SEANCE DU 3 AVRIL 2001


M. le président. La parole est à M. Oudin, auteur de la question n° 1020, adressée à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
M. Jacques Oudin. Monsieur le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur le recours excessif à la procédure de mise à disposition d'agents publics par nos administrations - je précise : toutes nos administrations.
Cette pratique a été facilitée par les lois des 11 et 26 janvier 1984, du 9 janvier 1986 et du 26 juillet 1991, qui, au demeurant - je l'indique sans esprit polémique - sont toutes l'oeuvre de gouvernements socialistes.
Cette pratique est un obstacle majeur à la transparence des comptes publics et à la connaisance des effectifs de la fonction publique.
Les personnes concernées sont réputées occuper un emploi dans une administration ou un établissement public, alors qu'en fait elles exercent leurs fonctions dans un autre organisme, qu'il soit de statut public ou privé.
Les administrations ou établissements publics d'origine continuent à les rémunérer, le plus souvent sans bénéficier de contreparties financières. Leurs moyens d'action sont donc diminués d'autant, alors même qu'ils ont, à leur demande, bénéficié de dotations budgétaires ou obtenu des ressources financières pour assurer des missions qu'ils ne remplissent pas.
Quant aux organismes ou administrations bénéficiaires, ils disposent ainsi de moyens supplémentaires qui échappent à tout le moins au contrôle du législateur.
La pratique des mises à disposition fausse donc de façon particulièrement grave la sincérité et la transparence des comptes publics, comme l'a souvent dénoncé la Cour des comptes sans que ses remarques aient été suivies de la moindre action correctrice.
De surcroît, ces pratiques rendent encore plus difficile, voire impossible, la connaissance des effectifs réels occupés par la fonction publique, comme l'ont montré la lenteur, l'imprécision des réponses, voire l'absence de réponse, aux questions écrites que j'ai posées à ce sujet aux différents ministres dont les administations sont concernées par ces errements.
En conséquence, dans le cadre des préoccupations manifestées par le Parlement pour la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement, les vôtres et celles de M. le ministre de la fonction publique pour réduire ces pratiques, modifier les textes qui les autorisent et engager une plus grande moralisation de la gestion des effectifs de la fonction publique.
Je souhaite, enfin, savoir si le Parlement pourra disposer très rapidement des tableaux exhaustifs et précis faisant apparaître la totalité des effectifs concernés par ces pratiques et indiquant à la fois les administrations ou organismes d'origine et ceux qui bénéficient de ses mises à disposition.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui est retenu en ce moment même au Conseil supérieur de la fonction publique.
Vous avez appelé son attention sur les mises à disposition de fonctionnaires. Vous avez d'ailleurs déposé, au mois de décembre 1999, une proposition de loi visant à restreindre cette pratique qui est autorisée par plusieurs lois, notamment par celle du 11 janvier 1984, à laquelle vous faisiez allusion il y a un instant.
Les mises à disposition constituent effectivement, s'agissant de la fonction publique de l'Etat, une exception au principe de spécialité budgétaire, qui implique que le Parlement se prononce chaque année sur la variation des emplois affectés à tel ou tel département ministériel, conformément au cadre défini par l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Cette pratique est, en fait, très loin de constituer, comme vous le laissez entendre, une dérive menaçant de façon grave les conditions dans lesquelles le Gouvernement exécute l'autorisation budgétaire qui lui est donnée par le Parlement. Le phénomène est en effet marginal. Il concernait 0,3 % des effectifs des ministères, soit 5 403 agents, au 31 décembre 1998.
Je peux vous donner des chiffres sur la constitution de ce phénomène. Deux ministères sont principalement à l'origine des mises à disposition : le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, avec 1 629 agents - c'est celui qui accorde le plus de mises à disposition - et le ministère de l'éducation nationale, avec 1 347 agents. Ce sont les organismes associatifs à mission d'intérêt général qui accueillent la part la plus importante de fonctionnaires mis à disposition - environ 40 %.
Compte tenu de ces indications, qui font d'ailleurs l'objet d'une étude statistique publiée tous les deux ans par les services du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Michel Sapin ne pense pas que la pratique des mises à disposition dénature l'autorisation budgétaire en emplois approuvée chaque année par le Parlement. Elle est même conforme au statut général des fonctionnaires.
Etre transparent en matière d'emplois publics, c'est disposer d'un outil statistique permettant, d'une part, de rendre compte au Parlement de l'utilisation des crédits et des emplois mis à disposition des services et, d'autre part, à chaque gestionnaire de crédits de connaître précisément les effectifs réellement employés dans les services dont il a la responsabilité.
En ce sens, le passage d'un vote portant sur les créations ou les suppressions d'emplois à un vote portant sur un stock d'emplois par ministère, toutes catégories confondues, comme le prévoit la proposition de réforme de l'ordonnance de 1959, constitue une évolution que le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat juge particulièrement positive.
Le contrôle de l'exécution budgétaire, s'agissant de ce stock d'emplois, est un élément tout aussi essentiel pour éclairer la discussion sur le projet de loi de finances à partir de comptes rendus produits notamment à l'appui des projets de loi de règlement.
L'observatoire de l'emploi public, que le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a installé en septembre dernier, a, entre autres, pour mission de présenter chaque année au Parlement un état statistique annuel des effectifs de la fonction publique de l'Etat. Il a souhaité que ce travail soit coordonné dans le temps avec la confection du projet de loi de règlement et qu'il comporte toutes les précisions nécessaires quant à la position statutaire des intéressés.
Evidemment, ce travail sera progressivement adapté à la nomenclature budgétaire qui sera issue de la réforme de l'ordonnance organique de 1959.
Voilà, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je peux vous faire au nom de M. Michel Sapin.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le ministre, je ne m'attendais pas à une réponse très différente de celle que vous m'avez faite. Cette réponse est à la fois surprenante et quelque peu décevante.
Surprenante, car, au moment où la nation, où le Parlement réclament, en matière de comptes publics, la plus grande clarté, la plus grande transparence, au moment, d'ailleurs, où le Parlement est en train de voter une réforme profonde de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 - elle a déjà été examinée en première lecture à l'Assemblée nationale et nos collaborateurs l'étudient en ce moment même à la commission des finances - il est étonnant d'entendre dire que ce phénomène est marginal et que cette pratique ne dénaturerait pas la sincérité des comptes.
Monsieur le ministre, je me suis simplement reporté à votre ministère. Je vous avais posé une question écrite en 1999 ; vous y avez répondu le 25 mai 2000. Au 31 décembre 1999, 613 agents étaient mis à disposition sans contrepartie financière, ce qui représentait, à l'époque, 222 millions de francs. Les chiffres sont variables puisque le ministère de la fonction publique en comptabilisait 582 au 31 décembre 1998. Au total, les agents mis à disposition étaient au nombre de 5 032 en 1998. Globalement, on atteint tout de même une somme qui avoisine 2,5 ou 3 milliards de francs.
Je veux bien qu'on dise à la nation que ces 3 milliards de francs, c'est marginal !
En fait, il se pose un problème de moralité publique dont les pouvoirs publics sont d'ailleurs parfaitement conscients. Ainsi, dans votre propre ministère, une convention de 1997 avec le CEMAGREF, le centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, tend à résorber petit à petit ces mises à disposition. La même convention est en cours de préparation entre le ministère des affaires sociales et le ministère des finances, puisque j'ai dénoncé le fait qu'il y avait au ministère de la santé 630 emplois mis à la disposition de la direction des hôpitaux ou de la direction de la santé. Et par qui sont occupés ces emplois ? Par des directeurs d'hôpitaux ou des cadres de la sécurité sociale, payés par la sécurité sociale, donc par les cotisants et non par les contribuables, qui font office de contrôleur des mêmes hôpitaux dont ils sont issus.
Ce système, monsieur le ministre, est impraticable, il est amoral et je pense donc qu'il faut y mettre un terme.
A ce propos, je viens de recevoir une télécopie - ma question était posée sur Internet - qui provient d'un organisme que je ne connais pas et qui s'appelle « Formation-Pargo ». Je lis le texte de cette télécopie ; « France Télécom contraint des milliers de fonctionnaires à se mettre à disposition de ses filiales - Wanadoo, Orange, Global One, etc. - et ce en toute illégalité. Nous vous sommes reconnaissants de votre intervention sur le sujet ». Je joins cette pièce au dossier, bien entendu.
Quant à l'observatoire de la fonction publique, qui vient d'être créé parce que certains se sont émus de ces pratiques, je lui souhaite bonne chance. Tous les rapports qui ont été rédigés, dans cette maison comme à la Cour des comptes, ont montré qu'il était impossible de connaître avec exactitude les effectifs de la fonction publique. Je pense que le « Mammouth » a bon dos !

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