SEANCE DU 3 MAI 2001


M. le président. « Art. 6 ter. - Le deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée est complété par les mots : ", à l'exception des activités d'arbitrage". »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 26 est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 36 est déposé par M. de Rohan et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Les deux amendements suivants sont également identiques.
L'amendement n° 27 est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 37 est déposé par M. de Richemont et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés.
Tous deux tendent, à la fin du texte proposé par l'article 6 ter pour compléter le deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, après le mot : « arbitrage » ajouter le mot : « interne ».
Par amendement 2 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de compléter le texte présenté par l'article 6 ter pour compléter le deuxième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 par les mots : « , sous réserve des cas prévus par les dispositions législatives en vigueur. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 41, présenté par M. Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République et apparentés, et tendent à compléter le texte proposé par l'amendement n° 2 rectifié par les mots : « ou par les conventions internationales. »
L'amendement n° 26 est-il soutenu ? ...
La parole est à M. de Richemont, pour défendre l'amendement n° 36.
M. Henri de Richemont. Cet amendement se justifie par son texte même.
M. le président. L'amendement n° 27 est-il soutenu ? ...
La parole est à M. de Richemont, pour défendre l'amendement n° 37.
M. Henri de Richemont. Cet amendement a pour objet d'ajouter le qualificatif « interne », afin de permettre aux magistrats de notre pays de siéger dans les collèges d'arbitrage international. Il est bien évident qu'un magistrat en activité ne pourra intervenir comme arbitre que si le chef de cour l'autorise par dérogation et compte tenu de sa charge de travail. Je ne comprends pas très bien pourquoi une telle interdiction serait faite aux magistrats de l'ordre judiciaire, alors que les magistrats de l'ordre administratif ne seraient pas concernés.
En tout état de cause, ce qui paraît important, madame la ministre, c'est que les magistrats français puissent continuer à siéger comme arbitres pour les litiges internationaux, car l'interdiction de telles activités, telle qu'elle a été votée par l'Assemblée nationale, porterait préjudice à l'image de la France ainsi qu'au rayonnement du droit français et à la renommée de l'arbitrage français dans les contentieux internationaux.
Ce serait d'autant plus regrettable que, d'après les statistiques que nous avons consultées, les magistrats suisses, allemands et britanniques en activité sont déjà très souvent nommés. En maintenant une telle interdiction, nous renforcerions encore l'influence du système anglo-saxon dans les échanges économiques internationaux.
Je pense particulièrement aux contentieux mettant en cause des entreprises du continent africain, notamment. En effet, les Etats africains qui avaient jusqu'à présent tendance à nommer des magistrats français pourraient être tentés de faire appel à des magistrats anglo-saxons. Les litiges impliquant des parties francophones, s'ils n'étaient plus arbitrés par des juges français, passeraient alors entre les mains de professionnels étrangers.
La concurrence qui existe entre les différents systèmes judiciaires, et dont il faut que nous soyons conscients, devrait nous inciter à maintenir un service public performant. L'arbitrage international, qui nécessite une formation de grande qualité, contribue au rayonnement de notre système judiciaire et permet aux Etats francophones de choisir des magistrats français. Il est important de contribuer à assurer le rayonnement de notre pays.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 2 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale vise à interdire les activités d'arbitrage en général exercées par des magistrats.
Avec cet amendement n° 2 rectifié, nous proposons de préciser que cette exclusion s'applique sous réserve des cas d'arbitrage prévus par les dispositions législatives en vigueur, notamment celles qui figurent dans le code du travail.
M. le président. La parole est à M. de Richemont, pour présenter le sous-amendement n° 41.
M. Henri de Richemont. Ce sous-amendement va dans le sens de l'amendement n° 37, que je viens de défendre.
Interdire les activités d'arbitrage non seulement provoquerait une rupture entre la France et ses voisins de l'Union européenne, mais serait en contradiction avec nos engagements internationaux et avec les attentes de nombreux Etats francophones.
Le fait d'interdire aux magistrats français de siéger dans des collèges d'arbitrage international irait vraiment à l'encontre des intérêts de notre pays, nuirait au rayonnement de notre droit, ainsi qu'au prestige de notre législation et du système juridique français.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 36, 37 et sur le sous-amendement n° 41 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour la clarté du débat, permettez-moi de revenir sur la façon dont se pose le problème.
En première lecture, la commission des lois avait décidé de ne pas supprimer la possibilité donnée aux magistrats de participer à des activités d'arbitrage, et la Haute Assemblée l'avait suivie.
L'Assemblée nationale a été d'un avis différent, puisqu'elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'autoriser les magistrats à devenir arbitres.
En deuxième lecture, la commission s'est finalement rangée à l'avis de l'Assemblée nationale. La raison principale de ce ralliement a été que, les magistrats étant surchargés de travail du fait des tâches normales de la justice, il n'était pas normal de les autoriser à y ajouter des tâches extérieures d'arbitrage, lesquelles prennent un certain temps.
La commission est par conséquent défavorable à l'amendement n° 36, qui tend purement et simplement à supprimer l'article 6 ter.
L'amendement n° 37 et le sous-amendement n° 41 ont le même objet, à savoir réserver l'hypothèse des arbitrages internationaux par exception à l'exclusion de la possibilité d'arbitrage. A titre personnel, je suis, sur ce point particulier, d'accord avec M. de Richemont, mais la commission des lois ne m'a pas suivi. Elle a en effet décidé à la majorité qu'il n'y avait pas lieu de faire une distinction en faveur des arbitrages internationaux. Par conséquent, elle est défavorable à l'amendement n° 37 et au sous-amendement n° 41.
Je fais simplement observer à M. de Richemont que la rédaction du sous-amendement n° 41 me paraît plus claire, car elle vise formellement les conventions internationales. Voilà pour l'avis de la commission, monsieur le président. A titre personnel, naturellement, je réserve mon vote.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 36, 37 et 2 rectifié, ainsi que sur le sous-amendement n° 41 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. On voit bien qu'il s'agit d'une question difficile. Pour ma part, je crois qu'il est opportun que le statut de la magistrature réglemente les activités d'arbitrage. En effet, le principe demeure, pour le magistrat en activité, celui de l'interdiction de toute autre activité professionnelle ou salariée.
Faut-il exclure toute possibilité d'arbitrage ?
J'ai été très attentive aux arguments qui ont été développés, et j'ai par ailleurs procédé à diverses consultations sur cette question.
Ma conviction est que le système le meilleur, le plus équilibré, est celui qui exclut les arbitrages internes, mais laisse ouverte la faculté de participer à des arbitrages internationaux, parce que c'est l'influence du système juridique français qui est alors en cause. C'est l'argument que nous retenons.
Naturellement, comme aujourd'hui, une autorisation devra être sollicitée par le magistrat auprès de son chef de cour préalablement à chaque participation à un arbitrage, fût-il international.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 36. Il est en revanche favorable à l'amendement n° 37 et, par voie de conséquence, défavorable à l'amendement n° 2 rectifié et au sous-amendement n° 41. Si on laisse cette porte ouverte, il faut totalement encadrer cette activité d'arbitrage et lui donner un périmètre réservé aux arbitrages internationaux.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'ai peur de ne pas m'être bien clairement exprimé sur l'amendement n° 2 rectifié.
Cet amendement a seulement pour objet de préciser que l'interdiction des activités d'arbritrages ne s'appliquera pas dans les cas prévus par les dispositions législatives qui sont actuellement en vigueur. Il semble qu'il en existe quelques-unes dans le code du travail.
Cet amendement n'est pas d'une très grande portée dans la mesure où il s'agit d'hypothèses assez exceptionnelles je crois ; mais il convient néanmoins de respecter des dispositions qui figurent dans le code du travail.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. On nous réclame la possibilité d'autoriser des activités d'arbitrage alors que les magistrats sont surchargés. Ils doivent, nous ont-ils dit, emporter des dossiers en week-end et prétendent ne pas parvenir à accomplir normalement les tâches qui sont les leurs.
Il se trouve que j'ai quelque expérience en matière d'arbitrages. Leur durée est, nous le savons, longue, singulièrement lorsqu'il s'agit d'un arbitrage international. En fonction du domaine concerné, des auditions de témoins, et sous réserve que le magistrat désigné comprennent les langues dans lesquelles le plus souvent ces arbitrages ont lieu, il arrive que ces derniers durent un temps considérable, jusqu'à deux ou trois mois, De surcroît, ils n'ont le plus souvent pas lieu en France. (M. de Richemont fait un signe de dénégation.) Monsieur de Richemont, vous savez très bien que cela se passe à Genève ! J'y suis allé comme vous.
Il s'agit donc d'une question de principe.
Compte tenu des conditions dans lesquelles nous travaillons ce soir, qui sont - pardonnez-moi ! - à la limite du dérisoire, puisque nous sommes cinq en séance, et eu égard au travail qui a été accompli en commission par plus de vingt commissaires, et à la façon dont les textes ont été étudiés, je tiens à dire que si les conclusions auxquelles nous sommes parvenus devraient être modifiées, je demanderais des scrutins publics !
M. le président. Monsieur de Richemont, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?
M. Henri de Richemont. Oui, monsieur le président, car je ne me sens pas autorisé à la retirer.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 36, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 37.
M. Henri de Richemont. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. J'ai écouté avec attention les arguments de M. le président de la commission des lois, pour qui j'ai une très grande admiration. Mais, ayant eu la chance et l'honneur de plaider à Genève devant le président Bellet, je peux dire qu'un magistrat français, même quand il travaille à Genève, participe au rayonnement de notre système juridique dans le monde. C'est donc une aberration d'interdire aux magistrats français d'être arbitres sous le seul prétexte qu'ils sont surchargés de travail. Je crois rêver ! Ce sont là des préoccupations de boutiquiers qui vont ruiner l'influence de notre pays et son rayonnement international, alors que la concurrence est réelle.
On va, de plus, privilégier le système anglo-saxon au détriment du nôtre, ce qui est extrêmement regrettable.
Telles sont les raisons pour lesquelles il est important selon moi de laisser aux magistrats français la possibilité d'être arbitres dans les litiges internationaux.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Sur cette question à la fois complexe et intéressante, je voudrais rappeler quelques évidences qui, hélas ! sont celles de la cruelle réalité de la justice d'aujourd'hui.
Nous vivons une époque où, nous le savons, la justice est surchargée et les magistrats suroccupés. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire ce qu'ils écrivent eux-mêmes, à juste titre, de leur condition. A cet égard, nous félicitons Mme le garde des sceaux pour les efforts considérables qu'elle déploie afin de remédier à cet état de fait.
Dans cette situation, il appartient à tous les magistrats, en particulier aux plus éminents d'entre eux - ce sont ceux que l'on choisit comme arbitres et non les autres -, de consacrer, avant leur retraite bien entendu, et sous réserve peut-être d'obligations universitaires que parfois ils remplissent, la totalité de leur temps, de leur énergie, de leur talent, de leurs compétences et de leur savoir à leur mission. On me dit qu'il faut faire face, dans le domaine international, à la concurrence. Je répondrai que nous ne manquons pas d'excellents arbitres et qu'au sein de la doctrine française, à l'université, au sein du barreau, comme d'ailleurs dans des professions qui ne sont pas nécessairement judiciaires, il y a des femmes et des hommes de la première qualité, appréciés dans tous les grands arbitrages internationaux, qui défendent les couleurs de l'arbitrage français.
Pour connaître l'arbitrage international, je sais que, de tous les arbitrages c'est celui qui requiert le plus de temps. Par ailleurs, les arbitrages ne se déroulent pas nécessairement selon la procédure qui est celle en usage dans les pays de droit écrit. Très souvent, les arbitrages internationaux se déroulent dans le cadre des règles de l' American Association, et cela implique quelquefois des mois d'audition de témoins.
Alors, oui, il faut que nos magistrats participent à l'arbitrage, mais quand ? Quand ils sont à la retraite. S'ils désirent se consacrer à l'arbitrage avant, qu'ils cessent à ce moment-là d'assumer la plénitude de fonctions qui sont, à mes yeux, les plus exaltantes qui se puissent concevoir, qu'ils quittent l'état de magistrat ! Aussi longtemps que notre justice connaîtra les difficultés dans lesquelles elle se trouve actuellement et alors qu'il y a pour tenir l'arbitrage des femmes et des hommes de la plus haute compétence pour satisfaire à tous les besoins internationaux, il faudra prendre en considération cette situation, je regrette d'avoir à le rappeler ici.
J'ajouterai enfin qu'il existe des procédures de contrôle de la régularité du déroulement des arbitrages. Chacun sait ce qu'il en est de l'examen des causes de nullité comme du problème de l'exequatur et que la magistrature, à ce titre, est appelée à intervenir pour contrôler, vérifier, et améliorer.
Elle participe donc d'une certaine façon à l'arbitrage. Voilà la voie qui doit être suivie.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. J'éprouve quelques hésitations à m'exprimer après M. Badinter, qui, sans aucun doute, est un grand spécialiste en la matière. Mais je me hasarde avec la naïveté qui est la mienne et sans les connaissances que vous avez, les uns et les autres, et sur lesquelles je devrais me reposer pour me prononcer.
Je souhaiterais tout de même réagir aux propos essentiellement centrés sur le problème de la surcharge de travail des magistrats, qui ont été tenus à la fois par M. le rapporteur, par M. le président de la commission et par M. Badinter, pour justifier leur opposition à l'amendement n° 37 de M. de Richement. Je note au passage, l'avis favorable du Gouvernement.
J'ai été très étonné de leur position, confortée par l'argumentation développée par M. Badinter, qui estime qu'en définitive, la surchage est une réalité et que ce ne serait pas rendre service aux magistrats que de leur permettre de procéder aux arbitrages pendant le temps de leur activité professionnelle. Il ajoute que, de toute façon, la France est bien représentée sur le plan international et que le droit français aura toute sa place dans le cadre des arbitrages internationaux, qui pourront être assumés par des magistrats à la retraite.
Mais quel est donc ce pays qui attend que des hommes, dont l'activité professionnelle est la magistrature, ait atteint l'âge de la retraite pour leur permettre d'intervenir dans les arbitrages internationaux ? Il est tout de même surprenant de voir un pays fonctionner en s'appuyant sur les retraités d'une profession ! Au moment où se pose la question du financement des retraites, de l'âge auquel on pourra prendre sa retraite, permettez-moi de dire que c'est étonnant !
Pour ma part, je suis tenté de soutenir l'amendement n° 37 de M. de Richemont, et j'aurais bien aimé entendre Mme le ministre, qui a donné un avis favorable à cet amendement, nous expliquer comment elle entend faire face aux difficultés que nous risquons de rencontrer, aux dires de M. le rapporteur, de M. le président de la commission et de M. Badinter.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 37, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 41.
M. Henri de Richemont. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Je n'ai pas coutume de défendre ce qui est en opposition avec à un vote émis par le Sénat. Toutefois, alors que mon amendement n° 37, qui me paraît tout à fait raisonnable et qui, à mes yeux, devait renforcer le prestige du système judiciaire français, a été rejeté, je défends néanmoins le sous-amendement n° 41, qui, je l'espère sera adopté. Au demeurant, je ne me fait pas beaucoup d'illusions ! M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 41, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6 ter, modifié.

(L'article 6 ter est adopté.)

Articles additionnels après l'article 6 ter