SEANCE DU 3 AVRIL 2001


M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 1016, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est la troisième fois que, moi aussi - décidément, ce matin, tout le monde se répète - j'interpelle le Gouvernement au sujet de l'exploitation extrême subie par les locataires taxis.
Au début de 1998, les parlementaires de mon groupe ont déposé une proposition de loi relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi. Cette proposition prévoit deux modes d'exploitation des taxis seulement : ou par le propriétaire ou par le salarié. Elle élimine donc le système de la location que tous qualifient d'hybride et qui est pourtant fréquent à Paris et à Lyon, puisqu'il concerne 6 000 chauffeurs parisiens sur un total d'environ 16 000.
Or, la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 décembre 2000 - c'est donc assez récent - qui se fonde sur le principe de réalité, c'est-à-dire sur la reconnaissance du lien de subordination qui existe dans tous les contrats de location entre le loueur et le locataire quoi qu'en disent les patrons de taxis, requalifie en contrat de travail un contrat de location de véhicule équipé taxi.
Cet arrêt de la Cour de cassation conforte donc notre analyse, à savoir qu'il faut abolir un système quasi féodal qui, étant donné le niveau de la redevance - plus de 16 000 francs par mois - conduit les locataires à travailler sept jours sur sept et douze à treize heures par jour, au mépris de la sécurité et de la réglementation pour espérer gagner leur vie, et ce en général de façon très médiocre.
De plus, le contrat de location aboutit à exonérer le loueur de toutes les responsabilités qu'un employeur normal devrait assumer et à priver le locataire, qui n'est ni salarié ni artisan ni travailleur indépendant, de tout droit social. Lors de la rupture du contrat, il ne peut prétendre ni à indemnités ni à allocations chômage et, lorsqu'il travaille, il ne peut exiger ni repos hebdomadaire ni congés payés.
Je dois dire que ce système d'exploitation était déjà en oeuvre au début du siècle et au cours de la grande grève de taxis de 1911-1912 - je vous renvoie à la lecture des Cloches de Bâle d'un certain Louis Aragon. Il a été aboli par le Front populaire, puis rétabli en 1973 par la droite et consacré, en 1995, par Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur.
J'émets le voeu que le changement d'ère à Paris et à Lyon s'accompagne de certaines mesures significatives, dont l'abolition de la location fait à mon avis partie.
C'est pourquoi, sans être particulièrement attachée à notre proposition de loi, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement et savoir s'il va suivre l'arrêt de la Cour de cassation pour s'acheminer vers l'abolition - peut-être définitive cette fois-ci - d'un système d'exploitation d'un autre siècle.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Madame la sénatrice, j'espère que la réponse du Gouvernement permettra cette fois-ci de satisfaire quelques-unes des attentes que vous avez très justement exprimées ce matin.
A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 décembre 2000 qui requalifie, en contrat de travail, un contrat de location d'un véhicule équipé taxi, vous souhaitez - vous avez rappelé qu'il s'agit d'un débat ancien - que la situation des locataires de taxis soit réexaminée.
Il convient tout d'abord de rappeler au Sénat que la location, forme reconnue d'exercice de la profession, est un système hybride qui présente néanmoins certains avantages tels que l'autonomie complète, la libre disposition du véhicule. C'est pourquoi nombre de chauffeurs locataires non titulaires d'une autorisation de stationnement le préfèrent au salariat.
Toutefois, il est prévu d'encadrer de façon très stricte ce type de location. Le ministère de l'intérieur s'est donc attaché, au cours des dernières années, à ce qu'un contrat-type soit élaboré dans le cadre de nombreuses réunions de travail entre l'administration et les organisations représentatives de loueurs et de locataires.
Ce contrat-type a été envoyé par circulaire à tous les préfets pour diffusion auprès des maires sans constituer un document juridiquement contraignant. Le ministre de l'intérieur a souhaité que l'autorité qui délivre une autorisation de stationnement gérée sur un mode locatif s'inspire de ce modèle pour délivrer cette autorisation.
Les principales sources d'insécurité que pouvaient ressentir certains chauffeurs et dont vous vous êtes fait justement l'écho ce matin ont été réglées par ce contrat-type.
En effet, l'aspect précaire des contrats mensuels a été supprimé, la durée minimale étant d'un an. Certains loueurs concluent même avec leurs locataires des contrats de trois, voire de quatre ans alignés sur la durée de vie présumée du véhicule. Les craintes des locataires de voir les tarifs de location s'accroître alors que l'activité ne progresse que modestement sont écartées, l'ajustement de la redevance étant calculé proportionnellement aux indices INSEE relatifs à l'achat de véhicules automobiles et au taux horaire de main-d'oeuvre.
De nombreuses autres mesures favorables aux locataires ont été introduites, telles que le mois de gratuité annuel à titre de prime de fidélité et la mise à disposition obligatoire d'un véhicule de remplacement en cas d'immobilisation du véhicule principal avec paiement d'indemnités journalières par le loueur qui ne s'acquitterait pas de cette obligation dans les cinq jours.
Enfin, et c'est essentiel, la résiliation de ces contrats ne peut intervenir que pour des motifs graves : retrait du permis de conduire ou de la carte professionnelle, conduite en état d'ivresse, non-paiements importants et récurrents des sommes dues, excès de sinistres, tous motifs qui conduiraient d'ailleurs un artisan à cesser son activité.
Les éléments ayant fondé la démarche de requalification par la Cour de cassation ne figurent pas dans le contrat-type ainsi élaboré et dans les nouveaux contrats de location signés en 1997 par la plus importante société de taxis et par la chambre syndicale des loueurs d'automobiles avec plusieurs organisations syndicales représentatives des taxis. Ces derniers ne paraissent pas normalement visés par l'arrêt de la Cour de cassation.
J'espère, madame la sénatrice, avoir contribué, sinon à apaiser toutes vos craintes - et plusieurs sont légitimes - du moins à vous indiquer que le Gouvernement souhaite oeuvrer utilement pour cette profession.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette réponse ne me satisfait pas entièrement, d'autant plus que je sais que les loueurs sont souvent soumis à de fortes pressions et qu'en général ils sont surexploités - mais je n'en dirai pas plus.
Je relève que le contrat dont vous avez parlé n'est pas contraignant et qu'il ne met pas fin à un système complètement hybride.
Or, la revue Le droit et les juges a souligné qu'au-delà du cas d'espèce c'est l'ensemble des faux travailleurs indépendants - parce que c'est cela la réalité - qui sont visés par l'arrêt de la Cour de cassation. Il faudrait donc essayer de ne pas décevoir l'espoir qu'a fait naître la jurisprudence s'agissant de situations qui sont absolument anormales.
J'ajoute que si l'on clarifiait le statut juridique de ces chauffeurs de taxi, s'ils devenaient des salariés, par exemple, cela créerait des emplois. Il faudrait des chauffeurs relais puisque les chauffeurs de taxi travaillent beaucoup trop dans la journée et sur l'année. Clarifier leur statut juridique permettrait également de leur assurer une couverture sociale et de faire entrer des cotisations dans les caisses de la sécurité sociale et de l'UNEDIC. Ces modifications sont d'autant plus envisageables que, à l'heure actuelle, les loueurs réalisent des profits assez considérables.

DÉLINQUANCE ET DÉPÉNALISATION DU CANABIS