SEANCE DU 20 DECEMBRE 2000


EGALITÉ PROFESSIONNELLE
ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 111, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. [Rapport n° 139 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, me voici devant vous pour une deuxième lecture de cette proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes enrichie de propositions concrètes, dont certaines sont issues des conclusions émises par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle et d'autres du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale.
Ce texte comporte, comme en première lecture, une deuxième partie consacrée à la définition du travail de nuit et aux nécessaires garanties et contreparties à inscrire dans le code du travail pour les hommes comme pour les femmes.
J'évoquerai tout d'abord les articles consacrés à l'égalité professionnelle proprement dite.
Rappelez-vous les propos que j'ai tenus devant vous lors de la discussion de certains amendements portant sur la place des femmes dans les lieux de décision économiques et sociaux. Je vous demandais de bien vouloir attendre les avis du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Je suis donc en mesure aujourd'hui de me féliciter du dialogue social engagé et des dispositions concrètes que j'ai pu inclure dans le deuxième chapitre de la loi concernant la représentation des hommes et des femmes dans les élections professionnelles.
Dorénavant, les conjointes collaboratrices des artisans, des commerçants et des agriculteurs employeurs pourront devenir électrices et éligibles aux conseils des prud'hommes en lieu et place de l'employeur. Voilà une mesure pragmatique et très attendue dans ce milieu économique qui favorisera l'augmentation du nombre de femmes dans les lieux de décision.
Les organisations socio-professionnelles ont la volonté de parvenir à une représentation équilibrée des femmes dans ces instances. Dès 2002, pour ces élections prud'homales, les organisations s'engagent à présenter des listes qui réduiront d'un tiers le déficit actuel du nombre de femmes par rapport à leur représentation proportionnelle. Le Gouvernement, pour sa part, s'engage à présenter un rapport d'évaluation au Parlement dans un délai d'un an après le renouvellement des conseils et après consultation du Conseil supérieur de l'égalité et du conseil supérieur de la prud'homie. Ce rapport contiendra aussi des engagements pour parvenir, en 2007, à une réelle représentation équilibrée des femmes, compte tenu de leur place dans le corps électoral des prud'hommes.
Des engagements ont également été pris concernant la place des femmes dans les comités d'entreprise et parmi les délégués du personnel. Les voies et moyens en vue d'atteindre une représentation équilibrée sur les listes de candidatures devront faire l'objet d'un examen lors de l'élaboration du protocole d'accord pré-électoral. Lorsqu'un accord sera passé entre l'employeur et une ou plusieurs organisations syndicales, cet accord ne liera que les signataires.
Un autre article prévoit la constitution d'une commission de l'égalité professionnelle dans les entreprises employant au moins 200 salariés, commission chargée notament de préparer les délibérations du comité d'entreprise.
Le Gouvernement, pour sa part, s'engage devant le Parlement là encore à présenter un an après leur mise en vigueur, un rapport évaluant l'effectivité de ces nouvelles dispositions ; il proposera, le cas échéant, de nouvelles mesures.
Vous le savez, aujourd'hui même, le Conseil économique et social vote le rapport de Michèle Cotta, qui a répondu à une saisine du Premier ministre sur ces mêmes sujets. C'est avec un grand intérêt que je prendrai connaissance des propositions émises.
J'en viens maintenant au deuxième volet de notre débat : l'encadrement du travail de nuit.
Le chapitre III s'est considérablement enrichi du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale. En fait, c'est, pourrait-on dire, un nouveau chapitre du code du travail qui est institué.
J'avais déclaré devant votre assemblée que le travail de nuit n'était un progrès social ni pour les hommes ni pour les femmes, mais que la société avait besoin de ces 3 millions de salariés, dont 800 000 femmes, et que notre devoir était de leur apporter à tous, hommes et femmes, les meilleures garanties et contreparties possibles.
C'est donc avec confiance que je vous présente rapidement les principales avancées de ce texte.
Il contient un certain nombre de dispositions d'ordre public, dictées par l'exigence de protection de la santé et de la sécurité des salariés concernés, notamment en matière de définition du travail de nuit, de limitation de sa durée, de surveillance médicale ou encore de protection de la femmes enceinte.
En conjugant ces dispositions d'ordre public et la négociation collective, ce texte crée les conditions permettant d'éviter toute banalisation du travail de nuit. L'article L. 213-1 est clairement rédigé : « Le recours au travail de nuit doit être exceptionnel ».
La définition de la plage horaire du travail de nuit est désormais fixée de vingt et une heures à six heures, au lieu de vingt-deux heures à cinq heures. La durée moyenne hebdomadaire calculée sur douze semaines est abaissée à quarante heures, au lieu de quarante-deux heures.
Les contreparties devront comporter obligatoirement des temps de repos. C'était une demande que vous aviez exprimée fortement dans les débats en première lecture.
Mme Gisèle Printz. Tout à fait !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Ces temps de repos n'excluent pas, bien évidemment, d'autres formes de contreparties comme les majorations de salaire, très répandues dans les accords en vigueur sur le travail de nuit.
Des progrès importants sont proposés en matière de surveillance médicale. Le texte du Gouvernement étend cette surveillance à l'ensemble des travailleurs de nuit et prévoit un rythme accru des visites chez le médecin du travail, dont le rôle est important en la matière.
Les femmes enceintes, quant à elles, ont droit à une protection réelle. Elles pourront dorénavant, dès qu'elles auront connaissance de leur grossesse, faire une demande de reclassement en travail de jour auprès de leur employeur. Pour prendre en compte les cas où un poste de jour ne peut être proposé, je m'étais engagée, lors du vote de ce texte devant l'Assemblée nationale, à étudier la possibilité de mettre en place un dispositif de garantie de rémunération spécifique adossée au régime de couverture sociale de la maternité et complétée par l'entreprise. Je suis en mesure aujourd'hui de proposer l'attribution d'une allocation journalière maternité.
C'est avec beaucoup d'intérêt, madame la rapporteure, que j'ai pris connaissance des amendements de la commission des affaires sociales visant à la création d'une indemnité journalière. Mais serais heureuse que mes propositions précises et construites soient soutenues par la commission et que le Sénat adopte l'amendement que j'ai déposé sur ce sujet.
Il prévoit un dispositif inspiré de l'accord national interprofessionnel du 10 décembre 1977 mais déroge à la condition de trois ans d'ancienneté. Il s'agit bien d'une mesure de protection de la maternité, les dispositions relatives aux indemnités journalières figureront dans le code de la sécurité sociale au chapitre relatif à l'assurance maternité, ce qui avait été réclamé à de nombreuses reprises tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Par ailleurs, je souhaite compléter cette partie du texte sur les femmes enceintes par un amendement qui donne la possibilité au médecin du travail de proposer un poste de jour à une femme enceinte travaillant la nuit, même si celle-ci n'en fait pas la demande, s'il estime que le poste de nuit présente des risques pour la santé de la salariée ou celle de l'enfant à naître.
Ce texte apporte également des garanties de grande portée pour l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Non seulement cette question devra être abordée dans les accords, mais un salarié pourra refuser le passage au travail de nuit sans s'exposer à une sanction ou à un licenciement s'il justifie d'obligations familiales impérieuses, telles que la garde d'un jeune enfant ou la prise en charge d'une personne très dépendante. Cette faculté vaudra aussi, en sens inverse, pour le retour à un travail de jour.
En outre, les travailleurs de nuit souhaitant passer à un travail de jour, ou vice versa, bénéficieront d'une priorité d'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous présente aujourd'hui en deuxième lecture constitue donc une avancée sociale majeure, de manière encore plus nette que le texte que je vous avais soumis en première lecture.
D'une part, il tend à promouvoir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et, d'autre part, il prévoit un dispositif protecteur de grande qualité pour l'ensemble des travailleurs de nuit, femmes et hommes.
C'est donc avec conviction que je défends devant vous l'ensemble de ces dispositions.
Vous me permettrez maintenant d'évoquer brièvement, au nom de Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, l'égalité professionnelle dans la fonction publique.
Je vous rappelle l'engagement pris par le Gouvernement de déposer tous les deux ans devant le Parlement un rapport sur la situation comparée entre les hommes et les femmes agents de la fonction publique, en termes de recrutement, d'avancement, de formation et de rémunération effective.
Les jurys et les comités de sélection dont les membres sont désignés par l'administration seront composés en respectant une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
Je rappelle l'objectif du Gouvernement : faire bouger les choses, faire évoluer les pratiques dans les administrations, autoriser les conditions d'une égalité en marche entre les hommes et les femmes.
Je note avec satisfaction la réelle convergence de vues, relevée par votre rapporteure, Mme Bocandé, entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur la nécessité d'améliorer la situation des femmes et d'assurer concrètement l'égalité. Nombre d'articles ont ainsi été adoptés conformes par les deux assemblées.
Quelques articles reviennent devant vous. Ils concernent principalement la mise en oeuvre du principe de mixité dans les jurys de recrutement aux concours d'accès à la fonction publique et dans les jurys de promotion interne.
Je regrette que, sur ce point, le Sénat n'ait pas suivi l'Assemblée nationale et que, tout en fixant le principe de mixité, il permette d'y déroger, certes dans des cas exceptionnels et après avis des instances consultatives. Mais n'est-ce pas prêter le flanc à l'immobilisme ? Je me permets de poser cette question.
Il nous faut aller de l'avant, moderniser le recrutement et la gestion de la fonction publique afin de permettre aux femmes d'y trouver leur juste place. Pour cela, il est nécessaire de diversifier la composition des jurys, de manière à permettre la prise en compte des points de vue et des profils différents.
Je rappellerai d'autres décisions du Gouvernement comme la mise en oeuvre, dans chaque ministère, d'un plan pluriannuel d'amélioration de l'accès des femmes aux postes de responsabilité, à des emplois d'encadrement, ou encore l'institution d'un comité de pilotage chargé d'expertiser les critères de sélection qui président au recrutement des cadres supérieurs de la fonction publique et de faire des propositions de modification des concours et des cursus de formation.
L'ensemble de ces mesures doit permettre de rééquilibrer la structure hiérarchique des administrations afin qu'elle reflète davantage la composition de la société. Je n'hésite pas à dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'Etat employeur doit montrer l'exemple. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Annick Bocandé, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est sensiblement différent de celui que nous avions adopté en première lecture, le 3 octobre.
Le bilan de la navette apparaît, pour l'instant, comme très mince, l'Assemblée nationale étant revenue pour l'essentiel à son texte de première lecture et les apports du Sénat ayant largement disparu. Sur les vingt-deux articles restant en discussion après le passage au Sénat, seuls cinq ont, en effet, été adoptés ou supprimés conformes par l'Assemblée nationale.
Surtout, la proposition de loi a été profondément transformée par l'introduction, sur proposition du Gouvernement, de nouvelles dispositions relatives au travail de nuit, dispositions dont l'importance tend à faire passer désormais les mesures initiales sur l'égalité professionnelle au second plan.
L'examen du texte en première lecture par le Sénat avait permis d'aboutir à un accord sur un nombre non négligeable d'articles. Sur les trente articles dont il avait été saisi, le Sénat en avait adopté conformes seize. Cela concernait notamment les dispositions relatives à la fonction publique.
Cependant, la poursuite de la navette montre que les divergences entre les deux assemblées demeurent importantes, même s'il convient de faire à cet égard une distinction entre les deux volets du texte.
C'est sur le volet relatif au droit du travail que les désaccords apparaissent le plus nettement.
Alors que treize articles restaient en discussion sur le titre Ier de la proposition de loi après la première lecture au Sénat, l'Assemblée nationale n'a finalement adopté conformes que deux articles, dont la portée est pour le moins mineure.
Elle a, en revanche, supprimé ou substantiellement modifié les six articles introduits par le Sénat et est revenue à son texte initial sur cinq articles. Elle a, en outre, introduit cinq articles additionnels.
Je regrette vivement que l'Assemblée nationale n'ait pas choisi de débattre en profondeur de cette importante question de l'égalité professionnelle et qu'elle ait préféré le plus souvent écarter d'un revers de la main les propositions du Sénat.
Trois domaines auraient dû faire l'objet d'un tel débat.
Il s'agit d'abord de la négociation collective sur l'égalité professionnelle. Sur ce point, les positions des deux assemblées demeurent éloignées, témoignant de deux conceptions finalement très différentes de la négociation collective.
Il importe, toutefois, de lever un malentendu. Le Sénat, en dépit de certaines réserves, ne s'oppose pas à l'institution d'obligations de négocier sur l'égalité professionnelle. Au contraire, la commission des affaires sociales est persuadée que c'est par la négociation effective, et non par l'instauration de nouvelles dispositions normatives contraignantes, que les inégalités trop souvent constatées se résorberont.
C'est sur la forme de ces négociations que les positions respectives divergent. Notre commission estime que la mise en place d'obligations de négocier doit rester compatible avec la nécessaire autonomie des partenaires sociaux. Il faut donc que les partenaires sociaux puissent fixer librement le socle de la négociation et non que celui-ci leur soit imposé par une administration trop souvent coupée des réalités économiques et sociales des branches et des entreprises.
Il faut également que le rythme des négociations sur l'égalité professionnelle s'intègre au mieux dans le déroulement du dialogue social et non que la périodicité des négociations relève d'une logique aussi obscure qu'arbitraire.
Il faut enfin que cette négociation soit souple et directe, et non figée dans un quelconque rendez-vous institutionnel et factice, dont le non-respect serait, qui plus est, passible de sanctions pénales. Notre commission doute en effet que la pénalisation croissante du droit du travail constitue une réelle solution. Le risque est grand d'aboutir à une succession de négociations formelles, simplement destinées à éviter toute condamnation pénale. Ce n'est pas, à l'évidence, un climat très propice à l'ouverture d'un dialogue serein.
Aussi, sur ce point, la commission, ne désespérant pas de convertir l'Assemblée nationale à une conception plus moderne du dialogue social, proposera de revenir largement au texte adopté en première lecture au Sénat.
L'articulation entre vie familiale et vie professionnelle aurait également mérité d'être plus simplement débattue à l'Assemblée nationale.
Notre commission avait regretté, en première lecture, que la présente proposition de loi ignore totalement cette question pourtant essentielle. En effet, ce sont bien souvent les difficultés que rencontrent les femmes pour concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle qui alimentent les inégalités persistantes. Les femmes restent encore trop fréquemment dans l'obligation d'interrompre leur carrière professionnelle pour élever leurs enfants et se heurtent à d'importantes difficultés pour réintégrer le marché du travail.
Le Sénat avait formulé deux propositions très concrètes sur ces deux points en adoptant, sur l'initiative de la commission, deux articles additionnels. Mais l'Assemblée nationale les a supprimés, sans avoir pris le temps de les examiner en détail. Notre commission le déplore et proposera, en conséquence, de les rétablir en deuxième lecture.
La navette a été beaucoup moins stérile sur le troisième sujet, même si subsistent, là encore, des incompréhensions ; je veux parler de la représentation des femmes dans les élections professionnelles.
Dans ce domaine également, le Sénat avait fait deux séries de propositions.
D'une part, sur l'initiative de la commission, il avait adopté un article favorisant la reconnaissance professionnelle des conjoints collaborateurs d'artisan en leur permettant d'être électeurs et éligibles aux conseils de prud'hommes.
D'autre part, sur proposition de notre collègue Gérard Cornu, le Sénat avait adopté trois articles instaurant la parité sur les listes de candidats aux élections aux conseils de prud'hommes, aux comités d'entreprise et aux fonctions de délégué du personnel.
La commission se félicite que ces initiatives aient été, au moins partiellement, retenues par l'Assemblée nationale.
Ainsi, pour les conjoints collaborateurs, l'Assemblée nationale a accepté de leur permettre de se substituer au chef d'entreprise pour les élections prud'homales. C'est un compromis très satisfaisant, qui leur garantit une reconnaissance professionnelle depuis longtemps attendue.
De même, pour les élections prud'homales, les partenaires sociaux se sont saisis du dossier, notamment au travers du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. A la suite de la proposition du Sénat, un consensus s'est ainsi dégagé autour de l'objectif d'une meilleure représentation des femmes. Dans un premier temps, et à défaut d'une stricte parité, les disparités actuelles dans la composition des listes de candidats par rapport à la composition du corps électoral seraient réduites d'un tiers pour le renouvellement de 2002. C'est cet objectif que reprend le texte transmis par l'Assemblée nationale. Là encore, cette proposition, bien que se situant en retrait par rapport à celle du Sénat, paraît acceptable et elle a le mérite de débloquer la situation.
En revanche, l'objectif d'une meilleure représentation des femmes dans les comités d'entreprise ou parmi les délégués du personnel reste lettre morte.
Le texte de l'Assemblée nationale se contente de renvoyer à un énième rapport, qui ne sera rendu public qu'au 31 décembre 2003. Il prévoit également une étrange disposition, qui renvoie à un accord entre employeur et organisations syndicales la définition des « voies et moyens pour atteindre une représentation équilibrée des femmes et des hommes sur les listes de candidatures au comité d'entreprise ». Il y aurait là une immixtion évidente du chef d'entreprise dans un domaine qui relève de la seule responsabilité des syndicats.
Dans ces conditions, notre commission juge souhaitable de réitérer les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture, mais sous une forme aménagée, prenant en compte les spécificités des entreprises et des branches, afin de relancer le dialogue social sur ce sujet.
S'agissant du volet relatif à la fonction publique, les positions des deux assemblées semblent moins éloignées.
Neuf articles restaient en discussion après le vote du Sénat en première lecture. En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté ou supprimé conformes trois de ces articles, mais est revenue à son texte initial pour les six autres, sous réserve de quelques modifications.
Deux points de désaccord ont été confirmés.
D'une part, l'Assemblée nationale a, une nouvelle fois, supprimé la « clause de sauvegarde » qu'elle avait déjà supprimée en première lecture, mais que le Sénat avait souhaité rétablir. Or cette clause, qui prévoit que la mixité dans les jurys peut être exceptionnellement assurée par la présence d'au moins un membre de chaque sexe, est à l'évidence une mesure pragmatique. Il s'agit ici simplement de prendre en compte des difficultés d'application qui pourraient survenir lorsque la représentation respective des femmes et des hommes est très déséquilibrée.
D'autre part, l'Assemblée nationale est revenue à la rédaction initiale de l'article 14 bis , ignorant les propositions de simplification du Sénat sur le contenu et l'intitulé du rapport sur l'application du principe de l'égalité des sexes dans la fonction publique.
Sur ces deux points, la commission des affaires sociales vous propose de revenir au texte adopté par le Sénat en première lecture sur l'initiative de la commission des lois.
La portée de la présente proposition de loi a été profondément amplifiée par l'introduction, en cours de navette et sur l'initiative du Gouvernement, de nouvelles et importantes dispositions sur le travail de nuit. Ces dispositions lèvent l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie et instaurent un nouveau régime légal pour le travail de nuit, à la fois pour les femmes et pour les hommes.
Nous abordons ici, vous l'aurez compris, mes chers collègues, le coeur du débat qui va nous occuper ce soir, débat à la charge hautement symbolique, mais aux répercussions éminemment pratiques pour de très nombreux salariés. En effet, le travail de nuit est aujourd'hui une réalité pour des milliers de salariés. On estime que près de trois millions de salariés travaillent plus ou moins régulièrement la nuit, dont huit cent mille femmes. Ainsi, près de 15 % des salariés travaillent au moins une nuit par an et 4 % plus de cent nuits par an.
Cette réalité du travail de nuit, dont on ne soulignera jamais assez la nocivité et les risques pour la santé et la sécurité des salariés, contraste fortement avec le silence de la législation.
Certes, depuis 1892, la législation du travail prévoit l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie, même si quelques assouplissements ont été apportés en 1979 et en 1987 à cette interdiction de principe. Toutefois, cette interdiction de principe apparaît aujourd'hui comme une fiction juridique. Notre pays a déjà été condamné à deux reprises par la Cour de justice des Communautés européennes, et il se trouve aujourd'hui sous la menace d'une très lourde astreinte pour avoir maintenu une telle disposition jugée discriminatoire par le droit communautaire.
Dès lors, notre législation sur le travail de nuit des femmes est privée de toute portée normative, le juge écartant désormais la norme nationale au profit de la jurisprudence européenne. D'ailleurs, environ cinquante-cinq mille femmes travaillent déjà, aujourd'hui, la nuit dans l'industrie.
Mais le silence de notre législation sur le travail de nuit va au-delà de la simple obsolescence de ces dispositions. Le code du travail ne comporte en effet aucune disposition relative à l'encadrement du travail de nuit en général, hormis quelques mesures relatives aux jeunes travailleurs.
Certes, la plupart des salariés travaillant la nuit bénéficient d'une protection juridique satisfaisante, car ils sont couverts par des conventions ou des accords collectifs abordant le travail de nuit. Toutefois, là encore, notre législation apparaît en retrait par rapport aux exigences européennes, deux importantes directives de 1992 et 1993 sur ce sujet n'ayant toujours pas été transposées.
Au total, et compte tenu de ces observations, une modernisation de notre législation sur le travail de nuit apparaît désormais nécessaire, ne serait-ce que pour la mettre en conformité avec le droit européen. C'est sans doute le constat qu'a formulé le Gouvernement et qui a motivé le dépôt d'un amendement à la présente proposition de loi.
Cet amendement sur le travail de nuit - vous vous en rappelez sûrement, mes chers collègues - avait déjà été déposé lors de l'examen de ce texte en première lecture par le Sénat. La commission avait alors exprimé sa réticence à légiférer dans la hâte sur ce sujet important. Elle avait ainsi formulé des réserves sur la procédure retenue par le Gouvernement.
D'une part, il aurait été souhaitable de mieux associer les partenaires sociaux à la préparation d'une réforme dont les implications les concernent très directement et pour laquelle ils auraient pu faire valoir des expériences concrètes. Des solutions adaptées sont en effet fréquemment trouvées dans les conventions de branche. Mais le Gouvernement a préféré légiférer à la hussarde, se contentant, semble-t-il, d'une simple consultation de pure forme des partenaires sociaux, alors que trois organisations syndicales sur les cinq représentatives au niveau national ont marqué leur opposition au projet gouvernemental.
D'autre part, il aurait été préférable de respecter le calendrier législatif initialement annoncé. Les dispositions relatives au travail de nuit figurent en effet dans le projet de loi de modernisation sociale. Ce projet de loi, annoncé depuis de longs mois, n'a été déposé que le 24 mai 2000, et son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale a été différée. Le choix de procéder, dans la précipitation, par amendement du Gouvernement, au cours de la navette d'une proposition de loi, dénote une maîtrise pour le moins imparfaite de l'ordre du jour des travaux parlementaires. D'autant que la présente proposition de loi ne sera guère promulguée avant le printemps prochain et que le Gouvernement s'est enfin résolu à inscrire le projet de loi de modernisation sociale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale début janvier 2001.
La commission avait également formulé des réserves sur le fond. Elle considère que cette réforme de la législation sur le travail de nuit ne constitue pas un progrès social, mais qu'elle est rendue nécessaire par le droit européen. Elle aurait donc préféré un cadre législatif plus respectueux des prérogatives des partenaires sociaux. Il aurait en effet été possible de se contenter d'une transposition a minima des directives européennes et de renvoyer très largement la définition du cadre juridique du travail de nuit à la négociation collective. Une telle démarche, simple et logique, n'a, hélas ! pas été retenue par le Gouvernement.
La commission avait pourtant choisi en première lecture, sans enthousiasme, de ne pas s'opposer à l'adoption de l'amendement du Gouvernement, en dépit des conditions désastreuses dans lesquelles il était examiné - dépôt tardif, rectifications multiples - sous réserve de l'adoption de plusieurs sous-amendements. Ces sous-amendements visaient à apporter un certain nombre de garanties à la fois pour la protection des salariés, notamment des femmes enceintes, et pour le bon fonctionnement des entreprises dans l'obligation de recourir au travail de nuit. Il s'agissait pour la commission de trouver un équilibre acceptable pour une réforme qu'elle n'avait pas souhaitée.
Le Sénat décidait, en définitive, après avoir adopté ces sous-amendements, de ne pas voter l'amendement du Gouvernement. Il est probable que la majorité du Sénat, à laquelle il aurait incombé de voter seule la levée de l'interdiction du travail de nuit des femmes, a considéré que la primeur que lui réservait ainsi le Gouvernement n'était pas, de la part de ce dernier, totalement dépourvue d'ambiguïtés, voire d'arrière-pensées.
La commission considère toutefois qu'il est important, en deuxième lecture, d'examiner en détail le dispositif voté à l'Assemblée nationale. L'examen de l'amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale n'a en effet permis de dissiper ni la confusion ni les ambiguïtés du dispositif. Le Gouvernement donne ici singulièrement l'impression de « piloter à vue » cette réforme importante, mais mal préparée, comme en témoigne son inquiétant mutisme au cours des débats.
La rédaction issue de l'Assemblée nationale est loin d'être satisfaisante. Elle ne permet en effet ni d'assurer une réelle protection aux salariés travaillant la nuit ni de garantir aux entreprises la possibilité de recourir au travail de nuit dans de bonnes conditions, lorsque cela est nécessaire.
Je citerai un exemple parmi d'autres : la garantie de rémunération accordée à la salariée enceinte qui ne peut être reclassée sur un poste de jour. L'Assemblée nationale a souhaité que cette rémunération soit intégralement à la charge de l'employeur et non plus, pour partie, à celle de la sécurité sociale. Or cela peut se traduire soit par un frein à l'embauche de femmes en âge d'avoir des enfants dans les entreprises travaillant parfois de nuit, soit par une charge financière importante pénalisant les entreprises ayant recruté des femmes. Les effets pervers du dispositif sont alors évidents. Nous avons tenu à faire des propositions à cet égard et nous nous félicitons de voir que le Gouvernement s'y rallie, comme vous venez de le rappeler, madame la secrétaire d'Etat.
Autre exemple, l'obligation de renégocier la majorité des accords sur le temps de travail. La rédaction retenue oblige les entreprises qui ont introduit le travail de nuit sur le fondement d'un accord collectif sans pour autant prévoir de repos supplémentaire à renégocier l'intégralité des accords qu'elles ont pu conclure sur ce sujet, notamment à l'occasion des trente-cinq heures. Le texte adopté par l'Assemblée nationale revient donc à desavouer les partenaires sociaux et à introduire une nouvelle insécurité juridique dans notre droit du travail.
Ces deux effets pervers avaient d'ailleurs, dans un premier temps, été soulignés par le Gouvernement. Mais celui-ci a ensuite cédé devant la pression peu raisonnée de sa majorité plurielle. Je le regrette.
Dès lors, pour les salariés travaillant la nuit et pour les entreprises qui les emploient, le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte en définitive plus d'interrogations, voire d'effets pervers, qu'il n'apporte de réponses. Il ne peut rester en l'état et doit être amélioré de façon significative.
La commission a donc souhaité présenter des amendements assurant une protection effective, au-delà des seules pétitions de principe, des salariés travaillant la nuit, mais garantissant également le bon fonctionnement de nos entreprises, sans les pénaliser trop lourdement.
En conséquence, elle vous propose de voter cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous présente. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne créerai pas la surprise dans notre hémicycle en vous disant, au nom du groupe socialiste, que la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes telle qu'elle revient de l'Assemblée nationale nous convient globalement.
En ce qui concerne l'égalité professionnelle, nous faisons un constat commun, qu'il s'agisse des rémunérations, de l'avancement ou de l'accès à la formation. Alors que 80 % des femmes en âge d'être actives travaillent, elles demeurent particulièrement touchées par la précarité, le temps partiel subi et les bas salaires.
Rien ne justifie plus ni un écart salarial moyen de 25 % ni que les femmes ne représentent que 6 % des membres des états-majors des grandes entreprises françaises. Ces données maintenant bien identifiées sont d'ailleurs reprises une nouvelle fois dans le récent rapport de Mme Cotta au Conseil économique et social sur la représentation des femmes dans les lieux de décision, qui est particulièrement éloquent.
S'il n'y a pas lieu de s'étonner que les femmes ne soient représentées qu'à hauteur de 5 % au sein du MEDEF, ce qui est proportionnel à leur nombre dans les grandes entreprises, il n'est absolument pas normal qu'elles ne soient que 10 à 20 % dans les instances de décision d'organismes tels que l'ANPE, l'AFPA oul'UNEDIC. Manifestement, il y a encore beaucoup à faire pour atteindre la parité. Ces exemples montrent à quel point il est nécessaire, dans les entreprises elles-mêmes, de prévoir une négociation périodique et des sanctions en cas de carence manifeste.
La question est tout aussi aiguë dans la fonction publique. Elle y est même, apparemment, inexplicable. On peine en effet à comprendre pourquoi il n'y a que 20 % de femmes chefs de service, directeurs-adjoints et sous-directeurs et 13 % parmi les directeurs d'administration centrale. Les conclusions du rapport confié à Anicet Le Pors seront sans nul doute édifiantes sur ce point.
Ainsi que l'indiquait le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat à l'Assemblée nationale, « donner aux femmes la place qui leur revient dans la fonction publique exige une vraie volonté et des actes ». Il est à tout le moins nécessaire de mieux équilibrer les divers jurys et comités de sélection.
En ce qui concerne l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle, si nous partageons tous la même préoccupation - permettre aux femmes d'avoir une vie la plus harmonieuse et la moins stressée possible - nos idées sur les moyens d'y parvenir diffèrent. Nous sommes en particulier très attachés à ce que les femmes ne s'éloignent pas trop durablement du monde du travail, ce qui peut leur poser ensuite de cruels problèmes de réinsertion quand les enfants sont tous scolarisés. Les conséquences en matière de retraite sont également très néfastes.
Il nous paraît donc préférable, tant pour aides les femmes que pour faciliter la socialisation des jeunes enfants, de développer et de diversifier les modes de garde. La nette augmentation des subventions budgétaires aux crèches prévue cette année dans la loi de finances va dans le bon sens. De même, pourquoi - j'y reviens à nouveau - ne pas solliciter les comités d'entreprise, afin qu'ils participent à l'élaboration d'un sytème de tickets halte-garderie pour les personnes qui sont à temps partiel ?
Je dirai un dernier mot sur cette partie du texte. Nous sommes heureux qu'un compromis ait été trouvé sur les élections prud'homales, pour les conjoints collaborateurs et la représentation des femmes sur les listes de candidats.
J'en viens maintenant à ce qui est devenu le point le plus important, en tout cas le plus médiatisé et polémique de cette proposition de loi : le travail de nuit, considéré à tort comme le travail de nuit des femmes.
En effet, je ne reviens pas sur la nécessité de résoudre rapidement le problème juridique posé par l'interdiction de principe du travail de nuit des femmes qui subsiste dans notre droit positif. Mais il faut rappeler avec force que, contrairement à ce que d'aucuns affirment, l'on ne saurait considérer une interdiction de principe que nul ne respecte plus comme une protection efficace. Il était de toute façon nécessaire d'actualiser cette législation rendue caduque par l'évolution des choses. Il est en même temps important d'apporter enfin un ensemble de garanties à tous les travailleurs de nuit, qu'ils soient hommes ou femmes.
Ces principes posés, nul ne saurait prétendre que ce texte soit emblématique du progrès social. Les problèmes sérieux et parfois graves posés par le travail de nuit, sur le plan de la santé, de la vie familiale et sociale, sont connus.
Toutefois, le travail de nuit existe et répond à une absolue nécessité dans des secteurs tels que la santé ou la séurité publique et à des besoins économiques, dans d'autres. Nous ne pouvons pas faire qu'il en soit autrement. Nous devons donc faire preuve de lucidité dans l'intérêt même de ceux que nous voulons protéger.
Il nous faut donc veiller à ce que les salariés dans cette situation bénéficient au moins de garanties sanitaires et légales correctes.
De ce point de vue, le groupe socialiste du Sénat enregistre avec une particulière satisfaction les progrès accomplis depuis la première lecture. Nous nous réjouissons de constater que les amendements que nous aurions souhaité que le Sénat adopte ont pu être introduits dans le texte par l'Assemblée nationale.
Ainsi, le travail de nuit devra rester exceptionnel. Il sera soumis à la conclusion préalable d'un accord collectif et devra être justifié. A défaut d'aboutissement des négociations, l'autorisation de l'inspecteur du travail sera requise.
Le recours au travail de nuit devra prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. C'est une absolue nécessité en égard aux conséquences sur la santé des horaires atypiques, surtout lorsque le travail de nuit dure plus de huit ou dix ans. C'est pourquoi la surveillance médicale semestrielle que nous avions demandée lors de la mise en place du travail de nuit est un facteur positif.
Bien évidemment, nous voterons également l'amendement que le Gouvernement nous propose afin de permettre l'intervention écrite du médecin du travail pour qu'une femme enceinte travaillant de nuit soit affectée à un poste de jour pendant toute la durée de sa grossesse.
Ainsi que nous vous l'avions fait observer, il était à craindre que la femme enceinte ne subisse des pressions ou n'ose pas même demander à passer au travail de jour. Elle sera ainsi mieux protégée, sans que l'on aille toutefois jusqu'au passage automatique au travail de jour, sauf dérogation, ce qui aurait pu se concevoir, puisqu'il ne peut y avoir de diminution de la rémunération.
L'élargissement de la plage horaire de 21 heures à 6 heures, ou de 22 heures à 7 heures est également un point positif. Surtout, nous sommes satisfaits de la limitation de la durée maximale à huit heures par jour et 40 heures par semaine, qui nous a toujours parue indispensable pour rendre le travail de nuit supportable.
L'accord collectif mettant en oeuvre le travail de nuit devra prévoir une contrepartie sous forme de repos supplémentaire et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale, ce à quoi nous avons toujours été très attachés.
Il serait d'ailleurs souhaitable de prévoir une durée minimale pour ce repos compensateur, ce qui rendrait la disposition plus efficace, quelle que soit la situation sociale dans l'entreprise.
Il est tout à fait important de rappeler, et il convient, à cet égard, de rendre hommage à la ténacité de Mme la sécrétaire d'Etat, que cette disposition relative au repos compensateur s'appliquera, dans le délai d'un an, aux entreprises qui pratiquent déjà le travail de nuit.
Enfin, la possibilité pour les salariés de refuser le travail de nuit est mieux prise en compte, pour des motifs divers, qu'il s'agisse d'obligations familiales impérieuses ou des garanties accordées aux femmes enceintes. Comme nous le souhaitions également, le refus d'un salarié de passer au travail de nuit ne sera pas une faute ou un motif de licenciement.
Sans doute est-il juridiquement utile d'affiner maintenant le dispositif de la garantie de rémunération accordée à la salariée enceinte que l'employeur ne peut reclasser en travail de jour. Il paraît en effet anormal de faire peser sur le seul employeur la charge de cette garantie, d'autant que cela peut se retourner contre les femmes.
L'amendement du Gouvernement est, à cet égard, un bon compromis entre le principe et la pratique. Nous attirons néanmoins votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur la nécessité de prévoir les conditions d'égalité entre l'indemnité journalière maladie-maternité et ce dispostif spécifique. Le niveau légal de base : en ce domaine ne serait pas acceptable pour les salariées et constituerait pour elles un facteur puissamment dissuasif.
Au total, madame la secrétaire d'Etat, cette proposition de loi nous agrée, telle qu'elle nous revient de l'Assemblée nationale, parce qu'elle comporte les garanties indispensables ; nous la voterions donc volontiers. J'emploie ici le conditionnel, car il me paraît très probable que les amendements de la majorité sénatoriale viendront écrêter sérieusement le dispositif. Cette hypothèse, qui n'est en rien hasardeuse, nous conduirait bien entendu à ne pouvoir accepter des restrictions au détriment des salariés.
Mais nous n'en sommes pas encore là, et vous pouvez compter sur notre soutien tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le constat de l'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes est malheureusement indéniable.
Comme je l'indiquais en première lecture, en dépit de l'inscription dans différents textes du principe d'égalité, qu'il s'agisse de salaires, de formation ou encore de non-discrimination fondée sur le sexe dans la relation salariale, la réalité reste celle d'inégalités persistantes.
Je procéderai à quelques rappels. Ainsi, l'écart moyen des salaires entre les hommes et les femmes demeure de 24 % ; les femmes sont davantage touchées par le chômage ; 80 % des salariés gagnant moins de 3 650 francs par mois sont des femmes ; 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes qui, de fait, représentent aujourd'hui une main-d'oeuvre en situation d'extrême précarité, voire de pauvreté, trop souvent victimes d'un temps partiel subi.
Aujourd'hui même, le Conseil économique et social se réunit afin d'arrêter des propositions pour améliorer « la place des femmes dans les lieux de décision ». Le rapport remis aujourd'hui au CES met en évidence la très faible représentation des femmes dans les lieux de décision. Il souligne, notamment, l'écart qu'il qualifie de « fantastique » entre leur place dans la vie socio-économique - 46 % - et la réalité de leur place dans les institutions et les fonctions de direction. Le retard accumulé est tel que « si l'on ne fait rien, cela ne bougera pas ». Cette assemblée a dressé un bilan et formulera des propositions. Il nous faudra y être attentifs, afin de ne pas laisser l'égalité professionnelle devenir un concept vide de réalité concrète.
C'est donc à ces discriminations flagrantes que la proposition de loi de Mme Génisson s'attaque. Il s'agit de procéder à une réaffirmation plus large et plus contraignante que la loi Roudy.
Le dispositif initial de la proposition de loi visait l'élaboration d'un bilan permettant « une analyse de la situation de l'égalité des femmes sur la base d'indicateurs pertinents ». En outre, il introduisait et rendait obligatoire dans toutes les négociations la recherche de l'égalité professionnelle, en imposant aux partenaires sociaux de négocier sur ce thème.
La proposition de loi Génisson abordait enfin l'égalité professionnelle dans la fonction publique, volet non contenu dans la loi Roudy de 1983.
Adhérant à l'économie générale de ce texte, mon groupe avait, en première lecture, proposé plusieurs amendements visant à l'enrichir. L'un d'entre eux visait notamment la périodicité de la négociation nécessaire à l'élaboration de l'accord sur l'égalité dans l'entreprise, que nous souhaitions fixée à deux ans au lieu de trois ans.
Nous voulions également que la reconnaissance des qualifications professionnelles et des salaires figure au rang des indicateurs de la négociation sur l'égalité professionnelle.
Dans un souci d'efficacité, l'obligation de résultat fixée dans le cadre de la négociation sur les 35 heures nous semblait, elle aussi, devoir trouver une place dans cette proposition de loi.
Enfin, le renversement de la charge de la preuve nous paraissait de nature à permettre un rééquilibrage des inégalités professionnelles constatées entre hommes et femmes en permettant aux victimes d'inégalités de demander à l'employeur de faire la preuve d'un traitement égalitaire des personnels de son entreprise.
Je regrette qu'aucun de ces amendements n'ait été adopté par le Sénat et que les débats à l'Assemblée nationale n'aient pas permis de satisfaire notre attente.
Voilà donc, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'esprit constructif qui animait les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen au moment de la parution de la proposition de loi de Mme Génisson.
Or, la presse en a beaucoup parlé, le Gouvernement a souhaité introduire, lors de la première lecture au Sénat, un amendement portant sur le travail de nuit, revenant ainsi sur une législation vieille de plus de cent ans qui interdisait le travail de nuit pour les femmes dans certains secteurs pénibles.
A partir du constat selon lequel le travail de nuit, de manière générale, ne faisait pas l'objet, dans notre code du travail, d'une attention particulière du législateur, vous nous avez proposé un amendement qui procédait au « remodelage » complet du travail de nuit dans notre pays, et ce pour transcrire la directive européenne 93/104 et, par là même, se soumettre à l'obligation d'égalité entre les hommes et les femmes prévue par la directive 76/207.
Nous avons entendu certains ici et là, qui se réclament de l'égalité entre les hommes et les femmes, défendre l'idée du libre choix des femmes de travailler la nuit plutôt que le jour, allant même jusqu'à parler de « volontariat ». Ces propos n'émanaient jamais de salariés concernés par la dureté du travail de nuit ! Ceux-là savent bien que « choisir » de travailler la nuit ne dépend que de la prime qui viendra rendre un salaire faible un peu plus décent !
C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne les femmes, victimes des plus bas salaires. Mais, en plus, si elles acceptent d'exercer leur profession la nuit, c'est souvent pour conjuguer leur travail et leurs obligations domestiques ou parce que c'est la seule solution qui s'offre à elles pour garder un enfant en bas âge. La réalité, nous le savons tous, est bien loin de la liberté de choix ou du « volontariat ».
Le Sénat, le 3 octobre dernier, a rejeté cet amendement. J'aurais aimé pouvoir dire qu'il l'a fait pour s'opposer à une mesure qui ne constitue en aucun cas un progrès social. Malheureusement, ce n'est pas exact. Cet amendement, rendu encore plus nocif par les sous-amendements de la majorité sénatoriale, ne doit son rejet qu'au nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce jour-là et au règlement de notre assemblée !
La droite sénatoriale l'a bien compris, le travail de nuit des femmes et des hommes est un outil supplémentaire pour permettre une plus grande flexibilité. Il s'inscrit complètement dans la construction ultralibérale de la société chère à la droite sénatoriale. C'est pourquoi, loin de désapprouver la logique de l'amendement du Gouvernement, vous avez voulu, chers collègues de la majorité, limiter les quelques garanties proposées aux salariés, notamment aux femmes.
Ce n'était bien entendu pas la position du groupe communiste républicain et citoyen.
C'est la raison pour laquelle nous avions déposé un amendement visant à poser le principe de l'interdiction du travail de nuit, pour les hommes comme pour les femmes. Cela aurait ainsi levé la discrimination - positive - faite à l'encontre des femmes, selon la directive européenne. Cette interdiction était assortie de conditions dérogatoires et des garanties offertes aux salariés dont l'entreprise fait l'objet d'une dérogation. Cet amendement n'avait rien de démagogique, il s'appuyait simplement sur une constatation irréfutable : les travailleurs postés la nuit ont une espérancce de vie nettement inférieure à ceux qui travaillent le jour. N'est-il pas, alors, de notre responsabilité de tout mettre en oeuvre pour remédier à cette situation ? Nous le pensons.
A nos yeux, le progrès économique ne doit pas forcément rimer avec une plus grande exploitation des femmes et des hommes, bien au contraire ! Le progrès économique ne sera vraiment utile que s'il s'accompagne d'un progrès social significatif !
Bien loin de la position du « tout ou rien », mon groupe s'était attaché, en première lecture, à présenter des sous-amendements à l'amendement gouvernemental, visant à renforcer les garanties offertes aux travailleurs de nuit. Ces textes n'ont pas été adoptés au Sénat et n'ont, pour une grande majorité d'entre eux, pas été retenus lors de leur récent passage devant l'Assemblée nationale.
Nous examinons aujourd'hui le texte issu de ces travaux. Le Gouvernement a donc dû présenter, le 28 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, une nouvelle version de son amendement relatif au travail de nuit.
J'admets, certes, que le texte tel qu'il nous parvient est plus complet que celui qui nous avait été soumis en première lecture. Il comporte toutefois le risque très grave de remplacer les dérogations légales par des dérogations contractuelles.
Plus fondamentalement, mon groupe ne saurait admettre la banalisation d'une forme de travail portant atteinte à la santé humaine, dès lors qu'elle n'est pas imposée par des impératifs sociaux ou techniques. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement qui supprime la totalité du chapitre relatif au travail de nuit.
En effet, ce chapitre s'inscrit dans une logique de levée de l'interdiction du travail de nuit à laquelle nous ne souscrivons pas. Nous sommes au contraire attachés à une interdiction du travail de nuit, pour les hommes comme pour les femmes.
Nous aurions aimé pouvoir discuter des améliorations qu'il convient, certes, d'apporter aux salariés exerçant la nuit dans les secteurs d'activité dérogatoires. Je pense, par exemple, aux contreparties auxquelles ces salariés devraient avoir droit et qui devraient se matérialiser, selon nous, par des repos compensateurs mais aussi par une majoration significative de salaire. Je pense également au renforcement du suivi médical, qui est aujourd'hui insuffisant, à la protection des femmes enceintes, qui devraient bénéficier d'un poste de jour le temps de leur maternité ou, si cela n'est pas possible, d'un congé de maternité exceptionnel leur permettant de ne pas travailler la nuit. Je pense également au nécessaire abaissement de l'âge de la retraite pour les travailleurs de nuit, avec la possibilité d'annuités de bonification.
Tout cela nous est impossible à réaliser aujourd'hui avec ce texte dont nous ne souscrivons pas à l'économie générale. Nous le regrettons, mais nous ne voulons pas entrer dans une logique de banalisation du travail de nuit.
S'agissant des amendements de la commission des affaires sociales, je constate qu'ils visent principalement à revenir au texte issu de la première lecture au Sénat. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le travail de nuit, là encore, les amendements proposés ne cherchent qu'à réduire les contraintes faites aux employeurs et, ainsi, à limiter les garanties accordées aux salariés. Nous nous opposerons donc à l'essentiel de ces amendements de la majorité sénatoriale.
Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tels sont les quelques points que je souhaitais préciser à l'occasion de cette deuxième lecture. Notre position n'est guidée que par la seule recherche du progrès social pour le plus grand nombre. J'aurais aimé que ce souci soit partagé sur l'ensemble des travées de notre assemblée. Ce n'est malheureusement pas le cas, raison pour laquelle notre groupe ne pourra voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)