SEANCE DU 3 AVRIL 2001


LOI D'ORIENTATION SUR LA FORÊT

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt. [Rapport n° 191 (2000-2001) et avis n° 190 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, l'Assemblée nationale a débattre, en première lecture, du projet de loi d'orientation sur la forêt. L'intérêt des députés, le caractère constructif du débat et la diversité des sujets abordés ont renforcé ma conviction que parler de l'arbre, de la forêt et du bois permet d'évoquer plusieurs questions cruciales pour notre société.
Elément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre par excellence la nécessité et l'utilité de l'action politique et du rôle de l'Etat dans la prise en compte du long terme, de l'intérêt collectif, de l'emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine.
Le Premier ministre lui-même a insisté, à l'occasion de sa visite en Lorraine en janvier dernier, sur l'ambition du Gouvernement pour ce texte.
Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter est issu d'une large concertation.
Je tiens à réaffirmer ici, devant vous, que ce projet de loi est autant celui des parlementaires - et celui de la société - que celui du Gouvernement. Il est en effet le fruit des échanges approfondis qui se sont instaurés ces dernières années entre tous les acteurs et les partenaires de la politique forestière, notamment sur la base du rapport de Jean-Louis Bianco, La forêt, une chance pour la France , publié en 1998. Les tempêtes de décembre 1999 ont apporté une nouvelle pertinence aux dialogues, aux innovations - voire aux revendications ! - tout en mettant en lumière les forces et les faiblesses de la filière forêt-bois. Mais j'y reviendrai.
La richesse des débats à l'Assemblée nationale a reflété cette volonté de concertation active et sans a priori . J'ai souvent souscrit, sans parti pris, à de nombreux amendements. Le travail que nous mènerons ici s'inscrira, je n'en doute pas, dans cette dynamique d'ouverture et de recherche de l'intérêt général.
Ce projet de loi, nous l'avons voulu ancré dans les évolutions du monde d'aujourd'hui.
Dans un premier temps, je souhaite revenir rapidement sur les évolutions fondamentales de notre société qu'il appartient à la politique forestière de prendre en compte. Je retiendrai cinq axes majeurs.
Le premier axe est centré sur l'indispensable ouverture sur le monde. Les frontières de notre environnement écologique, économique et social se sont étendues à l'ensemble de la planète. Les enjeux sont globaux.
Le deuxième axe privilégie le soutien à la société. Nous vivons dans une société dont les demandes, exprimées ou tacites, sont de plus en plus complexes : accueil et sécurité, emploi et naturalité, beauté et durabilité... Ces demandes de nos concitoyens s'expriment par une exigence de services et d'usages, mais aussi par la volonté d'être davantage et mieux associés aux choix stratégiques.
Ces demandes s'accompagnent d'une urbanisation croissante, et ce sera le troisième axe de mon exposé.
Une charge affective forte est projetée sur des espaces ruraux par une population avant tout citadine. L'arbre, témoin biologique immuable, du moins en apparence, devient le symbole de la continuité du vivant. Dans ce contexte, tout changement, même ponctuel, est perçu comme une agression. Et les forêts se trouvent ainsi progressivement assimilées par l'opinion à des espaces publics au service de tous, alors même que les trois quarts de leur étendue relèvent de domaines privés.
La construction de l'Union européenne constitue le quatrième axe.
La forêt est restée, en quelque sorte, sur le seuil de cette aventure. Les produits forestiers ne figurant pas dans le traité de Rome, la forêt n'y est abordée que par le biais des autres politiques communes : l'agriculture bien sûr, l'aménagement du territoire, l'environnement ou l'énergie... Pourtant un intérêt se développe, et il n'est pas anondin de constater que la première réunion rassemblant l'ensemble des pays du continent européen après la chute du mur de Berlin a concerné la forêt, sur l'initiative de Louis Mermaz et de son homologue finlandais, jetant à Strasbourg les bases de ce qui allait devenir le « processus pan-européen d'Helsinki ».
Enfin, cinquième axe, au niveau national, la décentralisation a introduit une nouvelle donne. La forêt en a intégré le mouvement, notamment à travers les contrats de plan Etat-région et la création des commissions régionales de la forêt et des produits forestiers, en 1985.
Cette prise en compte - je dirais presque « par essence » - du long terme propre aux préoccupations forestières inscrit bien ce projet de loi dans la ligne des grands projets d'orientation sur la forêt et des premières ordonnances royales visant à « soutenir perpétuellement en bon état » le domaine forestier, pour reprendre les termes de l'ordonnance de Philippe VI de Valois en 1346.
Comme quoi, en matière forestière, la gestion durable n'est ni une innovation, ni une mode, c'est bien une nécessité, n'en déplaise à nos modernes Robin des bois !
Pour autant, la gestion du long terme n'exonère pas des responsabilités immédiates. Les 18 mois qui viennent de s'écouler ont été riches d'enseignements à cet égard.
Il nous a tout d'abord fallu gérer l'impact des tempêtes du mois de décembre 1999 sur ces réflexions d'orientation.
Plus d'un an après ce désastre, les flux de bois se rétablissent progressivement, même si, j'en ai bien conscience, la situation reste encore difficile à court terme, notamment dans certaines régions sinistrées par les ouragans Lothar et Martin.
Le Gouvernement a toujours considéré que la perspective dans laquelle se plaçait le projet de loi, en liaison avec la réforme des financements forestiers conduite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000 et la définition de la stratégie forestière française, ne s'en trouvait pas altérée. J'ai souvent répété que les chablis ne devaient pas cacher le reste de la forêt. En maintenant le calendrier d'examen du projet de loi, nous avons assumé, sans démagogie, son décalage relatif avec les événements. Je crois que nous avons eu raison de faire ce choix.
En effet, les atouts et les handicaps structurels du secteur de la forêt et du bois, pas plus que les enjeux internationaux, n'ont été significativement modifiés par l'épreuve que notre pays a affronté. M. Jean-Louis Bianco évaluait dans son rapport la quantité de bois supplémentaire à prélever dans les forêts françaises à 6 millions de mètres cubes par an. La pertinence de son analyse n'est pas remise en cause, même si la tempête a abattu une partie de ces volumes « surcapitalisés » sur pied.
Un an après, nous sommes arrivés à l'heure des premiers bilans.
L'ambitieux plan national pour la forêt mis en place par le Gouvernement a mobilisé près de 10 milliards de francs de soutiens financiers et 12 milliards de francs de prêts bonifiés. Il comportera, d'ici à 2003, 1,7 milliard de francs dans le cadre des « avenants tempête » aux contrats de plan.
Nous avons voulu un dispositif souple et évolutif pour faire face aux dégâts et préparer la reconstitution du patrimoine forestier.
Les efforts de tous, en premier lieu ceux des professionnels concernés, ont porté leurs fruits. Environ la moitié des chablis aura ainsi été récoltée en 2000 par l'ensemble de la filière. Je crois que c'est un bon résultat, un résultat qu'aucun d'entre nous n'aurait prévu ou osé espérer voilà un an, mais la tâche reste lourde et d'autant plus difficile que la forêt ne se trouve plus, si j'ose dire, sous les feux de l'actualité.
C'est pourquoi le Gouvernement a confirmé le prolongement des aides du plan national pour la forêt et poursuivi, au cours des derniers mois, la mise au point de certains points particuliers.
L'instruction fiscale précisant les modalités de la déduction des revenus professionnels des charges liées aux tempêtes est parue le 23 janvier 2001.
Une mission prospective interministérielle se met en place, sous l'égide du ministère de l'intérieur, pour évaluer les conditions d'un soutien à la trésorerie des communes touchées au-delà de 2001.
Les pluies de cet hiver, elles aussi exceptionnelles, ont à nouveau freiné la sortie des bois, en rendant les conditions d'exploitation en forêt particulièrement difficile. La poursuite de l'aide au transport au cours des prochains mois me paraît, dans son principe, d'autant plus indispensable que les bois abattus encore à mobiliser sont à présent de moindre qualité et moins accessibles. Les modalités de la poursuite de l'aide au transport, qui sont en cours de discussion, seront arrêtées courant avril.
Le dispositif d'aides à la reconstitution est opérationnel sur l'ensemble du territoire depuis l'automne dernier. Une phase active de travaux s'engage, favorisée par un dispositif spécifique d'aide aux pépiniéristes forestiers arrêté en novembre dernier et leur tout récent accès à des aides à l'investissement dans le cadre des avenants aux contrats de plan Etat-région. Je viens néanmoins d'alerter ma collègue secrétaire d'Etat au budget sur quelques difficultés administratives apparues dans les procédures d'instruction.
Enfin, l'actualisation des plans de prévention et de lutte contre les incendies de forêts adaptés aux risques spécifiques liés aux chablis, mis en place l'été dernier, est en cours.
Au-delà, il nous appartiendra de tirer les enseignements à moyen terme de cet événement, de nous livrer à l'exercice du « retour sur expérience ». Plusieurs amendements de l'Assemblée nationale ont introduit des rapports spécifiques liés à certains volets de cette évaluation. Je tiens, pour ma part, à l'élaboration d'un plan de campagne en cas de tempêtes en forêt à l'échelon tant national que régional.
Durant cette année mouvementée, la filière a démontré, je pense, sa capacité à sortir renforcée de l'épreuve actuelle. En plusieurs occasions, j'ai invité les professionnels à faire de 2001 « l'année du bois », et j'ai plaisir à saluer la multiplicité des initiatives qui, depuis quelques mois, s'inscrivent dans cet objectif.
Ainsi, la première semaine du bois, instaurée d'ailleurs sur une initiative parlementaire, vient de s'achever ; avec plus de 800 manifestations à travers toute la France, cette opération de communication a connu un véritable succès, qui a largement dépassé les espérances de ses promoteurs et qui illustre bien l'intérêt du grand public pour cette filière.
J'ai signé dans ce cadre, le 28 mars dernier, la charte « Bois-construction-environnement » aux côtés de mes collègues Marie-Noëlle Lienemann et Dominique Voynet, l'objectif étant d'accroître de 25 % la part de marché de cet éco-matériau. Avec le pôle construction du centre technique du bois et de l'ameublement, le CTBA, inauguré en octobre dernier à Bordeaux, la filière dispose à présent des moyens de dynamiser l'utilisation du bois dans le bâtiment.
En outre, la création d'un espace national de la forêt et du bois, lieu d'échange et d'interactivité regroupant sur un site commun les principaux partenaires de la filière, est à l'étude.
Enfin, les négociations relatives à la structuration d'une interprofession se sont approfondies depuis le début de l'année et donnent lieu à des débats sans précédent entre les intervenants de ce secteur.
Par ce projet de loi d'orientation sur la forêt, c'est donc fort de l'alliance d'un secteur en pleine évolution que le Gouvernement réaffirme sa confiance dans les potentialités de la forêt et de l'industrie du bois.
En effet, c'est demain que ce texte prépare, et je voudrais en rappeler ici les lignes de force.
Première ligne de force, il faut situer la loi française dans l'environnement juridique international, qui est en pleine évolution après le Sommet de la terre de Rio de 1992 et eu égard aux conventions des Nations unies sur la biodiversité, aux changements climatiques... et à la nécessité de relier le droit français à un droit international de l'environnement qui est en train de se constituer. Dans notre pays, où le poids de la dimension socio-culturelle est fort, la multifonctionnalité est une référence traditionnelle en forêt. La France, comme l'Europe, s'est néanmoins trouvée paradoxalement désarçonnée par l'irruption de la gestion durable sur la scène internationale et dans l'obligation de mettre en forme un savoir-faire séculaire de gestion des espaces naturels, certes riche mais méconnu, ainsi que de justifier ses choix face à la formule plus lisible de la séparation des territoiresAfficher 20 % du territoire classé en réserve intégrale (formule prisée par les ONG environnementales et de nombreux pays anglo-saxons) est bien plus médiatique que de tenter d'expliquer une prise en compte graduée de la biodiversité sur l'ensemble du territoire...
, selon laquelle il faut protéger ici, exploiter là, comme si ces deux fonctions étaient antinomiques et inconciliables. La remise en question du protocole de Kyoto, succédant à l'incapacité des participants à la conférence de La Haye à parvenir, en novembre dernier, à adopter une position commune sur la question des forêts, illustre le chemin qu'il nous reste à parcourir en la matière.
J'en viens à la deuxième ligne de force : nous devons nous donner les moyens d'établir des rapports rénovés entre forêt et société.
Le projet de loi vise à réaffirmer la responsabilité de l'Etat en tant que garant vis-à-vis du long terme et de l'intérêt général et sa vocation d'arbitre lorsque des divergences légitimes d'intérêts pénalisent la réalisation des objectifs globaux.
Le texte ouvre parallèlement la possibilité de privilégier l'approche contractuelle, lorsque celle-ci s'avère plus pertinente. Je voudrais citer ici, en particulier, la création de chartes de territoires forestiers, qui a fait l'objet de fructueuses discussions à l'Assemblée nationale. Ces chartes doivent devenir de véritables outils de formation de projets multifonctionnels ancrés dans les réalités de terrain. Une dizaine de démarches expérimentales sont déjà engagées dans l'optique du programme-pilote que j'ai souhaité mettre en place sans attendre la promulgation de la loi. Il s'agit d'une véritable évolution de fond pour le secteur forestier, qu'il appartiendra ensuite aux partenaires professionnels, aux élus et aux représentants du monde associatif de mettre en oeuvre, en relation avec l'Etat, en définissant un équilibre entre le contrat et la préservation de l'intérêt général.
Le projet de loi établit enfin des liens entre le code forestier et les autres législations avec lesquelles il entretient des relations de plus en plus étroites - les exemples les plus récents en étant la loi relative à la chasse, la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, ou encore l'ordonnance Natura 2000.
Troisième ligne de force : l'atout économique que constitue, en France, un patrimoine forestier en croissance continue depuis plusieurs dizaines d'années, atout économique qui doit être valorisé, dans un monde où la demande en bois augmente.
La compétitivité de la filière de transformation des produits forestiers et dérivés du bois représente un enjeu en matière d'aménagement du territoire et de développement des emplois ruraux. Le projet de loi comporte notamment des dispositions en faveur de l'élévation de la qualification professionnelle dans le secteur des travaux forestiers, de l'amélioration des conditions de sécurité, de la lutte contre le travail dissimulé, de la stabilité des entreprises et du développement des emplois en milieu rural.
En outre, l'élaboration d'un rapport spécial sur le travail en forêt a été décidée par un amendement adopté à l'Assemblée nationale, et le système de dotation pour les jeunes entrepreneurs de travaux forestiers, qui relève du domaine réglementaire, se met en place.
Je voudrais, enfin, souligner les multiples dispositions introduites dans le projet de loi pour faciliter le renforcement de la solidarité de filière et structurer les organisations interprofessionnelles, qui sont assorties d'un cadrage du processus d'écocertification de la gestion durable.
Le projet de loi comporte ainsi cinq grands titres : développer une politique de gestion durable et multifonctionnelle ; favoriser le développement et la compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt.
Il prévoit, en outre, la suppression, au sein du code forestier, de nombreux articles obsolètes, contradictoires avec d'autres lois récentes ou excessivement dirigistes. Avec ce texte, nous modernisons le code forestier et nous le réduisons puisque, sauf décisions contraires de votre assemblée, nous supprimerons plus d'articles que nous n'en créerons.
J'aimerais enfin revenir sur deux sujets qui ont fait l'objet de débats intenses.
Il s'agit, d'une part, de la possibilité de mobiliser l'épargne au profit d'une dynamisation des investissements forestiers et de la restructuration foncière. Le groupe de travail chargé de formuler des propositions concrètes à introduire en seconde lecture dans ce projet de loi s'est réuni à plusieurs reprises dans différentes configurations, la dernière associant d'ailleurs les parlementaires des deux assemblées et les professionnels. Les objectifs et les moyens sont à présent clairement identifiés. Il nous reste à définir l'instrument - ou peut-être les instruments - qui permettra d'optimiser la réponse apportée, mais l'engagement a été pris : cette loi ne sera pas promulguée sans que cet instrument y soit inscrit. Le travail avance bien !
Il s'agit, d'autre part, du dispositif des assurances en forêt. Je vous confirme que le Gouvernement a déjà mis en chantier, de façon informelle, le rapport spécial, introduit le biais de l'adoption d'un amendement, sur les enseignements de la tempête dans le domaine des assurances. Les premières analyses conduites ont, par ailleurs, souligné la sensibilité du couplage actuel du risque tempête à l'assurance incendie, qui pourrait menacer à très court terme la pérennité de cette dernière garantie, confirmant ainsi, si besoin était, le caractère crucial de la question.
Au-delà de ces interrogations récurrentes, portant sur des sujets complexes à propos desquels les avancées sont obtenues pas à pas, notre travail d'aujourd'hui saura, je n'en doute pas, dissiper les dernières ambiguïtés et introduire de nouvelles améliorations.
J'ai parfois l'occasion de dire que la forêt est en quelque sorte le miroir de nos sociétés. C'est de plus, si j'ose dire, un miroir qui a de la mémoire.
M. Jean-Louis Carrère. Un miroir aux alouettes ! (Sourires.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Nos forêts sont le résultat des orientations d'hier et traduisent la réponse apportée par les hommes à des situations passées, quand l'Etat voulait, par exemple, reconstruire sa marine, assurer les besoins en énergie ou protéger les sols de montagne d'une érosion catastrophique. Notre action d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire, qui passe de génération en génération, et dont la forêt est à la fois le souvenir et le témoignage.
C'est pourquoi les forêts sont leçons de modestie : nous héritons de celles qu'ont façonnées nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les générations futures. La forêt est aussi affaire d'ambition, et les ravages que deux ouragans ont faits en quelques heures ne doivent pas nous conduire au fatalisme ou à la résignation.
C'est donc à la fois avec humilité et fierté que je vous présente aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation sur la forêt, nouvelle étape de la longue et complexe histoire forestière de notre pays. Nous le savons, l'homme et la nature ne sont pas nécessairement antagonistes. C'est tout le propos de ce texte, un propos d'une actualité particulière en ce début de siècle. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François, rapporteur de la commisssion des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation sur la forêt, examiné par l'Assemblée nationale en juin dernier, s'inscrit dans une longue réflexion, puisqu'un avant-projet de loi avait été rédigé, en son temps, par M. Philippe Vasseur, alors ministre de l'agriculture. Vous avez, monsieur le ministre, repris ce chantier en novembre 1998, sur la base de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis Bianco.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Remarquable rapport !
M. Philippe François, rapporteur. Les tempêtes de décembre 1999, qui ont provoqué des dégâts sans précédent dans la forêt française, ne remettent pas en cause, loin s'en faut, la nécessité d'une loi d'orientation pour ce secteur.
Leurs conséquences mettent en lumière, en revanche, certaines lacunes dans les propositions gouvernementales, lacunes qu'il nous appartiendra de combler, dans la mesure du possible, cette semaine ou lors de la seconde lecture, puisque l'urgence n'a pas été déclarée pour ce projet de loi.
Je voudrais tout d'abord insister sur certaines des caractéristiques de la forêt française.
Le patrimoine forestier français connaît une progression forte et continue, avec une surface de 15 millions d'hectares, soit un taux de boisement du territoire de 27,7 %. Cette dynamique d'extension, qui représente environ 80 000 hectares supplémentaires de forêts chaque année, est essentiellement le fait d'une colonisation naturelle des landes et des friches dues à la déprise agricole. Marquée par l'action de l'homme, la forêt française reste diversifiée : on y recense soixante essences de résineux et soixante-seize essences de feuillus, ces dernières étant représentées de façon prépondérante.
S'agissant de la structure forestière, les forêts publiques représentent 3,8 millions d'hectares, alors que la forêt privée, avec 10,7 millions d'hectares, soit 74 % de la forêt française, se répartit entre plus de 4,5 millions de propriétaires et est constituée, à plus de 60 %, d'unités de moins de vingt-cinq hectares. En dépit de cet extrême morcellement qui justifie des mesures encourageant le regroupement technique et de gestion, il faut noter que 40 000 propriétaires possèdent des forêts de plus de vingt-cinq hectares, couvrant 4,3 millions d'hectares, soit 45 % du total des forêts privées.
Cependant, la proportion des forêts possédées par des personnes physiques ou morales dont l'activité principale concerne la récolte ou la valorisation du bois reste très faible, de l'ordre de 1 % à 2 %, contre 37 % en Suède et 7 % au Portugal.
La forêt française se caractérise également par une sous-exploitation chronique, avec un taux de prélèvement annuel estimé à 63 %, à comparer au taux de 69 % présenté par les pays scandinaves et à celui de 77 % enregistré dans la zone de l'Amérique du Nord. La récolte de bois a certes progressé depuis dix ans, mais dans des proportions moindres que l'accroissement de la production. Dans l'optique d'une gestion durable de la ressource sylvicole, il faut donc poursuivre l'effort de mobilisation du bois et augmenter la récolte, au risque, sinon, de devoir faire face aux effets négatifs du vieillissement de la forêt. La France, dont 30 % de la surface est boisée, ne peut ignorer cette très grande richesse économique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'espace agricole et forestier, en particulier la forêt, contribue de façon positive à la lutte contre l'effet de serre par le stockage du carbone dans la matière organique des sols forestiers et la biomasse. On estime ainsi que la contribution nette de la biomasse forestière revient à la neutralisation de 9 % des émissions françaises de carbone.
De plus, le développement de l'utilisation du bois-matériau participe de l'objectif de stockage, et la promotion du bois-énergie permet d'économiser des énergies fossiles et de réduire les émissions de gaz carbonique.
Monsieur le ministre, la forêt constitue un levier important dans une politique de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il serait, à mon sens, désastreux de ne pas en tenir compte, d'autant plus que toute action volontariste en matière forestière contribue à la richesse nationale et peut créer des emplois.
Au niveau international, depuis la prise de position du président des Etats-Unis refusant de souscrire aux engagements de Kyoto, le processus de négociation prévu à Bonn du 16 au 27 juillet prochain semble très compromis. S'il en était autrement, quelle sera la position de la Communauté européenne et de la France en particulier pour faire prendre en compte la contribution des forêts ?
Sur le plan national, en tant que rapporteur de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996, je regrette que le décret d'application prévu à l'article 21 et imposant, à compter du 1er janvier 2000, l'utilisation d'une quantité minimale de bois dans les constructions nouvelles ne soit toujours pas publié. Cette disposition résultait, mes chers collègues, je vous le rappelle, d'un amendement voté par le Sénat.
Après ce panorama sur la forêt française, je voudrais, bien sûr, rappeler l'importance des dégâts occasionnés par les fameuses tempêtes de décembre 1999 due non seulement à la violence exceptionnelle des vents, bien entendu, mais aussi aux surfaces et aux volumes de bois à l'hectare qui caractérisent la forêt française.
Le volume de chablis, estimé à l'origine à environ 140 millions de mètres cubes, devra être progressivement affiné en fonction des relevés en cours d'établissement par l'inventaire forestier national. Le chiffre final sera probablement inférieur aux premières estimations.
Mais en tout état de cause, sur ce volume, seuls 70 % seront commercialisables.
Toutes les régions françaises ont été touchées, ce qui a entraîné la saturation globale du marché du bois et une chute du prix du bois de l'ordre de 30 % à 40 %. De plus, nombre de propriétaires forestiers confrontés à de très graves difficultés d'exploitation n'ont pas pu commercialiser leurs chablis.
Je laisserai à mon collègue Roland du Luart le soin de rappeler les dispositions financières du plan national d'urgence pour la forêt, qui représente 2 milliards de crédits budgétaires et 12 milliards de prêts bonifiés, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre.
Tout en vous renvoyant très largement à mon rapport écrit, je veux cependant faire valoir l'importance de la filière bois. Dans son rapport, M. Jean-Louis Bianco soulignait l'effort consenti par l'industrie du bois pour se développer dans un contexte de forte concurrence internationale.
Mais la filière reste soumise à des handicaps lourds et connus que sont la dispersion de la propriété, qui nuit à la sécurité et à la régularité des approvisionnements, la faible intégration de la filière elle-même et une tendance à la baisse de la demande de bois d'oeuvre qui semble heureusement s'inverser depuis une dizaine d'années, grâce aux efforts de promotion menés par la profession.
Ainsi, la première transformation, qui inclut notamment les entreprises d'exploitation et de récolte du bois, l'industrie du sciage et celle des panneaux, doit accomplir un effort de modernisation sans précédent car elle constitue à l'heure actuelle l'un des maillons les plus faibles identifiés.
L'industrie du sciage, pour répondre aux besoins du marché, est donc confrontée à des besoins d'investissement très importants pour améliorer la valeur ajoutée sur les produits bois-bâtiment. L'utilisation du bois-matériau dans la construction ne deviendra une réalité que si le secteur peut proposer, comme en Allemagne, en Autriche, voire en Scandinavie, des produits de qualité, normalisés, séchés et prêts à l'emploi.
En insistant sur le poids économique de la filière bois, notamment en termes de création d'emplois, M. Jean-Louis Bianco plaide pour la définition d'une véritable stratégie forestière, assortie de moyens financiers conséquents. Il chiffre ainsi l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une politique forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an. Cette proposition, à laquelle je souscris totalement, est d'autant plus opportune que, je le rappelle, la France reste, au sein des pays développés, celui qui consacre le moins d'argent public à la forêt.
Au-delà de ces chiffres, nous aurons l'occasion, lors de l'examen de l'article 11 du projet de loi, de débattre des conditions favorisant la mise en place d'une interprofession. C'est un outil indispensable pour engager des actions collectives de promotion de la filière, mais, compte tenu des réserves et des prises de position exprimées par certains des acteurs économiques concernés, un effort très important d'explication devra être fourni.
Je présenterai le projet de loi d'orientation sur la forêt en rappelant qu'il s'articule autour de quatre axes principaux, à savoir : la gestion durable et multifonctionnelle de la forêt ; la compétitivité de la filière forêt-bois ; la gestion des territoires et la protection des écosystèmes forestiers et naturels ; enfin, l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
L'affirmation du principe d'une gestion durable fait l'objet de l'article 1er du projet de loi qui, à travers un titre préliminaire inséré dans le code forestier, regroupe les orientations de la politique forestière pour les présenter de façon cohérente et faire ainsi valoir qu'elles s'inscrivent dans la droite ligne des engagements internationaux souscrits par la France, notamment en 1993 à Helsinki, lors de la conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe.
Cette mise en forme des objectifs de la politique forestière ne doit pas être négligée dans un contexte de concurrence internationale soumis à l'influence de certaines associations environnementales internationales. J'en veux pour preuve le ton systématiquement agressif de l'article du 24 janvier dernier publié dans le Herald Tribune et intitulé : « L'écosystème de l'Europe en voie de décomposition ». La politique forestière des pays européens, notamment de la France, y est systématiquement critiquée sur la base d'affirmations erronées, mensongères ou volontairement biaisées.
Il est donc indispensable de mettre en valeur les atouts de la forêt française en matière de gestion durable.
Ainsi, pour encourager l'application de ces critères, l'article 1er crée de nouveaux outils de gestion simplifiés, permettant ainsi aux propriétaires de petites parcelles ou de parcelles présentant un faible intérêt économique d'offrir néanmoins des garanties de gestion durable et leur garantissant un accès aux aides publiques.
Le titre II se compose d'un ensemble de dispositions visant à favoriser la compétitivité et le développement économique de la filière bois.
Les modes de vente de l'ONF sont ainsi adaptés en vue de permettre un recours plus large aux procédures de vente à l'amiable, susceptibles de lui garantir des débouchés plus réguliers.
Le projet de loi renforce les exigences de qualification professionnelle s'imposant à l'ensemble des personnes qui procèdent à des travaux de récolte sur les parcelles d'autrui, afin de diminuer le risque d'accidents du travail, encore trop fréquents.
Plusieurs dispositions enfin contribuent à la lutte contre le travail dissimulé, qui constitue un phénomène préoccupant dans ce secteur.
Tendant à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, le titre III du projet de loi adapte tout d'abord la législation relative au défrichement pour prendre en compte le niveau local.
Il complète également les dispositions du code forestier traitant de la réglementation des boisements en vue de parvenir à un équilibre satisfaisant entre aménagement rural et forestier.
Enfin, d'importantes dispositions viennent renforcer la prévention des incendies de forêts. Elles opèrent un recentrage sur les zones les plus à risque des mesures renforcées de prévention, en particulier des obligations de débroussaillement ; elles clarifient également les compétences du maire et du préfet et confortent le plan de prévention des risques d'incendie de forêt prévu par la loi Barnier de 1995.
S'agissant de l'organisation des institutions et des professionnels, le projet de loi encourage l'Office national des forêts à développer ses interventions conventionnelles tant sur le territoire national qu'à l'étranger.
Les missions des centres régionaux de la propriété forestière sont adaptées en vue de prendre désormais en compte l'objectif de développement forestier durable.
Tout en partageant les objectifs affichés par les auteurs de ce projet de loi d'orientation, la commission des affaires économiques considère qu'ils induisent trop souvent un surcroît de réglementation, qui ne s'accompagne pas de moyens financiers suffisants.
Tout en reconnaissant la nécessité de favoriser la mise en oeuvre d'une gestion durable en matière forestière, conformément à nos engagements internationaux, force est de constater que les propositions du projet de loi, souvent renforcées par l'Assemblée nationale, vont multiplier les contraintes administratives.
Ainsi, le texte se traduit par un alourdissement sensible et non justifié des interdictions et des sanctions encourues en cas d'infraction à la législation forestière.
L'Assemblée nationale a également rétabli la taxe de défrichement, dont la suppression par la loi de finances pour 2000 relevait d'un mouvement bienvenu de simplification fiscale.
Enfin, elle a prévu la création d'associations foncières de gestion forestière au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes sont réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte inacceptable au droit de propriété constitutionnellement garanti.
En face de ces contraintes nouvelles, les moyens financiers sont souvent notoirement insuffisants.
Le projet de loi affirme la multifonctionnalité de la forêt à travers son rôle social et environnemental, mais il n'en tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Ainsi en est-il de l'article 3, qui encourage l'accueil du public en forêt sans résoudre tous les problèmes qui en découlent, notamment sur le plan de la responsabilité assumée par le propriétaire.
L'encouragement au regroupement technique est affirmé dans le livre préliminaire du code forestier, mais nulle part il n'est fait mention d'aides spécifiques indispensables à sa mise en oeuvre.
De plus, l'Assemblée nationale n'a pas remédié à certaines lacunes de ce texte, dont l'absence de dispositions destinées à favoriser l'investissement en forêt. A la demande du Gouvernement, elle n'a pas adopté l'amendement présenté par la commission de la production et des échanges, qui définissait le mécanisme d'un plan d'épargne forêt, se contentant de voter un article additionnel prévoyant la création, sans le définir, d'un tel dispositif.
Outre des propositions de simplification rédactionnelle, la commission des affaires économiques a voulu améliorer les garanties offertes aux propriétaires forestiers en matière de gestion forestière à travers notamment : la limitation des engagements de non-démembrement ou des contraintes de gestion à souscrire par un propriétaire privé dès lors qu'il sollicite des aides publiques ; un encouragement au regroupement foncier forestier en inscrivant le principe d'aides spécifiques dans le livre préliminaire du code forestier ; l'attribution d'aides publiques aux propriétaires tenus de procéder au nettoyage des chablis au nom de la prévention des incendies ; enfin, la définition de sanctions proportionnées à la gravité de l'infraction commise.
A travers un travail mené en étroite concertation avec la commission des finances, qui a étudié les aspects financiers et fiscaux de ce projet de loi, la commission des affaires économiques vous proposera un dispositif d'investissement forestier.
En conclusion, je relèverai que plusieurs chantiers inachevés attendent des solutions qui restent à définir.
Ainsi, les conséquences des tempêtes de 1999 font ressortir la nécessité de formuler des propositions facilitant le regroupement foncier forestier ainsi que la mise en place d'un mécanisme de mutualisation des risques que les systèmes d'assurance traditionnels semblent dans l'incapacité de couvrir de manière satisfaisante.
Des groupes de travail associant les professionnels concernés et l'administration n'ont pas, à ce jour, abouti à des propositions concrètes, mais il faudra parvenir à en dégager d'ici à l'examen en seconde lecture de ce texte si l'on veut qu'il soit un outil efficace pour mettre en oeuvre la stratégie forestière française des quinze prochaines années. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité, à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi d'orientation sur la forêt, se saisir pour avis de ce texte.
Nommé rapporteur pour avis, je souhaiterais aujourd'hui vous présenter mes principales observations concernant ce texte ; elles sont issues d'un travail pour une large part commun avec celui de l'excellent rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Philippe François.
Ce projet de loi d'orientation sur la forêt intervient dans un contexte très particulier, celui d'une forêt française meurtrie par les tempêtes de la fin décembre 1999.
Très attendu par l'ensemble des acteurs de la filière sylvicole française - propriétaires forestiers, exploitants, industriels, professionnels du secteur forestier - ce projet de loi tardif, puisqu'il intervient plus de deux ans après la publication, le 25 août 1998, de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis Bianco, La forêt, une chance pour la France aura peut-être le mérite - c'est en tout cas sa vocation - de redonner confiance à tous ces acteurs et à l'ensemble d'une filière qui joue un rôle si important pour notre économie.
Si les tempêtes de la fin 1999 ont eu un effet dévastateur sur des plans aussi bien économique, technique, financier que psychologique, elles ont surtout permis de mettre l'accent sur la nécessité de réformes depuis trop longtemps repoussées, car les difficultés rencontrées par les forestiers ne datent certainement pas des tempêtes : elles remontent à bien plus longtemps, et les tempêtes n'auront fait qu'accentuer ces difficultés, provoquant par là même une prise de conscience de l'urgence des réformes.
Pourtant, le présent projet de loi m'est apparu comme particulièrement décevant sur le plan fiscal et financier ; mais je sais que le chantier est difficile. Alors que le Gouvernement s'était engagé, à la suite du rapport Bianco, à proposer toute une série d'adaptations de la fiscalité forestière, force est de constater que le présent projet de loi n'est pas à la hauteur des ambitions alors affichées par le Gouvernement.
Ce dernier proposait en effet, à l'époque, de nouvelles orientations de la politique forestière, destinées : à favoriser l'investissement forestier afin de permettre la pérennisation et le développement des groupements familiaux ou des investisseurs institutionnels ; à mettre en place des dispositifs juridiques et incitatifs permettant de lutter contre le morcellement foncier forestier ; à mieux intégrer l'Office national des forêts au développement de la filière ; enfin, à redéfnir les objectifs et les moyens du FFN, puisque, à l'époque, ce dernier existait toujours.
Je ne peux que constater le retard qui a été pris dans la mise en oeuvre du calendrier législatif relatif à la forêt - un projet de loi était initialement prévu avant la fin de l'année 1999 - et regretter que les dispositions fiscales de ce texte soient minimes ; d'ailleurs, elles ne répondent pas aux attentes formulées par les acteurs du secteur forestier.
Ces attentes sont d'autant plus vives depuis les tempêtes de la fin 1999. Celles-ci ont, en effet, révélé la fragilité des mécanismes actuels de financement de la forêt, aussi bien publique que privée, ainsi que le caractère obsolète de certains aspects du régime fiscal forestier.
S'agissant de la forêt privée, notamment, je voudrais insister ici sur trois problèmes prégnants.
J'évoquerai tout d'abord le morcellement forestier, contre lequel divers dispositifs ont déjà été mis en place, notamment les groupements forestiers, ou les associations syndicales de gestion forestière. La formule du groupement forestier a fait la preuve de son efficacité, en particulier pour préserver les unités existantes, lors d'une succession.
Depuis une dizaine d'années, cependant, une crise frappe les groupements forestiers en raison des difficultés que rencontrent les porteurs de parts lorsqu'ils souhaitent se retirer du groupement ; d'où la nécessité d'accroître la fluidité des parts de groupements forestiers, ce qui permettrait la création d'un véritable marché.
Le présent projet de loi ne contient que très peu de réponses à ce problème du morcellement et de la nécessaire restructuration forestière. La seule mesure concrète proposée est l'extension de la procédure de dation en paiement des droits de succession aux immeubles en nature de bois, forêts ou espaces naturels pouvant être incorporés au domaine forestier de l'Etat, mesure à laquelle je suis favorable.
D'autres actions sont à entreprendre dans plusieurs domaines. Il faudrait notamment poursuivre des opérations concertées de sensibilisation et de formation des petits propriétaires ou encore encourager toute acquisition de petites parcelles boisées destinée à incorporer celles-ci à des unités plus consistantes.
En outre, lever la présomption de salariat, souvent perçue comme un obstacle à l'entretien des petites parcelles forestières, contribuerait sans doute à un meilleur entretien et à une sélection progressive fondée sur la compétence.
Le second problème que je souhaite aborder, le plus important aujourd'hui selon moi, est celui de la faiblesse du placement ou de l'investissement forestier.
Je considère que la création d'un mécanisme financier destiné à favoriser l'investissement forestier est aujourd'hui prioritaire et aurait dû constituer la pierre angulaire de ce projet de loi d'orientation. Le Gouvernement a d'ailleurs lui-même reconnu les lacunes du texte sur cette question délicate.
Le faible niveau des investissements forestiers est un problème aujourd'hui unanimement reconnu. Ainsi, la mise en valeur, au moyen de plantations ou de semis, des surfaces forestières sans peuplement d'avenir a constitué l'essentiel des investissements forestiers entre 1950 et 1970. Ces opérations, aidées financièrement, ont décliné constamment depuis lors.
En outre, je voudrais également souligner ici l'inquiétude croissante des propriétaires forestiers quant aux charges engendrées par les fonctions écologique et sociale de la forêt.
Le développement de la fréquentation du public ainsi que la mise en place de mesures réglementaires relatives à la fonction écologique des forêts donnent lieu à ce que les propriétaires considèrent comme des surcoûts à leur charge. Cette situation peut être démobilisatrice pour les investissements en sylviculture, d'autant plus que ceux-ci s'engagent sur le long terme.
Si le principe de la création d'un dispositif de soutien à l'investissement forestier fait l'unanimité, ses modalités techniques d'application ont longtemps divisé les partenaires du secteur forestier. Aujourd'hui, après de nombreuses consultations et la mise en place d'un groupe de travail rassemblant - et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris cette initiative - tous les acteurs concernés par ce dispositif - Gouvernement, parlementaires, professionnels, représentants des propriétaires forestiers - plusieurs pistes de réforme ont pu être évoquées et une solution consensuelle semble se dessiner en faveur d'un dispositif hybride de type « fonds d'épargne forêt », qui répondrait aussi bien aux attentes des propriétaires qu'à celles des professionnels forestiers.
L'introduction dans le présent projet de loi d'un tel dispositif, certes perfectible, permettrait de faire avancer le débat et, avant tout, contribuerait à redonner confiance aux acteurs de la forêt française. J'aurai l'occasion de vous présenter ce dispositif sous la forme d'un amendement à l'article 5 B du présent projet de loi. Je tiens toutefois à souligner ici qu'il s'agit d'une proposition d'appel, qui n'a pas forcément vocation à demeurer en l'état et qui devra sans doute faire l'objet d'une réelle concertation de tous les acteurs concernés. La deuxième lecture de ce texte nous donnera le temps d'aller plus avant dans cette réflexion.
Enfin, le troisième problème crucial que je voudrais évoquer ici est celui de l'assurance des forêts privées.
Les tempêtes de la fin 1999 ont révélé l'ampleur des lacunes existant en matière d'assurance des forêts. Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucun mécanisme d'assurance propre à la forêt. Certains professionnels préconisent la création d'un dispositif de type « calamités forestières », similaire à ce qui existe dans le secteur agricole et qui n'a jamais été transposé au secteur forestier.
Deux sortes d'outils pourraient être envisagés : un fonds d'indemnisation « catastrophes naturelles » applicable aux forêts ou la création d'un fonds d'indemnisation spécifique aux forêts.
Aujourd'hui en France, très peu de sociétés d'assurance ont mis en place des contrats spécifiques aux risques forêt et, depuis les récentes tempêtes, on assiste à une volonté, assez compréhensible, de désengagement de ces assureurs. La surface forestière assurée ne représente que 600 000 hectares, soit 4 % de la surface forestière totale ; cela correspond à un total d'environ 8 000 contrats.
Il s'agit, bien sûr, d'une question très délicate, sur laquelle il est aujourd'hui difficile d'avancer des solutions concrètes. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pu formuler aucune proposition à ce sujet au sein du présent projet de loi. Seule une disposition introduite par l'Assemblée nationale, prévoyant la présentation au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et formulant des propositions en matière d'assurance contre les risques de chablis, mentionne explicitement ce problème.
Sur toutes ces questions, je considère que la France a beaucoup à apprendre de ses partenaires européens.
Alors que la France dispose d'une des superficies forestières les plus importantes d'Europe, elle se situe très en retrait des autres pays européens, notamment des pays scandinaves, mais aussi de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, s'agissant de sa fiscalité forestière.
Outre l'évocation de ces trois points saillants, d'autres mesures plus ponctuelles doivent être envisagées à l'occasion de l'examen de ce texte par notre assemblée, aussi bien des mesures d'adaptation de la fiscalité forestière que des mesures, plus conjoncturelles, de soutien à la filière sylvicole.
Il s'agit, certes, d'un projet de loi dit « d'orientation », s'inscrivant dans le long terme et ayant vocation à contenir des mesures plus structurelles que conjoncturelles, mais, précisément, les forestiers sont aujourd'hui « désorientés ». On ne pourra pas faire l'économie, dans ce projet de loi, de mesures spécifiques de type « post-tempêtes » destinées à aider les propriétaires forestiers à retrouver confiance.
Les principales propositions que je formulerai ici sont les suivantes.
Tout d'abord concernant le rétablissement de la taxe de défrichement opéré par l'Assemblée nationale en première lecture, il me semble inopportun de revenir sur une disposition votée par le Parlement dans la loi de finances pour 2000 qui a prévu la disparition de cette taxe à compter du 1er janvier 2001. Dans un souci de simplification fiscale et de cohérence législative, je crois nécessaire de maintenir l'état actuel du droit, à savoir la suppression de la taxe sur le défrichement.
S'agissant de la législation concernant le délai pendant lequel le propriétaire forestier peut présenter un plan simple de gestion afin de pouvoir bénéficier de régimes d'exonération fiscale spécifiques, je considère que l'abaissement de cinq à trois ans de ce délai par le présent projet de loi constitue un recul de la politique forestière, et je souhaite le rétablissement du délai de cinq ans.
Afin de favoriser la constitution des associations syndicales de gestion forestière, je vous proposerai également d'exonérer ces associations de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Pour encourager le regroupement forestier, je propose l'exonération du droit fixe de 1 500 francs associé à l'apport de toutes petites parcelles boisées à des groupements forestiers. Dans ce cas, le droit fixe a souvent une valeur supérieure au bien que l'on se propose d'acquérir.
Afin de ne pas pénaliser le développement des entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers, il me semblerait opportun d'envisager une réduction du taux de plafonnement de la taxe professionnelle due par ces entreprises. Je voudrais insister ici sur la nécessité de soutenir la profession d'entrepreneur de travaux d'exploitation forestière : il est essentiel pour la compétitivité de toute la filière d'aider cette profession à s'organiser, afin qu'elle puisse être représentée dans les diverses instances et exprimer ses attentes.
Il me semble également nécessaire d'adapter l'application du système « Sérot-Monichon » afin de permettre le transfert des engagements résultant de ce régime spécifique de réduction des droits de mutation du vendeur à l'acquéreur. Il paraît en effet injuste que le vendeur soit tenu pour responsable du manquement à ces engagements par l'acquéreur.
Enfin, dans le cadre des mesures post-tempêtes, je souhaite étendre le dispositif d'exonération des droits de mutation pour l'acquisition de parcelles boisées aux acquisitions à titre gratuit ainsi qu'aux parts de groupements forestiers. Je tiens d'ailleurs à rappeler brièvement les mesures qui ont déjà été prises par le Gouvernement dans le cadre du plan national pour la forêt du 12 janvier 2000.
Ce plan d'urgence représente 2 milliards de francs de crédits budgétaires et 12 milliards de francs de prêts bonifiés. En outre, selon les déclarations du Gouvernement, 600 millions de francs par an pendant dix ans devraient aider les propriétaires à reconstituer les peuplements détruits. Des mesures fiscales complètent d'ailleurs ce dispositif.
Le programme spécifique en faveur de la forêt répond donc à trois objectifs majeurs : assurer la mobilisation du bois ; permettre le stockage et favoriser la valorisation du bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes forestiers.
Malgré les intentions louables affichées par le Gouvernement, le constat sur le terrain et le bilan de ces aides, un an après les tempêtes, sont décevants.
La réalité sur le terrain, en effet, ne correspond malheureusement pas aux attentes des forestiers, et les espoirs suscités par l'annonce de ce plan ont été en partie déçus.
La plupart des aides directes, pour un montant global de l'ordre de 1,4 milliard de francs, ne sont pas encore parvenues à leurs destinataires. On constate de très importants délais dans leur acheminement, délais qui pénalisent les exploitants et, surtout, les propriétaires forestiers. L'aide financière de l'Etat pour la reconstitution des forêts était promise par le Gouvernement pour la fin du mois d'août 2000. Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit encore du conflit entre votre ministère et Bercy. Alors, accélérons Bercy !
Aujourd'hui, plus d'un an après le choc des tempêtes, les attentes sont grandes et les esprits sont encore fragiles.
Le Sénat a déjà eu l'occasion, l'année passée, d'affirmer son soutien à la filière sylvicole - notamment au moment du vote des différents projets de loi de finances, rectificatives et initiale - en proposant des mécanismes fiscaux de soutien. Il s'agit, aujourd'hui encore, de ne pas décevoir l'ensemble de ces acteurs, qui attendent des réformes, et de donner un vrai « souffle » à la politique forestière française.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et, bien sûr, sur le Parlement. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la législation forestière, dont l'objet principal est la conservation d'une des plus précieuses richesses de l'Etat, se lie à tant d'autres intérêts et touche par tant de points importants à la propriété privée, qu'elle doit être l'un des premiers objets de la sollicitude des gouvernants ». Ainsi s'exprimait M. de Martignac dans l'exposé des motifs du projet de code forestier de 1827, devant la Chambre des pairs.
Il eut du mal à convaincre cette dernière. Si l'on en croit l'éditeur du code, l'avis presque unanime de cette chambre était de n'apporter aucun changement au code forestier. L'ordonnance de Colbert, qui datait de 1669, était, il est vrai, assez récente : elle avait cent soixante-dix-huit ans - tout juste le temps d'une génération d'arbres ! Martignac invoqua la marche du temps, les progrès de l'industrie et l'économie publique...
Cent cinquante-quatre ans après, nous nous attelons de nouveau à cette tâche.
La Fédération nationale des communes forestières de France, dont j'ai l'honneur d'être ici le porte-voix, en l'absence de son président, notre estimé collègue Jacques-Richard Delong, est d'accord sur cette entreprise de rénovation, sans céder à la nostalgie. Elle avait approuvé M. Philippe Vasseur quand il parla de présenter un projet de loi d'orientation sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Elle a salué la sortie du rapport Bianco, où elle a reconnu quelques-unes de ses idées, notamment ce point clé : la gestion durable des territoires forestiers confortée par des contrats de territoires. Elle avait regretté la dissociation de la partie forestière, au moment de la discussion de la loi d'orientation agricole. Elle est donc satisfaite de voir venir devant le Parlement ce texte tant attendu.
Il est vrai qu'entre-temps le contexte, lui, s'est assombri. Comment discuter d'une loi forestière sans évoquer ces deux événements : les tempêtes de décembre 1999 et, tout récemment, mais avec des conséquences non moins graves à long terme, le rejet du protocole de Kyoto par le nouveau président des Etats-Unis ?
Sur la tempête, on a déjà tout dit ou presque, sauf la réponse à la lancinante question : en reviendra-t-il de semblables, et quand ? Ainsi, 140 millions de mètres cubes, soit 300 millions d'arbres touchés dans les forêts françaises ; 44 millions de mètres cubes, soit 130 millions d'arbres frappés dans les forêts publiques ; 25 millions de mètres cubes dans les forêts communales... Ces chiffres catastrophiques interfèrent forcément dans la discussion du projet de loi, même si votre texte est conçu, comme les deux précédents, pour durer cent cinquante ans.
Il nous faut bien dire d'abord un mot du plan « chablis ». Vous avez obtenu des moyens financiers honorables, mais il n'a pas été possible, en dépit des efforts de tous - élus, exploitants et services publics, à commencer par ceux des préfectures et par l'ONF -, de dégager entièrement le terrain, bien que 23 millions de mètres cubes aient pu être commercialisés sur les 30 millions de mètres cubes commercialisables. Il reste encore à exploiter des volumes importants d'essences peu sensibles à la dégradation, telles que les chênes et les douglas, mais aussi des hêtres et des résineux de qualité secondaire.
Notons au passage que les résultats obtenus l'ont été au prix d'un assouplissement considérable des méthodes de commercialisation des bois. Devant l'échec des premières adjudications, l'Office a sagement rangé ses catalogues et a recouru au gré à gré sur une large échelle, dans le cadre d'un accord national avec les exploitants forestiers qui fut très durement négocié, et parfois - mais pas toujours - péniblement appliqué... C'était, en somme, anticiper sur votre projet de loi, qui prévoit que les méthodes de commercialisation des bois devront être plus diversifiées et mieux répondre aux situations dans le temps et dans l'espace.
Les communes forestières sont ouvertes à ces perspectives, à condition toutefois que cette évolution ne se fasse pas au détriment de leurs recettes de bois, dont on mesure aujourd'hui l'importance dans les budgets des communes de l'Est de la France. Par ailleurs, je rappelle que le choix du mode de commercialisation des bois récoltés en forêt communale revient aux maires.
En d'autres termes, il a fallu faire face à une situation exceptionnelle, mais nous continuons à souhaiter un large éventail des méthodes de vente, et l'adjudication au rabais ne nous paraît nullement condamnée par l'histoire.
Les intempéries de cet hiver ont considérablement freiné l'exploitation et la vidange des produits de la tempête. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir prolonger les aides au transport, qui, seules, permettront d'exploiter certaines qualités de bois.
Les élus forestiers, tenant compte des expériences passées, redoutent la renversée prochaine d'arbres fragilisés ainsi que les attaques de scolytes, qui risquent d'affecter, sur plusieurs années, l'équivalent de 30 % à 50 % du volume tombé en chablis en 1999. Aussi la vigilance s'impose-t-elle dans les domaines phytosanitaire et financier.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour nous soutenir auprès de M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il continue d'apporter aux communes sinistrées les aides, versées sous forme de subvention de fonctionnement, dont l'attribution durant l'année 2000 a été facilitée par ses services.
Les maires attendent également beaucoup de la mission interministérielle qui a été mise en place par M. le Premier ministre afin de procéder à l'examen de la situation financière de chacune des communes forestières sinistrées par les tempêtes, à court et à moyen terme.
Deuxième interférence de la tempête avec le projet de loi d'orientation : la reconstitution des forêts.
Au mois d'octobre 2000, lors d'un colloque qui s'est tenu à Epinal, les communes forestières ont entrepris une réflexion commune avec l'ONF et publié avec ce dernier, au mois de janvier 2001, un manifeste sur la reconstitution. Un guide technique est en cours de préparation ; il sera diffusé au mois de mai à tous les maires, à tous les personnels de l'ONF et dans le public.
Si le recours à la régénération naturelle, plus longue à obtenir, doit être la règle, des plantations s'avéreront nécessaires. Aussi, les communes, qui seront systématiquement impliquées par l'Office pour décider des choix à effectuer, comptent sur leur gestionnaire pour maîtriser la récolte et la conservation des graines, l'élevage des plants en pépinières - sous forme de contrats de culture - et les travaux de plantation.
L'ONF possède les moyens techniques et réglementaires adéquats - notamment la Sécherie de graines forestières de La Joux - pour apporter, avec le professionnalisme nécessaire, toutes les garanties aux communes.
En dépit des moyens financiers importants que vous avez prévus pour la reconstitution, monsieur le ministre, certaines communes éprouveront beaucoup de difficultés à financer, pour les parties qui leur incombent, la reconstitution de leur forêt. Dès à présent, nous vous demandons que soit examinés, en tant que de besoin, les cas particulièrement difficiles.
Une troisième conséquence de la tempête doit être présente à notre esprit au moment où nous ouvrons cette discussion : les prévisions de récolte forestière devront être revues à la baisse pour les dix prochaines années - ce qui remet tout de même quelque peu en cause l'analyse de M. Jean-Louis Bianco, à laquelle nous étions ralliés.
Dans son rapport, qui - cela a déjà été dit - s'intitule : La forêt, une chance pour la France , l'ancien président de l'ONF qu'il est tablait sur une augmentation des récoltes de bois dans un délai de cinq à dix ans dans les forêts domaniales et communales, afin de dynamiser l'ensemble de la filière.
Ces prélèvements, destinés à enrayer une surcapitalisation qui serait préjudiciable à l'équilibre biologique des forêts, devraient en outre présenter l'avantage de procurer des recettes supplémentaires tant aux communes qu'à l'ONF.
Après le passage de la tempête, la diminution des récoltes se traduira donc pour de nombreuses communes par des difficultés budgétaires notables pendant plusieurs années, voire, parfois, plusieurs décennies.
Il est avéré que l'Office national des forêts, pour ce qui le concerne, se trouvera durant plusieurs années dans une situation financière difficile, et ce d'autant plus que ses réserves seront complètement épuisées en 2001.
Les communes forestières sont très préoccupées par la fragilité financière de leur gestionnaire et renouvellent aujourd'hui avec force leur demande d'une recapitalisation de l'Office national des forêts au niveau approprié, afin que cet établissement puisse remplir les missions qui lui sont assignées par l'Etat, à un moment où notre pays en a le plus grand besoin.
Il est en effet légitime que le financement des forêts publiques soit assuré de manière pérenne par le produit des écotaxes et que l'on rémunère globalement les services non marchands rendus par les forêts pour la protection des ressources en eau, l'accueil du public, la préservation des paysages, la protection des habitats ainsi que des espèces végétales et animales vivant en forêt et, bien entendu, la lutte contre l'effet de serre ; bref, tout ce qu'il conviendra, après l'adoption de la loi, de résumer par le terme un peu lourd de « multifonctionnalité », notion qui, avec celle de gestion durable, est un des grands apports de la loi d'orientation.
Je viens de prononcer les mots fatidiques d'« effet de serre ». La montée de l'inquiétude à propos du réchauffement de la planète est, comme la tempête historique de cette fin de siècle, un des éléments essentiels de ce contexte, monsieur le ministre. Il faut bien que votre texte les prenne en compte. Qui sait même si ces deux éléments ne sont pas liés ?
Oui, mes chers collègues, les communes forestières s'interrogent, elles aussi, sur l'évolution des climats et sur son incidence à long terme sur les essences cultivées dans nos forêts. En particulier, elles s'inquiètent des récentes déclarations du président des Etats-Unis, qu'elles voient renier la signature de son pays au bas du protocole de Kyoto. Car aucun pays ne peut s'affranchir des risques très importants qu'engendre le dégagement croissant de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Certes, les Etats-Unis ont tort ; mais nous n'avons pas nous-mêmes été imprudents ? A La Haye, les Européens ont refusé tout compromis avec les Américains, pour des raisons dogmatiques : il s'agissait de rejeter toute possibilité d'alternative, même partielle, aux économies d'énergie par la promotion des puits de carbone en forêt. Cette raideur écologiste a fourni un prétexte à la délégation américaine. Sans la justifier, bien sûr, elle lui a rendu plus aisée la remise en cause du protocole.
La proposition de loi du sénateur Vergès - souvenez-vous-en, mes chers collègues -, adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat, avait pourtant ouvert la voie à une tactique bien différente : en faisant de l'effet de serre une grande cause nationale et en créant un observatoire dans ce domaine, la Haute Assemblée avait une fois de plus confirmé sa sagesse et son aptitude à prendre en compte la durée dans les décisions publiques.
Dès le mois de novembre 1999, monsieur le ministre, notre collègue M. Delong vous a rapporté la volonté des communes forestières de prendre part à la lutte contre l'effet de serre, avec le soutien financier de l'Etat.
Plusieurs champs d'action existent, depuis la redynamisation de la sylviculture, notamment dans les jeunes peuplements, ou l'enrichissement de plusieurs centaines de milliers d'hectares de forêts communales jusqu'à l'acquisition raisonnée et à la valorisation forestière de parcelles irréversiblement abandonnées par l'agriculture.
J'en viens maintenant au survol rapide du texte. Je ne m'y attarderai pas, puisque les rapports très précis et complets de nos collègues François, rapporteur de la commission des affaires économiques, et du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, sont pratiquement exhaustifs.
Les communes forestières se plaisent à saluer la concertation à laquelle elles ont été conviées par votre cabinet et par vous-même, monsieur le ministre, pour l'élaboration de ce texte. Au surplus, quand on légifère pour cent cinquante ans, les clivages politiques du moment n'ont pas grand sens !
Les communes forestières se reconnaissent donc dans les principales dispositions de ce texte : gestion durable labellisée - qui vous permettra de lancer la certification, à laquelle nous travaillons en liaison avec la forêt privée - ; multifonctionnalité, qu'il faudra bien sûr financer ; réorganisation de l'interprofession forêt-bois, qui devra respecter la liberté de chacun, notamment dans la seconde transformation ; introduction de la notion de territoires forestiers contractualisés ; sans oublier quelques toilettages, comme la disparition du folklorique garde-coupe.
Nous constatons que, selon la loi, la forêt française s'appuiera sur deux institutions fortes : l'ONF, dont le conseil d'administration doit être élargi, pour la forêt publique, et le futur centre national professionnel de la propriété pour la forêt privée.
Pour sa part, la Fédération nationale des communes forestières attend de l'ONF, son gestionnaire, qu'il évolue fortement et rapidement. A cette fin, elle a entrepris avec les responsables de l'établissement une réflexion qui aboutira dans les prochains mois, lors des assises nationales de la forêt communale. Les conclusions de ces assises devront être reprises - du moins le souhaitons-nous - dans le contrat Etat-ONF en cours d'élaboration.
Cependant, la réforme qui affectera l'ONF devra s'attacher à préserver le principe actuel du maillage territorial, sous peine de voir disparaître du paysage rural un établissement public efficace, placé au service de la gestion des forêts publiques, mais aussi des territoires forestiers et ruraux, comme le prévoit la loi d'orientation forestière.
L'exigence d'une qualité accrue des prestations de l'Office a conduit notre fédération à demander à l'établissement qu'il soit certifié ISO 9000. Les interventions de l'Office pour le compte des communes seront ainsi plus ciblées, plus efficaces et moins onéreuses.
L'avenir est lourd de menaces, mais cette loi d'orientation nous permettra de l'aborder avec espoir et volontarisme. Elle le permettra d'autant plus, monsieur le ministre, si vous acceptez les amendements que nous avons déposés pour « muscler » ce texte. Ils portent, entre autres objets, sur la spécificité des forêts publiques.
Ils concernent, d'abord, le projet de fonds d'épargne forestière à l'usage des communes, qui est un peu le symétrique, quoique différent, de celui que notre collègue du Luart a évoqué pour la forêt privée. Je rappelle que vous venez d'être saisi, ainsi que vos collègues de l'intérieur et des finances, d'un rapport circonstancié que je vous ai adressé voilà trois jours, au nom de la fédération.
Ces amendements concernent, ensuite, les chartes de territoire forestier, que nous souhaitons voir bénéficier de dispositifs financiers équivalents - pourquoi pas ? - à ceux des contrats territoriaux d'exploitation en agriculture.
Ces amendements concernent, enfin, le financement de la formation des élus par une partie du produit des cotisations versées aux chambres d'agriculture, sur lesquelles nous n'avons aucune retombée jusqu'à présent. C'est un sujet que vous connaissez bien et qui a fait l'objet d'une réponse de principe favorable des chambres d'agriculture.
Je terminerai mon propos par un petit retour en arrière. En 1827 - j'y reviens - devant la chambre des députés, le général Sebastiani commençait son discours en ces termes : « Messieurs, nous discutons aujourd'hui une véritable loi, une bonne loi, malgré les imperfections que je regrette d'y trouver. » C'est un peu ce qu'a dit M. du Luart. (Sourires.) Il ajoutait : « Je viens défendre la haute, la grande propriété, la propriété aristocratique, car elle seule possède les bois. » Vous le voyez, là ce n'est pas ce qu'a dit M. du Luart. (Nouveaux sourires.) Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons, nous aussi, devant nous une véritable loi, une bonne loi, qu'il convient encore de perfectionner. Aussi, ensemble, défendons la haute, la grande, la propriété démocratique, celle des générations futures, car c'est bien pour elles, forêt publique et forêt privée, et sur toutes les travées de notre Haute Assemblée, que nous travaillons. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à mon tour, me réjouir de l'examen de ce projet de loi d'orientation sur la forêt. Son importance et son urgence ont déjà été rappelées. Elles tiennent aux conséquences de l'ouragan de décembre 1999, mais plus encore à l'attention que nous devons porter à l'amélioration de toutes les activités de la filière bois et de sa compétitivité.
A mes yeux, l'événement le plus remarquable réside cependant ailleurs, dans la reconnaissance affirmée de la multifonctionnalité de la forêt : à côté du rôle économique de la production-vente de bois et des activités qui en découlent, le projet de loi affirme que les fonctions sociales et environnementales doivent être intégrées dans une gestion de développement durable. Certes, cela fait des années que les discours forestiers sont infiltrés de références sociétales et environnementales. Mais que la loi couronne cette évolution par l'inscription du principe de gestion durable me fait penser qu'une page est tournée et qu'une étape nouvelle est entamée.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'approuve globalement le projet de loi qui nous est soumis.
M. René-Pierre Signé. Belles paroles !
M. Philippe Richert. Je n'ai pas tout à fait terminé mon propos !
La philosophie de ce texte, les orientations qu'il trace, les objectifs qu'il affiche et l'ambition pour la filière bois qu'il veut servir méritent que nous le soutenions.
Néanmoins, (Ah ! sur les travées socialistes) ... Eh oui, je devais y venir.
Néanmoins, disais-je, entre ces perspectives volontaristes et les mesures proposées, je me vois obligé de relever des insuffisances et d'exprimer quelques doutes.
Tout d'abord, je constate, avec nos rapporteurs, la nécessité de renforcer considérablement le volet financier et plus particulièrement le soutien à l'investissement forestier. Il est avéré que la réorganisation de la forêt privée doit être une priorité. Il est tout aussi patent - la tempête l'a encore montré - que l'investissement forestier est aléatoire...
M. Jean-Louis Carrère. Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Même la vie est aléatoire !
M. Philippe Richert. ... et que sa rentabilité est sans commune mesure avec le placement boursier. C'est pourquoi nous devons prévoir dans ce texte les modalités permettant de dynamiser les moyens en direction de l'investissement forestier. La proposition d'un « fonds d'épargne forêt » de M. le rapporteur pour avis présente tous les avantages recherchés. Il convient de la conjuguer avec les autres mesures de réorganisation fiscale préconisées pour que toute la filière sylvicole puisse être rénovée et optimisée.
Ma deuxième observation se rapporte à la gestion durable, qui intègre les notions de rentabilité économique mais aussi la dimension sociale et environnementale. Incontestablement, ces rôles dits secondaires de la forêt méritent d'être mieux pris en compte.
D'ailleurs, lorsqu'on discute avec nos concitoyens, on se rend compte qu'ils sont souvent d'avis que les rôles socio-environnementaux devraient primer par rapport au rôle économique. Nous devrions donc faire des efforts pour que ces rôles socio-environnementaux soient mieux pris en compte.
Comme cela a été rappelé tout à l'heure, l'un des grands enjeux des décennies à venir est la question de l'effet de serre. Nous savons le rôle éminent joué par la forêt comme capteur des gaz qui favorisent le réchauffement de la planète. Il s'agit donc d'un sujet essentiel et grave, qui mérite bien plus qu'un paragraphe annexe à un rapport !
Un autre aspect, sanitaire cette fois, des bienfaits de la forêt est celui de la purification de l'air. Le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat, M. Philippe François, avait déjà été rapporteur du projet de loi sur l'air, déposé par Mme Corinne Lepage. Depuis le vote de ce texte, il est établi que les particules fines de cinq à dix microns constituent uen source de pollution de l'air difficile à maîtriser et pouvant intervenir dans l'apparition d'affections ou dans leur aggravation. Or les forêts constituent un filtre qui amène ces poussières à se déposer, à se faire piéger. Lorsque l'on sait que la pollution atmosphérique est mise en cause dans plusieurs dizaines de milliers de décès annuels précoces ou dans des affections multiples, comme l'asthme ou la bronchiolite des nourrissons, nous mesurons le rôle bénéfique primordial que peut jouer la forêt. Et que dire de la protection contre les risques naturels, les avalanches, l'érosion, les inondations, et bien d'autres ?
Monsieur le ministre, l'examen en détail des propositions gouvernementales fait ressortir que les mesures prévues pour tenir compte de la multifonctionnalité de la forêt sont particulièrement réduites.
Le rapporteur, M. Philippe François, l'a d'ailleurs fort bien indiqué : « La volonté d'encourager la multifonctionnalité de la forêt, à travers son rôle social et environnemental, est affirmée. » Cependant, le projet de loi n'en tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Il est donc indispensable que les moyens adéquats soient dégagés et budgétés.
Qu'en est-il des aides nouvelles pour compenser et asseoir les orientations ?
Les propriétaires privés voient les aides conditionnées par des impératifs de gestion durable, ce qui permet d'espérer un infléchissement des pratiques ; mais cette mesure génère dans le même temps un cortège de formalités administratives complexes et décourageantes, qu'il faudrait essayer de simplifier pour qu'elles soient réellement efficaces.
Pour les forêts domaniales, je le rappelle, monsieur le ministre, en Alsace, les forêts publiques représentent 80 % des surfaces boisées, soit presque l'inverse de la proportion en moyenne nationale, qui est de 30 % contre 70 %. Je ne discerne, là encore, que très difficilement l'abondement des moyens nécessaires pour mieux prendre en compte cette multifonctionnalité.
Les routes forestières, par exemple, depuis des décennies se dégradent à un rythme alarmant. Bientôt, des efforts de générations d'aménageurs, cynégétiques et forestiers seront anéantis par la faute de ceux qui n'ont parlé que chiffre d'affaires et bénéfices, oubliant les autres fonctions, comme l'accueil du public, notamment des citadins, ou la biodiversité. Je regrette, là encore, les réelles carences du texte en termes de moyens.
Indiscutablement, il faut simplifier les procédures pour le privé, me semble-t-il, et mettre en place, pour le public, les moyens financiers indispensables pour permettre aux forêts d'assurer les missions de multifonctionnalité que nous voulons tous leur reconnaître.
Pour terminer, je dirai un mot sur la biodiversité elle-même.
Le patrimoine forestier a une valeur écologique inestimable. La richesse de ce milieu est d'autant plus grande qu'il abrite des espèces rares ou endémiques et des écosystèmes complexes. L'uniformité, dans ce cas de figure, est réductrice. L'ouragan de décembre 1999 ayant dévasté des milliers d'hectares forestiers, je formule le voeu non seulement que l'on s'oriente, pour la reforestation, vers des méthodes plus douces, moins artificielles, avec des espèces locales adaptées au milieu,...
M. Yann Gaillard. Très bien !
M. Philippe Richert. ... mais également que l'on prenne les mesures pour reconstituer des écosystèmes favorables à des espèces animales ou végétales ayant fortement régressé, voire disparu du fait des modifications profondes que leurs milieux de vie avaient subies.
Je prends un exemple particulier qui intéresse notamment le grand tétras, le grand coq de bruyère. Actuellement, il n'y a plus que quelques coqs dans les Vosges alsaciennes.
M. Gérard Braun. Et lorraines !
M. Philippe Richert. Il y en a un peu plus en Lorraine, cher ami !
Or la tempête a complètement modifié le milieu et il serait tout à fait possible de recréer les écosystèmes favorables au coq de bruyère, comme il y en avait au début du xxe siècle. Je souhaite, monsieur le ministre, que, sur ce sujet, vous puissiez nous apporter des assurances qui seraient de nature à donner un signe tangible pour que cette reconquête environnementale favorable à la biodiversité puisse se réaliser. (M. Carrère applaudit.)
Voilà, monsieur le ministre, en vous réitérant ma satisfaction pour l'esprit général qui oriente ce projet de loi, quelques suggestions qui, à mon sens, mériteraient d'être approfondies.
Avec les propositions des rapporteurs des commissions, que je tiens à féliciter, des améliorations sensibles pourront être apportées pour que ce projet de loi d'orientation puisse servir efficacement de cadre directeur pour des forêts durables auxquelles tous nos concitoyens sont attachés et qui font partie des merveilles de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE - M. Pastor applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous abordons aujourd'hui était très attendu. Selon moi, il l'était pour deux raisons principales.
En premier lieu, on en parle depuis plusieurs années. M. Philippe Vasseur, l'un de vos prédécesseurs, avait d'ailleurs décidé d'intégrer les dispositions relatives à la forêt dans son projet de loi d'orientation agricole. Les majorités changeant, vous avez décidé, monsieur le ministre, de retirer ce volet forestier du projet de loi d'orientation agricole pour en faire un projet de loi indépendant. Pourquoi pas ? Je pense même que ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Mais, par voie de conséquence, nous avons, vous avez perdu du temps. La loi d'orientation agricole ayant été adoptée en juin 1999, il aurait été souhaitable qu'il en fût de même du texte sur la forêt.
En second lieu, monsieur le ministre, c'est en août 1998 que M. Bianco remettait à M. le Premier ministre son rapport La forêt, une chance pour la France.
Mais, le temps passant, les attentes se sont multipliées, et à cet égard le présent projet de loi est plutôt décevant. Surtout, il n'a d'orientation pratiquement plus que le titre. En effet, s'il aborde de nombreuses questions, il laisse de côté les plus importantes : celles qui concernent le financement, la fiscalité et l'encouragement de l'investissement forestier.
Or c'est maintenant que nous devons légiférer afin de garantir l'avenir de notre patrimoine forestier et de le préparer à de nombreux enjeux.
Quelle est, en effet, la situation actuelle de la forêt française ? Nous pourrions dire qu'elle est à la croisée des chemins : elle doit être mieux gérée afin de développer pleinement toutes ses potentialités.
Nous connaissons tous les grands traits de notre forêt et nos rapporteurs, MM. Philippe François et Roland du Luart, nous les ont brillamment rappelés tout à l'heure.
Pour ma part, j'en retiens plus particulièrement quelques-uns, notamment ceux qui sont à l'origine d'un certain nombre d'amendements que je présenterai au nom de ma famille politique.
Avec une superficie de près de 16 millions d'hectares, la forêt française est la troisième d'Europe, après celles de la Suède et de la Finlande. Elle est en pleine expansion puisqu'elle ne couvrait que 10 millions d'hectares en 1990. Elle se caractérise, comme plusieurs de nos collègues y ont insisté, par la forte présence de la forêt privée, qui occupe les deux tiers de notre forêt nationale. Elle constitue un secteur économique important : la sylviculture, l'exploitation forestière et les industries de transformation génèrent, en effet, plus de 550 000 emplois dans quelque 40 000 entreprises, pour un chiffre d'affaires proche des 500 milliards de francs. En outre, il est indispensable de souligner que ces entreprises se situent essentiellement en milieu rural, ce qui confère à ce secteur économique un rôle déterminant dans l'aménagement et le développement du territoire.
Tous, nous connaissons les enjeux d'une forêt dynamique et bien gérée qui sont autant d'atouts écologiques et économiques.
Premièrement, la forêt contribue aux grands équilibres naturels en termes de diversité de la faune et de la flore ; elle permet ainsi de respecter les engagements internationaux de la France au regard de la préservation de la biodiversité.
Deuxièmement, la forêt protège les sols contre l'érosion, les avalanches ou les glissements de terrains, sujet malheureusement d'actualité brûlante en raison des nombreuses intempéries que nous avons connues récemment.
Troisièmement, la forêt favorise la régularité du régime des eaux et limite les risques d'inondation.
Quatrièmement, la forêt joue un rôle important en fixant le gaz carbonique et en participant à la lutte contre l'effet de serre. C'est d'ailleurs en partie sur ce point de la prise en considération des forêts que les négociations de la conférence de La Haye ont achoppé. Nous ne pouvons qu'espérer leur reprise avec des perspectives plus positives.
Or la forêt française, en dépit d'un fort potentiel, apparaît aujourd'hui comme sous-exploitée : d'une part, la récolte annuelle est inférieure à la production nationale et les experts estiment qu'elle pourrait être augmentée de 6 millions de mètres cubes d'ici à dix ans ; d'autre part, la forêt française est confrontée à de nouvelles exigences, à savoir la mondialisation des échanges, les préoccupations environnementales, la concurrence d'autres matériaux que le bois, le développement des fonctions non marchandes de la forêt telles que le tourisme, la chasse, l'ouverture au public, l'entretien des paysages, etc.
Face à cette nécessaire réforme de notre code forestier, ce projet de loi est-il à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour la forêt française ? Permettez-moi d'en douter, monsieur le ministre, même si plusieurs dispositions de votre texte sont intéressantes.
Je noterai d'ailleurs que vous avez repris plusieurs idées contenues dans le projet de loi de Philippe Vasseur, tels la modernisation de l'ONF, la clarification de la politique concernant la propriété privée, le renforcement de la qualification professionnelle ou l'extension du mécanisme de la dation à la forêt.
Schématiquement, votre projet, monsieur le ministre, vise à mettre en place une gestion durable et multifonctionnelle des forêts ; nous partageons tout à fait cet objectif. Cependant, ce texte ne permet pas de l'atteindre, et il est bien loin des attentes des professionnels en ce qu'il répond plus à une logique d'organisation administrative qu'à une logique économique.
A ce titre, je donnerai plusieurs exemples des manques de ce texte.
Tout d'abord, ce projet de loi renvoie à une cinquantaine de décrets sur lesquels le Parlement n'a aucune maîtrise. Je rappellerai, monsieur le ministre, que, voilà trois ou quatre mois tout au plus, le vice-président du Conseil d'Etat lui-même regrettait que Gouvernement et Parlement n'assument pas pleinement leurs responsabilités et renvoient trop souvent leurs textes à des décrets en Conseil d'Etat.
Par ailleurs, plusieurs articles de ce projet de loi sont de simples déclarations de principe qui n'entraînent aucune mesure concrète.
En outre, les leçons de la tempête de décembre 1999 ne sont pas toutes tirées. Tout à l'heure, Xavier Pintat insistera sur ce point, lui dont la région, l'Aquitaine, a été particulièrement touchée par cette catastrophe.
Ensuite, aucune réponse - en tout cas aucune réponse suffisante - n'est donnée au problème du morcellement de la forêt française, et la question n'est pas posée de savoir dans quelles conditions il faudrait envisager un remembrement ou des échanges multilatéraux de parcelles.
De plus, il n'y a pas de stratégie pour la filière bois - je sais bien que cela a été traité par ailleurs, mais il est dommage que vous n'ayez pas abordé de nouveau ce point, monsieur le ministre - et aucun encouragement n'est apporté à l'industrie de transformation.
J'ajoute que les chartes de territoire forestier risquent d'être un carcan administratif, à l'instar de ce que sont les contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, et donc de susciter insuffisamment d'intérêt.
Je regrette aussi qu'il n'y ait aucune mesure financière particulière pour accompagner les communes dans leur politique de développement du tourisme forestier : les communes ont besoin d'être aidées pour aménager les forêts au tourisme, notamment par la construction de parkings, l'entretien, la percée de chemins et de sentiers de randonnée. Je sais que vous n'êtes pas le seul à avoir votre mot à dire, monsieur le ministre, et que Bercy est toujours derrière vous !
Enfin - et c'est le reproche le plus important que nous formulerons à l'encontre de ce projet de loi - ce texte ne contient aucune mesure de financement à la hauteur des enjeux.
Premièrement, en matière fiscale, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale est très timoré. Sur ce point, M. Roland du Luart, rapporteur de la commission des finances, a suggéré plusieurs amendements pertinents auxquels nous apporterons notre soutien.
Deuxièmement, le texte ne comporte pas de mesures précises pour favoriser l'investissement forestier : l'amendement sur le plan d'épargne forestier, présenté à l'Assemblée nationale, a été retiré au profit d'un article sibyllin sans véritable portée. Je propose de relancer l'idée ; la commission des finances a d'ailleurs prévu un dispositif un peu différent. J'espère, monsieur le ministre, que vous retiendrez l'une ou l'autre des propositions que nous vous ferons au cours de ce débat.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis. Il fera la synthèse !
M. Ladislas Poniatowski. Troisièmement, ce texte n'est accompagné d'aucune mesure financière.
Cela m'amène à poser deux interrogations : tout d'abord, quel rôle entendez-vous réserver à l'Etat dans la politique pour la forêt ? Ensuite, qu'avez-vous fait, monsieur le ministre, des propositions du rapport Bianco ? Certes, vous en avez repris un certain nombre, mais vous en avez laissé trop dans les tiroirs. La deuxième de ses principales recommandations est pourtant très explicite : « Aucune recommandation ne sera efficace sans un investissement supplémentaire de l'ordre de 1 milliard par an ». Pour 2001, c'est à peine la moitié qui a été prévue dans le budget. Autrement dit, nous démarrons sur de mauvais rails.
Le caractère multifonctionnel que vous donnez volontiers à la forêt signifie que les missions d'intérêt général que peut remplir la forêt doivent être financées par l'Etat. Or, l'engagement de ce dernier est très limité et, globalement, la France accumule du retard en consacrant à la forêt de quatre à dix fois moins d'argent public que ses voisins européens.
En conclusion, si, au-delà du drame des tempêtes de décembre 1999, nous avons, dans l'ensemble, une forêt bien portante, c'est maintenant qu'il faut légiférer pour anticiper les échéances à venir : les textes se sont accumulés depuis Colbert, le code forestier est l'un de nos plus anciens codes, les enjeux économiques, sociaux et culturels évoluent.
Mais, en ne reprenant que quelques recommandations du rapport Bianco, vous nous proposez, monsieur le ministre, un projet de loi lacunaire qui ne permet pas de concilier vraiment économie et écologie.
C'est pourquoi le Sénat entend améliorer substantiellement ce texte. Ainsi, la commission des affaires économiques, par ses amendements, tentera-t-elle de remédier à deux insuffisances majeures du projet de loi : des contraintes administratives supplémentaires et des moyens financiers insuffisants. Quant à la commission des finances, elle proposera d'améliorer la fiscalité sur la forêt et de mettre en place un dispositif opérationnel afin d'encourager l'investissement forestier.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, j'ai déposé un certain nombre d'amendements complémentaires qui tiennent compte des situations locales et régionales en matière de gestion de nos forêts ou de développement de la filière bois. J'espère, monsieur le ministre, que vous nous entendrez lors de leur examen. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France occupe la troisième place de producteur européen en matière forestière. Toutefois, tous les moyens ne sont pas réunis pour que la filière forêt bois soit aussi compétitive que l'on serait en mesure de l'espérer. Pourtant, l'Hexagone bénéficie de nombreux atouts au niveau tant des sols que des conditions climatiques.
Tout d'abord, malgré une réelle extension, l'exploitation forestière reste morcelée. La plupart des unités sont inférieures à un hectare. Par ailleurs, on est en droit de s'interroger sur le repli des investisseurs institutionnels qui, actuellement, mettent en vente leurs parcelles. Ainsi, en raison de leur anticipation d'une mauvaise rentabilité des investissements sylvicoles, ils fragilisent des positions déjà mal assurées. Alors qu'ils devraient être des relais privilégiés et des éléments moteurs des dispositions examinées, ils donnent au contraire le mauvais exemple.
Comme les autres entreprises, celles du bois désirent entrer dans le xxie siècle avec les atouts nécessaires pour envisager sereinement l'avenir. Un cadre législatif s'imposait. L'évolution du contexte socio-économique, la mondialisation des échanges et la concurrence accrue nécessitaient des dispositions prenant en compte un développement durable de la forêt.
« L'île verte » désigne la Haute-Saône. C'est dire combien la forêt tient sa place dans ce département, qui s'inscrit dans une région répondant au même qualificatif - elle n'est d'ailleurs pas la seule sur le territoire national. Néanmoins, moins de 2 % des propriétaires forestiers vivent des revenus de cette activité.
Il y a là un réel constat d'échec. Lors de nos échanges au sein de la commission des affaires économiques et du Plan, notre excellent rapporteur Philippe François, comme l'orateur précédent a mentionné que la France consacrait de quatre à dix fois moins de crédits publics à la forêt que ses partenaires européens, alors que notre pays se situe juste derrière la Norvège et la Finlande pour la production. Le propos est non pas de faire de cette activité un secteur assisté, mais d'offrir les moyens d'un décollage qui déboucherait sur une économie équilibrée.
Les acteurs concernés souhaitent que nos forêts soient mieux gérées, mieux exploitées, mieux protégées dans un cadre assurant une multifonctionnalité économique, sociale et biologique. Certains diront que c'est l'alliance impossible de l'eau et du feu ; néanmoins, cette donnée est inscrite dans notre patrimoine ; elle mérite toute notre attention, car elle est l'un des éléments fondamentaux de la vie à venir.
L'écueil principal réside dans le morcellement des unités d'exploitation. Les trois quarts d'une superficie nationale de plantation de 15 millions d'hectares sont entre les mains de propriétaires privés détenant de faibles unités.
L'ensemble des structures professionnelles appelle à un regroupement technique et économique des propriétaires forestiers afin d'organiser de façon rationnelle leur action de gestion et de commercialisation. A cet égard, le projet de loi présenté n'encourage pas suffisamment cet impératif.
La photographie actuelle est pourtant préoccupante. Marquée par une sous-exploitation chronique, la forêt française vieillit : en vingt ans, son rendement a perdu dix points.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est notamment la conséquence des accords de la conférence d'Helsinki, voilà près de dix ans. L'Etat s'est engagé à mettre en oeuvre une gestion durable dans le cadre d'une politique forestière reposant sur une véritable stratégie. Or le budget forestier représente moins de 1 % du budget de l'agriculture. Le rapport Bianco considérait que, en fonction des transferts sociaux, on arrivait pour ces deux types d'activités à un rapport de un pour quarante. Ce même document chiffrait l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une stratégie forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an, et encore serions-nous à un chiffre encore inférieur à celui des principaux concurrents.
Une enveloppe de la moitié de ces crédits suffirait pour permettre de lancer valablement les dispositions proposées. Or il est à craindre que, faute de moyens financiers, ces dispositions ne restent lettres mortes ; les déceptions seront à la hauteur des attentes.
Les derniers lourds aléas climatiques ont mis en évidence l'indigence des moyens consacrés par les pouvoirs publics à la politique forestière. La brutalité des événements a été un révélateur.
A cet égard, il faut souligner que, un an après, certaines aides directes n'étaient toujours pas parvenues aux destinataires. Au coût des dégâts s'ajoute l'effondrement des cours, d'où une double pénalité.
Certaines organisations coopératives ont préfinancé les opérations de bûcheronnage, de débardage et de transport, afin de permettre aux sylviculteurs de faire face plus facilement aux graves difficultés d'exploitation.
La faible rentabilité actuelle des exploitations ne permet qu'à un très faible nombre d'entre elles de s'assurer contre ce type de dommage. Mais il semble, d'une façon générale, que les mécanismes d'indemnisation seraient à reconsidérer dans leur temps de réponse.
Au-delà de la gestion de crise, on en revient à la nécessité de favoriser une politique globale équilibrée répondant à un programme dont les étapes bien définies autoriseraient des évaluations intermédiaires et, ainsi, des corrections.
Or ce contrôle n'est pas inutile. En effet, l'utilisation du bois dans les constructions, par exemple, que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie avait favorisée, reste en suspens, faute de décret d'application. Les avantages du bois sont pourtant nombreux : peu consommateur d'énergie, grandes qualités de régulation thermique, hygrométrique, acoustique et, par ailleurs, d'une grande fiabilité, notamment avec les composites, proche du béton. Il serait donc urgent de concrétiser les possibilités inscrites.
Tout comme le développement du bois dans son utilisation énergétique reste absent d'une démarche qui cherche à viser un objectif d'indépendance, comment ne pas considérer l'avantage des énergies renouvelables face, par exemple, aux contraintes liées au fuel importé ? Outre le coût, les incidences sur l'atmosphère sont considérables par le rejet massif de gaz carbonique de ce dernier carburant.
L'interface traditionnelle agriculture-forêt, où l'un des termes prenait le pas sur l'autre, est dépassée. Une autre dimension est apparue avec la donnée écologique. La forêt est à la fois un enjeu économique et un espace d'usage. La mise en oeuvre de la directive communautaire « Habitat » - réseau Natura 2000 - a confronté le monde forestier à la politique de l'environnement.
Par ailleurs, la forêt publique cohabite-t-elle avec la forêt privée ? Toute la difficulté sera d'articuler ces deux termes à bien des égards, et plus particulièrement en matière de droits et de devoirs. Afin de mettre en place une véritable synergie, il serait judicieux de multiplier les partenariats et les initiatives contractuelles. Ainsi pourraient évoluer harmonieusement les relations des industriels en aval, des collectivités territoriales et des communes forestières, de l'Etat, au travers de ses structures spécifiques en amont, et des associations de défense de l'environnement. Peut-être le texte n'aborde-t-il pas suffisamment cet aspect des choses.
L'essentiel du domaine forestier étant aux mains de propriétaires privés, l'objectif prioritaire est d'en dynamiser la gestion. Un réel statut de l'exploitation forestière assurera une meilleure professionnalisation, facteur de cristallisation d'investissements.
Parallèlement, il convient d'encourager le développement de ces entreprises en les faisant bénéficier d'un arsenal de dispositions fiscales rendant accessible une rentabilité qui fait défaut aujourd'hui. Il me semble, en effet, plus positif d'encourager par des incitations laissant aux intervenants le choix de l'utilisation des moyens épargnés que de créer des obligations comme la contribution volontaire obligatoire, qui est contestée.
Par ailleurs, le rapport Bianco estime que « le secteur forêt-bois est un formidable gisement d'emplois à exploiter » : 500 000 emplois dans toute la filière, soit plus que dans l'automobile, est-il indiqué dans ce même document. J'ajouterai que le milieu rural sera le premier à bénéficier des effets de la mise en valeur des activités liées à l'ensemble de la filière. C'est une aubaine qu'il ne faut pas laisser échapper.
En effet, tout concourt à un aménagement durable du territoire : d'abord, le sol est utilisé pour une production s'inscrivant dans une complémentarité avec d'autres types d'exploitations traditionnelles qui assurent un entretien de l'espace ; ensuite, le produit est multifonctionnel et respectueux de l'environnement ; enfin, l'activité est répartie de façon équilibrée dans l'ensemble des régions.
La compétitivité de ce secteur passera par une organisation des acteurs depuis l'échelon local jusqu'aux structures plus importantes et, surtout, économiquement fiables. Si les aides publiques sont indispensables, l'intervention d'investisseurs privés ne l'est pas moins. Elle se manifestera si des incitations significatives sont mises en place.
En suivant les propositions de la commission des affaires économiques et du Plan, nous arriverons à un texte réalisant, par rapport au projet initial, un effort de simplification rédactionnel et de concision sur les principes fondamentaux de la politique forestière à mettre en oeuvre, une meilleure protection et organisation des propriétaires forestiers et, enfin, une limitation des contraintes et des sanctions prévues.
Il me semble que cette gestion durable du domaine forestier français est le terrain naturel de réconciliation de l'économie et de l'écologie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce qu'elle fixe des grandes lignes directrices, parce qu'elle porte en elle une vision à long terme où se mêlent incitations et projets, parce qu'elle suscite aussi des espoirs, autrement dit parce qu'elle est révélatrice de choix politiques qui engagent l'avenir du champ qu'elle balise, une loi d'orientation est toujours très attendue.
Celle-ci l'est d'autant plus que nos forêts sont encore meurtries et portent toujours les marques des ravages infligés par les tempêtes de l'hiver dernier. Deux jours, au cours desquels des vents soufflant entre 150 et 165 kilomètres à l'heure, avec des rafales atteignant les 200 kilomètres à l'heure, auront suffi pour dévaster quelque cinq cent mille hectares de nos forêts. De mémoire d'historien, il faut remonter au xviie siècle pour trouver trace, dans les archives, de tourmentes comparables à celles qui se sont déchaînées les 26 et 27 décembre 1999.
Bien sûr, les dégâts sont considérables : arbres couchés, déracinés, troncs cassés, un total estimé à environ 44 millions de mètres cubes de chablis, uniquement en ce qui concerne les forêts publiques.
Bien sûr, toute la filière économique forestière est touchée et s'en ressent encore aujourd'hui.
Bien sûr, de nombreux petits propriétaires rencontrent des difficultés pour nettoyer et dégager les arbres abattus.
L'Etat a mis en oeuvre un plan d'urgence important du point de vue financier, qui a permis d'atténuer les effets de la tempête.
Sans négliger les soucis réels, les conséquences des tempêtes doivent aussi être l'occasion de mieux débattre de ce projet de loi, tant elles ont aussi révélé des problèmes de fond. Il ne faut pas qu'elles soient un prétexte pour revoir à la baisse les légitimes ambitions du rapport Bianco.
Au cours des opérations de déblaiement et de dégagement des forêts, quarante-huit personnes ont déjà perdu la vie et mille trois cents personnes ont été blessées. C'est beaucoup, beaucoup trop pour invoquer la seule fatalité de l'accident ! Ces morts révèlent combien le métier de forestier est dangereux.
En 1991, une étude du Bureau international du travail sur les conditions de sécurité du travail en milieu forestier plaçait en tête de liste des professions les plus dangereuses les métiers de bûcheron et d'ouvrier forestier.
Sur une vie professionnelle de quarante ans, un bûcheron sur trente décède d'un accident de travail. Le taux de fréquence et la gravité des accidents sont, par ailleurs, de deux à trois fois plus élevés que la moyenne du secteur agricole.
Certes, les métiers forestiers ont toujours été durs. Cependant, comme dans beaucoup d'autres secteurs d'activité, les conditions de travail de l'ensemble de la profession se sont nettement détériorées depuis une vingtaine d'années.
De plus en plus soumis au marché mondial, face à une forte pression concurrentielle, le secteur des produits forestiers a cherché à réduire de manière drastique ses coûts. Ici comme ailleurs, les moyens employés restent les mêmes : réduction de l'emploi - moins 3 500 emplois de 1973 à 1997 en sylviculture et dans les exploitations forestières - accroissement de la productivité et de l'intensité du travail, développement de la sous-traitance.
En vingt ans, le secteur des travaux d'exploitation forestière a connu une vague de concentrations sans précédent, au cours de laquelle le nombre des petites entreprises de six salariés ou plus aurait diminué de 45 %, tandis qu'à l'autre extrémité se développait la sous-traitance à l'égard de petits entrepreneurs devenus, de fait, indépendants.
Multiplication des formes de précarisation, accroissement de l'insécurité de l'emploi, non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, rémunération à la tâche ou aux rendements, recours au travail clandestin, ce sont autant d'indices de cette forte détérioration des conditions de travail, résultat de la pression concurrentielle et, en réponse, de la stratégie d'externalisation des activités forestières au profit de petits entrepreneurs, souvent individuels, entamée il y a près de vingt ans.
Inégalités devant la mort, inégalités des conditions de travail, inégalités salariales... autant de réalités sociales qui chargent de sens la rhétorique de « la fracture sociale ».
Sur toutes ces questions, nos collègues députés ont pu améliorer le texte de loi discuté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le texte est cependant encore perfectible et nous devons poursuivre le travail entamé, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du caractère dangereux des professions forestières et les dispositions auxquelles cette même reconnaissance devrait aboutir, que ce soit au travers des conventions collectives ou par la force de la loi.
L'amélioration des conditions de travail, la formation et l'élévation de la qualification sont autant de facteurs qui contribuent à la diminution des risques d'accident. Elles sont aussi des éléments de la compétitivité des firmes, que le projet de loi d'orientation dont nous examinons aujourd'hui le contenu semble vouloir privilégier.
Il est anormal de voir des ouvriers forestiers travailler seuls, souvent avec du matériel obsolète ou inadapté. L'utilisation d'appareils thermiques à vapeurs cancérigènes doit immédiatement être interdite, des carburants beaucoup moins toxiques existant. A l'ONF, un ouvrier forestier s'occupe en moyenne de mille hectares de forêt et perçoit 7 200 francs par mois avec vingt-deux ans d'ancienneté. Ces deux chiffres montrent l'ampleur et l'urgence des mesures à prendre.
Plus précisément, le présent projet de loi est dominé par deux principales préoccupations : d'une part, inscrire le droit français dans la problématique du droit international de l'environnement en voie de constitution et, d'autre part, valoriser le potentiel économique de la forêt.
La première de ces préoccupations, si elle ne vise pas simplement à s'inscrire opportunément dans l'air du temps, est honorable.
Parce qu'elle est présupposée jouer de multiples rôles en matière de préservation de l'environnement - lutte contre l'effet de serre, régulation du régime des eaux, avec notamment un effet modérateur sur les crues, préservation des sols contre l'érosion, réduction des risques d'avalanches et des glissements de terrains, fixation des dunes le long des côtes - la forêt doit être protégée et préservée. Ainsi, les récentes inondations en Bretagne mettent en évidence l'urgence à encourager les plantations linéaires - talus, haies - et les plantations en bordure des cours d'eau parmi les autres mesures nécessaires.
Dérivée du concept de développement durable et issue du sommet européen d'Helsinki en juin 1993, la notion de gestion durable qui scande, de manière presque incantatoire, le texte de projet de loi, vise l'application même de ce principe de préservation. Elle inclut notamment les missions d'intérêt général et de service public que la forêt a pour vocation d'assumer.
La seconde de ces préoccupations, si elle rend compte d'un réel volontarisme politique, est essentielle pour la dynamique économique d'ensemble.
Même si l'on estime à environ 200 000 le nombre d'emplois perdus depuis le début des années soixante-dix, le secteur forêt-bois représente encore aujourd'hui 500 000 emplois, dont plus de la moitié, 260 000, sont des emplois industriels.
En favorisant le développement de la trifonctionnalité de la forêt, à savoir sa fonction économique de production et de transformation du bois qu'assume la filière industrielle, sa fonction sociale - accueil du public, loisirs, sports - et sa fonction environnementale - préservation et développement du patrimoine écologique - il est possible de créer 100 000 emplois, objectif que se fixait Jean-Louis Bianco dans son rapport La forêt, une chance pour la France.
Il soulignait cependant qu'un tel objectif supposait « des financements, une stratégie et des outils de mise en oeuvre ». Et il poursuivait : « La France consacre à la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que des pays européens comparables. Aucune recommandation de ce rapport ne sera efficace sans un investissement supplémentaire de 1 milliard de francs par an, qui nous laissera encore loin derrière des pays comme l'Allemagne ou la Suisse. »
Afin de valoriser le potentiel économique de la forêt, le texte du projet de loi prévoit un certain nombre de mesures pour y remédier. Je rappellerai les cinq principales d'entre elles.
La première mesure concerne la mise en place de chartes de territoire forestier qui, en encourageant le regroupement des propriétaires, permettent de lutter contre le morcellement de la forêt. Comparées à celles des grands producteurs européens de bois et papier, les surfaces boisées détenues par les firmes françaises de transformation sont très faibles : de l'ordre de 50 000 hectares, contre 5,7 millions d'hectares en Suède et 1,8 million d'hectares en Finlande.
Notre forêt souffre de cet éclatement puisque environ 4 millions de petits propriétaires possèdent chacun moins de 5 hectares. A titre d'exemple, les 563 000 hectares de notre forêt limousine sont morcelés en quelque 150 000 petits propriétaires.
Il est difficle d'exploiter de manière économiquement cohérente une telle dispersion de l'offre. A cet égard, le conseil général du Limousin faisait remarquer que « de nombreux propriétaires, toujours plus urbains et de plus en plus éloignés de leur propriété, se désintéressent progressivement de leur forêt. Ils y investissent de moins en moins, pratiquant aux mieux une sylviculture laxiste ».
La deuxième mesure a trait à la modernisation du mode de ventes de l'ONF, notamment les ventes de gré à gré et les contrats d'approvisionnements pluriannuels, qui, en assurant des débouchés plus réguliers aux professionnels et en favorisant le regroupement des scieries, est aussi un facteur d'une meilleure organisation de la production, donc a priori de la compétitivité.
La troisième mesure est relative au principe de certification du bois : un label de qualité, voire un « écolabel », devrait permettre d'accroître les débouchés de nos forêts. Encore faut-il que cette disposition d'ordre commercial ne se traduise pas par une hausse des prix, qui serait contradictoire avec l'effet recherché. Certaines professions, la tonnellerie, par exemple, le redoutent. Restons vigilants, d'autant que la visée commerciale doit être assortie d'un réel effort de valorisation du potentiel productif et économique pour avoir une véritable efficacité en matière de concurrence.
La quatrième mesure concerne un assortiment de dispositions d'incitation fiscale, qui devraient permettre de favoriser l'investissement forestier.
Enfin, cinquièmement, à ces mesures, s'ajoute le principe de la création d'un dispositif financier destiné également à favoriser l'investissement. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
Ces mesures suffiront-elles à impulser une véritable dynamique de l'emploi tout au long d'une filière riche en gisements d'emploi ?
Au niveau des activités les plus en amont, une étude du service des statistiques industrielles du secrétariat d'Etat à l'industrie, le SESSI, notait : « Les enjeux actuels de la sylviculture et de l'exploitation forestière forment un tronc commun en amont, dont la nature, le fonctionnement et la production sont caractéristiques d'une activité agricole plutôt qu'industrielle, mais dont les enjeux actuels peuvent s'analyser en termes d'industrialisation. »
Toute industrialisation, par les effets d'entraînement qu'elle implique dans la filière et sur les autres secteurs d'activité est potentiellement génératrice d'emplois. Elle peut se réaliser tout en respectant l'environnement, selon le principe de la gestion durable.
Depuis quelques années, en effet, il semble bien que les orientations données par les Etats lors de conférences internationales sur l'environnement, à Rio en 1992, à Kyoto en 1997, aient été jugées suffisamment crédibles par les firmes industrielles pour que celles-ci intègrent les normes environnementales dans leur compétitivité. Une part de plus en plus importante de l'investissement dans l'industrie papetière est ainsi consacrée aux équipements visant à réduire les pollutions : traitements des eaux rejetées, des odeurs, et autres nuisances.
Espérons que le revirement actuel du président Bush ne se traduira pas par un relâchement des efforts de l'industrie visant à intégrer les dommages causés à l'environnement dans ses coûts.
Notre industrie papetière est actuellement dominée par de grandes firmes qui réalisent à elle seules plus de 40 % du chiffre d'affaires et plus des deux tiers des exportations. Malgré le redressement du taux de couverture, le secteur est marqué par un déficit commercial pérenne.
Au cours des années quatre-vingt-dix, notre industrie papetière, faiblement intégrée, s'approvisionnant en pâte à l'extérieur, a subi de plein fouet les dérèglements monétaires.
Proie des producteurs nord-américains, le marché européen est vite devenu le terrain d'affrontement des grands groupes papetiers : dévaluation compétitive, rationalisation de la production, concentration du capital, course à la taille critique, avec, à la clé, des milliers de suppressions d'emploi.
En l'absence de coordination monétaire internationale et de volonté politique européenne, les prix, désormais soumis aux fluctuations incontrôlées de l'offre et de la demande, auxquelles s'ajoutent les mouvements déréglés du dollar, fragilisent fortement les productions non intégrées de pâte et de papier-carton, dont les résultats fluctuent selon les mouvements d'humeur du marché.
La zone euro ne réglera pas les problèmes si le prix de la pâte demeure fixé en dollars sur le marché mondial et non en euros, l'euro assumant véritablement le rôle de monnaie commune pour la facturation des transactions internationales.
Après avoir abordé les dimensions économiques, j'en viens aux fonctions sociales et environnementales, autrement dit à tout ce qui relève, de près ou de loin, de missions d'intérêt général.
Au premier rang de ces missions figure l'accueil du public en forêt. L'accès et la fréquentation du public doivent, certes, être réglementés. Mais notre forêt doit aussi être le plus possible ouverte, sans que se multiplient, sous des prétextes divers, les zones réservées, interdites au public.
Un équilibre doit être trouvé entre les préoccupations environnementales et l'accessibilité de nos forêts. Le public y sera particulièrement sensible. Aujourd'hui, en théorie, il y a 2 600 mètres carrés de forêt par habitant en France, contre 3 000 mètres carrés sur le continent européen.
Cela suppose qu'un effort particulier soit mené afin d'assurer la protection des milieux les plus vulnérables du point de vue de l'écosystème, mais aussi en faveur de l'aménagement, de la mise en valeur des multiples activités que peuvent offrir nos forêts.
A cet égard, le projet de loi prévoit que des conventions entre collectivités locales et propriétaires soient conclues. Là encore, il revient à l'Etat de participer financiërement à ces missions d'intérêt général, que les collectivités locales et les propriétaires ne peuvent assumer seuls.
Prendre en compte notre patrimoine forestier dans ses aspects particuliers, spécifiques, telle la forêt méditerranéenne, qui est de faible rentabilité mais qui joue un rôle important en matière environnementale et touristique, participe aussi des missions d'intérêt général.
A cet égard, le rôle de l'ONF est fondamental. Jean-Louis Bianco soulignait d'ailleurs qu'il fallait que « l'Etat fasse un effort significatif pour que l'ONF puisse tenir convenablement ses missions de service public. On ne pourra pas affirmer prendre au sérieux ce projet, sans y mettre davantage de moyens... Ce sera un des meilleurs investissements que l'Etat fera pour l'emploi. » Et il ajoutait, comme en écho au principe du pollueur-payeur, qu'en matière d'environnement et d'emploi le principe du prescripteur-payeur devait aussi s'appliquer.
Chacun connaît les difficultés financières actuelles de l'ONF, qui résultent en partie des tempêtes - je signale au passage que l'Union européenne n'a pas consenti d'aides financières d'urgence à la France.
En gérant plus de 30 % des surfaces forestières, l'ONF a un rôle essentiel à jouer en matière de gestion durable de nos forêts, ce qui implique de repenser toute la politique de recrutement, en inversant, notamment, la courbe descendante des emplois stables, ce qui relèverait du volontarisme politique que réclamait Jean-Louis Bianco.
Mes chers collègues, la forêt française a pratiquement doublé au cours des deux derniers siècles ; l'augmentation des rendements agricoles a encouragé la reconquête de terres marginales. Chacun d'entre nous pourrait se réjouir, au plan économique et écologique, de cette augmentation spectaculaire. La réalité est différente, nous le savons tous : le morcellement extrême de la forêt française ne facilite pas son exploitation optimale, loin s'en faut. Les opérations de remembrement agricole ont sérieusement modifié les conditions de retenue et d'écoulement des eaux de pluie.
Il convient donc aujourd'hui d'être particulièrement ambitieux à l'égard de la forêt afin de faire se rejoindre, demain, le rêve et la réalité : le rêve de toutes celles et de tous ceux qui y trouveront le calme, l'air pur et le repos nécessaire et la réalité d'une économie du bois dynamique autour d'un matériau durable et vivant, renouvelable à l'infini.
Je manquerai de temps pour évoquer l'aspect mondial de l'exploitation forestière, qui illustre pourtant bien le pillage éhonté qui se poursuit, mettant en péril les grands équilibres écologiques et climatiques de notre planète.
La loi d'orientation agricole montre déjà ses premiers effets positifs tant en matière environnementale que sanitaire. Demain, la loi d'orientation sur la forêt peut également apporter beaucoup d'espoir. Le groupe communiste républicain et citoyen entend bien s'investir dans son élaboration pour lui donner toutes ses chances de succès. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Etonnant parallèle, dont nous nous réjouissons déjà, que celui que nous pouvons établir entre la loi d'orientation agricole et le projet de loi d'orientation forestière que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre.
Il est étonnant, tout d'abord, si l'on essaie de mesurer à quel point ce texte était attendu par l'ensemble du monde forestier.
Avec la loi de 1985, on s'était efforcée d'améliorer la protection de la forêt, de favoriser sa mise en valeur, par des déclinaisons régionales, la protection des salariés travaillant en forêt, et de mieux organiser l'espace agricole et forestier. Il aura donc fallu attendre la présente législature et la volonté clairement affichée de M. le Premier ministre de donner une place particulière et nouvelle à la forêt, en annonçant qu'un projet de loi serait présenté - un texte spécifique mais global - à l'issue d'une concertation nationale.
Cette intention avait été réaffirmée par vous-même, monsieur le ministre, en particulier lors des débats sur la loi d'orientation agricole.
Un travail colossal de consultation a été mené sur l'ensemble du territoire par notre collègue Jean-Louis Bianco. Le présent projet de loi s'inspire plus que largement de ce travail. Et, étant donné l'unanimité qu'avait suscitée son rapport, nous ne pouvons qu'être certains, monsieur le ministre, que ce projet de loi en suscitera autant !... En tout cas, il faut l'espérer.
Les modifications structurelles, proposées dans ce projet de loi sont de nature, sur le moyen terme, à éviter des ravages aussi dévastateurs que ceux que nous avons connus à la fin de 1999.
Le second parallèle que je voudrais établir avec la loi d'orientation agricole est celui de la gestion durable et de la reconnaissance de la multifonctionnalité de la forêt. Ce texte s'efforce de développer ces caractéristiques.
L'importance de la forêt est trop méconnue. Pourtant, elle joue un rôle dans la purification de l'eau, dans le processus de lutte contre l'effet de serre. Elle joue aussi un rôle social.
Pendant trop longtemps, la forêt n'a revêtu qu'une fonction de production, tout comme l'agriculture. La filière bois constituait l'une de nos filières économiques ayant une activité forte, mobilisant plus de 550 000 personnes, mais « noyée » parmi les autres et mal connue.
Il faut évidemment conforter cette activité, la développer. C'est d'ailleurs ce qui est prévu avec le titre II du projet de loi, qui vise à favorier la compétitivité de la filière bois-forêt en proposant des instruments comme la certification ou la création d'un plan d'épargne « forêt », dont l'objet est de financer les investissements forestiers. Je proposerai à cet égard un amendement visant à élargir le champ d'action de ce fonds.
Mais, tout comme l'agriculture, la forêt a, peu à peu, au fil du temps, rempli des fonctions sociales, environnementales, et a constitué, petit à petit, un élément essentiel au maintien des grands équilibres de notre société.
En un mot - puisqu'il en existe un dorénavant - elle est devenue « multifonctionnelle ».
Cet aspect n'était ni reconnu, ni valorisé, ni pris en compte. Aujourd'hui, la valorisation économique du patrimoine forestier va de pair avec sa valorisation écologique, et les acteurs de cette valorisation attendent une officialisation.
Pour ce faire, quel meilleur outil que les contrats ? Vous proposez donc, monsieur le ministre, de mettre en place, pour ceux qui le souhaitent, des chartes de territoire forestier, ce dont, bien sûr, nous nous réjouissons. Il convient toutefois d'en préciser les moyens.
Fruit de la concertation avec les acteurs locaux, elles définiront, pour le territoire le plus adapté et identifié, des programmes d'action pluriannuels et institueront - c'est leur objet - des partenariats durables pour un développement durable.
Enfin, ce projet de loi tend à redynamiser avec ambition la forêt française. Une politique forestière cohérente et équilibrée nécessite aussi une meilleure organisation des institutions de la forêt, que ce soit l'ONF - dont les compétences sont étendues - les centres régionaux de la propriété forestière ou les chambres d'agriculture, que je ne voudrais pas oublier.
Cela permettra sans nul doute d'accentuer le lien qui est désormais établi par le présent projet de loi avec le développement des territoires.
Un amendement présenté par mon groupe précisera le degré de relation entre les CRPF, les centres régionaux de la propriété forestière et les chambres régionales d'agriculture.
Elément incontournable du développement local, de par son rôle direct ou indirect - nous avons évoqués l'un et l'autre - la forêt doit apporter sa spécificité, dans un contexte plus général de pays et de territoires.
Notre commission - et je tiens à saluer ici le travail de nos rapporteurs - revient parfois, vous le noterez, sur le texte initial du Gouvernement ; nous aurons tendance à la suivre dans bien des cas.
Comme vous le constaterez, monsieur le ministre, de nombreux amendements techniques auront notre soutien.
Le plan d'épargne « forêt » ou le centre national professionnel de la propriété forestière sont le signe d'un souci d'ouverture, de partage de responsabilité entre les pouvoirs publics et le monde professionnel privé concerné.
Quelques doutes persistent, notamment en ce qui concerne le problème des assurances en forêt, vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, il s'agit de l'article 36. Ne conviendrait-il pas de faire preuve d'une très grande prudence dans la relation avec les assureurs afin d'éviter le risque de retrait de l'assurance incendie du monde forestier ?
Par ailleurs, je veux évoquer la pression indispensable pour favoriser les groupements et éviter la dispersion des propriétaires privés. La tempête a fait apparaître ce problème au grand jour : pour les propriétaires organisés, les modalités d'indemnisation, mais aussi toutes les démarches liées à la remise en état des lieux se sont bien passées ou, pour le moins, ont été bien engagées ; en revanche, pour les propriétaires privés isolés, bien peu a pu être fait et organisé.
L'ouverture que vous présentez favorise ces groupements et, malgré quelques divisions professionnelles, que nous connaissons, vous donnez les moyens financiers aux mécanismes interprofessionnels. A eux d'en faire l'usage attendu. On ne peut que se féliciter de l'obligation nouvelle d'un débat entre professionnels.
Il reste, monsieur le ministre, une sorte d'imprécision sur la gestion de la forêt des DOM, mais aussi sur le régime réservé à l'ONF, plus particulièrement sur son équilibre financier. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques garanties sur ces différents points.
Enfin, je vous demanderai de m'éclairer sur deux ou trois aspects, équivoques à mes yeux.
Premièrement, dans l'optique du débat relatif au statut de la Corse, ou du moins à son évolution, qu'en est-il de la forêt domaniale transférée au domaine communal, et quelle incidence cette question aura-t-elle pour le reste du territoire ? N'y a-t-il pas là un risque de démembrement de la propriété forestière ?
Deuxièmement, la taxe sur le défrichement, dont la suppression avait été inscrite dans la loi de finances pour 2000, avec effet au 1er janvier 2001, a été rétablie par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du présent projet de la loi d'orientation sur la forêt, mais nous devons prendre garde au problème de chevauchement que l'on peut actuellement constater.
Troisièmement, j'ai le sentiment qu'un trop grand nombre de décrets sont pris, ce qui me semble dommageable, sur le plan des principes, si l'on entend favoriser le développement d'une vie législative plus sereine.
Pour conclure, j'indiquerai qu'une dizaine d'amendements ont été déposés par mon groupe, qui portent notamment sur les financements, l'organisation de la profession, le Conseil supérieur de la forêt et l'équilibre sylvo-cynégétique. Parce que nous considérons que la forêt est une ressource inestimable, renouvelable mais que l'on doit préserver, parce que les hommes ont désormais acquis de l'expérience et ont la volonté tenace de la faire vivre pour en vivre et de la protéger au profit des générations futures, nous serons heureux, monsieur le ministre, de vous soutenir au cours de la discussion de ce texte porteur d'avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude réalisée par la SOFRES, en date du 29 novembre 2000, montre que 91 % des Français sont très attachés à la forêt. Cet attachement et le souci qu'ils manifestent à l'égard de la protection de leur environnement les conduisent à être très attentifs à son avenir. Dans le même temps, ils estiment que respect et exploitation de la forêt sont compatibles.
Plus d'une année après les tempêtes de décembre 1999, qui, en trois jours et en deux vagues successives, ont balayé la France et une partie de l'Europe, cette étude définit parfaitement les enjeux auxquels les gestionnaires de la forêt française sont aujourd'hui confrontés. Des chablis à ne savoir qu'en faire, avec 145 millions de mètres cubes de bois tombés, arrachés, fracassés, dont une centaine pour la forêt privée et une quarantaine pour la forêt publique, soit plus de deux années d'exploitation, toutes formes de bois confondues, bois d'oeuvre pour le bâtiment, bois d'industrie pour l'ameublement ou le papier, ou encore bois de chauffage ; des ravages sans précédent pour le premier massif européen et des régions entières sous le choc ; une décote des prix importante pour l'ensemble des essences, un déficit pour la filière de près de 15 milliards de francs : la forêt française, dont la filière bois représente plus de 550 000 emplois, se prépare en effet à un avenir économique et écologique difficile.
Devant ce désastre, le Sénat a proposé dès le 11 janvier 2000, je tiens à le rappeler, sur l'initiative notamment de sa commission des finances, un certain nombre de mesures en faveur des victimes de ces tempêtes.
Il s'agissait ainsi d'accélérer les remboursements du fonds de coopération de la TVA au profit des collectivités locales concernées, de prévoir l'attribution à ces dernières, par la Caisse des dépôts et consignations, de prêts-relais, en attendant le versement d'aides ou de prêts bonifiés, et d'appliquer le taux réduit de 5,5 % pour la TVA affectant les travaux nécessaires au déblaiement, à l'exploitation et à la reconstitution des forêts.
Ont été également proposées des mesures fiscales se traduisant, en particulier, par un dégrèvement exceptionnel au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour 1999, par l'instauration d'un mécanisme de déduction du revenu foncier des charges exceptionnelles entraînées par les tempêtes et, enfin, par une exemption des droits d'enregistrement sur la première mutation pour les biens forestiers, cela afin de relancer l'investissement.
Certaines de ces mesures ont été reprises par le Gouvernement à l'occasion de l'annonce du plan national pour la forêt française, notamment la réduction à 5,5 % du taux de la TVA sur les travaux forestiers et l'accélération des remboursements du fonds de compensation de la TVA pour les communes sinistrées.
Cependant, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est insuffisant, en raison, en particulier, de l'absence d'un volet économique et fiscal.
Comme l'ont très bien souligné nos collègues Philippe François, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et Roland du Luart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, ce projet de loi d'orientation sur la forêt ne prévoit pas de moyens financiers suffisants, de dispositifs en faveur de l'investissement forestier et de mécanisme de mutualisation des risques propres à la forêt.
Il présente, en outre, des excès en matière de réglementation et de contraintes administratives, et je pense notamment ici aux garanties ou aux présomptions de garantie de « gestion durable » qu'il faut apporter afin de bénéficier des aides publiques, ou encore à l'alourdissement sensible des sanctions encourues, s'agissant en particulier de la multiplication par cinq du montant maximal de l'amende devant être acquittée en cas de coupe abusive, qui pourrait désormais atteindre jusqu'à 1 million de francs.
Pis encore, il prévoit la création d'associations foncières de gestion forestière, au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes seront réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte flagrante au droit de propriété.
Les dispositions de ce projet de loi sont donc très en deçà des ambitions affichées dans le rapport de M. Jean-Louis Bianco, remis au Premier ministre en août 1998 et qui préconise notamment « la mise en place d'une fiscalité mieux adaptée pour favoriser l'emploi, accroître la compétitivité, faciliter les restructurations forestières », ou qui met l'accent sur « la nécessité de créer un plan d'épargne-forêt doté d'avantages fiscaux qui le rendent attractif ». Ce rapport recommande en outre « la création d'un établissement financier pour favoriser l'investissement dans la filière bois et pour permettre l'accroissement des fonds propres des PME dans ce secteur », ainsi que « la mise en place des outils de capital-risque et d'investissement de l'épargne de proximité ». Qu'en est-il de ces propositions ambitieuses ?
S'agissant de la défense de l'environnement, ce projet de loi présente aussi des carences.
En effet, alors que la protection des paysages est devenue un élément essentiel de notre vie sociale, la déprime agricole et l'exode rural ont, en amenant une réduction du nombre des exploitants, conduit beaucoup de propriétaires de parcelles à planter celles-ci en forêt sans tenir compte des conséquences de telles plantations pour l'écosystème. Il en est résulté des phénomènes d'enclavement visuel et de fermeture de certains fonds de vallée, d'acidification des sols, voire d'altération de la qualité des eaux de certains cours d'eau. C'est un problème qui nous préoccupe beaucoup dans les Vosges, monsieur le ministre.
Les tempêtes de décembre 1999 ont malheureusement mis en exergue ces phénomènes. Dans les vallées vosgiennes, par exemple, des peuplements complets d'épicéas ont obstrué totalement les cours d'eau, l'empilement des grumes pouvant, dans certains cas, atteindre sept mètres de hauteur sur plusieurs kilomètres de distance. Par ailleurs, la destruction des berges, consécutive au soulèvement des plateaux racinaires, a parfois conduit au déplacement du lit mineur des rivières.
Or la législation en vigueur, très limitée, ne permet pas de prévenir efficacement de telles plantations abusives. En effet, les mesures d'interdiction complète sont lourdes à mettre en oeuvre au regard de leur durée d'application, qui est de six ans, et ne sont que rarement appliquées par le préfet. Quant aux demandes d'autorisation de boiser, leur acceptation est seulement subordonnée à l'existence d'agriculteurs candidats à l'exploitation des parcelles concernées. Les conséquences des tempêtes de décembre 1999 ont montré les lacunes de la réglementation en la matière.
Enfin, en cas de boisements irréguliers, les maires sont souvent réticents à constater les infractions. Lorsque le boisement devient vraiment gênant, les délais de prescription, qui sont de six ans, ne permettent plus la mise en demeure ni d'éventuelles poursuites.
Afin de remédier à cette inefficacité et aux rigidités constatées, je souhaite en particulier, conformément à l'esprit des lois de décentralisation, que soit accordé aux communes un moyen supplémentaire de maîtrise de leur sol.
Je propose ainsi, par le biais d'un amendement visant à compléter l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, d'ouvrir aux communes, dans l'optique de l'élaboration des plans d'occupation des sols, rebaptisés « plans locaux d'urbanisme » par la récente « loi Gayssot », la possibilité de déterminer des zones « non forestées », de même qu'il existe des zones non constructibles. Il appartiendrait ensuite au pouvoir réglementaire d'en préciser le régime. Dans ce cadre, la sanction serait la même que celle qui est actuellement fixée à l'article L. 126-1 du code rural. Quant aux communes non dotées d'un plan local d'urbanisme, elles pourraient toujours recourir aux dispositions de ce même article du code rural, la législation actuelle pouvant continuer à s'appliquer.
Je proposerai aussi d'instaurer une distance minimale de huit mètres, de chaque côté des routes et des berges, afin de définir des espaces préservés des désordres occasionnés par les plantations, notamment de résineux. En laissant des plateaux racinaires de plus de cinq mètres de hauteur le long des routes et des berges, les tempêtes de décembre 1999 ont, en effet, montré l'insuffisance de la bande de quatre mètres regagnée sur l'initiative des collectivités locales.
Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite affirmer que la reconnaissance de la forêt ne pourra être obtenue sans un immense travail collectif. A cet égard, l'examen de ce texte est l'occasion, pour le Sénat et le Gouvernement, en dehors de tout esprit partisan et des clivages politiques, de proposer à tous les acteurs concernés une véritable loi d'orientation offrant une vision claire de l'état et des besoins de la forêt française, qu'elle soit domaniale, communale ou privée. La forêt française s'est construit des marchés, elle peut et doit, aujourd'hui, se reconstruire un avenir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze mois après les deux grandes tempêtes qui ont balayé une partie de l'Europe et de notre pays, les plaies sont encore à vif.
Avec près de 140 millions de mètres cubes de bois au sol, soit plus de quatre années de récolte jetées sur le marché en quelques heures, ce fut une catastrophe économique et écologique sans précédent. Des arbres séculaires arrachés, des paysages défigurés sont les stigmates les plus spectaculaires d'un patrimoine dégradé pour des décennies. En outre, des chablis ont commencé à pourrir, la faune et le gibier ont été malmenés, des voies d'accès restent impraticables, certaines se révélant encore dangereuses du fait de leur instabilité.
Enfin, ce fut un traumatisme profond pour la population de notre pays. En effet, certains ont tout perdu, tandis que, dans l'inconscient collectif, la forêt est un bien commun ancestral, et pour beaucoup une valeur à long terme, transmise de génération en génération et qui constitue, avant tout, notre ballon d'oxygène.
Le plan national d'urgence pour la forêt, arrêté le 12 janvier 2000, avait prévu la déduction fiscale des charges exceptionnelles d'exploitation des bois sinistrés par les tempêtes, mais si l'instruction de la direction générale des impôts a enfin paru le 18 janvier dernier, les dispositions qu'elle contient ne peuvent en aucun cas nous satisfaire et se révèlent plutôt décevantes. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste soutiendra les amendements présentés par notre collègue Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, notamment celui qui vise à autoriser la déduction des charges exceptionnelles de l'ensemble du revenu et à permettre le report de ce droit à déduction sur dix ans.
Je représente le département de la Haute-Savoie, et vous ne serez donc pas étonnés, mes chers collègues, de m'entendre défendre essentiellement ici la forêt de montagne. La forêt de Haute-Savoie, et de montagne en général, a tout d'abord une précieuse fonction de protection. Elle joue souvent un rôle de contention et de limitation de différents phénomènes naturels : érosion torrentielle, glissements de terrain, avalanches, chutes de blocs rocheux. Mais notre forêt remplit aussi une fonction de préservation du milieu naturel, puisqu'elle abrite de nombreuses espèces végétales et animales, constituant ainsi une réserve biologique. Elle a, en outre, une fonction sociale, puisqu'elle constitue, intra-muros, un site d'accueil pour différents utilisateurs et participe, extra-muros, à la qualité du paysage et du cadre de vie. Elle remplit enfin, ne l'oublions pas, une fonction économique pour les entreprises et les collectivités.
Néanmoins, cette forêt souffre du handicap « montagne », comme l'agriculture.
L'exploitation forestière en montagne est en effet difficile et donc coûteuse. Elle exige le plus souvent la mise en oeuvre de techniques particulières et se trouve confrontée à une âpre concurrence, puisque les cours du bois sont fixés à l'échelon mondial.
Par ailleurs, elle est soumise aux conditions climatiques montagnardes, qui se caractérisent par une saison de végétation relativement courte.
Enfin, cette forêt de montagne est tributaire d'un morcellement très pénalisant, déjà évoqué par la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune.
La forêt de Haute-Savoie, pour presque les deux tiers de sa surface, est privée. Cette forêt privée couvre un peu plus de 100 000 hectares et appartient à plus de 100 000 propriétaires, dont 97 % possèdent une surface de moins de quatre hectares, le plus souvent divisée en plusieurs parcelles.
Face à cette situation, les communes acceptent parfois de se porter maître d'ouvrage de projets de desserte structurants en forêt privée. Il importe d'encourager ces communes en facilitant les conditions de passage des projets sur les parcelles d'éventuels propriétaires récalcitrants. Aussi la future loi forestière pourrait-elle prévoir la possibilité, pour les collectivités, d'instaurer une servitude de passage pour l'exploitation forestière et pastorale du type de la servitude créée pour l'exploitation des domaines skiables, telle que prévue par l'article 53 de la loi « montagne » du 9 janvier 1985.
Le maniement des « associations syndicales » s'avère lourd. Les dispositions de l'article L. 151-36 du code rural ne prévoient pas les conditions d'utilisation futures de l'ouvrage après réalisation. Ces mesures seraient ainsi utilement complétées.
C'est la raison pour laquelle quelques membres du groupe de l'Union centriste représentants des régions de montagne, dont je fais partie, proposeront un amendement dans ce sens.
En forêt de montagne, l'accroissement de la récolte de bois passe bien sûr par une amélioration et par une densification de la desserte de l'exploitation forestière.
L'amélioration et la densification des pistes et des routes favorisent de plus un traitement irrégulier des peuplements permettant le maintien d'un couvert forestier permanent très intéressant pour ces zones d'altitude. Mais cette amélioration et cette densification se heurtent trop souvent à l'extrême morcellement, déjà cité, de la forêt privée.
En effet, alors que les perspectives d'exploitation à court et à moyen terme sont favorables, le nécessaire aménagement préalable de pistes forestières comme l'éclaircissement de la forêt existante destiné à améliorer les conditions de croissance des jeunes abres sont entravés par le morcellement de la propriété, principal obstacle à la réalisation des travaux. Les parcelles sont de très petite dimension, mal ou pas délimitées, ce qui impose de les regrouper et d'en préciser les limites.
Or les frais d'acte notarié et de géomètre sont tels qu'ils retirent toute rentabilité à l'opération. Ils sont même, pour certaines parcelles, supérieurs au produit qui peut être espéré des coupes qui seront effectuées lorsque les travaux auront été réalisés. Le montant des frais représente aujourd'hui un coût forfaitaire minimal de 2 500 francs. Cela constitue, dans les secteurs morcelés, un handicap lourd à la reconstitution foncière en forêt.
Les propriétaires privés demandent donc qu'une subvention puisse être versée aux propriétaires acceptant l'échange de leurs parcelles et que ce dispositif soit éventuellement accompagné d'une réduction des droits de mutation.
Je me permets de vous suggérer, monsieur le ministre, l'inscription de ces dispositions dans la loi, et je présenterai, en conséquence, un amendement en ce sens.
Plusieurs actions permettraient d'améliorer cette situation.
Il s'agirait tout d'abord de justifier les procédures administratives au moment de la rédaction d'un acte notarié avec, par exemple, une dispense des procédures d'autorisation liées à l'urbanisme et aux diverses préemptions possibles dans les secteurs à vocation forestière affirmée.
Il s'agirait ensuite de réduire les frais administratifs liés à la rédaction d'un acte notarié.
Il s'agirait enfin de compenser financièrement le coût forfaitaire d'un acte dans le cas de l'acquisition, par un propriétaire, de parcelles voisines, cette compensation pouvant être calquée sur le principe des aides existantes en matière d'échanges de parcelles rurales.
Si la forêt de montagne a un rôle spécifique et irremplaçable, sa progression est, pour certains massifs, la source d'une double inquiétude, soit parce qu'elle est le signe apparent de la désertification, soit parce que l'absence d'exploitation et, par conséquent, d'entretien, due aussi bien à des coûts d'exploitation non compétitifs qu'à l'indifférence des propriétaires, en général parce que la superficie qu'ils possèdent est modeste ou bien parce qu'ils n'habitent plus à proximité, conduit à un étouffement des forêts qui les rend moins pénétrables et moins sûres et ne leur permet plus d'assurer leur rôle de prévention des risques naturels.
Le projet de loi d'orientation doit donc reconnaître la place particulière qu'occupe la forêt de montagne dans la forêt française et, plus généralement, pour l'équilibre du territoire national, tout comme la loi d'orientation agricole avait, en 1999, rappelé et reconnu le rôle spécifique de l'agriculture de montagne.
La reconnaissance du handicap doit s'accompagner d'un droit à l'exploitation, justifié non seulement par l'équité mais aussi par des causes d'ordre public. Il doit donc exister des chartes de territoires forestiers au même titre qu'il existe des contrats territoriaux d'exploitation « montagne », si possible en en inscrivant le principe dans la loi, ce qui n'a pas été le cas pour les CTE.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je présenterai un certain nombre d'amendements, avec mes collègues du groupe « montagne ». Nous souhaitons ainsi affirmer le principe que la politique forestière comprend, parmi ses objectifs, de maintenir la forêt dans les territoires fragiles soumis à l'érosion ou aux risques naturels, c'est-à-dire en montagne et en zone méditerranéenne, d'assurer une durée suffisante - trois ans minimum - aux charges de territoire forestier, les CTF, de définir les CTF spécifiquement montagne, de faire des CTF un contrat bilatéral entre Etat et propriétaire auquel peuvent adhérer les autres acteurs de la filière, de mieux garantir le droit de propriété contre le délaissement dans le cadre des associations foncières forestières au profit des copropriétaires ne pouvant être identifiés, enfin, de maintenir la dimension pastorale du service de restauration des terrains en montagne.
Pour conclure, je dirai que le projet de loi d'orientation recouvre de très importants enjeux pour la forêt de montagne, qu'il nous appartient de maîtriser en tirant les enseignements de la tempête de 1999 et en introduisant dans le texte les mesures adaptées contenues dans les excellentes propositions de nos rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, ainsi que dans les amendements qui seront soumis à notre Haute Assemblée aussi bien par le groupe de l'Union centriste que par notre groupe « montagne ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Pintat, premier représentant de la forêt landaise ! (Sourires.)
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les attentes suscitées par le rapport Bianco et le passage dévastateur de l'ouragan du mois de décembre 1999, le dispositif du projet de loi d'orientation forestière ne pouvait que décevoir.
La forêt française méritait un projet plus ambitieux. Aujourd'hui plus qu'hier, ses acteurs sont confrontés à de lourdes contraintes attachées à la mondialisation des marchés, à la montée en puissance des préoccupations environnementales, à la concurrence des matériaux autres que le bois et, dernièrement, à la reconstitution des principaux massifs forestiers.
Vouloir développer une gestion durable prenant en compte la multifonctionnalité de la forêt est, certes, un objectif louable, mais nous sommes loin, très loin, des besoins de la forêt française, qu'elle soit domaniale, communale ou privée.
En effet, si nous sommes tous d'accord pour admettre que la forêt est une culture importante et d'avenir pour notre pays, il faut donner à ses acteurs les moyens et les financements nécessaires à sa bonne gestion.
Or, monsieur le ministre, vous vous êtes contenté de déclarations de principe qui ne sont assorties d'aucune mesure positive ni d'aucun financement.
C'est ainsi qu'à l'exigence de valorisation économique de la forêt vous répondez par un accroissement de charges sans lever l'ambiguïté sur sa fonction première de production ni encourager sa compétitivité économique.
Bien sûr, vous assouplissez les modes de vente de l'Office national des forêts, mais la liberté pour les sylviculteurs d'exploiter leur patrimoine, disputée de plus en plus au titre de la protection de l'environnement, se réduit au fil des articles à une « peau de chagrin ».
Ainsi, il n'est fait aucune référence à la notion de rentabilité, élément clé de la gestion des forêts privées, qui représentent - dois-je le rappeler - les deux tiers des massifs français et, en Aquitaine, 94 % de la surface forestière.
Il conviendrait que, à ce titre, les propriétaires privés soient mieux représentés, notamment auprès de la commission régionale de la forêt et des produits forestiers. Je reviendrai sur ce point à l'occasion d'un amendement.
Pourtant, le rôle économique de la forêt a été largement reconnu par les accords d'Helsinki. En effet, elle génère 7 000 emplois permanents sur le massif des Landes de Gascogne, pour un chiffre d'affaires de 17 milliards de francs.
Enfin, l'absence de toute notion de rentabilité est d'autant plus fâcheuse qu'elle intervient au moment où vous voudriez que les obligations, donc les charges, augmentent au nom de la multifonctionnalité. Et celles-ci sont légion : obligation de défricher, de reboiser, d'accueillir le public en forêt, de préserver les grands équilibres naturels de la faune et de la flore. Ce sont autant de charges de gestion supplémentaires qui nuisent à la compétitivité de ces entreprises, seules appelées à les financer.
Pour ce qui est de la prise en compte des besoins spécifiques de la forêt, les solutions sont connues mais elles sont soit repoussées soit abordées de manière incomplète.
Pourtant, l'état de nos forêts exige plus que jamais l'adoption de mesures incitatives pour limiter la division du foncier, drainer l'investissement vers les entreprises forestières, renforcer la couverture des risques subis par le bois, conforter l'organisation interprofessionnelle. Il me semble que nous en sommes loin !
S'agissant de l'épargne nécessaire pour créer la ressource financière destinée au financement de la sylviculture - je veux parler du plan épargne forêt -, vous avez demandé à votre majorité de préférer un amendement de repli car « la solution technique n'était toujours pas trouvée ».
Neuf mois ont passé. Le lancement d'un fonds commun de placement serait évoqué.
Je suis personnellement étonné par une telle proposition qui, dans les années quatre-vingt, a fait la preuve de son inefficacité. Elle n'a débouché que sur des placements spéculatifs tout à fait étrangers au besoin d'investissement à long terme des acteurs forestiers.
Ainsi, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l'état de la réflexion du groupe de travail mis en place sur cette question et nous rassurer sur votre détermination à inscrire cette mesure capitale - c'est-à-dire le plan d'épargne forêt - dans le corps du texte qui nous intéresse aujourd'hui ?
S'agissant de la garantie des récoltes, la seule concession obtenue est l'inscription d'un rapport du Gouvernement sur la création possible d'un fonds national de garantie.
Pour les sylviculteurs qui assument seuls les risques d'une culture obligatoire pour le plus grand profit de la collectivité, la mesure semble bien mince.
S'agissant enfin de la lutte contre le morcellement foncier, la seule mesure retenue consiste à limiter le bénéfice des aides publiques aux propriétaires qui s'engagent à ne pas démembrer leur propriété. Bien sûr, en d'autres débat, nous avons fini par obtenir des mesures d'allégement des charges sur les droits de mutation. Je vous proposerai d'ailleurs d'étendre ce dispositif. Mais n'aurait-il pas été plus efficace d'assortir l'obligation de non-démembrement d'une exonération des droits de succession en ligne directe ? Une telle mesure aurait été immédiatement suivie d'effet.
S'agissant enfin du renforcement de l'organisation interprofessionnelle, si l'ensemble des acteurs de la filière bois appelle de leurs voeux l'interprofession, ces accords ne sauraient aboutir à une intégration autoritaire et porter atteinte aux particularités de certains massifs, notamment celui du sud-ouest, où il existe déjà une interprofession.
L'article L. 632-1 du code rural, cité à l'article 11 du projet, ne renvoie-t-il pas à l'article L. 632-6 du même code, qui permet de lever les contributions volontaires ? Des craintes existent donc à ce sujet qu'il conviendrait de lever.
En effet, la forêt française n'est pas une entité indistincte : chacun de ses massifs est spécifique et dispose d'outils qui lui sont propres.
Ainsi en va-t-il de la politique de prévention contre le feu en Aquitaine, où tous les propriétaires ont mutualisé ce risque, en acceptant de verser une taxe annuelle, appelée taxe DFCI - défense de la forêt contre l'incendie - à une association syndicale pour gérer et financer les travaux de défense contre l'incendie. Grâce à ce mécanisme, la protection des forêts se fait sur plus d'un million d'hectares, à un coût très économique.
Pourquoi ne pas encourager une telle politique par massif, en défiscalisant les taxes versées à cet effet par les propriétaires ?
Cette approche, en totale rupture avec le régime répressif exposé à l'article 15 de ce texte, fera l'objet d'un amendement de ma part.
Enfin et surtout, ce texte me déçoit en ce qu'il ne prend pas en compte les conséquences de la tempête. Vous m'objecterez sans doute que c'est là un élément purement conjoncturel. Mais qui, dans cette enceinte, où l'on a beaucoup cité les accords de Kyoto, osera affirmer qu'elles ne deviendront pas de plus en plus fréquentes dans notre pays ?
En Aquitaine, première région forestière de France, les bilans s'alourdissent. Nous aurons payé à la tempête un tribut de 31,6 millions de mètres cubes de pins maritimes, dont 19,5 millions en Gironde et plus précisément 10 millions en Médoc, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. Ce sont sept années de récolte qui sont définitivement perdues pour ce département.
Aucune indemnisation n'aura été consentie aux forestiers sinistrés. Les aides accordées sont allées principalement aux acheteurs, aux intermédiaires, non aux producteurs. Pourtant, avant de nettoyer et de reboiser, il faut sortir le bois des parcelles et, pour ce faire, trouver un acquéreur. L'effondrement des prix, la saturation des marchés et le bleuissement inévitable du bois ne le permettent plus.
Que dire aussi des précipitations exceptionnelles qui se sont abattues sur la France, si ce n'est qu'elles n'auront rien arrangé ?
En Médoc, il reste 7 millions de mètres cubes à terre. Ces résineux sont aujourd'hui irrémédiablement perdus. Voilà la réalité à laquelle sont confrontés les petits propriétaires privés et les communes forestières en Médoc. Pour ces dernières, d'ailleurs, la situation est particulièrement critique.
Je prendrai l'exemple évocateur de la commune d'Hourtin, qui a perdu 3 000 hectares sur ses 4 500 hectares de forêt. Ces pertes représentent plus de 20 % des recettes affectées normalement à son budget. Pourtant l'Etat n'a pas hésité à limiter l'aide au reboisement aux seules communes soumises au régime forestier. La forêt communale d'Hourtin ne l'est pas, non plus que 103 autres communes forestières en Gironde, et peut-être plus dans le département des Landes.
Monsieur le ministre, une telle position est écologiquement irresponsable et économiquement discriminatoire, car ce particularisme juridique, d'origine historique, n'a jamais exonéré les communes forestières de leurs obligations, bien au contraire.
Aussi l'amertume des maires girondins est-elle grande, car non seulement l'Etat n'accorde aucune reconnaissance à leur travail mais, finalement, il profite de leur détresse pour les soumettre.
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il serait plus heureux de parler de cogestion plutôt que de soumission et d'envisager pour ces communes un régime plus adapté ? Par exemple, admettre que le pourcentage versé à l'ONF sur toutes les ventes de bois ne porte que sur les peuplements nouveaux et non sur ceux qui ont été plantés il y a plus de trente ans. La mise en place d'une telle péréquation permettrait de reconnaître leur travail.
Par ailleurs, il serait judicieux d'étendre la compensation fiscale décidée par l'Etat en faveur des communes pour la perte de recettes porvenant de la taxe sur le foncier non bâti sur dix ans, soit la durée du plan de reboissement. Cette mesure est très attendue et nous souhaiterons connaître votre intention à ce sujet.
Je conclurai mon propos sur la faculté, enfin reconnue aux forestiers, de déduire de leurs revenus les charges exceptionnelles liées à la tempête. Promise le 12 janvier 2000 par M. le Premier ministre, cette mesure n'a été validée que dernièrement. Proposée et adoptée à plusieurs reprises par notre assemblée, elle avait été systématiquement repoussée au motif qu'elle était censée « avantager les plus fortunés et encourager l'évasion fiscale ».
Il est heureux que le Gouvernement n'ait pas persévéré dans cette voie. Les forestiers n'auraient pas compris.
En Aquitaine, en effet, 95 % des propriétaires possèdent moins de 25 hectares et leur patrimoine, de faible rapport en temps normal, ne sera pas productif avant vingt ou trente ans.
Cette mesure était donc incontournable. Elle conforte les efforts de reconstruction des massifs. Je regrette toutefois que cette mesure fiscale soit inopérante pour les propriétaires les plus sinistrés, donc privés de revenus et, par conséquent, de la faculté de déduire les surcoûts d'exploitation.
Ainsi, monsieur le ministre, comme l'ont bien dit nos deux rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, pour une gestion durable, il faut des moyens et un financement durables. C'est la clef du succès de la politique forestière souhaitée par tous, une politique qui doit prendre en compte tous les différents régimes de la forêt française. Or, à cet égard, beaucoup reste à faire.
Alors, espérons que le chemin sera parcouru ensemble, sauf à voir promulgué un texte qui resterait inappliqué parce qu'inapplicable sur la majeure partie du territoire forestier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Après la voix du Médoc, celle de l'Entre-Deux-Mers : la parole est à M. Dussaut. (Sourires.)
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dernière grande loi sur la forêt remonte à 1985. Ce projet de loi d'orientation était donc très attendu et, après la déception qui a été la nôtre de ne pas pouvoir l'examiner le 23 janvier dernier pour les raisons que vous savez, les choses avancent finalement.
Au travers des objectifs affichés, il réaffirme les trois vocations de la forêt : d'abord, une vocation économique, en favorisant la compétitivité de la filière bois, en comprenant la production du bois comme valorisation économique du patrimoine forestier ; ensuite, une vocation environnementale, en inscrivant la politique forestière dans la gestion des territoires, en renforçant la protection des écosystèmes forestiers ou naturels pour un développement durable de la forêt, en luttant ainsi, notamment, contre l'effet de serre ; enfin, une vocation sociale, comme l'accueil du public en forêt.
Ce texte propose de grandes avancées dans la conception même de la gestion de la forêt, avec une approche territoriale et contractuelle dans le cadre de chartes de territoires forestiers qui définiront des programmes d'actions pluriannuels.
C'est donc un texte qui consacre la multifonctionnalité de la forêt française, en respectant les engagements internationaux pris à Rio.
En bouleversant la dynamique de croissance dans laquelle se trouvait la filière bois, la tempête de décembre 1999, par les dégâts et la détresse qu'elle a provoqués, a confirmé le bien-fondé des axes qui avaient été définis antérieurement, les rôles de chacun devant être précisés, les droits des gestionnaires comme les devoirs des utilisateurs.
Elu du département de la Gironde, j'ai à coeur, vous vous en doutez, de mettre en avant les situations particulières auxquelles sont confrontés les professionnels de la filière bois de mon département.
Monsieur le ministre, ainsi que vous l'aviez très judicieusement souligné à l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, nous sommes face au décalage qui nous a été imposé en décembre 1999 par la tempête entre une logique à long terme de gestion durable de la forêt et des exigences à court terme dans les régions sinistrées où demeurent encore des situations difficiles.
Le massif aquitain représente 1 800 000 hectares et constitue la plus grande forêt d'Europe : il s'agit d'une immense ressource qui génère 30 000 emplois et qui représente le cinquième de la récolte nationale du bois. C'est vous dire l'étendue des conséquences qu'entraîne immanquablement une perturbation de cet équilibre : elles sont ressenties sur les plans tant économique que social et écologique.
Les mesures gouvernementales ont été très importantes, et la gestion française a permis de maîtriser les conséquences les plus graves de la tempête. Mais, aujourd'hui, les dégâts constatés sont encore plus importants que ne le laissaient supposer les estimations initiales.
Une vraie mobilisation de l'administration a été nécessaire, et il convient de saluer l'engagement de chacun. Il faut rester vigilant : les dossiers à traiter sont encore nombreux et cela demande un personnel constamment disponible.
Cependant, en Aquitaine, la situation des petits propriétaires forestiers demeure très préoccupante.
On peut comprendre la difficulté pour les pouvoirs publics d'indemniser tous les biens assurables non assurés et le choix clairement affirmé du soutien à l'économie. Mais ces petits propriétaires sont souvent des retraités qui ont acheté pour se constituer un petit capital et qui n'ont désormais plus rien. En effet, seulement moins de 1 % des propriétaires forestiers - et ce sont les plus aisés -, étaient assurés, étant donné le coût élevé des primes. C'est vers les sylviculteurs aux revenus limités et vers les communes forestières très sinistrées qu'un geste reste à faire, un geste de solidarité nationale.
Il convient également de noter que, là où il y avait des regroupements, les propriétaires forestiers s'en sont beaucoup mieux sortis. Cela doit nous conduire, lors de l'examen de ce texte, à être extrêmement attentifs au grave problème du morcellement de la forêt française, dont les conséquences sont préjudiciables pour la profession forestière tout entière.
La valorisation des chablis par des aides à l'exploitation, au transport et au stockage était essentielle, et je salue, là aussi, l'action du Gouvernement. Toutefois, un renforcement des aides destinées à faciliter les expéditions de bois par les voies maritimes reste indispensable.
D'autres chantiers sont encore ouverts. Le Gouvernement y travaille en collaboration avec les parlementaires. Je pense notamment au plan d'épargne pour la forêt. C'est un dossier qu'il faut faire avancer et l'amendement que le groupe socialiste défendra à l'article 5 B va dans ce sens.
Il serait peut-être judicieux, enfin, d'étudier sérieusement le principe de la création d'un fonds de calamité forestière, sorte de fonds d'assurance qui couvrirait, pour la forêt, les catastrophes naturelles.
Le dernier alinéa de l'article 36 prévoit la présentation d'un rapport au Parlement « dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et présentant des propositions en matière d'assurance contre les risques de chablis ». Nous espérons tous que la réflexion conduite dans ce cadre débouchera sur des avancées significatives.
La catastrophe de décembre 1999 a mis en lumière les grandes faiblesses de l'organisation de la forêt française, mais elle a aussi permis de confirmer le bien-fondé de la démarche et des orientations définies par le Gouvernement à la suite du rapport de Jean-Louis Bianco pour doter notre pays d'une grande loi sur la forêt. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac. Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, ce projet de loi comporte cinq axes, à savoir la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la protection des écosystèmes forestiers et naturels, la compétitivité de la filière bois ainsi que l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
Avant d'en venir au coeur du sujet, qui a déjà été largement abordé par notre rapporteur, Philippe François, comme par les autres intervenants, permettez-moi d'évoquer deux conséquences des tempêtes de décembre 1999, ne serait-ce que pour reconnaître leur incidence sur la gestion des forêts et le marché du bois, qui s'en trouve perturbé aujourd'hui mais qui le sera encore certainement demain si nous n'apportons aucune solution.
Le problème du transport du bois est un premier exemple.
Je l'ai signalé, à l'occasion d'une question orale adressée au ministre de l'équipement, des transports et du logement, en me référant à l'Auvergne et au Massif central.
L'arrivée en masse sur le marché d'une quantité de bois arraché par la tempête a démontré la désorganisation des systèmes de transport. La Société nationale des chemins de fer français, en particulier, n'a pu répondre à la demande, n'étant plus équipée en matériels de transport. Or l'augmentation de l'exploitation de la forêt qui est prévue de manière constante par la présente loi d'orientation sur la forêt sollicitera davantage le transport.
Qui veut la fin veut les moyens. Plus de bois sur le marché, et c'est tant mieux, appelle une politique des transports mieux étudiée quant aux règles actuellement appliquées au fret par route, souvent pénalisantes pour les entreprises de transport routier, et un engagement mieux affirmé par la Société nationale des chemins de fer français de revoir sa politique commerciale en faveur du fret sur rail. Ce volet du transport est important dans l'organisation du marché du bois.
Autre exemple : s'il est indispensable de gérer les conséquences d'une catastrophe naturelle, il nous appartient également - et ce n'est pas assez souligné - de conduire au plus haut niveau une réflexion sur les phénomènes météorologiques exceptionnels, afin de savoir quels sont les risques de les voir se reproduire, et à quelle échéance. Il convient, en particulier, comme l'a souligné Jean Charroppin, député du Jura, de saisir l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques de cette question.
On peut objecter qu'on ne peut gérer l'imprévisible. Cependant, deux tempêtes, celle de 1982 et celle de 1999, donnent des indications précieuses que relèvent les scientifiques : ne peuvent-elles pas servir, sur les plans technique et météorologique, à la gestion des paysages et des reliefs ?
Malgré les inquiétudes que ressentent nombre de propriétaires forestiers victimes de la tempête et auxquels l'Etat laisse espérer une indemnisation annoncée mais qui n'est pas totalement servie, je suis satisfait de voir que la forêt est, en ce début de millinaire, à l'honneur. Il était temps ! Il s'agit, comme l'avait affirmé Jean-Louis Bianco, « d'une chance pour la France » ; j'ajouterai que c'est un formidable atout écologique, social et économique. Ce sont quelque 4 millions de propriétaires forestiers qui sont concernés, et ce, pour 15 millions d'hectares en métropole, soit plus d'un quart du territoire.
Enjeu écologique, social, économique, certes, mais aussi enjeu humain : huit Français sur dix vont chaque année en forêt ; celle-ci représente pour eux un lieu de détente, de ressourcement et de retrouvailles si nécessaires avec un univers naturel multiséculaire qu'il nous appartient de préserver et d'enrichir pour ceux qui viendront après nous.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, une loi d'orientation, c'est tout d'abord une vision prospective, un projet à long terme qui s'inscrit dans le droit imprescriptible des générations futures.
Certes, la forêt, c'est du bois, mais c'est aussi un recours, un refuge, un sanctuaire naturel. Selon les enquêtes d'opinion, la forêt est aujourd'hui perçue, de façon très majoritaire, comme un espace de nature indispensable, fragile, menacé au niveau mondial, et qu'il convient donc de préserver.
J'espère que cette loi d'orientation sera à la hauteur des ambitions légitimes qu'un grand pays comme le nôtre peut nourrir vis-à-vis de sa forêt.
L'équilibre environnemental que représente la superficie entre dans la considération de la fonction du milieu écologique. Il en est même une assurance et un pilier pour toute politique environnementale.
La forêt, ce sont aussi et surtout les hommes et les femmes qui y travaillent. A ce sujet, il n'est pas inutile de rappeler que les métiers du bois ne bénéficient pas d'une image valorisante, ce qui provoque, dans le cycle secondaire de l'enseignement, des difficultés pour attirer des jeunes en CAP ou en BEP. Les formations pour adultes sont alors privilégiées par défaut.
Même dans l'enseignement supérieur, en dépit de taux de placement non négligeables, les écoles éprouvent des difficultés de recrutement. La tendance actuelle est plutôt aux métiers perçus comme « environnementaux », qui attirent de nombreux candidats ; je pense en particulier au brevet de technicien supérieur de gestion forestière.
Il me paraît important que la discussion que nous commençons aujourd'hui aboutisse à une véritable promotion des métiers du bois par des termes favorisant la formation pour les adultes. Si le projet de loi prévoit des dispositions relatives à la qualification professionnelle requise pour les travaux d'exploitation de bois, il omet d'aborder la question de la formation professionnelle et, plus largement, celle de l'enseignement dans l'ensemble de la filière.
S'agissant de l'exploitant forestier et de l'entrepreneur de travaux forestiers, je vous rappelle que, parmi les principales recommandations du rapport Bianco, figuraient l'établissement d'un statut de l'exploitation forestière - conditions d'entrée dans la profession, capacité professionnelle, diminution du taux des cotisations accident du travail - et le renforcement de la lutte contre le travail illégal. Il ne faudrait pas que ces louables intentions restent sans lendemain !
D'autres professions de la filière doivent s'organiser et s'affirmer afin de répondre objectivement à l'ambition du développement forestier et du marché du bois face à la concurrence étrangère, souvent plus performante parce que mieux structurée. Entrent dans ce cadre la modernisation de l'appareil de production et les conditions de gestion. Je citerai un exemple de référence en la matière : l'expertise foncière agricole et forestière, traitée à l'article 34 du projet de loi, avec la création d'un conseil national, à l'égard duquel la profession a des attentes justifiées.
Le projet de loi, outre qu'il s'intéresse à l'amélioration des conditions de gestion durable des forêts, met l'accent sur la compétitivité de l'ensemble de la filière bois.
Monsieur le ministre, la France a accumulé un retard certain en la matière. La tempête de décembre 1999 a démontré le manque d'organisation de certaines professions, qui ne peuvent plus négliger les contraintes d'une organisation rationnelle de la gestion forestière.
La France, par la surface de ses forêts, qui représentent 14,5 millions d'hectares, occupe le troisième rang des pays de l'Union européenne, après la Finlande et la Suède. Chaque année, la forêt française s'accroît de 30 000 hectares. Avec 47 millions de mètres cubes, la récolte est inférieure à la production naturelle, qui progresse de 85 millions de mètres cubes par an.
Ce projet de loi ne doit pas être celui des occasions manquées : gardons à l'esprit que 100 000 emplois peuvent être créés en quelques années en milieu rural, dans la production, la gestion des forêts, les industries du bois, la protection des espaces naturels, le tourisme vert et les loisirs. La forêt a toute sa place dans la lutte contre le chômage, ainsi que l'a démontré le rapport Bianco.
J'en veux pour exemple le bâtiment, qui constitue de loin le marché le plus important. Or, dans ce secteur, la part du bois diminue : celui-ci ne représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés. Il est à déplorer que la part de marché du bois dans la construction soit plus faible en France que dans d'autres pays européens, que ce soient l'Allemagne, la Hollande ou les pays scandinaves.
Il me paraît important de tout faire pour élargir la part du bois dans les constructions en la portant, comme le recommande le rapport Bianco, de 10 % à 25 %. Il faudra, pour atteindre cet objectif, mener en la matière une politique volontariste qui passe par la mise en place, en particulier sur le marché de la construction, d'un véritable « plan bois construction », d'ailleurs également préconisé par le rapport Bianco.
Je conclurai en rappelant, comme certains intervenants l'ont fait avant moi, que notre pays consacre au secteur de la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que certains pays européens comparables. Sans moyens adéquats, les mesures envisagées seront suspendues à un éventuel financement ultérieur. Les acteurs de la forêt ont besoin d'assurances claires et précises sur ce point.
Je vous rappelle que, dans les secteurs du sciage et de la transformation, la profession demande la création d'une provision pour investissement, alors même que le Gouvernement avait, en 1998, supprimé la provision pour fluctuation des cours.
Si je n'ai pu que me féliciter, au début de mon intervention, de l'adoption prochaine d'une loi tant attendue sur la forêt, vous me permettrez d'insister, pour les déplorer, sur l'incertitude qui pèse sur l'attribution des moyens financiers et sur les graves lacunes de ce texte en ce qui concerne la formation professionnelle ou, plus largement, l'enseignement dans l'ensemble de la filière.
L'organisation de la filière et un important plan de développement d'utilisation du bois sont indispensables à une application réussie de la future loi d'orientation.
Donnons au texte plus de souffle afin que ce secteur si important sur les plans tant économique et social qu'écologique aborde le millénaire à venir dans les meilleures conditions, en étant à la hauteur de ses ambitions.
La forêt française représente un atout incontestable pour la richesse nationale, une valeur de gestion durable, un centre d'intérêt et d'activités, notamment dans nos pays ruraux. Elle offre d'importantes possibilités pour le développement et l'aménagement du territoire.
Je souhaite que cette loi d'orientation donne à l'ensemble de la filière les moyens de sa légitime ambition de progrès.
Enfin, monsieur le ministre, afin de marquer l'égard que le Gouvernement et la France ont pour le secteur économique de la forêt et du bois, ne serait-il pas opportun, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, d'ajouter à vos missions celle de la forêt, pour que vous deveniez vraiment le ministre chargé de l'agriculture, de la pêche et de la forêt ? Ce serait un signe d'intérêt remarqué.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Vous parlez de mon titre ? Car la forêt fait déjà partie de mes missions !
M. Guy Vissac. Je parle de vos missions !
Merci, monsieur le ministre de l'agriculture, de la pêche et de la forêt. (Applaudissements sur les travées RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le ministre, j'en suis vraiment navré, mais, pour la quatorzième fois, vous allez entendre un orateur vous rappeler qu'il y a déjà près d'un an et demi que la forêt française a connu la plus forte tempête de son histoire ; je n'ai pas l'impression de vous apprendre grand-chose, mais je souhaitais le souligner ici !
Certes, les élections ont retardé d'un bon mois la discussion du projet de loi d'orientation sur la forêt. Mais je regrette tout de même amèrement qu'un sujet aussi important ait attendu aussi longtemps.
De mémoire d'administration des eaux et forêts, c'est-à-dire depuis 1824, il n'existe pas de précédent de tempête aussi violente ni aussi étendue. Pour l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, la forêt française n'a jamais connu de telle catastrophe depuis le xviie siècle.
Dans ce contexte exceptionnel, la première question qui se pose à un élu comme moi, face à ce projet de loi, c'est : pourquoi si tard ?
Le Gouvernement affirme que les forêts sont au centre de ses préoccupations. Pourtant, il aura fallu dix mois pour que le projet de loi arrive de l'Assemblée nationale au Sénat. Permettez-moi tout de même de vous interroger, monsieur le ministre, sur votre capacité à le faire adopter avant la fin de 2001 !
Nous regrettons que vous n'ayez pas mis vos paroles en concordance avec vos actes et que vous n'ayez pas clairement indiqué vos priorités.
Une deuxième question me vient immédiatement à l'esprit : pourquoi si peu ? C'est bien la question des moyens mis en oeuvre pour faire face à la tempête ! Ce projet de loi d'orientation ne comporte pas le moindre mot sur les conséquences des ouragans Lothar et Martin sur les forêts françaises. Pourtant, les rapports sur ce sujet n'ont pas manqué : du rapport Birot au rapport Sanson, l'administration n'a pas chômé dans les études et dans les propositions !
On aurait cependant préféré qu'elle mobilisât toute son énergie pour mettre en oeuvre les mesures annoncées. Hélas, cela n'a pas été le cas.
Il est tout de même incroyable, monsieur le ministre, que M. le Premier ministre ait été obligé de reconnaître un oubli dans une instruction fiscale visant à faire bénéficier d'une déduction des revenus professionnels les charges liées à la tempête de décembre 1999 non couvertes par les assurances. Annoncée pourtant le 12 janvier 2000, cette déduction avait tout simplement été oubliée. Elle n'avait jamais vu le jour !
Il est grand temps de mettre au pas vos administrations, tout particulièrement la forteresse Bercy, qui, à force, pourrait bien devenir la prochaine Bastille !
On peut aussi citer les exploits de la SNCF, qui n'a pas été capable de mettre à disposition suffisamment de wagons, mais qui a bien su profiter, malgré tout, de cette bonne occasion pour pratiquer honteusement des hausses de tarif sur les transports de grumes. Avouez tout de même qu'il ne s'agissait pas là d'une décision d'une extrême élégance !
Votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre, renvoie les moyens financiers à des textes ultérieurs, ce qui est normal. Pourtant, ce n'est pas rassurant face à une administration qui semble n'en faire qu'à sa tête, ou plutôt à la tête du client... (Sourires.)
Les sénateurs seront vigilants à l'application des lois votées. Nous attendons de vous des engagements et des délais de mise en oeuvre. Faute de quoi, le cimetière des lois inappliquées, ô combien rempli, pourrait bien s'élargir encore, lui aussi, à la loi sur la forêt !
Mais revenons au coeur de ce projet de loi d'orientation. Il comporte cinq axes : la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la protection des écosystèmes, la compétitivité de la filière bois et, enfin, l'organisation des institutions sylvicoles, tout particulièrement de l'Office national des forêts. Notre excellent rapporteur et ami, Philippe François, en a fait une remarquable analyse dont il convient de le féliciter.
M. Philippe François, rapporteur. Merci !
M. Bernard Barraux. L'un des mérites de cette loi est celui de la clarification. On ne se rendait pas compte du fouillis que pouvaient être la législation et la réglementation : sept ou huit codes, de nombreuses lois. En ce domaine, le législateur fait oeuvre utile pour que nous puissions, enfin, y voir un peu plus clair. Plus accessible, la loi d'orientation sera, je l'espère, un outil au service des citoyens et de leurs aspirations économiques, sociales et environnementales.
A cet égard, je souhaiterais insister sur la sensibilité de la société française aux questions forestières. Avec la tempête, les Français ont exprimé leur solidarité par leur soutien à de nombreuses initiatives et en apportant leur obole à la reconstitution à venir des forêts. Dans les sondages, plus de 90 % des Français déclarent leur fort attachement à leur forêt. Plus d'un tiers d'entre eux s'y rendent plusieurs fois par mois. La réduction du temps de travail, l'accroissement du nombre de retraités, les besoins des Français en espaces naturels, vont certainement accroître leur présence au coeur des forêts.
Le besoin de nature, de forêt, doit aussi se traduire par plus de responsabilité, de participation et d'information, tout particulièrement dans les forêts publiques. La mise en place de comités d'usagers de la forêt publique favoriserait la concertation, lèverait les suspicions et, surtout, responsabiliserait davantage nos concitoyens.
Plus de respect pour la nature, plus de compréhension entre les utilisateurs des espaces naturels grâce à des structures de concertation : c'est une démocratie de proximité qu'il convient de favoriser !
Pour ma part, je souhaite insister sur quelques points peu ou mal pris en compte dans le présent projet de loi.
Premièrement, il faut reconnaître et valoriser la forêt publique.
En reconnaissant l'apport de la sylviculture au développement durable, le projet de loi vise à faire contribuer l'ensemble des forêts, publiques et privées, à l'intérêt général. Cependant, il m'apparaît utile de reconnaître et de valoriser de façon distincte les forêts publiques, tout particulièrement les forêts communales. Jean-Richard Delong, président de la Fédération nationale des communes forestières de France, la FNCOFOR, a présenté un amendement en ce sens que je soutiendrai.
Les forêts communales sont en effet soumises par le code forestier, depuis 1827, à des contraintes spécifiques. Elles ont des obligations d'intérêt général qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours - ou pas suffisamment - financées par la puissance publique. Elles ont pris une place importante en matière d'accueil du public et de protection des milieux remarquables. Elles sont aussi un laboratoire pour la gestion durable et pour la biodiversité.
C'est pourquoi le régime forestier, que nous sommes en train de rénover, doit reconnaître les spécificités des forêts publiques.
Deuxièmement, il faut inscrire la forêt dans la gestion des territoires.
Le projet de loi, et c'est une bonne chose, ancre la politique forestière à l'échelon local en proposant un cadre à la création de chartes de territoires forestiers. C'est un outil au service du développement local et de l'emploi.
Tout projet de ce type doit s'articuler autour d'une identité - en l'occurrence, d'une identité liée à la forêt -, d'un objectif commun avec un animateur du développement. Cependant, l'Etat doit assumer ses responsabilités financières et réglementaires. Il doit ouvrir des pistes au développement local, mais il ne doit pas gêner les initiatives. Il ne doit surtout pas reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre, selon sa si fâcheuse, si vieille et si fréquente habitude.
Troisièmement, il faut financer la forêt publique de manière durable.
Les tempêtes ont fragilisé le financement de la forêt publique. Alors que les charges d'exploitation se sont accrues, les recettes stagnent - peut-être même diminueront-elles dans l'avenir - en raison d'un affaiblissement des capacités de production et de la valeur patrimoniale des forêts. L'ONF ne pourra plus dégager en forêt domaniale les excédents qui permettaient de financer les missions d'intérêt général et de développement durable, tout particulièrement dans les forêts des collectivités. Certains chiffres ont été avancés qui évaluent les besoins de financement à environ 200 millions de francs par an pendant dix ans.
L'Etat doit, au service de la forêt française, faire son devoir en mettant en oeuvre des mécanismes durables de financement par le biais, pourquoi pas, d'écotaxes qui - mieux que dans d'autres cas, censurés par le Conseil constitutionnel - seraient ici parfaitement justifiées.
Mais, là aussi, le Gouvernement devra s'affranchir de sa bureaucratie budgétaire. Et pourquoi ne pourrions-nous pas rêver en imaginant qu'il puisse, un jour, innover en faveur d'une grande cause nationale et rompre avec la sacro-sainte annualité des financements publics ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons, ce soir, du projet de loi d'orientation sur la forêt, dont la discussion a malheureusement été repoussée, alors même que l'élaboration de ce texte avait suscité une grande attente auprès de nos concitoyens.
L'espace boisé recouvre, ne l'oublions pas, plus de 25 % du territoire national. Nos concitoyens sont extrêmement attachés à leur forêt. En effet, selon une étude réalisée par la SOFRES le 29 novembre 2000 pour La collective du bois et de la forêt, 91 % des Français déclarent aimer les espaces boisés.
Cet attachement se caractérise d'ailleurs par le fait que plus de trois millions et demi de Français sont propriétaires d'un bois, la forêt privée française représentant plus de 10 millions d'hectares, soit les deux tiers de la surface forestière.
La forêt est perçue comme un espace de ressourcement, notamment par les urbains.
Or si nous pouvons nous féliciter d'une forte expansion des surfaces forestières au cours des deux derniers siècles, la politique forestière de la France doit être en mesure d'aider les acteurs de ce secteur à relever les principaux défis identifiés, notamment dans le rapport que Jean-Louis Bianco a publié dernièrement.
Nous devons, en effet, être en mesure d'avoir une gestion durable d'une forêt nécessairement multifonctionnelle, dont la valorisation est un élément essentiel du dévelopement rural, dès lors qu'elle est de nature à créer de nombreux emplois et à renforcer un secteur économique qu'il est important et urgent de rendre plus dynamique et performant.
Le projet de loi d'orientation présenté par le Gouvernement répond à ces objectifs, en privilégiant, dans ses dispositions, le développement d'une gestion durable et diversifiée de la forêt, la compétitivité de la filière forêt-bois, l'inscription de la politique forestière dans la gestion des territoires, le renforcement de la protection des écosystèmes forestiers ou naturels et, enfin, une meilleure organisation des institutions et des professions relatives à ces espaces nécessaires à la qualité de vie de nos concitoyens.
Une véritable politique forestière implique une approche de la forêt dans l'ensemble de ses fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles.
Nous ne pouvons donc qu'adhérer à la volonté du Gouvernement de réaffirmer l'interministérialité des dossiers forestiers, en favorisant l'appréhension des questions relatives à la forêt par les autres politiques publiques, qu'elles soient nationales ou communautaires.
Par exemple, l'importance du rôle des forêts et des bois dans la préservation des écosystèmes, et notamment dans la gestion de l'eau et la prévention des crues, nécessite une approche globale des politiques. Il s'agit là d'un point extrêmement important et d'actualité.
Aussi, le projet de loi vise à ce que le document de gestion devienne, pour les propriétaires forestiers, un outil intégrant toutes les dispositions législatives qui concourent à la protection de la biodiversité et des paysages.
De même, ce projet de loi s'attache à faciliter les incitations financières afin de développer la contractualisation avec les propriétaires, répondant ainsi aux intérêts généraux dans les domaines environnementaux, économiques ou sociaux. Par ailleurs, il tend à favoriser l'accueil du public et les régénérations naturelles.
Une telle méthode permet, en effet, d'appréhender au mieux les spécificités locales, car il existe non pas une forêt mais des forêts.
Cette volonté est d'ailleurs renforcée par le quatrième volet du projet de loi, relatif à la protection des écosystèmes forestiers ou naturels, dont les dispositions ont notamment pour objet de renforcer la prise en compte des spécificités écologiques et environnementales dans la gestion forestière courante.
La compétitivité de la filière forêt-bois constitue le second axe de ce projet de loi.
Le respect de la forêt nous oblige en effet à beaucoup d'attention, afin que le fonctionnement harmonieux de l'écosystème forestier ne soit pas perturbé.
L'exploitation du bois, loin d'être incompatible avec le respect de la forêt, contribue justement, dès lors qu'elle est raisonnable, à assurer la vitalité et le renouvellement de la surface forestière.
L'adoption des dispositions présentées par le Gouvernement et enrichies par le débat parlementaire permettra de pérenniser cette filière économique, afin que celle-ci conserve sa compétitivité sur des marchés devenus mondiaux et résiste à la concurrence d'autres matériaux n'égalant pas la qualité environnementale du bois.
Il convient, par ailleurs, de souligner que le projet de loi a pour objet de faire de la certification un des outils de cette stratégie.
Les professionnels l'ont d'ailleurs bien compris puisque de nombreuses régions, anticipant l'adoption du projet de loi, ont créé des associations de certification.
Ainsi, sur l'initiative des principaux acteurs et partenaires de la filière forêt-bois du Languedoc-Roussillon, l'association de certification forestière pour le Languedoc-Roussillon a été créée le 28 novembre 2000.
A cet égard, il me paraît intéressant et utile, compte tenu de l'image que nous avons bien souvent du midi de la France, de citer quelques chiffres démontrant l'importance surprenante du patrimoine forestier en Languedoc-Roussillon, notamment dans le département de l'Hérault. Il s'agit de statistiques datant de 1996 et qui émanent des services de l'Inventaire forestier. En Languedoc-Roussillon, on dénombre 974 522 hectares de forêt, dont 910 708 hectares en production, ce qui représente un taux de boisement de 35,1 %. Dans l'Hérault, on compte 203 202 hectares de forêt, dont 191 043 hectares en production, soit un taux de boisement de 32 %.
Le projet de loi vise, en effet, à mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt, par une valorisation des formations et une amélioration du dialogue entre les différentes organisations et administrations. Une meilleure organisation des femmes et des hommes intéressés par ce secteur constituera très certainement l'atout majeur de cette filière.
Enfin, le projet de loi présenté tend à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires.
Les caractéristiques des forêts sont en effet modelées par l'écosystème local et l'utilisation économique de la forêt, qu'il s'agisse du tourisme ou de la filière bois.
Ainsi, le projet de loi retient le cadre du territoire pour l'élaboration des procédures afférentes à la gestion des forêts afin de mieux prendre en compte, une nouvelle fois, la forêt dans sa complexité.
De cette manière, la défense des forêts contre l'incendie s'appuiera sur l'analyse des interfaces entre zones urbaines et zones rurales, qui jouent un rôle crucial dans la prévention et la lutte contre le feu. A cet égard, l'expérience acquise par les conseillers généraux, siégeant au conseil d'administration de l'entente interdépartementale pour la protection de la forêt méditerranéenne, sera extrêmement précieuse.
De même, la prévention des risques naturels en montagne sera renforcée par une meilleure coordination de la politique forestière avec le développement économique et touristique qui accentue la fragilité des milieux naturels.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, définit une approche qui, tout en s'appuyant sur l'expérience passée, offre les outils nécessaires à l'évolution contrôlée de la forêt française. Nous le voterons donc avec le réalisme, le pragmatisme et l'enthousiasme qui nous caractérisent. Oui, comme l'écrivait M. Jean-Louis Bianco, en conclusion du rapport qu'il a remis au Premier ministre en août 1998, « La forêt représente une formidable chance pour la France, une chance pour la variété et la beauté de nos paysages, pour la préservation des milieux et des espèces. C'est une réserve de nature où chacun, pris dans le tourbillon du monde, peut retrouver le sens des vraies richesses. » (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gaillard applaudit également.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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