SEANCE DU 9 MAI 2001


IVG ET CONTRACEPTION

Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 273, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. [Rapport (n° 297, 2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, adopté ici même le 28 mars dernier, vient en discussion en nouvelle lecture devant votre Haute Assemblée. Ce texte a donné lieu à un riche débat dont nous pouvons nous féliciter.
Mme Elisabeth Guigou avait rappelé, lors de la première lecture, que le Gouvernement s'était engagé avec détermination, depuis 1997, dans une politique innovante en matière d'égalité entre les hommes et les femmes, comme il s'est engagé, bien sûr, dans la défense des droits historiques des femmes. Ce projet de loi en est une illustration.
Trente-quatre ans après la loi Neuwirth et vingt-six ans après la loi Veil, le Gouvernement entend franchir une nouvelle étape pour améliorer l'accès à la contraception et à l'IVG. Les échecs de la contraception sont patents, tant sont encore nombreuses les IVG. Cinq mille femmes doivent partir à l'étranger pour recourir à l'IVG parce qu'elles ont dépassé le délai légal. Quant aux 10 000 grossesses non désirées chez les adolescentes, qui aboutissent pour un tiers d'entre elles à une IVG, elles montrent combien il est nécessaire de moderniser et d'adapter les lois de 1967 et de 1975. C'est tout l'enjeu de ce projet de loi.
Le texte, dans son état actuel, traduit la qualité de nos précédents débats, qui ont permis de l'amender et de l'améliorer.
Je sais toutefois qu'il ne reflète pas complètement l'inspiration du texte voté dans cet hémicycle, et c'est pourquoi je souhaite revenir sur un certain nombre de points.
Ce projet s'inscrit dans une politique globale qui vise à réduire le nombre de grossesses non désirées et à faciliter l'accès à l'IVG quand la femme a choisi d'y recourir.
Le Gouvernement entend, en tout premier lieu, conduire une politique très offensive en matière de contraception. C'est une priorité absolue.
Il faut bien reconnaître que l'information sur la contraception, et plus largement sur la sexualité, est encore insuffisante. Nous en sommes tous conscients.
Nous pouvions penser - je le pensais moi-même - qu'en l'an 2000 la relation parentale permettrait d'assumer de façon naturelle cette éducation de la vie. Or, la réalité n'est pas aussi simple. C'est bien pourquoi les pouvoirs publics doivent considérer qu'ils ont une responsabilité partagée sur ce sujet.
Dix-huit ans après la campagne de 1982, nous avons donc produit et financé, tout au long de l'année 2000, une grande campagne nationale sur la contraception, d'un montant de 24 millions de francs. Elle a été relayée dans chaque région par des actions de proximité. Plus de 2 000 actions locales ont été initiées et réalisées par les institutions et par les associations, rassemblées au sein des comités de pilotage départementaux.
Cette campagne sera renouvelée en 2001, mais pas avant l'automne compte tenu des contraintes liées aux procédures d'appel d'offres publiques. L'agence sera choisie ce mois-ci et le comité de pilotage se réunira en juin prochain.
Trois directions seront privilégiées : le public jeune, les milieux plus défavorisées et les actions de terrain.
Chaque année, une nouvelle classe d'âge s'éveille à la vie sexuelle. L'information sur la contraception doit donc être permanente et accessible à toutes les femmes.
Parallèlement, afin de mieux prendre en compte l'évolution des méthodes contraceptives et le coût de la contraception, le Gouvernement a pris des mesures concrètes pour faciliter l'accès de toutes les femmes à tous les contraceptifs disponibles sur le marché.
Je rappellerai brièvement les principales dispositions.
Depuis le 29 août 2000, le prix du stérilet a été réduit et son remboursement par la sécurité sociale sensiblement amélioré. Son coût maximal est dorénavant de 142 francs, remboursé à 65 %, alors qu'il se situait aux alentours de 300 francs et n'était remboursé que 44 francs. En outre, sa prise en charge est assurée à 100 % pour les bénéficiaires de la CMU.
S'agissant des contraceptifs oraux de troisième génération, nous avons proposé aux industriels concernés un remboursement sur un prix équivalent à celui des contraceptifs de deuxième génération.
Ces propositions sont suspendues à l'avis du comité des spécialités pharmaceutiques de l'Agence européenne du médicament, qui a entrepris de réévaluer le rapport entre le bénéfice et le risque de l'ensemble des contraceptifs de troisième génération.
N'oublions pas, enfin, la mise sur le marché des premières pilules dites « du lendemain, » des contraceptifs d'urgence : le Tétragynon depuis janvier 1999, le NorLevo depuis juin 1999.
Par ailleurs, je citerai les efforts en matière d'éducation à la sexualité des jeunes. Je partage les arguments invoqués par tous les parlementaires sur cette question. L'éducation à la sexualité dans le milieu scolaire doit jouer son rôle au côté de l'éducation parentale.
Comme l'avait précisé Bernard Kouchner, la direction générale de la santé a engagé des actions avec l'éducation nationale pour mettre en place un dispositif de formation des personnels de l'éducation nationale.
Ces actions ont été lancées avant l'introduction dans le projet de loi, par les députés, en première lecture, de l'obligation de tenir au moins trois séances annuelles dans les collèges et lycées. La Haute Assemblée a souhaité aller plus loin en étendant cette éducation, évidemment adaptée, à l'école primaire. Cette modification a été retenue par l'Assemblée nationale, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Cette politique active de la contraception devrait permettre de réduire le nombre des grossesses non désirées et des IVG.
Mais, lorsqu'une femme a décidé d'interrompre sa grossesse, la loi doit lui garantir ce droit dans les meilleures conditions.
C'est pourquoi nous avons d'abord amélioré les conditions d'accès à l'IVG. Des crédits d'un montant total de 12 millions de francs ont été affectés, au titre du budget 2000, à l'ensemble des régions. Ils ont permis la création de postes de praticiens contractuels dans les établissements publics de santé confrontés à des difficultés pour assurer la prise en charge des IVG. Une dotation supplémentaire de 15 millions de francs est prévue en 2001.
En outre, depuis le 1er juillet 2000, des permanences téléphoniques régionales ont été mises en place pour améliorer l'information et éviter les dépassements légaux.
Dans le prolongement de la circulaire de novembre 1999, le présent projet de loi prévoit un élargissement des prises en charge des IVG médicamenteuses à la médecine de ville. Ces dispositions ont fait l'unanimité dans les deux assemblées. Nous pouvons, là encore, nous en féliciter.
Ces efforts, qui sont loin d'être négligeables, méritent d'être poursuivis.
Au-delà de ces progrès, nous proposons de nouvelles dispositions, notamment l'allongement des délais de dix à douze semaines et un assouplissement de l'autorisation parentale.
L'allongement du délai n'est nullement une remise en cause de l'esprit de la loi Veil ; cette dernière distinguait clairement déjà l'interruption volontaire de l'interruption médicale. Il n'est pas question pour le Gouvernement de confondre les deux. Le présent projet en témoigne.
Jusqu'à douze semaines, c'est à la femme d'exercer librement le choix d'interrompre ou non sa grossesse ; au-delà, seule une raison médicale tenant à la santé de la femme ou de l'enfant à naître peut justifier le recours à l'IMG. Nous avons d'ailleurs proposé une réécriture de l'article 8 bis qui vise à clarifier la procédure concernant les deux causes d'interruption médicale de la grossesse.
Vous regrettez également la suppression du caractère obligatoire de l'entretien préalable pour les femmes majeures et la simplification du contenu du livret-guide. Je me souviens que de nombreuses questions avaient été posées sur ce sujet lors de notre débat précédent. C'est pourquoi je souhaite réaffirmer que l'entretien préalable constitue un temps d'écoute et de parole pour une femme qui en exprime le besoin. C'est la raison pour laquelle nous tenons à ce qu'il soit systématiquement proposé.
Quant au dossier guide, les députés ont souhaité en limiter le contenu aux informations relatives à l'IVG et mieux respecter ainsi la décision de la femme. Il ne s'agit nullement de favoriser cette information aux dépens d'une information sur les aides données aux femmes souhaitant garder leur enfant ou en adopter un. D'autres documents seront mis à la disposition des femmes et pourront être remis lors de la première consultation médicale ou lors de la consultation sociale.
Je tiens maintenant à rappeler l'importance de l'aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineures.
Le principe de l'autorité parentale reste la règle, et vous avez accepté la dérogation à ce principe dans les situations exceptionnelles. Le texte a été amélioré, mais un point de divergence demeure sur la qualité de la personne susceptible d'accompagner la mineure.
Nous n'avions pas souhaité limiter les choix de la mineure à des professionnels, des personnes qualifiées ou à un membre de sa seule famille. Le Gouvernement maintient cette position.
Par ailleurs, en matière de dispositions pénales, la divergence subsiste sur la place dans les codes - code pénal et code de la santé publique - des mesures répressives et sur l'abrogation du délit de propagande. Le Gouvernement considère plus cohérent de regrouper dans le code de la santé publique toutes les dispositions relatives à l'IVG, à l'exception de celles qui concernent les atteintes à l'intégrité de la personne.
J'évoquerai enfin mesdames, messieurs les sénateurs, un sujet très sensible, la stérilisation à visée contraceptive.
Les débats ont été particulièrement riches et empreints d'une réelle volonté de chacun de prendre toutes les précautions et toutes les garanties permettant de respecter les droits des personnes et de protéger les plus vulnérables. L'encadrement de la stérilisation à visée contraceptive a été nettement amélioré.
Les débats, je le répète, ont été d'une très grande richesse. Je tiens, une dernière fois, à rendre hommage à chacun d'entre vous pour ce travail constructif. J'observe cependant que des divergences demeurent sur des propositions importantes qui traduisent parfois des philosophies de vie différente, mais que chacun respecte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend acte de votre question préalable et donc, vraisemblablement, de l'impossibilité d'aller plus loin dans notre dialogue. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Il ne fallait pas inscrire ce projet en urgence !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, réunie le mercredi 4 avril 2001, au Sénat, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à trouver un accord sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Elle a échoué sur l'article 1er A, article de principe introduit par le Sénat qui faisait de la réduction du nombre des IVG une priorité de santé publique et qui prévoyait que le Gouvernement mettrait en oeuvre, à cette fin, les moyens nécessaires à la conduite d'une véritable politique d'éducation à la sexualité et d'information sur la contraception.
Cet échec, sur cette disposition précise, est en lui-même significatif.
Saisi en première lecture de vingt-six articles, le Sénat avait adopté une position conforme à celle de l'Assemblée nationale sur huit d'entre eux. Il en avait supprimé sept et modifié onze. Il avait également inséré six articles additionnels nouveaux.
En examinant le dispositif du projet de loi, le Sénat avait donc souhaité, certes, en limiter les dangers mais, loin de rejeter l'ensemble du texte, il en avait amélioré sensiblement la teneur sur de nombreux points et amplifié la portée.
Pour sa part, l'Assemblée nationale, examinant le projet de loi en nouvelle lecture le mardi 17 avril 2001, est revenue pour l'essentiel à son texte de première lecture.
Alors que vingt-quatre articles restaient en navette à l'issue de la première lecture au Sénat, l'Assemblée nationale n'a adopté qu'un seul article conforme : l'article 16 ter , résultant d'un amendement de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et prévoyant qu'une information et une éducation à la sexualité seraient dispensées dans toutes les structures accueillant des personnes handicapées.
Elle a donc supprimé cinq des six articles additionnels introduits par le Sénat : l'article 1er A, que je viens d'évoquer, et l'article 3 bis A, introduit sur l'initiative de notre collègue Bernard Seillier, qui crée, dans chaque département, sur l'initiative du conseil général, un répertoire des aides économiques, des lieux d'accueil et d'hébergement, des associations et organismes susceptibles d'apporter une aide morale ou matérielle aux femmes enceintes en difficulté.
L'Assemblée nationale a également supprimé l'article 9 bis , résultant d'un amendement de notre collègue Claude Huriet, qui prévoit, en réponse à l'arrêt Perruche, que nul n'est fondé à demander une indemnisation du seul fait de sa naissance.
Enfin, elle a supprimé les articles 14 bis et 17 bis , résultant des amendements de nos collègues Lucien Neuwirth et Jean-Claude Carle, qui imposaient au Gouvernement de déposer au Parlement des rapports présentant le bilan des actions menées en faveur de l'information sur la contraception et la sexualité.
L'Assemblée nationale est revenue mot pour mot au texte qu'elle avait adopté en première lecture pour neuf articles modifiés ou supprimés par le Sénat. Cette position traduit à l'évidence les divergences de fond qui séparent nos deux assemblées.
Le désaccord porte, tout d'abord, sur l'allongement à douze semaines de grossesse du délai légal.
Le Sénat avait estimé en première lecture que cet allongement constituait une fuite en avant et n'apportait pas de véritable réponse à la situation des quelque 5 000 femmes qui, chaque année, sont contraintes de se rendre à l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus éloigné.
En effet, la moitié seulement des femmes concernées, soit 2 000 à 3 000 selon les estimations les plus fiables, serait susceptible de bénéficier de ces deux semaines supplémentaires. L'autre moitié dépasse de toute façon le délai de douze semaines de grossesse. Qu'adviendra-t-il de ces femmes enceintes ? Le projet de loi reste muet sur ce point.
Le Sénat avait également estimé que l'allongement du délai légal comportait un certain nombre de risques qui étaient loin d'être négligeables. L'intervention devient plus difficile, d'un point de vue tant technique que psychologique, entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Deux semaines supplémentaires changent la nature de l'acte médical : elles impliquent un effort considérable de formation et la mise en place de moyens techniques garantissant la sécurité des interventions.
L'allongement du délai risque ainsi de dégrader encore le fonctionnement quotidien du service public. Il est probable que l'accès à l'IVG restera toujours aussi difficile pour certaines femmes, et il est à craindre que ces difficultés ne soient encore accrues.
Enfin, le Sénat avait tenu à rappeler que, si l'on ne peut pas parler d'eugénisme, le risque existait néanmoins de pratiques individuelles de sélection du foetus au vu des éléments du diagnostic prénatal.
En définitive, notre assemblée avait considéré que l'allongement du délai revenait à déplacer les frontières de l'échec.
Fidèle à sa logique, l'Assemblée nationale a rétabli l'allongement du délai légal à douze semaines de grossesse.
Les divergences entre nos deux asssemblées ne se limitent toutefois pas à la question du délai légal ; elles concernent bien d'autres points, essentiels à nos yeux.
M. Alain Gournac. Essentiels !
M. Francis Giraud, rapporteur. Ainsi, l'Assemblée nationale a notamment rétabli le contenu du dossier-guide, tel qu'elle l'avait adopté en première lecture, c'est-à-dire amputé de l'énumération des droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères et à leurs enfants, ainsi que des possibilités offertes par l'adoption d'un enfant à naître, et de la liste des organismes susceptibles de lui apporter une aide morale ou matérielle.
Elle a également rétabli la suppression du caractère obligatoire de l'entretien social préalable et les dispositions relatives à l'aménagement de l'obligation de l'autorisation parentale pour les mineures, sans retenir les ajouts importants du Sénat sur la qualité de la personne accompagnante et sur son rôle consistant à « assister » la mineure.
L'Assemblée nationale a maintenu le nombre de trois séances d'information et d'éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées, alors que le Sénat avait proposé de retenir le nombre de cinq séances ; la rapporteure de l'Assemblée nationale a jugé que l'augmentation du nombre de séances n'était pas réaliste. A cette occasion, l'Assemblée nationale a également écarté l'ajout de notre collègue Lucien Neuwirth consistant à prévoir l'organisation de réunions associant les parents d'élèves pour définir des actions conjointes d'information sur la sexualité et la fécondité.
L'Assemblée nationale a, en outre, persisté dans sa volonté de supprimer l'obligation de prescription médicale pour les contraceptifs hormonaux, obligation que nous avions maintenue pour des raisons de santé publique, mes chers collègues.
De même, elle a supprimé, pour l'interruption médicale de grossesse, l'IMG, la référence à la « santé psychique de la femme », que le Sénat avait introduite afin de permettre la prise en charge des situations les plus douloureuses.
Elle a également supprimé une disposition importante que nous avions introduite afin de protéger la femme enceinte contre toute forme de pression destinée à la contraindre à une interruption de grossesse.
Elle a enfin écarté la notion d'un âge minimal - que nous avions fixé à 35 ans - pour bénéficier d'une stérilisation.
Pardoxalement, la navette n'a porté que sur l'article 20 relatif à la stérilisation des adultes handicapés, article qui n'avait pas véritablement de lien avec l'objet du projet de loi. Cet article est le seul pour lequel la rapporteure de l'Assemblée nationale a consenti à reconnaître que le Sénat en avait « inconstablement » amélioré la rédaction.
Les autres modifications adoptées par l'Assemblée nationale ne relèvent pas du jeu de la navette ; elles constituent autant de remords de l'Assemblée nationale ou d'ajustements apportés à son propre texte de première lecture.
En définitive, l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a non seulement rétabli l'intégralité des dispositions contestées par le Sénat, mais elle a également écarté l'essentiel des améliorations et corrections que nous avions apportées, de même que la quasi-totalité des articles additionnels dont nous avions souhaité enrichir le projet de loi.
Une fois de plus, l'Assemblée nationale avait déjà donné son dernier mot en première lecture ! Un tel résultat était hautement prévisible, et du reste prévu par la commission, dès lors que le Gouvernement avait entendu soumettre le présent projet de loi au titre de la procédure d'urgence.
Dans ces conditions, mes chers collègues, la commission considère qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération. Elle vous propose, en conséquence, d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Les autres groupes n'ont pas demandé à s'exprimer.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je considère que les seules batailles que l'on perd sont celles que l'on ne mène pas jusqu'au bout. Par tempérament, je pense en effet que tant qu'on n'a pas tout donné, on n'a rien donné.
Madame la secrétaire d'Etat, vous avez tenu des propos que j'ai écoutés avec beaucoup d'attention, je dirai même de plaisir, et auxquels chacun peut adhérer. Cependant, la situation n'est pas tout à fait telle que vous l'avez décrite.
C'est pourquoi, avant que mon excellent collègue Francis Giraud défende, au nom de la commission des affaires sociales, la motion tendant à opposer la question préalable, je souhaite m'exprimer - à titre personnel, bien sûr - sur le texte tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale et réaffirmer ma conviction profonde : la mise en oeuvre de la contraception en tant qu'acte volontaire et réfléchi, et manifestation de la liberté et de la maîtrise de la sexualité de chacun ne peut se développer dans notre pays que si les adolescentes et les adolescents, les jeunes femmes et les jeunes hommes, reçoivent une information, une éducation, qui les responsabilisent sur cet immense pouvoir qu'est la transmission de la vie.
Or, chacun en convient, et le Gouvernement le premier : l'Etat a failli dans le domaine de la contraception, de même qu'il n'a pas assuré ses missions, pourtant inscrites en toutes lettres dans la loi Veil de 1975.
Les promesses non tenues jusqu'à présent ont eu pour conséquences directes la situation dans laquelle nous nous trouvons : un nombre trop important de femmes sont contraintes de subir une IVG au-delà de dix semaines de grossesse - j'avais déposé un amendement portant précisément sur la douzième semaine. Mais, à mon grand regret, il n'a pas été retenu.
Chacun le sait, il était légitime de rappeler, dans un article préliminaire au texte qui nous était soumis, comme l'a fait le rapporteur M. Francis Giraud, un article de principe, l'article 1er A, que « le Gouvernement devait mettre en oeuvre à cette fin les moyens nécessaires à la conduite d'une véritable politique d'éducation à la sexualité et d'information sur la contraception. »
L'Assemblée nationale a supprimé cet article, arguant, dans un langage inaccessible au public, « de son caractère déclaratif sans portée normative » et en peinant à expliquer que la priorité de santé publique résidait « pour elle » dans le développement de la contraception, de l'information et de la recherche. Elle a pourtant exclu sans vergogne ces objectifs de la loi, ce qui est tout de même - permettez-moi de le dire - un « culotté » paradoxe. On approuve des principes sans vouloir les inscrire dans la loi ! Alors, comment faut-il faire ?
Il suffisait de supprimer la première partie de cet article 1er A s'il ne convenait pas et de sauvegarder le reste ! Je n'ose croire en effet que le Gouvernement et sa majorité considèrent l'avortement comme une forme de contraception, ce qui, pour nous, n'est pas envisageable !
J'avais rappelé, dans mon intervention en première lecture, les articles de la loi Veil qui sont restés lettres mortes. J'évoquerai de nouveau l'un d'entre eux, l'article 13 de la loi du 17 janvier 1975, devenu l'article L. 2214-2 du code de la santé publique.
Cet article dispose, entre autres, que « le Gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour développer l'information la plus large possible sur la régulation des naissances,... et par l'utilisation de tous les moyens d'information. La formation initiale et la formation permanente des médecins, des sages-femmes, ainsi que des infirmiers et des infirmières, comprennent un enseignement sur la contraception. » C'était particulièrement clair.
La loi Veil prévoyait-elle autre chose que ce que nous avons été obligés de rappeler dans cet article 1er A à cause de ces vingt années de carence ? Qui n'a pas respecté l'esprit de la loi Veil ?
Aujourd'hui, l'objet du projet de loi dont nous discutons n'est plus de réduire à terme le nombre des interruptions volontaires de grossesse dans notre pays, ni de trouver une solution aux dysfonctionnements qui règnent dans les structures chargées d'accueillir les femmes en demande d'IVG. Ces dysfonctionnements sont pourtant la principale cause de dépassement du délai légal.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Il me semble pourtant qu'un consensus aurait pu naître entre nos deux assemblées sur ce point au moins.
Mes chers collègues, depuis vingt ans, ces dysfonctionnements sont admis et tolérés. Il faudra, un jour, débattre de ce que nous voulons. Certains d'entre nous, toutes tendances confondues, dénoncent ces dysfonctionnements depuis des années, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Mais c'est en vain. Reconnaître les insuffisances et les responsabilités - qui sont partagées - et y remédier ensemble, est-ce si difficile ? Certains préfèrent peut-être le dogmatisme !
A cet égard, admettre que l'information et l'éducation à la sexualité et à la fécondité sont de la sphère de l'Etat, de l'école et, conjointement, de la famille, des parents, devrait tout naturellement conduire à introduire dans la loi - ce que j'ai proposé et que vous avez accepté, mes chers collègues - l'organisation dans les établissements scolaires de réunions spécifiques associant nécessairement les parents d'élèves.
Je ne m'explique donc pas la suppression de cette proposition par l'Assemblée nationale, au moment même où l'on met l'accent sur l'impérieuse nécessité de ne pas banaliser cette éducation, de ne pas la noyer dans le non-dit. Chacun sait pourtant à quel point certains parents sont embarrassés et ne savent pas comment s'exprimer sur ce sujet, retenus quelquefois par la pudeur, ou par la méconnaissance.
Je m'étonne de la décision de l'Assemblée nationale d'exclure les parents de ce dialogue si particulier et si indispensable.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Par ailleurs, l'Assemblée nationale s'est opposée à l'article 17 bis prévoyant que le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport sur le bilan des actions menées concernant la contraception et sur l'évolution des structures nécessaires à l'accueil des femmes demandant une interruption volontaire de grossesse.
Elle prétexte qu'il est de la mission naturelle assignée à la délégation aux droits des femmes et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, d'évaluer les actions d'information sur la contraception. Pourquoi pas ? Que la délégation donne son avis ! Mais ce n'est pas ce qui est demandé.
Ce que nous demandons, c'est que le Gouvernement lui-même - s'il en a le courage ! - dresse un bilan objectif et atteste des moyens qu'il aura mis en oeuvre pour remédier aux carences actuelles, afin que le Parlement puisse user, comme c'est son devoir, de son pouvoir de contrôle. Le Parlement n'est pas une assemblée de complaisance, ou alors il n'est plus républicain !
MM. Dominique Braye et André Maman. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Un contrôle a une signification, mes chers collègues. Qui dira le contraire ? Le contrôle, c'est une compétence.
A cela s'ajoute le fait qu'une évaluation n'engage personne, n'a jamais engagé personne.
L'énumération de ces quelques points « éliminés » du projet de loi par l'Assemblée nationale ne se veut pas exhaustive. Elle a uniquement pour objet de vous convaincre, mes chers collègues, de l'utilité de faire à nouveau entendre notre voix et de mettre l'accent sur la nécessité de poursuivre, dans la continuité, la mise en oeuvre des moyens appropriés à l'accès à la contraception - acte réfléchi et volontaire - en particulier grâce à une information adaptée, dès l'adolescence, sur cette réalité qu'est la transmission de la vie, responsabilité et pouvoir exceptionnels donnés aux femmes et aux hommes depuis la nuit des temps.
Le texte qui nous est imposé rompt avec la loi sur la contraception, comme il rompt avec la loi Veil, en supprimant, de fait, et entre autres, la notion de détresse, ce que j'ai constaté à ma grande surprise.
M. Jean Chérioux. Tout à fait ! C'était pourtant essentiel !
M. Lucien Neuwirth. J'ajoute que, dès la promulgation de cette loi, je soumettrai à la signature de toutes celles et de tous ceux qui voudraient m'accompagner une proposition de loi ouverte, réintroduisant le principe des dispositions que nous avions votées ensemble.
Mes chers collègues, j'ai la conviction que le vrai débat sur l'IVG a eu lieu lors du vote de la loi Veil. Depuis vingt-cinq ans, le monde a évolué, les comportements ont changé, ainsi que l'approche des problèmes de la transmission de la vie. Les lois sur la bioéthique nous interpellent aussi. Mais la transmission de la vie demeure ce qu'elle a toujours été, avec sa promesse d'enfant.
S'il est désiré, l'enfant est un projet de vie. C'est une raison majeure pour que la transmission de la vie soit enseignée le plus complètement - sans exclure la sexualité et la fécondité - et le plus sincèrement, mais surtout le plus tôt possible.
Trop de jeunes femmes vont à l'avortement avec le deuil au coeur.
Nous, élus du troisième millénaire, devons changer tout cela. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le rejet par la majorité de l'Assemblée nationale de tout le travail du Sénat construit par notre excellent rapporteur, M. Francis Giraud, hormis un unique amendement relatif à la stérilisation des personnes handicapées, révèle sûrement une incompréhension réelle de notre démarche.
Il traduit également une position idéologique que je souhaite mettre en lumière pour clarifier ce que je crois être une erreur fondamentale.
On pourrait caractériser cette position idéologique par un postulat : l'autodétermination absolue de la femme quant à sa sexualité et à sa fécondité.
Qui oserait contredire cette affirmation ? Qui oserait prétendre que la femme doit avoir une sexualité imposée par des tiers sans son consentement ? Ne serait-ce pas la définition même du viol ?
Qui oserait dire que la femme doit être fécondée en dehors de sa volonté ? Ne serait-ce pas la caractéristique même de l'esclavage ?
Hélas ! force est de constater que c'est une réalité. Je ne sais dans quelle proportion, mais quelques cas seulement seraient encore de trop. On entend parler de violences conjugales. On entend de plus en plus évoquer l'humiliation subie par des jeunes filles soumises contre leur gré à la violence de jeunes gens qui ont plus d'égard pour leurs motos.
Chaque fois, lors des procès, les mêmes arguments sont invoqués : la jeune fille était consentante, la femme était provocante, ou son comportement avait exaspéré son conjoint. La thèse de la victime coupable est vieille comme le monde, et nous ne pouvons pas revendiquer d'invention en ce domaine. Il y aurait toutefois beaucoup à dire sur l'hypocrisie d'une société qui, par sa publicité, ses fantasmes et ses images, cultive la provocation à une sexualité compulsive.
Est-ce, alors, une contre-offensive crédible que d'affirmer le droit absolu à l'avortement et à une sexualité sans interdit ? C'est une tentation explicable mais non justifiable.
Elle est explicable, car il est courant, depuis l'origine de l'humanité, que la femme se sente dans une situation de dépendance insupportable, exprimée par les conséquences de la chute originelle dans la Genèse : « Je multiplierai les souffrances de tes grossesses, dans la souffrance tu enfanteras des fils.
« Ton désir te portera vers ton mari, et lui dominera sur toi. »
Evacuer les contresens redoutables dans l'interprétation de ces phrases implique d'aborder cette question sans tabou.
La psychanaliste Marie Balmary, notamment dans son livre Le sacrifice interdit, sous-titré Freud et la Bible, a fort opportunément interrogé ces textes fondateurs pour les comprendre et aider à mieux en cerner la signification.
Sa réflexion est intéressante. Elle voit dans l'arbre au fruit interdit le symbole de la relation humaine. Ne pas consommer le fruit de cet arbre, c'est se garder de manger l'autre dans l'échange. C'est donc respecter l'autre et son altérité et, dans la relation à lui, ne pas le consommer, ne pas le prendre comme un objet, mais placer le rapport sous le régime du don interpersonnel réciproque sans violence. C'est la transgression de cet interdit qui enclenche l'engrenage du désir de possession et la dynamique de la violence, du rapport de force et de domination, clairement exprimés dans la malédiction biblique.
Il s'agirait donc pour Marie Balmary d'une mise en garde contre une servitude liée à la relation humaine instrumentalisée. Cette malédiction doit être vaincue et réparée. La question est de savoir comment. La méthode la plus simple consiste à ne pas manger l'autre, à ne pas entrer dans l'engrenage de la violence et de la domination pour ne pas en devenir l'esclave.
Ceux qui ont eu ou ont la joie de connaître l'expérience de l'amour librement choisi et entretenu dans le respect de l'autre et la fidélité savent que la voie est féconde et que la relation amoureuse dans un tel contexte s'affranchit du rapport de soumission et de domination. C'est même la voie de la liberté authentique. Mais la question est de pouvoir entrer dans cette voie, de la trouver, de la croire possible et de vouloir s'y maintenir quand on l'a trouvée, quelles que soient les séductions contraires ou même les défaillances qu'il faut aussi savoir surmonter par le pardon.
La récente disparition de l'académicien Jacques de Bourbon-Busset m'incite à évoquer sa mémoire, car ses oeuvres et sa vie constituent la plus éclatante démonstration de l'existence conjugale amoureuse affranchie de la servitude, telle que la femme et l'homme peuvent la vivre durablement s'ils veulent bien comprendre la nature exacte de la menace qui les guette et orienter leur volonté dans le sens de la vraie liberté.
A défaut, il est compréhensible que la personne meurtrie par une relation inégalitaire, violente et indigne soit tentée de sortir de cet enfer par une révolte radicale qui s'exprime spontanément par l'affirmation brutale d'autonomie absolue et une agressivité tournée contre tous ceux qui symbolisent pour elle le contraire de sa liberté, y compris sa propre vie considérée comme déchue, gâchée et à laquelle il faut à la limite mettre fin.
Mais il est non moins vrai que là n'est pas la solution. Que la violence engendre la violence, chacun l'admet facilement dans l'abstrait. Mais l'admettre à propos de l'expérience blessée de sa propre liberté est beaucoup plus difficile. La tentation est grande d'affirmer violemment jusqu'à l'excès sa propre liberté pour chercher à échapper à l'asservissement de cette liberté ressenti dans son corps, siège de la personnalité. Tel est le drame des femmes confrontées à des situations de détresse.
Il n'y a pas plus de procès à leur faire qu'il n'y en a à instruire à l'égard de celui qui se suicide.
En revanche, l'attitude qui consiste à ne pas les assister sous prétexte que toutes leurs décisions leur permettent de se construire et d'affirmer leur personnalité me choque profondément. N'y a-t-il pas une forme de non-assistance à personne en danger ? Chacun reconnaît que l'avortement est un mal, et qu'il ne peut jamais constituer une solution satisfaisante. Alors pourquoi, avec le tact et la discrétion qui s'imposent, ne pas essayer de faire preuve d'imagination pour venir au secours de la détresse et pour éviter le traumatisme de l'avortement ? La naissance d'un enfant serait-elle devenue le mal absolu qui ferait préférer son avortement à sa naissance ?
Le respect de la volonté de la femme est indispensable. Mais qui peut affirmer que, dans toutes les situations, cette volonté a été éclairée convenablement, et humainement suffisamment secourue ? Quelle perspective offrirait aux citoyens un Etat qui affirmerait que les volontés individuelles doivent rester absolument isolées et ne pas s'épauler les unes les autres ? Serait-ce encore une République ? Ne serait-ce pas le régime de l'égoïsme absolu ? Qui ne distinguerait dans un tel programme une sorte de tyrannie de l'individualisme porté à son paroxysme ? N'est-ce pas déjà l'orientation prise par nos moeurs politiques ? En admettant même qu'il soit impossible de dissuader à courte échéance les 220 000 avortements enregistrés chaque année en France, ne peut-on pas admettre qu'un tel objectif pourrait constituer au moins un projet politique authentique ?
Je m'explique. Ainsi que je l'ai dit, l'avortement participe à l'entretien de la spirale de violence qui meurtrit la relation humaine au sens étymologique du mot. C'est un coup de force opéré en réponse à une situation de violence ou tout au moins à une relation de puissance subie par une personne et qui provoque sa détresse. L'avortement constitue une violence mimétique ainsi que le dirait René Girard. C'est un acte de réaction.
Dans la mesure où l'Etat peut apparaître comme complice de cette dynamique de puissance, il aura dans l'avenir à affronter un procès pour déni de justice à l'égard de l'enfant conçu et pour non-assistance à personne en danger à l'égard de la mère, doublement abandonnée à son sort par un homme d'abord et par l'Etat ensuite. La situation présente connaîtra en effet inéluctablement un retournement. La lâcheté de l'indifférence qui consiste à affirmer la toute-puissance de la volonté de la femme en situation de détresse ne tiendra pas, dans le long terme, contre l'accusation de privatiser intégralement les rapports de force internes à la société.
Ce procès a déjà commencé à propos des relations de l'homme à la nature. Je veux parler de l'expression écologique. Il est loin d'avoir atteint sa maturité et n'apparaît pas avec toute son ampleur possible en raison de brillants développements scientifiques et technologiques encore à l'oeuvre. Les découvertes dans les biotechnologies laissent encore croire que la raison technologique ne connaîtra pas de limites à son triomphe.
On trouverait pourtant déjà de nombreuses raisons d'être modestes. Les agriculteurs en savent quelque chose. Les expressions nouvelles telles que le principe de précaution, le développement durable ou la traçabilité font une percée spectaculaire dans notre horizon intellectuel et politique. Qui ne pressent l'avènement d'une autre civilisation en gestation qui tempérera la suffisance et l'orgueil de la volonté de puissance !
C'est partout le même facteur qui joue et qu'on voit en action. L'humanité saura-t-elle s'orienter vers l'apprentissage du respect du fruit de l'arbre de la connaissance ? Saura-t-elle découvrir la supériorité de la paix acquise par la justice sur la tranquillité trompeuse obtenue par l'écrasement de l'autre ? C'est un regard neuf qui s'impose et qui concerne aussi, dans le texte de loi dont il est question aujourd'hui, la grave question de la stérilisation des handicapés. Ici encore, l'utilitarisme triomphe. Tout cela est le signe d'une époque finissante, où le réflexe bourgeois est porté à son apogée et à sa complète « démocratisation ».
N'oublions pas que les phénomènes culturels et de civilisation sont des phénomènes de longue période. La réponse de l'Assemblée nationale à notre travail permet simplement de dater l'état de la réflexion anthropologique du Parlement dans l'histoire de notre humanité. Mais, contrairement à ce que d'aucuns seraient tentés de penser, il ne s'agit pas d'un progrès qui s'accomplit sous nos yeux, à moins de se référer à la fin d'une époque. Dans une telle perspective, on peut dire qu'il y a même accélération du stade final.
Il n'y a en effet de possibilité pour la femme d'échapper à la malédiction de la soumission à l'homme qu'en faisant de l'homme un coopérateur attentif et fidèle de sa maternité, c'est-à-dire en en faisant un père. C'est pour cela que l'avortement consacrera toujours l'échec de sa libération. Le revendiquer comme un droit est la reconnaissance d'un renoncement à être. Repousser aujourd'hui sa limite à douze semaines, et demain encore plus, ne changera pas la nature de l'erreur commise à propos de la libération conjointe de l'homme et de la femme. Il ne peut y avoir de libération isolée de la femme sans la libération simultanée de l'homme. Si la phrase biblique paraît faire peser sur la femme seule le poids d'une servitude, c'est parce que la libération de cette servitude repose sur l'initiative de la femme. Ce serait une erreur grave que de croire que l'homme échappe à cette servitude. Qu'il puisse dominer sur la femme est la pire des servitudes, même si elle est masquée par les apparences trompeuses des mots. Il faut apprendre à l'homme à s'affranchir de la servitude qui le pousse à vouloir dominer la femme. Il a besoin de la femme pour y parvenir. Seule la paix entre eux permet de l'espérer.
C'est un problème de même nature que celui que l'humanité rencontre à propos de la dialectique du maître et de l'esclave. L'affranchissement de l'esclave ne peut réussir par la voie qui consisterait à en faire un autre maître avide de dominer. Il se fait par la transformation du maître accédant à un degré d'humanité plus élevé dans l'échelle des valeurs qu'il respecte. De la même manière, la libération de la femme peut être obtenue non pas par l'acquisition des réflexes dominateurs des hommes, mais par la civilisation des hommes abandonnant ces comportements de puissance pour devenir les serviteurs de la femme épouse et mère.
Voilà ce que je voulais dire aujourd'hui pour tenter d'ouvrir une brèche, tout au moins au niveau du verbe, dans la relation de domination et de puissance que l'Assemblée nationale signifie au Sénat sans fioriture. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. André Maman. Excellent !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

Question préalable