SEANCE DU 5 AVRIL 2001


ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN
AVEC LA JORDANIE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 484, 1999-2000) autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part (ensemble sept annexes, quatre protocoles, un acte final, douze déclarations communes et un échange de lettres). [Rapport n° 144 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord rappeler l'acte fondateur au partenariat euro-méditerranéen qu'a constitué la conférence de Barcelonne, en 1995. C'est alors que l'Union européenne et les pays riverains de la Méditerranée sont convenus de mettre en place un partenariat dont l'objet ambitieux consiste à établir la paix et la prospérité dans la région méditerranéenne, trop souvent déchirée par les conflits et les antagonismes, menacée par les fanatismes et confrontée au défi de la mutation sociale et économique.
Nous le voyons malheureusement aujourd'hui. Face à la dramatique dégradation de la situation sur le terrain, notre préoccupation et notre inquiétude sont très grandes. L'urgence absolue est d'arrêter l'escalade, de renouer le dialogue pour revenir à la table des négociations. Tel est le message que la France et l'Union européenne s'attachent à faire passer en toute occasion aux parties.
C'est dans cette ambitieuse perspective que vient s'inscrire l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part. Cet accord, conçu suivant le même modèle que celui qui est proposé aux autres partenaires méditerranéens, instaure un cadre institutionnel dans lequel les rapports euro-jordaniens vont désormais se développer. Pour mémoire, la Jordanie sera le quatrième pays méditerranéen à conclure un tel accord, après la Tunisie, le Maroc et Israël.
La signature de l'accord d'association avec la Jordanie est intervenue le 24 novembre 1997, au terme d'une négociation facilitée par une volonté mutuelle d'aboutir vite. Son entrée en vigueur témoignera de la volonté des deux parties de renforcer et d'accélérer le processus d'intégration régionale, dans la ligne de ce qui a été recommandé lors de la conférence euro-méditerranéenne des ministres des affaires étrangères de Marseille, les 15 et 16 novembre derniers, sous présidence française de l'Union européenne.
La portée politique de cet accord paraît s'imposer d'elle-même, au regard du rôle positif et modérateur joué par la Jordanie au Proche-Orient. Dans cette région en proie aux tourments, le Royaume hachémite, dont la majorité de la population - on l'oublie fréquemment - est d'origine palestienne, s'efforce traditionnellement, et souvent de façon courageuse, de faire entendre la voix de la raison et du bon sens, alors même qu'il fait lui-même face à des difficultés importantes. Je rappelle, en effet, que son économie a subi directement les effets de la guerre du Golfe. Elle reste lourdement grevée par le poids d'une dette extérieure supérieure à 7 milliards de dollars, soit 95 % du produit intérieur brut, et d'un déficit budgétaire de l'ordre de 7 % du produit intérieur brut. S'y ajoute le fait que ce pays est faiblement doté en ressources naturelles.
Dans ce contexte, la contribution de la Jordanie à la stabilité régionale mérite d'être encouragée. Il appartient à l'Europe et à la France d'appuyer ses efforts en ratifiant l'accord qui est aujourd'hui soumis à votre approbation. Il s'agira en tout cas - soyons-en conscient - d'un signe important, auquel les autorités d'Amman ne manqueront sans doute pas d'être attentives, alors même qu'elles ont pour leur part achevé leurs procédures de ratification internes. Tel est le sens de l'accord d'association qui vous est aujourd'hui présenté. Les dispositions de cet accord correspondent à l'épure générale proposée à l'ensemble des partenaires méditerranéens. A cet égard, il ne présente pas de particularité notable.
Cet accord prévoit un dialogue politique régulier au niveau ministériel dans le cadre du Conseil d'association et comprend une clause suspensive en cas de violation des droits de l'homme ou des principes démocratiques.
Conformément à l'objectif, arrêté à Barcelone en 1995, de mise en place de la zone euro-méditerranéenne de libre-échange à l'horizon 2010, l'accord prévoit l'établissement progressif d'un libre-échange industriel. Ainsi, les produits industriels entreront dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent.
Le mécanisme retenu pour le volet agricole reprend et améliore les concessions déjà octroyées et comporte une clause de rendez-vous par laquelle les parties s'engagent, en 2002, à examiner la possibilité de libéraliser davantage leurs échanges agricoles.
L'accord prévoit également le traitement de la nation la plus favorisée en matière de droit d'établissement, sauf en ce qui concerne les transports aériens, fluviaux et maritimes. Les parties libéraliseront les prestations de services en vue de conclure un « accord d'intégration économique » conforme au GATS. Enfin, l'accord réglemente la libre circulation des capitaux, la concurrence et la protection de la propriété intellectuelle, industrielle et artistique.
En outre, l'accord définit toute une série de domaines de coopération : industrie, investissements, secteur privé, formation, environnement, énergie, transports et télécommunications, sciences et techniques, drogue, blanchiment d'argent, coopération régionale, culture et dialogue en matière sociale.
Cette coopération bénéficie, pour sa mise en oeuvre, des crédits du programme MEDA, dont 254 millions d'euros ont été engagés au profit de la Jordanie au cours de la période 1995-1999. Ces dons ont été complétés par des prêts de la Banque européenne d'investissement, la BEI, soit 143 millions d'euros en 1997 et 1998.
S'agissant du programme MEDA, il convient de rappeler qu'il a été décidé, sous présidence française, de lui donner une plus grande efficacité, afin d'accroître les déboursements, qui, sur la période de MEDA I, n'ont pas dépassé 26 % des montants engagés. Bien sûr, cela est très insuffisant. Cette rationalisation devrait permettre une utilisation plus dynamique de ces crédits de coopération.
En contrepartie, les Etats membres conservent leur droit de regard sur le suivi des projets suivant des modalités nouvelles qui leur permettent notamment de faire valoir des considérations d'opportunité politique pour demander le retrait d'un projet particulier du plan de financement arrêté pour tel ou tel pays méditerranéen.
En outre, le règlement MEDA II, qui couvrira, je le rappelle, la période 2000-2006, prévoit le renforcement de la coordination locale pour la programmation et le suivi des projets, à laquelle nos ambassades, dans les pays bénéficiaires, seront directement associées.
Pour la France comme pour l'Union européenne, les pays des autres rives de la Méditerranée, qu'il s'agisse de la Jordanie ou de ses voisins, sont des amis proches et des partenaires essentiels. L'Europe est unie à eux par des liens forgés au cours de l'histoire, par la force des relations actuelles et par la volonté de construire un avenir commun dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen.
La Jordanie a très tôt fait le choix de l'ouverture à l'Europe. Depuis 1978 et jusqu'en 1996, cette coopération confiante s'est traduite par la mise en place de quatre protocoles financiers portant sur un total de 414 millions d'euros.
De son côté, la Jordanie a su offrir un cadre d'accueil stable et attrayant pour les investisseurs européens, parmi lesquels les opérateurs français ont réussi, depuis quelques années, à se situer très nettement à la première place, avec près de 80 % des flux d'investissements étrangers en Jordanie en 1998 et 1999.
Cette situation, tout à fait exceptionnelle mais révélatrice, s'explique par quelques opérations spectaculaires comme le rachat par France Télécom de plus du tiers du capital de la compagnie publique Jordan Telecom ou l'attribution à la Lyonnaise des Eaux du contrat de gestion des eaux d'Amman.
Les autorités jordaniennes poursuivent le mouvement de restructuration de leur économie et de renforcement de la coopération internationale. C'est ainsi que le roi Abdallah a signé, le 25 octobre dernier, à Washington, un accord de libre-échange liant son pays aux Etats-Unis, et que la Jordanie est devenue membre de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, à la fin de l'année 2000.
Devant cette orientation résolue, positive, qui sous-tend un choix politique clair en faveur de la stabilité politique et de l'ouverture économique, il convient - je sais que tel est également votre sentiment - que l'Union européenne et la France confirment de façon solennelle leur attachement à des relations fortes et confiantes avec la Jordanie.
Permettez-moi, enfin, de souligner que le processus de paix et le partenariat euro-méditerranéen sont distincts et ne doivent pas se confondre. Mais il est clair que fortifier le partenariat euro-méditerranéen, oeuvrer en faveur du développement, c'est aussi contribuer à la paix.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'accord euroméditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen par le Sénat de l'accord d'association avec la Jordanie revêt une importance toute particulière. Ce texte permet en effet de confirmer le Royaume hachémite comme partenaire privilégié de l'Europe non seulement dans le domaine économique mais aussi, de plus en plus, dans le domaine politique.
Partenaire privilégié sur le plan économique, d'abord, parce que la Jordanie, sur l'initiative de son roi, conduit une politique de réforme déterminée et courageuse.
Elle a mis en oeuvre un important programme de privatisations et se prépare également à l'ouverture de ses frontières. Elle vient ainsi de conclure un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, comme vous le rappeliez à l'instant, monsieur le ministre.
L'accord d'association, qui prévoit la mise en oeuvre progressive, sur douze ans, du libre-échange entre la Jordanie et l'Union européenne, permettra de conforter ces orientations. Il devra cependant s'accompagner d'une aide financière substantielle. En effet, si l'effort engagé par le Royaume hachémite devrait, à terme, porter ses fruits, ses résultats positifs ne seront pas immédiatement perceptibles.
La période de transition se présente de manière d'autant plus délicate que, dans l'immédiat, la Jordanie supporte les conséquences de la sécheresse exceptionnelle de 1999 et, surtout, les effets de l'embargo appliqué à l'Irak, alors que ce pays constitue l'un de ses principaux partenaires économiques.
La montée des tensions dans la région apparaît également comme une autre source de vulnérabilité. Le taux de croissance stagne depuis 1995, tandis que la population s'accroît de 3,3 % par an. Dans un contexte marqué par la dégradation du revenu par habitant, les tensions sociales pourraient s'exacerber. Les concours financiers européens apparaissent donc indispensables pour permettre à la Jordanie de passer ce cap difficile.
Entre 1996 et 1999, les fonds consacrés à la Jordanie se sont élevés à 254 millions d'euros. Plus de 40 % de ces crédits ont effectivement été décaissés, ce qui représente un niveau nettement supérieur au taux de déboursement moyen - de l'ordre de 26 % - de l'aide destinée aux pays du sud de la Méditerranée. Ce résultat, encore insuffisant, certes, témoigne cependant de la qualité de la gestion des projets sous responsabilité jordanienne.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de revenir, à ce propos, sur les conditions de gestion de l'aide européenne. La commission reste très préoccupée par l'opacité et la complexité des procédures, les nombreux retards et le taux de décaissement excessivement bas des crédits sur lesquels l'Union européenne s'est pourtant engagée. Cette situation constitue un motif très sérieux d'insatisfaction pour les pays du sud de la Méditerranée.
La commission européenne, sur l'initiative du commissaire chargé des relations extérieures, M. Christophe Patten a enfin décidé d'adapter l'ensemble de son dispositif d'aide aux pays tiers. Du succès de cette réforme, sur laquelle le Parlement devrait d'ailleurs être mieux informé, dépend, dans une large mesure, la crédibilité des Quinze vis-à-vis de leurs partenaires méditerranéens.
L'accord euroméditerranéen présente également une dimension politique, sur laquelle il convient d'insister.
Sans remettre en cause les liens privilégiés que la Jordanie entretient avec les Etats-Unis, l'accord donne au Royaume hachémite l'opportunité de diversifier ses relations avec les pays de l'Union européenne, dont les positions sur la situation au Proche-Orient s'accordent mieux avec les vues et les intérêts jordaniens.
De son côté, l'Europe est consciente de la nécessité de conforter la place d'un pays dont il faut souligner ici avec force l'influence modératrice et pacifique dans un environnement troublé. Ainsi, l'accord d'association constitue un jalon particulièrement important dans le partenariat euro-méditerranéen, car, au-delà des aspects bilatéraux, il devrait permettre de défendre une vision commune au service de la paix et de la stabilité en Méditerranée, conformément aux orientations fondamentales qui avaient été fixées par la conférence de Barcelone de 1995.
Quel rôle la France peut-elle jouer dans la perspective de l'entrée en vigueur de l'accord d'association ? Si, de par son histoire, la Jordanie est traditionnellement ouverte à l'influence anglo-saxonne, les relations bilatérales politiques et économiques ont connu, au cours de la période récente, un développement remarquable. Ainsi, notre pays est devenu le premier investisseur en Jordanie, remportant quatre des cinq privatisations principales conduites à ce jour. C'est pourquoi la relation franco-jordanienne a vocation à devenir le coeur et le moteur du partenariat entre le Royaume hachémite et l'Union européenne. La ratification, par la France, de l'accord d'association constituera un nouveau pas dans cette voie.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission ne peut que vous appeler, mes chers collègues, à donner la plus large approbation au présent projet de loi.
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part (ensemble sept annexes, quatre protocoles, un acte final, douze déclarations communes et un échange de lettres) fait à Bruxelles le 24 novembre 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.

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