SEANCE DU 21 DECEMBRE 2000


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2000

Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de finances rectificative pour 2000 (n° 170, 2000-2001), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. [Rapport n° 171 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous arrivons cette fois au terme du marathon budgétaire de la transition 2000-2001. Le dernier texte dont nous avons à connaître dans cette perspective est le collectif budgétaire de fin d'année.
Comme vous le savez, mes chers collègues, nous avons étudié ce projet de loi en première lecture les lundi 18 et mardi 19 décembre, la commission mixte paritaire s'est réunie dans la foulée l'après-midi de ce même jour - elle ne nous a pas retenus longtemps, hélas ! - et, ce matin, l'Assemblée a repris l'examen du collectif budgétaire en nouvelle lecture.
Madame le secrétaire d'Etat, je déplore, comme mon homologue de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, les délais trop brefs dans lesquels s'inscrit cette procédure parlementaire, et je trouve que celle-ci suscite vraiment des interrogations quant au respect de la dignité du Parlement et aux moyens effectifs dont il peut disposer pour analyser les problèmes et pour se faire entendre. Au nom de l'ensemble de celles et de ceux qui ont participé à la discussion du texte, je crois pouvoir dire, avec une certaine solennité, qu'une telle situation n'est pas satisfaisante et qu'il faudra, dans l'avenir, y remédier.
Si l'on établit, mes chers collègues, le bilan chiffré habituel, on constate que le Sénat a été saisi lundi dernier de trente-trois articles figurant dans le projet de loi d'origine et de vingt-sept articles ayant été ajoutés par l'Assemblée nationale ; nous en avons adopté conformes vingt-neuf, supprimé quatorze et modifié seize, et nous avons en outre inséré quinze nouveaux articles et confirmé la suppression d'un autre. La commission mixte paritaire a donc été saisie de quarante-cinq articles et, comme je vous l'ai indiqué, elle n'a pas mis bien longtemps à constater son échec.
Cela étant, je voudrais souligner que les relations techniques entre les commissions des finances des deux assemblées ont été, cette fois encore, satisfaisantes. A cet égard, je souscris bien volontiers aux propos de M. Didier Migaud, qui s'est référé à l'esprit républicain dans lequel nous avons travaillé. J'en remercie nos collègues députés : malgré les oppositions qui, naturellement, nous séparent sur le plan des orientations générales, nous avons sans doute tous le souci de la législation, le souci de faire avancer les choses et de répondre aux questions posées par nos concitoyens.
Dans cette optique, l'Assemblée nationale a retenu, malgré d'évidentes et profondes divergences politiques, treize articles qui résultaient de nos votes, de nos amendements ou de nos ajouts.
Je soulignerai, pour être exhaustif, que la commission des finances de l'Assemblée nationale avait adopté notre analyse s'agissant du financement des chambres d'agriculture, mais que le Gouvernement a émis un avis négatif, ce qui a conduit le rapporteur général de l'Assemblée nationale à renoncer - je trouve cela très dommage - à cette amélioration.
Grâce à ces bonnes relations techniques entre les deux commissions des finances que je viens d'évoquer le bicamérisme a donc fonctionné de manière concrète, malgré le blocage immédiat ou presque immédiat auquel a abouti la commission mixte paritaire.
A la vérité, mes chers collègues, l'Assemblée nationale est dans son rôle, le Sénat est lui aussi dans le sien, et nous n'avons pas à concevoir d'acrimonie particulière vis-à-vis de nos collègues députés. En revanche, il me semble nécessaire de faire valoir, à l'égard du Gouvernement, les désaccords graves qui nous opposent, sur le fond mais aussi sur la méthode.
La méthode tient non seulement au calendrier, mais aussi à l'impossibilité de trouver, dans un travail normal en séance publique, les marges de manoeuvre qui devraient permettre au Gouvernement de prendre en compte les préoccupations exprimées par la représentation parlementaire. Cette remarque, nous la formulons bien sûr ici, au Sénat, d'autant plus que nous avions travaillé de manière très assidue sur ce texte, malgré les délais très brefs qui nous étaient impartis, et que nous avions apporté des éléments conceptuels significatifs, mais nos collègues de l'Assemblée nationale, qui se trouvent en harmonie avec un gouvernement qu'ils soutiennent pour la majorité d'entre eux, me semblent avoir, sur certains points, partagé cette insatisfaction. J'en veux pour preuve, madame le secrétaire d'Etat, les dispositions relatives aux finances départementales ou les conséquences de la réforme introduite par l'instauration de la couverture maladie universelle sur le calcul de la dotation générale de décentralisation des départements : si j'en crois le compte rendu des débats à l'Assemblée nationale, le président de sa commission des finances a exprimé assez vivement l'insatisfaction qui était la sienne devant des positions administratives crispées et ne tenant manifestement pas compte des réalités.
Madame le secrétaire d'Etat, avant d'en venir aux aspects fiscaux de ce texte qui, avons-nous dit lundi dernier, est davantage un collectif fiscal qu'un collectif budgétaire, je voudrais rappeler les principaux éléments de l'analyse du Sénat - non seulement de sa commission des finances, mais de l'ensemble des sénateurs, puisque nous avons voté sur toute une série d'articles - en ce qui concerne l'évolution des finances publiques.
Nous estimons, je le répète, que l'effort de réduction du déficit n'est pas suffisant : avec une diminution de 5,5 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale de 2000, le déficit est ramené à environ 210 milliards de francs. C'est excessif, madame le secrétaire d'Etat, eu égard aux efforts réalisés par nos partenaires européens, et ce chiffre reste supérieur au montant du déficit constaté lors de l'exécution du budget pour 1999, qui atteignait 206 milliards de francs. En outre, pouvons-nous considérer qu'il est crédible ? Cerne-t-il correctement la réalité économique ?
Madame le secrétaire d'Etat, je dois rappeler une nouvelle fois que M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait annoncé, au mois de juillet - lors que personne d'ailleurs ne lui demandait rien - un objectif en termes de déficit, pour la fin de l'année 2000, de 185 milliards de francs. Or il voudrait maintenant nous faire voter un déficit de 210 milliards de francs, tout en déclarant que le chiffre réel d'exécution sera inférieur à 200 milliards de francs ! Est-ce cela la sincérité budgétaire et le progrès dans la transparence, ce mot que vous avez sans cesse à la bouche et qui revient comme un refrain, même si la plupart des pratiques récentes vous démentent ?
Madame le secrétaire d'Etat, en ce qui concerne la fin de l'exécution financière et comptable du budget pour cette année 2000, nous divergeons sur un point concret, sur un montant très substantiel de 15 milliards de francs. Il s'agit là non pas de nos coupables extrapolations sur l'évolution des recettes fiscales au cours de l'année, mais de données factuelles avancées par vos services et vous-même en matière de recettes non fiscales.
Pour quelle raison ces recettes engrangrées au cours de l'année 2000 ne sont-elles pas rattachées budgétairement et comptablement à cette année 2000 ? Parce que, sans vergogne, voire avec cynisme, disait l'un de nos collègues voilà quelques jours vous procédez à un lissage optique. Mais ce subterfuge a un coût pour vous, pour moi, pour les Français : c'est une perte de trésorerie de 1 milliard de francs ! La note est quand même lourde pour réaliser ce que l'on appellerait dans les entreprises, lors de la présentation des comptes, du window dressing , c'est-à-dire un aménagement des chiffres de fin d'année selon les convenances de l'instant, en l'occurrence selon les convenances des responsables de l'exécutif de notre pays.
Vous nous dites très justement qu'il faut gérer de façon plus active la dette et recourir à tous les instruments modernes qui, sur les marchés, permettent de prendre position, d'anticiper.
Gérer activement la dette est certes indispensable ; gérer activement la trésorerie, les recettes non fiscales qui devraient être en caisse, paraît être également indispensable et tout aussi nécessaire dans une saine gestion par l'Etat de sa trésorerie.
Mes chers collègues, il faut que tout le monde sache que le Gouvernement, et lui seul, est responsable de cette situation et que nous n'acceptons en aucune manière cette façon de procéder.
Hier, madame le secrétaire d'Etat, M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, était devant notre commission des finances pour nous présenter les perspectives triennales des finances publiques pour la période 2002-2004. Comme à l'ordinaire, son discours était très rodé, très consensuel... tant que l'on n'abordait pas les chiffres. Sur les principes, bien entendu, les proclamations étaient vertueuses quant à l'urgente nécessité de réduire l'endettement, de soulager la charge des générations futures, quant à la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, de diminuer le solde déficitaire de l'Etat, voire de passer à un solde positif non pas de l'Etat mais de l'ensemble du secteur public en 2004.
Ces propos, bien sûr, étaient de nature à satisfaire à peu près - je dis bien « à peu près » en me tournant vers Mme Beaudeau - l'ensemble des tendances politiques représentées au sein de la commission des finances. Mais, lorsque nous avons analysé les choses d'un peu plus près, nous avons constaté combien grand était le décalage entre ces proclamations de principe et la réalité telle qu'elle existe ou se profile.
Le plan triennal vise à l'équilibre budgétaire des administrations publiques en 2004. Mais cet équilibre ne sera atteint, même à cet horizon-là, que grâce aux résultats positifs engendrés par la croissance dans les comptes des organismes de sécurité sociale et grâce, par ailleurs, aux modalités de gestion des collectivités territoriales leur permettant d'enregistrer globalement un solde lui-même positif.
Pour ce qui est de l'Etat, on se contente d'afficher une diminution de son déficit, mais on accepte une situation dans laquelle sa dette continuera à augmenter en valeur absolue et en part de produit intérieur brut. Je parle du moins de la période que l'on peut immédiatement appréhender.
Je rappelle les chiffres : en 2000, 250 milliards de francs de dette négociable supplémentaire ; en 2001, 250 milliards supplémentaires ; à la fin de 2001, par rapport à la situation telle qu'elle était lorsque vous êtes arrivés aux affaires en 1997, c'est un chiffre rond, que je vous demande de retenir, mes chers collègues : 1 000 milliards de francs de dette négociable supplémentaire pour l'Etat !
M. Jacques Machet. C'est fou !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la réalité de 2000 ! C'est la loi de finances pour 2001 ! Ce n'est certes pas encore la situation anticipée pour 2004, mais, pour rattraper ces 1 000 milliards de francs, il va falloir faire de sacrés efforts !
M. Jacques Machet. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces efforts - c'est la question fondamentale que nous nous posons -, les ferez-vous en ce qui concerne les dépenses publiques ?
Les dépenses publiques représentent, en 2000, 53 % de la richesse nationale, c'est-à-dire du produit intérieur brut. Dans le programme triennal, on promet qu'elles s'élèveront à moins de 50 % en 2004.
Ces promesses sont-elles crédibles ? Nous y croirions un peu plus si les promesses faites antérieurement avaient été tenues...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Voilà ! Ce serait plus crédible !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On juge celui qui fait des promesses à l'aune de sa parole, et sa parole, on l'apprécie en fonction du passé et du présent. On hésite à faire crédit pour l'avenir à quelqu'un qui n'a déjà pas tenu les engagements pris dans le passé !
Je rappellerai les chiffres de la Cour des comptes : pour l'année 1998, le Gouvernement avait un accroissement nul des dépenses en volume ; dans la réalité, il a été de 3 %. En 1999, le Gouvernement avait annoncé une augmentation des dépenses de 1 % en volume et, toujours selon la Cour des comptes, elle a été en réalité de 2,8 %.
S'agissant encore de la crédibilité de l'objectif de baisse des dépenses publiques - Etat, sécurité sociale et administrations locales -, nous savons que de lourdes hypothèques pèsent sur les dépenses de sécurité sociale, puisque les dépenses de santé repartent à la hausse. Vous le reconnaissez d'ailleurs dans le programme triennal, puisque vous retenez un accroissement de ces dépenses à un rythme de 5,5 %, contre une augmentation de 4,5 % en 2000.
Enfin et surtout, madame le secrétaire d'Etat, s'agissant des dépenses, quelle est la crédibilité des engagements que vous prenez compte tenu de la structure du budget de l'Etat ?
Comment pouvons-nous croire à des promesses de maîtrise - a fortiori de réduction de dépenses, mais ce ne sont pas des promesses de réduction, ce sont des promesses de maîtrise -, si les trois plus gros postes de dépenses sont manifestement complètement hors de portée des éventuels efforts de maîtrise du Gouvernement ?
Ces trois plus gros postes de dépenses, qui représentent les deux tiers de la masse globale de la dépense de l'Etat, ce sont la fonction publique, la dette et les interventions sociales.
Pour la fonction publique, vous annoncez le recrutement de 20 000 fonctionnaires en 2001 et vous laissez le ministre de la fonction publique ouvrir la négociation sans lui indiquer la marge de manoeuvre financière dont il dispose,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y aura des grèves !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... le tout dans un climat social qui sera caractérisé par des tensions croissantes. Ce ministre, que vous envoyez donc à la négociation,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les fonctionnaires n'obtiendront rien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... il faudra bien, madame Beaudeau, qu'il ait, en quelque sorte, du « biscuit » à répartir.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela, c'est évident !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et il en coûtera autant au budget de l'Etat.
Comment croire aux promesses de maîtrise si l'on engage une négociation sur la revalorisation des salaires...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous ne vous rappelez pas du mois de décembre 1995 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour le moment, madame Beaudeau, nous sommes en décembre 2000 !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il est des rappels utiles !
M. Philippe Marini, rapporteur général. A chacun de porter sa croix. (Rires et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants) et, pour le moment, c'est Mme Parly qui s'efforce de porter la sienne !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Elle me paraît tout à fait supportable !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En ce qui concerne la fonction publique, le sujet qui suscite le plus l'inquiétude des commissions des finances - et, à la vérité, celle du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - est évidemment celui des 35 heures. Je me permets de me répéter une nouvelle fois : comment appliquer les 35 heures dans la fonction publique sans recruter,...
M. Jacques Machet. Nous y voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... sans dépenses supplémentaires et sans diminution du niveau de satisfaction du public, c'est-à-dire sans détérioration du service public ? La solution miraculeuse, l'avez-vous trouvée ? Ne coûtera-t-elle rien au contribuable ? Permettez-moi d'en douter sérieusement !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ils en doutent eux-mêmes !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Deuxième poste parmi les trois plus importants des dépenses de l'Etat : la dette. Comment la réduire, comment réduire son poids annuel alors que les marchés financiers, les tendances sont, pour le moins, à nouveau indécises, et alors que le déficit perdure ?
La dette n'est rien d'autre que le financement des déficits passés et du déficit actuel. Si l'on allait beaucoup plus vite dans la réduction du déficit, certes, il serait crédible de prétendre réduire les charges annuelles liées à la dette. Mais nous voyons bien que nous ne nous situons pas dans ce cas de figure !
Enfin, troisième poste, les interventions sociales, et là, mes chers collègues, je me bornerai à rappeler trois chiffres. Les emplois-jeunes vont représenter une dépense de 35 milliards de francs en rythme annuel sur 2001-2002, et ce sans perspectives de solution à la sortie, et le coût des 35 heures - la fameuse « usine à gaz » du FOREC s'élèvera à 85 milliards de francs en 2001 et à 110 milliards de francs chaque année lorsque le régime aura atteint son rythme de croisière.
Par conséquent, avec des budgets sociaux aussi considérables, comment voulez-vous faire croire aux parlementaires, aux Françaises et aux Français et à nos homologues européens que vous êtes en mesure de maîtriser la dépense publique ?
Enfin, madame le secrétaire d'Etat, nous avons un sujet qui, bien entendu, nous soucie beaucoup, c'est l'évolution des prélèvements obligatoires.
Je sais bien que, lorsqu'on parle du taux des prélèvements obligatoires, le ministre des finances a immédiatement une réaction consistant à dire que ce n'est pas un bon indicateur. Il nous l'a encore répété hier : c'est très compliqué, c'est une fraction, il y a un numérateur, un dénominateur... on n'est pas certain de savoir interpréter tout cela. Peut-être, mais nous qui sommes, comme le répète souvent Alain Lambert, des « primitifs », nous voyons des chiffres qui sont établis selon la même méthodologie et qui évoluent chaque année. Nous voyons que nous sommes arrivés à un pic des prélèvements obligatoires et nous connaissons le « théorème de DSK » : plus les impôts baissent et plus les prélèvements obligatoires augmentent.
Cela renvoie naturellement à un sujet très vif et très actuel qui est l'inconstitutionnalité d'une partie très significative de ce plan - « le plus ample des cinquante dernières années » - de baisse des prélèvements obligatoires. En d'autres termes, madame le secrétaire d'Etat, je veux parler de la nouvelle tombée avant-hier après-midi annonçant l'annulation par le Conseil constitutionnel de la ristourne dégressive de CSG et de CRDS.
Mes chers collègues, cette décision du Conseil constitutionnel marque un tournant important dans la vie de la République. C'est un événement dont nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences.
Nous voyons, en effet, que nos institutions comportent une vraie cour suprême qui est en mesure d'occuper toute la place que la Constitution lui alloue, une cour suprême qui raisonne en droit, qui exprime l'état de droit, quels que soient les déplaisirs qu'elle peut causer aux puissants du moment.
Madame le secrétaire d'Etat, cette décision dont la portée financière est considérable - tout comme la portée institutionnelle - vient aujourd'hui, très utilement, alimenter nos réflexions à la fin de ce cycle budgétaire.
Cela prouve d'abord que le Gouvernement aurait été bien inspiré de nous écouter !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Madame le secrétaire d'Etat, les arguments que nous avons développés en commission des finances et en séance sur les raisons pour lesquelles la ristourne dégressive était inacceptable et très probablement inconstitutionnelle, ils figurent dans nos travaux préparatoires, dans le rapport de la commission des finances. Mais, par idéologie - l'administration et le Gouvernement étant terriblement sûrs d'eux-mêmes -, tout cela a été évacué du revers de la main. Si l'on nous avait écoutés, on n'en serait pas là !

M. Jacques Machet. Et voilà !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si l'on nous avait écoutés, on n'aurait pas aujourd'hui 9 millions de personnes otages, si je puis dire, des promesses qui leur ont été faites !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En outre, le Gouvernement a été, me semble-t-il, bien léger de donner à 9 millions de nos concitoyens des certitudes. Il va désormais devoir répondre à l'attente qu'il a lui-même suscitée, il va falloir trouver un dispositif alternatif.
Et ce ne sera pas si simple si vous vous entêtez dans la voie qui est la vôtre, c'est-à-dire si vous vous entêtez à vouloir faire de la CSG - ce qu'elle n'est pas - un instrument fiscal personnalisé tenant compte équitablement des ressources d'une personne ou d'un foyer. Pourtant, la décision du Conseil constitutionnel le précise bien, en prenant appui sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : il faut, pour moduler la CSG, bien prendre garde de tenir compte de tous les revenus des redevables.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous avoue avoir été très choqué de certaines réactions que j'ai entendues hier de la part de membres du Gouvernement à l'Assemblée nationale, accusant l'opposition d'avoir saisi le Conseil constitutionnel. J'ai même entendu cette interjection : « Vous n'avez pas à être fiers ! ».
Madame le secrétaire d'Etat, c'est, me semble-il, un relent quelque peu éventé de ce célèbre congrès de Valence, où un ancien ministre, déjà un peu oublié - un élu de l'Indre, si je ne me trompe - avait inventé la formule désormais célèbre : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. »
Selon nos institutions, soixante députés ou soixante sénateurs sont en mesure de saisir le Conseil constitutionnel, et celui-ci s'exprime en droit sur la base des recours dont il est saisi. Et, à partir de là, il n'y a strictement plus rien à dire, c'est le droit, c'est l'état de droit.
Madame le secrétaire d'Etat, nous avons formulé ici même, au Sénat, lors de l'examen en première lecture de la loi de finances initiale pour 2001, des propositions que nous allons réitérer en nouvelle lecture de ce collectif budgétaire, ce soir ou cette nuit : nous estimons qu'avec notre projet de crédit d'impôt sur le revenu nous apportons la réponse dont vous avez besoin, la réponse utile aux Françaises et aux Français, qu'il faut inciter à retrouver le chemin de l'emploi.
Nous estimons que cette formule est meilleure sur le plan économique, meilleure sur le plan social, plus adaptée à la situation des familles, plus claire ; nous estimons que cette mesure est la solution à la difficulté très grande dans laquelle vous vous trouvez en cet instant.
Madame le secrétaire d'Etat, vos services, paraît-il, réfléchissent en ce moment à la meilleure manière de se tirer de ce mauvais pas, s'interrogent sur la façon dont ils pourraient vous conseiller de reprendre le dispositif de ristourne dégressive, tout en respectant la norme constitutionnelle. Nous vous disons, quant à nous : ne vous donnez pas cette peine, ne vous donnez pas tout ce mal. Cela ne sert à rien, et vous prenez des risques inutiles. Acceptez, ce soir, notre proposition de crédit d'impôt sur le revenu.
Sur ce sujet, madame le secrétaire d'Etat, nous partageons un certain nombre de principes. Oui, il faut accroître la différence entre revenus d'activité et revenus de remplacement. Oui, il faut faire en sorte que les titulaires de bas salaires montent dans l'échelle des salaires.
En revanche, nous ne pouvons qu'être en désaccord avec le Gouvernement sur l'utilisation qui est faite de la CSG, nous ne pouvons qu'être en désaccord avec une politique qui est de nature à entretenir des « trappes » à bas salaires et à faire obstacle à la progression normale de la carrière du salarié et à sa promotion sociale.
La commission des finances vous proposera à nouveau, mes chers collègues, un dispositif qui prendra en compte la dimension familiale, qui sera neutre sur les choix d'activités et qui s'éloignera le plus possible du niveau du SMIC pour éviter cet effet de « trappes » à bas salaires.
Ce dispositif de crédit d'impôt s'étend jusqu'à 1,8 SMIC, à comparer au 1,4 SMIC pour la ristourne dégressive proposée par le Gouvernement. Il permet, pour un coût de 5 milliards de francs la première année contre 8 milliards de francs pour votre dispositif, à beaucoup de personnes de retrouver une activité professionnelle ou de progresser dans leur vie professionnelle. Je crois que nous en avons fait assez abondamment la démonstration !
Par rapport à ces sujets essentiels, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'inventaire à la Prévert du collectif budgétaire se relativise.
Je dois rappeler à cet égard que, sur une dizaine d'articles d'ordre fiscal, nos collègues de l'Assemblée nationale, sur la proposition du rapporteur général, M. Didier Migaud, ont fait preuve d'esprit républicain, nous ont donné satisfaction. Nous les adopterons donc conformes.
Sur toute une série de mesures, en revanche, nous n'avons pas été entendus.
Sur l'article 5 quater, par exemple, s'agissant des finances des départements et des liens entre la couverture maladie universelle et la dotation générale de décentralisation, l'Assemblée nationale, ce matin, a reconnu la qualité de nos initiatives. M. Emmanuelli a eu des mots très durs, mais justifiés, à l'égard du Gouvernement. Que comptez-vous faire concrètement, madame le secrétaire d'Etat, pour lui donner satisfaction, si vous ne voulez pas nous donner satisfaction ?
Un président de conseil général, quelle que soit son étiquette politique, connaît la réalité de son budget !
Si vous lui donnez satisfaction, nous serons tout à fait satisfaits. Mais, pour le moment, vos chiffres n'ont absolument pas évolué, malgré la démonstration tout à fait lumineuse qui vous avait été faite ici même par notre excellent collègue M. Philippe Adnot, président de la commission des finances de l'Association des départements de France.
Il en va de même pour l'article 17 A. Le régime fiscal des personnes dépendantes hébergées en structures collectives prévu par le dispositif Chérioux visait, le rapporteur général de l'Assemblée nationale l'a reconnu, à résoudre un vrai problème. Les dispositions que nous avons votées sont insuffisantes, en particulier pour les personnes de condition moyenne, qui doivent consacrer la quasi-totalité de leurs ressources à ce véritable malheur qu'est la présence dans un établissement de long séjour d'une personne dépendante : malheur affectif, bien entendu, malheur pour les proches, pour l'ensemble de la famille, mais aussi et souvent malheur patrimonial, puisque l'épargne accumulée par ce couple âgé va, en l'espace de quelques années, complètement disparaître et créer des situations marquées par l'incertitude la plus complète.
Madame le secrétaire d'Etat, où en est votre réflexion ? Irez-vous plus loin que vous nous l'avez annoncé voilà quelques jours lors de la première lecture de ce collectif ?
Le désaccord porte également sur l'article 25, qui traite de l'augmentation de la taxe d'équarrissage, dont nous avons ici même contesté non pas le principe mais l'adéquation par rapport à l'ampleur du problème posé par les conséquences du drame de la « vache folle ». On ne peut pas laisser vivre l'idée, ou l'illusion, selon laquelle il suffirait d'augmenter encore et toujours cette taxe qui pèse sur une filière sinistrée pour résoudre les problèmes de financement engendrés par l'interdiction des farines animales et par l'abattage d'un nombre significatif de bêtes du cheptel bovin !
Sur ce point, la réponse du Gouvernement ne nous a absolument pas parue adaptée aux exigences de santé publique. Vous ne nous en voudrez pas, j'espère, madame le secrétaire d'Etat, si la commission demande donc au Sénat de réitérer son vote de première lecture.
De même, madame le secrétaire d'Etat, nous pensons que le dispositif de l'écotaxe, la taxe générale sur les activités polluantes, est inadéquat, qu'il comporte de nombreux inconvénients sur le plan écologique. En outre, il ne répond pas à l'objectif qui devrait être le sien, c'est-à-dire inciter à la réduction des effluents qui contribuent à l'effet de serre. Nous l'avons d'ailleurs fort bien souligné au cours du débat en première lecture.
Nous estimons aussi que, sur le plan juridique, ce dispositif suscite de nombreuses incertitudes... que le Conseil constitutionnel transformera en certitudes, puisqu'il lui appartiendra de dire le droit en la matière.
A l'article 30, qui traitait, un peu à la hâte, madame le secrétaire d'Etat, d'un sujet à la fois très technologique, très futuriste et très sensible en termes de libertés publiques - je veux parler des interceptions de sécurité - vous n'avez pas fait évoluer d'un iota le texte présenté en première lecture, en dépit des contributions constructives du Sénat. Je pense notamment à l'amendement qui était présenté par M. Charasse et qui améliorait sensiblement le dispositif juridique. J'observe que le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale est identique à celui de première lecture. Là aussi, il existe un véritable risque juridique que le Gouvernement prend en toute connaissance de cause.
A l'article 40, nous sommes de nouveau appelés, madame le secrétaire d'Etat, à nous déjuger puisque l'Etat souhaite rétablir les frais de perception sur le produit des impositions sociales, qui ont été supprimés par la loi de financement de la sécurité sociale.
Le même manège se répète chaque année depuis un certain temps : on annule en loi de financement de la sécurité sociale une mesure que l'on rétablit en loi de finances ou en loi de finances rectificative. Cela n'a aucun sens ! Ce « ping-pong » législatif fait perdre du temps à tout le monde et donne de la loi une image dérisoire.
A l'article 41, vous maintenez le dispositif relatif à l'abandon des cotisations sociales dues à la mutualité sociale agricole de Corse par un nombre significatif d'exploitants agricoles. Nous avons pourtant fait valoir que ce dispositif n'est pas correctement motivé, qu'il révèle une certaine improvisation et qu'il va probalement être générateur d'injustice. Malgré tous ces arguments et les nombreuses voix qui se sont élevées contre, le Gouvernement n'a manifestement pas estimé possible d'attendre la discussion, pourtant prochaine, du projet de loi relatif à l'évolution institutionnelle de la Corse, dans lequel une disposition de cette nature aurait trouvé beaucoup plus logiquement sa place.
Madame le secrétaire d'Etat, pour conclure, j'évoquerai brièvement la situation dans laquelle nous nous trouvions l'an dernier.
A la même époque, lors de l'examen du collectif budgétaire, était apparu le « don de Noël » de plus de 20 milliards de francs, dévoilé par Christian Sautter. C'était l'illumination subite de la cagnotte ! C'était la période des grandes promesses !
Oui, demain, les choses changeraient ! Demain, la transparence progresserait ! Oui, les méthodes allaient s'améliorer !
Tout cela nous laisse, naturellement, un goût amer.
Je ne saurais aujourd'hui polémiquer sur le chiffre des recettes probables de l'Etat en 2000, bien que j'aie été attentif aux informations manifestement puisées à bonne source par le secrétaire national d'une formation représentée au sein du Gouvernement, même si elle ne le soutient plus en toute circonstance. Mais, quelle que soit la réalité de ces informations, nous verrons bien, d'ici à quelques jours ou à quelques semaines, ce que vous aurez fait pendant la période complémentaire, à quels aménagements en dépenses et en recettes vous vous serez livrée pour aboutir à une situation comptable donnée au 31 décembre. Naturellement, nous en reparlerons à ce moment-là.
Madame le secrétaire d'Etat, la commission des finances a consacré beaucoup de temps, beaucoup d'efforts et à essayer de comprendre les procédures budgétaires et le jeu interne des rouages de l'administration. Notre commission d'enquête s'y est employée pendant plusieurs mois. Elle nous a apporté une somme d'informations, mais aussi une somme de questions qui nous seront très utiles pour aborder l'année 2001 et, en particulier, la réforme de l'ordonnance de 1959.
Aujourd'hui, on ne peut plus se livrer à aucune intervention sur un problème budgétaire sans qu'il soit fait état de la prochaine réforme de l'ordonnance portant loi organique. Cette réforme, nous sommes donc très impatients de nous y atteler pour traiter au fond toutes ces questions méthodologiques. Les deux chambres du Parlement l'appellent de leurs voeux avec impatience.
Mais, madame le secrétaire d'Etat, il faudra que ce travail, mené dans le respect du bicamérisme, engendre plus de clarté et de visibilité pour nos concitoyens. Il faudra qu'il débouche sur un système de gestion qui permette à l'Etat de se réformer enfin. Car la comptabilité - j'en parle en présence d'un orfèvre, car il y en a au sein de cette assemblée...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et quel orfèvre !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... ce n'est pas l'alignement des chiffres, c'est la base de la gestion, c'est le moyen d'apprécier la réalité pour agir. Or, mes chers collègues, l'Etat est aujourd'hui encore singulièrement démuni en la matière. Il devra se réformer pour être enfin de son temps !
Mais j'en reviens à ce qui nous occupe en l'instant.
Oui, madame le secrétaire d'Etat, la commission des finances a souhaité, cette année, en cette veille des fêtes, consacrer encore quelques heures à l'examen du collectif budgétaire. Oui, nous avons opté non pas pour une motion de renvoi ou pour une motion opposant la question préalable, mais pour une véritable nouvelle lecture de la loi de finances rectificative.
Pourquoi en avons-nous décidé ainsi ? M. le président de la commission des finances vous le dira mieux que je ne saurais le faire. Je dirai simplement, pour ma part, que nous sommes choqués par l'improvisation fiscale, que nous sommes choqués par le mauvais fonctionnement de toute une série de procédures.
Nous voulons, par ce geste solennel, mettre le Gouvernement face à ses responsabilités politiques et manifester notre souhait que nos institutions fonctionnent comme elles doivent fonctionner, c'est-à-dire dans le respect de la différence entre les deux assemblées.
Le bicamérisme, mes chers collègues, fonctionne harmonieusement si les deux parties sont suffisamment différentes, si l'une respecte l'autre et réciproquement, et surtout si le Gouvernement respecte globalement le Parlement, dont il procède. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des finances a en effet décidé, à titre exceptionnel, de proposer au Sénat de procéder à une nouvelle lecture complète du projet de loi de finances rectificative de fin d'année.
M. le rapporteur général vient de nous en donner les raisons d'une manière tout à fait remarquable. J'apprécie toujours la qualité de ses présentations et j'ai admiré l'exercice auquel il vient de se livrer ; je le dis sans flagornerie, cela n'est pas dans ma nature.
Il a, madame le secrétaire d'Etat, très bien résumé les sentiments qui nous habitent.
Tout d'abord, nous estimions nécessaire que le Gouvernement reconnaisse ce que le Parlement représente dans les institutions de la République.
Le peuple français, madame le secrétaire d'Etat, ce n'est pas le Gouvernement qui l'incarne. Sa représentation, c'est le Parlement qui l'assure. Il faut vraiment que vous admettiez qu'une loi n'est pas écrite par le Gouvernement. Elle est proposée par le Gouvernement, lequel doit venir la présenter devant le Parlement en ayant garde d'oublier que ceux qui y siègent sont mandatés par les Français.
Il faudrait aussi que vous ne preniez pas systématiquement les remarques que vous font les représentants des Français comme une indélicatesse à votre endroit. Non ! C'est la voix des Français qui s'exprime. Ecoutez-là ! Ecoutez ces Français qui sont confrontés toute la journée aux difficultés. Ceux qui, parmi nos compatriotes, entreprennent - entre nous, ils ont de plus en plus de mérite - sont désespérés par l'écheveau de plus en plus serré des textes incompréhensibles et coûteux dont on les accable. Et quand on voit avec quelle application vous continuez à serrer cet écheveau, on ne peut que vous demander d'arrêter ! Ecoutez-nous, je vous en supplie !
Au fond, madame le secrétaire d'Etat, le Gouvernement nous a donné rendez-vous. Il nous a donné rendez-vous, comme M. le rapporteur général l'a remarquablement expliqué tout à l'heure, pour faire vivre la démocratie.
Mais revenons sur les raisons qui motivent notre démarche.
La première de ces raisons est que nous obligeons chaque année nos collègues de l'opposition à voter contre une motion opposant la question préalable. Or il faut parfois savoir faire un geste à l'égard de son opposition ! Mes chers collègues, cette année, nous ne vous imposerons pas ce sacrifice ! (Sourires.)
Je suis sûr que vous nous saurez gré de pouvoir discuter de manière approfondie de ce projet de loi de finances rectificative, que vous avez eu le mérite de soutenir dans sa version initiale et que nous allons tâcher, ensemble, d'améliorer.
La deuxième raison est que ce projet de loi de finances rectificative n'a pas été examiné dans un délai décent ; les députés l'ont déploré tout autant que nous. Et pourtant, je peux affirmer - et les présidents de groupe, dont M. Arthuis, ici présent, qui siègent en conférence des présidents, peuvent en attester - que nous avons mis en garde le Gouvernement quant à la cadence infernale qu'il nous imposait pour l'examen de ce texte. Nous lui avons dit que ce n'était pas raisonnable.
M. Jean Arthuis. Ça ne l'était pas du tout !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous l'avons mis en garde, mais nous n'avons pas été entendus.
Il est donc utile, madame la secrétaire d'Etat, et même nécessaire d'approfondir l'examen des propositions que vous nous faites en raison, comme je le disais tout à l'heure, de leur complexité.
Pensez que nombre des dispositifs lourds et compliqués qui ont été introduits dans ce texte n'ont même pas pu être examinés par la commission des finances de l'Assemblée nationale ! Comment élaborer une norme législative applicable dans de telles conditions ?
Certains dispositifs importants auraient dû en fait trouver leur place dans la loi de finances initiale : je pense par exemple à l'écotaxe. Je l'ai déjà dit en première lecture, madame la secrétaire d'Etat, il est anormal qu'un projet de loi de finances rectificative examiné dans de telles conditions comporte autre chose que des ajustements portant sur l'exercice qui s'achève.
Vous m'avez répondu, d'ailleurs avec beaucoup de courtoisie, qu'il ne fallait pas porter atteinte au droit d'amendement du Parlement. Rendez-vous a été pris ; nous y voilà !
La troisième raison est que, à plusieurs reprises dans le passé, nous avons dit au Gouvernement qu'il serait nécessaire de procéder au Sénat à une nouvelle lecture complète s'il s'obstinait à faire du collectif de fin d'année - j'ai beaucoup aimé le mot de M. le rapporteur général - une « serpillière législative ».
L'année dernière, mes chers collègues, le collectif était passé de vingt-cinq à cinquante articles à l'Assemblée nationale. Un dispositif additionnel qui portait réforme - rien que cela ! - des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle avait même été voté. Nous avions demandé au Gouvernement de disjoindre ce volet. Il avait d'ailleurs accepté de le faire.
Or, cette année, la situation est pire, puisque le collectif est passé à l'Assemblée nationale de vingt-neuf à soixante articles. Si nous ne tirons pas la sonnette d'alarme, ce sera combien l'année prochaine ?
Comme l'année dernière le Gouvernement a déposé, ou fait déposer, de nombreux amendements de dernière minute, quelquefois les mêmes que ceux de l'an passé ; je pense à ceux qui portaient sur l'établissement français du sang. Nous l'avons dit en première lecture, ces méthodes ne sont pas convenables.
La leçon n'a pas été entendue, mes chers collègues ! En fait, pour le Gouvernement, il y a toujours un mauvais moment à passer, puis il sort du Sénat, il n'y pense plus, et on verra l'année prochaine !
Je crois qu'il faut que nous en parlions, cette fois, plus longuement.
Je rappelle qu'il n'est pas dans l'esprit de la commission des finances de se livrer à une quelconque obstruction, et nous le démontrerons toute la soirée.
Sur les soixante articles qui nous ont été soumis en première lecture, le Sénat en a adopté vingt-neuf conformes sur proposition de la commission, soit pratiquement la moitié.
J'ajoute que, lors de l'examen du projet de loi de finances, nous avons adopté sans modification cinquante-huit articles sur les quatre-vingt-quatorze qui nous ont été soumis, soit plus de 62 %.
Nous sommes donc animés par le souci de la qualité et de l'approfondissement du débat parlementaire.
La dernière raison est que nous souhaitons, comme c'est déjà souvent arrivé, aider le Gouvernement à surmonter la difficulté qu'il rencontre, et je veux insister sur la censure par le Conseil constitutionnel de la ristourne de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale.
Comme le rapporteur général vient de le rappeler, le Sénat détient une solution ; il l'a même votée. Une dernière chance s'offre à vous, madame la secrétaire d'Etat, de remplacer le dispositif censuré avant le 1er janvier, et elle se présente ce soir au Sénat : saisissez-la !
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie essaie, sans convaincre, de rendre les parlementaires de l'opposition responsables de la décision du Conseil constitutionnel. Il a, par excès de langage, qualifié la saisine de « mauvaise action » à l'égard des familles qui pourraient être déçues de ne pouvoir bénéficier du dispositif...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est honteux !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est là une accusation qui surprend singulièrement venant de lui, car j'ai le plus grand respect pour sa personne. En vérité, c'est une accusation stupide !
M. Jean Arthuis. Et scandaleuse !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. En tout cas, elle ne correspond en rien à sa personnalité. Mais c'est sans doute un dérapage de langage comme nous pouvons tous en commettre.
La solution retenue par le Gouvernement est en effet si inégalitaire qu'elle a été considérée par le Conseil constitutionnel comme contraire aux droits de l'homme. Ce caractère profondément inégalitaire a été démontré oralement par le rapporteur général, mais aussi formidablement, à travers des graphiques, dans son rapport écrit.
La solution du Gouvernement crée effectivement de multiples discriminations : entre les couples « mono-actifs » et les couples « bi-actifs », entre les familles avec enfants et les familles sans enfant, entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein.
De tout cela le Sénat avait averti le Gouvernement. Il avait fait mieux : il avait proposé de prévoir dans le projet de loi de finances un crédit d'impôt sur le revenu, parfois dénommé « impôt négatif », favorable aux ménages jusqu'à 1,8 fois le SMIC - et non pas jusqu'à 1,4 fois le SMIC, comme c'était le cas dans le dispositif du Gouvernement - tenant compte de l'ensemble des revenus du ménage ainsi que des charges de famille, et ne provoquant d'effet de seuil. Cette solution est, en outre, incitative à la recherche d'emploi. Elle ne crée pas de « trappe à pauvreté ».
Sans qu'aucune collusion avec M. Pisani-Ferry puisse être soupçonnée, il se trouve que celui-ci en reconnaît dans son rapport le principe comme intéressant.
Je l'ai dit, ce dispositif, qui n'est pas, lui, contraire au principe d'égalité, le Sénat l'a voté. Mais, comme d'habitude, le Gouvernement ne nous a pas écoutés ! C'est donc lui qui est responsable de ces promesses non tenues. Les parlementaires de l'opposition n'y sont pour rien : au contraire, ils ont tout fait pour qu'une solution sérieuse soit rapidement mise en oeuvre.
En cette nouvelle lecture du collectif budgétaire, madame la secrétaire d'Etat, la commission des finances, ainsi que le rapporteur général l'a indiqué, va vous proposer à nouveau sa solution. Il sera d'ailleurs intéressant d'entendre la réponse que vous nous ferez.
En effet, notre commission partage votre objectif à l'égard des familles modestes. Vous n'avez absolument pas le monopole de cette préoccupation !
M. Denis Badré. Seulement, nous, nous traitons le problème !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et nous le traitons de manière conforme à la Constitution et à son préambule.
Madame le secrétaire d'Etat, il faut tirer de cette triste affaire pour la France une leçon de démocratie.
Que s'est-il passé, en effet ? Le 31 août dernier, M. Laurent Fabius annonçait, avec tambours et trompettes, son plan de baisse d'impôt, et il l'annonçait de façon assez peu respectueuse du Parlement qui, encore une fois, est la représentation des Français. La majorité plurielle était invitée à obéir. Laissant croire que tout était joué, le ministre a suscité l'espoir de millions de familles, qui sont aujourd'hui déçues.
M. Laurent Fabius déclare qu'il ne s'attendait pas à une annulation. Il nous dit qu'il n'avait pas été prévenu des risques juridiques par le Conseil d'Etat, non plus que par le secrétariat général du Gouvernement. Mais, dans une démocratie digne de ce nom, c'est le Parlement qui consent à l'impôt et qui le réforme éventuellement ! Or, madame la secrétaire d'Etat, si vous lisez les rapports signés par nos collègues Charles Descours, Philippe Marini et Jacques Oudin, vous constaterez qu'ils démontrent parfaitement cette inconstitutionnalité et proposent la solution alternative de l'impôt négatif.
Ancien président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius aurait été bien avisé de se conformer au principe démocratique élémentaire qui veut que l'on tienne compte du débat parlementaire. Je pense qu'il est aujourd'hui puni de ne pas l'avoir fait !
S'il veut bien et si vous voulez bien écouter désormais le Sénat, vous saisirez cette chance que constitue la solution du crédit d'impôt.
Mes chers collègues, nous sommes dans notre rôle en procédant à cette nouvelle lecture. Je pense qu'il n'est pas sain pour nos institutions que le Gouvernement, quel qu'il soit, d'ailleurs, considère comme allant de soi le fait que le Sénat veuille bien adopter une question préalable pour interrompre prématurément le débat parlementaire. C'est si vrai que, lorsqu'on examine l'ordre du jour prioritaire tel qu'il est proposé à la conférence des présidents, on se dit que la discussion en nouvelle lecture au Sénat est tenue pour inutile, puisqu'il nous est quasiment demandé de statuer sur un texte avant qu'il ne nous soit transmis.
Mes chers collègues, les Français qui vous envoient siéger à la Haute Assemblée attendent que vous fassiez entendre votre voix. Madame la secrétaire d'Etat, pour le bien de la France, et aussi pour vous permettre d'atteindre vos objectifs, cette voix, écoutez-la ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ainsi donc, au terme de ce mois de décembre déjà particulièrement riche en débats parlementaires, en controverses et en contradictions, nous voici de nouveau, et dans une incroyable précipitation, saisis du collectif budgétaire pour 2000.
Vous me permettrez, dans un premier temps, de souligner à quel point il est regrettable que la discussion de ce projet de loi de finances rectificative se déroule dans des conditions de relative incertitude, le texte que la majorité sénatoriale avait réussi à faire adopter avant-hier ayant été modifié de nouveau par l'Assemblée nationale après l'échec, prévisible, de la commission mixte paritaire.
Que reste-t-il du texte adopté par le Sénat dans le texte voté aujourd'hui même par l'Assemblée nationale ? En vérité, pas grand-chose, comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre du fait d'irréductibles différences d'appréciation, dont nous avons, encore cette année, pu mesurer l'importance.
Il ne s'agit pourtant que d'un collectif de fin d'année, dont les mesures sont a priori, limitées et où les marges de manoeuvre sont encore plus étroites que lors de l'examen d'une loi de finances initiale.
Cela pose néanmoins avec une acuité renouvelée la question cruciale du rôle du Parlement dans le fonctionnement de nos institutions et dans l'exercice du contrôle budgétaire, car les articles les plus importants du présent collectif - validation des décrets d'avance et d'annulation, par exemple - échappent à un véritable débat de fond ; d'où mon interrogation, en particulier, sur la portée des mesures dont nous avons pu débattre à l'automne 1999.
Ce collectif comprenait plus de 20 milliards de francs de redéploiements de dépenses, soit une part importante des mesures nouvelles prévues par la loi de finances initiale.
Les orientations choisies dans les annulations et les redéploiements de crédits posaient avant-hier et posent encore aujourd'hui question : nous avions souligné qu'une part des dépenses nouvelles, notamment en matière sociale, était gagée par des annulations d'un montant équivalent tirées d'autres chapitres budgétaires.
Cette méthode, qui sauve les apparences de la rigueur comptable, ne nous semble pas, pour autant, satisfaisante. D'ailleurs, comme l'a souligné M. le rapporteur général, le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale est lui-même particulièrement préoccupé par ce mode de gestion des deniers publics, qui procède plus de la chimie fine que de la volonté politique de répondre aux besoins de la collectivité.
Nous sommes en effet un peu dans un théâtre d'ombres où tout n'est pas dit, où tout n'est pas mesurable, où nous ne disposons pas, en toute transparence, de toutes les cartes pour déterminer les meilleurs choix, pour retenir les meilleures orientations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du RDSE et du RPR .)
Nous l'avons indiqué lors de la séance de lundi dernier, nous demandant si l'appareil statistique disponible en matière d'évaluation des recettes nous donnait la possibilité effective de connaître la réalité des données.
Dans ce contexte, se prononcer, après en avoir débattu, sur un projet de loi manifestement incertain soulève la question du bien-fondé de nos débats.
Nous ne voterons cependant pas le texte tel qu'il ressortira de la nouvelle lecture par la Haute Assemblée, eu égard à nos divergences profondes avec M. le rapporteur général et la majorité sénatoriale quant à la doctrine et aux orientations à retenir.
La croissance, dans notre pays, mérite sans doute un autre débat, surtout au moment où certains s'arrogent le droit de décider à la place de la représentation nationale de ce qui serait bon pour le pays.
M. Denis Badré. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est en ce sens que nous avons pris l'initiative politique forte de présenter, au cours de la discussion de ce projet de loi de finances rectificative, un amendement tendant à modifier l'économie générale de la contribution sociale généralisée acquittée par les titulaires de revenus d'activité.
Telles sont les observations que je voulais formuler au début de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Cazalet.
M. Auguste Cazalet. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen en nouvelle lecture de ce projet de loi de finances rectificative par notre assemblée est, à la lumière d'un certain nombre d'événements tout récents, particulièrement utile.
Notre groupe se félicite vivement qu'il soit procédé à cette nouvelle lecture. Celle-ci nous permet de rappeler notre opposition à ce texte et de soutenir les dispositions alternatives votées par le Sénat lors de la première lecture.
Comme l'avait dit notre collègue Gérard Braun lundi dernier, le cadrage de ce collectif est inacceptable. Le Gouvernement joue avec les prévisions de croissance sur lesquelles sont bâtis ses collectifs budgétaires comme avec un yoyo.
Au printemps, la prévision de croissance était majorée de 0,8 point par rapport à la loi de finances initiale, pour être portée à 3,6 %.
A l'automne, cette prévision de croissance révisée est à nouveau rectifiée, mais à la baisse cette fois-ci, de 0,2 point, alors que l'INSEE se situe, avec 3,2 %, à 0,2 point en dessous de la prévision gouvernementale.
De nombreux signaux peu encourageants sont apparus après l'été : ralentissement indéniable de la croissance aux Etats-Unis, conséquences économiques du bas niveau de l'euro et évolution incontrôlée des cours du pétrole.
Le volet « recettes » de ce collectif n'est pas satisfaisant non plus. Après des recettes réévaluées de 51,4 milliards de francs dans le premier collectif, la réévaluation des recettes fiscales tendancielles inscrites dans ce second collectif dépasse de 40 milliards de francs le niveau adopté avant l'été. Ces 40 milliards de francs supplémentaires se trouvent ramenés à 28,5 milliards de francs du fait de la prise en compte des mesures fiscales du collectif et des transferts opérés entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. L'épisode des plus-values de recettes fiscales non reconnues, puis avouées, risque fort de se reproduire dans quelques semaines.
Pour les recettes non fiscales, nous ne pouvons que dénoncer de nouveau le rôle de variable d'ajustement que leur fait jouer le Gouvernement en les reportant à l'année prochaine, alors même que l'hypothèse de déficit budgétaire associée à ce collectif est en hausse par rapport à l'exécution de 1999.
Pour ce qui est des dépenses, nous sommes loin des engagements pris par le Gouvernement. Si des économies sont réalisées, c'est uniquement grâce aux effets de la conjoncture et non par l'engagement de réformes structurelles. Comme le note avec justesse notre rapporteur général, dans un rapport dont je tiens à saluer la qualité, le mot « économie » a une signification précise en français : la réduction des dépenses. Hélas ! pour le Gouvernement, il s''agit de financer des économies par redéploiement.
Or, en s'obstinant à financer des dépenses pérennes avec des ressources conjoncturelles, le Gouvernement prend un risque considérable : au premier ralentissement de la croissance, il ne pourra plus régler ses dépenses. Il ne lui restera alors d'autre solution que de laisser filer les déficits ou d'augmenter les impôts.
Sur le déficit budgétaire, nous avions, en première lecture, dénoncé une absence manifeste de transparence et de sincérité. En dépit de marges de manoeuvre très importantes, le Gouvernement ne place plus au nombre de ses priorités la réduction du déficit. L'effort qui est fait dans ce collectif mérite bien le qualificatif de « très limité ».
La situation de la France par rapport à ses principaux partenaires ne s'arrange pas, puisque le solde structurel de nos administrations publiques sera de nouveau le plus dégradé par comparaison avec le reste des pays de l'OCDE en 2000, et ce pour la troisième année consécutive.
Pour le solde financier, la situation n'est guère plus brillante. On comprend mieux, dans ces conditions, les récentes inquiétudes exprimées par la Commission européenne sur la position de la France.
De plus, il est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi lui-même que le niveau du déficit associé au collectif est d'ores et déjà obsolète. Comment ne pas s'élever contre un traitement aussi désinvolte de la représentation nationale ?
Le nouvel examen de ce projet de loi de finances rectificative permet à notre commission des finances de proposer à nouveau au Sénat de substituer au mécanisme de ristourne dégressive de CSG et de CRDS prôné par le Gouvernement, un mécanisme de crédit d'impôt au bénéfice des foyers dont le montant des revenus d'activité ne dépasse pas 1,8 SMIC, ce dernier dispositif n'ayant pas été retenu par l'Assemblée nationale lors de la lecture définitive du budget pour 2001.
Après la décision du Conseil constitutionnel de mardi dernier déclarant contraire à la Constitution le mécanisme de ristourne dégressive proposé par le Gouvernement, il est bon que le Sénat rappelle sa proposition de crédit d'impôt, qui, tenant compte des situations familiales, n'encourait pas de reproche d'inconstitutionnalité.
Comment le Gouvernement et sa majorité peuvent-ils aujourd'hui s'étonner de cette censure du Conseil constitutionnel, alors que, dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2001, notre rapporteur général analysait avec précision les éléments permettant de faire douter de la constitutionnalité de ce dispositif ?
Le conseil des impôts n'avait-il pas, dans un avis récent, qualifié de « dangereuse » la création d'un abattement sur la CSG et déclaré qu'une telle réforme constituerait un précédent contestable ?
Souvenons-nous que Mme le secrétaire d'Etat au budget a déclaré au Sénat, à l'occasion de ce débat, que le choix du Gouvernement avait été mûrement réfléchi et qu'il avait l'avantage d'avoir un effet immédiat dès janvier 2001. Le résultat, c'est qu'il n'y a plus aujourd'hui de dispositif tendant à augmenter le revenu disponible des personnes dont les revenus sont les plus modestes, et ce du fait de l'entêtement du Gouvernement à ne pas vouloir écouter les propositions alternatives qui lui sont faites !
N'aurait-il pas été préférable d'adopter le dispositif du Sénat qui, en vigueur au 1er janvier de l'année prochaine, aurait fait sentir ses effets dès le mois de février ?
Le Gouvernement a annoncé le dépôt d'un nouveau texte au mois de janvier. Il faut que ceux de nos concitoyens qui sont concernés par ce mécanisme sachent très vite ce qu'il va advenir de leur situation au regard de la CSG en 2001 !
Nous mettons en garde le Gouvernement : qu'il ne soit pas tenté de polémiquer en faisant porter sur les auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel la responsabilité de cette censure. S'il y a eu censure, le seul responsable en est le Gouvernement, incapable de présenter un mécanisme juridiquement irréprochable. N'inversons pas les rôles !
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. Auguste Cazalet. Que le Gouvernement assume ses erreurs et se mette rapidement au travail pour présenter une solution moins injuste que sa proposition initiale. Le Sénat veillera à ce que ce nouveau mécanisme soit respectueux des principes généraux du droit.
Sur les autres dispositions de ce collectif, nous ne pouvons que nous féciliter de ce que l'Assemblée nationale ait reconnu avec le Sénat le caractère injuste de l'absence de compensation aux départements de l'ensemble des charges résultant de l'application de la couverture maladie universelle.
Sur la taxe d'équarrissage et l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes, nous reprendrons la position que nous avions défendue en première lecture et suivrons les propositions équilibrées de notre commission des finances.
Le collectif budgétaire d'automne pour 2000, tel qu'il a été adopté ce matin par nos collègues députés, ne peut pas être accepté, non seulement parce qu'il intègre des mesures fiscales inéquitables, mais aussi parce que nombre de ses articles n'ont pas leur place dans une loi de finances et ne sont donc pas de nature à perdurer.
Félicitant de nouveau le président de la commission des finances et le rapporteur général pour l'excellence de leurs travaux, le groupe du Rassemblement pour la République votera ce projet de loi de finances rectificative dans la même rédaction qu'en première lecture. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Machet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je serai plus bref car je n'évoquerai que le seul projet de loi de finances rectificative pour 2000. (Mme le secrétaire d'Etat sourit.)
Cette nouvelle lecture ne sera pas, dans notre assemblée, bien différente de la première. Le texte n'avait pas obtenu notre approbation après sa discussion au Sénat, car la majorité sénatoriale l'avait par trop dénaturé. Je regrette que cette même majorité sénatoriale s'apprête à défaire une nouvelle fois ce que l'Assemblée nationale a rétabli ce matin.
M. Denis Badré. Nous ne desespérons pas !
M. Claude Haut. Je n'entrerai pas dans le détail de ce qui nous paraissait, dès l'abord, positif dans ce projet de loi de finances rectificative pour 2000. Je rappellerai néanmoins, pour mémoire, les efforts de transparence fournis cette année par le Gouvernement, puisque le collectif que nous examinons aujourd'hui est le second de l'année ; je rappellerai aussi que la politique économique et budgétaire mise en oeuvre par la gauche depuis 1997 continue à porter ses fruits ; je rappellerai enfin que les prévisions de recettes devraient être confirmées en exécution.
Je rappellerai encore le dynamisme des recettes fiscales, qui résulte de la bonne marche de l'économie ; le fait que les dépenses continuent à être maîtrisées, même si le collectif de printemps avait dû tenir compte de certaines charges exceptionnelles ; le fait aussi que, si le déficit présenté par ce projet de loi de finances rectificative s'établit à 209,5 milliards de francs, cela représente 6 milliards de francs de moins que ce qui était prévu par la loi de finances initiale, et que la prévision d'exécution est bien meilleure, puisque le déficit attendu devrait se situer en dessous de 200 milliards de francs. D'ailleurs, à ce sujet, les gouvernements précédents, entre 1993 et 1997, n'ont pas été particulièrement brillants !
Enfin, je rappellerai les allégements fiscaux, tels que la baisse de la TVA, de la taxe d'habitation et des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu, conjugués avec les allégements décidés dans le cadre de la loi de finances pour 2001 mais effectifs dès cette année, telles que la suppression de la vignette et les mesures de correction du jeu de la fiscalité pétrolière.
Par ailleurs, le déficit budgétaire de cette année doit tenir compte des dépenses d'urgence et des diminutions d'impôts qui auront été, en 2000, particulièrement importantes.
Même en ne tenant pas compte des mesures fiscales contenues dans le présent collectif, abaisser les impôts de 40 milliards de francs en cours d'année, après avoir déjà inscrit 40 milliards de francs dans la loi de finances initiale pour 2000, ne peut être sans conséquences bénéfiques en termes de justice sociale, de consommation, de croissance et d'emploi. Alors, pourquoi ne pas nous en féliciter ?
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si le projet de loi de finances rectificative dont nous entamons la nouvelle lecture a tout notre soutien, nous ne souscrivons cependant pas aux modifications proposées par le rapporteur général, ni d'ailleurs à son réquisitoire contre le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Blin.
M. Maurice Blin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, je n'ai pas, à cette heure, l'intention d'ajouter quoi que ce soit aux excellentes analyses qui viennent d'être conduites devant nous par les éminents représentants de la commission des finances : tout a été dit, et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.
J'interviens ici en tant que rapporteur des crédits du ministère de la défense.
Je ne rappellerai pas que ce collectif, comme on a pu le dire, ressemble davantage à un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre financier qu'à autre chose. Je ne répéterai pas non plus, après M. le président de la commission, qu'à l'évidence la moitié des articles sont des articles additionnels résultant d'amendements déposés par le Gouvernement en cours de discussion et, donc, sans examen préalable de la commission compétente.
Je commencerai par l'article 10, relatif aux ouvertures de crédits militaires d'équipement.
Cet article prévoit l'ouverture de 18,2 milliards de francs d'autorisations de programme destinés, pour l'essentiel, à financer la moitié de la commande globale de cinquante avions de transport en vue de remplacer les C 160-Transall.
Mon premier constat sera pour regretter que le Gouvernement n'ait pas jugé bon d'aller jusqu'au bout de sa démarche. Le remplacement des soixante-six Transall de l'armée de l'air constitue une priorité absolue. En effet, l'usure des Transall a été accélérée par la participation des troupes françaises à de très nombreuses opérations extérieures dans des conditions de terrain et de climat souvent difficiles. Nos Transall seront donc progressivement inutilisables à partir de 2005, avec un pic de retrait entre 2007 et 2009.
La commande actuelle de cinquante Airbus A 400 M est capitale, et le principe n'en est pas contestable. Je me félicite avec vous, madame le secrétaire d'Etat, de voir cette commande inscrite dans ce collectif, mais elle est tardive. De fait, il faudra nécessairement, pour assurer la jonction entre les Transall et les A 400 M, recourir à des formules de location, formules coûteuses qui sont loin d'être l'idéal.
Mais cette commande est aussi fondamentale parce que la décision des Britanniques de choisir l'Airbus, partiellement au moins, de préférence à un modèle Boeing ou Antonov revêt une signification politique majeure. Dans le cadre de la politique européenne de défense, rien ne doit donc amener le Royaume-Uni à se désolidariser de ce programme, comme il l'a, hélas, dans le passé, déjà fait sur d'autres programmes plus lourds et pourtant déjà engagés, comme celui des frégates Horizon.
C'est la raison pour laquelle il nous paraît hautement regrettable d'avoir inscrit la moitié seulement des autorisations de programme nécessaires au financement de l'ensemble du programme. Il aurait mieux valu, à tous égards, à la fois vis-à-vis de nos partenaires européens et vis-à-vis de l'industriel, engager la totalité des crédits.
Cela aurait été d'autant plus facile que le Gouvernement n'a pas couvert la totalité de l'ouverture de ces autorisations de programme. Pour l'ensemble du budget, le total des annulations d'autorisations de programme, crédits civils et militaires confondus, s'élève en effet à moins de 6 milliards de francs.
Il s'agit donc là, madame la sécrétaire d'Etat, on ne peut les appeler autrement, d'ouvertures virtuelles. Dans ces conditions, pourquoi ne pas avoir poussé cette virtualité jusqu'au bout en inscrivant la totalité des 40 milliards de francs du programme ATF dans ce collectif ?
Ma deuxième remarque, plus générale, sera pour déplorer qu'à nouveau les dépenses d'équipement fassent office - on le dit, on le répète, mais on le répètera jamais assez, car la menace se précise - de variable d'ajustement de la politique budgétaire gouvernementale.
J'ai en mémoire ce qu'a dit hier soir devant la commission des finances M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il ne nous a pas caché que, s'il fallait conduire jusqu'à son terme l'effort de réduction des dépenses en 2004, ce serait très précisément aux dépenses militaires que l'effort principal serait demandé. Cela n'est pas de bonne méthode. Ce n'est pas convenable au moment où la France prétend, à juste titre, conduire, dans l'effort de défense européen, une action tout à fait remarquable et ô combien utile.
Cela a déjà été le cas dans ce budget. Ce le fut dans le budget précédent. Cela ne doit pas être le cas dans les budgets à venir. Je le redis, madame la secrétaire d'Etat, avec toute la force de conviction qui peut être la mienne.
En effet, dans le présent collectif, c'est le budget militaire qui, à nouveau, fait les frais de l'essentiel des annulations de crédits : plus de 3 milliards de francs en autorisations de programme et près de 4 milliards de francs en crédits de paiement.
Il faut rappeler que, déjà, lors du collectif de juin- voilà peu de mois - les 7 milliards de francs d'autorisations de programme ouvertes pour le financement de la commande des vingt-sept hélicoptères NH 9O version marine, appelés à remplacer, à partir de 2005, les Super-Frelon et les Lynx, eux aussi déjà à bout de souffle, avaient été financés, et au-delà, par 8 milliards de francs d'annulations sur divers programmes, prélevés essentiellement sur la marine mais aussi sur les systèmes d'information et de communication, dont le Kosovo avait pourtant fortement démontré les carences.
D'une manière générale, recourir, en pleine loi de programmation - certes non respectée -, à des collectifs budgétaires pour financer des programmes aussi fondamentaux, attendus et répertoriés nous paraît franchement, madame la secrétaire d'Etat, de bien mauvaise méthode.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Maurice Blin. Au total, sur l'exercice 2000, plus de 6 milliards de francs ont été annulés sur les crédits d'équipement militaire,...
M. Jacques Machet. Voilà !
M. Maurice Blin. ... ce qui représente près de 8 % de la dotation initiale. Quel autre ministère a subi une ponction aussi rigoureuse ? Il n'y en a pas ! (M. Machet applaudit.)
Le présent collectif confirme ainsi une double évolution, récurrente et constamment dénoncée par notre commission des finances : d'une part, au sein du budget des armées, le constant réabondement du titre III, par ponction sur le titre V ; d'autre part, au sein du budget général, la constante contribution nette du budget militaire au « respect de l'équilibre budgétaire », c'est-à-dire, en fait - disons-le clairement ; il faut que l'opinion publique le sache ; mais y est elle vraiment sensible ? Je n'en suis malheureusement pas sûr - au financement des dépenses civiles supplémentaires auxquelles sont sacrifiées les dépenses militaires nécessaires.
M. André Maman. Eh oui !
M. Maurice Blin. Enfin, il est vrai que ces annulations correspondent, pour l'essentiel et de façon quasi systématique à chaque exercice, au montant des reports constatés.
Cette explication n'est guère admissible et conduit à s'interroger sur les facteurs de cette sous-consommation chronique des crédits d'équipement militaire, toujours aussi peu argumentée, pour des montants considérables au regard de la norme budgétaire moyenne. Faut-il supposer qu'il s'agit là d'une nouvelle forme de « cagnotte » ou de « caisse noire » du Gouvernement ?
M. Jacques Machet. C'est exactement ça !
M. Maurice Blin. Pardonnez-moi, madame la secrétaire d'Etat, de poser la question en ces termes.
J'aborde, enfin, très rapidement - trop rapidement, mes chers collègues, mais je vous prie de bien vouloir me le pardonner - l'article 9, relatif aux ouvertures de crédits militaires de fonctionnement, à savoir 910 millions de francs destinés à financer divers ajustements indispensables. De façon, là encore, regrettable, les dépenses concernées ne sont pas couvertes dans leur totalité.
D'abord, 100 millions de francs vont au financement des opérations extérieures, au titre des surcoûts de rémunération et de fonctionnement, laissant 443 millions de francs non financés.
Ensuite, 210 millions de francs sont destinés au financement des mesures spécifiques à la gendarmerie, laissant subsister des dépenses non couvertes à hauteur de 310 millions de francs.
En outre, 60 millions de francs sont prévus pour l'apurement de la dette vis-à-vis de la SNCF, laissant subsister une dette de 240 millions de francs.
Enfin, 40 millions de francs sont destinés à couvrir partiellement les dégâts causés par les intempéries de l'année dernière, laissant subsister une facture de 20 millions de francs. On notera, par ailleurs, que, au contraire des ministères civils, aucun dégât patrimonial, pourtant évalués à près de 750 millions de francs au total, n'a fait l'objet du moindre remboursement.
Je dirai peu - mais il y aurait trop à dire - sur l'article 42, qui clôt ce collectif et qui représente une initiative du Gouvernement en vérité utile et dont nous approuvons le principe. Elle consiste à rapprocher la Direction des constructions navales du groupe privé Thomson CSF. Mais que dire de la méthode ?
Monsieur le président de la commission des finances, ce que j'ai à dire ici illustre très nettement les observations critiques que vous faisiez tout à l'heure.
Cet article important résulte d'un amendement qui a été introduit par le Gouvernement en toute fin de discussion à l'Assemblée nationale, au petit matin.
M. Jacques Machet. Eh oui !
M. Maurice Blin. Il n'a donc été examiné ni par la commission des finances de l'Assemblée nationale ni par la commission de la défense...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Maurice Blin. ... et il a été adopté sans discussion par les députés.
Il s'agit, en réalité, d'un article sans aucun caractère d'urgence, sinon celle qui est due au retard pris par le Gouvernement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Voilà !
M. Maurice Blin. La décision de créer une société commune Thomson CSF-DCN date, en effet, du 10 février 2000, voilà plus de dix mois. Chacun connaît aujourd'hui les difficultés, de longue date, de l'entreprise DCN !
C'est donc bien, pourtant, une disposition qualifiée, à juste titre, de « mini-révolution dans le domaine des constructions navales » - le terme est exact - par notre collègue député M. Jean-Yves Le Drian, qui l'a sous-amendée « en catastrophe » en séance. Le ministre de la défense a lui-même estimé, lors de l'examen de son projet de budget ici même, qu'« elle engage l'avenir à long terme de notre industrie de défense ».
C'est pourquoi, mes chers collègues, la méthode employée à l'égard de la représentation nationale dans une matière aussi délicate, aussi profonde et aussi neuve n'est pas admissible.
En outre, quand on regarde de près la rédaction de cette disposition, on constate qu'elle est très laconique.
Rien, en effet, ne figure sur l'organisation de cette société, par exemple sur la composition du conseil de surveillance ou sur celle du directoire, ou sur les modalités de décision en leur sein, rien non plus sur la clause de sortie en cas de problème.
Une disposition de l'article 42 appelle des éclaircissements : celle du mécanisme d'octroi de la garantie de l'Etat. Le texte semble prévoir que cette garantie sera calculée « pour chaque opération ».
Cela risque, à l'évidence, d'alourdir excessivement les procédures et les délais d'instruction, et, par là même, de nuire à la compétitivité que cette nouvelle société commune cherche précisément à mettre en oeuvre.
Il serait donc bon, madame la secrétaire d'Etat, que le Gouvernement - notamment votre collègue le ministre chargé de l'économie, puisque c'est lui qui accordera cette garantie, apporte d'utiles et nécessaires précisions sur les modalités pratiques et précises d'octroi de cette garantie. Au moins aurons-nous ainsi, faiblement, fait progresser quelque peu l'information du Parlement.
En conclusion, l'exemple de ces trois articles concernant les crédits militaires illustre, mes chers collègues, la manière désinvolte dont une loi de finances rectificative comme celle-ci a été conçue et traitée. Or elle comporte des matières trop graves pour pouvoir être ainsi conduite. Madame la secrétaire d'Etat, ce comportement est en contradiction je le dis à regret, avec la volonté de transparence et de clarté maintes fois exprimée et affichée par M. le ministre de l'économie et des finances. Croyez bien que nous le regrettons, et c'est la raison pour laquelle notre critique est si sévère. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je veux remercier et saluer le président et le rapporteur général de la commission des finances d'avoir rendu possible une discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2000. Par cette initiative - heureuse ! - nous allons peut-être dissiper ce sentiment d'humiliation et de frustration que nous ressentons en tant que parlementaires.
C'est vrai, le Gouvernement a traité ce projet de loi de finances rectificative avec désinvolture, et nos propos ne peuvent être que sévères.
L'essentiel a été dit tant par M. le rapporteur général que par M. le président de la commission des finances. Cependant, je voudrais élever une protestation solennelle contre les propos tenus hier par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En apprenant la censure du Conseil constitutionnel à l'encontre du mécanisme de ristourne dégressive de la CSG, il a dit : « La décision du Conseil constitutionnel s'impose à tout le monde, mais cela veut dire qu'en raison de ce recours les neuf millions de personnes pour lesquelles nous avions prévu une baisse de la CSG dès le mois de janvier ne vont pas pouvoir en profiter. »
Hier, nous avons entendu à la radio, à la télévision, plusieurs membres du Gouvernement mettre la droite au banc des accusés parce que nous avions saisi le Conseil constitutionnel. Dans quel monde sommes-nous ? Quelle conception le Gouvernement a-t-il de nos institutions si nous sommes jugés fautifs de saisir le Conseil constitutionnel parce que le Gouvernement viole les principes fondamentaux de la République ? (M. Machet applaudit.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et veut continuer à les violer !
M. Jean Arthuis. Et il faut en « remettre une couche » ?
Nous devons protester avec véhémence !
On peut violer la Constitution, et ce qui est grave, c'est de saisir le juge ? On peut commettre un délit, et ce qu'il faut, c'est éviter d'en parler au juge ? Dans quel monde sommes-nous ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean Arthuis. C'est tellement choquant que, pendant des mois, nous nous sommes efforcés de faire comprendre au Gouvernement qu'il empruntait une mauvaise direction : nous le lui avons dit à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; nous le lui avons dit lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2001. Or nous avions en face de nous un Gouvernement atteint d'autisme.
M. Jacques Machet. C'est grave !
M. Jean Arthuis. En effet !
Nous vous l'avons dit, madame le secrétaire d'Etat, avec cette ristourne dégressive de la CSG, vous avez porté atteinte à la seule grande réforme fiscale opérée pendant les années quatre-vingt-dix, sous des majorités successives, sans que, peut-être, on ait proclamé qu'il s'agissait d'une vraie réforme fiscale puisque, enfin, on introduisait dans l'impôt sur le revenu un volet proportionnel : la CSG.
Nous ne nous en sommes pas tenus à une critique de votre proposition, nous vous avions dit qu'elle violait un principe constitutionnel fondamental : l'égalité des citoyens devant l'impôt. Vous n'avez pas voulu nous entendre, et vous avez fait naître l'espérance chez neuf millions de nos concitoyens.
Mais nous voulons, nous aussi, aller au-devant de leur attente légitime, à savoir constater une amélioration de leur revenu disponible, et c'est pour cela que la commission des finances et la commission des affaires sociales ont conçu ce dispositif de crédit d'impôt.
Le Sénat a voulu encourager le retour à l'activité professionnelle. Il a voulu prendre en compte les salaires perçus par le foyer fiscal et il a introduit une reconnaissance de la famille, puisque ce crédit d'impôt pouvait être bonifié en fonction du nombre d'enfants à charge. Or vous êtes restés sourds à nos appels. Et quelle heureuse circonstance que la dicussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative ! En effet, elle va vous permettre, madame le secrétaire d'Etat, de disposer, en quelque sorte, de l'instrument qui vous fait défaut.
Nous voulons, nous, parlementaires de l'opposition, mettre à la disposition du Gouvernement cet instrument dont il a besoin pour mettre un terme à la déception de ceux de nos compatriotes qui attendent légitimement une amélioration de leur revenu.
J'arrête là mon propos. Je souhaite du fond du coeur, madame le secrétaire d'Etat, que vous entendiez notre appel et que le Gouvernement saisisse cette chance de corriger une mauvaise appréciation.
Finalement, la discussion fiscale, dans le cadre de l'ordonnance de 1959, est une dérision. On apprend à la fin du mois d'août les initiatives du Gouvernement. Puis le grand débat fiscal se déroule sur quelques heures !
Je souhaite donc, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission des finances, que la réforme de l'ordonnance de 1959 soit suffisamment audacieuse.
Peut-être faudrait-il d'ailleurs modifier la Constitution pour que la discussion du projet de loi de finances commence dès le printemps et renoncer à ce débat d'orientation budgétaire qui, si prometteur dans sa première expression, est malheureusement devenu quasiment dérisoire ? Il faudrait donc que, dès le printemps, nous puissions engager avec le Gouvernement une discussion constructive pour imaginer les réformes fiscales fondamentales dont la France a besoin.
Je formule par conséquent le souhait que nous puissions déjà prendre rendez-vous pour la préparation de cette réforme de l'ordonnance de 1959, qui ne doit pas exclure une réforme constitutionnelle, s'agissant du début de la discussion budgétaire.
Mais j'invite aussi le Gouvernement à offrir aux Français un mécanisme d'amélioration du revenu des foyers les plus modestes. C'est l'ambition du Sénat, c'est l'ambition de l'opposition que le Gouvernement a sévèrement critiquée sur des bases arbitraires et totalement injustes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures quinze.)