SEANCE DU 24 AVRIL 2001


M. le président. La parole est à M. Renar, auteur de la question n° 1038, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la situation du paysage audiovisuel public français apparaît pour le moins contrastée.
Une apparence de bonne santé financière : un milliard de francs de dotations exceptionnelles, un PDG nommé pour cinq ans, une dotation en capital étalée sur cinq ans, permettant à France Télévision d'investir pour son développement. Bien !
Mais en même temps, et plus au fond, le problème du financement de l'audiovisuel public reste posé. On le voit bien avec le débat récurrent sur la redevance et avec la perte de recettes publicitaires subie par le secteur public, tandis que ses concurrents privés bénéficient de l'explosion du marché. Cette insuffisance de financement ravive la rumeur de privatisation de France 2.
Or, voilà que, vendredi dernier, tombe le décret de privatisation de la Société française de production, sans qu'ait eu lieu le moindre débat devant le Parlement, ce qui est difficilement acceptable, monsieur le secrétaire d'Etat. En effet, la question essentielle concerne aujourd'hui l'audience et les missions de l'audiovisuel public.
Le service public, vous le savez, a des missions particulières qui vont bien au-delà du concept familier de télévision populaire de qualité. Il doit jouer son rôle, par exemple, pour l'émergence et la recherche de nouvelles formes d'écriture télévisuelles, sans oublier le maintien de la culture nationale et le respect de la diversité et du pluralisme.
Tout cela pose en permanence le problème de la création, de la production publique et d'une réflexion sur l'industrie des programmes, réflexion par trop absente lors de l'examen de la loi relative à la liberté de la communication.
L'excellente proposition de la direction de France Télévision de créer six nouvelles chaînes numériques hertziennes allait dans le sens d'une reconquête de notre audiovisuel public. Un tel objectif, conforme à l'esprit de la loi précitée se trouve cependant réduit à trois chaînes.
Avec seulement 13,4 % de ses investissements de programmes consacrés à des productions propres, France 2 est très en deçà de ce que réalisent la BBC ou encore la ZDF. Et maintenant, on offre la SFP au privé !
Les remises en cause des missions du service public de l'audiovisuel affaiblissent l'ensemble de l'industrie des programmes en France. A l'inverse, les pays ayant fait le choix d'un service public offensif ont une production intégrée forte, qui profite très largement à la quantité et à la qualité des programmes produits.
Il est plus que temps d'associer le Parlement à la réflexion sur le devenir de notre audiovisuel public et sur son corollaire, l'industrie des programmes. Il y a six ans, notre pays comptait six chaînes de télévision ; il en existe cent vingt-huit aujourd'hui. Quel sera leur nombre dans quelques années, avec le développement, notamment, de l'internet ?
Ces bouleversements doivent nous conduire tout naturellement à repenser la place de l'audiovisuel public, à repenser ses missions, à ne pas nous satisfaire d'une télévision publique obéissant à l'audimat, au détriment de la qualité des programmes, au détriment de la création, au détriment de la culture, de la musique, du théâtre, de l'éducation, de tout ce qui devrait faire la richesse de notre service public.
Les nouvelles chaînes thématiques et l'irruption du numérique dans le processus tant de diffusion que de fabrication, tout cela pose le problème de la création et de la production publique. A défaut, le service public est en situation de faiblesse.
D'aucuns ont calculé que le service public, qui occupe aujourd'hui la moitié du paysage audiovisuel français analogique, n'occuperait plus qu'un sixième du numérique.
Alors, développement, rétrécissement ou encore privatisation de France 2, dans quelque temps, après celle de la Société française de production ?
Les seules règles comptables ne doivent pas prendre le pas sur la création, sur la diversité, sur le respect dû à nos concitoyens.
Comment le Gouvernement compte-t-il répondre aux inquiétudes croissantes non seulement des professionnels de l'audiovisuel mais, au-delà, des professionnels de la culture face à la fragilité de notre industrie des programmes ?
Pourquoi, compte tenu de la faiblesse de la production propre de programmes de France Télévision, ne peut-on envisager l'intégration de la SFP au sein de la holding France Télévision ? Cela permettrait d'éviter une privatisation rendue possible par une loi votée en son temps, je le rappelle, par la droite.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser l'absence de Mme la ministre de la culture et de la communication, qui m'a chargé de vous faire la réponse que voici.
Le Gouvernement vient de prendre des décisions importantes concernant l'audiovisuel public, notamment France Télévision. La télévision publique bénéficie de moyens renforcés avec l'adoption de la loi du 2 août 2000 et l'effort budgétaire qui a été consenti en sa faveur en 2000 et en 2001.
En outre, France Télévision sera l'un des moteurs du numérique hertzien, grâce à la décision prise - elle se situe en deçà de la proposition que vous avez mentionnée - visant à créer trois chaînes gratuites et à diffuser toute la journée La Cinquième et Arte.
Comme prévu, France Télévision bénéficiera d'une dotation exceptionnelle de 1 milliard de francs, laquelle sera inscrite dans le contrat d'objectifs et de moyens qui sera signé avec l'Etat.
Pour répondre à l'une de vos interrogations, monsieur le sénateur, il y a bien là l'expression de la volonté d'assurer un équilibre entre le privé et le service public.
Concernant le développement de la production audiovisuelle, le décret, en cours d'examen par le CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, répond à la forte attente des professionnels en régulant à leur profit leurs relations avec les chaînes de télévision. Il vise, en particulier, à améliorer les conditions de financement du secteur en relevant la contribution des diffuseurs en faveur de la production originale française.
Mais en évoquant la production, je n'ignore pas, monsieur le sénateur, que vous manifestez votre préoccupation à propos de l'avenir de la SFP et de ses salariés. Mme la ministre se doutait bien que vous alliez élargir votre question à cet aspect.
Il s'agit d'une situation très douloureuse. Devant un déficit structurel auquel les recapitalisations successives versées par l'Etat n'ont pu remédier, le Gouvernement a décidé d'engager une procédure de cession de la SFP de nature à permettre la poursuite de l'activité.
Certes, les salariés de la SFP souhaitaient l'intégration de la société dans le service public audiovisuel. Mais celui-ci est déjà doté d'un appareil de production intégré important, et cette hypothèse n'a pas été retenue, pas plus qu'elle ne l'avait d'ailleurs été lors des débats sur la loi audiovisuelle.
Cependant, ainsi que cela a été indiqué aux représentants du personnel, le Gouvernement fera de la situation professionnelle et sociale des salariés une priorité. Ainsi, il veillera à la mise en oeuvre effective d'une solidarité renforcée au sein de l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, et les représentants du personnel seront étroitement associés aux principales étapes de ce processus.
Telle est la réponse que Mme la ministre de la culture et de la communication m'a chargé de vous transmettre, monsieur Renar, et qui reprend l'essentiel des propos qu'elle avait tenus ici même à l'occasion d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je vous avoue qu'elle ne me satisfait pas totalement.
Ce n'est pas pour le secteur privé que je m'inquiète. Celui-ci se porte bien ! Ce qui me préoccupe, c'est la part de la production publique dans ce pays.
Il est plus que temps de prendre la mesure réelle des difficultés de l'audiovisuel public et de la faiblesse de l'industrie française de programmes, désormais aggravée et par l'inacceptable vente de la SFP et par la révision à la baisse des investissements de France Télévision dans le numérique hertzien.
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de communication, nous avions évoqué l'insuffisance de son volet relatif à la production.
Rien, en l'état actuel de la construction européenne, n'empêche que France Télévision soit dotée d'un pôle de production intégré. Dès lors, la SFP pouvait être sauvée en tant que telle.
Nous sommes, par rapport à la Grande-Bretagne et à l'Allemagne, en retard sur ces questions.
Développer les modes et les canaux de diffusion sans relancer la production, c'est, en tout état de cause, laisser le champ libre aux grands groupes américains spécialisés dans l'industrie du divertissement.
Selon moi, le Parlement doit absolument être saisi de ces enjeux. Il y va de la liberté de notre imaginaire, de l'inventivité de la télévision publique et de l'avenir de l'ensemble de la création, pour laquelle la télévision est un vecteur incontournable.

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