SEANCE DU 10 JANVIER 2001


POLLUTION PAR LES NAVIRES

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 415, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires. [Rapport n° 163 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d'abord, de vous présenter de vive voix mes voeux pour la nouvelle année.
Il y a maintenant plus d'un an, le pétrole s'échappait des soutes de l' Erika et venait polluer nos côtes, causant ainsi un très grave préjudice à l'environnement et à tous ceux qui vivent des activités maritimes et du tourisme sur le littoral de l'Atlantique ; il y a un peu plus de deux mois le Ievoli Sun faisait naufrage dans la Manche, au large du Cotentin, avec sa cargaison de styrène.
Ces naufrages qui se répètent ont marqué les consciences, comme ce fut le cas pour les catastrophes du Torrey Canyon , de l' Amoco Cadiz ou de l' Exxon Valdes .
Tout montre aujourd'hui que la société n'accepte plus ces catastrophes à répétition, qui ne relèvent pas de la simple fatalité et dont elle attribue souvent la responsabilité à la cupidité de ceux qui n'ont qu'une seule loi, celle du profit à tout prix.
L'exigence d'une réglementation claire, précise, efficace et respectée monte parmi les opinions publiques des pays de l'Union européenne, et au-delà. Bien sûr, il faut s'en féliciter, car cette saine pression de l'opinion publique est déterminante pour faire avancer la législation maritime européenne et internationale, ce qui est indispensable.
L'ampleur du préjudice causé par ces catastrophes ne saurait cependant faire oublier que des pollutions intentionnelles affectent au quotidien notre patrimoine maritime. Je veux parler des déballastages, ou dégazages, effectués illégalement en mer par des capitaines de navire peu scrupuleux et peu soucieux de l'environnement.
Ces pratiques sont d'autant plus inacceptables qu'elles ne visent qu'à économiser le coût du nettoyage des cuves dans un port. Elle s'inscrivent dans un système qui privilégie la recherche du moindre coût au détriment de l'environnement et qui rogne sur le contrôle, l'entretien et la remise en état des navires ou sur les conditions de travail des marins, au mépris des risques d'accident.
La proposition de loi du député Gilbert Le Bris que l'Assemblée nationale a adoptée le 13 juin dernier part de ce constat. Elle suggère des mesures d'abord et avant tout dissuasives pour empêcher et, le cas échéant, sanctionner ces rejets illicites d'hydrocarbures en mer, qui sont d'ailleurs définis par les conventions internationales.
Lors de la discussion de cette proposition de loi modifiant la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les hydrocarbures, j'ai souligné, au nom du Gouvernement, l'opportunité et la pertinence du texte. J'ai partagé et soutenu cette démarche parce qu'il est notamment question de renforcer la répression à l'encontre de ces comportements illicites en triplant les sanctions financières et en doublant les peines d'emprisonnement encourues en cas de déballastage en mer, ainsi qu'en étendant ces dispositions à tout capitaine de navire étranger naviguant dans nos eaux.
Comme vous le savez, la proposition de loi a été améliorée sur plusieurs points par l'Assemblée nationale, et j'ai pu constater, à la lecture de l'excellent rapport de M. Lanier, que nos analyses étaient très largement convergentes. Je note d'ailleurs que les amendements de la commission des lois du Sénat permettent d'enrichir le texte.
Ces amendements vont en effet dans le sens d'une fermeté accrue, et donc d'une meilleure dissuasion, au travers du quadruplement des sanctions financières et de l'extension de la responsabilité au-delà de celle du capitaine du navire. J'y suis extrêmement favorable. Je l'avais d'ailleurs souligné lorsque ces propositions avaient été avancées dans la discussion des articles à l'Assemblée nationale.
Faire également peser la responsabilité sur l'armateur permettra, je le crois, d'exercer une pression plus forte sur l'ensemble de la chaîne de commandement pour prévenir les déballastages en mer ou, le cas échéant, les sanctionner. Les responsables des navires doivent comprendre qu'il est pratiquement et financièrement plus avantageux et aussi moins dangereux pour eux de se conformer à la réglementation et de déballaster dans les ports plutôt qu'en pleine mer.
Enfin, plusieurs amendements à l'article 5 visent à consolider et à améliorer le dispositif prévu par l'Assemblée nationale pour spécialiser les juridictions compétentes et ainsi renforcer l'efficacité de l'action de la justice.
Le Gouvernement ne peut que se réjouir des améliorations que l'ensemble de ces propositions apportent au texte initial et qui vont dans le sens d'une plus grande fermeté à l'égard des pollueurs.
Une telle action doit, bien entendu, s'accompagner d'une politique d'investissement et de modernisation concernant la capacité de réception de nos ports.
De nombreux ports sont déjà équipés, tout particulièrement les ports pétroliers comme Le Havre, Marseille, Dunkerque, ou Nantes - Saint-Nazaire. Mais d'autres sont moins bien équipés ou ne le sont pas du tout. C'est pourquoi j'ai demandé que soit diligentée une mission en vue de recenser les installations existantes et de prévoir un programme d'équipement. Cette mission doit me rendre son rapport sous peu.
Bien entendu, pour être efficaces, de telles mesures doivent s'intégrer dans une démarche globale d'amélioration de la sécurité maritime. Cette démarche est la mienne depuis 1997. Elle s'est traduite notamment par l'augmentation des moyens mis en oeuvre pour atteindre cette sécurité et par le renforcement de la réglementation internationale, ce que nous sommes en passe d'obtenir grâce à l'action déterminée menée lors de la présidence française de l'Union européenne.
Sur le plan national, vous le savez, le Gouvernement a pris la décision d'augmenter de trente postes le nombre des officiers de port, de doubler le nombre des inspecteurs de sécurité et de doter les services des douanes et de la marine nationale de nouveaux moyens de surveillance, afin que tous puissent accomplir leurs missions actuelles et futures dans de meilleures conditions et avec de meilleurs résultats. La modernisation et la professionnalisation des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les CROSS, permettront également de réduire les risques maritimes qu'encourent les hommes et l'environnement.
Comme vous le savez, la détermination conjointe de la présidence française, de la Commission et du Parlement européen, permis qu'à l'échelon communautaire - les décisions ont été prises les 20 et 21 décembre dernier - plusieurs directives relatives au renforcement de la sécurité maritime soient sur le point d'être adoptées.
L'une des directives oblige les navires à attester du dépôt de leurs déchets avant de quitter un port de l'Union. Sa transposition dans notre droit national est pratiquement réalisée puisqu'elle est inscrite dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire, celui-là même que certains membres de la majorité sénatoriale ont déféré devant le Conseil constitutionnel. (Sourires.)
Malgré ce léger contretemps, la France sera donc, dans quelques jours, le premier des Quinze à intégrer dans son droit interne de telles dispositions. Nous serons en quelque sorte des précurseurs dans ce domaine, ce dont il convient de se féliciter.
Une autre directive vise à introduire dans le droit communautaire des mesures telles que le bannissement - le mot est fort, mais il traduit bien la volonté de faire bouger les choses - des navires à risque, ainsi que l'organisation et l'approfondissement des contrôles.
Au-delà de ces dispositions, que le Parlement européen devrait adopter définitivement dans des délais très courts, un projet de directive relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi, de contrôle et d'information du trafic maritime, fait partie du deuxième paquet de mesures proposées par la Commission européenne. On peut dire que la France y a largement contribué, avec le dispositif Equasis, maintenant bien connu.
Plusieurs mesures proposées par la France à l'Organisation maritime internationale, l'OMI, ont également d'ores et déjà été adoptées.
Parmi celles-ci, on peut citer : le contrôle en cale sèche tous les deux ans et demi - au lieu de tous les cinq ans - des pétroliers de plus de quinze ans à partir du 1er juillet 2002 ; l'obligation de signalement des navires en Manche centrale à partir du 1er juillet 2001 ; l'obligation d'embarquement de balises transpondeuses permettant l'identification des navires ; enfin, le soutien de l'OMI et de l'Union européenne à l'initiative française visant à créer une banque de données mondiale sur les navires, le dispositif Equasis étant, cette fois encore, à l'honneur.
Par ailleurs, l'OMI a adopté, au début du mois de décembre dernier, une mesure imposant l'emport de « boîtes noires » sur les navires neufs à compter du 1er juillet 2002 et sur les navires à passagers existants.
Le Conseil des ministres européens des 20 et 21 décembre 2000 a souhaité que les navires de charge existants faisant escale dans les ports de la Communauté soient également tenus d'avoir cet équipement à bord.
Une autre mesure visant à contrôler plus efficacement les rejets illicites d'hydrocarbures en mer est à l'étude au sein de l'OMI : il s'agit d'identifier les produits transportés par marquage, afin d'assurer une parfaite traçabilité de la pollution et l'identification du contrevenant, comme aux Etats-Unis.
Enfin, au niveau international ou au moins à l'échelle de l'Europe, la France a proposé d'accélérer l'élimination des pétroliers à simple coque. Cette proposition devrait aboutir à l'adoption, en avril 2001, d'un amendement à la convention MARPOL qui entrerait en vigueur le 1er janvier 2003 avec, pour perspective, l'élimination de 40 % des navires à simple coque en 2005 et de près de 70 % d'entre eux en 2015 à l'échelle mondiale, à l'instar de ce qui se fait aux Etats-Unis.
Au-delà de toutes ces dispositions, il nous faudra continuer à travailler sur les questions de la responsabilité des opérateurs, du meilleur signalement et contrôle de la circulation et sur la création d'une agence de sécurité européenne, tous sujets dont la France a suscité l'étude et qui feront l'objet de discussions dans le cadre du « paquet Erika II » de propositions de la Commission européenne.
Au même titre que toutes les mesures engagées par le Gouvernement, les dispositions de la présente proposition de loi s'inscrivent dans une démarche globale d'amélioration de la sécurité maritime et de responsabilisation de tous les acteurs.
Notre patrimoine maritime, nos plages ne doivent plus subir les souillures d'armateurs indélicats qui sacrifient la sécurité des hommes et l'environnement à la recherche du moindre coût pour asseoir leurs bénéfices.
Je crois que nous avons collectivement une responsabilité devant la population et les générations futures, qui sont en droit d'attendre des élus et des pouvoirs publics une action ferme et déterminée contre ce type de comportements à tous points de vue condamnables. Je compte donc sur vous pour soutenir cette proposition de loi et contribuer à sa mise en oeuvre. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, le naufrage de l' Erika et l'épanchement de ses tonnes d'hydrocarbures ont pu réveiller les craintes de la pollution de la mer et de ses rivages, craintes qui s'étaient un peu trop estompées depuis la catastrophe de l' Amoco Cadix. Mais le sommet européen de Bruxelles des 21 et 22 décembre dernier - vous l'avez dit également - a confirmé la priorité des problèmes de sécurité maritime.
Ce réveil est d'autant plus justifié qu'il existe une pollution quasi quotidienne, estimée à 2 millions de tonnes d'hydrocarbures par an, soit l'équivalent d'un Erika par semaine, rien que dans la Méditerranée, mer fermée par excellence.
Cette pollution subreptice et continue est due à la vidange en pleine mer, et au mépris des lois internationales, des ballasts des navires, compartiments étanches destinés au transport soit d'hydrocarbures, soit de produits chimiques, dont le nettoiement est nécessaire après livraison de la marchandise, d'où le nom en termes de marine de « déballastage » ou de « dégazage ». Ces vidanges, interdites en mer, peuvent provenir des machines ou des compartiments enfermant la cargaison.
Ces vidanges se traduisent par des nappes de produits, dont certaines sont fort étendues et particulièrement nocives, surtout lorsqu'elles arrivent jusque sur les côtes. Elles hypothèquent la vie même des mers et plus particulièrement des mers fermées, telle la Méditerranée. Elles échappent le plus souvent à la surveillance des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les fameux CROSS, qui, en 1999, ont répertorié 308 pollutions du fait de dégazage, sans compter les opérations occultes. Elles menacent plus particulièrement la France, compte tenu de l'étendue de ses façades côtières et de l'étroitesse des rails maritimes de la Manche.
La proposition de loi de Gilbert Le Bris, député du Finistère, visant à réprimer la pollution par les navires, a été approuvée en première lecture par l'Assemblée nationale, le 13 juin dernier. Elle nous est soumise aujourd'hui. Elle renforce les dispositions de la loi du 5 juillet 1983, dont il convient de rappeler, pour une complète compréhension du sujet, que ses dispositions ont été abrogées par l'ordonnance du 18 septembre 2000, afin d'être codifiées dans le code de l'environnement par les articles L. 218-10 à L. 218-31, codification effectuée à droit constant.
Ma première réflexion sera pour dire que cette proposition de loi vient à son heure. Je regrette pourtant que nous ne soyons pas en présence d'un texte plus complet, plus propre à dissuader les dégazages sauvages. Mais peut-être avez-vous eu raison, monsieur le ministre, de passer par cette étape, en l'occurrence cette proposition de loi, afin, pour mieux adapter ensuite la législation française à la réglementation internationale, en particulier européenne, qui est en train d'être bâtie mois après mois et qui a pris un nouvel élan lors du récent sommet de Nice.
En effet, la réglementation nationale ou internationale actuellement en vigueur s'est jusqu'alors révélée peu dissuasive. Quelle est-elle ?
Sur le plan international, la convention MARPOL 73-78, entrée en vigueur en 1982, interdit tout déballastage ou dégazage dans certaines zones protégées parce que plus sensibles et exposées, telle la Méditerranée, mer fermée, je l'ai dit, mais autorise un dégazage réglementé selon la teneur du rejet, la nature du navire, le lieu d'opération.
A l'échelon national, la loi de 1983, codifiée dans le code de l'environnement, reste la référence. Mais elle n'est pas sans certaines failles. Sanctionnant des fautes intentionnelles d'ordre pénal, elle exclut la souscription d'une assurance. Elle pose le principe de la responsabilité du capitaine du navire, seul responsable des événements survenus à son bord, sauf si le propriétaire ou l'exploitant du navire, c'est-à-dire l'armateur... a donné l'ordre de commettre l'infraction : aberration dans la loi, dont certaines dispositions sont parfaitement inapplicables ! Quel armateur irait, en effet, manifester ainsi son implication dans un acte illégal ? Le capitaine demeure donc seul responsable, considéré comme le vecteur vis-à-vis de ses employeurs.
Or les peines encourues ne sont pas négligeables puisque la loi de 1983 prévoit une amende de 100 000 à 1 million de francs et de trois mois à deux ans de prison pour tout capitaine d'un navire français coupable de dégazage ; les peines sont doublées en cas de récidive. Ces dispositions s'appliquent aux navires étrangers dans la zone économique et les eaux territoriales.
De ces normes sont ainsi exclues les infractions commises par les navires étrangers en haute mer.
Je rappelle, pour mémoire, les trois zones maritimes : les eaux territoriales situées dans les 12 milles à partir de la côte, la zone économique exclusive jusqu'à 188 milles ; au-delà, la haute mer.
Aux failles de la législation existante, s'ajoute un second problème de taille : les difficultés de contrôle et d'identification des fautifs, c'est-à-dire des navires responsables de la faute intentionnelle.
En effet, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage coordonnent surveillance, contrôle et répression. Ils procèdent essentiellement par observations aériennes visuelles, diligentées par les douanes ou la marine nationale. Si les nappes de rejets sont faciles à observer, du moins de jour, leurs auteurs sont beaucoup plus difficiles à détecter. Les vidanges s'effectuent en effet le plus souvent la nuit ou dans le sillage d'autres navires à l'intérieur de couloirs de navigation très fréquentés.
S'ajoute à ces difficultés la pauvreté des moyens d'investigation. Les effectifs d'inspecteurs des centres de sécurité ont fondu, en regard du doublement du trafic. Il est vrai que vous avez proposé, monsieur le ministre, un doublement des effectifs. Toutefois, je préfère les recrutements lissés dans le temps car ils sont de meilleure qualité que les recrutements massifs réalisées d'un seul coup.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il y avait du retard !
M. Lucien Lanier, rapporteur. C'est ainsi qu'en 1999 308 pollutions ont été détectées, dont 239 provenaient de rejets volontaires. Seuls 30 navires furent identifiés et 27 procédures judiciaires entamées. Comparons ces deux nombres : 308 pollutions, 27 condamnations, au demeurant fort différentes les unes des autres.
Ajoutons qu'en cas de poursuites judiciaires les peines prononcées sont encore trop clémentes pour être dissuasives. En effet, la sanction encourue se devrait d'être fort supérieure au coût d'une vidange réglementaire dans les installations prévues à cet effet dans les zones portuaires.
Or, le coût d'un déballastage au port se situe selon la grandeur du bateau, entre 2 000 francs et 20 000 francs, sans compter les frais d'immobilisation du navire, qui ne peut se permettre d'attendre la disponibilité des installations, si l'on sait que le coût d'un pétrolier est, par jour, de 70 000 dollars, soit plus de 500 000 francs au taux de change actuel.
Voilà des ordres de grandeur qu'il convient d'avoir à l'esprit. Et l'on sait que les dégazages chimiques peuvent atteindre des sommes considérables, beaucoup plus importantes que les 20 000 francs que j'ai cité tout à l'heure.
Par ailleurs, on constate que la disponibilité des installations portuaires ne répond pas toujours aux exigences de la situation. Bien que les représentants de la direction des ports aient excipé d'un état satisfaisant, certains interlocuteurs ont, pour leur part, fait état de onze ports français sous-équipés.
C'est pourquoi le ministère de l'équipement a diligenté en octobre dernier une mission chargée de recenser les capacités existantes et les besoins nouveaux et urgents passibles d'un programme d'équipement, mission dont les résultats étaient attendus à la fin du mois de janvier 2001. Vous nous direz, monsieur le ministre, où en est cette mission.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Le mois de janvier n'est pas encore terminé !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Cette mission devrait également vérifier la corrélation entre les installations et la nature du trafic de chaque port.
Il convient que, très rapidement, les ports puissent offrir des installations suffisantes et complètes qui, jointes à de nouvelles normes de construction des navires, rendront inexcusables les dégazages en mer et faciliteront la dissuasion.
Dans le même temps, il convient d'améliorer l'arsenal législatif actuel. C'est ainsi qu'un projet de loi concernant l'adaptation de diverses dispositions au droit communautaire des transports prévoit l'obligation, pour les navires faisant escale dans un port français, de dégazer dans les installations prévues à cet effet. Faute de justifier de cette opération, le navire pourra être retenu au port, l'infraction étant passible d'une amende de 1 000 à 40 000 euros.
Ces mesures sont confirmées par une directive communautaire de septembre dernier.
Enfin, il est envisagé d'installer sur les navires des transpondeurs, appareils émetteurs-récepteurs qui renvoient automatiquement un message d'identification au signal d'un radar.
Il serait plus satisfaisant, mais plus difficile à réaliser, de poser des « boîtes noires » adaptées à la circulation maritime pour enregistrer les données. Monsieur le ministre, est-il envisagé d'utiliser cette technique à l'échelon européen ou, en tout cas, français ? Cette technique est-elle suffisamment au point pour que l'on exige sa mise en place sur les futurs navires ?
Le naufrage de l' Erika aura au moins eu le mérite, si l'on peut dire, de faire évoluer les choses : d'augmenter les moyens consacrés au contrôle et de rendre les sanctions dissuasives. Tel est l'objet du texte qui nous est présenté.
Par quelques amendements aux articles 1 à 4, je proposerai de quadrupler le montant des amendes par rapport à la législation existante. Ainsi, les amendes seront, vraiment dissuasives.
Jusqu'à présent, le capitaine était le seul vecteur de responsabilité. La commission a donc estimé qu'il convenait, à l'article 5, de préciser, outre la responsabilité du capitaine, celle de l'armateur et, surtout, de mieux définir les juridictions compétentes et, de plus, spécialisées.
Le droit maritime étant un droit tout à fait original et particulièrement difficile à appréhender, l'objectif est d'éviter un éparpillement juridictionnel dommageable et de mieux harmoniser la jurisprudence en la matière.
C'est ainsi que, concernant le jugement et s'agissant des infractions commises dans la zone économique exclusive ou, pour les seuls navires français, en haute mer, les infractions seraient de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris, qui possède une section composée de cinq magistrats particulièrement au fait de ces probèmes.
De même, s'agissant des eaux territoriales, il est proposé que le jugement des infractions puisse être de la compétence de certains tribunaux spécialisés de grande instance du littoral maritime compétents sur le ressort de plusieurs cours d'appel. Il serait souhaitable qu'un décret du Gouvernement en fixe rapidement la liste, cette décision relevant du pouvoir réglementaire.
Enfin, concernant l'instruction et la poursuite des infractions commises dans les eaux territoriales comme dans la zone économique exclusive, outre les deux juridictions citées plus haut, seraient concurremment compétents les tribunaux de grande instance compétents sur le littoral et dans le ressort desquels les faits délictueux auraient été commis. Ces juridictions transmettraient ensuite tous les éléments du dossier d'instruction et de poursuite aux fins de jugement au tribunal de Paris pour la zone économique et la haute mer ou aux tribunaux spécialisés désignés par décret ministériel s'agissant des eaux territoriales.
Seraient compétents pour le jugement le tribunal de Paris en ce qui concerne la zone économique exclusive et les navires français en haute mer et, en ce qui concerne les eaux territoriales, les tribunaux spécialisés désignés par décret.
Cette spécialisation des juridictions devrait permettre de renforcer l'expérience des magistrats saisis et d'harmoniser la jurisprudence, ce qui me paraît indispensable. Sauf à dire, parodiant Pascal : « Plaisante justice que littoral borne ! ».
Afin d'éviter tout recours en nullité, la compétence exclusive du tribunal de Paris ne s'exercerait qu'au stade du jugement.
Enfin, un article additionnel prévoit que, dans les cas déjà prévus par le code de l'environnement, le coût de l'immobilisation du navire soit à la charge de l'armateur.
Mes chers collègues, il y va de l'avenir de la mer parce que les pollutions sont de plus en plus nombreuses. C'est pourquoi, sous réserve des amendements que j'ai exposés très rapidement, je propose à notre assemblée d'adopter le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui revêt un caractère particulièrement important pour nos côtes et pour les populations du littoral. Je souhaite à cet égard remercier le député du Finistère qui est l'auteur de cette proposition de loi, M. Gilbert Le Bris, de son travail majeur sur les questions de pollutions intentionnelles en mer.
Les marées noires telles que celle qui a été provoquée par l' Erika sont clairement identifiables. Mais qui sait réellement combien de tonnes de déchets provenant de déballastages sauvages souillent nos côtes chaque jour ? Cette nuisance est insidieuse car elle est dispersée. Elle témoigne du manque total de considération pour l'environnement dans un milieu du transport maritime où la politique du pire est souvent la règle.
Le cynisme qui prévaut chez certains a même abouti, lors du naufrage de l' Erika , à de nombreux dégazages à proximité immédiate de l'épave et des nappes de pétrole qui s'en étaient échappées.
Depuis le naufrage de l' Erika , diverses initiatives ont été annoncées, en particulier par la présidence française de l'Union européenne, pour tenter d'améliorer la sécurité en mer. Beaucoup reste cependant à faire pour concrétiser les déclarations. A vrai dire, des pans entiers d'un droit maritime que certains n'hésitent pas à qualifier d'archaïque doivent être revus.
En matière de dégazage et de déballastage, la situation est malheureusement claire ! Peu de prévention, car le nombre d'installations n'est pas forcément à la hauteur des enjeux, et encore moins de répression, faute de moyens efficaces pour apporter la preuve et parce que les sanctions ne sont que symboliques. Comment ne pas déplorer ce fait ubuesque : le montant maximal de l'amende est inférieur au coût d'un dégazage au port, si l'on tient compte des frais d'immobilisation du navire.
En d'autres termes, il coûte moins cher de polluer en mer que de se mettre en règle dans les ports. Cette situation perdure depuis trop longtemps. Nous devons y mettre un terme, et cette proposition de loi y contribue.
Qui peut encore aujourd'hui accepter des pollutions continuelles par hydrocarbures sur toutes les côtes ? Qui peut aujourd'hui accepter que la mer serve de poubelle et que cela ne perturbe en rien les armateurs et les donneurs d'ordre du monde maritime ? Personne, évidemment ! Pourtant, les mesures efficaces sont difficiles à mettre en place.
Comme chacun s'accorde à le souligner, c'est à l'ensemble des questions posées par un droit maritime désuet que nous devons répondre. Pris isolément, ces problèmes ne pourront être correctement traités, car le plus difficile sera certainement de faire évoluer les mentalités.
Le mois dernier, nous avons voté un texte qui prévoyait des mesures de prévention, telle l'obligation faite aux navires quittant un port de se mettre en règle en y déposant leurs hydrocarbures sous peine d'immobilisation. Cette mesure, qui anticipe la réglementation européenne, n'est qu'une étape. Elle doit se doubler de son corollaire répressif : c'est l'objet de ce texte.
Cette proposition de loi s'attache en effet à accentuer la répression des infractions constatées en doublant les peines d'emprisonnement et en triplant le montant des amendes encourues.
Ce texte prévoit également une nouvelle spécialisation des tribunaux afin de simplifier les actions.
La commission des lois, par la voix de notre rapporteur, a déposé des amendements intéressants, visant à multiplier par quatre, et non plus seulement par trois, le montant des amendes et à préciser les compétences des tribunaux.
A propos du montant des amendes, on peut parfaitement admettre qu'il n'est pas déraisonnable de fixer un niveau encore plus dissuasif. Nous devons, bien entendu, garder une certaine proportionnalité entre l'infraction et l'amende. Mais n'oublions jamais, comme Gilbert Le Bris l'a indiqué devant l'Assemblée nationale, que la responsabilité financière peut aussi être mise en oeuvre devant les juridictions civiles.
Gardons à l'esprit que le calcul d'un niveau d'amende n'est pas dû au hasard et que la commission de l'Assemblée nationale avait souhaité placer le curseur en position médiane.
Cependant, comme vous, monsieur le rapporteur, et comme vous aussi, monsieur le ministre, je pense que nous devons donner à l'amende un vrai caractère dissuasif.
S'agissant de la compétence des tribunaux, le texte adopté par l'Assemblée nationale devait certes être précisé, mais il avait le mérite de poser une vraie question. Le morcellement des compétences géographiques des tribunaux selon le lieu de l'infraction nuit, en effet, incontestablement, à l'efficacité des procédures. La nouvelle rédaction me semble effectivement plus appropriée pour permettre les poursuites, et l'amendement proposé par notre commission va dans le bon sens.
Au-delà de cette proposition de loi, au-delà des mesures contenues dans le projet de loi d'adaptation au droit communautaire en matière de transport, d'autres points méritent d'être évoqués.
Ainsi, en particulier dans le cadre de la convention MARPOL, le déballastage n'est pas proscrit partout. Cet état de fait est choquant. Il induit que les résidus ne sont finalement pas si polluants que cela puisque le rejet est parfois possible...
M. Henri de Richemont. Pas du tout !
M. François Marc. Ne doit-on pas envisager, à brève échéance, une interdiction totale ?
En outre, comment s'assurer de la preuve des dégazages. Ils sont, bien entendu, le plus souvent effectués de nuit, et dans des zones très fréquentées.
Où en est la réflexion concernant le marquage des cargaisons ? Cette mesure pourrait compléter le système de la « boîte noire » évoqué lors des derniers conseils Transport de l'Union européenne.
De nombreuses pistes sont maintenant ouvertes. Il faut souhaiter que la prise de conscience de la nécessité d'un durcissement du droit maritime en France et dans l'Union européenne parvienne un jour à trouver un écho positif au sein de l'Organisation maritime internationale.
Cette bataille sera la plus difficile à gagner, mais le respect de l'environnement nous impose de la livrer. C'est donc avec fermeté que la représentation nationale doit agir. Le groupe socialiste, quant à lui, votera ce texte et continuera de soutenir les efforts menés auprès des intances internationales par le Gouvernement et par vous-même, monsieur le ministre, pour faire en sorte que le droit maritime soit à la hauteur des enjeux considérables qu'il nous appartient aujourd'hui de relever. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Heinis applaudit également.)

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