenda social, aura été titanesque.
La France, fidèle à ses convictions, a rempli ses engagements, et ce parce qu'elle a parlé d'une seule voix.
Les enjeux de cette présidence étaient considérables, et nous ne pouvons que féliciter le Président de la République d'avoir fortement contribué à l'obtention d'un accord qui avait été impossible à finaliser il y a trois ans.
Notre pays a surmonté tous les pièges dans lesquels certains souhaitaient qu'il tombât. Car enfin, la tâche n'était pas facile : il s'agissait de remplir les engagements pris à Helsinki envers les pays candidats sans défaire l'Union et de permettre à l'Europe des années 2000 de continuer à fonctionner avec efficacité au service du citoyen.
Le premier succès est d'être parvenu à un accord. En effet, un échec de la négociation aurait ouvert une crise sérieuse en Europe et, surtout, menacé le processus d'élargissement. Les réactions très positives des pays candidats au Conseil européen de Nice en témoignent.
C'est le meilleur accord possible compte tenu des enjeux considérables de la négociation, des contraintes qui existaient, notamment le caractère inflexible de certains Etats membres dans la défense de leurs intérêts nationaux. Je pense plus spécialement à M. Blair, qui a bloqué toute possibilité d'extension, même limitée, de la majorité qualifiée à la fiscalité ou aux affaires sociales.
Les amis socialistes du Gouvernement lui réservent quelquefois des surprises. Enfin, c'est certainement ce que M. Jospin a dû penser !
Bien sûr, les eurosceptiques pourront dire que le traité de Nice ne répond pas exactement à toutes les ambitions que nous avions affichées. Cependant, l'accord qui découle de ce sommet répond à la première exigence de la nouvelle construction européenne : doter l'Union européenne de la capacité de décider et d'agir après que l'Europe aura procédé à un élargissement sans précédent.
Comme l'a dit le Président de la République : « Vous verrez, ce sommet restera dans l'histoire de l'Europe comme un grand sommet par l'ampleur et la complexité des problèmes réglés. »
L'équilibre entre représentativité et efficacité, qui avait tant manqué lors du sommet d'Amsterdam, il y a trois ans, était présent à Nice, grâce à la bonne volonté de tous les Etats et aux efforts qui ont été consentis par tous les pays présents.
Encore une fois, contrairement à ce que nous avons pu entendre, il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu, à Nice. Comme l'a déclaré M. Michel Barnier dans Le Figaro , du 12 décembre dernier : « Contrairement à ce qu'affirment certains critiques, la France a fait les efforts qu'on peut attendre de la présidence. »
Mon propos concernera plus particulièrement le volet social et toutes les questions qui s'y rattachent.
La stratégie européenne de l'emploi, lancée par le traité d'Amsterdam et le sommet de Luxembourg de novembre 1997, s'est vue consacrée au Conseil européen de Nice avec l'adoption de l'agenda social.
Qu'est-ce que l'agenda social ?
Lors du sommet de Lisbonne, les 23 et 24 mars dernier, les Quinze ont défini un plan pour contribuer à la mise en place d'une Europe de la croissance et de l'emploi dans le cadre d'un développement durable.
La présidence française a tenté de poursuivre cette politique en encourageant une meilleure coordination des politiques économiques et fiscales, en renforçant le pacte européen pour l'emploi et en instaurant une véritable « communauté de l'intelligence et du savoir ».
L'agenda social propose six points d'action : la promotion des emplois de qualité ; l'instauration d'un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité dans un environnement de travail en évolution ; la lutte contre la pauvreté, l'exclusion et la discrimination et l'encouragement de l'intégration sociale ; la modernisation des régimes de protection sociale ; la promotion de l'égalité des chances entre hommes et femmes ; le renforcement de la dimension sociale de l'élargissement et des relations extérieures de l'Union.
En effet, ces six derniers mois, l'Europe a progressé dans la voie de la croissance et de l'emploi.
Ainsi, la présidence française a poursuivi l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, renforcé la coordination de nos politiques économiques au sein de l'Eurogroupe et accéléré notre préparation commune à l'entrée de l'euro dans la vie quotidienne des citoyens européens.
Ces dernières semaines, trois progrès considérables ont été réalisés.
D'abord, les anciennes et difficiles négociations sur le paquet fiscal, qui englobe la fiscalité de l'épargne, ont été conclues.
Ensuite, l'agenda social européen a été adopté au terme d'un vaste processus de consultation, notamment des partenaires sociaux.
L'Union s'est ainsi dotée d'un programme de travail fixant sur cinq ans objectifs et rendez-vous dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la mobilité, de la formation tout au long de la vie et de la lutte contre les discriminations et l'exclusion.
Enfin, l'adoption, non sans peine, du volet social de la société anonyme européenne est intervenue à Nice.
C'est l'aboutissement d'un projet vieux de trente ans et sur lequel Mme Guigou avait échoué lors du Conseil « social-emploi », les 27 et 28 novembre dernier. Je regrette de devoir le dire, mais c'est la vérité.
Cependant, grâce au Président de la République, Jacques Chirac, qui a su arranger les choses avec son homologue espagnol, le dossier de la proposition de directive sur la société anonyme européenne est réglé.
Vous me permettrez une petite digression sur la place que tient notre pays en matière de politique sociale au sein de l'Union européenne.
En effet, il me semble opportun de rappeler au Gouvernement que l'Union européenne a un peu montré du doigt la gestion de notre politique sociale, qui, à bien des égards, lui semble mauvaise et tout à fait perfectible.
Le taux de taxation moyen du travail reste trop élevé. Le taux d'emploi est passé de 59,9 % en 1998 à 60,4 % en 1999, ce qui traduit, certes, une amélioration, mais il reste inférieur à la moyenne européenne.
Le taux de chômage a diminué - de 11,7 % en 1998, il est passé à 11,3 % en 1999 -, mais il reste cependant supérieur à la moyenne de l'Union européenne.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Aujourd'hui, il est de 9 % !
M. Dominique Leclerc. Le traitement précoce du chômage des jeunes et des adultes, avant six et douze mois, n'a pas été à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement.
En effet, les actions de « nouveau départ » en faveur des jeunes et des adultes dans les six et douze premiers mois de chômage en 1999, qui concernaient 69 000 jeunes et 154 000 adultes, n'ont pas atteint l'objectif fixé. Le taux de non-respect est de 77 % pour les jeunes et de 74 % pour les adultes.
La priorité a été donnée aux chômeurs de longue durée et aux personnes menacées d'exclusion, qui constituent 73 % du total des bénéficiaires des actions de « nouveau départ ».
Dans le cadre du programme « nouveaux services emplois-jeunes », le nombre d'emplois créés est passé de 160 000 en 1998 à 223 000 en 1999, alors que le Gouvernement avait annoncé plus de 250 000 emplois au titre du plan d'action nationale.
De plus, se pose toujours le problème de la pérennité de ces emplois : que se passera-t-il au-delà de la période subventionnée ?
M. Claude Estier. On est loin du sommet de Nice !
M. Dominique Leclerc. Pour remédiér à cette mauvaise politique, le Conseil avait fait au gouvernement français des recommandations. Permettez-moi d'en citer quelques-unes.
Il s'agirait, pour nous, de reconsidérer les régimes de prestations existants, notamment ceux qui favorisent les départs en retraite anticipée, afin d'inciter les travailleurs les plus âgés à rester plus longtemps dans la vie active.
Il s'agirait d'adopter et d'appliquer des stratégies cohérentes incluant des mesures réglementaires, fiscales et d'autres types d'initiatives destinées à réduire les charges administratives des entreprises, en vue d'exploiter le potentiel de création d'emplois du secteur des services en s'appuyant sur les récents efforts d'ouverture de nouvelles perspectives d'emploi pour les jeunes.
Il s'agirait encore de poursuivre et d'évaluer les mesures destinées à réduire la pression fiscale sur le travail, notamment le travail non qualifié et peu rémunéré.
Il s'agirait aussi de renforcer le partenariat social en vue d'adopter une approche globale en matière de modernisation de l'organisation du travail.
Je souhaiterais savoir si vous envisagez de tenir compte de ces recommandations. Et si tel n'était pas le cas, pourriez vous nous expliquier ce que vous envisagez de faire pour que la France ait un carnet de notes un peu moins sévère la prochaine fois ?
Pour terminer, je ferai le même voeu que le président Jacques Chirac, c'est-à-dire que « le traité de Nice soit ratifié le plus vite possible, dans les dix-huit mois qui viennent ».
Le taux de taxation moyen du travail reste trop élevé. Le taux d'emploi est passé de 59,9 %, en 1998, à 60,4 % en 1999, ce qui traduit, certes, une amélioration, mais il reste inférieur à la moyenne européenne.
Notre ancien collègue M. Michel Barnier avait dit que ce sommet serait l'un des plus difficiles de l'Union européenne, car tous les sujets abordés touchaient au pouvoir, à la place et à l'influence de chaque Etat dans le système institutionnel européen.
Effectivement, ce sommet a été long, les négociations compliquées et quelques fois âpres, mais l'essentiel à retenir, c'est que la réussite de Nice permet d'ouvrir la porte à un élargissement qui sera bénéfique à tous les pays européens, car ainsi nous avons surmonté certaines divergences nationales pour réformer les institutions européennes en les rendant plus efficaces, et donc plus démocratiques.
En réussissant ce sommet, la présidence française a montré à nos concitoyens français comme aux citoyens européens que l'Union est fondée sur des valeurs chères à tous, des valeurs qui seront désormais inscrites dans la Charte des droits fondamentaux, qui sera commune à toutes les femmes, à tous les hommes de l'Union.
Le sommet de Nice a été celui du courage ; le courage de prendre des décisions qui n'ont, certes, pas fait l'unanimité, mais qui étaient nécessaires pour assurer l'avenir de l'Union.
Cette rencontre peut être considérée comme un véritable succès, dont le président Jacques Chirac est à l'origine de par sa connaissance approfondie des mécanismes de l'Union, de par son habitude de la négociation,...
M. Claude Estier. C'est un peu trop !
M. Dominique Leclerc. ... de par l'écoute dont il a fait preuve à l'égard de l'ensemble des positions et de par les liens qu'il a su établir depuis plusieurs années avec l'ensemble des dirigeants européens.
La négociation qui s'est conclue à Nice avait pour objet de réformer la « mécanique » de l'Union européenne. Elle n'avait pas pour vocation d'être « visionnaire ».
La France a su prouver son aptitude à faire progresser la construction européenne en proposant une réforme moderne de ses institutions, qui lui permettra de rester ouverte aux mutations politiques qu'elle vivra dans les années 2000, tout en restant à l'écoute des préoccupations quotidiennes, sans oublier qu'elle doit d'abord agir dans l'intérêt général de l'Union et pour le bien de tous. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute négociation européenne est difficile. Maastricht et Amsterdam n'ont pas échappé à la règle hier, Nice non plus aujourd'hui.
M. Patrick Lassourd. C'est vrai !
M. Daniel Hoeffel. Et plus l'Europe s'élargira, plus les accords à venir seront complexes...
M. Jacques Machet. C'est logique !
M. Daniel Hoeffel. ... et plus la voie entre l'élargissement et l'approfondissement sera étroite.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Comme tout accord, celui de Nice comporte des satisfactions et des regrets, et peut-être surtout des leçons à tirer pour l'avenir.
Quelles que soient ses insuffisances, l'accord intervenu sous la présidence française, marquée par l'unité de vues de l'exécutif de notre pays - et c'était important -, doit être considéré comme un facteur positif.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Ni Maastricht ni Amsterdam n'avaient été salués comme des succès éclatants. Demander, dans ces conditions, de ne pas ratifier Nice est aussi prématuré qu'irréaliste, puisque ce traité existe aussi pour permettre aux nouvelles démocraties de l'Est d'adhérer au processus d'intégration européenne.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Bien sûr, Nice inspire à juste titre des regrets en raison de l'écart important que nous pouvons constater entre les aspirations des partisans d'une Europe forte et les acquis modestes de l'accord intervenu. L'attachement viscéral, mais à des degrés divers, des Etats membres à leurs intérêts nationaux, en particulier la conception réductrice permanente de l'Union européenne de tel grand pays, constitue un frein. Le fait pour la France de privilégier une parité optique avec l'Allemagne à propos de la pondération des voix au Conseil, avec, en contrepartie, des concessions de fond importantes, peut apparaître comme un choix discutable. Mais tous ceux qui ont participé, à un titre ou à un autre, à des négociations communautaires savent que la nécessité d'aboutir à un accord entraîne, dans la dernière ligne droite, quelques écarts par rapport à l'objectif fixé.
Nous devons, au-delà de ces regrets et de ces critiques, essayer de dégager certaines leçons pour l'avenir.
Il apparaît, à travers les comptes rendus de la conférence de Nice, que deux facteurs ont psychologiquement pesé sur les négociations : les tensions entre les grands et les petits pays, d'une part, et certains dysfonctionnements dans le tandem franco-allemand, d'autre part.
L'origine des difficultés entre grands et petits pays ne date pas de Nice. Elle remonte probablement au moins au début de cette année lorsque, à travers les sanctions infligées à tel partenaire de l'Union européenne, des petits pays ont pu avoir, à tort ou à raison, le sentiment que les droits de l'homme étaient analysés sur le continent européen selon une sélectivité fonction de la taille des pays.
M. Paul Masson. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Nous devons veiller, à froid, à démontrer que telle n'est pas la volonté des grands et qu'en Europe chacun des pays doit être considéré comme apportant à l'Union un potentiel culturel, spirituel, une sensibilité, une philosophie, des idées qui concourent au corps de valeurs sans lequel, rappelons-le, il ne saurait y avoir d'Europe. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.) Chaque pays le fait compte tenu de ce qu'il représente aujourd'hui et de l'héritage dont il est porteur. Sachons, en toute circonstance, les traiter tous en partenaires en nous rappelant que l'on a parfois besoin de plus petit que soi. (M. Jacques Machet applaudit.)
Quant au couple franco-allemand, il a, rappelons-le, été déterminant depuis l'origine dans le développement de l'Union européenne. Chaque fois que le tandem fonctionnait, l'Europe avançait, notamment lorsque, au-delà des sensibilités politiques, les têtes des deux exécutifs étaient sur la même longueur d'onde.
La relation confiante et porteuse d'avenir ne dépend pas, loin de là, uniquement de la stricte parité ou de considérations chiffrées quant au nombre de sièges. Il faut qu'entre Paris et l'Allemagne de Berlin, qui n'est plus celle de Bonn, on puisse retrouver les vertus d'un dialogue spontané et entraînant pour nos partenaires, sans pour autant apparaître comme un directoire dominateur suscitant la méfiance des autres.
M. Jacques Machet. Ce n'est pas facile !
M. Daniel Hoeffel. Le président de la commission des affaires européennes du Bundestag nous rappelle à ce sujet que « les regards des pays d'Europe centrale et orientale se tournent en ce moment à la fois vers la France et l'Allemagne, appelées à jouer un rôle décisif dans l'unification de notre continent » et que « le processus d'élargissement aura peut-être aussi la vertu de redresser le tandem franco-allemand ».
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Sachons tirer profit de ce constat et de cet appel, car si la France a une vocation méditerranéenne, elle ne saurait renoncer au rôle majeur qui lui incombe historiquement et naturellement en Europe centrale et en Europe de l'Est.
Les questions de répartition de sièges et de pondération de voix ayant suscité d'âpres débats à Nice, ne serait-il pas opportun, monsieur le président, de relancer l'idée d'un Sénat européen (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur quelques travées du RPR. - M. Hubert Durand-Chastel applaudit également.)...
M. le président. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... qui, à côté du Parlement européen, assurerait une représentation différente des Etats, laquelle pourrait être soit totalement égalitaire, comme aux Etats-Unis, soit ramenée à un écart allant de un à deux, comme en Allemagne ? Ainsi, la répartition démographique du Parlement serait rééquilibrée par une représentation dans une deuxième assemblée respectant une certaine parité entre les Etats, lissant les différences importantes entre les uns et les autres et contribuant à créer les conditions d'un partenariat véritable et respectueux entre les prétendus grands et les prétendus petits. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur quelques travées du RPR et du RDSE.)
Les propos du Premier ministre luxembourgeois, M. Juncker, affirmant que les futurs accords ne seront possibles que si l'Union européenne possède un épicentre fort, évitant la fragilité de l'intégration européenne, sont tout à fait significatifs, à cet égard. Aujourd'hui, nous avons besoin de conceptions claires de nos ojectifs européens, et non d'une stratégie défensive qui aurait pour unique objet de garder une apparence d'égalité, mais qui ne servirait personne.
Les quinze Etats membres ont arrêté un calendrier pour un nouveau chantier institutionnel qui devrait aboutir d'ici à 2004.
Quelle que soit notre appréciation sur Nice, l'après-Nice a donc déjà commencé. Il s'agit de rassembler nos forces pour réussir cette prochaine échéance, pour insuffler un nouvel élan européen aux quinze Etats membres et pour rester, pour les candidats nouveaux, une Union incarnant, probablement plus que pour nous, paix, sécurité, liberté et démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Mais, parallèlement, nous devons être conscients que l'opinion publique européenne, qui, probablement, n'a pas saisi les subtilités des critères de répartition de sièges et de voix, jugera l'Europe sur son aptitude à résoudre mieux que les Etats membres les problèmes concrets concernant sa vie quotidienne, tels que la sécurité maritime, la « vache folle » ou la lutte contre la criminalité organisée, qui, elle, est déjà résolument transnationale. (M. Jacques Machet applaudit.)
Cette nécessité d'y faire face est de nature à estomper les différences entre grands et petits Etats et entre pays du Sud et pays du Nord de l'Europe. Et il y a urgence. Puisse l'esprit visionnaire des fondateurs d'une Europe alors en ruine nous inspirer, balayer l'euroscepticisme et nous redonner la fierté d'être européens ! Si Nice permet de nous faire prendre conscience de cela, à travers ses acquis mais aussi ses grandes lacunes, il aura été, malgré tout, une étape significative sur la voie de l'Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les objectifs de Nice étaient ambitieux, car il s'agissait de résoudre une équation complexe à trois variables : rendre l'élargissement viable à vingt-sept ou vingt-huit pays, tout en accélérant le rythme de la construction européenne, mais sans effacement des Etats-nations.
La réforme des institutions, en panne depuis Amsterdam, n'est que très partiellement engagée. Trop de questions restent en suspens et l'Union donne l'impression de patiner en repoussant à plus tard les décisions « douloureuses ».
Nice laissera avant tout l'image d'une confrontation acharnée entre les intérêts nationaux et les égoïsmes des Etats membres, au détriment d'une vision d'avenir pour l'Europe.
Que peut-on alors retenir de ce sommet européen ?
Je dirai que cette réforme en demi-teinte est tout de même une réforme, qui permet d'aborder l'élargissement dans des conditions acceptables, tant pour les Etats membres que pour les futurs adhérents.
N'était-ce pas là l'essentiel ? Car la construction européenne, fondée sur l'union de peuples historiquement liés mais qui se distinguent par des caractères spécifiques auxquels ils tiennent, est encore fragile et doit être maniée avec prudence et patience.
Aussi, la suppression du droit de veto était illusoire, les grands pays tenant à conserver la souveraineté sur leur noyau dur : l'exception culturelle pour la France, la fiscalité et la politique sociale pour la Grande-Bretagne, la politique des visas et l'immigration pour l'Allemagne,... et il faudra du temps encore pour que s'instaure une véritable confiance réciproque entre les différents partenaires.
Le passage à la majorité qualifiée pour 80 % des domaines de la politique communautaire doit être considéré comme un progrès, obtenu cependant au prix d'un système de calcul de voix si complexe que cette politique sera peu lisible pour les citoyens européens.
La repondération des voix au sein du Conseil était délicate, car elle touchait au poids démographique des pays mais assi à l'idée que chacun se fait de son poids historique. A t-on pensé, par exemple, monsieur le ministre, au poids futur de la Turquie - si elle est admise dans l'Union - sachant que ce pays aura dans vingt ans la plus forte démographie de tout le continent européen ?
La réforme de la Commission n'a pu aboutir pour les mêmes raisons d'exigences nationales, et le plafonnement à vingt-sept commissaires sans échéancier pour en abaisser le nombre augure mal de l'efficacité après élargissement de l'organe supranational européen.
La supériorité numérique accordée aux Allemands au Parlement de Strasbourg ne modifie pas fondamentalement l'équilibre des pouvoirs ; le Parlement reste, en effet, le maillon faible du processus de décision face à la Commission et au Conseil, au détriment de la légitimité démocratique de l'Union.
Enfin, l'assouplissement du système des coopérations renforcées permettra à des groupes de pays de mettre en oeuvre des politiques utiles, susceptiles de rassembler ensuite un plus grand nombre de partenaires.
L'exemple de la monnaie unique européenne commune est une avancée incontestable, de même que l'accord récent sur la fiscalité de l'épargne.
D'autres progrès sont à mettre à l'actif de la présidence française, comme la signature de la Charte européenne des droits fondamentaux, base d'un engagement moral pour les Etats membres et les futurs pays adhérents. Je citerai également l'agenda social, le statut européen des sociétés, la création d'une agence de sécurité alimentaire et les mesures nouvelles pour la sécurité des transports maritimes.
Ainsi, l'Europe poursuit sa route, à petits pas, comme elle l'a fait depuis un demi-siècle. Après les étapes récentes du marché unique et de la monnaie commune, l'Union aborde son élargissement pour un changement d'échelle sans précédent, qui en fera une puissance continentale de près d'un demi milliard d'habitants.
La construction européenne est, plus qu'un choix, une nécessité. Le sommet de Nice aura été une demi-étape. Il faut souhaiter maintenant que la France oeuvre davantage pour relancer l'axe franco-allemand, qui a constitué jusqu'à présent le véritable moteur de l'Union. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen de Nice a marqué l'histoire de la construction européenne en levant le dernier obstacle de principe qui subsistait pour la mise en oeuvre de l'élargissement.
L'échéance qui est désormais devant nous, c'est le passage, en une décennie, d'une Union relativement homogène de quinze membres à une Union de vingt-sept membres, beaucoup plus hétérogène.
Beaucoup d'entre nous auraient souhaité que ce changement profond - on pourrait presque dire cette révolution - soit préparé, encadré par un traité qui donne à l'Union des règles de fonctionnement plus claires. Avec le traité de Nice, nous en sommes loin ! L'Europe élargie reposera sur une mécanique complexe, voire subtile, dans laquelle les citoyens auront bien du mal à se retrouver.
Il y a là une raison de plus pour que tous ceux qui exercent des responsabilités politiques se préoccupent en priorité de rapprocher l'Europe des citoyens, c'est-à-dire de faire en sorte qu'elle réponde à leurs attentes légitimes.
La présidence française avait d'ailleurs retenu cette orientation. Elle avait souhaité que, durant ces six mois, l'Union s'attache à mieux répondre aux préoccupations des citoyens lorsque l'Europe était l'échelon approprié pour agir. Le bilan n'est d'ailleurs pas négligeable, même si, lors du Conseil européen de Nice, la négociation du nouveau traité a presque complètement éclipsé les autres questions.
Je veux revenir sur quelques-uns de ces points qui, pour beaucoup de nos compatriotes, ont peut-être plus de signification que les méandres du nouveau traité.
Tout d'abord, la Charte des droits fondamentaux qui a été proclamée à Nice constitue une grande avancée, en même temps qu'elle comporte un risque. L'Union dispose maintenant d'un document de référence qui recense les valeurs fondamentales communes aux Européens. C'est un pas en avant dans l'affirmation de l'identité européenne ; c'est aussi un message pour tous les pays qui aspirent à l'entrée dans l'Union, car l'adhésion signifiera l'approbation sans réserve de ces principes de base.
Cela étant, je crois que l'on a bien fait, à Nice, de ne pas se prononcer à la hâte sur le statut juridique de cette charte. Nous avons élaboré, au sein du Conseil de l'Europe, au cours d'un demi-siècle, un mécanisme de protection des droits de l'homme qui s'applique à toute l'Europe. Il faut veiller à ne pas l'affaiblir ! Nous devons donc, avant de définir la portée juridique de la charte, veiller à ce que le nouveau texte s'intègre dans l'ordre juridique européen sans perturber les mécanismes existants, qui ont fait leurs preuves.
J'en viens à quelques-uns des thèmes qu'avait retenus la présidence française pour rapprocher l'Europe des préoccupations des citoyens.
La sécurité alimentaire était une des priorités que nous avions retenues. A cet égard, on peut se féliciter de l'adoption par le Conseil d'une résolution sur le principe de précaution, ce qui aidera l'Union et les Etats membres à bien prendre en compte ce principe.
En revanche, il est préoccupant de constater que la mise en place de l'autorité alimentaire européenne se révèle si lente. Alors que tout le monde convient de la nécessité de créer cet organisme, le Conseil européen de Nice en est encore à « inviter le Conseil et le Parlement européen à accélérer leurs travaux, de sorte que la future autorité alimentaire européenne devienne opérationnelle dès le début de 2002 ». Voilà qui est bien long, alors que nous voyons tous les jours la nécessité d'une unité de vues en Europe sur ces questions ! Rapprocher l'Europe des citoyens, cela devrait être aussi se montrer capable de décider et d'agir vite lorsque la situation le réclame.
On a le même sentiment en constatant que, un an presque jour pour jour après le naufrage de l' Erika , le Conseil européen doit s'adresser au Parlement européen et au Conseil pour leur demander « d'adopter dans les plus brefs délais des dispositions sur le contrôle des navires par l'Etat du port et sur les sociétés de classification, en prévoyant un dispositif de contrôles renforcés pour les navires présentant le plus de risques ». Un an, était-ce vraiment trop peu pour prendre une décision ?
Par ailleurs, les rebondissements dans la crise de la vache folle ont, hélas ! alimenté la chronique de la présidence française. Le Conseil européen a souhaité que les mesures arrêtées par le Conseil - lancement d'un programme de tests, suspension de l'utilisation des farines carnées, retrait des abats à risque - soient appliquées « rapidement et avec rigueur ». J'espère que cette formule traduit un consensus et que nous allons nous diriger rapidement vers une interdiction générale et définitive des farines animales !
Cette mesure paraît en effet indispensable si nous voulons rétablir la confiance des consommateurs dans les productions animales tout en respectant le principe de libre circulation des marchandises.
Dans ces deux domaines, sécurité alimentaire et sécurité maritime, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur les progrès qui pourraient intervenir à bref délai ?
Sur un autre sujet, le Conseil européen - et je m'en félicite - a exprimé sa volonté d'intégrer effectivement la protection de l'environnement dans les objectifs des politiques communes et de définir une « stratégie européenne de développement durable », qui sera précisée sous présidence suédoise. Il a réaffirmé, en outre, son engagement en faveur de la ratification du protocole de Kyoto, avec l'objectif d'une entrée en vigueur en 2002, et a lancé un appel pour une relance des négociations après l'échec de la conférence de La Haye.
J'ai noté que les conclusions du Conseil envisageaient également d'utiliser davantage la fiscalité au service de l'environnement. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ces points ?
Enfin, le Conseil européen a également adopté une importante déclaration concernant le sport, qui servira de guide à l'action de la communauté dans ce domaine.
Ce texte souligne le bien-fondé des organisations sportives et la nécessité de respecter leur autonomie, dès lors qu'elle s'accompagne d'un fonctionnement démocratique et transparent. Il reconnaît le rôle central des fédérations dans la nécessaire solidarité entre les différents niveaux de pratique sportive, tout en indiquant que c'est l'exercice effectif de ce rôle qui est le fondement de leur compétence dans l'organisation des compétitions.
En d'autres termes, dès lors qu'elles exercent effectivement leur fonction de promotion du sport à tous les échelons, les fédérations peuvent légitimement prendre des mesures garantissant le respect de la spécificité sportive.
La déclaration précise, en particulier, que les fédérations sont fondées à prendre les mesures nécessaires pour préserver la capacité de formation des clubs sportifs, pour assurer la protection de la santé des jeunes sportifs et pour réglementer la propriété de clubs multiples ; par ailleurs, sont approuvées les initiatives en faveur de la mutualisation d'une partie du produit de la vente des droits de retransmission télévisuelle.
Cette déclaration me paraît constituer une base valable pour la définition d'un modèle sportif européen refusant la dérive vers une approche purement économique et commerciale et soulignant, au contraire, les fonctions sociales, éducatives et culturelles du sport.
Certaines questions restent cependant en suspens, et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions à cet égard. Je pense à la moralisation des transferts, l'affaire récente des faux passeports montrant une fois de plus la nécessité d'agir en la matière ; je pense également à l'articulation entre l'action communautaire et les différents échelons du mouvement sportif, qui manque pour le moins de clarté ; je pense, enfin, à la lutte contre le dopage, que le Conseil européen se propose d'intensifier dans le cadre de l'agence mondiale antidopage.
Il était justifié que je termine mon propos sur le sport, puisque le Conseil européen de Nice a été, paraît-il, celui de tous les records : par sa durée, par le nombre et l'importance des sujets traités et par la quantité de café absorbée par les participants. (Sourires.)
Sur les thèmes que j'ai évoqués, j'hésiterai à dire que les résultats sont à la mesure de tous ces records. Mais sans doute faut-il considérer la construction européenne comme une épreuve d'endurance, comme une course de fond où il ne faut pas brûler les étapes. C'est peut-être ce qu'ont oublié ceux qui se montrent aujourd'hui si sévères sur la présidence française ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « L'union du chacun pour soi », tel est le diagnostic de nos amis suisses, observateurs neutres par excellence. Ils ont la dent dure, mais touchent juste, car cette expression reflète l'esprit général, même s'il caricature un peu le résultat du traité de Nice.
Tous les négociateurs sont rentrés dans leurs pays en dressant le bilan de ce qu'ils avaient gagné, souvent en dissimulant ce qu'ils avaient concédé. Tous ont déclaré qu'ils avaient réussi à défendre les intérêts nationaux, à arracher telle ou telle parcelle de pouvoir supplémentaire au sein d'un équilibre communautaire si délicat. Ils ont totalement oublié de mentionner si l'Europe avait progressé.
Etait-il vraiment iconoclaste de s'interroger sur l'Europe à Nice ? La présidence française l'a fait, sans doute. Sans doute, car notre pays voulait achever dignement une présidence impartiale et difficile ; sans doute, car la cohabitation, même si les deux têtes de l'exécutif n'ont laissé percer aucune divergence, interdisait toute proposition originale, plus favorable à un grand projet européen qu'à l'immédiat intérêt national.
Exception faite du traité fondateur de Rome, nous savons que les négociateurs manifestent en général leur autosatisfaction et que les textes sont toujours fortement critiqués. Même le traité de Maastricht, qui avait l'immense mérite de fixer un objectif clair et des critères précis, a été vilipendé. Heureusement que le référendum lui a donné l'onction du peuple !
Il ne s'agit pas ici de mettre en cause tel pays, petit ou grand, dont les réactions étaient prévisibles tant elles correspondaient d'abord à ses priorités nationales et à un comportement récurrent. L'exemple des domaines pour lesquels le maintien du vote à l'unanimité a été défendu est éloquent : la fiscalité et la sécurité sociale pour la Grande-Bretagne, l'aide aux régions défavorisées pour l'Espagne, le droit d'asile et la politique d'immigration pour l'Allemagne, l'audiovisuel pour la France. Il paraissait admis que l'Europe était exclue des priorités de chacun...
Le clivage fondamental entre ceux qui souhaitent une Europe approfondie et ceux qui l'envisagent comme une zone de libre-échange d'un nouveau type reste pertinent. Il explique pour partie la difficulté de conclure un traité ambitieux.
Je souhaitais donc, en préambule, insister sur l'esprit dans lequel s'est déroulé ce sommet.
Vouloir réformer les institutions à quinze était une gageure. Le péché originel date d'avant Amsterdam, de l'époque où nous n'étions que douze Etats membres : ne pas avoir alors réformé les institutions, avant l'élargissement de 1995, explique les difficultés actuelles. Le coeur de ce Conseil européen n'était-il pas le « reliquat d'Amsterdam » ? Dans le dilemme permanent - faut-il approfondir ou élargir ? - nous avons choisi, une fois de plus, le plus facile : élargir. Nous y avons été condamnés par les déclarations des exécutifs de tous les Etats membres, y compris le nôtre - ou les nôtres - qui avaient multiplié les promesses aux postulants.
Dans l'analyse des résultats du sommet de Nice, et alors que le Parlement français ne dispose toujours pas du texte du traité, je crois indispensable de faire l'effort de ne pas se cantonner à une vision franco-française des choses, naturellement encline à une « autosatisfaction - bouclier » ou à une critique fondamentaliste.
La présidence française est parvenue à un traité acceptable, car le contrat est rempli dans un contexte difficile. Mais la France, pays fondateur, s'est autocensurée, pour finalement faire le choix de l'élargissement au lieu de l'approfondissement. « Pas de traité plutôt qu'un mauvais traité » : tel était le postulat. La formule a été oubliée alors que, chacun en convient, la mécanique européenne est à bout de souffle. Nous cherchons en vain un souffle nouveau. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de l'Union centriste et du RPR.)
La France s'est fixé une obligation de résultat - si moyen soit-il - pour justifier la possibilité d'adhésion offerte aux pays candidats. Ni elle ni les quatorze autres Etats membres n'ont eu le courage de réaffirmer qu'une réussite incontestable de la réforme des institutions était vitale avant que puisse être envisagée l'intégration de nouveaux pays. La rencontre à vingt-neuf pays organisée avant l'ouverture officielle du Conseil européen était significative et créait une forme de pression.
Je voudrais cependant me réjouir que la présidence française n'ait pas succombé au travers démagogique en ne fixant pas la date d'entrée des pays candidats. Cela aurait été plus facile vis-à-vis des futurs Etats membres, mais cela n'aurait correspondu à aucune réalité économique et administrative, et si parfois le pragmatisme l'emporte, c'est grâce aux négociations techniques, chapitre par chapitre, et aux progrès réalisés par le biais des jumelages institutionnels.
Toutefois, notre pays a été confronté à un véritable problème de méthode. Il n'a pas su définir, en début de présidence, les avancées que devait concrétiser un projet européen. Le diable est dans les détails : le Gouvernement aurait dû dresser à grand traits le portrait d'une Europe idéale. Un certain nombre de parlementaires ici présents s'en étaient inquiétés lors du débat sur les orientations de la présidence française en juin dernier, mais le Gouvernement n'avait alors pas jugé nécessaire de présenter une vision. En a-t-il seulement une, dans son hétérogénéité ?
Nous avons tous à l'esprit le pragmatisme de nos aînés, aussi faudrait-il expliquer aux Français ce nouveau traité, qui modifie des équilibres sans dessiner l'avenir.
L'ordre du jour du Conseil européen était chargé. La proclamation conjointe de la Charte des droits fondamentaux fut un moment fort, car elle exprime les valeurs auxquelles l'Europe se réfère, mais je m'attacherai uniquement au coeur de ce sommet, à savoir la question de la réforme des institutions, préalable à tout élargissement.
La France a peut-être permis un modeste « lissage » des prétentions nationales, nécessaire pour parvenir à un compromis. Le contrat est rempli a minima , mais interrogeons-nous sur quelques points.
Pour ce qui est de la Commission européenne, chaque pays sera représenté jusqu'à un plafond de vingt-sept commissaires. Cela exprime, à mon sens, un esprit vraiment européen, car les poids économique et démographique sont oubliés, et une forme de subsidiarité, à laquelle sont très attachés les petits pays, s'applique ainsi.
Pour ce qui est du Conseil, on peut s'interroger, mais la réponse, là aussi, est difficile. Fallait-il défendre une trilogie des grands pays fondateurs, à laquelle se serait joint le Royaume-Uni, ou accepter le décrochage par rapport à l'Allemagne ? Quoi qu'il en soit, avoir accepté un écart de vingt-sept eurodéputés au bénéfice des Allemands, alors que leur coordination au sein du Parlement européen leur permet déjà de défendre beaucoup mieux que nous leurs intérêts nationaux, est lourd de conséquences,...
M. Paul Masson. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. ... d'autant plus qu'un grand nombre de pays candidats sont imprégnés de culture allemande et partagent souvent les intérêts de l'Allemagne, de par l'importance des investissements auxquels celle-ci procède chez eux. (M. Jacques Donnay applaudit.)
Le centre de gravité de l'Europe va se déplacer à Berlin, et l'importance de l'Europe méditerranéenne sera minorée. Selon les projections, l'Allemagne comptera 70 millions d'habitants dans trente ans ; si elles se vérifient, serons-nous capables alors de revenir en arrière ? Parfois - l'histoire en fournit de nombreux exemples - on se rassemble pour faire face à un danger extérieur. Dans l'optique de la mondialisation, notre rivale est l'hyperpuissance américaine. Seules des institutions fortes et claires peuvent nous permettre d'exploiter notre potentiel économique dans cette compétition : la baisse de l'euro intervenue lundi dernier en est une preuve alarmante. Les Etats-Unis s'inquiètent d'ailleurs du renforcement et de l'élargissement de l'Union dans un avenir à plus long terme. Ils ne se trompent pas, s'agissant des zones stratégiques, comme l'a confirmé M. Brzezinski, puisqu'ils ont fait de l'Ukraine le troisième pays bénéficiaire des aides américaines, après Israël et l'Egypte.
Néanmoins, un signal positif a été donné à Nice, en ce qui concerne le commerce, avec l'extension du recours au vote à la majorité qualifiée pour la politique commerciale extérieure de l'Union, à l'exception des domaines culturel et audiovisuel, ce qui est une garantie pour l'ensemble des cultures européennes. A mesure que le nombre d'Etats membres augmente, nous devons tendre vers une simplification du fonctionnement. Or le principe de base n'a pas été respecté.
A cet égard, un signe inquiétant doit être relevé : malgré la très forte médiatisation du sommet de Nice, on n'a pu percevoir de frémissement d'intérêt dans l'opinion publique. On fait fréquemment référence au binôme « Europe et citoyenneté » ; je crains que la complexité croissante des institutions européennes ne rende tout à fait illisible une Europe qui s'éloigne de plus en plus.
M. Paul Masson. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Espérons que les dirigeants européens oublieront leurs querelles picrocholines afin de redonner de l'enthousiasme à nos concitoyens pour une Europe qu'ils comprendront, et donc qu'ils aimeront.
L'année 2004 sera le prochain rendez-vous européen. Le Conseil européen de Nice a montré les limites d'un système qui est, je le répète, à bout de souffle. Il nous faut travailler dès à présent à l'Europe que nous voulons, d'autant qu'il s'agira de redéfinir les compétences entre l'Union, les Etats et les régions. En clair, nous avons l'occasion de mettre en oeuvre le principe de subsidiarité. La réussite du prochain rendez-vous institutionnel dépendra de la capacité des Etats membres à accepter, et à faire accepter préalablement à leurs opinions publiques, l'existence d'un intérêt commun européen qui doit, ayons l'honnêteté de l'affirmer, transcender parfois nos intérêts nationaux. Sinon, c'est tout l'esprit de la construction européenne qui sera galvaudé.
En conclusion, je regrette, comme les autres membres du Rassemblement démocratique et social européen, que notre soif d'Europe, eu égard aux résultats du Conseil européen de Nice, reste inassouvie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe est une belle idée de plus en plus partagée par les peuples européens. Leurs aspirations, notamment celles de la jeunesse, sont de circuler, d'échanger plus librement, de voir réduire les inégalités et de construire des solidarités.
La conscience existe que l'Europe peut jouer un rôle important pour équilibrer l'hyperpuissance des Etats-Unis et constituer, ainsi, un ensemble attractif, permettant d'éviter l'instauration d'un système unipolaire libéral. Cet objectif est d'ailleurs partagé par un grand nombre de pays dans le monde, qui luttent pour échapper à un rapport de force où le dominant a tous les pouvoirs sur le dominé.
Au terme de la présidence française et à l'heure du bilan du sommet de Nice, je ne sais ce qui l'emporte : l'amertume ou la perplexité. Certes, un accord est préférable à un échec, et l'on peut comprendre que les Etats demandant à adhérer à l'Union perçoivent comme satisfaisantes les réponses qui leur ont été apportées.
Dans certains domaines s'ouvrent d'ailleurs des perspectives positives, qu'il s'agisse de la sécurité alimentaire ou maritime, de la déclaration sur la spécificité du sport ou encore du statut de la société européenne demandé par les syndicats.
Pourtant, la déception semble l'emporter. Elle tient à des motifs divers, qui ne peuvent être confondus : certains souhaitaient une intégration plus poussée pour aboutir à une Europe supranationale et libérale, d'autres regrettent l'absence d'objectifs clairs et de projets mobilisateurs pour une Europe plus respectueuse des peuples et des nations.
Au-delà de discussions longues et laborieuses, le sommet de Nice a souligné non seulement le déficit politique et social de la construction européenne, mais aussi l'existence de contradictions institutionnelles lourdes à gérer. On constate un profond décalage entre la demande d'Europe sociale et la logique libérale et dominatrice : Nice le révèle encore plus clairement que Biarritz.
Sur le plan institutionnel, dans la perspective de l'élargissement, les attentes portaient sur la pondération des voix, l'attribution des sièges au Parlement européen et les mécanismes de décision. Au final, n'est-il pas douloureux de constater encore une fois qu'il est difficile de partager le pouvoir entre pays, notamment avec les moins puissants ? Cela signifie-t-il qu'une ligne de fracture entre « grands » et « petits » est déjà apparue ? Cela signifie-t-il que nous sommes à la veille de l'émergence d'une Europe à deux, voire à trois vitesses ?
Certes, le texte de l'accord permet finalement de porter, dans un premier temps, à vingt-sept le nombre des commissaires, et le principe du vote à la majorité qualifiée a été retenu, ce qui peut déboucher sur des avancées positives.
Mais il faut souligner que l'Allemagne, première puissance économique européenne, prend un poids suffisant pour emporter toute décision en s'alliant avec seulement un ou deux autres pays. Elle seule voit son nombre de députés augmenter de 87 à 99, alors que la représentation de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie est ramenée de 87 à 72 députés.
De plus, la toute puissance accordée au président de la Commission est loin, à nos yeux, d'être représentative d'une Europe démocratique.
A ce rythme, les « petits » Etats de l'Union et a fortiori les nouveaux adhérents risquent quelque peu d'être marginalisés. Ils auront du mal à intégrer cette Europe qui partage difficilement les pouvoirs de décision et qui, dans le même temps, met les politiques budgétaires, salariales et sociales en concurrence pour mieux répondre aux contraintes de la Banque centrale européenne dont l'autorité est renforcée.
Tous ces débats institutionnels, parfois très compliqués et fort éloignés des attentes sociales et démocratiques, dénotent une réalité flagrante : tant que l'Europe restera une union économique et monétaire vivant au rythme du marché unique et soumise aux règles de l'OMC, elle ne pourra pas répondre aux préoccupations politiques, sociales et culturelles des peuples de l'Europe, dans le respect de leur diversité.
Après Nice, force est de constater que la majorité des problèmes demeurent, et il devient banal d'évoquer une prochaine échéance en 2004. Le chantier reste donc ouvert. La complexité de l'Europe est un fait. Nous le savions.
Ce qui se dessine distinctement, c'est la volonté d'une Europe qui se compose de femmes et d'hommes capables de se rapprocher, de partager, pour échapper à une mondialisation imposée par les grandes puissances économico-financières.
La Charte des droits fondamentaux pouvait être une étape dans la bonne direction. Mais alors que le texte réaffirme en préambule la liberté de circulation des biens et des capitaux, il reste imprécis sur des points cruciaux comme le droit au logement, le droit au travail, les droits syndicaux, les droits des femmes. L'avenir de la charte pourrait constituer un pilier pour l'Union européenne, à condition qu'elle ait force de loi.
Par ailleurs, le développement et l'assouplissement de la procédure des coopérations renforcées seront-ils suffisants pour permettre à l'Europe de tirer vers le haut les vingt-sept Etats, aux besoins spécifiques et au développement si différents ?
Dans le même temps où il faut se féliciter d'une Europe plus ouverte à l'Est, on peut être inquiet de la faible place accordée aux pays méditerranéens. En effet, l'Europe a tout intérêt à renforcer les coopérations avec les pays du sud de la Méditerranée, avec lesquels elle partage un fond de culture commun et qui sont en attente de partenariats mutuellement avantageux.
Quant à la décision de l'Union européenne de mettre en place une force d'intervention rapide, celle-ci sera-t-elle indépendante de l'OTAN et lui permettra-t-elle de peser dans la résolution de certains conflits, notamment, aujourd'hui, au Proche-Orient ?
Mais ne désespérons pas ! Car Nice a également eu son lot de bonnes nouvelles. D'une part, les forces progressistes de seize pays européens ont pu se rencontrer pour construire des convergences réelles, porteuses d'avenir. D'autre part, le mouvement social, très présent, est devenu aujourd'hui incontournable. Près de 100 000 personnes avaient fait le déplacement pour réclamer une Europe des droits sociaux et des droits de la personne. Ils étaient ainsi porteurs d'alternatives et de projets afin de faire vivre une Europe où la place de l'homme serait plus importante que celle des marchés. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours de l'examen du projet de budget des affaires étrangères, il y a quelques jours, j'avais exprimé ma confiance dans la présidence française pour démentir les pessimistes qui prédisaient l'échec du sommet de Nice.
Quoi qu'en disent aujourd'hui ceux qui préfèrent toujours voir la bouteille à moitié vide plutôt qu'à moitié pleine, les conclusions de ce sommet doivent être appréciées à leur juste mesure. Je note d'ailleurs avec satisfaction que la grande majorité des orateurs qui m'ont précédé ce matin à cette tribune ont porté une appréciation plus favorable, même si M. Leclerc a cru devoir y ajouter quelques critiques à l'égard de la politique du Gouvernement qui ne semblent pas avoir grand rapport avec le sommet de Nice.
M. Raymond Courrière. C'est du sectarisme !
M. Claude Estier. Chacun savait que les réformes institutionnelles qui conditionnent l'élargissement de l'Union constituaient un terrain particulièrement difficile. Faute du moindre accord, le traité d'Amsterdam les avait laissées en « reliquat ». Le fait que, sur plusieurs d'entre elles, des solutions aient pu être trouvées, même incomplètes, même imparfaites, représente une avancée appréciable qui permet en tout cas de poursuivre les négociations avec les pays candidats, avec une perspective au moins d'une première série d'adhésions à l'horizon 2003.
Permettez-moi de dire quelques mots d'abord sur chacune de ces questions institutionnelles.
En ce qui concerne la composition de la Commission européenne, la France, malheureusement, n'a pu faire prévaloir sa proposition d'un plafonnement à vingt membres, du fait du refus de ceux que l'on appelle les « petits pays » de renoncer à disposer d'un représentant national dans cet organisme, les grands pays ayant pourtant accepté de ne plus avoir qu'un seul commissaire au lieu de deux actuellement. Le plafonnement se trouve donc hélas ! différé de plusieurs années.
La question de la pondération des voix au sein du Conseil, qui donnait lieu, elle aussi, à des discussions sans fin a trouvé une réponse qui ne sera effective qu'en 2005, mais qui permet un meilleur équilibre entre grands et petits pays, même si elle aboutit à un système assez complexe sur lequel je souhaiterais, moi aussi, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques explications complémentaires.
L'Allemagne a finalement accepté de ne pas avoir plus de voix au Conseil que la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, mais elle a obtenu une double compensation avec la clause de vérification démographique et une nouvelle répartition des sièges au Parlement européen.
Autre problème non résolu à Amsterdam : le vote à la majorité qualifiée a été étendu à trente-cinq nouveaux domaines. Cependant, plusieurs pays ont tenu à conserver leur droit de veto : la Grande-Bretagne sur la fiscalité, l'Allemagne sur le droit d'asile et l'immigration, l'Espagne sur les aides régionales, et n'oublions pas la France, qui préserve ainsi son « exception culturelle », ce qui était pour nous tout à fait primordial. Mais le progrès est indéniable : 80 % à 90 % des décisions pourront être prises désormais à la majorité qualifiée.
Plus important encore, à mes yeux, est l'assouplissement du système des coopérations renforcées, qui figurait déjà dans le traité d'Amsterdam, mais qui désormais va permettre à un nombre limité de pays d'avancer plus vite dans certains domaines sans se heurter à un veto, chacun des autres pays membres pouvant à tout moment rejoindre ceux qu'on pourrait qualifier d'éclaireurs, comme ce fut le cas pour l'euro ou pour Schengen.
Outre ces progrès d'ordre institutionnel, la présidence française peut se targuer d'avoir obtenu des avancées concrètes dans toute une série de domaines qui intéressent directement les citoyens européens dans leur vie quotidienne, comme la fiscalité de l'épargne, la sécurité alimentaire, la sécurité maritime, la mobilité dans le domaine de l'éducation, la culture avec Media Plus, la coopération judiciaire dans la lutte contre la criminalité, les dispositions applicables dans les cinq ans à venir de l'agenda social européen, avec l'accord réalisé sur le statut de la société européenne.
A cette liste non exhaustive, il faut encore ajouter, d'une part, la mise en oeuvre d'une politique de sécurité commune qui fait apparaître pour la première fois concrètement la défense européenne et, d'autre part, sur un autre plan, la proclamation, il est vrai trop discrète à mes yeux, de la Charte des droits fondamentaux, laquelle, certes, n'a pas pour l'instant de force contraignante, mais dont on peut espérer qu'elle pourra l'acquérir dans l'avenir. C'est ce à quoi la prochaine présidence suédoise entend, je crois, consacrer ses efforts, et nous devons l'y aider.
Au total, le sommet de Nice, conduit par la présidence française, a bien droit à une mention honorable et ne mérite en tout cas pas cet excès d'indignité dont il a été immédiatement affublé par certains commentateurs et aussi, mardi, par le Parlement européen, qui me paraît avoir été exagérément sévère.
Comme un vieil adage le dit, la critique est aisée mais l'art de la construction européenne est, nous le savons tous depuis des années, difficile.
Le fait que le sommet ait été aussi laborieux - vous serez d'accord avec moi sur ce point, monsieur le ministre - doit nous conduire cependant à certaines réflexions qui ne portent pas toutes à l'optimisme quant à l'avenir de la construction européenne.
Celle-ci a avancé pendant des décennies grâce au moteur que représentait ce qu'il était convenu d'appeler le « couple » franco-allemand. C'était vrai du temps de de Gaulle et d'Adenauer comme du temps d'Helmut Kohl et de François Mitterrand.
M. Aymeri de Monstesquiou. N'oubliez pas Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt !
M. Claude Estier. Mais il s'agissait de dirigeants allemands marqués par l'époque de la guerre et soucieux de réinstaller leur pays dans le concert des nations démocratiques. Pour cet objectif, l'appui de la France leur était précieux, je dirai même indispensable.
Aujourd'hui, une nouvelle génération de dirigeants est au pouvoir à Berlin, à la tête d'un pays parfaitement démocratique, qui est la première puissance européenne à la fois au plan économique et, depuis la réunification, au plan démographique. Ce pays entend donc jouer son rôle en fonction de cette puissance et aussi de l'influence qu'il peut avoir auprès de plusieurs des Etats candidats sortis de la domination soviétique. Du coup, le « couple » franco-allemand se trouve déséquilibré et n'a plus cette force d'entraînement qui a été si souvent décisive dans le passé.
A partir de là, et on l'a vu pendant quatre jours et quatre nuits à Nice - vous l'avez vécu en direct, monsieur le ministre - les égoïsmes nationaux reprennent le dessus, opposant les petits pays aux grands et même les petits entre eux. On en est donc réduit à chercher les plus petits communs dénominateurs. D'où le sentiment d'un accord a minima dont le Premier ministre soulignait mardi, à l'Assemblée nationale, qu'il avait même risqué de ne pas être atteint.
La présidence française se serait ainsi achevée par une crise grave. Et qu'auraient dit alors nos impitoyables censeurs d'aujourd'hui ?
M. Daniel Hoeffel. C'est vrai !
M. Claude Estier. Il est donc urgent, à partir des résultats acquis à Nice, de redonner du souffle à la construction européenne, d'inventer une nouvelle dynamique - le développement des coopérations renforcées pourrait être une voie - et, peut-être, d'imaginer de nouvelles méthodes de travail plus compréhensibles par les peuples, afin de permettre à ceux-ci, dont tous les sondages nous montrent qu'ils sont de plus en plus sceptiques, de se réapproprier cette grande idée qu'est l'Europe, qui est seule capable, par son histoire, sa culture et sa puissance économique et démographique, à condition toutefois d'être unie, de faire contrepoids à la force aujourd'hui dominante des Etats-Unis et, demain, peut-être, à celle de la Chine.
Je répète qu'il y a urgence, car, dans quelques années, l'Union passera de quinze à vingt, vingt-cinq ou vingt-sept membres, et on peut se demander comment ce qui fonctionne si difficilement à quinze pourra fonctionner à vingt, vingt-cinq ou vingt-sept, avec donc une diversité encore plus grande et des intérêts nationaux encore plus contradictoires.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. C'est vrai !
M. Claude Estier. Il n'était sans doute pas souhaitable, avant d'avoir apporté une réponse aux problèmes immédiats qui étaient sur la table, à Nice, d'engager une discussion approfondie sur l'avenir institutionnel et politique de l'Europe. Désormais, cette discussion s'impose et la France, qui a si souvent su montrer le chemin,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !
M. Claude Estier. ... doit être à l'initiative de ce grand rendez-vous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier le Sénat de son initiative, cette question orale me donnant l'occasion, au nom du Gouvernement, de faire avec vous le bilan de la présidence française.
Je remercie plus particulièrement M. Hubert Haenel de sa question et de son discours européen, celui d'un Européen lucide qui a su faire une analyse profonde et précise.
Je remercie également M. de Villepin de son soutien à la présidence française de l'Union européenne, car la tâche, en effet, n'était pas facile.
Je remercie aussi M. Claude Estier, notamment de l'estimation, me semble-t-il juste, qu'il a faite des résultats de Nice.
D'une façon générale, je remercie, enfin, tous les orateurs d'avoir reconnu, en exprimant, bien sûr, des sensibilités différentes, qu'un travail important avait été accompli.
Je dirai simplement à M. Leclerc que, pendant ces quatre jours, j'ai été au côté du Président de la République et du Premier ministre à Nice, et que nous devons considérer que les résultats de cette présidence sont partagés. Si chacun tente de s'attribuer le bénéfice de ce sommet en distinguant ce qu'il a fait, nous n'irons pas très loin. C'est précisément, monsieur le sénateur, ce qu'avec le Président de la République et les membres du Gouvernement nous avons voulu éviter à tout prix. Imaginez ce qui se serait produit si, à un moment ou à un autre au cours de ces quatre jours, nous avions parlé d'une voix différente ! J'insiste donc sur ce point.
Je veux maintenant mettre l'accent sur le caractère exceptionnel de la présidence française qui s'achève.
Elle est exceptionnelle par son ordre du jour sans précédent, tant les problèmes à traiter étaient nombreux, par le niveau d'ambition que nous avions à la fois pour nous, en tant que pays, et pour le nombre de sujets sur la table et, enfin, par les attentes qu'elle a suscitées.
Cette présidence a effectivement donné lieu - l'expression de M. Bordas est juste - à un sommet qui aura été celui de tous les records : records de durée, de consommation de café, de nourriture et, sans aucun doute, de fatigue pour les négociateurs !
Au total, nous avons su prendre nos responsabilités non seulement pour traiter les problèmes qui se posent aujourd'hui au niveau européen, mais aussi pour préparer l'avenir politique et institutionnel de l'Union. La tâche était difficile, et je constate que le jugement immédiat est mitigé, mais je pense qu'il deviendra différent avec le recul.
J'ai lu les critiques, mais j'essaie d'imaginer ce qui se serait produit si, au lieu de revenir avec un accord, qui, certes, ne correspond pas à ce que nous souhaitions, cette longue nuit de Nice avait abouti à un échec, comme ce fut le cas voilà trois ans et demi à Amsterdam. Je vous laisse imaginer les effets d'un tel échec sur l'euro, sur la confiance de nos concitoyens dans l'Europe - confiance que nous devons, au contraire, tous veiller à conforter - et sur l'élargissement, qui aurait été au moins retardé sinon compromis.
C'est aussi en fonction de cela que nous avons pris nos responsabilités et, si j'ose dire, le premier mérite du traité de Nice est donc d'exister. Il fallait sortir du sommet de Nice avec un accord, et j'essaierai de montrer, chemin faisant, qu'il ne s'agit pas de l'accord au rabais que certains ont évoqué. Je ferai volontiers mienne la formule de Claude Estier, que j'avais, moi aussi, inscrite sur mes tablettes : « La critique est aisée, mais l'art est difficile. »
Je n'aurai garde d'oublier, avant d'en venir au débat institutionnel qui a fait l'essentiel de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu'ont été les résultats de nos efforts pour donner une plus large part aux préoccupations concrètes des citoyens, sur lesquelles ont insisté, avec des sensibilités différentes, M. de Montesquiou et Mme Bidard-Reydet.
D'abord, je crois qu'on ne mettra jamais assez en relief l'importance de la proclamation, à Nice, de la Charte européenne des droits fondamentaux : c'est pour moi une avancée politique forte, qui rassemble, dans un texte accessible à tous, les valeurs sur lesquelles se fonde le modèle européen de civilisation. Nous avons utilisé une méthode originale, cela a été dit ici - il faudra d'ailleurs réfléchir à la façon de l'exploiter dans le débat qui nous mène à 2004 - celle de la convention chargée d'élaborer le projet de charte. M. Hubert Haenel et Mme Marie-Madeleine Dieulangard ont apporté leur pierre, au nom du Sénat, à cet édifice, et je veux les saluer.
Certes, on peut regretter que ce texte fort, auquel je crois profondément, n'ait pas reçu, à Nice, une portée juridique. Cela faisait aussi partie du contrat et ceux qui participaient à la convention le savaient. Si nous n'avions pas consenti à un gouvernement ami que ce texte ne serait pas immédiatement contraignant, il n'y aurait pas eu de charte du tout. Les deux sénateurs ici présents peuvent en porter témoignage.
Nous avons toutefois obtenu, dans le cadre de la déclaration de la CIG sur l'après-Nice, sur laquelle je reviendrai, que soit retenue, parmi les questions qui devront être abordées, celle du statut de cette charte. Si vous me permettez cette formule, ce n'est donc qu'un début ; il va falloir continuer le combat.
Contrairement à M. Haenel, je ne crois pas que cette charte ait été proclamée en cantimini, car elle est tout de même été signée par les trois institutions ! C'est d'ailleurs à cette occasion que la photo de famille a été prise. C'est le seul moment où les chefs d'Etat et de Gouvernement se sont retrouvés autour des signataires de la charte. Il est vrai que le Président de la République a préféré que ne soient pas alors tenus de long discours, mais il y avait deux raisons à cela.
La première était liée à l'emploi du temps : nous ne voulions pas, en plus des conseils ordinaires, instituer une nouvelle cérémonie, d'autant que se tenait le matin même la Conférence européenne entre l'Union européenne et les pays candidats à l'adhésion.
La seconde raison était liée au fait que nous ne voulions pas, sur cette charte, faire apparaître des différences de sensibilité entre les trois institutions. Je partage totalement le sentiment du Président de la République sur ce point. Je le lui avais d'ailleurs conseillé. Il n'eût pas été bon de retenir les souhaits des uns ou des autres. Il fallait reconnaître la charte telle quelle était, c'est-à-dire une pierre sur le chemin de l'Europe. Mais il ne s'agit que d'une étape ; il faudra continuer le combat pour lui donner la place qu'elle mérite dans les textes européens.
J'en viens au renforcement du modèle social européen, pour lequel la présidence française a obtenu des résultats extrêmement importants.
J'insisterai sur les initiatives que nous avons prises et qui sont cohérentes par rapport aux efforts que nous avons faits, depuis plusieurs années, pour introduire une dimension sociale forte dans les travaux de l'Union et rééquilibrer ainsi le contenu même de la construction européenne. Quels sont les résultats ?
Des textes majeurs, en discussion depuis longtemps, ont été adoptés.
Le premier concerne le volet social et l'ensemble du statut de la société européenne, en souffrance depuis trente ans. Là encore, évitons les exagérations ; ne faisons pas comme si, d'un côté, la ministre avait échoué au sein de son Conseil et, de l'autre, le président avait arraché l'accord de José Maria Aznar. Ayant été avec lui lors de sa tournée en Espagne, je sais que cela fait partie d'un équilibre et que, si le travail n'avait pas été correctement préparé par le Gouvernement et si ces mesures n'avaient pas fait partie du paquet de négociations finales, le président Aznar n'aurait pas cédé. Je le dis simplement pour la vérité de l'histoire, tout en remerciant M. Aznar d'avoir réalisé cet effort que ses prédécesseurs se refusaient à faire depuis trente ans.
Le second texte majeur porte sur la lutte contre les discriminations en matière d'emploi. Des programmes importants sur la lutte contre l'exclusion sociale et sur la promotion de l'égalité entre hommes et femmes ont également été adoptés.
Un autre résultat obtenu concerne le lancement d'une grande initiative, l'agenda social, programme de travail pour les cinq ans à venir, qui identifie un certain nombre de domaines sur lesquels nous devons avancer, en liaison avec les partenaires sociaux, pour renforcer le modèle social européen.
Madame Bidard-Reydet, pour ma part, j'ai trouvé positive la manifestation qui s'est déroulée la veille du Conseil européen de Nice. En effet, il est important que les forces sociales soient présentes pour faire entendre leur voix, fût-elle différente de celle des responsables, et il faut arriver à nouer davantage le dialogue avec le mouvement social au sujet de l'Europe.
Plusieurs sénateurs du RPR. Et les casseurs ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. En revanche, je considère comme profondément négatives les manifestations qui ont eu lieu le matin du sommet et qui ont engendré des violences absolument inacceptables.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Tout à fait d'accord !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Ne confondons pas les unes et les autres.
J'en reviens à l'agenda social. Les domaines sur lesquels porte ce programme de travail sont la qualité de l'emploi, la lutte contre la pauvreté et la modernisation de nos systèmes de protection sociale.
Enfin, s'agissant toujours des résultats obtenus, je mentionnerai brièvement deux points.
Le premier concerne les services publics.
Par-delà nos diversités, nous partageons une conviction qui est profondément française et qui devient européenne, à savoir que les services publics jouent un rôle essentiel au maintien de la cohésion sociale et territoriale. Pour la première fois, nous avons réussi à faire adopter une déclaration qui réaffirme le rôle et les missions des « services d'intérêt général », un véritable corps de doctrine qui nous permettra de mieux orienter les travaux à venir au sein de l'Union. Cela contribuera à mieux équilibrer les dispositions de l'article 16 du traité, qui concernent ces services d'intérêt général, et celles de l'article 86, qui sont relatives aux aides d'Etat, car il nous faut, en effet, parvenir à faire vivre ensemble le service public et le marché intérieur.
Le second point concerne le « paquet fiscal » sur l'épargne, qui a été enfin conclu, alors qu'il était sur la table non pas depuis trente ans, mais depuis une bonne dizaine d'années déjà !
J'en viens maintenant, après le modèle social européen, à l'Europe du quotidien, l'Europe des citoyens. Là encore, les résultats de la présidence française sont significatifs.
Je commencerai par le plan d'action en quarante-deux mesures qui vise à éliminer, dans les cinq ans qui viennent, tous les obstacles qui demeurent sur notre continent, à la mobilité des étudiants et des enseignants. Le savoir étant la matière première de demain et le fondement de notre économie, il faut, dans ce domaine aussi, de la liberté de mouvement et des échanges, ce que le plan permettra.
J'insisterai, ensuite, sur la mise en oeuvre de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice, avec, notamment, l'adoption d'un paquet de mesures destinées à lutter plus efficacement contre le blanchiment et la criminalité financière.
J'en viens aux deux sujets sur lesquels m'a interrogé M. Bordas : la sécurité maritime et la sécurité alimentaire.
Avant d'entrer dans le détail, je voudrais lui faire remarquer qu'il est rare, y compris en matière législative, de prendre des décisions en une année. De ce point de vue, il faut d'autant moins faire à l'Europe le procès d'avoir été lente qu'en l'occurrence elle a été plus rapide que jamais ! Mais je donne mon point de vue au Sénat.
S'agissant de la sécurité maritime, nous avons obtenu un premier paquet de décisions sur l'élimination progressive des bateaux à simple coque, sur le renforcement des inspections dans les ports et sur le contrôle des sociétés de classification. Un second paquet de mesures suivra, que les ministres des transports examineront les 20 et 21 décembre prochain. Nous avons obtenu que ces paquets soient d'application immédiate, ce qui est tout à fait important.
En matière de sécurité alimentaire, d'importants progrès ont été faits par les Européens sous notre présidence. Je veux en citer trois : une résolution sur le principe de précaution - la réflexion que nous devrons avoir à l'avenir sur ce point devra reposer sur des principes - la création d'une autorité alimentaire indépendante - le principe en a été affirmé dans les conclusions du Conseil européen de Nice et elle doit être opérationnelle dès le début de 2002 - et, enfin, la confirmation de l'interdiction des farines carnées en Europe.
Sur ce dernier point, nous avons eu un débat pour savoir s'il fallait confirmer l'interdiction de six mois ou aller plus loin. Le sentiment général est que, le moment venu, le renouvellement de l'interdiction ne posera pas de problème, mais qu'il était nécessaire de prendre le temps, avec la Commission, de mesurer davantage les implications de chacun des choix. Voilà pourquoi nous en sommes restés là ; mais soyez certains que le cap politique sera tenu, ce dont nous devons nous féliciter.
Souvenez-vous, voilà un mois, du scepticisme qui accueillit notre proposition et des réponses que nous entendîmes - j'évoquerai tout à l'heure le couple franco-allemand, qui est déterminant - ainsi que des déclarations du ministre allemand, qui expliquait qu'il n'y avait pas lieu d'interdire les farines carnées, alors que le chancelier, à Nice, en a souhaité l'interdiction définitive ! Voilà qui prouve une prise de conscience dont je me réjouis tout à fait.
Toujours en réponse à M. Bordas, j'en viens à la reconnaissance - il en a fort bien parlé et je n'ai rien à ajouter - dans une déclaration annexée aux conclusions de Nice, de la spécificité et des fonctions éducatives et sociales du sport. C'était fondamental pour combattre les dérives et les excès du marché, reconnaître le rôle des fédérations et admettre certaines limites au pouvoir de l'argent dans le sport. Cela n'a d'ailleurs pas été simple à obtenir.
Il faut également mettre l'accent sur le renforcement du modèle culturel européen, d'une part, avec l'accroissement important de l'enveloppe budgétaire du programme Media Plus - un accord est intervenu pour un budget de 400 millions d'euros - ce qui permettra à l'Europe d'affirmer la spécificité de son industrie audiovisuelle face à l'industrie audiovisuelle d'une « hyperpuissance », expression d'Hubert Védrine que vous avez reprise, monsieur de Montesquiou, et qui est juste, et, d'autre part, avec nos efforts - couronnés de succès, j'y reviendrai - pour préserver, dans le cadre de la CIG - notamment la négociation sur l'article 133-5 du traité - la spécificité du secteur culturel et audiovisuel dans les négociations internationales.
Enfin, je citerai brièvement deux derniers sujets. S'agissant de la protection de l'environnement, nous avons eu raison de ne rien arrêter à la fin de la conférence de La Haye sur la lutte contre le changement climatique et les émissions de gaz à effet de serre. Il nous est, en effet, apparu indispensable de nous donner un peu de temps pour conclure cette très importante négociation dans de bonnes conditions et sur des bases saines plutôt qu'avec un accord au rabais. Des initiatives vont être prises pour que les discussions reprennent.
Enfin - je réponds là au président de Villepin - la sécurité des Européens est l'un des progrès majeurs qui ont été enregistrés sous la présidence française.
En effet, la défense européenne a franchi une étape très importante avec la conférence d'engagement de capacités le 20 novembre et, à Nice, avec la décision définitive de créer les structures politico-administratives permanentes dont cette défense a besoin.
Certes, la question de l'autonomie du Conseil de l'Atlantique nord et du comité politique et de sécurité est cruciale.
La présidence française a fait preuve d'une particulière vigilance quant au respect du principe d'autonomie de décision - ne parlons pas d'indépendance - de l'Union ! Il est vrai que certaines déclarations américaines semblent vouloir privilégier, sous prétexte de coopération entre les deux organisations, un format à « 23 » qui aurait abouti, en quelque sorte, à une « cogestion » - je ne veux pas parler d'une « cotutelle » - de la politique européenne de sécurité et de défense.
Telle n'est pas notre conception, et je crois que ce n'est pas celle de l'Union. Les arrangements permanents envisagés entre l'Union et l'OTAN prévoient des réunions entre les deux organisations, ce qui veut dire les Quinze d'un côté, les dix-neuf de l'autre. Ces rencontres participent à la transparence, à la consultation, et les spécialistes que vous êtes savent qu'elles sont nécessaires à l'échange d'informations entre l'Union européenne et l'OTAN ; mais elles n'ont pas, et ne doivent pas avoir, de caractère décisionnel, ce qui serait juridiquement impossible et politiquement inacceptable.
S'agissant toujours des relations entre l'Union et l'OTAN, la question des capacités de planification est complexe, car elle recouvre plusieurs concepts différents : la planification stratégique, la planification opérationnelle, etc.
Mais, là encore, les choses sont claires : la planification opérationnelle est effectuée par l'OTAN lorsque l'opération dirigée par l'Union européenne a recours aux moyens et capacités de l'OTAN ; s'il s'agit d'une opération menée sans recours aux capacités et moyens de l'OTAN, cette planification opérationnelle n'est pas réalisée par l'état-major européen, qui n'en a pas les capacités, mais par un état-major national de niveau stratégique.
Il faut enfin dire un mot de la planification de défense, à laquelle, compte tenu de son histoire, la France ne participe pas au sein de l'OTAN.
L'Union a décidé de se doter d'un mécanisme d'évaluation et de suivi des engagements pris par les Etats membres pour atteindre les objectifs de capacités militaires. La présidence française a veillé à ce que l'autonomie de décision de l'Union s'applique sur l'ensemble du processus, en particulier dans la définition, l'évaluation, le contrôle et le suivi des objectifs de capacités, tout en permettant l'échange d'informations nécessaires avec l'OTAN, au niveau des experts, pour éviter toute duplication inutile.
Vous avez évoqué le « cadre de référence pour la gestion des crises », monsieur de Villepin, c'est un document présenté par le secrétaire général et haut représentant pour la PESC, Javier Solana, dont le Conseil européen de Nice a pris note. La philosophie en est simple : il s'agit d'une réflexion sur la mise en synergie de l'ensemble des moyens, civils et militaires à la disposition de l'Union et des Etats membres dans le cadre d'une opération de gestion de crise. Pour assurer la cohérence de vision et d'action, le Conseil pourra décider une action commune ; le secrétaire général asurera la mise en oeuvre des aspects politiques et militaires de celle-ci, sur avis conforme du comité politique et de sécurité.
Je crois avoir ainsi rapidement dressé le bilan de la présidence française « hors CIG », que ce soit sur le plan social, que ce soit à travers la charte, que ce soit sur les questions de société ou en matière de défense. Je ne vais pas revenir sur tous les éléments de la politique étrangère et de sécurité, mais je crois qu'ils sont très importants.
J'ai la faiblesse de penser que, s'il ne s'était pas agi d'une présidence française, ces résultats auraient été plus favorablement reconnus. Je suis ministre délégué chargé des affaires européennes depuis maintenant trois ans et demi, et j'avoue ne pas avoir le souvenir d'un bilan aussi complet ni aussi diversifié, mais nous sommes en France, pays qui a coutume d'évaluer sévèrement sa propre action ! C'est, après tout, une bonne chose, même si l'on aimerait parfois que cette action soit davantage reconnue !
J'en viens à la CIG, objet contesté et peut-être - je suis prêt à en discuter - contestable.
D'abord, souvenons-nous qu'un accord était loin d'être acquis.
Les débats de Nice ont été très longs et très difficiles, à l'instar des négociations préalables, qui furent elles aussi très longues et très difficiles. Les services du Conseil et la représentation permanente ont compté près de 400 heures de négociations préalables, qui, il faut le dire, n'ont pas permis de conclure avant Nice. On a bien vu à Nice - les chefs d'Etat et de gouvernement l'ont constaté eux-mêmes - que ce n'était pas chose simple.
Ces débats longs et difficiles ont confirmé que les sujets négociés touchaient à des équilibres sensibles entre les institutions de l'Union européenne comme entre les Etats membres eux-mêmes. Je rappelle que nous avions nous-mêmes reçu du Parlement, dans l'article 2 de la ratification du traité d'Amsterdam, un mandat très exigeant : régler les difficultés sur lesquelles, précisément, cette négociation avait échoué à Amsterdam.
A la lumière de ces difficultés, comment interpréter les résultats de Nice ?
En première analyse, certes, ceux-ci peuvent apparaître un peu insuffisants. J'admets qu'ils ne correspondent ni à ce qui eût été souhaitable ni à ce que souhaitait la délégation française. Je vous renvoie à ce propos aux nombreux échanges que nous avons eus sur cette question, puisque j'ai eu l'occasion de venir assez fréquemment devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il faut cependant aller au-delà de cette appréciation et mettre ces résultats en perspective en se demandant si nous avons répondu aux questions centrales que posait chacune de ces négociations, à savoir : les résultats de Nice permettront-ils à la Commission de fonctionner dans le cadre d'une Union élargie ? Faciliteront-ils la prise de décision au sein du Conseil ? Globalement, ces résultats suffiront-ils à préparer l'élargissement de l'Union européenne ?
Je vais évoquer chacun de ces sujets tour à tour.
S'agissant de la Commission d'abord, nos objectifs, vous vous en souvenez, concernaient la réorganisation du collège et son plafonnement.
Un compromis était très difficile à atteindre, compte tenu des antagonismes nationaux, mais aussi - il faut le rappeler - de l'attitude de la Commission elle-même, qui, en pratique, a soutenu le principe d'un commissaire par Etat membre. Il ne faut donc pas minimiser les résultats.
Ce qui importe, d'abord, c'est que nous avons obtenu, comme nous le souhaitions, le principe d'un plafonnement, qui est inscrit dans le traité, même si sa réalisation n'interviendra qu'à terme, c'est-à-dire quand l'Union européenne comptera vingt-sept membres. Si ce principe n'avait pas été adopté, cela aurait signifié qu'une union à trente-cinq, par exemple, aurait pu comporter une Commission à quarante membres. Le gouvernement devenait alors très difficile à maîtriser !
Ensuite, nous avons obtenu un considérable renforcement des pouvoirs du président, au sein d'un collège qui sera lui-même mieux hiérarchisé, l'augmentation du nombre de vice-présidents étant laissée à la discrétion du président, celui-ci ayant toujours la possibilité de créer, d'attribuer et de changer les portefeuilles des commissaires, y compris des portefeuilles de coordination.
Enfin - et c'est une avancée très importante - ce président pourra être désigné à la majorité qualifiée, ce qui limitera, à l'avenir, le risque que le choix se porte sur une personnalité consensuelle mais pas nécessairement la plus qualifiée pour exercer cette responsabilité.
J'en viens au vote à la majorité qualifiée.
Bien sûr, nous aurions souhaité aller plus loin et même beaucoup plus loin. Je ne sais plus lequel d'entre vous parlait de « ligne rouge », mais la France n'a pas eu pour sa part de ligne rouge dans cette négociation. Ce point constitue sans doute l'une des principales déceptions de ce nouveau traité puisque l'harmonisation fiscale, mais aussi une grande partie du domaine social resteront pour de longues années encore soumis à la règle de l'unanimité.
M. Leclerc, de ce point de vue, a eu raison de souligner qu'il faut se méfier de ses amis. Je crois que les uns et les autres nous souscrivons à cette grande leçon de la vie politique. Il faut toujours se méfier de ses amis quels qu'ils soient, socialistes ou non. Vous me permettrez d'ajouter que nous avons peut-être, nous, moins de raisons de nous méfier de nos amis que d'autres !
M. Michel Caldaguès. On élargit le débat !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Non, je répondais simplement à un intervenant, et je termine ici cette parenthèse politique.
Nous connaissions les réticences de certains Etats membres. Nous avons, en revanche, été plus surpris par les réserves, qui n'ont été soulevées qu'au dernier moment par d'autres, en ce qui concerne la culture, l'asile ou les droits des professions non salariées. Au demeurant, nous étions conscients que nous touchions à des matières sensibles, qui sont au coeur de la souveraineté des Etats, et que passer en force sur ces sujets aurait, sans nul doute, compromis l'ensemble de la négociation.
J'insiste enfin sur le fait que nous avons préservé nos intérêts, en obtenant notamment que, au sein de l'article 133-5 relatif à la politique commerciale, le secteur culturel et audiovisuel, mais aussi la santé, l'éducation, les services publics demeurent régis par la règle de l'unanimité, qui est, en l'occurrence, essentielle pour préserver l'identité culturelle de l'Europe.
C'est pourquoi, sans être aussi ambitieux que nous l'aurions souhaité, le nouveau traité consacre un certain nombre d'avancées sur une quarantaine de dispositions, notamment sur l'Union économique et monétaire, sur la politique industrielle, sur la circulation des ressortissants communautaires, sur la plupart des nominations aux organes européens, de sorte que, désormais, 90 % environ des décisions de l'Union seront prises à la majorité qualifiée ; et je vous demande de retenir ce pourcentage, mesdames, messieurs les sénateurs.
Sur la repondération, enfin, il faut, là encore, mettre les résultats en perspective, en partant de ce que nous souhaitions.
Je peux le dévoiler maintenant, nous voulions - c'était notre objectif principal - éviter le système de la double majorité que la Commission avait défendu et que notre partenaire allemand avait toujours privilégié au cours de la discussion en ralliant plusieurs de nos partenaires à cette option.
Plus généralement, nous souhaitions que ne soit pas mise en cause la parité entre l'Allemagne et la France, au nom d'un principe fondateur de la construction européenne respecté depuis le début des années cinquante. Je vous rappelle qu'il y a toujours eu une différence démographique entre nos deux pays, mais que la parité politique, elle, a toujours existé. Nous avons fait l'Europe pour cela, pour la réconciliation franco-allemande et nous y sommes parvenus.
Nous voulions aussi une nouvelle repondération plus équitable, prenant mieux en compte les différences objectives entre les différents Etats, en s'appuyant sur le critère démographique, mais en prenant aussi en considération certains équilibres politiques. Nous y sommes parvenus, puisque la nouvelle grille de repondération s'étend désormais de trois voix à vingt-neuf voix au sein du Conseil, au lieu de deux à dix.
Vous avez raison de dire, monsieur Haenel, que les dispositions qui complètent la grille de pondération, loin d'être, par le biais de je ne sais quels éléments de simplification, une façon habillée de parler de double ou de triple majorité, constituent des garanties qui ne remettent pas en cause l'équilibre général.
D'abord, le fameux « filet » de 62 % ne jouera que dans des cas limites, donc très rarement, peut-être une fois sur cent ; ensuite, il constitue une possibilité et non pas une clause automatique, ce n'est donc pas une double majorité ; enfin, il pourra jouer pour l'Allemagne, mais aussi pour n'importe quel autre Etat membre qui souhaiterait l'invoquer ; pourquoi pas nous ?
C'est précisément parce que ces dispositions constituent des garanties et non des clauses obligatoires qu'elles ne remettront pas en cause, comme peut-être vous le craignez, l'efficacité de la prise de décision.
Quant aux petits Etats membres, je n'aime pas beaucoup le mot « petits », que j'évite d'utiliser...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il faut le mettre entre guillemets !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est difficile de mettre des guillemets en parlant ! (Sourires.)
Je parlerai donc des Etats les moins peuplés.
Ces Etats, vous avez raison de dire qu'ils ne sont nullement écrasés puisqu'il n'est pas possible à trois « grands » de bloquer, que, pour ce faire, ils doivent s'allier à un autre Etat membre, que toute majorité qualifiée doit réunir une majorité d'Etats, qu'enfin les vingt et un Etats membres les moins peuplés, représentant 30 % de la population, auront 50,7 % des voix. Parler de marginalisation des « petits » par les « grands » pays est donc absurde. Nous avons simplement contribué à un rééquilibrage dans une Union européenne élargie, et je crois que c'était nécessaire.
Dernier élément d'appréciation : cet accord répond-il à l'objectif global qui est le nôtre de préparer l'Union à son élargissement ?
D'abord - c'est une évidence qu'il faut rappeler - une absence d'accord aurait compliqué, retardé, sans nécessairement le stopper, le processus d'élargissement.
Je voudrais, sur ce point, répondre à M. de Montesquiou. Il y a toujours une dialectique entre élargissement et approfondissement. Nous ne croyons pas qu'en engageant l'élargissement nous faisons un choix facile ; c'est un choix historique. Ce choix répond à des engagements qui ont été pris au début des années quatre-vingt-dix, au moment de la chute du mur de Berlin. Ce choix crée des opportunités, des chances, il crée aussi des risques. Je préfère pour ma part cette analyse, qui est un peu différente de la vôtre.
Le préalable institutionnel qui avait été posé par notre parlement était sans ambiguïté, mais cette vision n'était pas nécessairement celle de nos partenaires. Nice ouvre donc la voie à l'élargissement, en ce sens, notamment, que, dans les nouveaux équilibres institutionnels arrêtés dans le traité, la place des futurs adhérents est précisément définie.
M. Durand-Chastel m'a demandé ce qu'il en était de la Turquie.
La Turquie n'a pas le même statut que les autres candidats parce qu'elle n'est pas entrée dans la phase de négociations. On n'allait pas la traiter comme les autres ! Cela ne signifie pas que la candidature turque est écartée, bien au contraire ! Vous savez que nous avons adopté, au cours de la présidence française, le partenariat euro-turc, qui permet de continuer à travailler à cette candidature avec exigence, mais aussi avec volonté.
S'agissant de l'élargissement, nous sommes donc parvenus à une issue heureuse, qui nous vaudra au moins du crédit politique parmi les pays candidats, dont certains ont longtemps considéré, à tort, que le préalable institutionnel n'était qu'une manoeuvre pour « torpiller » l'élargissement.
Il nous faudra, auprès de ces pays, valoriser fortement cette issue politique qui - je le répète - était loin d'être acquise et qui démontre notre volonté d'aller de l'avant vers une Europe élargie, qui est une chance pour la France comme pour l'Union européenne dans son ensemble. Je ne doute pas que le Sénat, notamment sa délégation qui a beaucoup travaillé, y apportera sa contribution. Il y a là une oeuvre de sensibilisation, je me permets de le suggérer à son président, qui peut être utile et opportune.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Eh oui !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. On peut dire que l'accord de Nice est cohérent par rapport aux efforts que nous avons accomplis au cours de notre présidence pour maîtriser, mais aussi pour donner une nouvelle impulsion aux négociations d'élargissement.
En effet, le Conseil européen de Nice a adopté sur notre initiative, grâce à l'excellent travail de la Commission et du commissaire Verheugen, une vue d'ensemble qui présente un état complet, clair et précis du processus d'élargissement. En particulier, une « feuille de route » devrait permettre à l'Union, conformément à l'engagement pris à Helsinki, d'accueillir les candidats les mieux préparés à partir du 1er janvier 2003, ce qui reste notre objectif. Elle identifie les difficultés qui demeurent avant de pouvoir conclure les négociations, en proposant que chacune des prochaines présidences s'attelle à les résoudre d'ici à 2002.
En revanche, il serait absurde de dire que nous avons conclu à Nice « pour ne pas désespérer les candidats ». Je tiens à vous assurer que nous n'avons pas oublié la formule : pas d'accord plutôt qu'un mauvais traité. Mon sentiment sincère, c'est qu'il ne s'agit pas d'un mauvais traité.
Jusqu'à la dernière minute - on ne travaille pas jour et nuit pendant quatre jours pour le plaisir - les autorités françaises - le Président de la République, le Premier ministre, les ministres - se sont posé la question de savoir s'il fallait conclure ou ne pas conclure, en fonction de l'avancée des négociations. Et, dans l'évaluation qui était faite dimanche soir, avant le dernier « round », ce sont sans doute les implications d'un échec sur l'euro et, plus largement, sur l'ensemble de la construction européenne, ainsi que le jugement que nous portions sur le traité auquel nous étions parvenus, davantage que les préoccupations liées à l'élargissement, qui ont pesé.
Certes, tous les dysfonctionnements n'ont pas été éliminés à Nice, mais les résultats que nous avons obtenus vont bien dans le sens, que nous souhaitions, d'un rehaussement du triangle institutionnel : une Commission qui sera plafonnée à terme ; un Conseil des ministres dans lequel le poids de chaque Etat membre sera rééquilibré et qui verra sa capacité à décider facilitée par l'extension du vote à la majorité qualifiée ; enfin, le rôle du Parlement européen qui sera conforté par l'extension de la codécision - peut-être pas autant que M. Haenel le voudrait, lui qui a tendance à en vouloir toujours un peu plus !
Et puis, surtout - c'est une avancée majeure dans la perspective de l'élargissement - le mécanisme des coopérations renforcées, dont parlait M. de Villepin, a été, comme nous le souhaitions, fortement assoupli dans les premier et troisième piliers et introduit dans le domaine de la politique étrangère commune, à l'exclusion de la défense, pour laquelle cela a été impossible à obtenir.
C'est aussi cela qu'il faut retenir, puisqu'il est évident qu'une Union élargie à 20, à 27, à 30 ou à 35 Etats membres - car il faudra, un jour, penser à l'avenir des Balkans - est synonyme d'une plus grande inertie. Il était donc important que nous puissions rallier nos partenaires à un assouplissement de ces règles, qui permettront à ceux qui le souhaitent d'aller de l'avant dans l'intégration. C'est une excellente passerelle pour l'avenir. Je n'ai jamais cessé de le dire et je suis content que nous y soyons parvenus.
S'agissant des nécessaires travaux politiques et institutionnels futurs, une déclaration adoptée par le sommet de Nice lance une réflexion qui devrait aboutir au plus tard en 2004 sur des sujets très importants et qui suscitent des réflexions sur toutes les travées : la clarification des compétences entre l'Union et les Etats membres - il s'agit de la fameuse question « qui fait quoi ? » ; la réorganisation des traités, c'est-à-dire leur réécriture et leur simplification ; le statut de la Charte des droits fondamentaux, que nous avons réussi à ne pas faire oublier, alors que certains auraient peut-être souhaité qu'elle ne figure pas dans les conclusions ; enfin, le rôle des parlements nationaux.
Nous devons donc organiser notre propre réflexion sur ces sujets, qui sont complexes et qui feront l'objet de larges consultations tout au long de l'année prochaine et d'un premier rendez-vous de méthode à Laeken, en décembre prochain, sous la présidence belge. La déclaration annexée au traité de Nice invite les parlements nationaux à prendre toute leur place dans ce grand débat.
A cet égard, je soulignerai deux points. Le premier, c'est la nécessité d'une relance du couple franco-allemand, sur lequel Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, avec beaucoup de force, et Claude Estier ont insisté. Il est vrai que la relation franco-allemande - cela date de quelques années, d'ailleurs - a connu des jours meilleurs. Elle reste toutefois irremplaçable. Il est vrai que nous ne serions pas parvenus à un accord à Nice sans un dialogue franco-allemand. Cela étant, nous devons réfléchir à des initiatives. L'Allemagne d'aujourd'hui n'est pas la même que l'Allemagne d'hier ; mais la France d'aujourd'hui n'est pas non plus la France d'hier.
Peut-être conviendrait-il de mener une stratégie globale, dans laquelle les parlements pourraient d'ailleurs jouer leur rôle.
Les discussions se sont déroulées parfois dans un climat malsain et je vous en parle en connaissance de cause pour avoir été absurdement accusé d'être anti-Allemand. Comment un ministre chargé des affaires européennes pourrait-il être anti-Allemand ? Une telle accusation dénote certaines arrières pensées, certaines rancunes, certains sujets qui n'ont pas été complètement évacués après la décision difficile qui a été prise l'année dernière au sujet de l'agenda de Berlin.
Parlons-en au fond et réfléchissons à la façon de relancer cette relation franco-allemande sans laquelle l'Europe est effectivement condamnée à une forme d'inertie. C'est un beau et grand débat qui mérite notre attention. Il est clair que nous, Français, y prendrons notre part.
Plusieurs orateurs ont demandé pourquoi la France n'avait pas donné une « vision ». Peut-être, d'abord, y aurait-il eu plusieurs visions, et il n'aurait pas été sain que l'on ait l'impression que les uns pensent ceci et les autres cela, pendant la présidence française. M. de Villepin l'a reconnu : la présidence est un exercice qui comporte des contraintes, qui oblige à se placer au centre, avec des ambitions, à écouter beaucoup, à dialoguer, à débattre. On nous aurait sans doute reproché davantage d'être arrogants ou soucieux de nos intérêts si nous avions semblé dire : « Voilà quelle est la voie, suivez-nous. »
Maintenant, nous sommes, en quelque sorte, libérés de ces contraintes de la présidence. Pour ma part, je souhaite simplement que le débat européen soit au centre des discussions que nous aurons à l'occasion des échéances nationales qui nous attendent - législative et présidentielle - tant l'Europe est au coeur de nos préoccupations de demain. Je désire que le débat démocratique s'articule autour de cette problématique et que chacun s'y exprime avec force. Bien sûr, chacun y contribuera.
Je terminerai avec une note peut-être plus personnelle. La présidence est un exercice vraiment passionnant, mais un exercice ingrat, notamment pour des Français, car, lorsqu'on est ambitieux, on est forcément arrogant. Ce sont les stéréotypes nationaux : l'Espagnol est ombrageux, l'Italien rusé, l'Allemand rigoureux et le Français ne saurait qu'être attaché à sa nation.
En revanche, quand on fait des compromis - ce qui fut le cas à Nice - que n'entend-on pas : pas de souffle, pas de vision ! Cela prouve que, dans tous les cas de figure, on suscite davantage l'insatisfaction que la satisfaction. On vit avec, d'autant plus que - je parle là au nom de l'ensemble des membres du Gouvernement, peut-être même des autorités françaises, mais le Président de la République y fera allusion ce soir, j'en suis sûr - nous terminons cette présidence fatigués mais tranquilles.
Si je devais résumer les choses, je dirais, d'abord, que la mission qui nous a été confiée a été accomplie. Nous avons fait avancer les grands dossiers européens et nous avons conclu un traité à Nice. Encore une fois, imaginons ce qui se serait passé si tel n'avait pas été le cas !
Ensuite, le traité de Nice - et nous devons y réfléchir plutôt que de faire des procès aux uns et aux autres, notamment à la présidence française - est le meilleur traité possible compte tenu de l'état de l'Union. Nous devons donc travailler à améliorer l'état de l'Union, faire en sorte qu'elle dépasse, effectivement, les égoïsmes et qu'elle sache retrouver un souffle, une vision. Cela passe encore par le couple franco-allemand !
L'histoire retiendra, me semble-t-il, que l'Europe a réussi à Nice là où elle avait échoué à Amsterdam, c'est-à-dire sur un traité politique pour une Europe qui peut s'élargir. Nous devons garder cela en mémoire, dans la perspective du débat de ratification que nous aurons ultérieurement au Sénat.
Mon dernier mot sera pour remercier la commission des affaires étrangères, la délégation pour l'Union européenne, leurs présidents et l'ensemble de leurs membres pour les relations de travail très sérieuses et très cordiales que nous avons eues.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Je vous remercie, monsieur le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Celles-ci se sont déroulées dans un excellent climat. Toutes vos réflexions ont été utiles, et j'ai eu un très grand plaisir à pouvoir travailler avec vous, pendant ces six mois, d'une façon aussi étroite et, je crois, aussi solide. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle qu'en application de l'article 82 du règlement chaque orateur inscrit dans le débat dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président, et, à travers vous, la conférence des présidents, qui a permis l'inscription de ce débat à l'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui.
Mes remerciements s'adressent également à vous-même, monsieur le ministre, et, au-delà, à l'ensemble du Gouvernement, au binôme qui se trouve à la tête de notre pays et qui a été à la hauteur de la tâche qui lui était confiée : il a fait ce que l'on attendait de lui.
Toujours à travers vous, monsieur le ministre, je me dois de remercier également tous ceux qui travaillent dans l'ombre des services, et qui ne sont pas nécessairement au banc du Gouvernement.
Bien évidemment, j'ai une pensée particulière pour la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, notamment pour M. Vimon, qui se trouve à sa tête, et que j'ai rencontré à plusieurs reprises. Ils ont aussi beaucoup travaillé pour préparer, dans les meilleures conditions possibles, la présidence française.
Enfin, mes remerciements s'adressent aussi, bien entendu, à vous tous, mes chers collègues, qui avez permis justement que nous travaillions ensemble pendant ces six mois non seulement au sein de la commission des affaires étrangères et de la délégation pour l'Union européenne, mais également dans les autres commissions, pour que nous soyons toujours au fait des questions qui se posaient au moment de la présidence française.
Nous venons de prouver une fois de plus, s'il en était besoin, que le Sénat, quand il le veut, est capable d'aborder, dans les meilleures conditions et avec toute la hauteur de vue nécessaire, les questions de fond.
Bien des points abordés pourraient et devraient donner lieu, dans les mois à venir - vous l'avez suggéré, monsieur le ministre - à des travaux au sein de la délégation. Nous y reviendrons, si vous le voulez bien, mes chers collègues.
Permettez-moi cependant de faire de nouveau allusion à deux points qui ont été abordés ce matin.
Tout d'abord, s'agissant du Conseil européen, ses réunions sont devenues les temps forts de la vie de l'Union. Cela comporte, bien sûr, des avantages, dans la mesure où ces réunions provoquent un débat dans l'Europe entière et mettent les questions européennes au premier plan de l'actualité, notamment dans notre pays, qui assurait la présidence de l'Union.
Tout le monde a remarqué l'importante manifestation - sans casse, celle-là - sur l'Europe sociale qui s'est déroulée à Nice avec des participants de nombreux pays. On voit bien qu'une conscience européenne émerge et trouve ici une occasion de s'exprimer.
Dans le même temps, cette situation commence à peser sur le déroulement des Conseils européens. Leur préparation absorbe beaucoup de temps et d'énergie, mais, finalement, les débats restent difficiles à maîtriser. Dans ce type de réunions, la pression sur les participants est très forte, chaque chef d'Etat ou de gouvernement devenant une sorte de champion national qui doit ramener un bon résultat dans son pays.
La vision collective européenne a donc tendance à passer au second plan.
Après le sommet de Nice, on a vu les commentateurs passer leur temps à établir la liste des gagnants et des perdants, au lieu de considérer, comme nous l'avons fait ce matin, le résultat global.
Tout cela amène à penser que la formule des Conseils européens devrait évoluer. En particulier, comme l'a souligné Jacques Delors, beaucoup de sujets sont mis à l'ordre du jour et, en pratique, les conclusions du Conseil européen comportent de nombreux aspects que les chefs d'Etat et de gouvernement n'ont abordé à aucun moment.
Pour que le Conseil fonctionne bien et puisse vraiment jouer son rôle d'impulsion politique, il devrait se concentrer sur quelques grands sujets. D'ailleurs, le Conseil européen de Lisbonne, qui portait sur le modèle social européen, a été, me semble-t-il, un bon exemple de ce qu'il faut faire ; il s'en est dégagé une conception qui inspirera durablement les travaux de l'Union.
De même, il me paraît tout à fait judicieux d'avoir prévu à Nice que les Conseils européens pourraient se dérouler de plus en plus souvent à Bruxelles, ce qui facilitera l'organisation des réunions - peut-être même réaliserons-nous des économies - tout en aidant à faire passer au second plan les questions de fierté nationale.
Enfin, s'agissant des coopérations renforcées, nombreux sont ceux qui estiment que, dans l'Europe élargie, tout le monde ne pourra pas participer à la même vitesse aux progrès de l'intégration. Pour reprendre la formule du chancelier Kohl, il n'y a pas de raison que le convoi s'aligne toujours sur le vaisseau le plus lent. Il paraît alors inévitable que l'on s'oriente vers une certaine différenciation au sein de l'Union, ce que nous connaissons déjà à l'heure actuelle pour l'euro ou pour la libre circulation des personnes puisque des dérogations existent pour certains Etats.
L'accord de Nice prévoit un nouveau rendez-vous institutionnel pour 2004, autour de quatre thèmes. L'un de ces thèmes est le rôle des parlements nationaux. Ce sujet me paraît, comme à vous tous sans doute, tout à fait essentiel.
C'était l'un des sujets abordés à Rome, en septembre dernier, à l'occasion de la réunion des présidents des parlements nationaux. C'était aussi l'un des thèmes, souvenez-vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, abordés lors de la COSAC, la conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, qui s'est tenue à Versailles, en octobre dernier.
Il me semble en effet nécessaire qu'il y ait une réflexion sur le rôle que pourraient jouer collectivement les parlements nationaux dans les coopérations renforcées, surtout dans le cadre des deuxième et troisième piliers de l'Union, qui ont un caractère essentiellement gouvernemental.
J'aurais pu encore aborder toute la question de la gouvernance. Certes, elle n'est pas directement liée au sommet de Nice, mais la délégation l'a abordée hier et souhaite travailler dans ce cadre pour coopérer à la réflexion menée actuellement à Bruxelles. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. Dominique Leclerc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le ministre, je ne voudrais pas qu'il y ait un malentendu entre nous, étant donné la qualité du débat et, surtout, l'importance de l'enjeu de la construction européenne et de la réussite de celle-ci.
Européen convaincu, je me suis évidemment réjoui de la réussite du sommet de Nice, et je crois avoir pris soin de dire qu'il s'était agi d'un véritable défi pour le Président de la République et pour les autorités françaises. Or, par « autorités françaises », j'entends, bien sûr, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre.
M. Raymond Courrière. Il fallait le dire !
M. Dominique Leclerc. C'est vous, monsieur le ministre, qui êtes chargé, pour la France, de cette construction européenne.
Je me suis félicité aussi que la France ait parlé d'une seule voix, ce qui a permis cette réussite, que l'on peut relativiser, certes, et, de cela, je suis désolé.
En revanche, quand notre collègue Claude Estier dit que mon propos est hors sujet, c'est une censure que j'ai du mal à accepter. Car la question sociale était bel et bien à l'ordre du jour, et j'en veux pour preuve le fameux agenda. Il était donc, me semble-t-il, assez logique que je reprenne les recommandations du Conseil européen au gouvernement français.
De même, il m'appartenait de mettre en avant la part prise par le Président de la République dans les négociations ; je ne vous ai pas attendu pour le faire ! Nous l'avons tous vu, lui aussi, déployer, la semaine dernière, une énergie folle pour la réussite du Conseil européen de Nice.
Peut-être n'ai-je pas compris ce que doit être un débat démocratique au sein du Parlement, mais s'il faut vous dire que tout est parfait et vous idolâtrer,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tel n'est pas le propos !
M. Dominique Leclerc. ... n'attendez pas cela de ma part !
Des qualificatifs ont fusé tout à l'heure depuis les travées socialistes, quand il était précisément question de sectarisme. A cette heure, vient de s'achever une réunion de la commission des affaires sociales au cours de laquelle un de mes collègues a présenté une proposition de loi permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique. Là encore, bien que l'on soit dans l'actualité et qu'il y ait un véritable débat pour notre pays, aucun de nos collègues socialistes n'a assisté à cette réunion.
M. Claude Estier. Ce n'est pas vrai ! Mme Dieulangard était présente.
M. Dominique Leclerc. Je ne veux pas polémiquer, mais, de grâce, cessez de nous faire toujours la morale !
Personnellement, je suis convaincu, d'une part, que le débat doit se faire dans nos différences et dans le respect de ces différences, d'autre part, qu'il nous faut tenir compte de la réalité telle qu'elle est vécue sur le terrain. Nous sommes élus par nos concitoyens pour, justement, débattre de cette réalité et faire progresser notre pays.
Monsieur le ministre, encore une fois, évitons tout malentendu entre nous ! Pour ma part, je me félicite de la construction européenne, de la qualité de ce débat et de l'ardeur des uns et des autres à oeuvrer dans le bon sens. (Applaudissements sur quelques travées du RPR.)
M. Aymeri de Montesquiou. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, vous avez affirmé qu'on avait obtenu à Nice un résultat « le meilleur possible ». Vous reprenez à votre compte, et à juste titre, les propos de M. le président de la République. Vous avez sans doute raison, l'expression n'est pas loin de traduire la réalité.
Je crois que l'on peut se réjouir qu'il n'y ait pas eu d'affrontement dans cette enceinte. Personne n'a osé dire que Nice était un désastre ; personne n'a osé dire que c'était un triomphe. Nous avons oscillé autour d'appréciations modérées - c'est assez bien - mais chacun admet qu'il y a eu un résultat positif, même si certains ajoutent « a minima ».
Vous dites, monsieur le ministre, que le bilan hors CIG a été positif. Je vous l'accorde, et avec plaisir, parce que ce bilan, nous le partageons tous, en particulier s'agissant de la charte, de la sécurité alimentaire ou de la navigation. Mais, hélas ! en France, nous avons un défaut, c'est que, lorsqu'on obtient quelque chose, tout le monde trouve cela naturel sans prendre en compte le travail accompli.
Tout à l'heure, je vous ai dit que j'étais préoccupé par ce décrochage considérable entre la France et l'Allemagne, le Parlement européen comptant désormais vingt-sept eurodéputés allemands de plus.
C'est préoccupant, compte tenu de la valeur intrinsèque de ce grand peuple, pour reprendre la réflexion qu'avait faite le général de Gaulle aux portes de Moscou, là où les Allemands ont été arrêtés. Il est évident qu'aujourd'hui il n'est plus question de bellicisme, mais les valeurs des Allemands subsistent - je pense ici à leur esprit industrieux et à leur volonté de conquérir des marchés. A cet égard - ne voyez pas là une attaque, monsieur le ministre, c'est simplement ma conviction -, je pense que les 35 heures ne nous aident pas beaucoup dans cette compétition.
De la même façon, monsieur le ministre, vos attaques contre l'Autriche n'ont pas forcément renforcé nos positions en Europe centrale. Elles ont même suscité une certaine méfiance des candidats à l'Europe, qui les ont ressenties comme une ingérence dans les affaires d'un autre pays.
Cela n'avait pas été le cas, en 1981, époque où les SS 20 soviétiques étaient dirigés contre l'Europe : aucun pays ne s'était permis de relever que des ministres communistes siégeaient dans notre gouvernement : cela ne regardait personne. De la même façon, je pense que ce qui se passe à l'intérieur d'un autre pays européen ne nous concerne pas.
M. Michel Caldaguès. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Vous n'avez pas répondu à la question relative à la mise en place d'un Sénat européen, monsieur le ministre. Peut-être avez-vous au moins un début de réponse ? L'établissement d'un Sénat européen pourrait être un moyen de lisser les différences de démographie et de potentiel économique qui existent entre les divers pays.
Il y a aussi un point, hélas, monsieur le ministre, sur lequel nous sommes tous d'accord : l'Europe manque de souffle. Certes, il est difficile de lui en donner, ne serait-ce que parce que l'Europe est vraiment illisible pour le citoyen. L'éloignement du citoyen de l'Europe se transforme parfois en hostilité, d'autant que tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont souvent utilisé l'Europe comme un bouc émissaire.
Il me semble que la seule façon de commencer à restaurer l'enthousiasme européen en faveur de l'Europe, enthousiasme que nous avons connu il y a une quarantaine d'années, c'est de simplifier cette Europe et de la rendre plus lisible.
M. Daniel Hoeffel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le ministre, vous avez bien voulu rappeler tout à l'heure que le prochain sommet européen pourrait se tenir à Bruxelles.
Permettez-moi, en cet instant, d'exprimer un voeu, et de l'exprimer ardemment. Comprenant que, pour des raisons pratiques, de telles rencontres puissent avoir lieu à Bruxelles, je souhaite, cependant, que cela ne soit pas le début d'une dérive...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Ah oui !
M. Daniel Hoeffel. ... pouvant conduire l'ensemble des institutions européennes...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. A quitter Strasbourg !
M. Daniel Hoeffel. ... à quitter d'autres lieux pour Bruxelles.
Je sais que nous pouvons compter sur vous pour défendre les intérêts, en particulier de Strasbourg, à cet égard, car la multipolarité fait aussi partie d'un certain équilibre que nous souhaitons pour l'Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Permettez-moi, d'abord, de remercier M. Leclerc d'avoir clarifié le débat et levé certains malentendus.
Pour ma part, et je suis sûr que telle était aussi l'intention de M. Claude Estier, je voulais simplement souligner que, quand on partage, on partage tout, les problèmes comme les succès.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est ce souci qui nous a animés tout au long de la présidence.
Nous avons des différences. Soyons certains d'ailleurs qu'elles vont reprendre le pas maintenant dans le débat public national. Elles n'ont d'ailleurs jamais disparu. Mais, sur ce sujet, nous avons vraiment tout fait ensemble et, je peux le dire pour l'avoir vécu quotidiennement, au millimètre. Tel était simplement le sens de mon observation.
Quant à M. de Montesquiou, pour ce qui concerne l'Autriche, nous avons aussi tout partagé, et j'ai le souvenir de conversations extrêmement précises avec le Président de la République alors que nous étions ensemble en Suède. Nous avons donc, là encore, partagé.
Je vous dirai d'ailleurs, toujours sur ce sujet, qu'il faut se méfier des amalgames un peu faciles et que le défenseur de la Charte des droits fondamentaux que vous êtes, monsieur de Montesquiou, devrait peut-être être un peu plus attentif à ce qui peut se produire quand il s'agit de l'extrême-droite en Europe. Mais nous aurons ce débat.
M. Aymeri de Montesquiou. L'extrême droite ? Elle m'a battu en 1997 !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Franchement, le parallèle que vous avez fait avec la situation qu'a connue notre pays en 1981 n'était pas tout à fait heureux, il était même très malheureux. L'expérience l'a prouvé. Ce qui se passe en Autriche prouve également que la situation n'est pas la plus parfaite là-bas, mais je ne veux pas relancer ce débat.
Monsieur le sénateur, vous m'avez interrogé sur le Parlement européen. Mon propos avait déjà été très long et je n'avais pas souhaité entrer dans le détail de toutes les questions, mais je vous réponds volontiers sur ce point.
Autant, dans le cadre du conseil, il est logique qu'il y ait une parité franco-allemande, parce que, encore une fois, c'est lié à notre histoire et c'est l'essence même de l'expression des nations...
M. Aymeri de Montesquiou. C'est ce que j'ai dit !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... autant, quand on parle d'un parlement, la logique démographique s'impose. Les Allemands étaient déjà plus nombreux que nous. Le rapport 99/72 reflète l'écart qui existe entre l'Allemagne et les autres en termes de population.
La question est plutôt de savoir comment nous réagirons quand l'Allemagne connaîtra, à son tour, un creux démographique. La logique, celle-là même qui nous a conduits à accepter par deux fois d'avoir moins de députés européens que les Allemands, voudrait que l'on réajuste, alors, le nombre des députés européens. C'est, en tout cas, ma position, il faut que le mécanisme soit réversible.
Quant au Sénat européen, je ne doute pas qu'il sera dans la discussion pour 2004. Quand certains parlent d'une constitution, ils évoquent la possibilité d'une deuxième chambre, pas toujours avec les mêmes pensées ou arrière-pensées. C'est un débat qui est ouvert.
Enfin, je veux assurer M. Hoeffel de la détermination totale des autorités françaises et du Gouvernement de défendre Strasbourg comme siège du Parlement européen. Je rappelle que les traités précédents l'ont consacré. Certes, il nous faudra être vigilants, parce que l'installation du Conseil européen, d'abord à mi-temps puis définitivement, à Bruxelles aura des conséquences. Mais nous nous battrons, et tous ensemble parce qu'il y a là beaucoup plus qu'un symbole.
Je terminerai sur la même tonalité que Hubert Haenel en remerciant tous ceux qui ont travaillé avec nous, parce que, une présidence, ce n'est pas seulement un groupe de quelques ministres qui travaillent ensemble. Ce sont des hommes et des femmes qui ont le sens du service public, qui travaillent soit au cabinet du Président de la République, soit au cabinet du Premier ministre, soit au cabinet de Hubert Védrine, soit au mien ou auprès d'autres ministres encore ; ce sont aussi des services, notamment les services du Quai d'Orsay, qui ont été d'une disponibilité exceptionnelle ; c'est la représentation permanente à Bruxelles, qui joue un rôle de coordination et de régulation. D'ailleurs, vous avez eu raison de rappeler le talent personnel de Pierre Vimont, un homme parfait, calme et d'une énorme puissance de travail, qui a donné à la fois l'ambiance et le rythme de nos travaux.
Ce sont aussi les femmes et les hommes qui travaillent dans les autres institutions de l'Union européenne, le secrétariat général du Conseil et la Commission, qui a fourni un très gros travail. Pour ma part, je sais que ce que nous avons fait, nous, les hommes politiques, n'était pas possible sans eux. Ils n'ont ménagé ni leur temps ni leur énergie au service de l'engagement européen, et je m'en serais voulu de ne pas l'avoir souligné après vous, monsieur le sénateur, car c'est aussi le rôle du Gouvernement.
Nous ne pouvons pas avancer sans ceux qui sont les rouages quotidiens et constants de la mécanique européenne, trop souvent qualifiés de « technocrates », alors qu'ils sont, au contraire, les serviteurs d'une idée.
Voilà ce que je voulais ajouter, en vous redisant ma disponibilité pour continuer à travailler avec vous tant que j'exercerai ces fonctions. (Applaudissements.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, permettez-moi, au nom de M. le président du Sénat, en votre nom et en mon nom personnel, de remercier, d'abord, M. le ministre d'avoir bien voulu nous consacrer, aujourd'hui, une part importante de son temps, et ce cinq jours seulement après la fin du sommet de Nice.
M. le ministre a été à l'écoute des critiques, des suggestions, des inquiétudes, des satisfactions des uns et des autres. Les réponses qu'il a apportées ont sûrement apaisé les craintes de chacun. Mais le débat ne manquera pas de se poursuivre.
Je veux, en outre, remercier notre collègue Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, dont chacun, ici, sait qu'il a les convictions européennes chevillées au corps, d'avoir pris l'initiative de soumettre la discussion de cette question orale avec débat à la conférence des présidents. Chacun lui en sait gré, car le débat a été fort utile. J'espère que nous aurons l'occasion, sur ces questions comme sur d'autres, d'avoir un échange de même qualité entre nous.
Enfin, mes remerciements iront à tous ceux qui ont participé à ce débat. Certes, les critiques ont fusé, ici ou là, mais il était bon, je crois, que chacun s'exprime très librement.
Au-delà des inquiétudes que nous pouvons avoir sur ce qui n'a pas abouti à Nice, nous ne devons pas oublier que la construction de l'Europe apporte, aux uns et aux autres, un bien précieux : la paix.
Merci donc à chacun d'entre vous.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Conformément à la règle établie par la conférence des présidents, je rappelle que l'auteur de chaque question et le ministre qui lui répond disposent de deux minutes trente, pas davantage.
Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps ainsi imparti afin que toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la retransmission télévisée.

RÉFORME DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE

M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines maintenant, les avocats se mobilisent pour une revalorisation de l'aide juridictionnelle.
Destinée aux personnes les plus démunies, cette aide permet de faire prendre en charge par l'Etat tout ou partie des frais d'avocat. En cela, elle est une condition essentielle de l'égal accès de tous à la justice.
L'avocat est rétribué sous la forme d'une indemnisation calculée sur la base de l'attribution d'unités de valeur, dont le nombre est prédéterminé pour chaque contentieux.
Ce système est, aujourd'hui, complètement désuet, parce qu'il ne prend pas en compte une demande croissante de justice. A titre indicatif, le barreau du Val-de-Marne, où sont inscrits 370 avocats, a eu à traiter, au titre de l'aide juridictionnelle pour l'année 1999, 5 795 dossiers au pénal et 4 305 au civil, soit un total de 10 100 dossiers !
La revendication des avocats est juste, c'est pourquoi nous la soutenons.
Le faible taux d'indemnisation des avocats conduit, aujourd'hui, à une situation aberrante où les avocats sont conduits, en fin de compte, à se substituer au service public de la justice en travaillant bénévolement, voire à perte. Par exemple, un procès en correctionnelle est rétribué 538 francs alors qu'il peut nécessiter, vous le savez, plusieurs semaines de travail.
Vous avez annoncé, madame la ministre, une refonte du système et vous venez d'installer la commission chargée d'y réflechir. Nous avons été sensibles à la nomination de M. Paul Bouchet à la tête de cette commission, lui qui, comme président d'ATD Quart monde, a été confronté directement aux problèmes des plus démunis.
Parallèlement, vous avez admis la nécessité de mesures immédiates eu égard, en particulier, à l'accroissement du rôle de l'avocat avec la loi sur le renforcement de la présomption d'innocence.
Le doublement du barème pour certains contentieux - audiences pénales, référés prud'homaux ou reconduites à la frontière - était un effort minimum que beaucoup d'avocats jugent encore insuffisant.
Alors que le mouvement se durcit depuis vendredi, avec l'entrée en grève des derniers barreaux - y compris celui de Paris - entraînant par là même la paralysie des tribunaux, nous souhaiterions être informés de l'état des négociations.
Par ailleurs, le refus d'une justice à deux vitesses doit nous conduire à une réforme de l'aide juridictionnelle dans les plus brefs délais.
La commission Bouchet doit vous rendre ses conclusions le 30 avril 2001, et il nous semble, dès lors, possible et nécessaire d'envisager un projet de loi d'ici à l'été.
Maintenez-vous néanmoins, madame la ministre, la date de 2003 pour l'entrée en vigueur de la réforme ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous posez effectivement une question importante. Nous constatons un mouvement de grande ampleur dans notre pays depuis plusieurs jours - et même depuis plusieurs semaines - mais ce serait une erreur de penser que celui-ci n'est lié qu'à l'indemnisation de l'aide juridictionnelle.
Vous avez rappelé, à juste titre, que l'aide juridictionnelle ne concerne pas que les avocats. J'ai ainsi rencontré les huissiers ce matin, et les mesures en leur faveur s'élèveront à 300 millions de francs.
En 1991, sous l'autorité d'Henri Nallet et, déjà, de Paul Bouchet, nous sommes passés d'un système d'aide gratuit, qui ne s'appuyait que sur la solidarité, à un système d'indemnisation des avocats pour que chacun ait accès au droit, car il s'agit bien de cela : chacun doit, dans notre pays, avoir accès au droit et à la justice.
Toutefois, depuis dix ans, la profession d'avocat a énormément changé. La grande majorité des barreaux - le barreau de Paris en est un exemple - ont beaucoup évolué, et ont vu l'apparition de plusieurs catégories d'avocats : les avocats d'affaires, les généralistes et les plus jeunes avocats, qui se chargent souvent de l'aide juridictionnelle.
Face à cette situation, il faut tout reposer sur la table. C'est donc avec beaucoup de satisfaction que j'ai installé hier la commission présidée par Paul Bouchet, qui doit effectivement, vous avez raison, me remettre un rapport fin avril.
Ce rapport sera soumis, bien sûr, à la concertation, puisqu'il faut un minimum d'échanges entre les associations qui s'occupent des populations les plus défavorisées et l'ensemble des professions du droit pour apprécier s'il est possible de mettre au point un projet de texte pour le mois de juillet, lequel texte sera soumis au Parlement aussitôt que le calendrier parlementaire le permettra.
Toutefois, avant cette grande réécriture de l'accès au droit et à la justice et de l'organisation des professions des auxiliaires de justice, il faut prendre des mesures immédiates.
J'ai déjà accepté de doubler certains barèmes et, globalement, l'aide juridictionnelle augmentera de près de 25 % si l'on additionne l'ensemble des mesures qui ont été prises.
J'ai « rouvert » - si je puis dire, car elles n'ont jamais été closes - les négociations, et j'ai mis sur la table un certain nombre de pistes de négociation pour 2001 et 2002.
Pour ma part, je reste persuadée qu'avec ce qui a été proposé à l'ensemble de la profession d'avocat, nous pourrons bientôt obtenir satisfaction. Quoi qu'il en soit, c'est bien de l'accès à la justice qu'il s'agit. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. C'est bien long, 2003 !
M. Michel Charasse. Il faut particulièrement remercier Mme Lebranchu, car sa commune est inondée, mais elle est quand même venue répondre à cette séance de questions !

INSCRIPTION À L'ORDRE DU JOUR
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
D'UNE PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR LE SÉNAT

M. le président. La parole est à M. Faure.
M. Jean Faure. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, concerne l'évolution de la proposition de loi relative aux frais de secours qui a été adoptée l'année dernière par le Sénat.
A la veille des fêtes de Noël, nous savons qu'une cohorte de touristes va se rendre dans différents points du territoire et y pratiquer des activités sportives de plus en plus diversifiées.
La fréquentation accrue de nos territoires ruraux pose un certain nombre de problèmes aux maires, qu'il s'agisse de l'organisation ou du remboursement des frais de secours, ou tout simplement de la mise en cause de leur responsabilité. Certains d'entre eux ont pris des mesures réglementaires pour restreindre l'accès des touristes à leur espace naturel, ce qui n'est pas forcément une bonne solution. On a même vu un préfet interdire la pratique du ski hors-piste sur l'ensemble du département, ce qui paraît disproportionné : on ne peut même plus sortir de son jardin en skis ! (Sourires.)
Il faut donc impérativement trouver des solutions pédagogiques qui soient acceptables et amener les pratiquants des activités sportives présentant des risques à une prise de conscience pour qu'ils participent au remboursement des frais de secours.
La proposition de loi que nous avons adoptée l'année dernière, à l'unanimité des membres de notre assemblée - même si certaines réserves ont été exprimées par quelques-uns de nos collègues - n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Je vous demande, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire à cet égard, d'autant que votre prédécesseur, qui avait trouvé que nos propositions étaient intéressantes, s'était engagé à inscrire ce texte à l'Assemblée nationale.
Je ne dis pas que nous avions raison sur tous les points, mais encore faut-il répondre à la question qui est posée : comment permettre aux maires - même s'il ne s'agit pas de les exonérer de leurs responsabilités - de faire face à tous les problèmes que pose cette surfréquentation de leur territoire ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je salue la présence au banc du Gouvernement de M. le Premier ministre, que nous sommes heureux d'accueillir.
Je vais maintenant donner la parole à M. Queyranne, pour répondre, en sa qualité de ministre des relations avec le Parlement, au lieu et place de M. le ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre, vous devez répondre à cinq de nos collègues, qui ont posé des questions à différents ministres. Je crois que c'est beaucoup pour le seul ministre chargé des relations avec le Parlement !
M. Alain Gournac. C'est qu'il a beaucoup de talent !
M. le président. Certes, vous avez beaucoup de talent, j'en conviens, monsieur le ministre, mais demandez tout de même à vos collègues de ne pas autant aloudir votre charge de travail !
M. Claude Estier. Il est très bon !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser deux de mes collègues qui ne peuvent pas être présents cet après-midi : M. Vaillant est en Bretagne pour exprimer la solidarité du Gouvernement aux communes - dont la ville de Morlaix, que Mme Lebranchu connaît bien - et aux populations qui ont été touchées par les inondations,...
Mme Hélène Luc. C'est bien !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... et M. Glavany préside le Conseil « pêche » de l'Union européenne.
M. Michel Charasse. Avec talent !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Voilà qui explique pourquoi je serai amené à répondre aussi aux questions concernant le domaine agricole.
Monsieur Faure, j'ai déjà eu l'occasion de débattre avec vous, lors de l'examen de la proposition de loi dont vous êtes l'auteur, de la possibilité pour les collectivités locales, particulièrement pour les communes, de demander le remboursement des frais de secours dans le cas d'interventions consécutives à des accidents provoqués par la relative inconscience - on peut le dire - des pratiquants d'activités de loisirs ou d'activités sportives. Nous avons ainsi connu, dans le département de l'Isère, l'affaire du gouffre Berger en 1998, et, dans la Vanoise, chacun se souvient de ces alpinistes - je devrais dire de ces « pseudo-alpinistes » - qu'il a fallu rechercher en hélicoptère et qui ont ensuite vendu le récit et les photographies de leur aventure à la presse à sensation.
Il s'agit d'une question difficile, au sujet de laquelle le Gouvernement a toujours privilégié le principe de la gratuité des secours, règle républicaine qui met tous nos concitoyens dans une situation d'égalité.
En ce qui concerne les frais engagés par les communes, celles-ci ont toujours la capacité de se retourner en responsabilité contre les personnes qui ont provoqué les accidents et de faire jouer, éventuellement, les compagnies d'assurance.
Jusqu'à présent, le Gouvernement n'a pas inscrit votre proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'avais d'ailleurs dit, lors de l'examen de ce texte au Sénat le 16 décembre 1999, que cette question relevait de l'initiative parlementaire. Rien n'empêche, donc, qu'un groupe parlementaire reprenne ce sujet !
Vous avez vous-même reconnu que votre proposition de loi était imparfaite au regard de la prise de conscience et de la responsabilisation de ceux qui pratiquent des activités que l'on peut qualifier de risquées.
Quoi qu'il en soit, nous devons nous en tenir au principe d'égalité, que je rappelais à l'instant, et rechercher, sur la base d'initiatives parlementaires, quelle peut être la meilleure solution pour répondre à votre préoccupation.
Tel est bien l'esprit dans lequel les services du ministère de l'intérieur suivent actuellement ce dossier. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

CONSÉQUENCES DE LA CRISE DE LA « VACHE FOLLE »

M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, ma question s'adressait à M. Glavany, mais on m'a informé des raisons de son absence, et je les comprends bien.
Alors que l'AFFSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, vient de rendre le premier rapport d'étape du programme de dépistage de l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine, et que l'association Greenpeace a intercepté à Bordeaux un bateau censé transporter du soja transgénique, la crise de l'ESB n'est pas close : les éleveurs ont de grandes difficultés et se demandent comment ils pourront continuer. Par ailleurs, la consommation ne redémarre pas.
Nous devons donc continuer à prendre toutes les mesures pour apaiser les craintes de nos concitoyens et leur donner le maximum d'assurances en matière de sécurité alimentaire, et ce dans l'immédiat, bien sûr, mais aussi à long terme.
Pour cela, nous disposons, me semble-t-il, de deux moyens : d'une part, la mise en place d'un plan de protéines végétales et, d'autre part, la généralisation des tests de dépistage sur les bovins.
Soulignons aussi qu'un certain nombre d'élevages bovins ont déjà des productions très contrôlées par des contrats de qualification très précis. Il faut le redire.
Ma première question portera donc sur le plan de remplacement des farines carnées.
Pour remplacer les protéines apportées par ces farines dans l'alimentation des bovins, il faut recourir aux protéines végétales : soja, colza, tournesol, luzerne, pois, etc. Or l'Europe n'en produit pas assez. Elle devra donc augmenter ses importations en provenance des Etats-Unis, du Brésil ou de l'Argentine.
Mais les productions américaines sont largement issues d'organismes génétiquement modifiés. La France fera-t-elle le choix de ces productions, ou choisira-t-elle les importations de pays aux productions non transgéniques ?
Si l'on veut cependant limiter les importations, on peut envisager d'accroître, en Europe, les surfaces d'oléoprotéagineux. Cela suppose l'utilisation des terres en jachère, la substitution de cultures, la modification des aides et des mesures d'accompagnement dans le cadre de la politique agricole commune. La France est-elle prête - et dans quels délais - à défendre ce dossier ?
Restent les accords de Blair House, qu'il faudra renégocier.
Mais en attendant, monsieur le ministre, comment allez-vous procéder pour faire aboutir rapidement ce plan de protéines végétales ?
En tout état de cause, ne serait-il pas opportun de développer dès aujourd'hui la recherche scientifique sur les organismes génétiquement modifiés, afin de mieux connaître leur impact sur l'alimentation animale et humaine et de définir éventuellement des seuils de tolérance ?
Le second volet de ma question concerne les tests de dépistage, qui constituent l'autre moyen de rassurer nos concitoyens. Nous demandons la généralisation des tests à l'abattoir. Dans cette perspective et au regard des premiers résultats du programme de dépistage, n'est-il pas temps, monsieur le ministre, de faire l'analyse critique du test utilisé...
M. René-Pierre Signé. C'est fait !
M. Ambroise Dupont. ... et d'envisager, le cas échéant, le recours à des tests fournis par d'autres laboratoires ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à souligner que notre pays s'est doté dès juillet 1998, à la suite d'une proposition du Sénat,...
M. Henri de Raincourt. Ah !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... d'un dispositif de veille sanitaire, avec la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Cette agence, dont les avis font autorité, sert d'ailleurs de modèle à la création au niveau européen d'une agence de même type, qui devrait être opérationnelle, comme cela a été décidé lors du sommet de Nice, dès 2002. Notre pays, en matière de sécurité alimentaire, s'est donc montré précurseur par les dispositions prises et par le système de veille mis en place.
Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la mise en place d'un plan de protéines végétales en vue de remplacer les farines animales. Actuellement, le ministère de l'agriculture étudie deux éléments.
Le premier est le relèvement des aides aux protéagineux, afin de pouvoir récolter, dès l'année 2001, l'équivalent de 350 000 tonnes de tourteaux de soja, ce qui passe, comme vous l'avez indiqué, par une augmentation de la surface cultivée en protéagineux, l'objectif étant, à terme, de 600 000 hectares cultivés.
Le second élément étudié par le ministère de l'agriculture est la mise en place de productions de soja de qualité dans notre pays. Cette mesure, qui a permis, cette année, de produire du soja sur 70 000 hectares, devrait viser, l'année prochaine, 100 000 hectares, pour un montant de 100 millions de francs. Elle devrait permettre de substituer ainsi progressivement aux farines animales ce type de production.
Enfin, M. le Premier ministre a annoncé hier, lors des Etats généraux de l'alimentation, la mise en place le plus tôt possible de tests de dépistage pour l'ensemble des bovins de plus de trente mois, l'objectif étant de tester le plus vite possible près de 20 000 animaux par semaine. Ce dépistage sera mis en place dans les prochains jours...
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Dès janvier !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... en utilisant tous les tests disponibles. Notre pays est donc, là encore, en avance sur d'autres pays européens...
M. René-Pierre Signé. Eh oui ! Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... pour la mise en oeuvre de ces dispositions de contrôle. Au total, je le répète, 20 000 tests par semaine - c'est considérable - seront mis en oeuvre dès le mois de janvier.
M. René-Pierre Signé. Grâce au Gouvernement !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais apporter à votre question, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

PÉRENNISATION DES EMPLOIS-JEUNES

M. le président. La parole est à Mme Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Ma question, qui s'adressait à Mme Guigou, porte sur les emplois-jeunes, lesquels présentent, à mi-parcours, un bilan positif. Néanmoins, quelques signes d'inquiétude apparaissent.
En effet, 276 000 emplois-jeunes ont été créés, soit moins que les 350 000 qui avaient été annoncés. Par ailleurs, les 350 000 emplois qui devaient être créés dans le secteur privé ne l'ont pas été. Cependant, ces emplois ont contribué à faire baisser le chômage des jeunes de 20 %.
La moitié de ces emplois-jeunes a été créée par Etat, l'autre moitié l'étant par des collectivités territoriales et des associations, petites unités de moins de dix salariés pour la plupart, qui sont le plus souvent les moins solvables. Par ailleurs, 63 % des emplois-jeunes sont occupés par des femmes.
Le taux de satisfaction des intéressés est de 80 %. Les résultats obtenus sont donc positifs. Les jeunes ont trouvé une réponse à leurs problèmes matériels et une place dans la société. Ils sont ainsi devenus de véritables agents du développement économique. De leur côté, les employeurs ont trouvé une réponse à leurs besoins. L'action politique menée en direction des jeunes a donc été réussie.
Il faut pérenniser ces emplois. Il reste, dans notre pays, 2 270 000 chômeurs. Ces jeunes doivent entrer durablement dans la vie active, conformément à la promesse qui leur avait été faite. Nous avons créé des emplois nouveaux. Nous avons fait émerger de réels besoins et de vrais métiers. Ces emplois étaient utiles ; ils sont devenus nécessaires.
J'en viens donc à ma question : quelle sortie du dispositif prévoyez-vous maintenant ?
M. le Premier ministre avait annoncé devant le Conseil national de la jeunesse un plan de pérennisation. Où en est ce projet ?
Il convient de reconnaître l'existence de certains métiers nouveaux, de valider les acquis, de faciliter l'accès à la fonction publique territoriale et d'assurer le suivi et la formation de ces jeunes.
On pourrait également associer davantage les entreprises, établir des passerelles et des contrats avec elles et inventer même d'autres formules de salariat, comme le salariat à temps partagé, par exemple.
Il faut aider les structures non solvables, qui représentent environ 50 % des employeurs et des emplois. Cette aide pourrait consister en une aide financière directe ou indirecte, une aide à l'emploi ou au fonctionnement, dégressive le cas échéant. Il faut donc les aider « autrement » sans doute, mais il faut assurément les aider.
Ces mesures doivent être décidées vite. C'est le moment ! Nous avons un engagement moral vis-à-vis des jeunes. Quelles sont vos propositions, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Madame la sénatrice, les emplois-jeunes, qui sont peut-être l'une des plus belles réussites de ce gouvernement (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste), correspondent à la tenue d'un engagement pris pendant la campagne des élections législatives. Ces emplois-jeunes ont montré comment le Gouvernement pouvait inventer un nouveau système pour refuser la fatalité du chômage...
M. Alain Gournac. Arrêtez !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... et redonner espoir et confiance à nos jeunes et à leurs parents. (Exclamations sur les travées du RPR.) Madame la sénatrice, 258 000 postes d'emplois-jeunes ont été créés par lesquels 276 000 jeunes sont passés.
Et si, d'une certaine manière, il n'a pas été nécessaire de créer des emplois-jeunes dans le secteur privé, c'est parce que, grâce à l'action du Gouvernement (Exclamations sur les mêmes travées) et à la croissance internationale, ces postes ont été créés naturellement par le secteur privé. (Exclamations prolongées sur les mêmes travées.)
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, écoutez la réponse de M. le ministre.
M. Alain Gournac. Il ne faut pas qu'il nous agresse !
M. Raymond Courrière. Ils en profitent, car ces propos les gênent !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. C'est dur d'avoir à reconnaître son échec, mesdames, messieurs les sénateurs !
Sur ces 276 000 postes, 75 % ont été offerts à des jeunes qui étaient sans emploi ; 8 % de ces jeunes étaient bénéficiaires du RMI et 25 % étaient sans qualification. Le Gouvernement n'a pas du tout l'intention de laisser tomber ces jeunes et leurs familles (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Agissez !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Nous avons la volonté de donner encore plus de force à ces emplois, qui n'étaient pas préfabriqués et qui ont répondu à une véritable attente du terrain. La procédure mise en place par le Gouvernement, dans le cadre de ces nouveaux emplois, nouveaux services, a été de demander aux associations, aux collectivités locales, aux organismes de transports et aux organismes d'HLM de quels emplois ils avaient besoin, et ce afin de les aider à les mettre sur le marché et à les solvabiliser.
Une partie du travail a d'ores et déjà été accomplie. Certaines associations ont réussi, grâce à la rémunération d'un certain nombre de services, à des personnes occupant un emploi-jeune un contrat à durée indéterminée. Quant aux organismes de transports et d'HLM, compte tenu de l'amélioration de la gestion et des économies qui ont été réalisées sur les charges, grâce à ces emplois, ils en envisagent d'ores et déjà la pérennisation.
Le Gouvernement a bien l'intention de profiter du fait que ces emplois-jeunes sont à mi-parcours pour poursuivre cette consultation. Madame la sénatrice, dans les semaines qui viennent, nous aurons l'occasion de vous donner la position adoptée par le Gouvernement pour permettre la pérennisation de ces emplois. Il s'agissait d'emplois indispensables à la vie de nos villes et du monde rural. Ils doivent être maintenus. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac. Lisez mon rapport, monsieur le ministre !
M. Raymond Courrière. Si cela ne vous plaît pas, n'en embauchez pas !

MODALITÉS DE LA PRIVATISATION
DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE MARITIME

M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons assisté, la semaine dernière, à un événement, à un fait tout à fait inhabituel : une perquisition à Matignon ! Cette dernière portait, semble-t-il, sur les conditions dans lesquelles s'est opérée la privatisation de la Compagnie générale maritime, la CGM.
Je tiens à rappeler un certain nombre d'éléments.
La procédure de privatisation a été effectuée sur la base d'un appel d'offres ouvert. Elle a été opérée de manière interministérielle et de façon totalement transparente.
M. Raymond Courrière. Que craignez-vous alors ?
M. René-Pierre Signé. Mairie de Paris !
M. Josselin de Rohan. Les intérêts patrimoniaux de l'Etat ont été respectés, puisque le choix final du Gouvernement ne pouvait s'opérer que sur avis conforme de la commission de privatisation. Cette dernière a donné un avis positif à la proposition du Gouvernement de reprise de la CGM par la Compagnie maritime d'affrètement, la CMA,...
M. Raymond Courrière. Et alors ?
M. Josselin de Rohan. ... avis qui a été très clairement et dûment motivé.
La Commission européenne a vérifié et approuvé la recapitalisation de la CGM. Un recours a été introduit devant le Conseil d'Etat contre la vente de la CGM à la CMA, et les requérants ont été déboutés de leur action.
Ma question est simple : le Gouvernement dispose-t-il d'éléments d'information qui donneraient à penser que des irrégularités, voire des malversations, ont été commises dans la procédure ?
M. René-Pierre Signé. Ils connaissent !
M. Josselin de Rohan. Si tel est le cas, peut-il nous les détailler et indiquer à la représentation nationale les raisons précises qui ont motivé cette perquisition ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, j'ai été heureux que vous terminiez par une question, car j'avais l'impression, en vous entendant, que c'était vous qui apportiez une réponse à une question qui n'était pas posée.
M. Josselin de Rohan. Une précision !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Mais comme j'ai compris que votre intention réelle était de nous interroger sur le pourquoi d'une perquisition à Matignon, c'est sur ce point et sur les conditions dans lesquelles elle s'est passée que je vous répondrai, pour que les choses soient claires.
Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte sur les conditions de la privatisation de la Compagnie générale maritime en octobre 1996, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre, M. Augonnet, a délivré une commission rogatoire à la brigade financière de la préfecture de police. Le magistrat instructeur souhaitait que les enquêteurs accèdent aux archives de l'hôtel Matignon relatives à cette privatisation et saisissent éventuellement des documents pouvant intéresser son enquête.
Le secrétariat général du Gouvernement, qui a été saisi de cette demande le 23 novembre, a fait procéder, comme il en avait l'obligation - il y avait une commission rogatoire d'un juge - au rassemblement des pièces d'archives relatives à cette privatisation qui ont été tenues à la disposition de l'autorité judiciaire. Il m'a informé sans délai de la demande dont il avait fait l'objet. Il en a également informé l'ancien Premier ministre, dans la mesure où certaines des archives concernées provenaient de son cabinet.
Ainsi que l'entourage de M. Juppé l'a fait savoir, celui-ci n'a fait aucune objection à la demande de consultation des archives de son cabinet ; cette consultation a eu lieu le 7 décembre dans des conditions de publicité que je regrette,...
M. Alain Gournac. Les caméras !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. ... mais dont ni mon cabinet ni mes services, et notamment ceux du secrétariat général - référez-vous aux dépêches - ne sont responsables. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Ils ne sont responsables de rien !
M. Raymond Courrière. Il n'y a pas eu besoin d'hélicoptère !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. La copie des pièces saisies et de l'intégralité du dossier de la privatisation de la CGM a été, dans les heures qui ont suivi le passage de la police judiciaire à Matignon, mise à disposition du mandataire de l'ancien Premier ministre, qui, conformément à la loi, a un droit permanent d'accès à ses propres archives.
Je tiens à souligner devant le Sénat que ni moi-même ni mon cabinet n'avons accès à ces archives et que nous n'avons pas, a fortiori, connaissance des pièces qui ont été saisies. Les archives versées par les Premiers ministres successifs sont, en effet, sous la garde et le contrôle exclusifs de la mission des archives nationales de l'hôtel Matignon. Je veille scrupuleusement au respect de cette règle.
Je tiens, en outre, à rappeler que je me suis fixé pour principe de n'intervenir en aucune manière dans le déroulement d'enquêtes judiciaires, ce qui vaut assurément pour les actes de mes prédécesseurs. Les réponses à d'éventuelles demandes de l'autorité judiciaire relèvent, à Matignon, de la seule compétence du secrétariat général du Gouvernement, qui incarne, au plan administratif, la continuité et la neutralité de l'Etat, ainsi que le respect de la loi. (Vifs applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Vous voilà rassurés !

ÉTAT DES NÉGOCIATIONS
SUR L'AVENIR INSTITUTIONNEL DE LA CORSE

M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, le processus de régionalisation engagé par le Gouvernement en Corse est, soyez-en assurés, l'une des préoccupations fortes des Français. Pourtant, à ce jour, aucun véritable débat n'a été ouvert au Parlement sur ce sujet, alors que cette initiative remonte à l'été.
Je vais quand même très rapidement - trop rapidement - profitant de cette occasion qui m'est donnée, poser trois questions précises qui ne laissent pas de me préoccuper.
Tout d'abord, n'y a-t-il pas une contradiction entre ce projet de régionalisation de la Corse et le maintien, s'agissant de l'ensemble des autres régions françaises, d'une décentralisation que je crois inadaptée à notre époque ? Le Gouvernement envisage-t-il d'étendre le projet corse aux autres régions françaises ?
Ensuite, comment doit-on apprécier la déclaration d'un chef nationaliste corse, reçu plusieurs fois à Matignon, qui écrit que « la proposition du Gouvernement va dans le bon sens, mais ne constitue qu'une étape dans la négociation » ?
Enfin, M. le Premier ministre déclarait, au début de l'année, « que le problème en Corse était de rétablir l'état de droit et non de doter cette région d'un nouveau statut ». L'état de droit est-il aujourd'hui respecté ? La violence ne continue-t-elle pas à l'emporter ?
Partagez-vous, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, l'opinion de M. Chevènement, qui crie haut et fort, de réunion en réunion, que le nouveau statut accordé à la Corse a amené le Gouvernement à passer sous les fourches caudines des nationalistes, lesquels - c'est moi qui l'ajoute - ne représentent que 15 % de l'électorat corse ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je voudrais tout d'abord rappeler la procédure qui est suivie par le Gouvernement en ce qui concerne cette question corse.
Le ministre de l'intérieur a été reçu par les commissions compétentes des deux assemblées, celle du Sénat l'ayant entendu le 11 octobre dernier. Par ailleurs, la consultation qui a été engagée avec l'assemblée de Corse est bien prévue par le statut actuel de la collectivité territoriale, qui date du 13 mai 1991. En effet, son article 26 dispose que l'assemblée de Corse est consultée sur les projets de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse. Sur la base de la délibération de l'assemblée de Corse, qui a donc été saisie de l'avant-projet, le Gouvernement a travaillé en vue de présenter un projet de loi en conseil des ministres à la fin de janvier, et il est bien évident que ce texte viendra en discussion au printemps devant le Parlement, donc devant le Sénat.
En réponse à votre première question, je peux vous indiquer, monsieur Vallet, que l'exposé des motifs de ce projet de loi dit très clairement que l'objectif est d'enraciner durablement la Corse dans la République,...
M. Alain Gournac. En chantant La Marseillaise !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... en l'accompagnant sur la voie d'un développement maîtrisé, respectueux de sa spécificité et de son identité, tout en assurant la vitalité des principes républicains en Corse. Telle est donc bien notre démarche.
La Corse bénéficie, de par la loi de 1991, d'un statut spécifique. C'est donc dans ce cadre que le Gouvernement a voulu travailler, d'où l'élaboration de ce projet de loi qui concerne uniquement la Corse et qui définit une évolution des compétences et des structures. Chacun est libre, dans le cadre républicain, bien sûr, de réfléchir et de formuler ses projets quant à l'avenir de la Corse, mais c'est le Gouvernement et, ensuite, la représentation nationale qui détermineront les évolutions du statut, à partir des discussions qui se sont déroulées au cours du mois de juillet 2000.
Enfin, l'objectif visé est bien - c'est ainsi que le Gouvernement l'entend - qu'il y ait un état de droit, que la violence cesse en Corse et que, ainsi, les conditions du débat démocratique, lequel est le fondement même de la République, puissent être réunies.
M. Alain Gournac. Et l'assassin du préfet Erignac court toujours !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Tels sont les objectifs du Gouvernement, et nous les atteindrons, monsieur le sénateur ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Réponse un peu tardive !

ENSEIGNEMENT AGRICOLE

M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, concerne l'enseignement agricole.
Le développement de l'enseignement agricole dans notre pays s'appuie sur quatre composantes : l'enseignement public, l'enseignement privé confessionnel, l'enseignement associatif par alternance et l'enseignement professionnel, qui ont concouru pendant des années à son succès et à sa pérennité.
Dois-je rappeler que, sur les 175 000 élèves et étudiants de la filière agricole, plus de 60 % effectuent chaque année leur scolarité dans des lycées agricoles privés ?
Or, le 30 novembre dernier, les trois fédérations de l'enseignement agricole privé que sont l'UNREP, l'union nationale rurale d'éducation et de promotion, le CNEAP, le conseil national de l'enseignement agricole privé, et l'union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation ont décidé de quitter - fait historique et sans précédent - la table du conseil national de l'enseignement agricole, le CNEA, à la suite des déclarations intempestives et sectaires du directeur général de celui-ci, dont je cite les propos : « L'enseignement public agricole est aujourd'hui minoritaire. Ce n'est pas normal. Mon objectif est clair, c'est que le public passe à plus de 50 % dans toutes les régions. [...] Je veux plus d'ouvertures de formations nouvelles dans le public que dans le privé ».
M. Alain Gournac. Eh bien !
M. Philippe Darniche. On voudrait réveiller une « guerre scolaire » dépassée qu'on ne s'y prendrait pas autrement ! (Vives protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Raymond Courrière. N'importe quoi !
M. Philippe Darniche. Comme pour confirmer ces propos, M. le ministre de l'agriculture et de la pêche a décidé d'exclure les maisons familiales rurales de la formation en vue du baccalauréat technologique et du brevet de technicien supérieur...
M. Pierre Hérisson. C'est un scandale !
M. Philippe Darniche. ... et de réduire le nombre d'ouvertures de classe pour la rentrée 2001. Il est inacceptable que, au mépris de la qualité de l'enseignement dispensé et des remarquables résultats obtenus par l'enseignement agricole privé, on prive celui-ci de ses moyens d'existence et de développement.
M. Alain Gournac. Scandaleux !
M. Philippe Darniche. J'attends, sur ce point, un démenti clair de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Raymond Courrière. C'est vous qui rallumez la guerre !
M. Josselin de Rohan. Silence, monsieur Courrière !
M. Philippe Darniche. Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2001 que le Sénat vient d'examiner, en prévoyant une ridicule augmentation de 1,33 % du budget de fonctionnement des maisons familiales rurales, met celles-ci en très grande difficulté.
M. René-Pierre Signé. Ça suffit !
M. Philippe Darniche. A l'heure où notre pays manque de plus en plus de jeunes qualifiés, quelles propositions le conseil national de l'enseignement agricole pourrait-il annoncer rapidement afin de débloquer la situation actuelle et de faciliter le retour des trois fédérations de l'enseignement agricole privé à la table des négociations ?
Par ailleurs,...
M. Roland Courteau. Il a dépassé son temps de parole !
M. Philippe Darniche. ... qu'entend proposer M. le ministre de l'agriculture et de la pêche pour favoriser l'attribution à tous les jeunes de l'enseignement agricole, qu'il soit public et privé, de ces aides qui, de par sa propre volonté, ont été réduites, alors qu'elles sont destinées à des milliers de familles modestes qui supportent péniblement, et par choix, les charges croissantes de la formation agricole de leurs enfants ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous apporter, au lieu et place de M. Glavany, la réponse suivante.
Vous avez évoqué les déclarations d'un haut fonctionnaire chargé de l'enseignement au ministère de l'agriculture. M. Glavany a eu à s'expliquer sur ce point lors des débats relatifs au budget de l'agriculture qui se sont tenus voilà juste une semaine dans ce même hémicycle, et il a bien précisé qu'il s'agissait de maintenir l'équilibre voulu par les lois de 1984 : toute la loi, rien que la loi.
Il est hors de question de rallumer, pour reprendre vos propos, une quelconque « guerre scolaire ».
M. Raymond Courrière. Ils le regrettent !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Permettez-moi même d'ajouter que les lois de 1984 ont été votées alors que la gauche était au pouvoir, M. Michel Rocard étant ministre de l'agriculture.
Il est également important de rappeler que ces textes ont été adoptés à l'unanimité par les deux assemblées...
MM. Alain Gournac et Josselin de Rohan. C'est exact !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... et que M. Albert Vecten les rapportait au Sénat.
Il n'est donc pas question de rompre l'équilibre. Certaines réactions ont cependant conduit M. Glavany à examiner les chiffres de la rentrée scolaire de 2000 : quarante-six ouvertures de classe ont été décidées dans le privé et quarante-sept dans le public. Ces chiffres illustrent bien le fait que l'équilibre est maintenu !
S'agissant des formations en alternance, aucune mesure n'a été annoncée à ce jour, mais nous savons qu'une réflexion est en cours au sein de l'éducation nationale. Il nous semble normal que l'enseignement agricole y prenne sa part.
Enfin, permettez-moi de rappeler que les crédits alloués aux maisons familiales rurales sont passés, entre 1992 et 2000, de 427 millions de francs à 933 millions de francs, ce qui représente une augmentation de plus de 118 %, et que les crédits pour l'année 2001 seront en hausse de 19 millions de francs, pour atteindre 950 millions de francs, soit une augmentation de 2 %. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Très bien !

« VACHE FOLLE » ET PRIMES À L'HERBE

M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui a été excusé pour des raisons que nous comprenons.
A la suite du Conseil des ministres de l'agriculture qui s'est réuni à Bruxelles le 21 novembre dernier, le Gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures en faveur des éleveurs, en particulier des éleveurs de bovins. Il a notamment indiqué que le versement des primes serait accéléré et que des dispositions seraient prises afin que le solde de la prime au maintien des troupeaux de vaches allaitantes soit versé le plus tôt possible, c'est-à-dire dès le début de l'année.
Mardi et mercredi prochains se tiendra à Bruxelles le Conseil des ministres de l'agriculture ; nous pouvons espérer que la France y sera particulièrement active, de par la volonté efficace de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche d'être son messager.
Je poserai maintenant trois questions précises.
Tout d'abord, M. le ministre de l'agriculture et de la pêche devait annoncer des mesures de dégagement des broutards, assorties de la fixation d'un prix plancher : qu'en est-il aujourd'hui ?
Ensuite, s'agissant de la prime au maintien des troupeaux allaitants, sera-t-elle bien versée intégralement, comme cela a été affirmé, dès janvier 2001 ?
Enfin, en ce qui concerne la prime aux bovins mâles, M. le ministre de l'agriculture et de la pêche avait annoncé qu'un acompte de 80 % serait rapidement versé cette année et que le solde de 20 % le serait l'an prochain. Où en sommes-nous à cet égard ? Ma grand-mère m'a appris (Exclamations amusées sur les travées socialistes)...
M. René-Pierre Signé. Elle n'a plus mal aux dents ! (Rires.)
M. Jacques Machet. ... que donner vite, c'est donner deux fois : n'est-ce pas là une réflexion de bon sens ?
Dans la situation désastreuse et sans précédent que connaissent aujourd'hui les éleveurs et toute la filière bovine - je dis bien « toute la filière » - ne serait-il pas légitime que l'Etat fasse l'avance de ce solde de 20 %, afin que les éleveurs puissent toucher immédiatement l'intégralité de la prime ? Ils ne peuvent en effet attendre trois ou six mois supplémentaires, car leurs problèmes financiers deviennent insolubles. Car outre les difficultés liées à la crise actuelle, ils doivent acquitter les dettes contractées en 1996, à l'occasion de la précédente crise bovine, le report de charges qui leur avait été alors accordé étant arrivé à échéance.
En conclusion, si j'évoque un problème financier, c'est surtout pour moi d'un problème humain qu'il s'agit. Combien de familles sont ruinées - je dis bien ruinées - désespérées ? C'est au nom de celles-ci que j'attends une réponse positive à mes questions, afin que nous puissions rassurer les Françaises et les Français concernés. (Vifs applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur Machet, vous avez fait allusion au dernier Conseil agricole du 4 décembre dernier. Le prochain, qui se tiendra la semaine prochaine, aura notamment à examiner les conclusions du comité de gestion « viande bovine », qui s'est réuni le mardi 12 décembre à Bruxelles.
Ce comité a pris des décisions importantes, inspirées par la présidence française ; il a notamment décidé l'ouverture de l'intervention publique financée par l'Union européenne pour les jeunes bovins mais également pour les broutards. C'est la demande de la France qui a été retenue. Le comité a décidé de porter de 60 % à 80 % le montant des avances sur la prime spéciale bovin mâle versée aux producteurs.
M. Jean Arthuis. Il faut 100 %.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. La France a insisté pour que ces sommes soient versées sans délai. Mais, comme vous le savez, le montant définitif de cette prime ne peut être déterminé qu'au vu de l'effectif primable, qui ne sera connu que dans les premiers mois de l'année 2001, dès lors que les éleveurs auront déposé leur demande.
MM. Jean Arthuis et Alain Lambert. C'est fait !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Il n'est donc, à ce jour, pas possible de connaître le montant du solde à percevoir par les bénéficiaires, donc a fortiori d'en faire l'avance.
Mais le ministre de l'agriculture tient à vous confirmer, monsieur le sénateur, que les dispositions ont été prises pour que le solde des primes au maintien des troupeaux de vaches allaitantes soit versé dès janvier 2001. Cela répond à une partie de vos préoccupations et, en tout cas, à notre souci au plan tant national qu'européen d'exprimer notre solidarité aux éleveurs qui sont lourdement touchés par la crise actuelle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Raymond Courrière. Vous pourriez aussi applaudir, tout de même !
M. Jacques Valade. Je suis déçu !

VIOLENCE DES ADOLESCENTS EN BANLIEUE

M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Frédérick, 18 ans, Mickaël, 16 ans, Christopher, 12 ans, Romain, 17 ans, Djili, 19 ans, Romuald, 14 ans, Salim, 17 ans, Sofiane, 15 ans, Sami, 17 ans, voici une liste de victimes d'intolérables meurtres entre adolescents !
Le ministre délégué à la ville répondra à ma question, mais celle-ci ne relève pas seulement de son ministère, tant il est vrai que notre pays tout entier - le nord et le sud, les villes et les villages - est confronté à ces drames. Nous sommes tous concernés.
Je ferai deux réflexions et une proposition.
Première réflexion : il est indéniable que les collectivités locales ont fait, pour la plupart, des efforts considérables pour éradiquer cette violence.
Il est indéniable que l'éducation nationale a été dotée de moyens supplémentaires, même si l'on doit encore mieux utiliser les aides-éducateurs.
Il est indéniable qu'il y a grâce aux contrats locaux de sécurité, est plus efficace et motivée, même s'il faut adapter la présence policière aux plages horaires les plus sensibles dans nos cités.
Il est indéniable qu'il y a un nouvel essor de la politique de la ville, même si les subventions aux associations de terrain tardent parfois à leur parvenir.
Mais, et c'est ma seconde réflexion, ces efforts d'éducation, de prévention, de répression sont contrecarrés par ce que j'appelle une « contre-éducation » qui influence fortement le comportement des jeunes : la télévision, d'abord, où les films violents, qui multiplient les scènes de bagarres, de meurtres, d'explosions...
M. Philippe François. Cela est vrai !
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Mahéas. ... sont signalés par un pictogramme.
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Jacques Mahéas. C'est nous qui l'avons institué !
M. le président. Mes chers collègues, le sujet est grave, je vous prie d'écouter l'orateur dans le plus grand silence !
Veuillez poursuivre, monsieur Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Ainsi, avec ces pictogrammes, aucun de ces « navets » ne peut échapper aux jeunes abandonnés à leur sort !
Faute de temps, je citerai les cassettes vidéos du type Tueurs nés, par exemple, les jeux vidéos où il faut éliminer l'adversaire, les rubriques de certains journaux avec leurs faits divers les plus sordides, la rue, ses phénomènes de bandes et son commerce parallèle, le sport « fric » - quel modèle ! - le milieu carcéral, etc.
Ce constat, loin de nous conduire à une dérive sécuritaire, nous invite à raison garder afin de poursuivre les actions entamées et d'accélérer la consolidation du lien social.
Pour terminer, voici ma proposition ; ne pouvez-vous pas, monsieur le ministre, dans cette droite ligne, développer une réflexion interministérielle, seule à même d'embrasser totalement ces phénomènes « contre-éducatifs » grandement préjudiciables ? Je suis persuadé que tous les sénateurs sont prêts à cette réflexion, qui doit être collective. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Monsieur le sénateur, en tant qu'ancien élu de Seine-Saint-Denis, je connais votre mobilisation pour éviter que de tels drames ne se reproduisent et je sais l'émotion que vous partagez avec l'ensemble des familles et des tiers qui sont frappés par le décès d'un enfant ou d'un ami.
Vous avez raison, nous devons tous nous mobiliser auprès de notre jeunesse pour éviter que de telles situations ne continuent à rythmer notre actualité quotidienne.
Le Gouvernement entend s'en tenir à une politique de prévention, de répression lorsqu'elle est nécessaire, et de réinsertion.
En matière de prévention, tout doit être tenté pour aider les parents à assurer pleinement leur rôle primordial d'éducateur auprès de leurs enfants. A cette fin, nous venons de créer, selon les souhaits du Premier ministre, 10 000 postes d'adultes-relais dont la mission prioritaire sera de rétablir des liens entre les enfants et leur famille.
S'agissant de la répression, nous avons procédé à un redéploiement des postes de policiers et de gendarmes, afin qu'ils soient présents sur le terrain, là où nous avons le plus besoin d'eux.
La justice aussi a été sensibilisée pour que chaque acte de délinquance reçoive la réponse appropriée de la part du monde des adultes.
Par ailleurs, nous avons essayé de faire en sorte que les associations, les élus locaux et le monde de l'éducation nationale travaillent, au-delà du devoir d'instruction à un véritable devoir d'éducation, afin de prévenir de tels drames.
Monsieur le sénateur, la fascination pour de nouvelles réalités, qui rend flou le rapport entre le réel et la fiction, est quelque chose qui existe, notamment chez les jeunes. Face à ce risque, aucun plan de lutte contre la violence ne remplacera une réflexion sur l'ensemble de la société que nous proposons aux jeunes. Le Gouvernement sera très attentif à la proposition que vous avez formulée pour que l'ensemble de la représentation nationale puisse se mobiliser sur une telle cause. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

RÉORGANISATION DE LA POSTE
ET SUPPRESSION DES TRAINS POSTAUX

M. le président. La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Monsieur le secrétaire d'Etat, la presse s'est fait l'écho d'une récente décision de La Poste de supprimer définitivement les trains postaux non TGV afin d'affréter éventuellement le courrier exprès par la voie routière.
Cette décision, justifiée par l'entreprise publique pour des raisons de rentabilité financière, apparaît surprenante et pour le moins paradoxale.
Elle semble surprenante, car, devant l'inertie de sa tutelle à adapter son statut à la nouvelle donne européenne, La Poste démontre, d'une part, sa volonté de capitaliser une partie de ses activités et, d'autre part, la nécessité de réorienter le financement de ses activités d'intérêt général sur des ressources extérieures.
Cette décision est paradoxale aussi, car l'entreprise publique prend une décision qui va à l'encontre de la volonté affichée de sa tutelle de développer prioritairement le transport ferroviaire au détriment du transport routier, qualifié de dangereux et de polluant.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous expliquer les raisons d'une telle décision, qui démontre la nécessité des réformes de structure qu'appelle la situation de La Poste et qui remet en cause la politique globale du Gouvernement en matière de transports ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, nous sommes naturellement très attentifs à ce que la préoccupation gouvernementale que vous évoquez soit traduite dans les faits. A la demande du Premier ministre, le Gouvernement travaille sous l'autorité de mon collègue M. Gayssot au doublement de la part du marché du fret ferroviaire. C'est une politique décidée, déterminée et claire.
La politique de transport de La Poste ne conduit nullement à abandonner le rail par principe. La Poste est et restera un partenaire important de la SNCF. Par exemple, elle a investi dans l'acquisition de rames de TGV sur l'axe Paris-Méditerranée. Elle s'associe à l'extension et à la modernisation de ce réseau en affectant 20 millions de francs d'ici à 2001 et 40 millions de francs d'ici à 2004 pour respecter la norme « 300 kilomètres à l'heure ».
Soucieuse de la qualité du service, La Poste développe également le transport aérien. C'est ce même souci de qualité et de performance qui l'a amenée à automatiser les traitements favorisant en aval les activités d'innovation technologique et, partant, favorisant l'emploi.
Attentif aux préoccupations exprimées par vous-même, par le Sénat, par d'autres élus, j'ai demandé à l'entreprise, comme je m'y étais engagé ici même devant vous, de donner tout le temps nécessaire à la concertation pour l'organisation de ce mode de transport. Un dialogue est en cours entre La Poste et la SNCF qui associe les élus locaux pour imaginer toutes les solutions possibles, cohérentes avec les obligations que nous partageons tous ici de qualité du service public et de la nécessaire performance de La Poste au regard de la concurrence qui est aujourd'hui son quotidien.
Je soulignerai, pour conclure, que, quelles que soient les solutions retenues, l'emploi n'est aucunement menacé...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas un problème d'emploi !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... et nous ferons tout notre possible, et nous demanderons à La Poste d'en faire autant pour que le transport par fer soit garanti et soit même développé autant que faire se peut. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jacques Valade, vice-président.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

M. le président. La séance est reprise.

5

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre un rapport établi en application de l'article 6 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 modifiant la loi du 14 mars 1996 autorisant les collectivités locales et leurs groupements à avoir accès aux prêts sur ressources CODEVI.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

6

DROITS D'ACCÈS
AUX MANIFESTATIONS CULTURELLES
ORGANISÉES SUR LA VOIE PUBLIQUE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 124, 2000-2001) de M. Philippe Nachbar, fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique (n° 478, 1999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Nachbar, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard subordonne au paiement d'un droit l'accès à certaines manifestations culturelles organisées sur la voie publique. Elle vise donc à insérer un article nouveau dans le code général des collectivités territoriales.
La situation qui prévaut actuellement rend nécessaire l'intervention du législateur. Par ailleurs, le texte qui nous est soumis prévoit des modalités qui me paraissent conformes aux principes généraux du droit et strictement encadrées.
L'intervention du législateur est aujourd'hui nécessaire, disais-je.
Les fêtes locales, qui sont un moment fort de la vie de nos villes et de nos villages, prennent une importance sans cesse accrue. Cela traduit à la fois la vitalité des traditions régionales et la place privilégiée que les collectivités locales attachent à la diffusion de la culture.
Ces fêtes répondent à une très forte demande du public et elles jouent un rôle essentiel dans la promotion touristique de nombre de nos régions. Mais - c'est le revers de la médaille - elles occasionnent une lourde charge pour les communes en raison tant de la demande de qualité d'un public de plus en plus exigeant que des contraintes en matière de sécurité des manifestations.
En raison de leur conception même, ces festivals, ces manifestations se déroulent sur la voie publique, dans un cadre monumental qui fait toute leur originalité. Faute de moyens, certaines communes ont été contraintes de renoncer à des manifestations traditionnelles pourtant anciennes. D'autres se sont risquées à instituer un droit d'accès, ce qui, dans l'immense majorité des cas, a été bien accepté par le public et toléré par les services chargés d'exercer le contrôle de légalité.
La charge est ainsi répartie harmonieusement entre le contribuable, à travers la subvention communale, et l'usager, au travers du droit d'entrée. Cependant, comme, dans l'état actuel de la législation, ce droit d'accès ne dispose pas d'une base légale solidement établie, la menace d'éventuels contentieux pèse sur les élus et les organisateurs. Ce n'est pas une hypothèse d'école, elle a été vérifiée tant à Lorient qu'à Chinon.
Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de délibérer pour autoriser les communes à prélever un droit d'accès, étant entendu que le recours à ce droit d'accès devra respecter l'équilibre entre la valorisation du patrimoine culturel, la répartition équitable des charges et les principes régissant l'utilisation du domaine public.
Tel est l'objet de la proposition de loi dont je vais maintenant examiner le dispositif.
Ce dispositif me paraît, tout d'abord, strictement conforme aux principes généraux du droit.
L'institution d'un droit d'accès aux manisfestations se déroulant sur la voie publique pourrait, de prime abord, apparaître comme contraire à la fois au principe constitutionnel instituant la liberté d'aller et venir et au principe législatif prévoyant la gratuité d'utilisation du domaine public. En réalité, ces deux principes ne sont pas absolus, et le Conseil constitutionnel, dans une décision du 12 juillet 1979, a admis que des dérogations pouvaient leur être apportés sous la forme « d'une redevance temporaire pour l'utilisation de certains ouvrages ». Par ailleurs - le simple bon sens réjoint en l'occurrence le raisonnement juridique - la voie publique sert souvent de cadre à des manifestations ou à des compétitions sportives.
C'est d'autant plus vrai que, lorsque la voie publique est utilisée temporairement pour une manifestation culturelle, le droit d'accès ne saurait s'analyser, sur le plan juridique, comme un péage permettant simplement de circuler ou de stationner. Il doit être compris comme une contrepartie du droit d'assister à un spectacle dans les mêmes conditions financières que s'il se déroulait dans un lieu clos : théâtre, cinéma ou centre culturel.
Le droit d'accès revêt dès lors la nature juridique d'une redevance domaniale donnant accès à un service public culturel ayant pour cadre la voie publique, et ce à titre exceptionnel et pour une durée limitée, contrairement au péage permanent.
Le dispositif proposé est conforme aux principes généraux du droit. Il doit par ailleurs être soigneusement encadré et la commission des affaires culturelles a apporté quelques précisions allant dans le sens souhaité par ses auteurs.
Le dispositif est soigneusement encadré, d'abord, parce qu'il ne concerne que les manifestations de caractère culturel, donc d'intérêt général et de nature non commerciale. Par conséquent, nous ne sortons pas du strict domaine du service public culturel.
Le dispositif est également encadré parce que seul le maire sera habilité à fixer le montant du droit d'accès et à en organiser la perception. Dans le même ordre d'idée, le maire seul prend déjà, au titre de son pouvoir de police, les mesures restreignant la liberté de circulation à l'occasion des manifestations organisées dans sa commune.
Par ailleurs, le texte prévoit expressément la desserte des immeubles riverains, qui restera - cela va sans dire, mais cela ira encore mieux en le disant ! - totalement libre.
Enfin, la faculté offerte aux maires d'instituer un droit d'accès sera limitée à deux fois par an.
Il s'agit tout à la fois de satisfaire au mieux le besoin culturel que nous voyons s'accroître jour après jour - le rapporteur pour avis du budget de la culture que je suis ne peut que s'en féliciter - de concilier ce besoin avec le nécessaire équilibre des finances communales, tout en levant l'épée de Damoclès qui est actuellement suspendue au-dessus de la tête des élus qui organisent des manifestations payantes sur la voie publique dans leur commune.
Ce sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles des textes similaires ont été déposés à l'Assemblée nationale par des parlementaires tant de l'opposition - M. Jacob, député de Seine-et-Marne - que de la majorité - M. Le Bris, député du Finistère.
Compte tenu de la nécessité de légiférer dans ce sens tout en respectant rigoureusement les principes, auxquels nous sommes tous attachés, régissant notre droit public, la commission des affaires culturelles a donc approuvé la proposition de loi qui nous est soumise et elle vous invite, mes chers collègues, à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vient d'être rapportée par M. Nachbar fait écho, me semble-t-il, à des préoccupations réelles de la part de certains élus.
Elle appelle cependant de la part du Gouvernement des réserves sérieuses : d'abord au regard du droit, mais aussi au regard des ambitions de la politique culturelle que nous menons.
Les manifestations culturelles visées par cette proposition de loi ont pour caractéristique de se dérouler sur certaines voies ou portions de voies publiques.
Or, comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle, maintes fois rappelé dans des circonstances diverses par les plus hautes juridictions nationales. Si des exceptions à ce principe peuvent être admises pour des motifs d'intérêt général, le principe de gratuité de l'accès à la voie publique qui en découle ne souffre d'exception que dans deux cas.
Le premier, c'est celui de l'accès à des ouvrages d'art, tels que les ponts ou les autoroutes, qui peuvent être soumis à péage si, et seulement si, selon les termes du Conseil constitutionnel, « l'utilité, les dimensions et le coût de ces ouvrages ainsi que le service rendu aux usagers » le justifient. Ce contexte n'a, bien sûr, rien de commun avec la question qui nous occupe aujourd'hui.
Le second cas, c'est celui du stationnement payant, qui ne peut être instauré par la commune dans le seul but de lui procurer des recettes supplémentaires, mais bien pour limiter la durée d'occupation d'un emplacement de stationnement. La contrepartie financière ne fait cependant pas obstacle à l'accès de tous à la voie publique. Elle garantit même l'effectivité de ce libre accès.
Telle qu'elle est formulée, cette proposition de loi risquerait donc de porter une atteinte nouvelle au principe de gratuité de la voie publique. Une telle décision ne saurait être prise sans qu'ait été pesée son adéquation aux objectifs réellement poursuivis.
La commission des affaires culturelles du Sénat a prévu une dérogation à l'accès payant pour la desserte des immeubles riverains. J'ai cependant des doutes quant à la possibilité de mettre en oeuvre cette dérogation. Il faudrait en effet vérifier la réalité des motifs invoqués par les riverains, leurs visiteurs ou les clients des commerces riverains qui souhaiteraient accéder gratuitement à la voirie soumise à un accès payant.
Il conviendrait, en outre, de veiller à ce que l'application du dispositif ne donne pas lieu à une délégation des pouvoirs de police du maire.
En effet de nombreuses communes seraient dans l'impossibilité de mettre en place un système de billetterie et de contrôle, et la tendance serait forte de confier cette mission à des opérateurs privés.
Il conviendrait également de veiller à ce que l'instauration d'un droit d'accès ne crée pas un préjudice excessif aux commerces inclus dans le périmètre concerné et qu'il y ait ainsi atteinte à la liberté du commerce, garantie par la Constitution.
Il ne faudrait pas, non plus, que cette disposition soit source de difficultés entre les autorités communales et départementales. Puisque les voies appartiennent, selon les cas, à la commune, au département ou à l'Etat, il y aurait là un risque de confusion, voire de conflit.
Ma seconde réserve tient à des raisons de fond.
Le problème que vous soulevez, au-delà du cas particulier du festival interceltique de Lorient, tient à l'essor formidable des manifestations culturelles sur l'ensemble du territoire.
Cet essor résulte du goût de nos concitoyens pour le rassemblement lors de manifestations culturelles, la gratuité étant une composante importante de leur caractère convivial et de l'attrait qu'elles exercent sur l'ensemble de la population.
Nos politiques publiques en la matière sont fondées sur l'ambition républicaine de permettre à un plus grand nombre d'accéder à « l'héritage de la noblesse du monde » tel que le définissait André Malraux, ainsi qu'à nos traditions, comme vous l'évoquiez, monsieur le rapporteur.
Le ministère de la culture, mais aussi les collectivités territoriales, ont pris en ce sens un nombre d'initiatives importantes tendant toutes à rendre gratuits un certain nombre d'espaces et de manifestations qui sont devenus emblématiques - je pense aux Journées du patrimoine, à la Fête de la musique et à tant d'autres fêtes traditionnelles -, voire de musées, avec le succès que l'on sait.
Le développement de certaines manifestations mais aussi de certaines pratiques artistiques, en particulier les arts de la rue, se fonde sur cet autre rapport au public, qui utilise précisément l'espace public parce qu'il est gratuit et qu'il induit un autre mode de relation que celui qui se crée dans une salle de spectacle.
Vous connaissez l'engouement des Français pour ce type de manifestations, et je ne suis pas aussi sûre que vous, monsieur le rapporteur, que nos concitoyens puissent considérer favorablement une proposition qui conduirait peu à peu à les soumettre à l'acquittement d'un droit d'entrée.
Vous évoquez aussi le poids économique de ces manifestations pour les collectivités qui les organisent. Je souligne que ces manisfestations ont des retombées économiques souvent importantes pour les collectivités concernées. Toutes les études qui ont été menées prouvent que la culture est aussi un élément de développement économique local qui se doit d'être pris en compte dans votre réflexion.
Enfin, il apparaît que nombre de ces manifestations reposent sur les pratiques amateurs et sur le bénévolat, deux démarches auxquelles je tiens à affirmer mon attachement et qui, dans un monde que l'on sait soumis aux pressions permanentes de la commercialisation, ont besoin d'être confortées.
La participation à titre gratuit d'une population nombreuse et motivée va dans le sens de la démocratisation culturelle que nous appelons tous de nos voeux. Prenons garde de ne pas mettre en place des mécanismes qui conduiraient inéluctablement à la mercantilisation de nos arts et de nos traditions populaires.
Les débats de votre assemblée montrent qu'il existe bien un problème, mais il s'agit d'un phénomène dont on a du mal à mesurer l'ampleur réelle, alors que les difficultés juridiques qui sont soulevées apparaissent sérieuses.
Dans une telle matière, je crains que la solution proposée ne crée plus de difficultés qu'elle ne permet d'en résoudre.
C'est pourquoi, toutes ces interrogations s'ajoutant, le Gouvernement n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Pour autant, je ne suis pas hostile à ce que la réflexion sur ce sujet se poursuive entre mon ministère et celui de l'intérieur, avec lequel j'ai d'ores et déjà étudié cette proposition de loi, et en liaison avec les associations d'élus.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier très chaleureusement M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires culturelles d'avoir soutenu cette proposition de loi qui tient à coeur à un certain nombre d'administrateurs locaux dont je fais partie.
Je remercie M. Nachbar pour la clarté de son rapport et les précisions qu'il a apportées. Il a défendu avec beaucoup de talent et d'ardeur la cause qui est la nôtre. Je le félicite, en outre, pour la perfection de son style, car, une fois n'est pas coutume, nous avons des documents qui sont parfaitement intelligibles et qui exposent fort bien le problème auquel nous sommes confrontés.
Cette proposition de loi résulte purement et simplement de l'expérience - il ne s'agit donc pas des grands principes évoqués par Mme la ministre ! - d'administrateurs de communes le plus souvent petites par leur superficie. C'est le cas de Chinon, dont le maire a organisé un festival médiéval attirant énormément de monde, et de la commune que j'ai eu l'honneur d'administrer pendant trente-cinq ans et jusqu'à une époque extrêmement récente, et sur le territoire de laquelle une fête était organisée.
Les communes concernées ont aussi pour caractéristiques de posséder un patrimoine, un bâti qui se prêtent particulièrement au style des manifestations que nous avons mises sur pied. Mais il est tout à fait clair aussi que, tant à Chinon, en Indre-et-Loire, qu'à Josselin, dans le Morbihan, ou encore à Moncontour, dans les Côtes-d'Armor, ou même à Concarneau, dans le Finistère, l'espace extrêmement restreint ne permet pas d'organiser de tels spectacles ailleurs que sur la voie publique.
Mme la ministre a opposé à cette proposition de loi beaucoup de grands principes.
Le premier est la liberté d'aller et de venir. Il est vrai qu'il s'agit là d'une liberté constitutionnelle importante, mais il n'a jamais été dans notre esprit d'y faire obstacle ! A certaines périodes de l'année et pour certaines manifestations, on admet d'ailleurs une réglementation du droit d'aller et de venir, ne serait-ce que pour des manifestations organisées dans la rue. Cela constitue une certaine entrave au droit d'aller et de venir, il faut bien en convenir, mais je ne sache pas qu'on ait pris des dispositions pour empêcher totalement ces manifestations interdisant quelquefois aux habitants d'une ville d'accéder à leur domicile !
Je comprends tout à fait qu'il faille donc garantir le droit d'aller et venir, et cette proposition de loi, comme les modifications apportées par M. le rapporteur, y contribue, totalement, de notre point de vue.
Madame la ministre, vous nous avez également parlé des billetteries. Mais le système de billetterie que nous avons mis en place pendant dix années pour notre festival médiéval ne nous a jamais posé le moindre problème !
J'imagine d'ailleurs qu'il en est de même pour le maire de Chinon.
En vérité, le problème auquel nous nous heurtons est un problème non pas de billetterie, mais de contestataires !
Vous avez aussi insisté sur le fait que ces manifestations culturelles devaient être gratuites. Mais vous savez fort bien qu'elles ne le sont pas ! Elles sont financées soit par un droit d'entrée, celui que tout spectateur acquitte pour assister à un concert ou à une pièce de théâtre, soit par l'impôt.
Mais comment une commune de 2 400 habitants pourrait-elle durablement recourir systématiquement à l'impôt pour financer le déficit lié à l'organisation d'un festival médiéval ? Il est clair que les contribuables se révolteraient, d'autant plus qu'à Chinon, comme dans ma commune, la plupart des spectateurs qui assistent au spectacle sont des touristes venant soit de l'Hexagone, soit de pays étrangers !
Par conséquent, financer par l'impôt un tel déficit revient à financer les loisirs de personnes extérieures à la commune ! Ce n'est absolument pas supportable par un budget communal qui n'excède pas 10 millions ou 20 millions de francs.
Certes, dans les rues d'Avignon, le spectacle est gratuit, mais nous ne disposons pas, dans nos petites communes, de ressources équivalentes à celles de cette ville, qui perçoit, si je ne me trompe, des subventions extrêmement élevées émanant de divers intervenants et rendant possible la gratuité. Mais personne ne viendra investir chez nous ! Il est donc tout à fait normal, de mon point de vue, que soit demandé à l'usager l'acquittement d'un droit en contrepartie d'un service, comme l'a très bien dit M. le rapporteur. D'ailleurs, madame la ministre, je peux vous dire qu'en dix années nous n'avons jamais enregistré aucune réclamation. Il en est de même à Lorient.
Il est vrai, toutefois, qu'il existe des contestataires professionnels, des grincheux. Il y a même des spécialistes de la chicane ! Ils ont commencé à s'attaquer au festival de Chinon, et ils ont continué avec le festival interceltique de Lorient. Un certain nombre de collectivités, comme celle que j'administrais, ne voulant pas prendre de risques, ont supprimé ce droit d'entrée. Il en est résulté des déficits abyssaux qui, naturellement, ne nous permettent pas de continuer.
Par conséquent, il faut savoir si l'on veut vraiment, comme vous le dites, démocratiser la culture et la répandre, sans instaurer un système à deux vitesses, avec, d'un côté, les habitants des villes, qui auraient droit à la culture grâce aux subventions dont ils bénéficient ou au produit de la taxe professionnelle qu'ils perçoivent sur leur territoire, et, de l'autre, les collectivités locales de moindre importance, qui, en réalité, n'auraient plus accès à la culture, précisément au nom des sacro-saints principes que vous avez énoncés tout à l'heure et que vous avez utilisés d'une manière qui me paraît pour le moins contestable.
En la matière, il faut faire preuve de bon sens. Tel est d'ailleurs ce qui a motivé le dépôt de notre proposition de loi. Il faut aussi, naturellement, concilier ce texte avec la liberté pour les riverains d'aller et venir.
Madame la ministre, vous nous avez dépeint un tableau quelque peu caricatural en nous disant que nous risquions aussi, en limitant le droit d'accès aux communes, de pénaliser le commerce ! Quand nous organisons un festival dans une commune, croyez-vous vraiment que ce soit pour interdire aux commerçants d'en profiter ?
Je prendrai l'exemple de ma commune. Grâce au festival médiéval qui a eu lieu au mois de juillet dernier, les commerçants ont fait, en une journée, un chiffre d'affaires équivalent à celui du mois de juillet entier des années précédentes. Ils sont donc loin d'être des victimes !
Vous nous avez dit aussi qu'il ne serait pas possible de contrôler les entrées ni les dérogations pour la desserte des immeubles riverains, un nombre considérable de personnes voulant, comme par hasard, ce jour-là, pour rendre visite à leur vieille grand-mère ou à leur tante, accéder à leur maison de famille. Madame le ministre, nous acceptons d'autant plus facilement le risque que nous avons pu mesurer qu'il n'était pas très grand !
Par conséquent, je vous demande de faire preuve de bon sens et de ne pas attendre le résultat d'une concertation interministérielle dont on sait très bien qu'en 2030 elle ne sera toujours pas achevée, car je doute fort que l'on fasse preuve de diligence pour la mener !
Il faut trouver un moyen terme entre le respect du principe de libre circulation et le droit de financer des spectacles en contrepartie du service rendu. Cette proposition de loi répondant à cet objectif, y compris telle qu'amendée par la commission, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Mes chers collègues, je vais reprendre, au nom de mon groupe, une grande partie des arguments de Mme la ministre, mais je crois indispensable de les exposer et, ce faisant, d'expliquer à nouveau les raisons pour lesquelles nous sommes défavorables à cette proposition de loi.
M. Josselin de Rohan. Vous le direz à M. Le Drian, à Lorient, et à M. Dauge, à Chinon !
M. Serge Lagauche. Il peut y avoir des avis différents, mais une majorité se dégage au sein de notre groupe pour dire que nous ne sommes pas d'accord avec votre proposition de loi !
Le texte que nous examinons cet après-midi répond à la demande de quelques élus de certains départements bien déterminés, d'ailleurs je le reconnais volontiers, tous courants politiques confondus. Il tend à instaurer le paiement d'un droit d'accès sur certaines voies ou dans certains secteurs d'une commune à l'occasion de manifestations culturelles ou de fêtes revêtant un caractère traditionnel.
L'examen de ce texte nous montre clairement les limites du principe de liberté d'aller et venir face à la nécessité qu'ont les communes d'organiser certaines fêtes ou manifestations culturelles dans des conditions économiquement satisfaisantes.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur ce principe de liberté d'aller et venir, affirmant qu'il ne saurait être érigé au rang de principe constitutionnel et qu'il pouvait être nuancé en cas de besoin pour le versement d'une redevance en contrepartie de certaines utilisations de la voie publique. Il s'agissait, en l'occurrence, de ponts à péage, dont la nécessité et la permanence ne sauraient s'apparenter au cas qui nous retient ce soir, à savoir les manifestations culturelles.
Le caractère éphémère de telles manifestations nous autorise-t-il à nous prévaloir de la jurisprudence applicable aux ponts à péage et à légiférer ainsi de façon durable dans le même sens ?
Nous sommes très attachés à la promotion et au développement des différentes pratiques culturelles. A ce titre, nous souhaitons que les communes qui désirent organiser des manifestations tendant à promouvoir ce type de pratiques puissent le faire dans les meilleures conditions.
Nous nous interrogeons néanmoins sur l'effet à double tranchant que constituera la possibilité, pour les communes, de percevoir un droit d'accès de la part des personnes souhaitant assister à ces manifestations de rue.
Il est certes regrettable que des communes, faute de financement suffisant, aient dû renoncer à certaines de leurs manifestations culturelles. Mais fixer un droit d'accès payant, même très encadré et restreint - limitation à deux manifestations par an et, selon le voeu de notre rapporteur, garanties pour les riverains - pour permettre un meilleur financement de ces manifestations me semble peu approprié au nom du droit d'accès du plus grand nombre de citoyens aux pratiques culturelles.
De surcroît, nous avons pris bonne note des explications du rapporteur, qui a précisé que l'accès payant aux parties concernées d'une commune pourrait durer plusieurs jours si la manifestation se déroulait elle-même sur plusieurs jours. Cette disposition nous semble très lourde de conséquences pour la vie quotidienne des habitants de la commune, et plus particulièrement pour la circulation et le commerce.
En appliquant à la lettre la proposition de loi, on peut donc très bien imaginer un accès payant à l'ensemble de la ville d'Avignon, même si la manifestation qui s'y déroule est fortement subventionnée.
Vous le savez bien, même si toutes les manifestations culturelles sont subventionnées, on demande toujours un peu plus aux collectivités locales pour faire encore mieux et pour avoir davantage de moyens. Un tel accès payant à l'ensemble de la ville d'Avignon aurait lieu durant plusieurs semaines, pendant toute la durée du festival. Outre la situation ubuesque qui découlerait d'une telle décision - on imagine les files d'attente et les embouteillages pour accéder au centre d'Avignon ! - une telle pratique serait totalement contraire à l'esprit même de ce festival, au cours duquel se sont toujours mêlés harmonieusement grands professionnels et amateurs, ce mélange étant particulièrement important pour ces derniers.
De façon générale, il nous semble que ce n'est pas en faisant payer l'entrée de ces manifestations que l'on incitera les gens à y assister. Aussi, même si je comprends le souci des élus signataires de cette proposition de loi, nous ne pouvons cautionner un texte qui aura inévitablement pour effet de restreindre l'accès de nos concitoyens aux pratiques culturelles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Après l'article L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2213-6-1. - Le maire peut, dans la limite de deux fois par an, soumettre au paiement d'un droit l'accès des personnes à certaines voies ou à certaines portions de voies ou à certains secteurs de la commune à l'occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique, sous réserve de la desserte des immeubles riverains. »
La commission des affaires culturelles propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative aux conditions d'institution d'un droit d'accès à certaines manifestations culturelles organisées sur la voie publique ».
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Je vais mettre aux voix l'article unique.
M. James Bordas. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. C'est parce que j'ai connu le désarroi des organisateurs de manifestations dans deux villes de mon propre département, qui est aussi celui de M. Delaneau, que je tiens à apporter mon soutien aux auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Si je comprends les réserves de Mme la ministre, je pense que les maires, bien informés des limites de leurs pouvoirs, apprécieraient d'avoir la possibilité de continuer à mettre en valeur leur commune à travers des manifestations fort populaires depuis de nombreuses années et faisant connaître les us et coutumes souvent ancestraux de leurs cités.
Dans le milieu rural, l'organisation de ces manifestations est encore l'occasion de mobiliser la population et de faire ainsi revivre, pendant une ou deux journées, des petites communes qui s'enfoncent progressivement dans l'anonymat, prélude à leur disparition.
Je souhaite que les obstacles soulevés par une infime minorité soient levés et que la majorité de la population puisse continuer à participer à ces manifestations que ne peuvent supporter seules les petites collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Michel Esneu. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'aurais aimé que l'unanimité se fasse sur un tel sujet. En ma qualité de maire d'une petite ville, je crois pouvoir dire que, souvent, ce ne sont pas les communes qui organisent directement les manifestations culturelles, mais que ce sont la plupart du temps des associations.
J'ai peur que l'initiative privée ne soit découragée et qu'il s'ensuive une offre restreinte d'activités culturelles pour les populations en milieu rural. On ne peut pas tout financer par l'impôt, ce n'est pas possible ! De grâce ! Laissons cette porte ouverte en faveur des manifestations culturelles locales !
Je soutiendrai donc cette proposition de loi.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise vise à instituer un droit d'accès ou péage au sein des communes dans lesquelles sont organisées des manifestations culturelles.
Pour avoir parcouru le compte rendu de la réunion de la commission des affaires culturelles du 6 décembre dernier, j'ai eu la confirmation des difficultés qui peuvent apparaître, pour les petites communes notamment, lors de l'organisation d'événements culturels de plein air. Ces manifestations ont en effet un impact festif allant au-delà de la commune organisatrice, alors que cette dernière se trouve, de fait, seule à assumer les conséquences financières de l'organisation.
Pour autant, l'approche qui consisterait à faire payer l'entrée des communes dans de telles circonstances festives nous paraît extrêmement dommageable pour le rayonnement même de l'événement.
En outre, en adoptant cette disposition, ne risque-t-on pas de contrevenir au principe de la liberté de circulation et, peut-être davantage encore, de provoquer bien des conflits au sein des populations concernées ?
Nous savons, pour les vivre au quotidien dans nos activités d'élus, les efforts considérables consentis par les communes en matière culturelle.
Pour autant, l'événement culturel, par essence, échappe et doit échapper chaque fois que possible aux strictes règles comptables. C'est dans cet esprit que notre pays défend et a défendu la notion d'exception culturelle.
En outre, si l'on parle de l'absence de financement des activités culturelles - ce qui est une réalité pour bien des communes, notamment pour les plus modestes d'entre elles - il convient de ne pas perdre de vue que bien des événements culturels engendrent des retombées économiques indirectes pour les villes.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat votera contre le texte qui nous est proposé, considérant que la chose culturelle ne sortirait pas grandie de l'adoption d'un tel dispositif.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique tel qu'il ressort des conclusions de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi n° 478 (2000-2001).

(Le texte est adopté.)

7

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre en date de ce jour, par laquelle le Gouvernement, en accord avec la commission des lois, modifie l'ordre du jour prioritaire de la séance du jeudi 21 décembre en inscrivant la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances des directives communautaires avant la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour de la séance du jeudi 21 décembre est modifié en conséquence.

8

PÉNURIES DE MAIN-D'OEUVRE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 125, 2000-2001) de M. Alain Gournac, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi de MM. Alain Gournac, Jean Arthuis, Pierre Laffitte, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économiques (n° 44, 2000-2001).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. « Difficultés de recrutements », « Pénuries de main-d'oeuvre » ? La querelle sémantique menace aujourd'hui de prendre le pas sur le nécessaire débat concernant les moyens de remédier aux problèmes que rencontrent les entreprises pour pourvoir à leurs offres d'emplois.
Pourtant, la réalité est là. Chaque semaine, la presse fait état d'exemples précis concernant tous les secteurs d'activité. Ces exemples sont corroborés par les « indicateurs de tension » élaborés par la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui font apparaître des difficultés croissantes de recrutement dans l'ensemble de l'économie.
L'Union professionnelle artisanale, UPA, chiffre à 88 000 le nombre des offres d'emploi non pourvues dans l'artisanat et dans le secteur du bâtiment. Le MEDEF évoque 900 000 offres non satisfaites dans l'ensemble de l'économie sur le fondement d'enquêtes réalisées dans les différentes branches professionnelles. L'ANPE, c'est-à-dire un organisme public officiel, reconnaît, quant à elle, que les offres vacantes pourraient concerner au moins 400 000 postes.
La plupart des secteurs d'activité sont aujourd'hui confrontés au problème. Au-delà du bâtiment et des métiers de bouche, on constate, par exemple, que les secteurs de l'assurance, de l'informatique et du commerce rencontrent des difficultés croissantes et durables pour pourvoir à leurs offres d'emploi.
Le commerce de centre-ville signale des tensions concernant les vendeurs de micro-informatique, ainsi que certains métiers de l'alimentation, tels que bouchers et poissonniers. Le secteur de l'habillement rencontre des difficultés particulières à recruter des ouvriers qualifiés et des employés.
La notion de pénurie de main-d'oeuvre est particulièrement aiguë dans le secteur de l'informatique : le syndicat national des bureaux d'études techniques, le SYNTEC, chiffre à plus de 30 000 le nombre d'informaticiens manquants. Les entreprises ont aujourd'hui besoin de 5 000 ingénieurs « réseaux et télécom », de 6 000 experts et consultants, de 15 000 développeurs Internet et de 8 000 employés dans des fonctions commerciales, technico-commerciales, assistance et installation.
Dans la métallurgie, les besoins concernent plus particulièrement certaines qualifications comme les caristes, les élecromécaniciens, les chaudronniers-soudeurs, etc.
Les pénuries de main-d'oeuvre ont également une dimension géographique puisqu'elles coïncident souvent avec des bassins d'emploi fortement marqués par le développement économique, que ce soit dans l'aéronautique à Toulouse, dans l'automobile à Sochaux ou à Poissy, dans le département que je représente.
Je pourrais également parler des secteurs de la propreté, de la chimie, du textile, du secteur routier, des industries du bois, des ascenseurs et des industries agro-alimentaires, qui connaissent des problèmes comparables.
Non seulement ce problème est réel, mais il prend chaque jour une ampleur nouvelle. Une enquête de l'INSEE a montré dernièrement que, dans l'industrie, 52 % des chefs d'entreprise rencontraient des difficultés de recrutement en octobre 2000, alors qu'ils étaient 29 % dans ce cas en juillet 1999 et 15 % en juillet 1997. Dans le bâtiment et les travaux publics, cette proportion était de 84 % en juillet 2000, contre 65 % en octobre 1999.
Devant ce phénomène, on observe, de la part du Gouvernement et de sa majorité, deux types de réactions aussi étonnantes l'une que l'autre.
La première réaction est celle de l'indignation. Ce sont nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen qui sont les plus en pointe dans ce domaine. Leur argument est simple : il serait indécent de parler de pénuries de main-d'oeuvre alors qu'il subsiste plus de 2 millions de chômeurs dans notre pays. Dans cette logique, le débat n'a pas lieu d'être, ce que traduit le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable signée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
La deuxième réaction consiste à minimiser le problème : c'est la stratégie du Gouvernement.
Le phénomène n'est pas nié, comme il l'est dans le premier cas, mais l'on évoque de « simples tensions », des « difficultés de recrutement » sur lesquelles il convient de ne pas insister parce qu'elles seraient amenées à se régler d'elles-mêmes. Là encore, on nous dit : « Circulez, il n'y a rien à voir ! ».
Vous me permettrez, à cet égard, madame la secrétaire d'Etat, de constater l'absence de Mme Elisabeth Guigou au banc du Gouvernement, qui constitue, selon moi, un autre exemple de cette volonté d'étouffer le débat sur ce sujet.
Pourtant, il n'est pas un élu qui ne soit sensibilisé à la situation des entreprises de sa commune ou de son département. Chacun d'entre nous connaît des entreprises qui recherchent des candidats pour des postes à pourvoir immédiatement.
Les difficultés de recrutement sont donc établies, et elles sont, de surcroît, en voie d'aggravation.
D'aucuns réfutent l'expression « pénurie de main-d'oeuvre », préférant parler de « difficultés de recrutement ». On peut s'étonner de voir se développer cette querelle sémantique puisque les deux expressions semblent désigner des réalités proches. Le mot « pénurie » désigne, selon Le Petit Robert , « un manque de ce qui est nécessaire ». Or, si l'on dit que les entreprises rencontrent des « difficultés de recrutement », que veut-on exprimer sinon que les entreprises n'arrivent pas à recruter les salariés dont elles ont besoin ?
Pour preuve que l'utilisation de l'une ou de l'autre des deux expressions ne devrait pas provoquer tant d'émoi, on peut rappeler que l'ANPE avait eu recours à la notion de « pénuries de main-d'oeuvre » dans l'une de ses études de l'hiver dernier. Au demeurant, cette étude considérait que les difficultés risquaient de « s'intensifier dans certains secteurs du fait, en particulier, de la poursuite attendue à la croissance, de l'évolution à la baisse de la démographie et de l'impact de la diminution du temps de travail ».
Peut-on parler, pour autant, de « pénuries de main-d'oeuvre » eu égard au chômage élevé que connaît notre pays ? Je le crois, étant entendu que ces phénomènes de pénurie sont temporaires et résultent de difficultés d'adaptation de l'offre à la demande de travail, qui peuvent être en partie résolues par des incitations à la mobilité géographique et par la mise en place de formations adaptées.
L'argument de l'existence d'un grand nombre de chômeurs n'a plus la même portée dès lors que sont mis en évidence les problèmes liés à l'inadaptation de la main-d'oeuvre, au mauvais fonctionnement du marché du travail et, somme toute, à la politique de l'emploi menée par le Gouvernement.
La commission des affaires sociales considère que la référence à des « pénuries de main-d'oeuvre » a le mérite d'attirer l'attention sur un phénomène qui promet d'avoir des conséquences dramatiques sur l'évolution de la croissance et sur la poursuite de la baisse du chômage s'il n'est pas pris en considération avec détermination.
Afin de sortir de la polémique, ou du moins de la querelle sémantique, je propose de faire référence à des « désajustements » sectoriels du marché du travail pour qualifier les cas, de plus en plus nombreux, où les entreprises sont confrontées à des difficultés structurelles de recrutement dans certaines zones géographiques, pour certaines qualifications ou concernant certains postes.
Ces « désajustements » du marché du travail expliquent pour une large part le fait que plus de 2,2 millions de nos concitoyens demeurent au chômage alors que, dans le même temps, nombre d'entreprises, surtout parmi les plus petites, refusent des commandes, à défaut d'être sûres de pouvoir les honorer en temps voulu compte tenu des difficultés rencontrées pour étoffer leurs effectifs.
L'existence de tels blocages soulève la question - j'y reviens - de l'adéquation de la politique de l'emploi menée par le Gouvernement à l'évolution du marché du travail. M. Jean Pisani-Ferry ne dit pas autre chose dans son rapport sur le « plein emploi », fait au nom du Conseil d'analyse économique, lorsqu'il propose de poursuivre l'abaissement des charges sociales sur les bas salaires - cela nous rappelle quelque chose ! - de renforcer la lutte contre les « trappes à inactivité » et d'assouplir les 35 heures. Le Sénat est convaincu depuis longtemps de la nécessité d'aller dans ce sens.
Je rappelle que le Sénat a adopté, le 29 juin 1998, la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires, déposée par MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt, et dont j'étais le rapporteur.
Plus récemment, lors de la discussion du projet de loi de finances, le Sénat a proposé, sur l'initiative de sa commission des finances, et avec le plein accord de sa commission des affaires sociales, d'instaurer un crédit d'impôt dégressif destiné à soutenir les revenus d'activité jusqu'à 1,8 SMIC, afin de lutter contre les « trappes à inactivité ».
Notre assemblée examinera par ailleurs, le 8 février 2001, la proposition de loi portant création du revenu minimum d'activité, déposée par nos collègues Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général.
Enfin, je rappelle que la commission des affaires sociales a publié au mois d'octobre un important rapport d'information consacré au bilan à mi-parcours du programme emplois-jeunes, rapport qui comprend un certain nombre de propositions permettant de faciliter la sortie du dispositif.
Aujourd'hui, c'est la nécessité d'assouplir les 35 heures qui est marquée par l'urgence, car, dès le mois prochain, les entreprises de plus de vingt salariés verront passer leur taux de bonification des quatre premières heures supplémentaires à 25 %, contre 10 % en 2000. Le moratoire de deux ans dont bénéficiaient les entreprises de moins de vingt salariés prendra fin, quant à lui, au 1er janvier 2002. Dès le 1er janvier 2003, ces petites entreprises devront acquitter une bonification des quatre premières heures supplémentaires à un taux de 25 %.
Certaines de ces PME considèrent que ce délai supplémentaire a accentué leurs difficultés de recrutement, des salariés ayant préféré se diriger vers les entreprises qui appliquent les 35 heures. Ces remarques devraient conduire à envisager avec une grande prudence toute prolongation du moratoire pour les entreprises de moins de vingt salariés.
Le Gouvernement a toujours considéré que les 35 heures et les « pénuries de main-d'oeuvre » constituaient des sujets indépendants l'un de l'autre. C'était peut-être le cas jusqu'à présent, mais ce ne le sera plus demain.
Pour l'instant, force est de constater que, contrairement à ce qu'on nous raconte, les entreprises ne se sont pas précipitées pour anticiper la loi. Selon les statistiques du ministère de l'emploi, 40 000 accords d'entreprise avaient été signés au 9 octobre, ce qui représente seulement 3 % des entreprises employant au moins un salarié et 29 % des entreprises employant plus de vingt salariés. Au total, cela signifie que 97 % des entreprises et 76 % des salariés du secteur marchand ne sont pas couverts par un accord sur les 35 heures.
Ces chiffres peuvent être modifiés légèrement si l'on prend en compte les entreprises qui passent à 35 heures sans accord d'entreprise. Mais leur nombre est, comme celui de leurs salariés, modeste, ainsi que le confirme une étude de l'Institut français des experts-comptables, selon laquelle 90 % des entreprises de moins de cinquante salariés n'ont fait aucune démarche pour passer à 35 heures.
De toute évidence, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail ne se fait pas sans difficulté, notamment dans les plus petites entreprises.
L'influence des 35 heures sur le développement des difficultés de recrutement a donc été jusqu'à présent d'autant plus limitée qu'elles sont encore loin d'être partout appliquées.
Le dispositif imaginé par le Gouvernement pour obliger les partenaires sociaux à réduire la durée du temps de travail apparaît comme particulièrement inadapté à la conjoncture économique actuelle. La loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail est en effet d'inspiration malthusienne : elle diminue le potentiel d'heures travaillées par salarié afin d'obliger les entreprises à recruter. Si l'on peut comprendre la logique d'un tel raisonnement en période de faible activité, il est évident que celui-ci perd de son efficacité en période de reprise, et cela alors même que le marché du travail continue à connaître des rigidités importantes, qui en perturbent le fonctionnement.
Dans un contexte de tensions sur le marché du travail, l'abaissement de la durée légale du travail, qui sera effectif pour les petites entreprises à partir du 1er janvier 2002 et qui prendra toute sa portée pour les autres entreprises à partir du 1er janvier prochain, est lourd de menaces.
On peut s'attendre à une aggravation des difficultés de recruter dès le mois prochain. Les tensions salariales pourraient s'affirmer et constituer un risque fatal pour l'économie. Pour ce qui est des PME de moins de vingt salariés, on ne voit tout simplement pas comment elles pourront tenir le choc en 2003, quand la période transitoire approchera de sa fin.
Dans ces conditions, si l'effet des 35 heures ne s'est pas encore fait sentir, la menace est, elle, bien réelle.
La fin du régime de transition concernant l'application des 35 heures dans les entreprises de plus de vingt salariés et la perspective de leur application aux petites entreprises devraient accroître les « désajustements » sectoriels du marché du travail. Le renchérissement des heures supplémentaires aura en effet pour conséquence de les inciter à moins y recourir. Pour maintenir le niveau de production, les entreprises devront augmenter la productivité, ce qui pourrait conduire à une dégradation des conditions de travail. Elles pourront aussi chercher à embaucher pour maintenir le nombre total d'heures travaillées dans l'unité de production. Dès lors, les offres d'emplois consécutives à l'application des 35 heures s'ajouteront à celles qui sont provoquées par le retour de la croissance.
Les « désajustements » sectoriels pourraient alors donner lieu à une généralisation des pénuries de main-d'oeuvre. Les entreprises se trouveraient dans la situation où elles n'auraient plus le choix qu'entre refuser davantage de commandes ou préconiser une augmentation de la population active à travers, par exemple, le recours à l'immigration. La croissance et la poursuite des créations d'emplois seraient alors gravement menacées.
Le ministre de l'économie et des finances, M. Laurent Fabius, n'a pas dit autre chose le 16 octobre dernier - je l'ai écouté avec attention - lorsqu'il a estimé que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail devait « prendre en compte la diversité des situations concrètes », afin que « les entreprises, notamment les PME, ne se heurtent pas à une impossibilité de produire davantage en raison de difficultés d'embauche ou de formation. » Merci, monsieur le ministre !
J'ai écouté aussi avec attention le Président de la République, M. Jacques Chirac...
M. Pierre Lefebvre. C'est ce soir qu'il faut l'écouter !
M. Alain Gournac. ... qui a été encore un peu plus explicite, le 16 novembre dernier, lors du vingt-cinquième anniversaire de l'UPA, l'Union professionnelle artisanale, puisqu'il a jugé indispensable « que les conditions de la réduction du temps de travail soient revues en faveur des petites entreprises, pour en limiter le coût, empêcher les injustices et éviter de créer des obstacles à l'activité ». Cela me convient parfaitement !
Afin de préserver la croissance et les créations d'emplois, le Sénat propose donc d'assouplir les modalités d'application des 35 heures. Ces assouplissements prendraient la forme du maintien d'une bonification des quatre premières heures supplémentaires, c'est-à-dire de la trente-sixième à la trente-neuvième, à un taux de 10 % pendant trois années supplémentaires après la première année d'application de ce taux de transition, soit jusqu'à la fin 2003 pour les entreprises de plus de vingt salariés et jusqu'à la fin 2005 pour les entreprises de moins de vingt salariés. De même, le seuil de déclenchement du contingent d'heures supplémentaires pourrait être maintenu à 37 heures hebdomadaires pendant deux années supplémentaires.
Ces modifications proposées par le Sénat satisfont pleinement l'ensemble des organisations professionnelles, notamment l'UPA, qui représente les plus petites entreprises. Par ailleurs, ces assouplissements ne sont pas contradictoires avec la réduction du temps de travail pour les salariés ; ils lui donnent même un caractère plus pérenne.
Les présidents des groupes de la majorité sénatoriale, MM. Jean Arthuis, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan, ont souhaité apporter leur soutien à la proposition de loi qui prévoit ces assouplissements des 35 heures en la cosignant.
Plus de cent vingt sénateurs s'y sont déjà déclarés favorables et plusieurs sénateurs de gauche ont montré de l'intérêt. Ainsi, notre collègue Gilbert Chabroux a évoqué, au sein de la commission des affaires sociales, l'idée d'aboutir à un texte constructif qui prendrait en compte les conclusions du rapport du conseil d'analyse économique.
Dans cette perspective, il appartient maintenant au Gouvernement de saisir l'opportunité que lui offre le Sénat de revenir sur des dispositions qui, de toute évidence, ne sont plus adaptées au nouveau contexte économique. Le temps presse puisque, dès le mois prochain, les entreprises devraient voir leurs difficultés de recrutement s'aggraver.
Entre le maintien des 35 heures en l'état et la poursuite de la croissance et des créations d'emplois que garantirait leur assouplissement, il est devenu aujourd'hui indispensable de choisir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, vous voudrez bien excuser l'absence de Mme Guigou, qui, en ce moment même, reçoit les syndicats hospitaliers. Croyez que c'est avec un intérêt tant personnel que ministériel que je m'inscris dans ce débat, au nom du Gouvernement.
La proposition de loi que vous me demandez d'examiner est motivée - vous l'avez largement expliqué, monsieur le rapporteur - par votre souci de répondre aux difficultés de recrutement des entreprises.
Je souhaite donc vous faire part de l'analyse du Gouvernement sur ces difficultés, avant de me prononcer sur les aménagements que vous souhaitez apporter à la législation sur le temps de travail.
Chacun peut constater qu'il existe aujourd'hui des tensions sur le marché du travail. Nous sortons d'une longue période de faible croissance et de sous-emploi. Pendant toutes ces années, les entreprises ont bénéficié d'une main-d'oeuvre abondante et de mieux en mieux formée, grâce aux efforts de la collectivité pour développer le système éducatif.
Que constatons-nous aujourd'hui ? Non seulement notre pays a renoué avec une croissance durable, mais, comme viennent de le confirmer les analyses du marché du travail, cette croissance est plus créatrice d'emplois que ne l'avaient pronostiqué la plupart des économistes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Effectivement !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Au cours de l'année écoulée, la France a atteint un niveau record en termes de créations d'emplois ; elle se situe en tête des pays européens du point de vue du nombre d'emplois créés et de la baisse du niveau de chômage.
Nous ne pouvons que nous en féliciter. D'autant que cette amélioration de la situation de l'emploi ne profite pas seulement aux demandeurs d'emploi les plus qualifiés et les plus expérimentés : grâce aux efforts du service public de l'emploi et aux initiatives prises, notamment dans le cadre des plans nationaux d'action pour l'emploi, c'est d'abord le taux de chômage des jeunes et des chômeurs de longue durée qui a diminué.
Il n'est pas surprenant, dans ce nouveau contexte, que certaines entreprises fassent état de difficultés de recrutement. Déjà, au début des années quatre-vingt-dix, lorsque notre économie avait connu une légère embellie, on avait vu le nombre d'entreprises déclarant des difficultés de recrutement dans les enquêtes de conjoncture augmenter de manière spectaculaire. Lorsque l'on passe d'une situation de très forte abondance à une situation de moindre abondance, les comportements doivent s'adapter. Il est vrai qu'aujourd'hui les entreprises sont moins submergées par les candidatures spontanées et qu'elles doivent parfois déployer des efforts pour rechercher des candidats et démontrer le caractère attractif de leurs offres.
Doit-on pour autant s'alarmer et parler de « pénuries » de main-d'oeuvre ? J'ai lu avec intérêt, monsieur le rapporteur, la définition du Petit Robert à laquelle vous vous référiez, mais, comme l'a dit Elisabeth Guigou lors de la présentation du budget de l'emploi et de la formation professionnelle, n'oublions pas que le nombre de chômeurs est encore supérieur à deux millions et demi d'hommes et de femmes, sans compter ceux qui n'occupent que des emplois occasionnels et qui sont disponibles pour occuper un emploi stable.
Naturellement, cela ne doit pas nous empêcher de tout mettre en oeuvre pour lutter contre les difficultés de recrutement.
Depuis plusieurs mois, le Gouvernement a multiplié les initiatives. Des plans locaux d'action contre les difficultés de recrutement ont été mis en place grâce à une collaboration étroite entre le service public de l'emploi et les entreprises pour trouver des réponses concrètes aux écarts entre les qualifications et les compétences demandées par les entreprises et celles des demandeurs d'emplois disponibles.
Avec le soutien du ministère de l'emploi et de la solidarité, des campagnes d'information et de sensibilisation aux métiers de l'artisanat et du bâtiment ont été lancées.
Moi-même, avec le concours de l'outil public qu'est l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, j'ai souhaité prendre part à cette campagne de mobilisation. Nous l'avons lancée autour du slogan « 20 000 stages, 20 000 emplois » pour attirer des adultes et des jeunes, puisque nous avions déjà ces emplois en perspective.
Les contacts se sont multipliés avec les branches professionnelles pour favoriser l'adaptation et le recrutement de jeunes ayant bénéficié du programme « nouveaux services - emplois-jeunes ».
Ce que montrent clairement toutes ces actions, c'est que, dans la plupart des cas, les difficultés de recrutement peuvent être surmontées dès lors que les acteurs locaux se mobilisent pour établir ensemble un diagnostic des difficultés rencontrées et mettre en oeuvre les multiples outils dont nous disposons pour ajuster les offres et les demandes d'emplois.
Je tiens à citer notamment, à ce moment de mon propos, les contrats de qualification pour les jeunes, mais aussi les contrats de qualification pour les adultes, qui me semblent être un très bon outil.
Par ailleurs, peut-être conviendrait-il de porter un autre regard sur les femmes demandeuses d'emploi. Il ne faut pas oublier que, si le chômage régresse pour les femmes comme pour les hommes, ou compte encore trois points d'écart entre eux : 11 % des femmes sont au chômage contre 8 % des hommes.
Lorsque je suis sur le terrain, et que je rencontre les responsables de structures locales, mais aussi des entreprises, des missions jeunes, l'ANPE, je leur dis d'adopter une vision moins traditionnelle des métiers. En effet, il faut former non seulement des demandeurs d'emploi, mais également des femmes demandeuses d'emploi à une palette de métiers beaucoup plus large que celle qui existe actuellement.
M. Alain Gournac, rapporteur. Il faut leur assurer une véritable formation !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je sais que certains experts voient aujourd'hui dans la baisse du chômage un risque de tensions inflationnistes et s'accommoderaient d'un taux de chômage permanent avoisinant 9 %. Cette analyse est contestée, vous le savez, par d'autres experts. La plupart d'entre eux s'accordent à penser que la situation actuelle du marché du travail ne constitue, tout du moins pour les toutes prochaines années, ni un frein à la croissance ni une limitation à l'augmentation de nos capacités de production.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre préoccupation commune doit être de préparer l'avenir. Le souci des entreprises doit être de contribuer à préparer la main-d'oeuvre dont nous aurons besoin demain, par la formation, par des possibilités de progression professionnelle ouvertes à tous, par la qualité des emplois proposés.
Ce n'est pas le jour de développer cet important sujet de la formation des salariés et des demandeurs d'emploi, mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans les prochaines semaines.
Alors que les chefs d'entreprise se plaignent de ne pas trouver la main-d'oeuvre qualifiée dont ils ont besoin, dans le même temps - vous l'avez lu comme moi dans la presse - ils cherchent à embaucher des jeunes ou des adultes avant même qu'ils aient fini leur formation. Ces abandons en cours de cycle de formation ont tendance à se multiplier ces derniers mois sous l'effet des offres faites par les entreprises.
M. Alain Gournac, rapporteur. Cela va dans le bon sens !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Non !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Est-ce ainsi que l'on prépare l'avenir ? Nous avons, les uns et les autres, l'obligation d'apporter d'autres réponses.
J'en viens maintenant aux mesures que vous préconisez dans cette proposition de loi.
Il y a quelque paradoxe à chercher une réponse à tous ces problèmes dans une remise en cause des dispositions de la loi sur la réduction du temps de travail.
Je souhaite tout d'abord rappeler, comme l'ont montré les travaux de la DARES, que les entreprises qui se plaignent aujourd'hui de difficultés de recrutement ne sont pas celles qui sont aujourd'hui aux 35 heures. Je pense, en particulier, aux toutes petites entreprises. Cela tend à montrer que les tensions actuelles sur le marché du travail ne résultent pas de la réduction du temps de travail. D'ailleurs, les entreprises qui ont conclu des accords dans le cadre de la première loi ou qui sont passées aux 35 heures depuis la seconde loi ont su anticiper ; de nombreux accords comportent des clauses sur la formation dont l'objet est précisément de procéder à l'évolution des qualifications rendue nécessaire par les nouvelles embauches et par la réorganisation du travail, par exemple en instaurant une plus grande polyvalence.
Quels sont, par ailleurs, les métiers qui souffrent le plus des difficultés de recrutement ? On cite régulièrement les métiers artisanaux, en particulier les métiers de bouche, et ceux du bâtiment second oeuvre, les métiers de la restauration et de l'hôtellerie. Dans tous ces domaines professionnels, les difficultés ne sont pas nouvelles. Elles se sont certes aggravées avec l'amélioration de la situation de l'emploi. Mais reconnaissez aussi que les entreprises concernées n'ont pas toujours su prévoir cette évolution de la conjoncture. Nous formons, par exemple, de très nombreux jeunes dans les métiers de la restauration et de l'hôtellerie. Parler de pénurie de qualification dans ce secteur n'est donc pas tout à fait approprié. En vérité, on constate une vraie difficulté des entreprises à garder la main-d'oeuvre. Les ruptures de contrat d'apprentissage - j'ai lu des études qui ont été réalisées dans diverses régions - se multiplient dans ces métiers. Elles atteignent même près de la moitié des contrats dans certaines régions.
Je ne pense pas que ce soit en reportant l'application des dispositions concernant la réduction du temps de travail que l'on rendra ces emplois plus attractifs dans ces branches.
A côté de ces cas les plus connus, des tensions existent également dans certains métiers de haute technicité. Je pense en particulier à l'informatique. Nous savons tous à quel point il est difficile d'anticiper les besoins de ces professions dont les contenus évoluent très rapidement sous l'effet des progrès de la technologie. Mais nous devons répondre au mieux à ces évolutions.
Voilà quelques années, on se plaignait du chômage des « bacs + 5 ». Aujourd'hui, les entreprises essaient de les recruter avant même la sortie des formations.
Il nous reste beaucoup de progrès à réaliser avec les entreprises et avec les branches professionnelles pour améliorer la prospective des emplois et des qualifications. Le Gouvernement s'y emploie, notamment au travers de la relance des travaux du Commissariat général du Plan sur ce sujet.
La proposition de loi que vous nous présentez me semble donc inappropriée à la nature des enjeux.
Les deux premiers articles ont pour objet de différer l'application effective des 35 heures ou d'en atténuer l'effet financier à court terme. Je rappelle que la loi a prévu une mise en place progressive de la réduction du temps de travail non seulement en laissant un délai de mise en place pour les petites entreprises, mais également en aménageant une période transitoire pour le régime des heures supplémentaires. Assouplir encore ces dispositions reviendrait, à mon sens, à casser le processus de réduction de la durée du travail, sans obtenir l'effet escompté sur les difficultés de recrutement de certaines entreprises.
Le troisième article de la proposition de loi revient sur un élément qui s'est progressivement imposé dans notre législation et que la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, adoptée en décembre 1993, avait à la fois confirmé et amplifié. L'obligation d'attribuer un repos compensateur en cas de dépassement du contingent d'heures supplémentaires visait, déjà à l'époque, à freiner le recours aux heures supplémentaires comme moyen de répondre aux fluctuations de l'activité des entreprises.
Dans les toutes petites entreprises, qui n'ont pas les mêmes facilités pour faire appel à un collaborateur occasionnel ou pour jouer la carte de la polyvalence, cette contrainte pouvait être préjudiciable à la bonne marche de l'entreprise. C'est pourquoi, dans les entreprises de moins de dix salariés, l'obligation du repos compensateur ne porte que sur la moitié des heures effectuées au-delà du contingent des heures supplémentaires. Elever le seuil pour les entreprises de moins de vingt salariés n'a pas, à mon sens, de justification économique et aurait pour effet d'accroître le recours aux heures supplémentaires plutôt que de rechercher d'autres modes d'adaptation aux fluctuations des carnets de commande.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je réaffirme notre volonté de mobiliser et de développer les compétences de tous au service de l'efficacité économique et de la cohésion sociale. Je pense que beaucoup d'entreprises sont prêtes à relever également ce défi collectif. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parler de pénuries de main-d'oeuvre est aujourd'hui un raccourci inacceptable, et ce à un double titre.
Je voudrais en effet rappeler après vous, madame la secrétaire d'Etat, après vous, aussi, monsieur le rapporteur, que le dernier chiffre du chômage, celui du mois d'octobre 2000, fait apparaître encore 2 215 500 demandeurs d'emploi de catégorie 1 en données corrigées des variations saisonnières. Les données brutes, incluant les catégories 1 et 6, nous donnent un chiffre de 2 736 200 demandeurs d'emploi.
Nous commençons donc seulement à attaquer ce que l'on appelle le « noyau dur » du chômage, avec les demandeurs d'emploi de longue durée. Il me semble, dès lors, pour le moins prématuré de parler d'une pénurie de main-d'oeuvre. Des efforts considérables sont encore à faire, surtout en faveur des victimes du chômage de longue durée. C'est là un premier paradoxe que vous signaliez à l'instant, madame la secrétaire d'Etat.
Mais, c'est aussi pour moi un second paradoxe que de m'exprimer à cette tribune pour modérer ce qui me semble être un trop grand optimisme de votre part, chers collègues, et qui motive, je veux le croire, votre texte. Permettez-moi de vous faire observer, que, par l'effet de cette proposition de loi, les rôles sont inversés, et que ce sont aujourd'hui les parlementaires qui soutiennent l'action du Gouvernement qui se voient contraints de rappeler cette vérité d'évidence : le chômage n'est pas encore vaincu, et c'est toujours notre priorité que d'aller vers le plein emploi et, surtout, vers des emplois durables.
Est-ce à dire que nous devons, pour autant, ignorer les difficultés dont viennent nous faire part les représentants de telle ou telle branche professionnelle dans ce contexte de croissance retrouvée ? Non, bien évidemment. Nous devons être, et nous sommes, à leur écoute. Nous nous efforçons de concilier, dans l'intérêt de tous, des aspirations parfois contradictoires à première vue.
C'est pourquoi nous ne croyons pas qu'en une matière aussi complexe que celle dont nous traitons aujourd'hui le problème puisse se résoudre dans l'improvisation d'une proposition de loi dont l'article principal a été totalement transformé lors de son passage en commission.
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous faire part de mon agacement, que certains d'entre vous partagent sans doute.
Voilà des semaines que le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, par voie de presse, se sont lancés dans une campagne tendant à montrer que la France est victime d'une pénurie d'emploi grave et généralisée et que la faute en revient, bien entendu, à la loi sur la réduction du temps de travail. Finalement, ils nous somment de voter un moratoire à l'application des 35 heures. Tel était d'ailleurs l'objet principal et initial de cette proposition de loi.
Il est vrai, que depuis quelques jours, la tonalité s'est nettement infléchie, après l'intervention de l'UPA, l'Union professionnelle artisanale. Cette organisation ne veut surtout pas d'un moratoire qui mettrait les entreprises artisanales en difficulté par rapport aux grandes entreprises déjà passées aux 35 heures. La modification de la proposition de loi a suivi de peu cette prise de position modératrice. Devons-nous comprendre, monsieur le rapporteur, que votre refus initial de la réduction du temps de travail par voie législative s'est aussi infléchi ? Nous sommes descendus en peu de temps des sphères de l'idéologie, telle que la pratique le MEDEF, sur le terrain, moins exaltant, mais plus sûr, de la réalité.
Cette réalité, c'est qu'il y a non pas une pénurie de main-d'oeuvre, mais des problèmes de recrutement dans un certain nombre de branches clairement identifiées, et la réduction du temps de travail n'en est, à l'évidence, pas responsable.
Les problèmes dont il s'agit sont bien antérieurs à cette loi. Avec la crise économique des années quatre-vingt-dix, ils avaient été masqués et on les avait quelque peu oubliés. Comment, en effet, se soucier de recruter, quand la principale préoccupation de nombre d'entreprises à l'époque était de survivre, et donc de ne pas licencier ? Combien de jeunes ont alors été contraints d'accepter des postes bien en dessous de leur qualification ?
Mais, lorsque réapparaît la croissance, ce problème latent de recrutement réapparaît dans les branches concernées. Qu'il s'agisse, par exemple, des métiers de bouche ou du bâtiment, on observe des caractéristiques communes, avec des horaires élevés, des conditions de travail pénibles, usantes, et des salaires qui, en proportion de l'effort à fournir et de la fatigue qui en résulte, sont jugés insuffisants par la quasi-totalité des personnes recrutées ou susceptibles de l'être.
Rien de tout cela n'est nouveau, et les responsables professionnels en sont parfaitement conscients. C'est pourquoi, dès le début du processus d'aménagement et de réduction du temps de travail, certains ont compris qu'il y avait là une possibilité pour eux de modifier leur image. Ils ont agi de manière responsable et constructive, plutôt que politicienne, en développant une campagne axée sur l'apprentissage et l'emploi. Ce fonctionnement est exemplaire de la synergie qui doit exister, d'une part, entre la formation et l'amélioration des conditions de travail, et, d'autre part, entre les aides aux entreprises et leur meilleure organisation, ces deux derniers points étant liés aux accords sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.
Ainsi, la loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail peut être, pour ces professions, un point d'appui, et non un obstacle.
Au demeurant, le volume d'heures travaillées dans notre pays n'a pas diminué, alors même que de nombreuses entreprises ont signé des accords de réduction du temps de travail ; ce volume est en hausse continue depuis 1997 et a encore progressé de 0,3 % au premier semestre 2000. Le plus satisfaisant est que cette hausse résulte de la progression du nombre d'emplois, et donc de la diminution du nombre de chômeurs, sous l'effet conjugué des 35 heures et de la croissance, tant il est manifeste que les deux ne s'opposent pas, mais se complètent pour parvenir à ce qui est notre objectif essentiel et je n'en doute pas, aussi le vôtre : l'amélioration de la situation de l'emploi.
M. Alain Gournac, rapporteur. Ça, c'est sûr !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ce serait donc faire preuve d'un singulier malthusianisme, à contre-courant du mouvement de notre économie, que de prétendre régler des problèmes sectoriels de recrutement par une augmentation généralisée du contingent d'heures supplémentaires autorisées.
On trouvera toujours des salariés pour accepter des heures supplémentaires en grand nombre, soit qu'on les y invite avec une fermeté comminatoire, soit qu'ils estiment que leur salaire net est insuffisant.
Cette solution, pour simple qu'elle apparaisse dans un premier temps, n'est pas viable dans la durée ; c'est une solution de très court terme, à la fois pour les entreprises, c'est bien évident, et pour le monde salarié et le corps social. Avec elle, ceux qui ne sont pas venus et revenus à l'intérieur des entreprises n'y auront pas accès, et il demeurera un chômage, souvent de longue durée, ou de la précarité, de la pauvreté et de l'exclusion. Un tel processus est de nature non à combler la fracture sociale, mais, au contraire, à la cristalliser et à l'aggraver. Même si des ajustements sectoriels temporaires et périphériques sont possibles, les solutions durables sont ailleurs.
Les lois de réduction du temps de travail doivent être appliquées sans être dénaturées, alors qu'elles commencent à porter leurs fruits. Le contraire induirait le plus grand désordre. En même temps, ces lois prévoient des assouplissements et des mesures progressives pour les entreprises, notamment celles de moins de vingt salariés. Ces possibilités ne sont pas toujours connues, il faut les expliquer !
Je rappelle simplement aujourd'hui que la période transitoire pour les petites entreprises est prolongée jusqu'à 2004 : voilà qui relativise l'urgence ! De plus, en cas d'accord de branche, des dérogations sont toujours possibles. De même, en cas de demande de recrutement non satisfaite par l'ANPE, les heures supplémentaires restent possibles. Ces données devraient nous permettre d'attendre sereinement les conclusions de notre collègue député Gaëtan Gorce, qui consulte actuellement sur les problèmes spécifiques des petites, moyennes et très petites entreprises. Il rendra, d'ailleurs, son rapport à la fin de cette année.
A plus long terme, si nous ne voulons plus voir réapparaître périodiquement les problèmes de recrutement dans certaines branches, il nous faut avancer avec beaucoup plus de résolution et, surtout, d'efficacité en matière de formation professionnelle initiale et continue.
Il est tout à fait anormal que seulement 17 % des salariés bénéficient d'une formation professionnelle dans les entreprises de dix à cinq cents salariés. Dans le secteur du bâtiment, il est grave que, sur 175 000 jeunes en formation initiale, seulement 50 % intègrent le circuit professionnel.
Notre pays a un problème, cette fois très réel et durable, de formation et de gestion de la main-d'oeuvre. Des progrès notables sont intervenus depuis peu avec les contrats de progrès de l'ANPE et de l'AFPA, et avec la création de liens entre ces deux organismes pour les demandeurs d'emploi. Il est impératif d'amplifier ce dispositif, en relation avec les branches professionnelles.
Il faut également attirer les jeunes vers ces formations professionnelles. Cela passe par la solution du problème financier, que s'attache à trouver Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel. Cela passe aussi par la fin de l'orientation par l'échec et par l'attrait d'une formation initiale solide, gage d'adaptabilité du salarié aux évolutions des modes de travail et des technologies. Nous aurons bientôt, je l'espère, madame la secrétaire d'Etat, l'occasion de revenir avec vous plus en détail sur ces points.
Il s'agit là d'une question de fond et aussi d'un mal plus grave et plus profond pour notre économie que le problème, conjoncturel, du passage aux 35 heures.
Plutôt que de vous suivre dans ce débat un peu trop politicien, chers collègues de la majorité sénatoriale, nous estimons préférable de chercher honnêtement des solutions aux difficultés que le monde de l'entreprise, dans son entier mais aussi dans sa diversité, soulève.
Des questions se posent à court terme, avec, il est vrai, le goulet d'étranglement provoqué par la reprise dans certaines branches peu attrayantes pour les jeunes. Mais, sur ce point, des formations courtes sont en place pour certaines qualifications. Des mesures transitoires sont possibles aussi avant 2004.
Quant aux problèmes structurels de formation et de gestion prévisionnelle de l'emploi, le chantier est, là, beaucoup plus vaste. Les nécessaires synergies avec le service public de l'emploi et de la formation et les branches professionelles se mettent en place pour des solutions durables. Les dépenses passives, comme l'a montré la présentation des derniers budgets sont progressivement réorientées vers des dépenses actives.
Ce qui est certain, et les chefs d'entreprise, qui sont, en général, des gens pragmatiques, le savent, c'est que la croissance et l'emploi se développeront non pas contre les salariés, mais bien avec leur adhésion, une adhésion au processus de réduction du temps de travail dans leur entreprise, c'est-à-dire avec une réduction effective des horaires, une amélioration des conditions de travail et des embauches.
De la réussite de ce progrès véritable pour les salariés, jeunes et moins jeunes, dépend la mobilisation durable de notre économie pour la croissance et le plein emploi.
Votre proposition de loi, chers collègues de la majorité sénatoriale, ne nous semble ni juste à l'égard des salariés ni adaptée aux exigences de notre économie. En conséquence, nous voterons contre ce texte, et j'annonce d'ores et déjà que nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis bientôt trois ans, la croissance est repartie, une croissance vigoureuse et mondiale qui s'accompagne d'une nette amélioration de la situation de l'emploi.
Les offres d'emplois déposées auprès de l'ANPE par les entreprises françaises ont bondi de 9 % en un an, jusqu'à atteindre, cet été, le chiffre de deux millions d'annonces.
Depuis un an, la France compte 400 000 demandeurs d'emplois en moins. Rien ne semble remettre en cause cette baisse, même si la politique de l'emploi dépensière et à contre-courant du Gouvernement freine cette tendance plus que positive.
Ainsi, de nombreuses entreprises intensifient leur stratégie de recrutement. Un exemple est frappant : face à la demande accrue de ses clients, le prestataire de services informatiques Tim Partner Group a dû embaucher deux cent cinquante ingénieurs en 1999 et compte en recruter encore trois cents cette année, pour porter ses effectifs à mille deux cents employés.
Si l'emploi progresse, le chômage n'a pas encore disparu et son taux demeure largement supérieur au taux de chômage structurel incompressible que certains pays sont d'ores et déjà parvenus à atteindre.
Or, des difficultés réelles de recrutement apparaissent. Le mécanisme du marché du travail est tel, mêlant mobilité géographique, qualification ou encore contexte socioculturel, qu'il explique cette situation d'apparence paradoxale.
Je voudrais donc développer trois points.
Premièrement, quel est l'état des lieux du marché du travail ? Existe-t-il réellement des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs ?
Deuxièmement, le Gouvernement apporte-t-il les bonnes réponses aux problèmes posés ?
Troisièmement, quelles sont les solutions que la majorité sénatoriale propose à ces problèmes ?
En premier lieu, tout le monde s'accorde à le reconnaître, il existe des difficultés de recrutement sur le marché du travail.
En effet, tandis que les offres d'emploi affluent, les agents de l'ANPE déplorent tous les jours l'absence de candidats. Cela nous remémore les raisons de la création de cette institution en 1968, qui devait aider les entreprises à trouver des candidats aux offres d'emploi.
L'ANPE travaille avec un indicateur précis et révélateur : les taux de tension. C'est le rapport entre le nombre de demandeurs d'emploi inscrits et le nombre d'offres d'emploi reçues par l'ANPE sur une même période. Un rapport inférieur à 1 montre qu'il y a moins de demandeurs inscrits que d'offres reçues, alors que l'ANPE considère qu'un rapport minimal de 1,5 est nécessaire pour répondre aux offres. Il faut, en effet, pouvoir présenter plusieurs candidats pour chaque poste, les refus pouvant provenir ou de l'employeur ou du candidat.
Or, l'ANPE constate que les principaux emplois dont les taux de tension sont inférieurs à 1 sont de plus en plus nombreux : aide agricole saisonnier, couvreur, maçon, ajusteur, conducteur de transport de marchandise, informaticien, animateur de vente, employé de libre service, employé de restauration, nettoyeur de locaux, menuisier, etc. La liste est longue. Combien d'artisans et de commerçants nous disent qu'ils ne trouvent plus personne et s'interrogent sur l'avenir de leurs entreprises dans quelques années ? Ils expriment là un sentiment général, en milieu rural en particulier. N'en déplaise à certains, ce sont des faits constatés, répertoriés et indéniables.
Ces difficultés ont de multiples origines. Elles sont tout d'abord culturelles : les choix des différents ministres de l'éducation nationale qui se sont succédé ont toujours privilégié des formations initiales théoriques vers de hauts niveaux d'études, notamment vers l'innovation technologique, beaucoup plus, par exemple, que vers les métiers de l'industrie ou du commerce.
Des pays ont fait d'autres choix, tels que les Pays-Bas et l'Italie, qui ne connaissent pas de problèmes dans le secteur commercial, par exemple, qui fait partie de leur culture.
Ces difficultés sont également quantitatives : dans certaines filières à forte demande, on ne forme pas suffisamment de jeunes.
On en arrive à des situations ubuesques, comme dans certains lycées professionnels où les employeurs recrutent directement les élèves avant même la fin de leur cursus scolaire et l'obtention de leur diplôme. Cette situation, souvent séduisante pour des jeunes qui souhaitent s'insérer ainsi rapidement sur le marché du travail, est peu satisfaisante sur le plan des principes. Elle démontre surtout l'absence totale de prise en compte de l'offre et de la demande sur le marché de l'emploi par le Gouvernement, qui préfère, en revanche, investir autoritairement des champs d'action relevant normalement de la négociation collective des partenaires sociaux.
Certains avancent que, si les Français acceptaient de changer de métier plus facilement, la situation de leur emploi s'en trouverait grandement améliorée.
Or, près de la moitié des actifs français exercent un métier qui ne correspond pas à leur formation initiale, ce qui montre une mobilité importante, mais qui s'exerce, en effet, le plus souvent à l'intérieur d'une même sphère.
Le Gouvernement, qui profite d'une conjoncture exceptionnelle, se contente d'engranger les bons résultats du marché de l'emploi, ignorant les difficultés réelles de recrutement et n'agissant pas pour y remédier.
Cet immobilisme est d'autant plus préoccupant que, comme le souligne M. Pisani-Ferry dans le rapport du conseil d'analyse économique qui a été publié récemment, ces difficultés ne devraient apparaître que lorsque l'on se rapproche du plein emploi. Ces difficultés précoces illustrent donc l'existence de profondes carences du système français.
Le Gouvernement apporte-t-il les bonnes réponses à cette inadéquation du marché du travail ? La réponse est non.
Madame le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a opté pour une réduction imposée et généralisée du temps de travail fondée sur un principe de partage du travail en temps de crise et financée sur fonds publics.
En période de reprise, cette position n'est plus tenable. Quel intérêt y aurait-il à imposer la création d'emplois moyennant des aides coûteuses à partir du moment où la croissance économique permet la création de ces emplois sans aide publique ? Nous sommes en plein effet d'aubaine, et cela coûtera très cher à la France.
Vous prenez, en outre, le risque d'accentuer les tensions sur le marché de l'emploi, dont nous venons de parler, en bridant la capacité de travail de la main-d'oeuvre recherchée sans offrir de mécanisme alternatif, par exemple des formations qualifiantes ciblées.
Par ailleurs, vous reportez la responsabilité du chômage restant sur les entreprises.
Or, ce sont les entreprises qui créent les emplois, et non l'Etat. Les seuls emplois que vous pouvez revendiquer sont les emplois des agents et des fonctionnaires que vous créez sur fonds publics en tant qu'employeur.
Le rôle du Gouvernement doit se limiter à une politique qui accompagne les créations d'emploi et ne les impose pas à coups de lois. Nous sommes non pas dans une économie administrée, mais dans une économie régulée.
C'est au Gouvernement de prendre ses responsabilités et de résoudre ce problème d'inadéquation entre l'offre et la demande. Vous ne pouvez esquiver la nécessité d'adapter le système de formation initiale, de pallier les insuffisances de la formation professionnelle, d'encourager la mobilité professionnelle, de mettre fin au caractère non incitatif à la reprise d'un emploi de certains revenus de remplacement.
J'en profite pour déplorer vivement les décisions que vous avez prises récemment concernant la prime d'apprentissage, que vous souhaitez réserver aux plus petites entreprises, et la prime à l'embauche des contrats de qualification, que vous supprimez. Ces mesures illustrent de manière frappante une absence de compréhension du fonctionnement du marché du travail.
Contre toute logique, vous renoncez à aider ces formations alors même que les personnes formées par ces voies d'enseignement sont celles que les employeurs désespèrent de trouver. En comparaison, les milliards de francs investis dans les 35 heures sont indécents.
L'immobilisme du Gouvernement en la matière est de nature à faire échouer notre pays dans le retour au plein emploi, que certains pays ont su atteindre, comme les Etats-Unis, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne.
La France ne peut se permettre d'être en retard dans ce domaine, au risque de se voir distancer et d'assister impuissante à un ralentissement de sa croissance. Elle doit agir.
Quelles sont donc les solutions qu'il serait souhaitable d'adopter ?
Si immigration et délocalisation semblent constituer les deux recettes préconisées pour faire face aux nouveaux besoins en emplois, il ne faut pas céder à la tentation en laissant tout faire.
Il est essentiel de prendre l'initiative de mieux former nos concitoyens afin de résorber les poches de chômage de longue durée.
La formation devient, en effet, prioritaire car la population active vieillit. Le Bureau international du travail ne souligne-t-il pas qu'il est indispensable de faire face à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée pour favoriser la croissance de la création d'emplois et pour éviter le risque d'aggravation des inégalités ou de marginalisation.
Les Pays-Bas, bons élèves de l'Europe pour l'emploi, nous indiquent la direction : dans l'industrie du textile, chaque salarié a droit à quatre jours de formation par an en moyenne.
Cela est nécessaire, notamment, pour que les salariés âgés affectés à des tâches traditionnelles s'approprient, eux aussi, les nouvelles technologies.
Il est également des secteurs où les personnes âgées de 40 à 45 ans partent régulièrement en formation. Elles sont dans des entreprises où l'effort de formation est trois fois supérieur à ce que la loi impose. Cet effort représente aujourd'hui 3 % à 4 % de la masse salariale. Il faut aussi tenir compte de cette évolution initiée par des entreprises et l'accompagner.
La solution réside aussi dans l'adoption de mesures d'assouplissement des modalités de la réduction du temps de travail dans toutes les entreprises, et l'on ne peut que se réjouir de l'initiative prise par notre collègue Alain Gournac et par la majorité sénatoriale d'examiner cette proposition de loi aujourd'hui.
Il s'agit de ne pas pénaliser les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, au moment de la mise en oeuvre des 35 heures, en évitant d'alourdir brutalement leurs charges sociales.
Pourquoi ne pas adoucir, en contrepartie, par exemple, d'un effort significatif des entreprises sur la formation continue, le régime des heures supplémentaires et le temps nécessaire à la qualification des nouvelles recrues ?
Quant au problème spécifique des petites et moyennes entreprises, pour qui les 35 heures s'annoncent comme un joli casse-tête, d'autant plus que, contrairement aux grandes entreprises, elles ne disposent pas de services juridiques performants pour décortiquer les arcanes de la loi Aubry II, des mesures d'assouplissement s'imposent. Dans les petites unités, aux effectifs réduits et peu interchangeables, les marges de réorganisation et de recrutement sont particulièrement étroites. Il est difficile de remplacer un comptable par une standardiste ou d'embaucher un quart d'informaticien.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de la présente proposition de loi, mais le Gouvernement devrait, me semble-t-il, être attentif et conciliant face à des propositions qui poursuivent un objectif que certains membres du Gouvernement ont indiqué partager. La raison, enfin, l'emporterait.
En tout état de cause, notre groupe adoptera les conclusions présentées par la commission des affaires sociales, tout en félicitant son excellent rapporteur, M. Alain Gournac, d'avoir pris l'initiative de ce texte. (M. Pierre Hérisson et M. le rapporteur applaudissent.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Merci, mon cher collègue !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi, par MM. Muzeau, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique (n° 125, 2000-2001). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote pour une durée n'excédant pas cinq minutes à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Muzeau, auteur de la motion.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la lecture de l'intitulé de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, on a envie d'interroger les auteurs de ce texte et de leur demander de quoi ils veulent donc réellement parler en affirmant qu'il y aurait des « pénuries de main-d'oeuvre ».
En effet, cette affirmation ne tire sa cohérence que dans le cadre des actions menées par le MEDEF dans son combat pour faire valoir ses objectifs de « refondation sociale », mais elle ne correspond pas à une réalité vérifiée. En outre, les solutions qui sont proposées visent à réviser la deuxième loi des 35 heures sans établir la réalité du lien supposé exister entre les deux.
Le MEDEF travaille beaucoup - déclarations de presse, enquêtes et tableaux de statistiques - pour démontrer qu'il y aurait une grave pénurie de main-d'oeuvre et que, par conséquent, il faudrait un moratoire ou un assouplissement de la loi sur les 35 heures.
Donc, si les entreprises n'embauchent pas plus malgré la relance, si le chômage massif qui déstructure la société française depuis trente ans et détruit la vie de millions de personnes ainsi que celle de leur famille ne disparaît pas, si la situation de l'emploi ne redevient pas plus florissante, c'est, bien évidemment, la faute du Gouvernement.
Tel serait le résultat de deux enquêtes menées par le MEDEF auprès de ses adhérents - mais il est vrai que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même ! - la première portant sur « la révision de la deuxième loi sur les 35 heures » et la seconde visant « les pénuries de main-d'oeuvre » - l'ordre n'est pas neutre.
Je dirai quelques mots sur le résultat de l'enquête érigée en constat ou sur la façon dont le patronat crée les « pénuries » pour mieux déployer son offensive de « refondation sociale » après avoir obtenu l'agrément par le Gouvernement de la nouvelle convention UNEDIC.
A en croire l'organisation patronale, 800 000 à 900 000 offres d'emplois seraient aujourd'hui non satisfaites en France. Sachons que tous les économistes sérieux parlent plutôt de 300 000 à 400 000. Cette situation concernerait non plus seulement les professions traditionnellement en difficulté de recrutement, comme le secteur du bâtiment et des travaux publics, la métallurgie et la restauration, mais tous les secteurs d'activité, toutes les tailles d'entreprises et toutes les régions.
La situation économique serait-elle redevenue si florissante que les entreprises auraient décidé d'embaucher massivement ? L'offre serait-elle supérieure au niveau de la demande ? Y aurait-il sur le marché du travail actuel plus d'offres d'emplois que de candidats ? Si tel était le cas, il y aurait effectivement urgence à agir.
Laisser entendre qu'il y aurait, d'un côté, près d'un million d'emplois vacants et, de l'autre, 2,2 millions de chômeurs qui les boudent pour avancer l'idée de graves pénuries de main-d'oeuvre et pour justifier ensuite la révision de la loi sur les 35 heures, c'est un peu gros à avaler, sans parler de l'indécence du terme « pénurie » de main-d'oeuvre, et, monsieur Gournac, ce n'est pas seulement une querelle de mots !
Les entrées à l'ANPE progressent encore, ce qui signifie que les chômeurs continuent à rechercher activement du travail. Quant aux sorties, seulement une sur trois était due à une reprise d'activité. Si l'on en croit toujours l'ANPE - mais cela me semble plus fiable que le MEDEF - le taux d'offres d'emploi non satisfaites s'élève à 12 %, et il reste stable depuis plusieurs mois.
Nous pouvons, par conséquent, mesurer l'assise idéologique d'une telle proposition de loi. D'autant que la relance économique ne met pas les salariés à l'abri du chômage, comme le montrent les plans sociaux qui continuent de programmer les licenciements.
Il convient de restituer le contexte précédent. Le bilan du patronat en matière d'emplois, au cours des trente dernières années, est un véritable désastre. Seules ont compté l'augmentation des profits et une pratique de spéculations financières fondées exclusivement sur l'affaiblissement de l'emploi.
Jamais, mesdames, messieurs les sénateurs, la part des salaires dans les richesses produites n'a été aussi faible dans notre pays. Elle n'a pas seulement diminué, elle s'est effondrée. Des régions entières ont été sinistrées, ne conservant que des hectares de friches industrielles. Des millions de personnes qui détenaient un savoir-faire, une qualification, ont été jetées hors du monde du travail. Ces personnes ont, au fil des ans et des multiples stages de reconversion qu'elles ont eu à subir, perdu leur qualification initiale, leur savoir-faire.
Depuis 1998, les effets positifs de la reprise économique et de la politique entreprise par le Gouvernement, en particulier dans le domaine de la réduction du temps de travail et de l'insertion par l'économique, ont certes modifié dans le bon sens la situation de l'emploi ; mais il reste beaucoup à faire, nous en sommes tous conscients.
Habitués depuis plus de vingt ans à faire exploser tous les acquis sociaux et à mettre en pièces les droits des salariés, les patrons découvrent, aujourd'hui, à la lumière d'une reprise économique désormais tangible et incontestable, que les hommes et les femmes de ce pays auraient l'outrecuidance de réclamer un salaire décent, un contrat à durée indéterminée et - comble de l'insupportable ! - des conditions de travail décentes.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Roland Muzeau. Comment s'étonner, dès lors, qu'à la faveur d'une conjoncture meilleure les salariés aient tendance à fuir les métiers à faible rémunération ?
Votre politique, mes chers collègues, a consisté, quand vous dirigiez ce pays, à multiplier les emplois précaires, les emplois à temps partiel, sur la base du SMIC horaire, avec des exonérations sociales à la clé.
Quand la situation se révèle plus favorable, ces emplois - ne vous en étonnez pas - ont tendance à être boudés par les salariés. Ces trappes à inactivité, vous les avez créées par votre politique de déflation salariale ! Lorsqu'une entreprise paie correctement ses salariés et offre des conditions de travail convenables, elle n'a aucune difficulté à recruter !
L'ANPE nous révèle que les tensions dans le recrutement ne concernent qu'une infime minorité de professions. Le phénomène n'a donc pas l'ampleur que prétend le MEDEF, et il conviendrait de diviser par deux ou trois les chiffres cités par ce dernier pour se rapprocher de la réalité. Ainsi les fichiers de l'ANPE nous indiquent-ils que, sur les 466 métiers répertoriés par l'agence, seule une vingtaine, soit 4,3 %, seraient en fait réellement affectés par un manque de personnel qualifié.
Caractériser la situation de l'emploi comme étant une situation de « pénurie » est donc pour le moins inadapté, même s'il existe des difficultés pour recruter.
D'ailleurs, dans son inventaire des « causes de la situation » le MEDEF n'évoque-t-il pas un problème d'« image des métiers aux débouchés jugés incertains, bas niveaux de salaires, pénibilité des conditions de travail ».
S'agit-il seulement d'une mauvaise image ?
Que se passe-t-il dans le secteur du bâtiment, traditionnellement cité comme souffrant de pénurie de main-d'oeuvre ? Après avoir été en crise, ce secteur est aujourd'hui en forte croissance : tant mieux ! La confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, affirme qu'elle est à la recherche de 80 000 personnes qu'elle n'arrive pas à trouver.
Tout d'abord, je ne pense pas que ces offres soient toutes enregistrées à l'ANPE, car cela se saurait. Mais admettons cette recherche vaine de candidats. Pourquoi la CAPEB n'arrive-t-elle pas à recruter ? Connaissez-vous les salaires pratiqués ? Avec le commerce, le secteur du bâtiment et des travaux publics compte parmi les professions les plus mal payées. Les employeurs le reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes, sans toutefois rien y vouloir changer. Les salaires sont une misère au regard des conditions de travail et des risques d'accidents, de nouveau en augmentation. Récemment, quatre ouvriers sont morts à Paris à la suite de l'explosion d'une canalisation de chauffage. C'est un accident, mais, dans cette entreprise, filiale d'un des plus grands groupes français, on effectue 14 heures de travail par jour. On est loin des 35 heures !
Les chefs d'entreprise du secteur oublient, en outre, qu'ils ont supprimé 225 000 emplois pendant les sept années qui ont précédé la reprise actuelle, et 800 000 depuis vingt ans... Voilà de quoi refroidir plus d'un candidat.
Qu'en est-il de la formation initiale ? Chaque année, plus de 100 000 personnes sont formées aux métiers du bâtiment : or, on n'en retrouve durablement dans la profession que de 10 % à 15 %. On vient dans le secteur du bâtiment et des travaux publics plus par contrainte que par choix. De plus, c'est un patronat qui recourt massivement à l'intérim : entre 1998 et 1999, le travail intérimaire a explosé dans le bâtiment, augmentant quatorze fois plus vite que l'emploi permanent.
Les 35 heures, quant à elles, ne sauraient guère expliquer le déficit de main-d'oeuvre puisque les accords conclus dans la branche se sont soldés par une flexibilité accrue selon les souhaits des patrons.
Enfin, il faut savoir que ce secteur est dominé par quatre ou cinq grands groupes qui raflent la quasi-totalité des appels d'offres, au détriment des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries.
En fait, la tentation du patronat est toujours de faire appel à la main-d'oeuvre étrangère pour répondre aux pics de production. Lorsque l'économie ne le nécessitera plus, ces travailleurs étrangers, qualifiés ou pas, redeviendront bien sûr « encombrants » pour notre société.
En attendant, le coût du travail aura encore baissé, pour le plus grand profit des employeurs, mais pas dans l'intérêt des pays vidés de leurs salariés qualifiés et réduits à encore plus de sous-développement.
La « pénurie » n'est donc pas objectivement établie, et les causes des tensions dans le recrutement ne sont qu'à peine évoquées ou carrément évacuées.
Nous entrons dans le troisième millénaire, avec toujours des ouvriers qui perdent la vie en la gagnant. J'en veux pour preuve les 732 morts au travail recensés en 1999. Pour la même année, le nombre d'accidents du travail s'élève à 1 350 000, en progression de 3,6 % sur 1998. Les jeunes sans formation suffisante sont souvent les plus touchés, il en est de même des intérimaires.
N'est-ce pas révélateur de conditions de travail pénibles et d'horaires épouvantables liés à la nature des contrats de travail proposés ?
Plutôt que chercher de ce côté, il est plus facile de crier à la « pénurie ».
Tout récemment, le Conseil économique et social vient de contester fortement ce discours, et vous n'en avez pas parlé, monsieur le rapporteur !
M. Alain Gournac, rapporteur. On ne peut pas parler de tout !
M. Roland Muzeau. M. Dominique Taddéi, président de la commission au Conseil économique et social, auteur d'un rapport sur la conjoncture à la fin de l'an 2000 intitulé Embellie et danger, a déclaré ceci : « J'affirme qu'il n'y a pas de pénurie de main-d'oeuvre mais des difficultés de recrutement. Ce n'est pas la même chose, et tant mieux si les entreprises ont des difficultés pour recruter, car cela signifie qu'il y a recrutement. Il s'agit alors d'apporter des réponses à ces difficultés. Des réponses en termes de formation, de conditions de travail et de salaires. De ce point de vue, la réduction du temps de travail ne doit plus servir de prétexte à la modération salariale. (...) Mais aujourd'hui, nous voyons bien que les entreprises, si elles doivent être bloquées dans leur croissance, c'est moins par manque de travail que par manque de capital, par déficit d'investissements ».
Il poursuit ainsi : « Cette conjoncture - qui s'est déjà traduite par une création d'emplois sans précédent - rend crédible la perspective d'une nouvelle société de plein emploi, définie par un taux élevé d'activité. Cele suppose notamment de compléter le soutien de la demande par le renforcement des capacités de production. Il importe tout autant de saisir cette embellie économique pour améliorer la situation sociale et, en premier lieu, intensifier la lutte contre la pauvreté ».
Il y a donc sans doute beaucoup à faire de ce côté-là, si l'on accepte de s'éloigner des canons patronaux de la baisse des charges pour faciliter l'embauche, comme il y certainement à faire du côté de la formation initiale.
Sur de dernier point, M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel vient d'alerter sur le gâchis que représente pour la société le forcing pratiqué par certains employeurs, qui débauchent les jeunes des lycées professionnels - qui ont déjà du mal à trouver des élèves ! - avant qu'ils aient eu leur diplôme. Il s'est engagé à rendre l'enseignement professionnel plus attractif pour les jeunes et à rencontrer les représentants patronaux de chaque branche pour leur demander combien de recrutements ils prévoient, à quel niveau de qualification, et ce qu'ils sont prêts à faire pour la rétribution des périodes de formation en entreprise.
Trop souvent, les aides à l'emploi et la formation en alternance permettent aux entreprises d'avoir une main-d'oeuvre à bas prix sans qu'elles assurent toujours une réelle formation des jeunes et la pérennité des emplois.
C'est pourquoi le groupe communiste a déposé une proposition de loi, qui vient d'être adoptée à l'Assemblée nationale et que nous aurons donc l'occasion de discuter ici même, tendant à créer une allocation d'autonomie pour les jeunes de seize à vingt-cinq ans. Cette création vise un double objectif : d'une part, créer un droit individuel de la formation initiale ou de la formation professionnelle, par l'attribution d'une allocation « autonomie » et, d'autre part, accompagner le projet personnel du jeune.
Voilà une série de pistes, qui, une fois explorées, devraient sûrement apporter des solutions rapides et concrètes aux questions soulevées par les difficultés de recrutement pouvant apparaître ici ou là.
Or, que nous propose, la majorité sénatoriale au travers de sa proposition de loi ? Un seul type de réponse, et c'est le même type de réponse que celle de la direction de Michelin, qui multiplie pressions, chantages, intimidations pour contraindre coûte que coûte les syndicats et les salariés à signer un accord ne respectant ni les objectifs de la réduction de la durée du travail ni les attentes des salariés du groupe.
Les actionnaires de Michelin veulent obtenir du Gouvernement 153 millions de francs par an d'allégements de cotisations, sans consentir aux contreparties nécessaires en termes d'abaissement de la durée réelle du travail, d'organisation du travail respectueuse des hommes et de création d'emplois.
L'allégement des charges sociales patronales, voilà la solution unique des théoriciens de l'économie libérale, pour créer des emplois comme pour faire face aux pénuries d'embauches ! Comme ces allégements existent déjà dans la loi sur les 35 heures, il faut aller encore plus loin !
Ainsi, Michelin, pour garder cet exemple, pourrait, grâce à M. Gournac, continuer à payer à 10 % les quatre premières heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures durant l'année 2003, au lieu des 25 % prévus au-delà des 35 heures dès l'année prochaine. Combien de millions de francs encore d'allégement cela ferait-il pour Michelin ?
Pendant deux décennies, on nous a expliqué qu'en abaissant le coût du travail on allait créer des emplois pour les chômeurs. Aujourd'hui, on nous dit que c'est pour faire face à la « pénurie » de la demande. Je vous laisse apprécier le glissement opéré !
Cependant, comment le fait de payer moins le travail supplémentaire des salariés déjà en poste pourrait-il résoudre les problèmes d'embauche ? Ce type de raisonnement est ahurissant !
Le lien entre la réduction du temps de travail et les difficultés de recrutement n'est pas plus établi que les prétendues pénuries de main-d'oeuvre. L'étude des fichiers de l'ANPE comme l'enquête sur l'emploi de l'INSEE fondent la DARES à démontrer que « les relations entre l'importance de la RTT et l'intensité des difficultés de recrutement sont très lâches ».
Tous les cas de figures existent.
En outre, comme le reconnaît d'ailleurs la commission, un bon accord de réduction du temps de travail, ou RTT, permet d'améliorer l'image dégradée de certaines professions aux conditions de travail difficiles.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui!
M. Roland Muzeau. Le passage aux 35 heures peut alors constituer un élément attractif aux yeux des demandeurs d'emplois.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. Roland Muzeau. De la même façon, nous devrions répondre dès aujourd'hui aux défis que représentera le départ, dans les dix ans à venir, de 43 % des fonctionnaires. Si vous ne voulez pas décevoir les Français, il faut dès maintenant penser à former des infirmières, des enseignants, des policiers, des juges pour répondre aux immenses besoins déjà exprimés.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est au Gouvernement de le faire !
M. Alain Gournac, rapporteur. C'est au Gouvernement qu'il faut le dire !
M. Roland Muzeau. Eh oui ! il va falloir embaucher des fonctionnaires, et je sais combien cela irrite la majorité sénatoriale ! Mais vous n'y pourrez rien, vos électeurs aussi l'exigent !
Je veux être optimiste, car je sais qu'il existe des employeurs nombreux et suffisamment lucides pour considérer que le marché du travail s'est modifié et qu'il reste beaucoup de progrès à faire pour améliorer les politiques de recrutement et ne pas prendre trop au pied de la lettre la notion de « pénurie de main-d'oeuvre ». Bref, ils sont assez lucides pour ne pas se laisser manipuler par la volonté de domination dans les rapports sociaux affichée par le MEDEF.
Je veux être optimiste et penser que, au-delà de nos différences d'analyse, mes collègues, soucieux de l'intérêt général, des progrès sociaux engagés par notre pays et estimant que « pénurie », difficultés et goulets d'étranglement n'ont pas le même sens et ne sont pas de même nature, n'accepteront pas ce texte par trop partisan dans ses attendus comme dans ses propositions.
Je veux être optimiste, car je connais la volonté du Gouvernement de faire appliquer les 35 heures.
M. Alain Gournac. On verra bientôt ! Vous serez peut-être déçus !
M. Roland Muzeau. D'ailleurs, la semaine dernière, dans cette enceinte, Mme Ségolène Royal a réaffirmé que l'application des 35 heures avait déjà fait l'objet d'aménagements et qu'il n'était pas question d'en prévoir de nouveaux.
M. Alain Gournac. Ne vous avancez pas trop !
M. Roland Muzeau. Les Français aspirent aujourd'hui, à la faveur d'une conjoncture économique plus favorable, à de meilleures conditions de travail, à des salaires plus élevés et à plus de temps libre.
L'évolution de la société va dans ce sens. Vous devrez prendre cette réalité en compte à l'avenir.
« Dans cette marche au plein emploi », explique encore M. Dominique Taddéi, « l'embellie économique ne trouve pas son compte sur le plan social. Pauvreté, exclusion, précarité, inégalités, il faut une action volontariste de l'Etat, il faut durcir les conditions d'utilisation par les entreprises des contrats à durée déterminée, de la précarité. La lutte pour le plein emploi est inséparable de la lutte contre la pauvreté. Il faut un plan pluriannuel à la fois de relèvement des minima sociaux et d'éradication de la pauvreté en France ». Ce rapport, je le rappelle, a été adopté à l'unanimité des organisations syndicales, ce qui devient rare au sein du Comité économique et social.
Le groupe communiste républicain et citoyen souhaite affirmer son opposition résolue à ce texte rétrograde et demande donc au Sénat d'adopter, par scrutin public, cette motion.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Le point de vue de la commission des affaires sociales est, bien sûr, très différent de celui que nous venons d'entendre exprimer, car refuser de débattre...
M. Roland Muzeau. Nous ne refusons pas de débattre !
M. Alain Gournac, rapporteur. Si ! Opposer la question préalable signifie bien que l'on estime qu'il n'y a pas lieu de débattre. Or je crois que nous devons au contraire débattre de tous les sujets dans cette assemblée !
Il a été dit qu'il était indécent d'évoquer l'idée qu'il puisse y avoir des pénuries de main-d'oeuvre, mais je confirme que tel est bien le cas, et je vais en donner rapidement quelques exemples.
Ainsi, dans le département du Pas-de-Calais, à Montreuil, l'entreprise Ducrocq, spécialisée dans la chaudronnerie, cherche désespérément des tourneurs, des fraiseurs, des assembleurs et des dessinateurs. De même, l'entreprise SPMM, localisée à Calais et spécialisée dans la maintenance de la chaudronnerie marine, se trouve aujourd'hui dans l'impossibilité de trouver des chaudronniers et des tuyauteurs.
Dans la Somme, à Amiens, on a attiré mon attention sur la situation de l'entreprise OPF, sous-traitant d'Airbus, qui refuse des commandes depuis le mois d'octobre, faute de pouvoir augmenter ses effectifs.
Cette contrainte de production se retrouve également dans la Nièvre. L'entreprise Geoffroy SA - je vous fournis les noms des entreprises pour que vous puissiez les contacter - spécialisée dans la chaudronnerie, et l'entreprise Electromécanique de Bourgogne, spécialisée dans la maintenance, estiment que les 35 heures les empêchent d'accepter des commandes et entraînent une réduction de leur chiffre d'affaires.
En Savoie, la société Braillon Magnétique, filiale d'un groupe américain, vient d'apprendre qu'une partie importante de ses activités sera délocalisée dans les pays de l'Est. C'est sans doute une bonne chose pour l'emploi en France !
N'en déplaise à certains de nos collègues, il y a donc bien aujourd'hui, dans notre pays, des problèmes de main-d'oeuvre liés à des « désajustements » sectoriels du marché du travail.
Une enquête sur la capacité d'attraction de la France, publiée le mois dernier, a d'ailleurs confirmé cette analyse en révélant que 65 % des entreprises multinationales interrogées ne choisiraient pas la France pour implanter un nouvel investissement et que 44 % d'entre elles envisageraient de délocaliser une partie de leurs activités.
M. Roland Muzeau. C'est de l'intox !
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous l'aurez compris, mes chers collègues, la commission des affaires sociales ne peut donc qu'être défavorable à l'adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je pense avoir suffisamment exposé la position du Gouvernement lors de la discussion générale pour ne pas avoir à m'exprimer sur cette motion.
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
M. Michel Esneu. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Esneu.
M. Michel Esneu. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux PME, à l'artisanat et à la consommation, a déclaré hier, devant l'assemblée générale des chambres de métiers, que le Gouvernement réfléchissait à des mesures d'accompagnement pour aider les PME à appliquer la loi relative à la réduction négociée du temps de travail et se penchait notamment sur la question des heures supplémentaires et du coût de celles-ci. Il a ainsi confirmé, faisant suite à la volonté affichée par le Premier ministre le mois dernier, que le Gouvernement était effectivement prêt à envisager des assouplissements à l'application des 35 heures dans les PME.
En outre, plusieurs orateurs ont rappelé cet après-midi, dans cet hémicycle, la réalité des difficultés de recrutement que rencontrent un nombre croissant d'entreprises. Comme je l'ai déjà indiqué lors de la discussion générale, l'ANPE travaille avec des indicateurs précis et incontestables : les taux de tension, c'est-à-dire le rapport entre le nombre de demandeurs d'emploi inscrits et le nombre d'offres d'emploi reçues par l'ANPE sur une même période. Or, les secteurs où les taux de tension sont négatifs sont de plus en plus nombreux. N'en déplaise à certains, ce sont là des faits constatés, indéniables et qui n'ont rien à voir avec l'idéologie.
Enfin, dans le rapport du conseil d'analyse économique qui vient d'être publié récemment, M. Pisani-Ferry souligne ces difficultés de recrutement, qu'il qualifie de précoces et préoccupantes.
Au vu de ce constat, la proposition de loi dont M. Alain Gournac et les présidents des groupes de la majorité sénatoriale ont pris l'initiative va exactement dans le sens des assouplissements nécessaires. Dans ces conditions, on peut considérer qu'un accord sur ces dispositions pourrait fort bien être trouvé avec le Gouvernement.
Or, au travers de leur motion, nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen reprochent à ce texte de n'être inspiré que par des motivations étroitement idéologiques et d'être fondé sur une mauvaise appréciation de la situation réelle de l'emploi.
Les membres de notre groupe sont d'une opinion tout à fait opposée. M. Alain Gournac vient de nous exposer en détail le contenu des propositions d'assouplissement relatives au coût et au nombre des heures supplémentaires prévues par le texte : il s'agit de ne pas pénaliser les entreprises, notamment les PME, au moment du passage aux 35 heures, en alourdissant brutalement leurs charges salariales.
Cette mesure n'est pas idéologique et part d'un constat établi par des autorités incontestables. Le groupe du Rassemblement pour la République estime donc qu'il est fait un mauvais procès à cette proposition de loi et votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Je voudrais dire à notre collègue Roland Muzeau que sa déclaration comporte tout de même un certain nombre d'éléments difficilement compréhensibles, voire totalement paradoxaux.
En effet, on ne peut faire le procès de ces vingt dernières années sans rappeler, mon cher collègue, que, au cours de cette période, le groupe auquel vous appartenez a fait partie de la majorité pendant quatorze ans. Qu'avez-vous fait au long de ces années ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Perte de mémoire !
M. Pierre Hérisson. Si, après les difficultés qu'a connues notre pays et le drame qu'a constitué le chômage pendant de nombreuses années, vous connaissez des personnes qui refusent de travailler dans les entreprises qui ont été citées par notre collègue Alain Gournac au seul motif que les conditions de travail et les rémunérations n'y seraient pas satisfaisantes, présentez-les-nous !
M. Alain Gournac, rapporteur. Oui !
M. Pierre Hérisson. Nous nous efforcerons de leur expliquer que la réalité des choses, dans ces entreprises, n'est pas tout à fait telle que vous l'avez décrite.
Par ailleurs, les grandes entreprises publiques connaissent elles aussi des pénuries de personnels. Croyez-vous véritablement qu'elles offrent des conditions de travail et des rémunérations inacceptables et que le recours au travail précaire y soit organisé ? Si cela est vrai, que faites-vous pour remédier à cette situation ? On ne peut pas en permanence dire tout et son contraire !
Enfin, je souhaiterais que l'on puisse engager une véritable réflexion sur la formation professionnelle et l'apprentissage. A l'heure actuelle, plus on confie à l'éducation nationale la mission d'assurer la formation professionnelle et de gérer l'apprentissage dans notre pays, moins les centres de formation professionnelle ou de formation d'apprentis sont fréquentés ! Un véritable problème se pose à cet égard, que nous devrons, après l'avoir analysé, avoir la franchise de dénoncer.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par la commission et acceptée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 31:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 94
Contre 225

Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le V de l'article 5 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail est ainsi rédigé :
« V. - Pendant les quatre premières années civiles au cours desquelles la durée hebdomadaire est fixée à trente-cinq heures, chacune des quatre premières heures supplémentaires effectuées donne lieu à la bonification prévue au premier alinéa du I de l'article L. 212-5 du code du travail au taux de 10 %. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Le VIII de l'article 5 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 précitée est ainsi rédigé :
« VIII. - Le seuil défini au troisième alinéa de l'article L. 212-6 du code du travail est fixé à trente-sept heures pour les années 2001 et 2002. Lorsque l'entreprise fait application d'une convention ou d'un accord mentionné à l'article L. 212-8 du même code, ce seuil est fixé à 1 690 heures pour les années 2001 et 2002. Pour les entreprises pour lesquelles la durée du travail a été fixée à trente-cinq heures à compter du 1er janvier 2002, ces seuils sont applicables en 2002, 2003 et 2004. Ces dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 2001. » (Adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Dans la première phrase du premier alinéa, ainsi que dans le troisième alinéa, de l'article L. 212-51 du code du travail, le mot "dix" est remplacé par le mot : "vingt". »
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Mon intervention liminaire présentait les éléments justifiant la préconisation du rejet des deux premiers articles de la proposition de loi.
En ce qui concerne l'article 3, je souhaiterais faire très brièvement un petit historique.
La loi du 19 janvier 2000 a déjà pris en compte la situation spécifique des PME au travers de la mise en place de dispositifs transitoires en matière d'heures supplémentaires.
Il apparaît toutefois nécessaire de reconnaître la particularité des très petites entreprises, dont les caractéristiques diffèrent de celles des PME. A cet égard, je souligne que la loi du 19 janvier 2000, comme la première loi du 13 juillet 1998, a confirmé le régime spécifique dont bénéficient de longue date les très petites entreprises de dix salariés au plus en matière d'heures supplémentaires, et plus précisément pour l'application du repos compensateur. Ce régime adapté n'a pas été institué par les lois relatives à la réduction négociée du temps de travail ; il s'agit en effet de dispositions anciennes, datant de 1976, modulant pour cette catégorie très particulière d'entreprises la politique de dissuasion de la pratique des horaires longs. Elles ont été confortées par la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle du 20 décembre 1993, qui a durci le régime du repos compensateur tout en laissant sagement subsister le régime propre aux entreprises de dix salariés au plus.
Par conséquent, c'est un équilibre ancien, désormais stabilisé depuis de nombreuses années, qui serait modifié par l'adoption de cet article, auquel je ne puis donc être favorable.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du texte, je donne la parole à M. Hérisson, pour explication de vote.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste approuve cette proposition de loi particulièrement pragmatique et opportune concernant le régime des heures supplémentaires.
Ce texte est motivé par la pénurie de main-d'oeuvre que nous constatons tous les jours dans nos départements. Cette pénurie est le résultat de plusieurs phénomènes, en particulier l'inadéquation des formations et l'embellie économique que connaissent les pays industriels depuis quelques années. Le marché du travail n'est manifestement pas en mesure de répondre convenablement aux besoins des petites et moyennes entreprises en matière d'emploi.
Afin d'améliorer la situation, des réformes d'envergure ne peuvent pas attendre : je pense à la réforme de l'apprentissage, lequel reste insuffisamment développé. De même est-il indispensable de renforcer de l'attractivité des revenus d'activité. Le salaire direct n'est pas assez élevé dans notre pays, du fait de la lourdeur des charges sociales. Dans l'attente de ces réformes, des mesures urgentes doivent être prises afin, notamment, d'assouplir le régime des heures supplémentaires.
Un certain nombre de responsables d'organisations professionnelles, mais aussi de syndicats de salariés, se sont exprimés récemment dans ce sens...
M. Roland Muzeau. Ah bon !
M. Pierre Hérisson. ... au-delà de tout parti pris idéologique, mon cher collègue. Plusieurs de ces responsables ont été d'ailleurs auditionnés par la commission des affaires sociales, ces derniers jours.
En conclusion, je félicite évidemment notre collègue et ami Alain Gournac pour l'excellent travail qu'il a réalisé, ainsi que le président de la commission. Il est parvenu à bâtir un texte réaliste et équilibré ; le groupe de l'Union centriste le votera.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 44 (2000-2001).

(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Allouche.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

OUVERTURE À LA CONCURRENCE
DES SERVICES POSTAUX
DE LA COMMUNAUTÉ

Adoption d'une proposition de résolution
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 122, 2000-2001) de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de résolution (n° 89, 2000-2001) de MM. Gérard Larcher, Pierre Hérisson, Paul Girod, François Trucy, Louis Althapé et Philippe Adnot, présentée en application de l'article 73 bis du règlement sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la communauté (n° E-1520).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que le Sénat, au travers de la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui, s'exprime dans le débat européen sur les services postaux le jour même de la séance plénière du Parlement européen sur ce sujet. Nous l'avions déjà fait en mai 1996, lors de l'examen de ce qui allait devenir la directive du 15 décembre 1997, qu'il est aujourd'hui proposé de modifier. Notre assemblée marque ainsi, une nouvelle fois, son attachement à ce grand service public.
La libéralisation graduelle du secteur postal a été lancée en 1989, au sommet informel d'Antibes, sous présidence française, M. Paul Quilès étant le ministre français en exercice. Cette volonté a été constamment réaffirmée depuis, par tous les gouvernements, jusqu'au sommet de Lisbonne en mars 2000, où les chefs d'Etat et de Gouvernement des Quinze ont demandé, à l'unanimité, la poursuite de la libéralisation dans le secteur postal. La Commission européenne a présenté le 30 mai 2000 la proposition dont nous sommes saisis.
La directive de 1997, qui était, déjà, un compromis, programmait une deuxième étape : en application de son article 27, elle deviendra caduque au 1er janvier 2005, sauf si une nouvelle directive postale entre en vigueur, au plus tard le 1er janvier 2003. En cas de caducité, la Commission européenne pourrait, en vertu du droit européen, imposer unilatéralement de nouvelles règles pour le bon fonctionnement de la concurrence sur le marché communautaire.
L'adoption d'une nouvelle directive par le Parlement et le Conseil, dans le cadre de la révision de la directive du 15 décembre 1997, est donc souhaitable.
Permettez-moi d'insister, tout d'abord, sur ce qui ne change pas dans la proposition de directive, car cela me paraît fondamental. Le service universel postal, sa définition, son périmètre, son aptitude à être enrichi au fur et à mesure de l'évolution du secteur ne sont pas modifiés.
Ces dispositions de la directive de 1997 ont d'ailleurs été introduites en droit français par le Gouvernement dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999, qui dispose que « le service universel postal concourt à la cohésion sociale et au développement équilibré du territoire ». Régi par les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, ainsi que par la recherche de « la meilleure efficacité économique et sociale », le service universel postal garantit, en vertu de la loi, à tous les usagers, « de manière permanente et sur l'ensemble du territoire », des services postaux « répondant à des normes de qualité déterminées », à des « prix abordables » pour tous les utilisateurs du territoire.
Si le Sénat s'était opposé à la méthode de transposition retenue - un cavalier gouvernemental, je le rappelle - la commission spéciale et le rapporteur, M. Gérard Larcher, n'avaient rien trouvé à redire au contour du service universel postal. Vous vous étiez, quant à vous, monsieur le secrétaire d'Etat, félicité de l'introduction, sur l'initiative du Gouvernement, de cette notion en droit français.
La proposition de directive ne remet pas en cause le service universel postal.
Pour financer les obligations de service universel, deux instruments sont possibles : d'une part, un fonds de compensation, faculté déjà prévue par la législation de six Etats membres, mais pas encore utilisée en France ; d'autre part, des services « réservés », c'est-à-dire exercés sous monopole. C'est d'ailleurs un principe admis dès 1993 par la Cour de justice, dans le fameux arrêt « Corbeau ».
Ce sont ces « services réservés » à l'opérateur du service universel que la commission propose de baisser, en deux étapes.
D'ici à 2003, ils seraient abaissés de trois cent cinquante grammes ou cinq fois le tarif de base à cinquante grammes et deux fois et demie le tarif de base. Parallèlement, toutes les limites de poids et de prix seraient supprimées en ce qui concerne le courrier transfrontalier sortant et le courrier express. En outre, des « services spéciaux » seraient définis, qui ne pourraient entrer dans le périmètre des services réservés.
L'étape ultérieure proposée par la Commission, pour laquelle la décision devrait intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, prendrait effet au 1er janvier 2007 ; il s'agirait d'une nouvelle restriction des « services réservés », dont l'ampleur serait déterminée par le Parlement européen et le Conseil, sur proposition de la Commission, présentée avant le 31 décembre 2004.
On nous dit qu'un compromis se dégagera d'ici au conseil des ministres du 22 décembre, autour d'une libéralisation plus maîtrisée que ce que propose la Commission. Ne crions tout de même pas victoire trop vite : six Etats membres acceptent le degré de libéralisation proposé par la Commission ou souhaitent ouvrir encore davantage le marché : il s'agit de l'Allemagne, du Danemark, de l'Autriche, de la Finlande, des Pays-Bas et de la Suède, soit 29 voix sur les 87 du Conseil, la minorité de blocage étant de 26, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cinq Etats membres demandent que soit fixée une date pour la libéralisation totale du marché postal, allant au-delà du scénario envisagé par la Commission. Il s'agit de l'Autriche, de l'Allemagne, de la Finlande, des Pays-Bas et de la Suède, soit 26 voix sur 87, ou encore le seuil de la minorité de blocage.
Il reste donc plus de chemin à parcourir qu'on ne le dit parfois, même si le vote, ce matin, du Parlement européen est plutôt favorable aux thèses défendues par la présidence française.
Les députés européens ont notamment adopté les amendements de la Commission saisie au fond demandant la suppression de la notion de services spéciaux, la fixation de nouvelles limites de poids et de prix des services réservés à cent cinquante grammes et quatre fois le tarif de base, et la suppression de l'étape de libéralisation de 2007.
Cette position a d'ailleurs sensiblement infléchi la tonalité du discours de certains opposants français aux propositions Bolkestein. Plusieurs prises de position étaient, en effet, initialement très favorables au maintien pur et simple du statu quo et refusaient d'envisager - malgré les conclusions unanimes du sommet de Lisbonne et l'engagement constant de la France depuis 1989 - toute libéralisation, même modérée. Depuis, les rangs des tenants d'un compromis se sont brusquement étoffés. Je note, par exemple, que la résolution de l'Assemblée nationale, devenue définitive après la réunion de la commission de la production et des échanges du 29 novembre, épouse trait pour trait la position de la commission de la politique régionale du Parlement européen, établie le 22 novembre dernier.
Dans le cadre de la codécision, il faut réunir 62 voix sur 87 au Conseil pour statuer à la majorité qualifiée, et les Quinze ne peuvent adopter qu'à l'unanimité des amendements du Parlement européen auxquels s'opposerait la Commission européenne. Le jeu reste donc encore largement ouvert.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la commission des affaires économiques vous demande aujourd'hui de modérer le rythme d'ouverture à la concurrence par rapport à ce que propose la Commission européenne.
Pourquoi ? Est-ce par suivisme, par protectionnisme ou parce que nous pensions que le service public et la concurrence sont incompatibles ? Evidemment non !
Les débats sur les télécommunications, en 1996, et sur l'électricité, en mars dernier, sont là pour nous prouver que la libéralisation peut s'accompagner d'un enrichissement du service public - je pense au droit à l'électricité pour tous, que vous avez défendu - d'une garantie de ses principes essentiels - je pense, par exemple, à la péréquation géographique des tarifs de raccordement, d'abonnement et de consommation, légalement consacrée dans ces deux secteurs - d'un financement des charges de service public par des fonds mutualisés, - je pense aux fonds du service universel des télécommunications, actuellement défendu, à juste titre, par le Gouvernement à Bruxelles, au fonds de la production de l'électricité, au fonds de péréquation de l'électricité - et même d'un financement par la collectivité des missions d'intérêt général ne relevant pas stricto sensus du service public - c'est, par exemple, le cas du soutien des cogénérateurs par EDF.
Le traité d'Amsterdam a reconnu la fonction essentielle des services d'intérêt économique général en Europe, et la Commission européenne vient de publier une communication sur les services d'intérêt général en Europe, qui sont, en langage communautaire, nos services publics.
Ces orientations ont été approuvées par le Conseil européen au sommet de Nice du 7 au 10 décembre. Nous avons d'ailleurs intégré à notre résolution initiale un amendement de M. Trémel et des membres du groupe socialiste y faisant référence.
Mais la concurrence requiert des adaptations : il faut établir notamment la vérité des coûts du service universel et des charges d'intérêt général pour en organiser le financement et instaurer la transparence comptable. Nous attendons d'ailleurs toujours, monsieur le secrétaire d'Etat, le décret sur la comptabilité et les obligations de La Poste, prévu par la loi du 25 juin 1999, adoptée en urgence. Le Gouvernement aurait-il une conception sélective de l'urgence, qui s'applique aux travaux du Parlement, mais pas aux siens ?
Je pense, ainsi que plusieurs de mes collègues signataires de la proposition de résolution, qu'il faut aussi moderniser le statut de l'opérateur, sans toucher à celui des personnels, comme pour France Télécom en 1996 et comme cela est actuellement envisagé pour Gaz de France.
Pour une fois, je citerai les propos de M. Laurent Fabius, parus dans le Monde, le Figaro, les Echos, l'Humanité, Valeurs actuelles, La Tribune et Libération le 1er décembre dernier : « Concilier compétitivité industrielle et service public à la française, ce peut être deux fois privilégier ce qui marche. C'est dans ce cadre qu'avec pour objectif un projet industriel social et ambitieux nous serons ouverts à faire évoluer, le moment venu, le statut de GDF. » Je souscris pleinement à cette analyse ! Nous ne demandons rien d'autre pour La Poste !
Je ne parle même pas de la compagnie Air France, pour laquelle le Gouvernement est en train de sélectionner, selon le Financial Times du 12 décembre, une banque d'affaires en vue d'un accord avec Alitalia, ni des dizaines de milliards de francs de recettes de privatisation encaissées depuis 1997. Nous n'en demandons pas tant pour La Poste, monsieur le secrétaire d'Etat !
A ceux qui tenteraient, pour masquer leur immobilisme, de nous taxer « d'ultralibéraux privatiseurs », je rappellerai que le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 exclut toute privatisation des services publics, c'est-à-dire la détention par l'Etat de moins de 50 % du capital, il n'est question que de sociétisation.
Il n'est pas envisagé de toucher au statut des postiers. Mais il me semble que ces derniers ont droit à un langage de vérité. Il y va de notre responsabilité, monsieur le secrétaire d'Etat.
La presse indique ce matin que La Poste serait candidate au rachat de 25 % du capital de la poste grecque : les mérites de la sociétisation ne valent-ils qu'en dehors de nos frontières ? Vérité en deçà de la mer Egée, erreur au-delà ?
La directive de 1997, grâce au compromis Kohl-Chirac intervenu au sommet de Dublin en 1996, nous laissait le temps de cette adaptation.
Le Gouvernement allemand l'a très bien compris et a parfaitement utilisé ce délai. En France, qu'avons-nous fait de ce répit ?
Aucune des réformes de structure que nous réclamons dans nos rapports d'information depuis 1997 n'ont été entamées, qu'il s'agisse de l'adaptation de la forme juridique de La Poste, qu'il s'agisse de la solution de financement des retraites - 22 milliards de francs à débourser en 2015, ce qui représente une charge cumulative de 360 milliards de francs pour les années qui viennent - qu'il s'agisse de la compensation du coût de l'aménagement postal du territoire - pour un surcoût de 3,8 milliards de francs en 2000 - qu'il s'agisse de la charge du transport postal de la presse - soit 3,1 milliards de francs par an, financés par La Poste - ou qu'il s'agisse du coût de l'accueil des plus démunis aux guichets financiers de La Poste - pour un surcoût annuel de 1,5 milliard de francs.
Nous avons fait de nombreuses propositions argumentées sur tous ces sujets, mais nous n'avons pas été entendus. Bien plus, alors que nous réclamons, depuis 1997, une loi postale qui nous fut, un temps, promise par le Gouvernement, que nous a-t-on finalement proposé ?
Le Gouvernement a proposé un cavalier législatif à la loi d'aménagement et de développement durable du territoire et une habilitation à légiférer par ordonnances, laquelle a d'ailleurs été unanimement refusée en commission mixte paritaire le 12 décembre dernier !
Pendant ce temps, les problèmes restent en suspens et des transferts de charges inavoués ont lieu vers les communes pour le financement du réseau.
Ce n'est pas le contrat de plan, conclu dans un dialogue singulier entre l'établissement et sa tutelle, qui pourra trancher des questions aussi essentielles pour l'avenir de La Poste et l'aménagement du territoire !
A cause de l'immobilisme qui prévaut, en France, au regard de l'enjeu postal, la concurrence peut déstabiliser La Poste.
C'est l'unique raison pour laquelle la proposition de résolution vise à modérer l'ouverture à la concurrence, en neutralisant la définition des « services spéciaux » de façon qu'ils ne puissent porter atteinte à la possibilité d'enrichir, à l'avenir, le contenu du service universel postal.
L'article 5 de l'actuelle directive, que la commission ne propose pas de modifier, dispose que le service universel postal « doit pouvoir évoluer en fonction de l'environnement technique, économique et social, ainsi que des besoins des utilisateurs ». Il s'agit de marquer notre attachement à ce principe, en précisant que toute éventuelle définition des « services spéciaux » ne contredit pas cet article fondamental de la directive.
Il est ensuite proposé d'élargir le périmètre des services réservés par rapport aux propositions de la Commission européenne, en portant à 150 grammes et à trois fois le tarif de base les seuils de poids et de prix des services postaux réservés aux opérateurs de service universel et en incluant dans ces seuils le courrier transfrontalier.
Il s'agirait, dans ce cas, d'exposer 4 milliards de francs de chiffre d'affaires à la concurrence, contre 11 milliards de francs avec les propositions de la Commission européenne et moins de 3 milliards de francs avec la proposition du Parlement européen et de l'Assemblée nationale.
Je terminerai, monsieur le secrétaire d'Etat, en soulignant que la proposition de résolution ne remet pas en cause le principe d'une deuxième étape de libéralisation, qui interviendra après 2007. Cette étape répond en effet à une demande très forte des clients de La Poste et ouvrira à terme des opportunités pour La Poste sur les marchés européens.
Considérons le développement international de France Télécom depuis 1996 ou celui d'Electricité de France ces deux dernières années ! Faisons confiance à notre opérateur, qui, une fois remusclé, pourra affronter la concurrence et n'oublions pas que la perpétuation du monopole fait, paradoxalement, le jeu de la poste allemande, qui dispose, grâce aux revenus du monopole sur le premier marché d'Europe, des moyens de financer une croissance externe fulgurante.
Le texte de la proposition de résolution m'apparaît en définitive équilibré : il refuse la libéralisation à marche forcée, tout comme l'immobilisme, qui serait, à mon sens, également néfaste à la poste française. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, Gérard Larcher, Pierre Hérisson, François Trucy, Paul Girod et Louis Althapé ont eu une excellente initiative en présentant la proposition de résolution sur les services postaux européens que nous discutons aujourd'hui.
Cette proposition a, en effet, un double mérite.
Tout d'abord, elle permet au Sénat de prendre position sur un projet de directive européenne établi par la Commission le 30 mai dernier et qui sera, à titre principal, négocié par le Gouvernement, la prochaine étape étant le Conseil des ministres du 22 décembre prochain.
Il est en effet important que la représentation nationale fasse connaître son analyse, le plus en amont possible, sur la norme communautaire, à l'élaboration de laquelle elle ne participe pas directement.
Ensuite, cette proposition de résolution nous permet une nouvelle fois de vous alerter, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la nécessité d'ouvrir un large débat sur l'avenir de La Poste.
Ce débat, la commission des affaires économiques n'a eu de cesse de le demander depuis 1997, comme elle n'a eu de cesse de vous demander une loi d'orientation sur La Poste.
Or, maintenant, les échéances se rapprochent et nos craintes augmentent car, monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'avez pas préparé La Poste à l'ouverture, depuis longtemps annoncée, du marché des services postaux.
Je pense inutile de revenir sur l'objet de cette proposition de résolution, qui est de répondre à l'urgence de la situation, tout en protégeant l'avenir de La Poste. En prévoyant une ouverture partielle du marché pour 4 milliards de francs du chiffre d'affaires de La Poste, et non de 11 milliards de francs, comme le propose la Commission européenne, elle atteint cet objectif.
Notre collègue Pierre Hérisson a très précisément analysé le texte que nous discutons et ses enjeux. Je n'ajouterai donc rien à ce propos.
En revanche, j'insisterai sur deux sujets qui nous préoccupent.
Le Gouvernement ne semble pas vouloir ouvrir le débat sur l'avenir de La Poste, alors que les autres postes européennes, qui sont aussi nos concurrentes, préparent leur avenir avec détermination et s'organisent en conséquence.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les services postaux évoluent aujourd'hui dans un environnement qui connaît de profonds bouleversements : d'une part, les techniques changent, qu'il s'agisse des nouvelles technologies de l'information, du marché de l'express ou des colis ; d'autre part, le marché devient de plus en plus concurrentiel, comme l'attestent les évolutions récentes d'autres postes européennes, que ce soit la Deutsche Post allemande, le TNT Post Group hollandais ou la poste britannique.
Notre entreprise nationale ne peut continuer d'ignorer cet environnement et de s'isoler ; il faut, au contraire, que sa tutelle, c'est-à-dire le ministère de l'industrie, lui donne les moyens de son expansion.
Le retard que vous êtes en train de faire prendre à La Poste risque, finalement, de se retourner contre elle : si La Poste ne peut pas se préparer à la concurrence et se développer sur des marchés porteurs, elle n'aura pas les moyens financiers nécessaires pour maintenir un service public auquel nous sommes tous très attachés.
Or, force est de constater que le Gouvernement fait preuve d'une grande frilosité lorsqu'il s'agit du dossier postal.
Tout d'abord, vous laissez passer votre chance. A ce titre, je rappellerai que, en décembre 1996, au sommet de Dublin, l'initiative commune du Président de la République et du Chancelier avait permis d'obtenir un répit pour La Poste puisque la date butoir de la réduction des monopoles était repoussée de 1998 à 2003.
Ce répit aurait du être conçu comme une période d'adaptation pour La Poste. C'est d'ailleurs ce qu'a parfaitement compris la poste allemande, qui s'est résolument engagée dans la voie de la réforme et qui est devenue une entreprise extrêmement compétitive.
La conséquence de ce dynamisme est simple : au niveau communautaire, l'alliance entre la France et l'Allemagne n'est plus possible et notre pays risque de se trouver isolé, alors que sept Etats membres ont déjà largement transposé la directive de 1997 et que dix postes sur quinze ont le statut de société anonyme.
Vous laissez donc passer dangereusement le temps, monsieur le secrétaire d'Etat, et quand le Gouvernement légifère, comme le rappelait M. le rapporteur, c'est en catimini : vous transposez une partie de la directive de 1997 par voie d'amendement, à la va-vite, dans le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, ou bien vous tentez de légiférer par ordonnances en privant le Parlement de toute discussion, comme je le dénonçais récemment en tant que rapporteur du projet de loi autorisant le Gouvernement à transposer une soixantaine de textes européens par ordonnances.
Finalement, il y a tout lieu de conclure que l'objectif du Gouvernement est bien d'escamoter le débat en refusant d'aborder la question de la modernisation de La Poste.
Certes, le dossier est complexe. Certes, les prochaines échéances électorales poussent à la prudence. Mais sont-ce des raisons suffisantes pour sacrifier une de nos principales entreprises sur l'autel de l'idéologie ?
Je crois, au contraire, qu'il est grand temps de préparer l'avenir de La Poste, sans tabou ni préjugé. Plusieurs de nos partenaires l'ont déjà compris, ce qui devrait nous montrer le chemin à suivre.
Les autres postes européennes n'ont pas attendu pour s'engager dans la voie de la réforme ; il faut reconnaître qu'elles ont maintenant une longueur d'avance sur la poste française.
Il en est surtout ainsi de la poste allemande, dont la mutation spectaculaire mérite notre attention. Et ce n'est pas de l'admiration que j'exprime en l'occurrence, c'est plutôt une inquiétude.
Dès 1994, la transformation de l'entreprise était définie autour de trois priorités : adaptation du statut, réorganisation du réseau, évolution du statut du personnel.
Pour financer cette véritable révolution, le gouvernement allemand a autorisé la Deutsche Post à augmenter le prix du timbre. Ce n'est pas forcément une bonne solution, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. C'est le timbre le plus cher d'Europe !
M. Ladislas Poniatowski. Puis, en 1995, l'entreprise a été transformée en société anonyme, ce qui lui a permis de lever des capitaux sur les marchés financiers.
Cinq ans plus tard, en novembre dernier, la poste allemande entrait en bourse, traduction d'une expansion rapide et solide.
Le bénéfice de l'entreprise dépasse désormais les 10 milliards de francs ; elle a réalisé cette année près de quarante acquisitions pour un montant d'environ 50 milliards de francs, son dernier succès, et non le moindre, étant le rachat de DHL.
Si, il y a cinq ans, Deutsche Post faisait encore jeu égal avec la poste française, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Deutsche Post est devenue un géant du secteur, intervenant dans le monde entier.
Mes chers collègues, on comprend alors aisément que le compromis de Dublin ne se répétera pas : l'Allemagne est devenue la première poste européenne ; elle joue maintenant le jeu de l'ouverture des marchés, car elle y est gagnante. Elle a objectivement intérêt à ce que la poste française reste cantonnée dans son monopole et continue de s'essoufler. Il faut en être conscient.
En outre, si l'Allemagne a désormais des intérêts divergents de ceux de la France, elle peut trouver des appuis auprès d'autres pays européens. Ainsi, les futurs Etats qui vont prendre en charge la présidence de l'Union européenne après la France sont des fervents partisans des propositions très libérales de la Commission européenne. Il s'agit de la Suède, jusqu'en juillet 2001 ; puis ce sera le tour de l'Espagne et du Danemark en 2002, qui ne sont pas à nos côtés sur ce sujet.
Dans ce contexte, la France paraît à la traîne des autres postes européennes. Même si La Poste est une entreprise qui se porte bien, elle n'a pas la marge de manoeuvre suffisante pour développer ses capacités d'investissement.
Dès lors, je vous pose la question, monsieur le secrétaire d'Etat : peut-on financer les missions de service public si l'on ne donne pas à La Poste les moyens de se défendre et d'être compétitive sur d'autres secteurs ?
A trop différer les ajustements nécessaires, comme vous le faites, La Poste devra se contenter d'un rôle de second rang par rapport à ses concurrents qui auront su prendre le train des réformes à temps.
Nous savons que, par principe - je devrais plutôt dire par ménagement de sa majorité plurielle -, le Gouvernement est opposé à l'ouverture à la concurrence des marchés. Après une transposition tardive et a minima de la directive sur l'électricité, vous n'avez toujours pas amorcé la transposition de la directive sur le gaz, qui aurait dû entrer en vigueur en août dernier, monsieur le secrétaire d'Etat.
Il en est de même pour La Poste, que vous cantonnez dans un passé illusoirement protégé en prenant le risque de la voir livrée à la concurrence sans préparation, alors que l'entreprise a les compétences pour être compétitive.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe des Républicains et Indépendants apportera son soutien à la proposition de résolution de notre collègue Gérard Larcher et des autres cosignataires, car elle constitue une position raisonnable, à mi-chemin entre le maintien du monopole et l'ouverture totale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaiterais, en introduction de mon propos, me féliciter de l'initiative de nos collègues Gérard Larcher, Pierre Hérisson, Paul Girod, François Trucy et Louis Althapé, dont la proposition de résolution sur « l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté » vient fort opportunément nous permettre de débattre de l'avenir de nos services postaux à la veille d'une échéance européenne capitale.
Le Parlement européen vient d'en débattre dans le cadre de la procédure de codécision : le vote est intervenu ce matin même en assemblée plénière. Le Conseil « poste » doit se réunir dans quelques jours, le 22 décembre, sous votre présidence, monsieur le secrétaire d'Etat.
Il était donc on ne peut plus utile que le Sénat - après l'Assemblée nationale, au sein de sa commission de la production et des échanges et de sa délégation à l'Union européenne - puisse aujourd'hui donner au Gouvernement son appréciation sur la position que devrait défendre la France dans une négociation difficile.
Je ne doute pas que la confrontation de nos analyses respectives nourrira la réflexion du Gouvernement et confortera sa détermination à défendre un service public de qualité.
A nos yeux, la problématique tient en quelques questions. Comment améliorer les services rendus aux usagers ? Comment La Poste peut-elle continuer d'offrir un service public de qualité, assurer une politique de gestion dynamique de ses personnels et développer des métiers et des services compétitifs, le tout dans un univers de plus en plus concurrentiel ? Comment conforter le rôle irremplaçable de La Poste dans l'aménagement du territoire ? Comment, enfin, faire en sorte que le secteur postal soit créateur de richesses et d'emplois de qualité ?
Telles sont nos préoccupations, et j'espère qu'elles sont partagées - je pense qu'elles le sont - sur d'autres travées de cette assemblée. Je me réjouis, en tout cas, que ces préoccupations aient été celles des députés européens, qui, à une très large majorité, ont approuvé ce matin les propositions de la commission de la politique régionale.
Il a déjà été rappelé par M. le rapporteur que la situation actuelle était régie par la directive postale du 15 décembre 1997. Cette directive fixe un calendrier pour la poursuite du processus d'ouverture des marchés postaux à la concurrence. C'est conformément aux dispositions de son article 27 que la Commission européenne a rendu publique, le 30 mai dernier, une proposition de révision de la directive postale en vigueur en vue de l'achèvement du marché intérieur postal.
Cette proposition du commissaire Bolkenstein, marquée sans doute du sceau de l'expérience néerlandaise, vise à accélérer la libéralisation des services postaux en deux étapes successives : 2003 et 2007.
Les principales modifications qui seraient apportées à la directive de 1997 ont également été fort bien présentées par M. le rapporteur ; je n'y reviens donc pas.
Cette proposition de modification de la directive est soumise à la procédure de la codécision, laquelle fait intervenir le Parlement européen. La commission de la politique régionale, des transports et du tourisme, saisie au fond, s'est prononcée le 22 novembre, et l'assemblée plénière les 13 et 14 décembre, c'est-à-dire hier et aujourd'hui. Nous sommes en pleine actualité !
En l'état, la proposition de la Commission européenne nous semble inacceptable. Elle introduit en effet une dérégulation très brutale et risque, en raison d'un périmètre des services réservés démesurément contracté, de vider de toute consistance les garanties du service universel postal faute de financement permettant de couvrir les coûts de sa fourniture. Au demeurant, la plupart des opérateurs postaux regroupés dans Post Europ - dix sur quinze - s'accordent pour définir une limite poids/prix de 150 grammes et trois fois le prix de base, au minimum.
La proposition Bolkenstein ne permet donc pas l'enrichissement du service universel au regard des progrès technologiques, une nouvelle catégorie de services dits « à valeur ajoutée » - ce qui constitue une caractéristique des plus floues - étant en effet créée. En ne permettant pas que ces « services spéciaux » puissent être intégrés dans le service universel, on contrevient au principe d'adaptabilité dudit service, pourant reconnu par l'actuelle directive. On peut dès lors subodorer qu'il s'agit là de contourner les services réservés jusqu'à ce que le service universel tombe en désuétude.
La libéralisation par segments de marchés - flux transfrontaliers et publipostages - conduirait, en outre, à ouvrir à la concurrence des segments majeurs en volume et en chiffre d'affaires des activités des prestataires de service universel, tandis que l'opérateur historique devrait continuer à assurer des services non rentables.
Enfin, l'échéancier relatif à l'étape de libéralisation totale et définitive de l'ensemble des activités postales est établi sans qu'aucune évaluation préalable, sérieuse et contradictoire de la première étape soit prévue.
En résumé, mes chers collèges, la perspective d'une libéralisation totale ne nous apporte aucune garantie quant au maintien de la prestation du service universel. La proposition de la Commission évacue, en outre, la prise en compte de la multifonctionnalité du secteur postal, ses dimensions sociales et territoriales, ainsi que les différences géographiques, parfois complexes et importantes, entre Etats.
En termes sociaux, par exemple, rien ne vient garantir que la libéralisation ne conduira pas à des risques inacceptables pour les 1 400 000 employés des opérateurs historiques, bien au contraire : l'expérience suédoise montre un rapport de dix à un entre les suppressions d'emplois de l'opérateur historique et les créations dans les entreprises concurrentes sur les marchés nouvellement ouverts à la concurrence.
En termes économiques, les PME-PMI - dont nous sommes particulièrement soucieux dans cet hémicycle - tributaires pour leur activité des prestations postales, mais n'ayant pas accès aux conditions tarifaires qui sont réservées aux grands comptes, seraient indubitalement les premières victimes de la libéralisation. En Suède toujours, les hausses tarifaires des prestations isolées ont atteint 60 % en six ans.
Et je ne parle pas des conséquences en termes de présence postale en zone rurale, dont nous avons également tous ici le plus grand souci, ainsi que le débat budgétaire l'a encore montré récemment.
Bien que la démonstration convaincante de la nécessité de l'ouverture totale du marché postal et de la compatibilité de celle-ci avec la pérennité de la prestation du service universel reste à faire, les enjeux de ce débat, et donc du Conseil du 22, sont de parvenir à une ouverture progressive et maîtrisée des marchés postaux à la concurrence.
Il convient, dès lors, que la réduction des limites de poids et de prix du domaine réservable, sans distinction de la nature des envois, soit progressive. Aussi est-il important, à nos yeux, de parvenir, au niveau européen, à un compromis qui préserve le service public postal sans ignorer l'évolution des exigences du marché mondial.
C'est dans ce cadre que le Sénat discute ce soir d'une proposition de résolution, bâtie autour d'un certain nombre de considérants et de deux recommandations. J'aurai, pour ma part, deux reproches majeurs à lui adresser.
Le premier tient à l'introduction dans les considérants de certaines prises de position réellement polémiques auxquelles nous ne pouvons, bien entendu, pas souscrire. Le second tient au fait que la proposition est en net retrait par rapport à celle qu'a adoptée le Parlement européen et qui dessine un compromis, selon nous, intelligent et utile.
Sur le premier point - et je fais ici également référence aux arguments qui ont été développés par nos collègues de la majorité sénatoriale, aussi bien en commission des affaires économiques que dans d'autres débats - je souhaiterais faire valoir plusieurs arguments.
Je me demanderai, au passage, si l'ensemble du discours que l'on nous oppose ne conduit pas, en vérité, à une forme de glissement vers l'adhésion aux thèses de la Commission européenne et du commissaire Bolkestein. J'ai d'ailleurs observé que ces thèses recueillaient l'assentiment de quelques députés européens représentant la France : c'est le cas de M. Novelli, qui, hier, a considéré ces propositions comme justifiées et attendues.
Par ailleurs, on nous parle constamment de la Deutsche Post. Eh bien, parlons-en !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. On s'en inquiète !
M. Pierre-Yvon Trémel. Comment ne pas convenir que cet opérateur est aujourd'hui, en fait, bien autre chose qu'une poste ? Le courrier n'y représente plus que 35 % des ventes. Le groupe est désormais essentiellement positionné sur les livraisons express de colis et de logistique, largement « dopées » par le commerce électronique. Ce segment atteint d'ores et déjà 40 % du chiffre d'affaires.
L'objectif de la poste allemande est de s'afficher comme un véritable intégrateur et de proposer une gamme complète de services dans le domaine du transport et de la logistique. Elle fait le pari de la profitabilité à terme de cette stratégie. Dans cette perspective, elle a procédé à de nombreuses acquisitions et a introduit une partie de son capital en Bourse.
Cette stratégie ne semble pourtant pas convaincre les investisseurs. Un analyste financier, cité tout récemment à la fois par Les Echos et La Tribune , fait le constat suivant : « Deutsche Post reste une société postale traditionnelle, à laquelle on a rattaché une série d'activités en suivant une logique parfois douteuse... C'est en réalité un conglomérat qui agrège la poste traditionnelle et des entreprises de logistique. »
Le marché a sanctionné cette logique hybride, comme le révèle le cours de l'action à la Bourse de Francfort. Cette stratégie est en effet soumise au succès préalable des acquisitions opérées - trente-cinq entreprises au total ont été acquises uniquement ces deux dernières années ! - et à des restructurations inéluctables. Ces opérations ont été financées par une hausse du prix du timbre, en clair par les usagers, en clair par les services sous monopole, car les marges sont étroites dans ces secteurs, de l'ordre de 3 %, contre 20 % pour le courrier.
Que se passera-t-il avec la fin du monopole, décidée unilatéralement par l'Allemagne pour le 1er janvier 2003 ?
Je crains que Deutsche Post n'ait pas fini de souffrir, mais nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler.
Est-ce bien là le modèle que nous voulons donner à La Poste ? Voulons-nous que le prix du timbre soit l'un des plus élevés d'Europe ? Voulons-nous que des emplois soient supprimés ou précarisés pour répondre aux impératifs de rentabilité du marché ? Voulons-nous mettre en péril le service public au motif qu'il serait utilisé pour financer des activités concurrentielles ?
Mes chers collègues, c'est bien la situation dans laquelle risque de se trouver la poste allemande. La Commission européenne, vous le savez, examine actuellement de très près le cas de la Deutsche Post pour pratiques anticoncurrentielles et subventions croisées.
M. Gérard Larcher. Heureusement ! C'est nous qui avons attiré l'attention sur ce point !
M. Pierre-Yvon Trémel. Pour notre part, nous refusons cette logique aventureuse. Il n'est pas, pensons-nous, du rôle de La Poste de faciliter et de soutenir, par son alignement sur de telles positions, les options qui ont été retenues par Deutsche Post et qui ne me paraissent pas convaincantes.
Par ailleurs, les auteurs de la proposition de résolution s'appuient sur l'exemple que constitueraient pour La Poste France Télécom, Electricité de France ou même, comme l'indique le rapport de M. Hérisson, le transport aérien.
Prendre l'exemple de France Télécom, c'est faire abstraction des caractéristiques fondamentalement différentes des marchés sur lesquels opèrent les deux entreprises. France Télécom opère aujourd'hui sur trois moteurs de croissance : l'international, l'Internet et la téléphonie mobile. Sur ce dernier marché, par exemple, le taux de croissance est de 30 % à 40 %.
La Poste, elle, opère sur des marchés « matures » pour la plupart - le courrier, par exemple - et ses propres moteurs de croissance - le colis, l'express et la logistique - ne sont pas appelés à connaître des évolutions aussi rapides, malgré le souffle qu'apportera, je l'espère, le développement du commerce électronique.
Ensuite, s'agissant du service universel dont France Télécom a la charge, le bilan reste en demi-teinte. La baisse du prix des communications nationales ne peut dissimuler une hausse assez importante de l'abonnement ces dernières années. Je remercie au passage le Gouvernement de son opportune intervention pour contraindre à une révision plus juste du coût des communications locales pour lesquelles l'opérateur dispose encore du monopole.
Enfin, l'adaptabilité du service universel, qui était pourtant une condition de la libéralisation, n'a pas fait pour l'instant, à nos yeux, la démonstration de sa totale efficacité. Il n'est, en effet, que de rappeler le refus que Bruxelles a opposé au voeu du Gouvernement d'introduire dans le service universel l'accès à l'Internet à hauts débits pour les écoles.
Pour ce qui est de la libéralisation du transport aérien, les avantages en matière de prix ou de dynamisme du marché peuvent paraître intéressants, mais des lacunes flagrantes apparaissent dans certaines dessertes. Le fait même que la commission des affaires économiques vienne de créer, sur l'initiative de son président, un groupe de travail en son sein sur l'avenir du transport aérien régional révèle une inquiétude tout à fait fondée.
Tout cela doit nous appeler à relativiser, sagement, les prétendus bénéfices du « tout libéral ». Nulle part, ni par quiconque, la démonstration n'a été faite jusqu'à présent que la libéralisation totale constitue ce « monde merveilleux » que la théorie et les augures nous promettent.
Un singulier reproche d'immobilisme est ensuite adressé à La Poste et au Gouvernement français. Beaucoup d'arguments méritent d'être repris.
Immobilisme, la constitution d'un groupe cohérent depuis dix ans autour de l'établissement La Poste et dont le dynamisme s'accroît davantage encore depuis le présent contrat de plan ? Immobilisme, la remarquable réussite de Chronopost ? Immobilisme, l'acquisition de Denkhaus en 1998 ? Immobilisme, l'acquisition de quatre nouveaux franchisés en 1999 ? Immobilisme, l'accord conclu avec l'intégrateur américain FedEx, qui ouvre la voie à un développement mondial des activités dans le transport express ? Immobilisme, l'accord conclu avec Geodis ? Si c'est cela l'immobilisme, alors convenons qu'il s'agit d'une vertu économique par trop sous-estimée !
L'autre reproche majeur concerne le poids de la tutelle de l'Etat et sa prétendue inertie depuis trois ans ; M. le secrétaire d'Etat aura, bien entendu, l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Je rappellerai simplement que le contrat d'objectifs et de progrès, signé le 25 juin 1998 entre l'Etat et La Poste, portant contrat de plan pour la période 1998-2001, était marqué par l'ambition de faire évoluer profondément les relations entre la tutelle et l'entreprise publique. Après deux ans et demi d'application, un premier bilan peut en être dressé. L'Etat a pris des engagements importants et les a tenus.
L'Etat a pris en charge la « dérive » annuelle du coût des retraites.
L'Etat a également honoré ses engagements en matière de contribution pour le déficit du transport de presse.
La Poste bénéficie d'un abattement de 85 % sur les bases de la fiscalité locale, accordé en contrepartie de la contrainte de desserte de l'ensemble du territoire national et de la participation à l'aménagement du territoire.
Des conditions de modernisation de la présence postale territoriale ont été définies. Ce n'est pas un dossier facile, mais, aujourd'hui, les commissions départementales de présence postale territoriale sont en place et elles se réunissent dans la plupart des départements. Elles peuvent, à condition qu'il y ait une volonté politique, peser sur la répartition ou les modalités de la présence postale.
Ainsi, sans se désengager du monde rural, La Poste essaye, par le dialogue et la concertation, de mettre en place une organisation adaptée aux besoins des populations, afin d'assurer la pérennité d'un service public de qualité.
En ce qui concerne le plan social, les postiers sont autant attachés à leur statut de fonctionnaire qu'à la mission de service public. L'application des 35 heures, dont la négociation a été décentralisée, n'a pas posé trop de problèmes - de réels efforts ont été accomplis en matière de « déprécarisation » des emplois. Plusieurs chiffres pourraient le prouver.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire à La Poste, nul ne le nie, et heureusement ! Mon but n'est pas ici de tomber dans l'excès d'honneur, mais je voudrais que l'on regarde de façon positive l'exécution de ce premier contrat de plan, tout en affirmant qu'il nous faut rester vigilants à l'égard du prochain. Pour notre part, nous ne donnerons aucun chèque en blanc en la matière, car de lourds chantiers nous attendent.
M. Gérard Larcher. Les retraites !
M. Pierre-Yvon Trémel. Les retraites, effectivement, mais aussi, globalement, les relations financières entre l'Etat et La Poste. La tâche sera ardue !
Mon souci, ce soir, est simplement de conjurer le soupçon excessif que l'on fait peser sur La Poste, ne serait-ce qu'en lui préférant systématiquement les modèles allemand ou néerlandais, qui sont loin d'avoir convaincu.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. On n'a jamais dit cela !
M. Pierre-Yvon Trémel. Certains le disent !
J'en arrive donc, naturellement, aux deux recommandations formulées dans la proposition de résolution. J'avais annoncé que je les trouvais en retrait par rapport à la position prise par le Parlement européen. Or, la prise en compte de cette position est très importante.
Tout d'abord, elle participe du mécanisme de la codécision, ce dont il y a tout lieu de se louer. Ensuite, les tamis successifs - Parlement européen, parlements nationaux - contribuent à la bonification des politiques élaborées par Bruxelles. C'est bien d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes ici ce soir. Les propositions de la commission du Parlement européen, saisie au fond, aboutissent donc à un compromis équilibré ; cela a été rappelé, je n'y reviendrai pas.
En outre, les considérants retenus ont fait explicitement mention d'une meilleure prise en compte des différences géographiques et du coût variable du service universel selon les configurations géographiques propres à chaque Etat et ont avancé l'idée d'un renforcement du principe d'adaptabilité du service universel en fonction des évolutions technologiques.
A cette aune, les recommandations de la proposition de résolution de la commission des affaires économiques apparaissent en retrait.
La première recommandation porte sur les limites de poids et de prix des services réservés : elle retient, pour 150 grammes, trois fois le tarif de base, contre quatre fois le tarif de base pour le Parlement européen.
La seconde recommandation exige une définition claire des services spéciaux. Le Parlement européen a demandé leur suppression pure et simple.
Au total, la proposition de résolution, tant par ce qu'elle recommande que par le cadre de référence dans lequel elle s'inscrit, pèche par le manque de démonstration quant aux conséquences qu'emporteraient l'ouverture du marché postal et la réduction du périmètre des services réservés.
Je comprends ce que veulent nos collègues auteurs de cette proposition de résolution, mais je m'interroge très sincèrement sur les conséquences à attendre de ce texte.
Si l'on suivait certaines préconisations, qu'en serait-il du tarif de base du timbre ? Devrait-il être revu à la hausse comme en Allemagne, où il est le plus cher d'Europe ? Une politique postale centrée sur le développement à l'international et des investissements massifs ne peut être assurée que par une hausse du prix du timbre, c'est-à-dire par le consommateur. Je ne crois pas que nos concitoyens, et singulièrement nos entreprises, soient prêts à l'accepter.
Il reste donc la possibilité que l'Etat prenne cette dépense supplémentaire à son compte. Mais alors, où est la logique si, d'une part, on prêche pour une diminution des charges publiques et, d'autre part, pour des interventions renouvelées de l'Etat ?
Qu'en serait-il également de la qualité du service ? L'exemple néerlandais ne nous rend pas très optimistes : il est envisagé de limiter la collecte à deux à trois fois par semaine. Le maillage de notre réseau postal, notamment rural, en serait aussi très fortement affecté. Le bureau de poste, au même titre que la mairie, l'église, l'école ou le café, participe du visage nécessaire de nos villes et de nos villages.
Qu'en serait-il, enfin, des effets sur l'emploi ? Aucune étude chiffrée n'est avancée. Là encore, regardons ce qui s'est passé ailleurs. En Allemagne, la Deutsche Post a réduit ses effectifs de 150 000 emplois depuis 1992 dans ses métiers traditionnels pour financer son développement à l'international.
Autant de questions essentielles auxquelles on ne peut raisonnablement pas ne pas chercher à apporter des réponses précises.
Pour conclure, mes chers collègues, nous préférons, au groupe socialiste, adopter une attitude réaliste et rechercher le compromis pertinent entre le maintien d'un service public de qualité et l'ouverture du marché.
Longtemps, la France a été le seul Etat membre de l'Union européenne à défendre le concept de service public et sa prise en compte par la réglementation européenne, c'est-à-dire une prestation pour tous, en tout lieu et à un prix abordable. La notion de service universel dans le domaine des télécommunications a constitué, en 1993, un premier pas vers cette reconnaissance. Elle s'est diffusée peu à peu à d'autres secteurs ouverts à la concurrence par la Communauté européenne.
Le tout récent Conseil européen de Nice en consacre le principe en affirmant le rôle irremplaçable des services d'intérêt général pour assurer la compétitivité globale de l'économie européenne. C'est à cela que nous voulons travailler et cela restera notre ligne directrice.
Les auteurs de la proposition de résolution assurent ne vouloir remettre en cause ni le maintien du caractère public de La Poste, ni l'accomplissement de ses missions de service public, ni sa présence territoriale, ni les droits acquis de ses personnels. Je les crédite bien volontiers de cette volonté, qui est aussi celle du groupe socialiste.
Toutefois, parce que nous considérons que le texte qui nous est proposé ne prend pas suffisamment en compte la position de compromis plus intéressante vers laquelle le Parlement européen s'est tourné, parce que nous ne souscrivons pas à l'analyse de la situation actuelle que décrivent les considérants de la proposition de résolution et parce que celle-ci ne démontre rien quant aux conséquences d'une libéralisation toujours plus grande du marché postal, nous sommes amenés à proposer un amendement de réécriture de ce texte ; il sera défendu tout à l'heure par mon collègue et ami Jacques Bellanger.
J'ajoute que Gérard Delfau, notre collègue du RDSE, nous a fait connaître qu'il soutenait également notre position.
En cet instant, dans cet hémicycle, l'enjeu n'est rien moins que de manifester clairement le soutien de la Haute Assemblée au Gouvernement qui souhaite obtenir une révision rapide de la directive postale, c'est-à-dire dès le 22 décembre prochain, sous la présidence française, afin de pouvoir garantir dans la durée, pour tous les citoyens, des missions de service public financées par des services réservés suffisamment larges, un service public qui, à l'aube du XXIe siècle, peut - nous en avons la conviction très forte - tenir lieu non pas d'épouvantail, mais de socle à une conception moderne, dynamique et ambitieuse du service postal. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, je demande la parole pour une mise au point.
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. A cette heure qui, c'est vrai, est un peu celle du marchand de sable, je souhaite vous présenter mes excuses, monsieur le président, mes chers collègues, pour n'avoir point été présent vendredi en séance publique. Cela est sans doute le fait des nombreuses soirées passées au fauteuil de la présidence,...
M. le président. Nous l'avons regretté, mon cher collègue !
M. Gérard Larcher. ... mais j'étais au coeur des débats.
Monsieur le secrétaire d'Etat, veuillez me pardonner, mais, après avoir lu le compte rendu analytique de la séance de vendredi dernier, j'ai une petite mise au point à faire et une gratitude à exprimer.
Je commencerai par la gratitude, car c'est toujours plus agréable. Elle va au rapporteur, notre collègue Pierre Hérisson, qui a remis les choses au point quand, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez utilisé, pour préciser mes tentations, le mot « privatisation ».
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez alors, vous, succombé à la tentation, ou alors vous avez entendu des voix ! Pourtant, Saint-Dié et Domrémy ne sont ni tout à fait sur la même longitude ni tout à fait sur la même latitude. (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, en acceptant les conclusions du rapport Delebarre, avez-vous pour autant privatisé France Télécom, par exemple ? Léon Blum, en 1936, quand il a transformé les chemins de fer français en société anonyme, a-t-il pour autant privatisé ? Pas du tout.
Je voudrais dire les choses clairement. Je suis pour une « sociétisation » de La Poste, parce que La Poste a besoin d'un capital. Ou bien, monsieur le secrétaire d'Etat, engagez-vous à lui donner vingt milliards de francs sur deux ans. Alors, La Poste pourra peut-être faire autrement que de créer des filiales pour les capitaliser ou de capitaliser jusqu'à la flotte de transport.
Je tenais à faire cette mise au point, monsieur le président, et je vous remercie de m'y avoir autorisé. Car il fallait rétablir la vérité, et cette vérité, je tenais à la dire avant que de monter à la tribune pour qu'il soit clair, quand, bientôt, je l'espère, nous aurons le plaisir de discuter d'une certaine proposition de loi que les mêmes signataires ont déposée, qu'il n'est nullement dans leur intention de « privatiser », mais qu'il s'agit simplement de faire de La Poste une société capitalisée dont la majorité du capital est détenue par l'Etat. D'autant que, à notre avis, des motifs constitutionnels s'imposent à nous.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, parler de privatisation au cours d'un tel débat m'apparaît un raccourci simplificateur, j'allais même dire une erreur.
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de cette mise au point. M. le secrétaire d'Etat vous a écouté et entendu, et je ne doute pas qu'il vous apportera bientôt des éléments de réponse.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de directive postale dont nous discutons aujourd'hui au travers de la proposition de résolution qui vient de vous être présentée, de manière remarquablement claire, par le rapporteur, M. Pierre Hérisson, n'est que le développement le plus récent d'un processus réglementaire engagé de longue date.
C'est en effet au conseil d'Antibes, en décembre 1989, sous présidence française - Paul Quilès était alors ministre - qu'a été décidée l'organisation d'un cadre réglementaire européen en matière postale.
Tant le Livre vert postal de 1992 que les propositions de directive élaborées ensuite par la Commission de Bruxelles n'ont été que les conséquences de cette impulsion de 1989, sous présidence française.
Alors, il faut parler franchement. Nous n'allons pas nous mentir mutuellement tout au long de la soirée ! De toute façon, les évolutions seront des juges implacables bien plus forts que nos mots.
Il me semble que nous devons enlever, d'abord, tout ce qui est « faux nez ».
La responsabilité de l'engagement de la réforme postale européenne incombe non aux postes, cher collègue Trémel, mais aux forces politiques. C'est aux politiques de décider, et les forces politiques qui soutiennent aujourd'hui le Gouvernement, au sein desquelles s'élèvent des voix pour demander un moratoire dans la mise en oeuvre de cette réforme, ont participé à cet engagement. Assumons donc les choix effectués !
Les principes posés à Antibes, voilà onze ans, n'ont pas été remis en cause par les alternances politiques ultérieures. La raison en est simple, et je souhaite la rappeler : il s'agit de la construction d'un marché postal européen à la fois unifié et harmonisé, construction qui, si elle est correctement conduite, peut constituer un atout à la fois pour le service public postal, auquel je suis attaché, monsieur le secrétaire d'Etat, pour la France et pour l'Europe.
Pour le service public postal, un marché européen harmonisé est un moyen d'empêcher, ou tout au moins de limiter diverses formes déloyales de concurrence, au premier rang desquelles a longtemps figuré le « repostage », avec son champion, le Néerlandais KPN.
Par ailleurs, l'ouverture des frontières et l'accès à un grand marché unifié sont, en général, une opportunité fructueuse pour les entreprises de grande taille, mieux à même que les petites de bénéficier de l'effet d'échelle. La Poste, premier opérateur européen en 1989 et deuxième aujourd'hui, peut prétendre à un destin conquérant et mondial si elle sait s'adapter à la nouvelle donne. Pour notre pays, disposer d'un opérateur postal passé du rang de géant national à celui de géant européen et à même d'occuper une place significative dans les échanges internationaux, serait, à mon sens, un atout fort.
Dans le même ordre d'idées, l'Union européenne, dans son ensemble, a intérêt à la structuration d'un marché postal unifié et à l'émergence d'acteurs de taille mondiale dans ce secteur pour favoriser la bonne intégration des économies nationales et pour s'affirmer mieux encore sur la scène planétaire.
A ce sujet, on pourrait faire de longs développements comparatifs sur le secteur des télécommunications et de la poste. Dans le secteur des télécommunications, les Etats-Unis avaient de l'avance sur nous. Nous avons encore, dans le secteur postal, face à leur mastodonte resté immobile, une certaine avance avec nos postes historiques européennes. Pourquoi gâcher cette avance ?
Oui, de tels éléments doivent être médités. Ils démontrent à tout le moins que des politiques de libéralisation soucieuses d'assurer des transitions acceptables, et je parle de libéralisation maîtrisée, présentent nombre d'avantages pour les pays qui sauront les mener.
Aussi prenons garde d'éviter les caricatures qui présentent l'exposition à la concurrence comme le mal absolu. Demain, on risque fort de considérer que c'est la défense intégriste des monopoles d'hier qui aura constitué l'erreur fatale !
Cependant, si la conduite des activités postales se doit désormais de ne pas méconnaître le marché, le marché ne saurait en devenir pour autant le maître absolu.
Oui, le rôle joué par La Poste dans l'animation des territoires - ruraux et urbains - qui connaissent des difficultés ne sautait être sacrifié à une logique exclusive de rentabilité. Il en va de même de l'intégration bancaire, que les plus démunis de nos concitoyens obtiennent en s'adressant à ses guichets financiers. En ce qui concerne les plus démunis, chacun a en mémoire notre vote récent sur le service de base bancaire.
Mais cette limite que je souhaite et propose à la libéralisation ne signifie nullement que concurrence et missions de service public ne soient pas conciliables. Bien au contraire, la réforme des télécommunications et d'autres encore, notre rapporteur nous l'a rappelé, démontrent que cette conjugaison est possible dès lors qu'il y a une volonté et un contrôle politiques.
Outre le courage politique, la réussite nécessite simplement de pouvoir disposer de temps et, quand on en dispose, de l'utiliser.
Monsieur le rapporteur, vous l'avez rappelé, le Président de la République l'avait compris, quand, au sommet de Dublin, en décembre 1996, grâce à un compromis - les compromis sont à la mode, que ce soit à Nice ou à Dublin -, il avait offert cinq ans de répit à notre poste.
La plupart des échéances concurrentielles que, à l'époque, la Commission de Bruxelles proposait de fixer à 1998 ont été reportées à 2003.
Dès 1997, le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan et de notre groupe d'études sur la poste et les télécommunications, avançait des propositions pour assurer cette indispensable conciliation du service public, nécessaire à nos territoires comme à la solidarité nationale, avec la concurrence, nécessaire, elle, à un développement conquérant de notre pays.
Dans le même temps, la poste allemande, soeur jumelle de la poste française, s'est mise à mettre les bouchées doubles pour se moderniser et affirmer ses ambitions à l'abri du monopole que lui garantissait d'ailleurs le compromis de Dublin. Il était à la portée de notre opérateur public d'emprunter non pas la même voie, mais des voies qui, parallèles, pouvaient conduire à des résultats comparables.
Hélas, trois ans après, que constate-t-on ?
Certes, La Poste n'est pas restée immobile, mais, ne pouvant s'appuyer sur une véritable volonté politique de réforme, elle a avancé à tout petits pas.
La Deutsche Post, elle, a bénéficié d'un fort soutien politique, y compris dans le cadre de l'alternance : Kohl et Schröder l'ayant soutenue de la même manière. Devenue Deutsche Post World Net et introduite en bourse le 20 novembre dernier, elle dispose maintenant d'un capital social comparable à celui de Danone, soit 150 milliards de francs. La poste française n'en a toujours pas ! La Deutsche Post a réalisé, en 1999, un bénéfice quatre fois supérieur à celui de La Poste, et les prévisions pour 2000 laissent supposer un écart d'au moins un à dix.
Alors qu'il y a quatre ans les deux opérateurs étaient de taille comparable, l'allemand sera, dans quelques années, 2,5 fois plus gros que le français.
Le temps gagné à Dublin a été mis à profit outre-Rhin, tandis qu'il a été mis en terre, comme les talents de la parabole, à Paris. Autrement dit, les Allemands, eux, ont su le faire fructifier. Et aujourd'hui, quand nous faisons le bilan, nous trouvons une différence de 150 milliards de francs !
Bien plus, les charges de La Poste ont été alourdies du fait que l'entreprise a été assujettie aux 35 heures, et sans compensation, contrairement à France Télécom.
Je peux prédire un petit bilan financier, mais aussi un petit bilan pour l'avenir, du fait d'une certaine frilosité pour notre opérateur public national.
Alors, que faire ? Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'Union européenne qui s'est tenu à Lisbonne, en mars dernier, sous présidence portugaise, a conclu, à l'unanimité, qu'il était nécessaire « d'accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que les services postaux ».
Là encore, enlevons le faux nez qui consiste à accepter à Lisbonne ce qu'on dénonce à Paris. Que je sache, ce texte adopté à l'unanimité ne l'a pas été en l'absence de la France !
Dans la foulée du sommet de Lisbonne, au mois de mai, la Commission de Bruxelles a proposé une modification de la directive postale de 1997, actuellement en vigueur, qui, je le rappelle, n'est toujours pas entièrement transposée. Nous avons eu le sentiment que le Gouvernement redoutait le débat au Parlement. Heureusement la commission mixte paritaire sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances en a décidé autrement, grâce à l'action de notre collègue Ladislas Poniatowski.
Sur ce sujet important, nous allons donc avoir le débat attendu que l'on nous avait soufflé.
Les propositions de la Commission européenne nous ont été rappelées très précisément par M. le rapporteur. Je ne m'y appesantirai pas ; je vous livrerai simplement mon sentiment.
Dans la situation actuelle de La Poste, l'acceptation en l'état des propositions de la Commission de Bruxelles pourrait compromettre son avenir. Nous ne sommes pas, d'un côté, les pro-Bolkenstein, de l'autre, les anti-Bolkenstein. Nous défendons ensemble la poste française.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Parce que vous y êtes contraints !
M. Gérard Larcher. Non, monsieur le secrétaire d'Etat, voilà longtemps que je suis vacciné contre la contrainte, qui n'a pas de prise sur moi !
Le risque serait plus faible si les politiques réclamées au Sénat depuis trois ans avaient connu un commencement de mise en oeuvre. L'exposé des motifs de la proposition de résolution l'explique d'ailleurs en détail. Mais, je le dis, il y a un petit bilan gouvernemental.
Alors, faut-il refuser toute évolution ou faut-il accepter des simplifications ?
Ceux qui ont peur oublient que ce serait indirectement faire le jeu de la poste allemande, qui pourrait trouver dans une telle attitude prétexte à repousser finalement l'ouverture de son monopole, prévue pour 2003, qui lui garantit ses dix milliards de francs de bénéfices par an. Ainsi, paradoxalement, en espérant nous protéger, nous musclerions celui qui veut nous étouffer.
Tout de même, quelques chiffres, cher collègue Trémel. Vous avez parlé, s'agissant de La poste allemande, des emplois précarisés. Savez-vous que La Poste compte 60 000 emplois précaires sur un effectif total de 306 000 ? En matière de précarité, pardonnez-moi, mais on ne peut pas toujours donner des leçons !
Concernant Deutsche Post, vous avez parlé du courrier. Mais savez-vous que le chiffre d'affaires du courrier de Deutsche Post est supérieur au chiffre d'affaires du courrier de la poste française ? Simplement, la poste allemande a développé d'autres secteurs d'activité, raison pour laquelle le courrier ne compte que pour 35 % dans son chiffre d'affaires. Méfions-nous donc des statistiques !
Enfin, j'évoquerai le nombre de fonctionnaires. L'absorption des dizaines de milliers de fonctionnaires de la poste qui marchait la plus mal au monde, celle de la République démocratique allemande, nous amène aussi à examiner les statistiques avec prudence, car nous n'avons pas eu, nous, à absorber une partie de notre pays qui vivait sous un autre régime.
Méfions-nous ! Je n'éprouve pas une admiration béate pour la poste allemande ; simplement, je vois que, d'un côté, les choses évoluent, en prenant des risques sans doute, mais elles évoluent, alors que, chez nous, elles évoluent trop peu.
Alors, la solution que nous préconisons refuse tant ce choix de l'immobilisme que celui de la libéralisation à marche forcée soutenue par la majorité de la Commission européenne. Il nous apparaît que nous présentons un compromis raisonnable.
Pour assurer le respect des engagements européens de la France, notamment ceux qui ont été pris au sommet de Lisbonne, mais aussi pour continuer à favoriser l'adaptation de La Poste à la nouvelle donne technologique et économique de son secteur d'activité, le dispositif qui vous est soumis pose le principe de la poursuite d'une ouverture maîtrisée à la concurrence d'une partie du monopole postal.
Cependant, pour assurer le maintien du financement par ce monopole de missions d'intérêt général qui ne relèvent pas strictement de l'activité postale, au premier rang desquelles figure l'animation des territoires ruraux et urbains qui connaissent des difficultés, l'ouverture de ce monopole est limitée et fixée en deçà de ce que propose et défend la Commission européenne, y compris après le vote du Parlement européen.
En l'absence de financement alternatif de ces missions - monsieur Trémel, au montant des charges s'ajoute un milliard de francs au titre de la taxe professionnelle, à moins que M. le secrétaire d'Etat ne nous annonce ce soir une bonne nouvelle, une compensation de la disparition de la base salariale pour le calcul de la taxe professionnelle de La Poste - les charges liées aux exigences de l'aménagement du territoire pèseront plus fortement sur La Poste. Nous devons trouver un équilibre dans l'intérêt de la politique d'aménagement du territoire et d'une poste de qualité.
Notre position n'est pas très éloignée de celle que vient de défendre notre collègue Trémel ; il l'a d'ailleurs dit. Celle qui sera présentée par notre collègue Lefebvre sera sans doute plus éloignée.
M. Pierre Lefebvre. Forcément !
M. Gérard Larcher. Peut-être l'aurai-je fait évoluer !
M. le président. N'anticipez pas, mon cher collègue !
M. Gérard Larcher. Je rêve, monsieur le président ! (Sourires.)
Notre position n'est pas très éloignée, disais-je, de celle que nous avons entendue ici voilà quelques instants et qu'a adoptée ce matin le Parlement européen, saisi de ce dossier dans le cadre de la procédure de codécision, qui impose un accord entre le Conseil et le Parlement.
Cependant, outre le fait que l'ouverture concurrentielle prônée par le Parlement européen est légèrement moindre - mais ce n'est pas l'objet de fond - et plus tardive que ce que nous proposons, sa faiblesse est d'écarter toute clause de rendez-vous pour une éventuelle nouvelle étape d'ouverture partielle du monopole.
M. Jacques Bellanger. C'est précisément sa force !
M. Gérard Larcher. Cela me paraît présenter plusieurs inconvénients.
Tout d'abord, le mieux étant toujours l'ennemi du bien, une telle attitude peut conduire au renforcement du camp des Etats qui souhaitent voir fixer une date de libéralisation totale des activités postales, ce qui serait inacceptable et insupportable pour la France. D'ores et déjà, par les contacts que nous avons, nous savons que c'est la position de cinq Etats.
Surtout, l'absence d'une clause de rendez-vous ne signifie pas - même si certains peuvent le laisse croire - qu'à terme il n'y aura pas de poursuite du mouvement de libéralisation. Aujourd'hui, à la différence de ce que l'on constatait voilà quelques années, les entreprises et les associations européennes de consommateurs réclament la concurrence postale.
Cependant, sans clause de rendez-vous, notre poste pourrait croire qu'elle est encore à l'abri des chocs du futur derrière ses boucliers réglementaires et, par conséquent, pourrait « baisser sa garde » en atténuant ses efforts de modernisation. Dans ces conditions, elle risquerait de se trouver fort dépourvue par une autre vague concurrentielle quand celle-ci se lèvera à l'horizon.
Dans l'intérêt même de La Poste et des postiers, il serait donc périlleux d'accepter cette « voie de la facilité », ce choix de la tête sous le sable qui serait celui de tous les dangers. Voilà pourquoi il nous faut le refuser.
C'est pourquoi le texte de notre proposition de résolution demeure, à mon sens, le compromis raisonnable et le plus protecteur des intérêts bien compris de notre pays, de notre poste et de nos territoires.
L'amendement qui a été adopté par la commission des affaires économiques a par ailleurs enrichi le texte présenté par la majorité des membres du bureau du groupe d'études sur La Poste.
C'est la raison pour laquelle, vous l'aurez compris, ni autruche - la tête sous le sable - ni tigre - qui laisserait au seul marché le soin de définir le périmètre de ses proies - je ne peux que vous appeler, mes chers collègues, à adopter ce texte ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la Commission de Bruxelles a décidé, en mai dernier, d'accélérer le processus d'ouverture à la concurrence des services postaux.
La nouvelle directive, qui constitue une modification de la directive 97/67/CE, prévoit de réduire le domaine réservé de l'opérateur public en diminuant les seuils limites de poids, de 350 grammes à 50 grammes, et de prix, de cinq fois le tarif de base à deux fois et demie.
C'est une étape supplémentaire consacrant la généralisation des rapports marchands à l'échelon européen. Il s'agit d'un pas de plus vers la constitution du grand marché unique européen dans lequel, à la libre circulation des marchandises, des hommes et des capitaux, s'ajoute désormais celle des services.
Cette politique délibérée de libéralisation des services, amorcée avec les télécommunications, s'est poursuivie. Elle est largement entamée. Aujourd'hui, il s'agit du secteur postal.
Mais, avant d'en arriver au domaine des services postaux proprement dits, cette étape supplémentaire dans l'achèvement du marché unique européen nous oblige à réfléchir sur la nature de la construction européenne.
Si le droit communautaire véhicule un mode de régulation sociale et économique particulier en s'intégrant dans les législations nationales, c'est précisément sur ce mode qu'il faut s'interroger.
Quelles sont donc les valeurs qui président à son fondement ? Quel type de projet économique et social, quel modèle de société nous propose cette Europe en construction ?
Les contestations qui se multiplient à l'encontre de ce modèle européen, qu'elles proviennent d'organisations politiques, syndicales, d'associations ou encore de mouvements sociaux divers, prenant par exemple la forme du contre-sommet européen de Nice, témoignent en tout cas du fait que la conception de la Commission européenne est loin de faire l'unanimité.
En réalité, ces forces sociales ont en commun de partager une autre conception de la construction européenne.
Que l'on ne se méprenne pas : ces forces sociales ne sont pas réactionnaires - les réactionnaires sont ailleurs -, antimodernistes parce qu'elles rejettent le type d'Europe qu'on leur propose ; c'est précisément parce qu'elles sont attachées à un modèle progressiste, issu d'une lente maturation historique, qu'elles sont antilibérales.
Dans la plupart des pays européens, cette lente maturation a abouti, entre autres conséquences, à permettre à la majorité de la population d'accéder à un certain nombre de droits sociaux.
Certes, dans la pratique et en fonction de leur histoire sociale propre, les voies d'application de l'intervention publique ont divergé d'un pays à l'autre.
Cela s'est traduit par la mise en place de l'assurance sociale, de la sécurité sociale, des retraites et de la participation à un certain nombre de biens collectifs qui, en raison de leur caractère d'intérêt général, ont été séparés du marché.
Cela s'est concrétisé, en France, par la mise en place d'un large secteur public qui, nul ne pourrait le nier, a fortement contribué, en termes d'emplois mais aussi d'investissement, d'égalité des citoyens, d'égalité des chances, d'aménagement du territoire et de réalisation d'infrastructures, à la dynamique vertueuse de la croissance.
Devrions-nous renoncer à ce type de modèle de société, au motif qu'il ne répondrait plus aux critères de l'actuelle construction du droit et du champ de l'intervention communautaires ?
La construction européenne ne doit-elle pas au contraire prolonger ce projet ?
Sur fond de bouleversements technologiques, la modernisation des économies européennes peut s'inscrire dans la continuité de cette mise en marche du progrès social que la construction européenne d'inspiration libérale risque de faire échouer.
C'est au vu de cette longue période historique de maturation nécessaire à la concrétisation des projets progressistes et de l'expérience moins longue - il est toujours plus facile et plus rapide de détruire que de construire - de la vague de déréglementation engagée vers le milieu des années quatre-vingt que l'on doit juger aujourd'hui de l'opportunité d'accélérer l'ouverture à la concurrence du service postal européen.
L'analyse voudrait que l'on se situe aussi bien sur le plan des expériences étrangères que sur le plan proprement national.
Elle requerrait aussi, à notre avis, l'approche en termes d'emplois et de performances socio-économiques des activités de service qui ont été libéralisées. La tâche serait alors longue.
Il n'en demeure pas moins que l'on retiendrait d'abord de l'exemple britannique les catastrophes ferroviaires, celle de Paddington étant la dernière en date.
On retiendrait sans doute aussi les effets pervers de la déréglementation dans les télécommunications : pressions à la baisse de l'emploi et des coûts salariaux qui permettent la diminution des prix en faveur des entreprises de dimension nationale, mais aussi au profit des multinationales de l'ensemble des pays développés, et au détriment des ménages.
Un journal satirique paraissant le mercredi - et lu sur de nombreuses travées (Sourires) - vient d'ailleurs opportunément de rappeler les ficelles qui sont utilisées par les opérateurs de télécommunication mobile pour augmenter aujourd'hui le tarif de leurs prestations, en faisant porter sur les usagers les coûts de leur guerre commerciale à outrance.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cela ne concerne pas seulement les mobiles !
M. Pierre Lefebvre. Certes, mais les mobiles sont particulièrement concernés !
Dans le domaine de la poste, les exemples espagnol, suédois ou finlandais devraient encore attirer toute notre attention avant que l'on se précipite dans le gouffre d'une libéralisation à tous crins.
Si, dans ces pays, ces activités désormais pratiquement entièrement privées sont susceptibles d'engendrer des profits, c'est sur la base d'une réduction de l'emploi - 25 % en Suède -, d'une détérioration des conditions de travail - augmentation des formes précarisées d'emploi - et d'une augmentation des tarifs - estimée à 72 % en Suède.
Ne cessant d'affirmer que la libéralisation des services serait créatrice d'emplois, la Commission européenne s'est néanmoins toujours abstenue de vérifier cette assertion à l'aune des faits.
Malgré les demandes maintes fois réitérées par les organisations syndicales nationales et par les syndicats postaux membres de la CES, la Commission refuse toujours, alors qu'elle s'y était engagée, de mener officiellement une étude critique sur les effets de la directive en termes d'emplois, tant sur le plan quantitatif - nombre d'emplois qui seraient créés dans la meilleure hypothèse, nombre de ceux qui seraient détruits suivant un scénario plus défavorable - que sur le plan qualitatif - effet sur le statut du personnel du passage au privé.
La Commission se retranche dernière des études partielles menées en 1998 - études sur « le coût des obligations de service universel », sur « l'impact de la libéralisation en amont », sur « l'impact de la libéralisation du publipostage », sur « l'impact de l'abaissement des tarifs de poids/prix », etc. - études dont la fiabilité, du point de vue tant de la base statistique utilisée que de la méthodologie employée, a été vivement dénoncée par un grand nombre de députés européens et d'organisations syndicales des pays membres de l'Union.
De source syndicale, près de 500 000 emplois, sur le plan européen, seraient à terme directement menacés. En France, la transposition de la nouvelle directive aboutirait à la suppression de 50 000 à 80 000 postes, soit entre 18 % et 29 % de l'effectif actuel, avec à la clé la liquidation des agences et bureaux de poste dans les zones rurales ou les quartiers urbains sensibles.
L'emploi, on l'a déjà souligné, est un facteur de soutien à la croissance par l'effet revenu-dépenses qu'il induit. Il est aussi un facteur important - si ce n'est « le » facteur - de l'intégration sociale.
Ce rôle d'intégration sociale que joue le facteur « emploi » est renforcé par les missions de service d'intérêt général dévolues au service postal : égalité d'accès à des prix abordables en tout point du territoire, dans le respect des principes de base d'un service public, universalité, continuité, égalité d'accès.
Qui nierait le fait que nos bureaux de poste, présents sur l'ensemble du territoire, dans nos campagnes, dans les quartiers urbains sensibles, favorisent l'intégration sociale, comme ils permettent, grâce aux services financiers qu'ils offrent, d'éviter aux plus démunis le basculement dans l'exclusion bancaire ?
En portant atteinte au mécanisme de péréquation tarifaire, ce sont précisément ces missions d'intérêt général que l'on remet en cause. Comment La Poste pourra-t-elle faire face à l'avenir si elle ne dispose plus de la possibilité de réorienter les surplus financiers dégagés par les secteurs et activités rentables vers les services déficitaires, a fortiori si ces mêmes secteurs et activités rentables sont l'objet des convoitises du secteur privé ?
A défaut de pouvoir agir à temps sur les événements pour les prévenir, autrement dit à défaut de refuser l'application de la directive, devons-nous, ici même, dresser le bilan prospectif des conséquences de celle-ci ?
Dans le contexte actuel de restructuration à l'échelle européenne, voire mondiale, des grands groupes présents dans le domaine postal, tels que DHL, FedEx, UPS et TNT, l'exacerbation de la concurrence fait peser de lourdes menaces sur La Poste.
Ainsi, on a de bonnes raisons, a priori, de penser que la réduction du domaine réservé se traduira par la perte de la clientèle des entreprises, qui, pour bénéficier de moindres tarifs, s'adresseront à la concurrence. Elles le feront d'autant plus facilement que quelques feuilles supplémentaires suffiront pour atteindre le seuil des cinquante grammes.
Ces inquiétudes paraissent d'ailleurs partagées par nos collègues auteurs de la proposition de résolution. En prévoyant de ramener de trois cent cinquante grammes à cent cinquante grammes et de cinq fois à trois fois, et non à deux fois et demie, les seuils poids/prix encadrant le domaine réservé aux « opérateurs historiques », leur proposition de résolution s'inscrit pourtant en retrait par rapport à la nouvelle proposition de directive européenne qui vient d'être élaborée.
Mon cher collègue Gérard Larcher, on se fourvoierait donc en croyant que, s'agissant des risques encourus par La Poste, un réel consensus réunirait certains rangs de la gauche et certains rangs de la droite. En tout cas, le groupe communiste républicain et citoyen ne se joint pas à un tel consensus, tant les analyses qui fondent la réflexion de nos collègues de la majorité sénatoriale et les nôtres sont antinomiques.
En réalité, nos collègues fustigent les autorités pour n'avoir pas encore délesté La Poste de ses missions de service d'intérêt général. C'est ce qu'ils appellent l'immobilisme !
En effet, à les en croire, enfin libérée de ses missions « encombrantes », c'est-à-dire qui ne sont pas sources de profit, La Poste serait allégée « de quelque 7 milliards de francs de charges liées aux coûts nets de missions d'intérêt général ne relevant pas de l'activité postale proprement dite », à savoir, est-il précisé, « l'entretien pour des raisons d'animation territoriale de la partie la moins fréquentée ou la plus exposée du réseau, le transport de la presse, l'accueil financier des plus démunis ».
Sans vouloir jouer sur les contradictions d'une pensée libérale, ce rôle incomberait-il à l'Etat ? L'appauvrissement de l'Etat par la réduction du secteur public, dont on a pourtant vu le rôle moteur dans la croissance, et par l'obsession de la transformation de l'action publique en simple mission de régulation d'un marché omnipotent se ferait sur la base de la mise en place d'un service public minimaliste, réservé aux exclus du marché. Le service universel serait, dans cette optique, une sorte de cache-misère, et La Poste serait dès lors confinée à un rôle marginal.
On rejoint aisément ici la problématique libérale européenne d'une réduction à la portion congrue des services publics, auxquels les nations et les citoyens ne sont pas près de renoncer.
C'est sous le bénéfice de ces observations que, après avoir déposé sur ce thème une proposition de résolution n° 315, qui nous permettra, mes chers collègues, de débattre à nouveau de La Poste prochainement, et donnant mandat au Gouvernement pour rejeter purement et simplement la directive européenne version « Bolkenstein », les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont décidé de ne pas s'associer à la proposition que nous examinons aujourd'hui.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les interventions portant sur le cadre juridique communautaire des activités postales, ou plus exactement sur le bouleversement de ce cadre juridique qui a été proposé par la Commission européenne le 30 mai dernier, démontrent, outre un talent souvent tout à fait remarquable, un intérêt affirmé pour le service public postal universel. Je crois que cet intérêt est sincère chez un certain nombre de sénateurs, pour ne pas dire chez la majorité d'entre eux. Le Gouvernement s'en réjouit.
M. Hérisson a dit d'emblée, avec honnêteté, que « beaucoup de chemin reste à faire pour gagner la bataille du service public ». Nous devons donc tous nous mobiliser. Mais je remarque que tel n'est pas le cas : ainsi que vous l'avez souligné, monsieur Trémel, des voix ont beaucoup manqué ce matin, au Parlement européen, pour défendre cette orientation.
Cependant, je ne bouderai pas mon plaisir : vous avez devant vous un responsable ministériel heureux qu'une majorité écrasante - 358 voix pour, 104 contre et 33 abstentions - des membres du Parlement européen aient voté ce matin en faveur d'un compromis équilibré, dynamique, assurant l'avenir du service public en Europe. Il s'agit donc là évidemment d'un éclairage public fort et incontournable pour notre débat de ce soir et pour notre action de la semaine prochaine en vue de la défense du service public postal.
Si je parle de bouleversement du cadre juridique communautaire proposé par la Commission et non pas, tout simplement, d'évolution, c'est bien parce que j'ai moi aussi, tout comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, entendu M. Bolkenstein, le commissaire européen chargé de ces questions ; c'est bien parce que j'ai entendu M. Novelli, membre du groupe libéral, s'en prendre au service public en fustigeant sa « force d'inertie » et en trouvant « justifiées et attendues » les propositions de M. Bolkenstein ; c'est bien parce que j'ai compris et fait miens les propos de Mme Ainardi, du groupe de la gauche unitaire européenne, qui, en dénonçant les propositions du commissaire européen, a stigmatisé « une démarche de liquidation du service universel ». Et je pourrais poursuivre l'énumération...
Certes, le groupe de la gauche unitaire européenne s'est abstenu, mais il a soutenu les amendements déposés par le groupe socialiste européen. En outre, ce matin même, au cours du débat au Parlement européen, M. Bolkenstein a estimé que le rapport du très libéral député du Parti populaire européen, M. Ferber, qui est favorable au compromis dégagé au sein de la commission du Parlement européen saisie au fond, « ne marque aucun progrès », mais implique, bien au contraire, un ralentissement du processus de libéralisation qu'il appelle de ses voeux. La Commission, a conclu M. Bolkenstein, est donc en profond désaccord avec le Parlement européen sur ce sujet.
Cette affaire suscite donc des réflexions, des prises de position qui sont allées très au-delà de la question des étapes nouvelles d'ouverture à la concurrence des marchés postaux proposées par la Commission elle-même.
La place des services publics postaux dans la vie nationale, l'évolution de La Poste, son avenir dans un climat de compétition internationale croissante et de mutations technologiques accélérées : autant de thèmes que tous les orateurs, sur quelque travée qu'ils siègent, ont abordés au cours de leurs interventions.
Je reviendrai sur ces questions, mais je souhaite auparavant souligner une certaine convergence, que j'ai malgré tout décelée, dans les préoccupations exprimées à cette tribune. Cela étant, peut-être devrais-je plutôt parler des préoccupations que l'on a voulu afficher à cette tribune, tant il serait difficile, pour un certain nombre de sénateurs, de révéler la véritable pensée qui sous-tend leur raisonnement et qui est, au fond, je vais m'efforcer de le démontrer, radicalement hostile, fondamentalement, intellectuellement et irrévocablement hostile au concept même de service public, à l'histoire et aux valeurs de celui-ci, ainsi qu'aux réalités qu'il a permis d'édifier au cours des cinquante dernières années, tout particulièrement depuis l'élaboration du programme du Conseil national de la Résistance et la Libération.
Monsieur Hérisson, lorsque vous avez évoqué la nécessité de préserver la présence de La Poste sur notre territoire national et affirmé votre volonté de conserver le maillage de nos bureaux ruraux, gage de cohérence sociale, j'ai retrouvé, permettez-moi de vous le dire, un certain nombre de concepts, de mots, de réalités, de projets, de sentiments et de convictions que mes propres échanges avec le commissaire Bolkenstein avaient permis de mettre en évidence.
Ces orientations communes me semblent pouvoir être résumées par les affirmations suivantes : oui à un service public postal évolutif et ambitieux, au bénéfice de tous, citoyens et entreprises, que celles-ci soient petites ou grandes ; oui à une poste qui est et doit demeurer, comme l'a souligné M. Lefebvre, l'un des fondements de la cohésion économique et sociale de la France, tout en devenant - j'ajoute cette précision - l'un des acteurs majeurs de l'économie mondiale de demain ; non à toute position dogmatique ou découlant d'une mauvaise économie théorique ou d'une idéologie surannée qui, par une libéralisation brutale ou trop rapide, conduirait à déstabiliser des équilibres fondamentaux pour les citoyens et pour les Etats.
Je crois que nous nous retrouvons sur ces points. D'ailleurs, les avis de la commission supérieure du service public des postes et des télécommunications, dont vous êtes membre, monsieur le rapporteur, de même que les consultations auxquelles j'ai personnellement procédé auprès de nombreux élus, clients de La Poste, opérateurs et usagers, m'ont permis de le constater avec certitude. Il existe donc un certain consensus à l'échelon national - même si, bien sûr, M. Novelli n'est pas de cet avis ! - autour de valeurs communes, à savoir la défense du service public et la promotion de la liberté d'entreprendre, valeurs qui constituent pour nous un atout déterminant dans la négociation communautaire que je conduis actuellement au nom du gouvernement français.
Le grand débat postal européen suscite, et c'est légitime, des interrogations sur l'avenir de l'opérateur postal national, sur son développement international, sur le service diversifié et de qualité qu'il offrira à tous nos concitoyens, sur les formes de son implantation physique au coeur de nos campagnes ou dans les périphéries urbaines défavorisées.
Je souhaite, avant d'en venir aux problématiques européennes proprement dites, évoquer les trois éléments qui contribuent à obscurcir le débat postal et qu'ont voulu mettre en valeur les sénateurs de l'opposition, bâtissant ainsi, je le souligne sans acrimonie, - j'aurais aimé le dire de vive voix à M. Poniatowski - une sorte de « poste virtuelle » entièrement reconstruite autour de ces échecs présumés qui étaient nécessaires à la démonstration de certains intervenants.
Je pense qu'il en va vraiment tout autrement : La Poste réussit. Je vais m'efforcer, par quelques exemples précis, de le démontrer, en reprenant trois thèmes évoqués par l'opposition nationale : le poids de la tutelle, ses conséquences sur la situation financière de La Poste et le prétendu « immobilisme » de l'établissement.
Je commence par le poids de la tutelle. Le contrat d'objectifs et de progrès de La Poste que j'ai signé en 1998 était marqué par l'ambition de faire évoluer profondément les relations entre l'Etat et l'entreprise publique. Ce n'est pas le choix de la frilosité, pourrais-je répondre à M. Poniatowski, s'il était présent, ou monsieur Hérisson, pour reprendre les termes de votre rapport, de l'immobilisme, mais bien, j'en suis convaincu, celui du mouvement et de la modernité.
Après deux ans et demi d'application, il est possible d'établir un premier bilan positif du contrat d'objectifs et de progrès signé en juin 1998.
Par exemple, monsieur Larcher, l'Etat a tenu tous ses engagements vis-à-vis de l'entreprise : prise en charge de la dérive annuelle du coût des retraites, soit 3 milliards de francs sur la durée du contrat d'objectifs et de progrès ; contribution au déficit du transport de presse, avec une redevance versée par le budget de l'Etat de 1 850 millions de francs en 1998, de 1,9 milliard de francs en 2000 et de la même somme en 2001 ; les éditeurs ont vu, quant à eux, leur tarif majoré de 50 %.
L'autonomie de gestion de l'entreprise a été volontairement, par votre serviteur, confortée par une réforme importante : la décentralisation des fonds des comptes chèques postaux. Comme vous le savez sans doute, la centralisation des fonds des CCP au Trésor est progressivement abandonnée et La Poste prend actuellement en charge la gestion de ces fonds. Dans la conjoncture de taux d'intérêt que nous connaissons aujourd'hui, les résultats de sa gestion lui permettent d'ailleurs d'améliorer ses recettes par rapport au système antérieur.
Enfin, dernière illustration qui va à l'encontre du prétendu « immobilisme » : il a été inscrit dans le contrat de plan un objectif de stabilisation des tarifs du courrier qui tranche avec la dérive, lente, inexorable, en tout état de cause insupportable, observée durant les années précédentes, puisque j'ai pu affirmer - nous avons tenu et nous tiendrons encore - que le timbre n'augmenterait pas.
Où en est La Poste aujourd'hui ? L'entreprise s'est véritablement métamorphosée en une grande entreprise européenne. Affaiblie à l'origine par une situation économique profondément dégradée, elle a restauré ses comptes, engagé une croissance forte de ses activités, développé sa valeur ajoutée. J'ajouterai que, désormais, elle a les moyens de lancer, au cours des tout prochains mois, des chantiers multiples et ambitieux pour améliorer son fonctionnement.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Il est temps !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le chiffre d'affaires de La Poste a franchi la barre des 100 milliards de francs - il est peut-être même plus proche des 105 milliards de francs. Après un retour à l'équilibre en 1997 et un redressement en 1998, le résultat net consolidé du groupe s'est sensiblement amélioré en 1999 : 1 868 millions de francs. Son investissement annuel représente aujourd'hui près de 7 milliards de francs par an, à rapprocher du niveau plutôt chétif, il faut bien le reconnaître, des années qui ont précédé 1997, où l'investissement ne dépassait pas les 2,5 milliards de francs par an.
Quelle frilosité en effet, dirais-je M. Poniatowski, quand l'investissement en trois ans a été multiplié par trois, passant de 2,5 milliards de francs à 7 milliards de francs !
Certes, il faut poursuivre et renforcer ces efforts pour aller vers une meilleure compétitivité. A cet égard, monsieur le rapporteur, je regrette que vous n'ayez pas souligné, à propos des 35 heures, l'effort de la réorganisation accompli par les postiers de manière tout à fait remarquable dans la méthode, puisqu'elles ont été discutées collectivement dans chaque établissement avec les organisations représentatives et individuellement avec chaque postier. (M. Gérard Larcher exprime un doute.)
Le cadre de gestion de l'établissement peut être encore sensiblement amélioré. J'évoquerai, à cet égard, deux pistes importantes pour 2001, que je suis heureux d'annoncer au Sénat ce soir.
Tout d'abord, c'est l'assujettissement à la TVA de certaines activités de La Poste essentiellement tournées vers les entreprises. En permettant à La Poste de récupérer la TVA sur ses achats et de minorer son exposition à la taxe sur les salaires, cette mesure, actuellement à l'étude, et qui viendra à maturité dans quelques semaines, présente des perspectives très intéressantes pour l'établissement public.
Ensuite, je suis heureux de vous annoncer la possibilité pour La Poste d'accéder à une pleine autonomie dans la gestion de ses immeubles, comme le prévoit, d'ailleurs, dans l'un de ses articles, la proposition de loi de votre collègue M. Larcher.
M. Gérard Larcher. Je m'en félicite !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Ces progrès sont réalisés et réalisables dans le cadre de l'établissement public industriel et commercial actuel, et dans le respect de ses missions de service public.
S'agissant, toujours, de l'immobilisme de l'établissement, vous avez évoqué, monsieur Trémel, la réussite de Chronopost. Cette réussite connaît en ce moment même une accélération singulière depuis, par exemple, la signature du contrat d'objectifs et de progrès.
Oui, de quel dynamisme La Poste est-elle capable de faire preuve, répondrai-je à ceux qui n'envisageaient La Poste, parce qu'elle est un établissement public, qu'en statique !
En acquérant DPD, La Poste prend pied sur le marché européen du colis, en croissance rapide. Elle a également acquis l'entreprise INSA, spécialisée dans le transport international de la presse, surtout à destination des Etats-Unis. Cette année 2000, l'acquisition de Maynes Nikless au Royaume-Uni lui donne accès aux marchés de l'express et du transport rapide dans ce pays, où son chiffre d'affaires atteindra plus de 2 milliards de francs en 2001.
Quel dynamisme, s'agissant cette fois du courrier international, qui lui permet d'acquérir Brokers aux Etats-Unis et d'accéder ainsi au courrier international émis à partir de ce pays.
Je n'oublierai pas, bien sûr - M. Trémel l'a également souligné à juste titre - l'accord avec Geodis, qui est un peu un exemple de la politique qu'il convient de poursuivre.
Je n'oublierai pas non plus l'accord commercial conclu avec l'intégrateur FedEx, qui donne à La Poste un accès au réseau aérien mondial.
Quel dynamisme en effet, qui fait, comme M. Trémel l'a également souligné, de La Poste un opérateur compétitif sans sacrifier pour autant les clients, les postiers ou la collectivité !
Si « immobilisme » il y avait, ce serait plus sûrement celui des années qui ont précédé le contrat d'objectifs et de progrès qu'il conviendrait de regretter.
Le renforcement de cette performance d'entreprise dans le secteur concurrentiel, notamment à l'international, n'est pas contradictoire, bien au contraire, avec la nécessaire consolidation du socle des missions de service public des opérateurs postaux, en France et dans l'Union européenne.
Si les services publics ne peuvent plus se passer de l'Europe pour leur développement, l'Europe, mesdames et messieurs les sénateurs, ne peut se passer des services publics. C'est le message que nous avons à défendre ; c'est le message que la France cherche à promouvoir au sein de l'Union auprès de ses quatorze partenaires.
Dans l'Europe postale que vous nous proposez, monsieur Gérard Larcher, je crains que le service public et ses valeurs ne disparaissent à la longue. Vous évoquez l'Allemagne. Que se passe-t-il dans ce pays ?
M. Gérard Larcher. Ce n'est pas un modèle, je l'ai dit !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. C'est une inquiétude !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Oui, ce n'est pas un modèle ! Je vous remercie de le souligner !
En effet, 100 000 suppressions de postes ont été décidées au cours des cinq dernières années. Est-ce vraiment un modèle ! Je ne le pense pas.
A-t-on raison de se référer à « l'exemple » suédois ? Je mets à dessein ce mot entre guillemets. Il faut que le Sénat soit informé de la réalité de ce pays : la privatisation à 100 % de la poste suédoise s'est traduite par la suppression d'un bureau sur deux entre 1990 et 1999.
M. Gérard Larcher. Ils les ont remplacés par autre chose !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Les organisations syndicales doivent être averties d'une autre réalité : la disparition de 15 000 emplois sur 50 000 emplois initiaux. Au cours de cette même période, les 58 concurrents de la poste suédoise qui se partagent le marché n'ont créé que 1 500 emplois, soit un seul emploi pour dix supprimés !
Quant au prix du timbre, mesdames, messieurs les sénateurs, il a augmenté en Suède, après la privatisation, de 72 % entre 1990 et 1999. En Suède, c'est encore une concurrence intérieure avivée qui a vu, face à la poste suédoise qui contrôle 95 % du marché intérieur, une centaine d'opérateurs se partager les 5 % restants, un seul d'entre eux émergeant grâce au contrôle de 4 % du marché intérieur.
Bref, c'est un paysage que personne ici ne peut sérieusement préconiser, qu'il est impossible de promouvoir comme modèle sous peine d'être en contradiction avec les affirmations que nous venons d'entendre ici, à cette tribune, de la part des uns et des autres. Chez les uns, c'est une tradition politique, c'est une réflexion politique profonde ; chez les autres, j'ai peur que ce ne soit une concession passagère.
A cet égard, comme le soulignent MM. Trémel et Bellanger...
M. Gérard Larcher. M. Bellanger n'est pas intervenu ce soir !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Certes, monsieur Larcher, mais M. Bellanger est un ardent défenseur du service public...
M. Gérard Larcher. Tout comme moi !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... et il est très souvent intervenu auprès de moi pour en rappeler et les valeurs et les nécessités.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Conseil européen de Nice a affirmé, comme MM. Trémel et Bellanger le soulignent, « le rôle irremplaçable des services d'intérêt général pour assurer la compétitivité globale de l'économie européenne ».
Les jours à venir vont être déterminants, notamment le second Conseil des ministres sous présidence française, qui se tiendra le 22 décembre prochain. Je souhaite donc faire un point précis avec vous de l'état des travaux en cours à l'échelle communautaire.
S'agissant de l'organisation des actions sous présidence française, il m'est apparu primordial que, compte tenu de l'importance des enjeux de la proposition pour l'avenir du secteur postal, les travaux en vue de l'adoption d'une directive équilibrée, source de sécurité juridique - c'est important - pour tous les acteurs du secteur et de progrès - c'est également important - pour l'ensemble des consommateurs, puissent progresser aussi vite et aussi complètement que possible.
Aussi, les travaux du groupe technique du Conseil des ministres en charge des questions postales ont commencé dès le 10 juillet dernier. Les réunions se sont depuis succédé à un rythme soutenu.
Dans cette même perspective d'avancées rapides, la France a inscrit la proposition de directive à l'ordre du jour des deux conseils « télécommunications » prévus sous sa présidence, le 3 octobre dernier et le 22 décembre prochain.
Le 3 octobre, la Commission a officiellement présenté au Conseil des ministres des postes et des télécommunications sa proposition. Le Conseil a ensuite procédé à un échange de vues préliminaires : les interventions des Etats membres ont montré, par leur densité et par les interrogations formulées, l'importance attachée au domaine postal.
Les discussions ont fait apparaître qu'il n'existait pas de consensus sur les principales propositions de la Commission.
Des divergences se sont exprimées sur des points majeurs. Je pense ainsi a l'introduction de la notion de services spéciaux, notion imprécise et qui doit être conciliée avec la nécessité de disposer de règles transparentes, simples et faciles à gérer.
Je pense aussi à la proposition de limiter les services réservés à 50 grammes et à deux fois et demie le tarif de base. Des délégations des Etats membres de l'Union européenne ont souligné qu'un tel projet n'était pas compatible avec des missions de service public ambitieuses, vous l'avez dit.
La proposition défendue par la délégation française lors du Conseil, et qui est aussi soutenue en permanence par les représentants français dans les groupes techniques que j'ai précédemment évoqués, est particulièrement claire.
D'abord, il s'agit de refuser une libéralisation excessive, à 50 grammes et 2,5 fois le tarif de base en 2003, que la Commission propose, ce qui mettrait en danger les acquis du service public, notamment la péréquation tarifaire, la qualité de service uniforme sur l'ensemble du territoire et la richesse de la présence postale territoriale. C'est clair : il s'agit pour nous d'un refus.
Ensuite, il convient de refuser, conformément au souhait exprimé par M. Trémel, l'insécurité juridique représentée par le flou des services spéciaux, qui compromettrait l'évolution du service universel et qui empêcherait de contrôler le domaine réservé à La Poste.
Enfin, la délégation française refuse, évidemment, une perspective de libéralisation totale.
Plusieurs Etats partagent avec la France la volonté commune de soutenir une approche maîtrisée, respectueuse du service universel : le Portugal, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg.
En face, une tendance favorable à une libéralisation la plus rapide et la plus complète possible s'est affirmée. Elle s'est d'ailleurs affirmée contre l'accord et la déclaration signés par dix postes voilà quelques mois, contre l'unanimité des organisations syndicales représentatives et qui ont manifesté à Bruxelles au moment de la décision. Elle s'est également affirmée contre un certain nombre d'Etats membres qui ont d'ores et déjà soutenu la nécessité de parvenir à un compromis qui ne soit pas calé sur les limites de poids et de prix préconisées par la Commission.
Cette tendance favorable à une libéralisation la plus complète possible est représentée par les Néerlandais et les Suédois, qui sont, bien entendu, nos amis, mais qui, ne partageant pas nos options, ont souhaité soutenir la proposition du collège des commissaires énoncée par M. Bolkestein.
Toutefois, les Etats membres se sont tous rejoints, au-delà de ces divergences, pour exprimer leur souhait de conforter le cadre juridique actuel. Ils ont indiqué clairement à la présidence qu'elle devait rechercher un accord politique en vue du Conseil du mois de décembre 2000, c'est-à-dire sous présidence française.
En parallèle à ces travaux du Conseil, le Parlement européen a mené à bien l'examen du projet de la Commission.
Les nombreuses commissions du Parlement européen saisies pour avis ont toutes proposé des amendements refusant la logique présentée par le commissaire Bolkenstein.
La commission de la politique régionale des transports et du tourisme, compétente au fond, a souhaité favoriser une adoption rapide de la nouvelle directive et a apporté au projet des amendements significatifs rejoignant les préoccupations exprimées par la France.
Son avis, voté le 22 novembre, a été la base des débats en séance plénière, le 13 décembre, et du vote de ce matin, dont j'ai dit tout à l'heure qu'il avait été obtenu à une majorité écrasante. Le Parlement européen a en effet adopté un compromis équilibré proposé par la commission de la politique régionale visant - et cela nous convient - à conforter le service universel postal, grâce à des services réservés suffisamment larges et à la suppression de toute possibilité de contournement de ce périmètre réservé.
Grâce à l'action de nombreux parlementaires européens, notamment français, que je souhaite remercier de leur action, mais aussi britanniques, comme M. Brian Simpson, ou irlandais, comme M. Proinsias de Rossa, nous voyons s'éloigner le risque fort d'une libéralisation dogmatique et incontrôlée.
Je note que même le rapporteur libéral, M. Markus Ferber, ou le président du groupe PPE, M. Georg Jarzembowski, ont soutenu le compromis adopté au sein de la commission du Parlement européen.
Je ne doute pas, en ce qui concerne le Parlement français, qu'une même convergence de points de vue pourra également prévaloir finalement.
A cet égard, le commissaire Bolkestein, citant un membre de votre assemblée, M. Larcher, a cru percevoir un certain nombre de divergences dans les positions françaises.
M. Gérard Larcher. Il a dit : Well-known ! Quelle gloire ! (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il a effectivement parlé du très célèbre M. Larcher, monsieur le sénateur !
Je veux répondre très cordialement, je dirai même amicalement, à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le sénateur, à l'occasion de votre mise au point, concernant le concept de privatisation.
Je ne vous fais évidemment pas le procès de prôner ouvertement la privatisation.
M. Gérard Larcher. Ni même de façon masquée !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. J'attire seulement votre attention sur le fait que l'orientation et le contenu intrinsèque de votre logique générale vous amèneront immanquablement, sans que vous en soyez même conscient, à la logique allemande - une loi oblige nos amis allemands à privatiser la poste le 31 décembre 2002 -, logique que, je le sais, vous ne prenez pas comme modèle.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Et Gaz de France ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Vous arriverez néanmoins au même résultat !
Les orientations données par le Parlement européen constituent désormais des acquis essentiels. La recherche du compromis sera menée en incluant ces apports dans les travaux du Conseil.
Je souligne enfin que le comité des régions, représentatif des territoires au niveau de l'Union, et le comité économique et social, représentatif de la société civile, viennent de s'exprimer dans le même sens que le Parlement européen.
La présidence française invite désormais tous les Etats membres à s'engager dans la recherche active d'un accord politique.
L'enjeu du Conseil du 22 décembre est en effet de concrétiser un accord sur le contenu de la révision de la directive, sous notre présidence, qui permette de garantir dans la durée des missions de service public pour tous les citoyens, financées par des services réservés suffisamment larges.
En prenant mes fonctions en juin 1997, j'avais indiqué que La Poste, établissement public industriel et commercial, devait être un service public avec un esprit d'entreprise ouvert sur l'international. Je pense que ces trois volets de l'avenir de La Poste définissent vraiment ce que souhaitent le Gouvernement et un certain nombre de sénateurs, ceux des groupes de la gauche. C'est nécessaire pour que La Poste progresse, pour la pertinence de son organisation de service public et la réalité de son implantation progressive, implantation qui réussit au sein de l'Union européenne et qui réussira sans doute bientôt dans le monde entier.
Avec votre appui, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'y emploiera avec fermeté et détermination. Nous réaliserons, par le biais d'accords politiques avec nos partenaires européens, La Poste de demain, fondée sur les valeurs du service public, en France et dans l'ensemble de l'Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je souhaite, après les différentes interventions, apporter quelques précisions.
Monsieur Trémel, certains membres de la commission des affaires économiques comprennent mal, alors que le Gouvernement défend le service universel à Bruxelles, que vous puissiez, vous, le critiquer à Paris. Cette divergence n'est pas négligeable. Il nous faudra en reparler lorsque nous examinerons - rapidement, j'en suis sûr, monsieur le secrétaire d'Etat - la proposition de loi de M. Larcher.
Par ailleurs, j'attire l'attention du Gouvernement sur le fait que le rapport sur le service universel des télécommunications, qui devait être déposé au mois de juillet, ne l'est toujours pas au mois de décembre !
Monsieur Trémel, vous avez fait état de la ferme intention du président de la commission des affaires économiques de former un groupe de travail sur l'aviation régionale. Permettez-moi de vous dire que, s'il souhaite examiner la situation de l'aviation régionale aujourd'hui, c'est afin de comprendre pourquoi Air France tend à rétablir une situation de monopole de fait en rachetant des compagnies régionales telles que Flandre Air, Proteus, Regional Airlines, etc., et en fermant petit à petit les aéroports régionaux pour concentrer la clientèle sur de plus grands aéroports où la compagnie Air France a une position dominante aujourd'hui, même si elle ne détient plus de monopole.
Monsieur Lefebvre, nous n'avons jamais demandé que La Poste cesse d'exercer des activités d'intérêt général. Au contraire, nous voulons pérenniser ces activités en assurant leur financement par la collectivité. C'est un vrai débat.
Je terminerai en m'adressant à M. le secrétaire d'Etat à la suite des interventions qui ont mis l'accent sur les inquiétudes que suscite la poste allemande.
Nous sommes, pour la plupart d'entre nous, des Européens convaincus. C'est donc bien d'une poste européenne qu'il faut parler dans l'avenir, et non pas seulement des problèmes qui peuvent se poser entre les postes française, allemande, néerlandaise ou britannique. Les Britanniques, par exemple, partis peut-être un peu vite sur la voie du libéralisme, cherchent aujourd'hui à trouver des paliers leur permettant de maintenir chez eux un service public.
Quant à la poste allemande, que vous avez critiquée alors que nous avions, nous, fait part de nos inquiétudes, elle rencontre, comme l'a dit Gérard Larcher tout à l'heure, en raison de la réunification allemande, un certain nombre de problèmes, et c'est vrai pour les services publics en général.
En effet, une grande partie des réductions d'emplois et des diminutions d'effectifs provient précisément de cette réunification, et pas seulement des fermetures liées à une réorganisation.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, l'Allemagne étant gouvernée par un gouvernement social-démocrate, la majorité sénatoriale a le droit d'imaginer certaines convergences, qui paraissent logiques ! (M. Lefebvre conteste.) Il est vrai, monsieur Lefebvre, que le gouvernement social-démocrate n'a pas le régulateur, parfois de bon sens, que constituent les communistes !
M. Pierre Lefebvre. C'est vrai !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. C'est peut-être pour cela que les choses vont mieux dans notre pays ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez salué l'ensemble du personnel de La Poste. Sur ce sujet, nos points de vue sont identiques. Mais, s'agissant des 35 heures, l'application de la loi n'est pas aussi facile que vous le dites. En effet, sur 100 000 jours totaux de grève du premier semestre 2000, 80 % restent liés à la réduction du temps de travail et à la réorganisation qu'elle implique, même si les personnels ont fait l'objet de beaucoup de compréhension ! Je vous engage à aller voir comment les choses se passent sur le terrain.
Il est grand temps aussi de penser à la réorganisation du service postal dans les mois qui viennent, car nos compatriotes sont aujourd'hui fort mécontents, surtout en ce qui concerne la présence postale de proximité.
Je vous engage aussi vivement à lire mon rapport, particulièrement ce qui concerne le passage aux 35 heures, réalisé sans aide de l'Etat. C'est peut-être par pudeur que je n'en ai pas parlé lors de la discussion générale, le système comportant des lacunes, alors que vous l'avez présenté comme étant très positif.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, La Poste est présente sur 17 000 points du territoire, mais les commissions départementales de la présence postale territoriale, depuis qu'elles existent, n'ont tenu que 73 réunions dans 50 départements. Cela n'est pas dû à l'absence de problèmes ; c'est dû au fait qu'elles ont des difficultés à fonctionner correctement. Elles ont aussi beaucoup de mal à trouver des solutions aux problèmes posés parce qu'il y a un décalage entre La Poste en milieu rural et La Poste en milieu urbain ou périurbain. Je pense en particulier aux problèmes de sécurité qui peuvent se poser avec acuité en certains secteurs.
Sur tous ces points, nous devons être prudents dans nos comparaisons.
En fait, si nous nous sommes manifestés les uns et les autres, c'est parce que ce qui se passe dans la poste allemande nous inquiète. Il n'est pas question pour nous de prendre celle-ci comme référence, et nous n'avons jamais eu d'autre intention que de retrouver un grand service public tel que nous l'avons connu, qui assure une bonne couverture du territoire. Or, il y a une différence importante entre notre pays et les autres pays de l'Union européennes. C'est qu'en France 80 % de la population vit sur 20 % du territoire et que tous nos concitoyens, surtout le territoire, ont droit à un égal accès au service public, dans les mêmes conditions financières et dans les mêmes conditions de qualité.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la proposition de résolution de adoptée par la commission des affaires économiques et du Plan.

J'en donne lecture :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution.
« Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté.
« Considérant que la poursuite de la construction d'un marché communautaire unifié des services postaux a été approuvée par la France, en mars 2000, au Conseil européen qui a réuni les chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne ;
Considérant par ailleurs que l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne confirme la place des services d'intérêt général parmi les valeurs de l'Union européenne et que, par sa communication du 20 septembre 2000, la Commission a souligné leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale ;
« Considérant que ce grand marché postal est de nature à favoriser la modernisation de l'économie française et à offrir de nouvelles opportunités à La Poste ;
« Considérant que le processus ainsi engagé doit, au travers du service universel institué par l'Union européenne, garantir la pérennité des principes du service public postal, notamment la péréquation tarifaire et l'adaptabilité des missions ;
« Considérant que cette pérennité ne saurait être garantie si la viabilité économique de La Poste, opérateur public du service public, n'est pas assurée ;
« Considérant que le Gouvernement n'a, depuis trois ans, engagé à La Poste aucune des réformes de structure nécessitées par la situation, en dépit des échéanciers de libéralisations programmés par l'Union européenne ;
« Considérant que, de ce fait même, si elle était retenue en l'état, la proposition de directive susvisée pourrait menacer l'équilibre financier de La Poste car celle-ci supporte encore, en propre, le coût de missions d'intérêt général ne pouvant plus être financées par les seuls revenus de ses activités ;
« Demande, en conséquence, que soit proposé au Conseil que :
« - les services réservés aux prestataires de service universel englobent les envois de correspondance intérieure et les envois de correspondance transfrontière sortante qui sont soit d'un poids inférieur à 150 grammes, soit d'un prix inférieur à trois fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie la plus rapide ;
« - les services spéciaux soient clairement définis comme des services à haute valeur ajoutée n'interdisant d'aucune façon l'adaptabilité du service universel et son possible élargissement à des prestations tendant à se banaliser au fur et à mesure de l'évolution du secteur postal ».
Sur ce texte, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune. Tous sont présentés par MM. Trémel, Bellanger et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 1 tend à rédiger comme suit la proposition de résolution :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88, alinéa 4, de la Constitution ;
« Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Commaunauté ;
« Considérant que dans sa résolution du 7 février 1994, le Conseil a déclaré que l'un des principaux objectifs du développement des services postaux dans la Communauté consistait à concilier l'ouverture graduelle et maîtrisée à la concurrence du marché postal et la garantie durable de la prestation de service universel ;
« Considérant par ailleurs, que l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne confirme la place des services d'intérêt général parmi les valeurs de l'Union européenne ; que par sa communication du 20 septembre 2000, la Commission a souligné leur importance dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale ; et qu'enfin, dans ses conclusions, le Conseil européen de Nice de décembre 2000 a affirmé leur rôle irremplaçable pour assurer la compétitivité globale de l'économie européenne ;
« Considérant que dans ses résolutions des 14 janvier 1999 et 18 février 2000, le Parlement européen a souligné la nécessité de préserver un service universel postal de haute qualité ;
« Considérant ensuite, que le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 a souhaité que soit accélérée la libéralisation de certains secteurs, dont les services postaux, en vue de réaliser un marché intérieur opérationnel ;
« Considérant enfin, que le Parlement européen dispose d'une compétence législative dans le cas présent, puisque la proposition de directive est soumise à la procédure de codécision définie à l'article 251 du traité sus-mentionné,
« Juge en l'état inacceptables les propositions de la Commission tant du point de vue du périmètre des services réservés, du calendrier retenu, que de l'introduction de la nouvelle notion de « services spéciaux » aux contours imprécis qui risque d'empêcher l'enrichissement du service universel aux nouveaux services à valeur ajoutée ;
« Affirme son attachement au service postal universel qui permet d'assurer des prestations de qualité, à des prix abordables, et en tout point du territoire, ainsi qu'au principe de péréquation tarifaire qui permet de faire bénéficier les zones rurales et les quartiers sensibles des villes des mêmes prestations que celles servies dans les autres quartiers urbains ;
« Rappelle, conformément au principe d'adaptabilité, la nécessité d'enrichir le service universel de nouvelles prestations à valeur ajoutée et issues des évolutions technologiques, afin que ces services soient accessibles à l'ensemble des consommateurs - usagers domestiques, collectivités territoriales, PME-PMI - et pas uniquement aux grandes entreprises, à un prix abordable et en tout point du territoire ;
« Considère indispensable le maintien d'un périmètre large de services réservés en vue d'assurer l'équilibre financier des opérateurs en charge du service universel, dans un contexte de concurrence accrue ;
« Juge très constructifs les amendements adoptés le 22 novembre 2000 par la commission de la politique régionale, des transports et du tourisme du Parlement européen, saisie au fond de la proposition de directive ;
« Demande en conséquence :
« - que le périmètre des services réservés soit délimité par des seuils de 150 grammes et 4 fois le tarif de base, comprenant les envois de correspondance intérieure, le courrier express, les courriers transfrontaliers entrant et sortant, et le publipostage ;
« - que soit supprimée toute référence aux services spéciaux ou, à tout le moins, qu'une définition précise et claire en soit donnée afin, d'une part, que les limites poids/prix des services réservés ne puissent être remises en cause et, d'autre part, que le contenu du service universel puisse être élargi à de nouvelles prestations, conformément au principe d'adaptabilité ;
« - que soit supprimé tout calendrier pour une libéralisation future à partir de 2007 et qu'en tout état de cause aucune révision du cadre réglementaire ne soit engagée avant que n'ait été présentée une évaluation exhaustive et contradictoire de l'application de la directive, pays par pays, notamment en termes économique, d'emploi et d'aménagement du territoire. »
L'amendement n° 2 vise, après le troisième alinéa de la proposition de résolution, à insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Vu la résolution du Conseil du 7 février 1994 sur le développement des services postaux communautaires,
« Vu les résolutions du Parlement européen du 14 janvier 1999 et du 18 février 2000 sur les services postaux européens. »
L'amendement n° 3 a pour objet :
I. - De supprimer le neuvième alinéa de la proposition de résolution.
II. - En conséquence, de rédiger comme suit le début du dixième alinéa du même texte :
« Considérant que si elle était retenue... »
L'amendement n° 4 tend à remplacer les trois derniers alinéas de la proposition de résolution par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Demande en conséquence :
« - que le périmètre des services réservés soit délimité par des seuils de 150 grammes et 4 fois le tarif postal de base, comprenant les envois de correspondance intérieure, le courrier express, les courriers transfrontaliers entrant et sortant et le publipostage ;
« - que soit supprimée toute référence aux services spéciaux ou, à tout le moins, qu'une définition précise et claire en soit donnée afin, d'une part, que les limites poids/prix des services réservés ne puissent être remises en cause et, d'autre part, que le contenu du service universel puisse être élargi à de nouvelles prestations, conformément au principe d'adaptabilité ;
« - que soit supprimé tout calendrier pour une libéralisation future à partir de 2007 et que, en tout état de cause, aucune révision du cadre réglementaire ne soit engagée avant que n'ait été présentée une évaluation exhaustive et contradictoire de l'application de la directive, pays par pays, notamment en termes économiques, d'emploi et d'aménagement du territoire. »
La parole est à M. Bellanger, pour défendre ces quatre amendements.
M. Jacques Bellanger. Ainsi que l'a dit mon collègue Pierre-Yvon Trémel dans la discussion générale, la proposition de résolution présentée par la commission des affaires économiques et du Plan ne nous convient pas du tout, et ce pour plusieurs raisons.
La première tient au contenu de ses considérants.
Nous discutons en l'occurrence d'une directive européenne et nous regrettons vivement la polémique franco-française que reflète le neuvième alinéa, qui a été particulièrement développé par plusieurs de nos collègues, notamment, hélas ! par M. le rapporteur.
En effet, s'il est bien un reproche que l'on ne peut faire ni au Gouvernement ni à La Poste, c'est bien celui de l'immobilisme. Je ne reviendrai pas sur ce point, M. le secrétaire d'Etat s'en étant expliqué.
Nous regrettons aussi certaines pétitions de principe comme celle du sixième alinéa affirmant que le grand marché postal est de nature à favoriser la modernisation de l'économie française et à offrir de nouvelles opportunités à La Poste. C'est un discours classique des credos libéraux que nous ne partageons pas et qui, en tout état de cause et malgré les dénégations, traduit l'adhésion de la majorité sénatoriale aux propositions de M. Bolkenstein.
La seconde raison pour laquelle nous n'adhérons pas à cette proposition de résolution est la non-prise en compte des décisions du Parlement européen.
Nous fustigeons souvent le déficit démocratique de l'Union. Dans le cas de la directive postale, le Parlement européen est conduit à jouer pleinement son rôle de législateur, puisque ce texte est soumis à la procédure de codécision. Nous ne pouvons donc ignorer ses travaux.
Ce matin, à une très large majorité - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé - le Parlement européen a approuvé les amendements de sa commission de la politique régionale. Un large consensus s'est donc dégagé autour du compromis élaboré par le parti socialiste européen, auquel se sont ralliés de nombreux Parlementaires du parti populaire européen, le PPE. Nous ne pouvons d'autant moins l'ignorer qu'il va dans le bon sens, permettant tout à la fois une ouverture maîtrisée du secteur postal et le maintien d'un service public de qualité, voire son enrichissement.
La position du Sénat ne peut donc être en retrait par rapport à celle du Parlement européen. La Haute Assemblée s'isolerait ainsi et ne faciliterait pas la tâche de notre pays dans les négociations qui vont se tenir maintenant pour rapprocher les points de vue.
Je rappelle par ailleurs que l'Assemblée nationale a, elle aussi, adopté une résolution jugeant constructifs les amendements du Parlement européen, résolution que Jean Besson, député RPR et membre de la commission supérieure du service postal, a jugée « globalement satisfaisante... même si des observations s'imposaient ».
M. Pierre-Yvon Trémel. Eh oui ! M. Jacques Bellanger. Enfin, notre troisième raison tient à la sous-estimation des conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire d'une ouverture trop large à la concurrence.
Face à ce constat, quelle pouvait être notre démarche ?
Le statu quo n'était pas possible et non souhaitable. Le dispositif européen impose l'adoption d'une nouvelle directive. En effet, en application de son article 27, l'actuelle directive deviendra caduque au 1er janvier 2005, sauf si une nouvelle directive entre en vigueur au plus tard le 1er janvier 2003, en vue « de poursuivre la libéralisation progressive et contrôlée du marché des services postaux ». En cas de caducité, la Commission européenne peut unilatéralement imposer de nouvelles règles. Quand on connaît les positions du commissaire en charge de la poste, on ne peut le souhaiter. Partant de là, nous avons décidé de proposer un amendement visant à une réécriture de la proposition de résolution.
Nous avons d'abord voulu affirmer clairement notre position sur les propositions de la Commission : celles-ci sont inacceptables, tant du point de vue du périmètre réservé, du calendrier retenu que de l'introduction de la nouvelle notion de « services spéciaux ».
Nous avons ensuite voulu approuver les propositions du Parlement européen, que nous avons qualifiées de « constructives », comme d'ailleurs les députés l'ont fait.
Nous avons, enfin, voulu préciser l'objectif que nous nous sommes fixé. Nous avons réaffirmé notre attachement au service postal universel, qui permet d'assurer des prestations de qualité, à des prix abordables, et ce en tous points du territoire, ainsi qu'au principe de péréquation tarifaire, qui permet de faire bénéficier les zones rurales et les quartiers sensibles des villes des mêmes prestations que celles qui sont servies dans les autres quartiers urbains.
La péréquation tarifaire, c'est depuis 1848 le prix unique du timbre, que l'on habite Paris ou un petit village isolé de montagne. Ouvrir largement le secteur postal à la concurrence, c'est mettre fin au timbre à prix unique.
J'en veux pour preuve l'exposé des motifs de la proposition de la Commission, qui dispose clairement que, dans les Etats où le processus d'ouverture du marché est avancé, « dans certains cas, les tarifs uniques peuvent aisément se transformer en des "structures tarifaires uniques" afin de tenir compte des différents utilisateurs ».
Nous avons rappelé, conformément au principe d'adaptabilité, la nécessité d'enrichir le service universel de nouvelles prestations à valeur ajoutée et issues des évolutions technologiques, afin que ces services soient accessibles à un prix abordable et en tous points du territoire à l'ensemble des consommateurs - usagers domestiques, collectivités territoriales, PME-PMI et pas uniquement aux grandes entreprises. C'est un élément auquel nous tenons particulièrement.
Un service public qui n'évolue pas en fonction des évolutions technologiques, c'est un service public qui meurt. Certains me rétorqueront que c'est la concurrence qui permet d'améliorer et de diversifier les prestations, et donc de mieux répondre à la demande.
Certes, la concurrence diversifie l'offre. Encore faut-il pouvoir avoir accès à cette offre à un prix abordable en tout point du territoire ! Si on prend le cas des télécommunications, si souvent cité aujourd'hui, on s'aperçoit que, si l'on n'y prend pas garde et si l'on ne fait pas évoluer le contenu du service universel des télécommunications, une partie de la population ne pourra avoir accès aux technologies de l'information.
Il est donc fondamental de pouvoir faire évoluer le contenu du service universel. Les nouvelles technologies ne peuvent être réservées à ceux qui en ont les moyens. Le consommateur domestique, la petite entreprise, les collectivités locales doivent pouvoir en bénéficier à un prix abordable et quelle que soit leur situation géographique.
Cher collègue Larcher, nous n'avons rien, au contraire, contre la promotion de notre Poste au premier rang mondial ; mais nous ne voulons pas qu'elle s'opère au prix de la mise en cause de l'égalité de tous devant ses services !
Nous avons tenu à rappeler la nécessité de maintenir dans un périmètre large les services sous monopole, en vue d'assurer le financement des services publics ainsi que l'équilibre financier de l'opérateur chargé du service universel. C'est un point fondamental : sans services réservés, il n'y a pas de service public !
Le coût du service public ne peut être assuré par une subvention d'Etat : ce serait augmenter les impôts, ce que nous refusons. Il ne peut pas non plus être assuré par un fonds de compensation, comme le permet la directive, car un fonds de compensation, ce sont à coup sûr des contentieux à n'en plus finir, et nous voyons tous les jours la fragilité de ces structures de financement. On ne peut faire reposer le financement du service public sur un instrument judiriquement instable.
Nous avons enfin voulu rappeler que la construction européenne ne se résume pas à la construction du marché unique, que les services d'intérêt général font partie des valeurs de l'Union. Pour cela, nous avons fait mention de l'article 16 du traité, de la communication de la Commission du 20 septembre dernier, qui souligne l'importance des services d'intérêt général dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, et enfin des conclusions du Conseil européen de Nice, qui a affirmé leur rôle irremplaçable pour assurer la compétitivité globale de l'économie européenne.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Très bien !
M. Jacques Bellanger. Ce dernier point est très important, car il infirme l'idée trop facilement répandue que le service public est l'ennemi de l'efficacité économique.
Nous avons, enfin, posé trois recommandations.
S'agissant des services réservés, nous nous sommes alignés sur la position du Parlement européen.
S'agissant des services spéciaux, nous avons demandé leur suppression ou, à tout le moins, qu'une définition précise et claire en soit donnée afin, d'une part, que les limites poids-prix des services réservés ne puissent être remises en cause et, d'autre part, que le contenu du service universel puisse être élargi à de nouvelles prestations, conformément au principe d'adaptabilité.
S'agissant du calendrier proposé par la Commission - c'est un point de divergence important entre nous et la majorité sénatoriale - nous demandons la suppression de toute référence à une nouvelle étape de libéralisation à partir de 2007. Nous considérons en effet qu'une nouvelle étape ne peut que conduire à réduire les services réservés à une peau de chagrin. Là encore, sans services réservés, pas de services publics ! Mes chers collègues, nous ne croyons pas comme vous aux vertus du fonds de compensation.
J'ai entendu notre collègue Gérard Larcher dire qu'il y aura une négociation et que le poids d'un certain nombre de pays nous obligera à des concessions. Curieuse conception que celle de proposer nous-même une négociation dont la conclusion - dont nous ne voulons pas - nous semble inéluctable !
Vous avouerez, mes chers collègues, que vous ne pourrez pas échapper aux soupçons d'être, en l'occurrence, un peu complices de la Commission européenne et de ses propositions !
Enfin, nous exigeons qu'aucune révision du cadre réglementaire ne soit engagée avant que n'ait été présentée une évaluation exhaustive et contradictoire de l'application de la directive, pays par pays, notamment en termes économiques, en termes d'emploi et d'aménagement du territoire. Là encore, il s'agit d'une demande forte et tout à fait justifiée du Parlement européen.
En effet, ce qui a motivé le vote positif des députés européens sur le compromis élaboré par le PSE, c'est le souci de l'emploi et de l'aménagement du territoire. A ce propos, je vous invite à relire les débats de commission du Parlement européen : c'est tout à fait instructif ! Nos collègues députés européens craignent par dessus tout, et nous partagons cette crainte, la fermeture de bureaux de poste en zone rurale et, partant, la suppression d'emplois.
Tel est, mes chers collègues, l'objet de l'amendement n° 1, que nous vous demandons d'adopter.
Quant aux trois autres amendements, ce sont des amendement de repli.
Par l'amendement n° 2, nous voulons fonder plus spécifiquement l'argumentation sur les décisions du Parlement européen.
L'amendement n° 3 vise à supprimer un paragraphe qui repose sur un présupposé tout à fait contestable concernant le statut de La Poste et la réforme de ses structures.
Enfin, l'amendement n° 4 contient les trois recommandations que nous proposons de substituer à celles qui figurent dans la proposition de résolution, recommandations dont j'ai déjà exposé la teneur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1, 2, 3 et 4 ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. L'amendement n° 1 propose une rédaction alternative par rapport à celle qui a été adoptée par la commission : il ne nous est donc pas possible de l'accepter.
Je souligne toutefois que, si les auteurs de cet amendement ne font pas la même analyse que la commission quant aux enjeux postaux et aux réponses à y apporter, leur dispositif n'est, sur deux points sur trois, guère éloigné de ce que nous proposons dans notre résolution.
La divergence entre nous tient à la suppression de toute étape ultérieure de libéralisation. Après avoir envisagé cette option, la commission l'a rejetée, d'une part, parce qu'elle ne prend pas en compte les attentes des clients de La Poste et, d'autre part, parce que nous pensons qu'une étape supplémentaire est nécessaire tant pour moderniser notre poste que pour lui ouvrir de nouvelles opportunités.
Nous considérons l'échéance de 2007 comme une nouvelle étape de réflexion et d'ouverture progressive, et, à ce titre, elle mérite d'être maintenue. Sa suppression peut conduire à laisser à d'autres la possibilité de traiter une libéralisation dans d'autres conditions, ce qui serait particulièrement dangereux.
En ce qui concerne l'amendement n° 2, dans un but de clarté, le texte de la proposition de résolution est volontairement court. C'est pourquoi il ne fait référence qu'aux visas « incontournables ». La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, dans la mesure où il faudrait, pour être logique, faire référence à une dizaine d'autres textes, ce qui alourdirait considérablement le libellé de la résolution.
Pour ce qui est de l'amendement n° 3, nous demandons la discussion d'une loi postale depuis 1997, et le Gouvernement nous l'a promise.
A l'Assemblée nationale, le 2 février 1999, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'aménagement du territoire, vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, comprendre le souci exprimé par de nombreux députés de voir le Parlement examiner un projet de loi d'ensemble se rapportant aux questions du service public de La Poste. De belles paroles, mais bien peu d'actes ! Au lieu de la loi promise, que nous a-t-on proposé ? Des réformes éparses, décidées à la sauvette : un amendement par-ci, une ordonnance par-là, un cavalier ailleurs.
Quant à l'amendement n° 4, il reprend une partie du texte de l'amendement n° 1. Il tend à aligner nos positions sur celles qui ont été avalisées par le Parlement européen. La commission des affaires économiques y est défavorable pour les raisons précédemment évoquées, qui tiennent surtout à la nécessité de conserver l'étape de libéralisation - mais pas de libéralisation totale, j'insiste sur ce point - en 2007.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il est clair, après l'intervention que j'ai faite au nom du Gouvernement, que je préfère la logique de M. Bellanger à celle de M. le rapporteur : cela ne surprendra pas le Sénat ! Je dois dire que je me suis retrouvé dans les valeurs et la dynamique qui sous-tendaient l'excellente intervention de M. Bellanger, valeurs et dynamique manisfestement fort différentes de celles que défend M. Hérisson.
C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 1 et, au cas où le Sénat s'égarerait en n'acceptant pas cette alternative qui me paraît très fructueuse pour l'avenir de La Poste, il serait favorable aux amendements de repli n°s 2, 3 et 4.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Pierre Lefebvre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Certes, l'amendement n° 1 est légèrement en retrait par rapport à la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires économiques. Il n'en demeure pas moins qu'il légitime un accroissement de l'ouverture à la concurrence. Or, chacun l'a bien compris, nous nous y opposons.
On ne peut que se féliciter de ce que les services postaux, profitant des nouvelles technologies issues de la révolution informatique, aient engagé, voilà déjà plusieurs années, une modernisation de leurs structures. Pour autant, il nous semble qu'une ouverture précipitée à la concurrence a pour effet d'orienter l'utilisation de ces mêmes technologies vers la réduction immédiate des coûts, et cela nécessairement donc au détriment de l'emploi.
La Poste est, hélas ! déjà aujourd'hui, le champ d'une vaste expérimentation des formes sophistiquées de la précarité. De la coexistence entre salariés de droit privé et fonctionnaires nous sommes en effet passés au recours massif à la sous-traitance.
Dès lors, certaines questions se posent. L'extension du périmètre des activités ouvertes à la concurrence ne va-t-il pas amplifier ce phénomène ? Le nombre de contractuels de La Poste - on en compte déjà 60 000 ! - ne va-t-il pas encore s'accroître ? Que deviendra le régime de protection sociale des agents de La Poste dans la mesure où l'ouverture à la concurrence se traduira en liquidation progressive d'emplois, liquidation concomitante de la déshérence du réseau.
Ce sont ces interrogations qui, outre les arguments que j'ai développés tout à l'heure, nous conduiront à nous prononcer contre cet amendement et contre les amendements de repli présentés par le groupe socialiste.
M. Gérard Larcher. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Larcher.
M. Gérard Larcher. Je souhaite revenir sur quelques-uns des arguments avancés par M. Bellanger et par M. le secrétaire d'Etat.
Je dirai tout d'abord, cher collègue, que nous avons effectivement bien de la chance dans les Yvelines ! C'est vrai, un certain nombre des problèmes qui peuvent se poser ailleurs s'y posent sans doute moins.
En ce qui concerne le fonds de compensation, vous prédisez qu'il donnerait lieu à des contentieux sans fin. Mais je vous fais observer que, jusqu'à présent, le Gouvernement n'a pas remis en cause ce mécanisme pour le service universel des télécommunications. Que je sache, monsieur le secrétaire d'Etat, ce soir, vous n'avez pas annoncé que l'on remettrait en cause ce principe du fonds de compensation ! Dès lors, pourquoi ne pas réfléchir à mettre en place pour le secteur postal ce qui fonctionne pour les télécommunications ?
Par ailleurs, monsieur Bellanger, je n'ai jamais souhaité la fin du monopole : j'ai parlé de la réduction du champ du monopole.
Monsieur le secrétaire d'Etat, sur le plan du chiffre d'affaires, la différence entre nous, c'est un milliard de francs. Un milliard de francs sur 105 milliards de francs ! Il y aurait donc ceux qui mettraient à l'encan moins de 1 % du chiffre d'affaires global, et puis il y aurait les autres, qui seraient parés de toutes les vertus ! Non, je crois qu'il faut ramener les données financières à leurs justes proportions.
Pour ce qui est du consensus, j'ai le sentiment qu'il y en a un entre au moins une partie de la majorité - j'ai pris note de la position de M. Lefebvre - et nous-mêmes.
Pour ma part, je ne partage pas l'avis du MEDEF, qui est favorable à la libéralisation totale et accélérée de La Poste. Je n'avance donc pas masqué !
Je suis un vrai indépendant sur ce genre de sujets, et les gens le savent ! Car je me méfie des caricatures, depuis vendredi. Cela étant, j'aimerais bien être caricaturé de temps en temps dans un journal du mercredi : il paraît que c'est la gloire ! (Sourires.) En tout cas, sur ce sujet, je souhaite qu'on ne caricature pas mes positions.
La Poste est-elle dégagée de la tutelle de l'Etat ? D'abord, je ne suis pas sûr qu'il faille que La Poste ou France Télécom soient dégagées de la tutelle du politique. Moi, je considère que l'institution d'une commission supérieure du service public est une bonne chose, et nul ne la remet en cause. Le politique a en effet un avis à donner, me semble-t-il, sur tout ce qui relève des entreprises de réseau jouant un rôle dans la solidarité nationale, et l'on ne peut pas dégager ces entreprises de toute intervention politique.
En revanche, je ne suis pas sûr que le politique doive s'occuper en permanence de la nomination des conseils d'administration. Vous le voyez, je fais là allusion à quelque chose d'absolument virtuel ! C'est donc une réflexion complètement éthérée !
Enfin, la décision prise aujourd'hui par le Parlement européen est un élément de la négociation globale, parce que la codécision va faire qu'il y aura un compromis. Eh bien, nous pensons placer le curseur au bon endroit par rapport à ce que pourrait être ce compromis.
D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, pour tout vous dire, je préférerais que ce soit vous qui soyez amené à négocier ce compromis plutôt que les Suédois. En effet, paradoxalement, s'agissant du service public, j'ai plus confiance en vous que dans les Suédois, qui ont pourtant nourri la pensée sociale-démocrate. Vous le voyez, je fais fi d'un certain nombre de nos clivages, parce que je suis attaché à La Poste et parce que je pense qu'elle est un atout pour notre pays.
Voilà pourquoi je ne voterai pas les amendements présentés par M. Bellanger. Voilà pourquoi je soutiendrai la position de notre rapporteur. Je pense que notre proposition est équilibrée, et ce n'est pas tout à fait une conclusion en forme de syllogisme !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je voudrais simplement dire que M. Lefebvre nous a effectivement ramenés à la réalité, après la présentation idyllique qui avait été faite par M. le secrétaire d'Etat, en évoquant l'évolution de la structure du personnel de La Poste et la précarité.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je dois tout de même préciser au Sénat que, dans le contrat d'objectifs et de progrès que j'ai signé avec La Poste au nom du Gouvernement au mois de juin 1998, j'ai tenu à ce qu'un chapitre substantiel concerne la réduction de la précarité à La Poste.
M. Pierre-Yvon Frémel. C'est vrai !
M. Gérard Larcher. C'est important !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. D'accord, mais cela ne va pas assez vite !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Cela passe par deux actions.
La première consiste à réduire le nombre des contrats de quelques heures par semaine, là où le travail connaît des périodes de pointe, par exemple dans une station touristique ou dans une région où l'activité est très marquée par la saisonnalité. Le nombre de ces contrats fait l'objet d'un traitement particulier par l'établissement public, et je m'en réjouis.
En effet, je n'aime guère que l'on convoque des gens par téléphone et qu'on leur dise : « Aujourd'hui, vous avez trois heures de travail, après-demain, ce sera deux heures », etc. Il faut essayer de fidéliser un certain nombre de personnes et de les amener à La Poste par une formation, une attention particulière à leurs besoins, sans perdre de vue, bien entendu, la notion de service public et celle de qualité du service offert à la clientèle.
La deuxième action consiste dans la transformation des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée, de telle manière que La Poste progresse, année après année, vers une situation où les contrats à durée indéterminée constitueront l'immense majorité. La Poste s'est d'ores et déjà engagée dans cette voie.
Je ne peux donc pas laisser passer l'idée selon laquelle il y aurait accroissement de la précarité à La Poste. C'est exactement l'inverse que le Gouvernement a demandé à l'établissement de réaliser et c'est bien à l'inverse que tend le contrat d'objectifs et de progrès passé entre le Gouvernement et la Poste.
MM. Jacques Bellanger et Pierre-Yvon Trémel. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 32:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 81
Contre 238

M. Pierre-Yvon Trémel. C'est dommage !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 33:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 226
Contre 93

En application de l'article 73 bis , alinéa 11, du règlement, la résolution que le Sénat vient d'adopter sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.
M. Gérard Larcher. Très bien !

10

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI


M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à améliorer l'accès aux fonctions électives municipales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 145, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté européenne (« Outremer »).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1619 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1334/2000 en ce qui concerne l'exportation et les transferts intracommunautaires des biens et technologies à double usage.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1620 et distribué.

12

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Joseph Ostermann un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises (n° 21, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 147 et distribué.
J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998 (n° 23, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 148 et distribué.
J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi de finances rectificative pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n° 130, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 149 et distribué.

13

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION


M. le président. J'ai reçu de M. Jean François-Poncet un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la réforme de la loi sur l'eau, établi par M. Jacques Oudin, président du groupe d'études sur l'eau.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 146 et distribué.

14

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 18 décembre 2000, à dix heures trente, à quinze heures et le soir :
Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2000 (n° 130, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 149, 2000-2001) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la première partie.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 15 décembre 2000, à seize heures.

Délais limites pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'archéologie préventive (n° 129, 2000-2001) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures.
Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi de finances pour 2001 ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998 (n° 23, 2000-2001) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 décembre 2000, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises (n° 21, 2000-2001) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 19 décembre 2000, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées d'origine animale et modifiant le code rural (n° 110, 2000-2001) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 19 décembre 2000, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 111, 2000-2001) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 19 décembre 2000, à dix-sept heures.
Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale (AN, n° 2740) ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : ouverture de la discussion générale.
Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2000 ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : ouverture de la discussion générale.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 15 décembre 2000, à zéro heure trente-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT
établi par le Sénat dans sa séance du jeudi 14 décembre 2000
à la suite des conclusions de la conférence des présidents

Jeudi 14 décembre 2000 :

Ordre du jour réservé

A 9 h 30 :
1° Question orale avec débat n° 30 de M. Hubert Haenel à M. le ministre des affaires étrangères sur le Conseil européen de Nice.
(Pourront intervenir dans le débat l'auteur de la question [20 minutes], le président de la commission des affaires étrangères [15 minutes], un orateur par groupe [10 minutes] et un sénateur ne figurant sur la liste d'aucun groupe [5 minutes], ainsi que le Gouvernement. En outre, chacun des intervenants disposera d'un droit de réponse au Gouvernement [5 minutes].)
A 15 heures et, éventuellement, le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.

Ordre du jour réservé

3° Conclusions de la commission des affaires culturelles (n° 124, 2000-2001) sur la proposition de loi de MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique (n° 478, 1999-2000).
4° Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 125, 2000-2001) sur la proposition de loi de MM. Alain Gournac, Jean Arthuis, Pierre Laffitte, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique (n° 44, 2000-2001).
5° Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 122, 2000-2001) sur la proposition de résolution de MM. Gérard Larcher, Pierre Hérisson, Paul Girod, François Trucy, Louis Althapé et Philippe Adnot, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté (n° E 1520) (n° 89, 2000-2001).

Lundi 18 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A 10 h 30, à 15 heures et le soir :
Projet de loi de finances rectificative pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n° 130, 2000-2001).
(La conférence des présidents a fixé au vendredi 15 décembre 2000, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)

Mardi 19 décembre 2000 :

A 9 h 30 :
1° Dix-huit questions orales (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :
- n° 863 de M. André Rouvière à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (Circulation de véhicules-épaves) ;

- n° 907 de M. Auguste Cazalet à M. le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire (Situation des associations intermédiaires d'Aquitaine) ;

- n° 916 de Mme Nicole Borvo à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie (Mode de transport du courrier) ;

- n° 919 de M. Dominique Braye à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Stockage des déchets radifères) ;

- n° 923 de M. Simon Sutour à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Création d'un registre du cancer dans le département du Gard) ;

- n° 924 de M. Michel Doublet à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Redevance d'occupation du domaine public par une canalisation d'assainissement) ;

- n° 926 de M. Jean-Patrick Courtois à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (Régime fiscal applicable au travail des jeunes) ;

- n° 927 de Mme Josette Durrieu à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Responsabilité des maires en matière de contrôle des systèmes d'assainissement non collectif) ;

- n° 928 de M. Jean Boyer à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Usage de stupéfiants et sécurité routière) ;

- n° 929 de M. Francis Giraud à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Diminution préoccupante du nombre de médecins pédiatres) ;

- n° 933 de M. José Balarello à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice (Rapport d'inspection relatif au tribunal de grande instance de Nice) ;

- n° 939 de M. Jacques Legendre à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (Conséquences des mesures de précaution sanitaire) ;

- n° 940 de M. Aymeri de Montesquiou à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité (Imputation du montant des bourses d'études sur le RMI) ;

- n° 942 de M. Jean-Jacques Hyest à M. le ministre de l'intérieur (Réforme de la profession de sapeur-pompier) ;

- n° 944 de M. Christian Demuynck à M. le ministre de l'intérieur (Armes des agents de police municipale) ;

- n° 948 de M. Jacques Donnay à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement (Présence de produits phytosanitaires dans les eaux de pluie de Nord - Pas-de-Calais) ;

- n° 949 de M. Patrick Lassourd à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes (Versement des subventions FEDER) ;

- n° 955 de M. Philippe Richert à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés (Mise en place du projet de soins infirmiers).

A 16 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire

2° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille.
3° Nouvelle lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'archéologie préventive (n° 129, 2000-2001).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)
4° Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi de finances pour 2001.
(La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)
5° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998 (n° 23, 2000-2001).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 18 décembre 2000, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)

Mercredi 20 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30, à 15 heures et le soir :
1° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille.
2° Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises (n° 21, 2000-2001).
3° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des denrées d'origine animale et modifiant le code rural (n° 110, 2000-2001).
4° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 111, 2000-2001).
(Pour l'ensemble des textes inscrits à l'ordre du jour de cette séance, la conférence des présidents a fixé le délai limite pour le dépôt des amendements au mardi 19 décembre 2000, à 17 heures.)

Jeudi 21 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30 :
1° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de la veille.
2° Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale (AN, n° 2740).
(La conférence des présidents a fixé à l'ouverture de la discussion générale le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte).
3° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire (n° 132, 2000-2001).
4° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique, ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale (n° 133, 2000-2001).
5° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports (n° 123, 2000-2001).
A 15 heures et, éventuellement, le soir :
6° Suite de l'ordre du jour du matin.
7° Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2000.
(La conférence des présidents a fixé à l'ouverture de la discussion générale le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte).
Eventuellement, vendredi 22 décembre 2000 :

Ordre du jour prioritaire

A 9 h 30 et à 15 heures :
Suite de l'ordre du jour de la veille.
Le Sénat a décidé de suspendre ses travaux de séance publique du dimanche 24 décembre 2000 au dimanche 7 janvier 2001.
Mardi 9 janvier 2001 :

Ordre du jour prioritaire

A 16 heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la lutte contre les discriminations (n° 26, 2000-2001).
(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 8 janvier 2001, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 8 janvier 2001.)
2° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (n° 314, 1999-2000).
(La conférence des présidents a fixé au lundi 8 janvier 2001, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)
Mercredi 10 janvier 2001 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et, éventuellement, le soir :
1° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'adoption internationale (n° 287, 1999-2000).
2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires (n° 415, 1999-2000).
(Pour ces deux textes, la conférence des présidents a fixé le délai limite pour le dépôt des amendements au mardi 9 janvier 2001, à 17 heures.)
Jeudi 11 janvier 2001 :
A 10 heures :

Ordre du jour prioritaire

1° Eventuellement, suite de l'ordre du jour de veille.
2° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale (n° 140, 2000-2001).
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 10 janvier 2001, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte.)
A 15 heures :
3° Questions d'actualité au Gouvernement.
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance, avant 11 heures.)

Ordre du jour prioritaire

4° Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.

A N N E X E
Questions orales inscrites à l'ordre du jour
du mardi 19 décembre 2000

N° 863. - M. André Rouvière appelle l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les difficultés que rencontre la police nationale ou la gendarmerie lors de l'interpellation de certaines personnes qui circulent à bord de véhicules automobiles qui sont des épaves circulant sans permis, sans assurance et dont certains auraient dû être détruits.
Récemment, la brigade de Bessèges, dans le Gard, a interpellé un tel conducteur. Pour l'instant, le véhicule est immobilisé sans qu'il soit possible, semble-t-il, de le détruire alors qu'il est officiellement « détruit ».
Dans le cas cité, le conducteur étant sans ressource officielle, les sanctions financières apparaissent vite utopiques. La législation ne paraît pas avoir prévu de telles situations, qui, malheureusement, sont de moins en moins exceptionnelles.
Il lui demande quelle solution pourrait être apportée à une telle situation, qui est particulièrement surprenante pour les automobilistes qui ont le souci de respecter la réglementation.
N° 907. - M. Auguste Cazalet souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'économie solidaire sur les difficultés rencontrées par les associations intermédiaires d'Aquitaine dans l'exercice de leurs missions ainsi que sur le bilan pour le moins mitigé que leur union régionale vient de dresser après un an d'application des dispositions de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l'exclusion concernant l'insertion par l'activité économique, inscrites à l'article L. 322-4-16-3 du code du travail. Ce dispositif a été complété par le décret n° 99-109 du 18 février 1999 et s'applique aux associations intermédiaires (AI) depuis le 1er juillet 1999.
En dépit de la légitimité et du rôle social qui leur a été reconnu par la loi, les associations intermédiaires d'Aquitaine ont vu leur activité brutalement chuter puisque sept d'entre elles ont dû s'arrêter, ce qui représente la perte de 308 salariés équivalents temps plein. Les sorties pour contrat de travail ont diminué de 24 % en Aquitaine, 38 % dans le Lot-et-Garonne. Cette tendance est encore plus marquée en Gironde où les AI observent une baisse du secteur marchand de 48,6 % et de 52 % dans le bâtiment, alors que ce secteur connaît une pénurie de main-d'oeuvre. Déplorant qu'en période de reprise économique des personnes en difficulté soient exclues du marché de l'emploi, les AI d'Aquitaine estiment que la loi de 1998, telle qu'elle est appliquée à l'heure actuelle, les empêche de mener à bien leurs missions. En raison d'abord de l'absence de financement de l'accompagnement social pour lequel les AI sont de plus en plus sollicitées ; il semblerait que les entreprises d'insertion (EI) et les entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI), dont les missions sont similaires et les publics concernés très proches bénéficient d'un financement d'Etat de 120 000 F pour un poste d'accompagnateur social, les associations intermédiaires recevant une aide de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) au titre des mesures ASI (appui social personnalisé), ce qui concernerait une très faible proportion de salariés. Le fait ensuite de limiter à 240 heures la durée pendant laquelle le salarié peut être mis à disposition d'un ou de plusieurs employeurs (article 8 [3°] du décret du 18 février 1999) méconnaîtrait la réalité humaine du parcours d'insertion, certains salariés pouvant accéder à un emploi ou être envoyés vers une ETTI après 110 heures, d'autres ayant besoin d'une lente et progressive immersion de 400 heures en secteur marchand. Enfin, la notion de mois calendaire sur la base de laquelle est calculée l'intervention en entreprise rendrait la mise à disposition plus complexe et réduirait le temps disponible pour le suivi social.
Il lui demande de bien vouloir lui préciser les aménagements qu'il envisage d'apporter à la législation en direction des AI afin que celles-ci puissent exercer pleinement leur rôle d'insertion par l'activité économique et ainsi participer à la redynamisation du tissu économique local.
N° 916. - Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur le train postal reliant Paris à Besançon. Le Journal officiel du 28 août 2000 a rendu publique la décision de La Poste de mettre un terme à celui-ci à partir du 5 décembre 2000 et de déplacer ce transport sur la route.
Il faut savoir qu'actuellement le transport du courrier par la route représente environ 76 % du trafic total alors que le ferroviaire atteint 4 %, soit trois TGV et un train poste autonome. C'est ce dernier qui doit être supprimé.
A partir du 5 décembre, il est prévu que cinq à sept poids lourds quittent chaque jour le tri postal de Paris 12e (Gare de Lyon) pour rejoindre tous les départements francs-comtois ainsi que le Haut-Rhin et que, parallèlement, d'autres partent des centres du Bourget, de Chilly-Mazarin ou d'Orly pour ces mêmes directions. Il est à noter d'ailleurs qu'à Dijon la direction de la SNCF déplore cette décision car elle constitue une atteinte d'un service public à un autre service public.
Ne serait-il pas paradoxal qu'un service public contribue à l'hypertrophie du transport routier ? Cette décision irait à l'encontre des orientations gouvernementales visant à un meilleur équilibre air-rail-route. Elle aurait sans doute aussi des répercussions négatives sur l'emploi.
C'est pourquoi elle lui demande de contribuer à ramener La Poste à un nouvel examen du mode d'acheminement du courrier entre Besançon et Paris.
Il serait par ailleurs urgent d'organiser dans le pays un large débat sur le véritable coût de l'acheminement du courrier par la route et de l'intérêt à venir du transport ferroviaire dans les futures années pour les produits postaux.
N° 919. - M. Dominique Braye attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur l'inexistence en France de sites de stockage spécifiques aux déchets radifères et sur l'inquiétude des collectivités locales qui ne savent de quelle manière gérer ces déchets.
L'absence de tels sites, qui permettraient de prendre en charge ces déchets si particuliers dans des conditions de sûreté et de radioprotection satisfaisantes, oblige en effet les collectivités locales soit à solliciter les exploitants d'installations nucléaires (solution peu crédible pour des quantités limitées de déchets), soit à maintenir sur site ces déchets, conduisant ainsi à la création de décharges « sauvages » de matériaux radioactifs.
En conséquence, il lui demande de préciser ses intentions quant à la création de sites de stockage appropriés pour ces déchets radifères.
N° 923. - M. Simon Sutour attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la demande, adressée à la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Languedoc-Roussillon, de création d'un registre du cancer dans le département du Gard.
Le cancer reste aujourd'hui une préoccupation essentielle de santé publique ; est-il utile de rappeler qu'il représente 27 % des décès en France métropolitaine et est la deuxième cause de mortalité après les maladies cardio-vasculaires ?
Les attentes dans la prévention, le traitement, la recherche sont considérables et le programme cancer 2000-2005 qui a été mis en place répond pleinement à la nécessité de donner une nouvelle impulsion à la lutte contre cette maladie. Parmi les axes programmatiques de ce plan figure la nécessité de mieux coordonner la recherche, pour laquelle le Gouvernement a considérablement renforcé l'effort public. A ce titre, il cite : « pour mieux agir, il nous faut aussi mieux connaître ». C'est ce à quoi répond le dispositif de surveillance des cancers, notamment par les registres dont le budget 2000 a été abondé de 5,5 millions de francs.
Dans le département du Gard, la création d'un registre du cancer aurait un intérêt scientifique évident :
- d'une part, elle permettrait la surveillance des pathologies tumorales pouvant être liées aux différentes industries du département, mais aussi l'utilisation d'herbicides ou de pesticides dans la viticulture et l'arboriculture ;

- d'autre part, la proximité du registre des tumeurs de l'Hérault favoriserait une collaboration étroite avec le centre d'enregistrement.

Cette création est souhaitée par l'ensemble de la communauté scientifique : les industriels, les chambres consulaires, ainsi que les collectivités sont prêts à cofinancer un tel protocole de recherche.
Aussi, il lui demande de bien vouloir lui préciser si elle soutient ce projet de création et quelles mesures elle entend prendre pour que la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Languedoc-Roussillon se range aux arguments des scientifiques et des décideurs de cette région.
N° 924. - M. Michel Doublet attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'augmentation importante de la redevance due à l'Etat pour l'occupation du domaine public par une canalisation d'assainissement. Il a été décidé en 1998 d'harmoniser au niveau national le barème des redevances dues pour l'occupation du domaine public de l'Etat, lequel se traduit par le barème SAPHIR, que les services fiscaux départementaux sont chargés d'appliquer avec une période transitoire d'une durée de trois années. Compte tenu de l'incidence financière importante pour les collectivités locales et leurs services, il lui demande de lui communiquer le barème SAPHIR et les mesures qu'il compte mettre en oeuvre pour en limiter l'impact financier.
N° 926. - M. Jean-Patrick Courtois appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le régime fiscal applicable aux salaires perçus par les jeunes lycéens ou étudiants désireux de se familiariser avec le monde du travail. En effet, de nombreux jeunes, soucieux d'acquérir une première expérience professionnelle et d'obtenir une certaine indépendance financière, décident de travailler en occupant des « petits boulots » (manutentionnaire, caissier, vendeur sur les marchés, vendangeur, etc.), moyennant un salaire peu élevé. Ce revenu, comme tout revenu, est soumis à l'impôt et après déduction fiscale, la somme perçue par ces jeunes est dérisoire. Ces derniers estiment alors que le travail fourni est mal récompensé et ne sont plus motivés pour renouveler cette expérience pourtant très enrichissante. Or, leur concours est très précieux pour les entreprises et les agriculteurs qui peinent chaque année pour trouver des saisonniers.
Ainsi, les régions rurales comme la Saône-et-Loire connaissent une pénurie de main-d'oeuvre au moment des moissons et des vendanges. Aussi, ne serait-il pas envisageable d'exonérer d'impôts les revenus perçus par les jeunes dont le montant ne dépasserait pas un certain seuil ?
Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître sa position sur ce délicat problème et de lui indiquer les mesures qu'il entend prendre pour encourager et récompenser le travail de ces jeunes.
N° 927. - Mme Josette Durrieu attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur l'application de la loi sur l'eau n° 92-3 du 3 janvier 1992 modifiant le code des communes et qui confère aux maires de nouvelles compétences en matière de contrôle des systèmes d'assainissement non collectif.
Cette mission était jusqu'alors exercée par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS).
C'est l'arrêt du 6 mai 1996 qui a mis en application les modalités de ce contrôle technique et de ces prestations qui, en tout état de cause, doivent être assurées sur la totalité du territoire au plus tard le 31 décembre 2005.
Et cependant, on constate d'ores et déjà dans les départements et les communes un désengagement significatif des services de l'Etat, qui n'assurent déjà plus, dans cette période transitoire, la totalité des missions de contrôle ou de conseil.
Or les maires sont confrontés à cette situation qui se met en place sans qu'ils aient été dotés de moyens techniques et financiers qui leur permettraient d'assurer normalement ces missions nouvelles. Ils assument donc, alors même qu'il s'agit de la phase transitoire, des responsabilités spécifiques et des risques qu'il convient d'apprécier dès maintenant.
En conséquence, elle souhaiterait savoir si ce désengagement parfois rapide des services de l'Etat (DDASS) en matière de salubrité publique relève d'une obligation réglementaire immédiate et si des mesures spécifiques ont été envisagées pour permettre aux maires d'assumer la charge de ces prestations dans des conditions normales.
N° 928. - M. Jean Boyer attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur les conséquences de l'usage de drogues lorsque les personnes qui les consomment conduisent un véhicule. Selon certains témoignages qu'il a récemment recueillis, les pertes de conscience, causées par l'état de dépendance, peuvent entraîner une perte de contrôle du véhicule. Si la loi prévoit le dépistage de l'alcoolémie, au contraire, la vérification de la consommation de stupéfiants est inexistante. Dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, il lui demande si le Gouvernement pourrait agir pour que soit mis au point un texte qui permettrait de révéler la consommation de drogues chez les conducteurs.
N° 929. - M. Francis Giraud appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la baisse préoccupante du nombre de pédiatres en France.
Le nombre des pédiatres français a entamé une décrue qui va aller en s'accélérant : les 110 pédiatres formés annuellement n'assurent plus la relève des départs en retraite (120 en 2000, 200 prévus à l'horizon de 2009). La féminisation de la profession accentue le déséquilibre, en raison, d'une part, d'un exercice libéral majoritairement à temps partiel et, d'autre part, d'évolutions très contraignantes du métier en secteur hospitalier qui risquent de remettre en cause bien des vocations.
L'amorce d'une augmentation de postes de diplôme d'études supérieures (DES) (37 postes supplémentaires en 1999) était de bon augure. Mais la promesse d'une vingtaine de postes supplémentaires pour 2000, contenue dans la circulaire DGS/PS 2/DES n° 99-552 du 29 septembre 1999, n'a pas été tenue.
La situation devient donc désastreuse et met en péril la santé des enfants.
Aussi, il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour y remédier.
N° 933. - M. José Balarello demande à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, de lui faire connaître, suite à des rumeurs persistantes d'affaires de pédophilie au tribunal de grande instance de Nice, s'il y a eu ou non un rapport ou plusieurs de l'inspection générale de la chancellerie à ce sujet.
Dans la négative, quelle en est la raison ? Et dans l'affirmative, quelles en sont les conclusions et s'il se révèle que ces rumeurs ne reposent sur rien de concret, s'il ne lui apparaît pas indispensable de rendre les conclusions de ce rapport publiques afin de faire taire des rumeurs qui alimentent depuis plusieurs années la presse locale et nationale et qui reprennent, périodiquement, de plus belle.
N° 939. - M. Jacques Legendre rappelle à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation que le Gouvernement a annoncé, le 11 octobre dernier, sa décision d'interdire l'utilisation de l'ensemble des intestins provenant de bovins, quel que soit leur âge, dans la fabrication de la charcuterie.
L'une des spécialités culinaires de la région de Cambrai est ainsi concernée au premier chef. En effet, l'andouillette qui y est fabriquée est composée à 95 % de fraise de veau, produit dont l'utilisation représente 700 tonnes environ par an pour la confection de 500 tonnes d'andouillette et qui serait visé par la mesure en question.
La décision d'interdiction, qui n'a pour l'instant que simplement été annoncée sans prendre de caractère officiel par voie d'arrêté interministériel, est extrêmement lourde de conséquences économiques et sociales pour le tissu artisanal local.
Le Cambrésis assure, en effet, plus de 25 % de la production nationale d'andouillette à base de fraise de veau. Or, outre la dégradation de l'image des artisans charcutiers concernés (90 dans le Cambrésis), le chiffre d'affaires de ces derniers a chuté en deux semaines seulement de 15 à 25 % selon les cas, et des mesures de chômage technique ont malheureusement d'ores et déjà dû être mises en oeuvre.
Il l'approuve dans sa volonté de faire prévaloir le principe de précaution quand la santé du consommateur peut être compromise. Mais il lui demande quelles mesures il entend prendre rapidement pour sauvegarder un secteur économique qui a su promouvoir jusqu'ici un produit traditionnel reconnu.
N° 940. - M. Aymeri de Montesquiou interroge Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le lien entre l'octroi de bourses étudiantes et le niveau du revenu minimum d'insertion des parents. La loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au RMI prévoit dans son article 9 que « l'ensemble des ressources des personnes retenues pour la détermination du montant du revenu minimum d'insertion est pris en compte pour le calcul de l'allocation ». En conséquence, les parents RMistes d'étudiants méritants voient leur allocation amputée d'une partie du montant des bourses. En cette rentrée universitaire, il lui demande si elle entend mettre fin à cette situation injuste envers les familles en situation de précarité. Il lui demande également les moyens qu'elle entend mettre en oeuvre pour remédier à cette injustice.
N° 942. - M. Jean-Jacques Hyest attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'urgence qui s'attache à la refonte de la filière du métier de sapeur-pompier professionnel, notamment des officiers.
Inscrite depuis plusieurs années à l'ordre du jour, cette réforme n'a toujours pas abouti, malgré les promesses des ministres successifs. Il semblerait toutefois que la refonte de la filière est en passe d'aboutir. A cet égard, il est indispensable que celle-ci se fasse dans la plus grande harmonie, des sapeurs-pompiers au colonel.
La situation particulière des lieutenants de sapeurs-pompiers ne doit pas être oubliée, compte tenu des responsabilités assumées et de la disponibilité des cadres. Il serait, en effet, choquant que cette catégorie ne soit pas revalorisée, au même titre que les autres catégories non officiers.
Il souhaite donc connaître les réelles intentions du Gouvernement sur ce dossier important qui doit concerner aussi l'encadrement, maillon essentiel à l'évolution du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et gage de la réussite des réformes engagées dans le cadre de la nouvelle organisation de ces services.
N° 944. - M. Christian Demuynck souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la mise en oeuvre du décret du 24 mars 2000 fixant les modalités d'application de l'article L. 412-51 du code des communes et relatif à l'armement des agents de police municipale.
En effet, l'article 2 de ce texte stipule que ceux-ci peuvent être autorisés à porter des armes de 4e et 6e catégorie incluant notamment des revolvers 7,65, calibre 38.
Une interprétation stricte de ces dispositions tendrait à exclure des armements autorisés ceux de 7e catégorie, par définition moins dangereux.
Certaines communes ont aujourd'hui équipé leur police municipale de « gomcogne » GC54, calibre 12,5, à balles en caoutchouc. Désignée comme pistolet de protection et de signalisation, cette arme, alliant efficacité et sécurité, ne présente pas de danger particulier.
Il entend, par conséquent, connaître la position du Gouvernement sur ce « gomcogne ». Il lui demande s'il est prêt à réformer le décret précité en vue d'y intégrer cette arme bien particulière.
N° 948. - M. Jacques Donnay attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur la révélation récente d'une étude, engagée depuis dix-huit mois dans la région Nord - Pas-de-Calais par l'Institut Pasteur de Lille, sur la présence de produits phytosanitaires dans l'eau de pluie. Les premiers constats de cette enquête, prévue sur quatre années, avec des relevés quotidiens effectués en cinq endroits, à Berck, Gravelines, Lille, Cambrai et Lillers, soulèvent d'ores et déjà de nombreuses interrogations, voire inquiétudes. En effet, les recherches entreprises ont déjà permis de mesurer les taux de contamination atmosphérique par rapport à la norme existante fixée à 0,1 microgramme de pesticide par litre. Or, cette norme est souvent dépassée de trente fois à Berck et de quatre-vingts fois à Lille. Ce problème, certes ancien, risque, aujourd'hui, d'alimenter le climat de psychose actuel : d'où viennent ces produits phytosanitaires retrouvés dans les eaux de pluie ? Ces produits ne risquent-ils pas de contaminer les nappes phréatiques et donc l'eau que nous buvons ? Qu'en est-il des atteintes à la faune et à l'environnement ? Informé de la détermination du Gouvernement à assurer un haut niveau de protection des milieux (l'air, l'eau, le sol), et donc des populations, en imposant notamment la surveillance étroite des seuils de pollution, il lui demande, donc, s'il ne lui paraît pas indispensable, dès à présent et sans attendre les conclusions définitives du rapport, de renforcer les contrôles de l'application des obligations environnementales qui s'imposent aux utilisateurs de produits polluants, voire de procéder à certaines suspensions. De surcroît, dans un souci de sécurité, il la remercie d'envisager les modalités d'une information locale de nos concitoyens sur ce sujet sensible.
N° 949. - M. Patrick Lassourd attire l'attention de M. le ministre délégué chargé des affaires européennes sur les modalités de versement des concours européens du Fonds européen de développement économique régional (FEDER). L'attribution des subventions est en effet subordonnée à la présentation de pièces justificatives de factures acquittées. Or, cette exigence, bien que portée sur toutes les conventions établies depuis le lancement du programme Leader II, n'a jamais été mise en application, alors même que de nombreux paiements ont pourtant été réalisés sans aucune difficulté, et ce sur la base de bilans financiers certifiés par le porteur du projet, et accompagnés d'une copie des factures afférentes. Il s'interroge donc sur le récent rejet de deux dossiers du programme Leader II du pays des Portes de Bretagne, pour non-présentation de factures acquittées. Cette pratique nouvelle et inquiétante renforce les lourdeurs administratives, et invalide gravement des projets importants pour le développement économique de nos régions. Une bureaucratie excessive ne peut en effet que retarder, voire annuler, les programmes, alors même que la France se distingue par une mauvaise consommation des crédits européens, à cause de la complexité imposée par la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). Eu égard à la quantité de pièces administratives à fournir, il paraît impossible d'exiger la présentation de factures acquittées pour chaque dossier... Soucieux toutefois de la nécessité de contrôler la destination des deniers publics, il lui demande s'il peut être envisageable d'établir le contrôle sur la bonne foi des porteurs de projets, avec production de tableaux récapitulatifs dûment certifiés portant les mentions « date, numéro et montant des factures, dénomination du fournisseur, etc. », accompagnés de copie des factures afférentes.
N° 955. - M. Philippe Richert attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la mise en place du projet de soins infirmiers (PSI) paru au Journal officiel du 20 avril 2000. Les dispositions prévues dans ce texte inquiètent vivement les infirmiers et infirmières libérales quant à leur avenir. En effet, des restrictions pourraient être apportées à leur activité, le PSI autorisant des « auxiliaires de vie » à remplacer en lieu et place les infirmiers dans les soins aux personnes âgées et/ou handicapées dont l'état est dit « stabilisé ». Ce principe est lourd de conséquences quant à la qualité des soins apportés, puisque les « auxiliaires de vie » ont peu de qualification. Il apparaît également inadmissible que les soins qui seront alors prodigués par ces personnels ne soient pas pris en charge par l'assurance maladie. Il s'agit d'un désengagement dont le coût sera supporté par les familles. De plus, la mise en place de ce système engendrera des inégalités d'accès au système de santé et cela inquiète les patients concernés. Ce texte arrive alors que la profession infirmière souffre déjà considérablement de la politique de maîtrise des dépenses de santé : aucune revalorisation tarifaire des actes infirmiers de soins (AIS) n'a vu le jour depuis 1988. Et il en va de même pour les indemnités kilométriques des dimanches, jours fériés et nuits, depuis 1984. Il souhaiterait donc savoir ce qu'elle envisage de faire pour pallier l'ensemble des inquiétudes ainsi exprimées.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS

M. Jacques Chaumont a été nommé rapporteur du projet de loi n° 285 (1999-2000) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, la fortune, les successions et les donations.
M. Jacques Chaumont a été nommé rapporteur du projet de loi n° 99 (2000-2001) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République arabe d'Egypte en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 19 juin 1980.

DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
À UNE PROPOSITION
DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

En application de l'article 73 bis, alinéa 6, du règlement, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées examinera, le mercredi 20 décembre 2000, à 9 h 30, le rapport sur la proposition de résolution n° 41 (2000-2001), présentée par M. Hubert Haenel, au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de règlement du Conseil portant création du dispositif de réaction rapide (n° E 1465), ainsi que les éventuels amendements qui seront présentés sur cette proposition de résolution.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au mardi 19 décembre 2000, à 12 heures . Les amendements devront être déposés directement au secrétariat de la commission.
Il est rappelé que, conformément à l'article 73 bis, alinéa 6, du règlement, les amendements dont aucun des auteurs n'appartient à la commission saisie au fond sont présentés devant celle-ci par leur premier signataire. La présente publication vaut, à leur égard, convocation à la réunion de la commission.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Epandage des boues d'épuration

971. - 14 décembre 2000. - M. Guy Vissac attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur le grave problème de l'épandage des boues d'épuration. Il lui rappelle que la plupart des boues urbaines issues des stations d'épuration en France sont épandues sur des terres agricoles (60 %), le reste étant soit incinéré soit mis en décharge. S'agissant de l'incinération, dont le coût est nettement plus élevé que l'épandage agricole, celle-ci restera la seule alternative envisageable, compte tenu des dispositions législatives limitant la mise en décharge aux seuls déchets ultimes à partir de 2002. Il lui rappelle également que, dès 1997, les organisations professionnelles ou syndicales agricoles commencèrent à demander aux agriculteurs de suspendre tout épandage de boues. En février 1998, un comité national de l'épandage a été mis en place. Les agriculteurs ont également sollicité la création d'un fonds de garantie pour permettre l'indemnisation de dommages éventuels et pour garantir le risque environnemental à long terme. Face à une situation bloquée, les élus locaux ayant les pires difficultés pour réaliser l'épandage des boues, il souhaiterait savoir quelles solutions sont envisagées pour que ce problème des boues ne devienne pas un fardeau financier pour les communes, notamment en Haute-Loire.

Prise en charge
des personnes atteintes de dégénérescence maculaire

972. - 14 décembre 2000. - M. Léon Fatous attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur la situation de nombreuses personnes présentant une dégénérescence maculaire liée à l'âge, souvent compliquée de néo-vaisseaux sous-rétiniens. La lésion occupe alors une bonne partie de la macula, entraînant une forte diminution de la vision, voire une atrophie définitive. Diverses possibilités thérapeutiques existent, telles la photocoagulation ou la thermothérapie transpupillaire, mais dont l'efficacité est douteuse. Il semblerait que le traitement le plus adapté soit la photothérapie dynamique avec la Visudyne. Celle-ci, dont l'autorisation de mise sur le marché est récente, est très coûteuse (8 300 F le flacon), et elle n'est pas prise en charge par la sécurité sociale. Sachant que le traitement d'un patient nécessite trois à quatre injections, il lui demande s'il ne serait pas possible de l'inscrire dans le cadre d'une politique nationale de prise en charge des thérapies particulièrement coûteuses.

Situation des personnels
des lycées et collèges du Pas-de-Calais

973. - 14 décembre 2000. - M. Léon Fatous attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur les lycées et collèges du Pas-de-Calais dont un certain nombre de postes, liés à des services sont occupés par des personnes en contrat emploi-solidarité (CES). Depuis quelques mois, les établissements ne peuvent plus renouveler ces contrats. La direction départementale du travail a fait savoir aux principaux des collèges et aux proviseurs des lycées que pour l'année 2001 un nombre très restreint de contrats emploi consolidé (CEC) leur serait accordé. Outre les problèmes humains que cela pose aux intéressés, il est évident que le fonctionnement des établissements en sera perturbé. Aussi, il lui demande quelles mesures il entend prendre pour rétablir une vie scolaire satisfaisante.



ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 14 décembre 2000


SCRUTIN (n° 31)



sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable, présentée par M. Roland Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, aux conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de M. Alain Gournac et plusieurs de ses collègues permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique.


Nombre de votants : 319
Nombre de suffrages exprimés : 319
Pour : 94
Contre : 225

Le Sénat n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Pour : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Contre : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Contre : 97.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Jacques Valade, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Pour : 77.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Contre : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Contre : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Contre : 7.

Ont voté pour


Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Ont voté contre


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Jacques Valade, qui présidait la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.

SCRUTIN (n° 32)



sur l'amendement n° 1, présenté par M. Pierre-Yvon Tremel, M. Jacques Bellanger et les membres du groupe socialiste et apparentés, tendant à une nouvelle rédaction de la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté.


Nombre de votants : 319
Nombre de suffrages exprimés : 319
Pour : 81
Contre : 238

Le Sénat n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Contre : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 5. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Gérard Delfau.
Contre : 18.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Contre : 98.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Pour : 76.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Guy Allouche, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Contre : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Contre : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Contre : 7.

Ont voté pour


François Abadie
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Yolande Boyer
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-MadeleineDieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Louis Le Pensec
André Lejeune
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Paul Raoult
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Ont voté contre


Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Jean-Yves Autexier
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Roland Muzeau
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Paul Vergès
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Guy Allouche, qui présidait la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.

SCRUTIN (n° 33)



sur l'ensemble de la proposition de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne la poursuite de l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté


Nombre de votants : 319
Nombre de suffrages exprimés : 319
Pour : 226
Contre : 93

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Contre : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Pour : 98.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Contre : 76.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Guy Allouche, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Pour : 7.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Ont voté contre


Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Guy Allouche, qui présidait la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.