SEANCE DU 30 JANVIER 2001


M. le président. La parole est à M. Courtois, auteur de la question n° 956, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, je souhaite appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur, ainsi que la vôtre, sur le nombre croissant d'actes d'incivilité, de délinquance, et de délits de tous ordres, souvent passés sous silence et presque toujours impunis, perpétrés dans la ville de Mâcon.
Magré une action exemplaire, que je dois souligner, le désarroi des forces de police, aux premières lignes de cette lutte pour la garantie de nos libertés, s'enracine dans une remarquable évidence : une part importante de cette délinquance est le fait de récidivistes connus sur place.
Le taux d'élucidation des crimes et délits est de 35 % environ à Mâcon, ce qui est très faible quand on sait que ce chiffre exprime la part des infractions constatées dont le ou les auteurs ont été identifiés et entendus par procès-verbal. Or, nous le savons, beaucoup d'actes de petite délinquance, ceux qui embarrassent la vie quotidienne des Mâconnais, ne sont ni signalés ni enregistrés.
De même, la délinquance des mineurs et les actes d'incivibilité connaissent une augmentation foudroyante : tags, rackets, dégradations volontaires, véhicules incendiés et agressions se multiplient de toutes parts dans les quartiers de Mâcon.
Il est donc essentiel que la politique de sécurité élaborée par les services de l'Etat se donne pour objectif la disparition de toute impunité, afin que les citoyens ne se sentent plus dans l'obligation de s'isoler chez eux pour ne pas mettre leur existence et leurs biens en danger. Encore faut-il s'en donner les moyens !
Or, à Mâcon, le nombre des fonctionnaires de police a subi une baisse de douze postes et les crédits affectés à la Saône-et-Loire ont été diminués de plus de quatre cent mille francs.
Devant cette situation intolérable, qui affecte profondément les Mâconnais dans leur vie au quotidien, je vous demande de bien vouloir m'indiquer les mesures que le Gouvernement entend prendre pour procéder au rétablissement de l'effectif et pour amplifier la création de postes que nécessite la dérive de la situation actuelle en Mâconnais. Pouvez-vous me dire, par ailleurs, quand ces mesures seront prises ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel. Monsieur le sénateur, soyez assuré que M. le ministre de l'intérieur est désolé de se trouver empêché de vous répondre personnellement, car il sait l'intérêt soutenu et vigilant que vous portez à ces questions de sécurité.
C'est donc à moi qu'il revient de vous répondre, au nom du Gouvernement. Je le fais avec d'autant plus d'intérêt que, étant en charge d'un secteur qui accueille la moitié de la classe d'âge concernée, je suis bien informé de la tendance, que vous soulignez, à une violence dont les formes ont évolué d'une manière qui nous a tous pris, en quelque sorte, à contre-pied. Inconstestablement, nous sommes face à un nouveau défi que nous ne pouvons pas toujours penser dans les catégories dans lesquelles nous l'avions pensé dans le passé. Je n'en dirai pas plus.
Qu'il me soit toutefois permis d'affirmer ici certain de votre compréhension, que, au-delà de tout ce que nous pourrons apporter comme réponses en termes de moyens, la responsabilité morale des individus est aussi engagée. Face au déversement d'images faisant l'apologie de la violence parfois la plus barbare, exposée sans aucun discernement, sans aucune maîtrise, à nos jeunes générations, au nom d'un principe de liberté, à mon avis, fort mal compris, aberrant au regard de la tradition millénaire qui veut que les images contribuent à la formation de la psyché des jeunes, on ne saurait soutenir le contraire.
En effet, de la misère, il y en a toujours eu, tout comme des difficultés psychologiques ; mais de telles formes de violence, ce n'est qu'aujourd'hui que nous les constatons, et nous devons nous demander quelles en sont les causes et les examiner toutes ensemble, car vous avez raison : c'est au quotidien, dans d'innombrables actes que, petit à petit, se déchire de manière extrêmement préoccupante quelque chose qui est le goût de vivre ensemble.
Au cas particulier, je souligne qu'au vu des statistiques de la la délinquance, d'après les premières estimations, la circonscription de Mâcon connaît un taux de criminalité inférieur à la moyenne nationale. Il faut en féliciter les familles, mais aussi tous ceux qui concourent à une certaine stabilité de la situation : police nationale, police municipale et, très vraisemblablement aussi, la vie associative, les travailleurs sociaux, bref, tous ceux qui, sur place, concourent à maintenir les liens qui font une certaine qualité de vie.
De plus, les services de police nationale et municipale sont présents dans les quartiers et y déploient, de jour comme de nuit, tant dans le domaine préventif que dans le domaine répressif, une activité soutenue que vous avez très justement soulignée. C'est leur devoir.
Cette activité s'est concrétisée par une hausse du nombre des faits élucidés, des gardés à vue et des personnes mises en cause en 2000 par rapport à 1999.
Cependant, pour lutter davantage contre les incivilités, la délinquance des mineurs et les délits de voie publique, qui exacerbent le sentiment d'insécurité de la population, qui exaspèrent nos concitoyens, le Gouvernement reste déterminé à ne rien négliger qui puisse garantir l'autorité de l'Etat ainsi que le droit fondamental à la sécurité. Que ceux qui voudraient y contrevenir en soient bien informés !
Dans ce domaine, la politique engagée depuis le colloque de Villepinte, en octobre 1997, et au travers des conseils de sécurité intérieure repose principalement sur deux outils différents mais complémentaires que sont la police de proximité et le contrat local de sécurité, l'un et l'autre s'inspirant d'une logique de coproduction de la sécurité.
Je me félicite de l'engagement de la ville de Mâcon dans l'action partenariale menée notamment avec les services de l'Etat afin de parvenir à une meilleure sécurité des personnes et des biens.
Cette démarche s'est traduite, en septembre dernier, par la signature d'une convention de coordination entre la police nationale et la police municipale, ainsi que par celle, le 15 décembre 1998, d'un contrat local de sécurité dont l'élargissement aux communes signataires du contrat d'agglomération témoigne, semble-t-il, du succès.
Parallèlement à cette dynamique partenariale, la circonscription de Mâcon sera associée à la nouvelle doctrine d'emploi et d'action policière que constitue la police de proximité, et ce dès 2001, puisqu'elle a été retenue dans la deuxième vague de généralisation.
Dans cette perspective, le département de Saône-et-Loire, où les circonscriptions de Mâcon, de Chalon-sur-Saône et du Creusot, que j'ai l'honneur de bien connaître, sont retenues au titre de la deuxième vague de généralisation de la police de proximité, bénéficiera de dotations budgétaires substantielles et de moyens accrus en véhicules, qui seront fixés très prochainement.
Par ailleurs, en termes de personnels, le commissariat de Mâcon, qui dénombrait, au début du mois de janvier 2001, 87 fonctionnaires de tous grades, assistés de 21 adjoints de sécurité, a vu ses effectifs s'accroître, par rapport au 1er janvier 2000, de 15 fonctionnaires et adjoints de sécurité.
Une telle évolution témoigne d'ores et déjà de la volonté du Gouvernement de doter la circonscription de Mâcon des moyens nécessaires à la lutte contre ladélinquance.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le ministre de l'intérieur suivra avec une attention particulière la situation de cette circonscription lors des futurs mouvements des personnels et de la poursuite du programme emplois-jeunes, afin que la mise en oeuvre de la police de proximité soit pleinement réalisée en 2001.
M. Jean-Patrick Courtois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Comme je l'ai indiqué dans le rapport sur le budget de la police que j'ai eu l'honneur de présenter au Sénat, l'appareil statistique, vous le savez comme moi, n'est pas fiable : à l'heure actuelle, ne sont enregistrés que les procès-verbaux transmis au parquet.
Cela signifie que tous les actes d'« incivilité », pour employer le terme désormais utilisé, ne sont pas comptabilisés. Il est donc faux de dire que le nombre des actes délictueux diminue. Si, demain, on supprimait tous les procès-verbaux, on ne pourrait pas pour autant dire qu'il n'y a plus de criminalité en France !
Or, ce qui gêne le plus nos concitoyens, ce sont ces actes d'incivilité. Ne pas les retenir dans les statistiques, ce n'est pas correct, cela donne une fausse image de la réalité.
La semaine dernière, à Mâcon, deux personnes âgées ont été agressées. Les deux délinquants ont été arrêtés. Aucun acte n'a été transmis ; ces deux faits n'apparaissent nulle part.
Ma deuxième remarque porte sur les effectifs. Vous dites que des adjoints de sécurité seront nommés. Certes, mais un commissariat de police comme celui de Mâcon a besoin, pour appliquer un îlotage réel et efficace, de fonctionnaires de police professionnels et nous souhaitions que douze fonctionnaires titulaires supplémentaires soient nommés. Or, vous proposez des emplois-jeunes. Très bien ! On peut peut-être former des jeunes. Mais de tels postes doivent venir en plus et non à la place de fonctionnaires titulaires.
J'ai entendu tout à l'heure la réponse que vous avez adressée à mon collègue M. Fatous. Je partage votre sentiment et je demande simplement que le ministre de l'intérieur applique ce que vous faites au ministère de l'éducation nationale.
Peut-être faut-il simplement faire en sorte que vous soyez demain ministre de l'intérieur... C'est ce que je vous souhaite. (Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Monsieur Courtois, je suis très ému de vos voeux, croyez-le !... (Nouveaux sourires.)
J'entends bien votre raisonnement. Elu local d'une zone urbaine, je comprends bien vos interrogations.
Naturellement, nous ne confondrons pas la mesure avec la réalité. Vous avez raison de dire que l'instrument statistique ne mesure qu'un ordre particulier de délinquance. Mais, vous l'admettez, il s'agit des formes les plus lourdes, qui relèvent des missions traditionnelles de l'Etat.
Avec les actes d'incivilité - quand nous disons « incivilité », cela va de la petite incivilité à des actes plus lourds de conséquences, ne serait-ce que par le traumatisme psychologique qu'ils engendrent, et qui, lui, n'est pas mesurable - c'est un défi qui nous est lancé.
Soyons tous assurés que, bien sûr, le Gouvernement - celui-ci et d'autres ensuite - fait toujours des efforts quant aux moyens ; la nation est mise à contribution. Mais nous ne pouvons penser régler ces problèmes uniquement par ces moyens, indispensables, qu'ils soient de répression ou de prévention.
En effet, la sécurité est une coproduction et tout doit être mis en mouvement. Je pense, voyez-vous, aux questions d'éducation, bien sûr, au bien-vivre à l'école - si l'on se sent en phase ascendante comme individu, il est clair qu'on ne se livrera pas à des activités dégradantes pour soi-même - mais aussi à la capacité que l'on donne aux parents - car il ne suffit pas de montrer du doigt - d'être en situation de responsabilité par rapport à leurs jeunes.
L'étude au cas par cas des actes et des auteurs de ces actes montre que bien d'autres moyens doivent être appelés à côté des effectifs de la police nationale.
La police nationale, ou la police municipale n'est tout de même pas - je suis sûr que vous êtes d'accord avec moi sur ce point, monsieur Courtois - l'instrument unique de mise aux normes et du vivre ensemble de notre population. Je suis sûr que nous partageons les mêmes préoccupations, monsieur le sénateur, et soyez assuré que le Gouvernement vous comprend parfaitement.
Nous sommes tous assez connaisseurs des situations et des budgets pour savoir ce qui serait souhaitable, mais nous savons aussi qu'entre le souhaitable et le possible il y a une marche, une marche qui indique la volonté que l'on a ou que l'on n'a pas.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement a la volonté d'aller dans le sens que vous indiquez, à savoir garantir le bon fonctionnement d'une bonne police de proximité, qui puisse complètement remplir ses missions, sans rien se cacher des difficultés qui existent.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)