SEANCE DU 20 JUIN 2001


ORIENTATION BUDGÉTAIRE

Débat sur une déclaration du Gouvernement (suite)

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite du débat d'orientation budgétaire.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « maintenir le cap », tel est l'objectif que le Gouvernement se fixe dans le rapport déposé à l'occasion de ce débat. Je sens dans cette formule une inquiétude certaine, celle du navigateur encore vent arrière qui voit venir la bourrasque avant son entrée au port électoral de 2002.
Inquiétude face à la dégradation de la conjoncture américaine, en passe de traverser l'Atlantique.
Inquiétude face à la persistance d'un déficit de l'ordre de 200 milliards de francs, qui limite singulièrement toute possibilité de manoeuvre en cas de retournement conjoncturel.
Inquiétude aussi quant au discours à tenir, après avoir prétendu quatre années durant que la croissance était principalement l'oeuvre du Gouvernement et le résultat de « l'excellence » de sa politique volontariste.
Quoi qu'en dise officiellement le Gouvernement, l'économie française est en position vulnérable face à un risque de retournement de la conjoncture internationale. Tel sera le premier point de mon propos.
Avec l'atterrissage périlleux de l'économie américaine, ce n'est pas une « bulle » financière qui éclate, comme en 1999 ; il s'agit bien, malheureusement, d'un retournement classique de conjoncture qui se produit outre-Atlantique, à la suite d'un surinvestissement et qui risque fort de se propager dans le monde. Le Gouvernement fait le pari d'un maintien du rythme de la consommation ; il s'accélérerait même en 2001, pour atteindre 3,5 %, contre 2,2 % en 1999 et 2,7 % l'an passé.
Il s'agit là du maillon le plus faible du raisonnement de nos gouvernants. On peut craindre, en effet, que le freinage de la croissance de l'emploi qui se profile ne réduise le dynamisme du pouvoir d'achat et de la consommation. A cet égard, une récente enquête de l'INSEE, parue le 1er juin dernier, me paraît particulièrement significative. Elle montre que le moral des ménages français, au zénith à la fin de l'année 2000, est en train de chuter de façon fort inquiétante.
Que ce soit sur leur situation financière, sur leur niveau de vie ou sur l'opportunité d'acheter, les Français sont de plus en plus pessimistes. Cette « déprime » est sans doute accentuée par la prise de conscience, par nos compatriotes, de fragilités économiques nouvelles : je pense aux plans de licenciements annoncés au premier trimestre. C'est un signe que l'euphorie toute relative que notre pays a connue ces dernières années est à présent derrière nous, et que le réveil des Français risque d'être très dur à la veille de certaines échéances électorales !
Ce que montrent notamment les études d'opinion, c'est que la crainte récurrente du chômage reprend le dessus, une crainte que ne sera pas parvenu à dissiper un gouvernement qui, pourtant, se targue d'avoir durablement réduit le chômage. Il suffit d'étudier de façon précise les statistiques de l'emploi pour s'apercevoir que la baisse du nombre des demandeurs d'emploi depuis 1997 est beaucoup plus modeste que ne l'indiquent les chiffres retenus par le ministère du travail.
S'en tenir, comme le fait le Gouvernement, aux seuls chômeurs dits « de catégorie 1 » revient à exclure plus d'un million de Français de la perspective d'un retour à l'emploi, parce qu'ils ne recherchent pas un emploi à durée indéterminée à temps plein ou parce qu'ils sont en activité réduite. Si l'on ajoute les personnes les plus démunies, que ce soient les RMIstes non inscrits à l'ANPE ou les « sans domicile fixe », ce sont plus de quatre millions de Français qui seraient actuellement exclus du marché du travail !
Face à toutes ces incertitudes, il faut malheureusement constater que après les efforts méritoires accomplis par le précédent gouvernement entre 1995 et 1997 en faveur de la qualification de notre pays pour l'euro, nous nous trouvons en présence de finances publiques fragilisées, et ce à quelques mois de la mise en circulation de ce même euro.
Ce sera le deuxième point de mon intervention.
Dans un contexte incertain, le débat d'orientation budgétaire se déroule suivant un rite dépourvu de toute surprise, le rapport d'information est, certes, devenu beaucoup moins prolixe et un peu moins triomphant, mais la doctrine est réaffirmée sur un mode devenu quelque peu incantatoire : la baisse volontariste des impôts sera poursuivie, car elle est nécessaire au soutien de la croissance ; les dépenses seront maîtrisées dans le cadre d'un budget dynamique favorisant certains secteurs prioritaires, et le déficit du secteur public sera réduit, conformément à la discipline imposée par la coordination budgétaire européenne.
Tout cela est bien dit, mais tout l'art est dans l'exécution, et le Gouvernement ne nous dit nullement ce que pourraient être, dans un contexte de croissance incertaine, ses préférences dans la pondération qu'il accordera à ces trois objectifs, évidemment interdépendants.
S'agissant de la maîtrise de la dépense, les résultats du Gouvernement augurent mal du futur. Faute de véritables réformes de structures, le solde structurel du budget de l'Etat reste encore beaucoup trop déficitaire. Conscient de son incapacité à respecter ses objectifs, le Gouvernement n'a-t-il d'ailleurs pas revu à la hausse les perspectives d'évolution des dépenses de 2002 à 2004 ?
S'agissant des prélèvements obligatoires, avec un taux de 45,5 % du produit intérieur brut, la France est l'un des pays les plus imposés d'Europe. Rappelons que cette situation s'est particulièrement accentuée depuis 1997, le taux de prélèvement passant de 44,9 % du produit intérieur brut en 1997 à 45,7 % en 1999. Comme le note très justement dans son rapport notre collègue Philippe Marini, de mai 1997 à juillet 2000, le Gouvernement a réduit le déficit non pas grâce à une maîtrise des dépenses publiques, mais par un relèvement des impôts pesant sur les Français. C'est l'impôt sur les sociétés qui a connu, depuis 1997, la plus forte augmentation, croissant de 72 %. En outre, les recettes fiscales et non fiscales de l'Etat affectées à la sécurité sociale ont plus que doublé pendant la même période.
C'est d'ailleurs ce que reconnaît, entre les lignes, le rapport préparatoire du Gouvernement pour ce débat d'orientation budgétaire : la France se trouve aujourd'hui particulièrement exposée aux effets de la concurrence fiscale. Les récents plans de licenciements en sont, malheureusement, l'un des symptômes. Et le tout récent et excellent rapport de la mission du Sénat présidée par mon collègue et ami Denis Badré sur la mondialisation nous apporte, à cet égard, des éléments d'analyse très instructifs.
J'en viens à la dernière partie de mon intervention : comment peut-on favoriser la création d'emplois durables, en particulier dans le secteur dit de la « nouvelle économie » ? Je centrerai mon propos sur une « nouvelle économie » qui suscite ces derniers mois un certain scepticisme et qui est pourtant plus que jamais indispensable à la vitalité de notre économie et au retour vers le plein emploi.
La fiscalité, à cet égard, peut constituer un levier très efficace, la fiscalité des sociétés, mais aussi celle des ménages, afin d'orienter l'épargne vers la création d'entreprises et la prise de risques.
Parmi les mesures envisageables, certaines figurent dans la proposition de loi que j'ai cosignée avec mon collègue Jean-Pierre Raffarin en faveur de la création et du développement des entreprises sur les territoires.
Au sein du dispositif adopté par le Sénat le 10 février 2000, je citerai trois mesures majeures : la création de fonds communs de placement de proximité, FCPP, dont la détention de parts par les particuliers serait assortie d'avantages fiscaux, sur le modèle des fonds communs de placement dans l'innovation ; l'institution d'une aide aux créateurs d'entreprises, d'un montant de l'ordre de 60 000 francs, remboursable en cinq ans ; enfin, le développement d'incitations fiscales encourageant des particuliers ou business angels à consolider les fonds propres des créateurs et à offrir un accompagnement fondé sur l'expérience et la proximité.
S'agissant d'entreprises à forte valeur ajoutée du secteur de la nouvelle économie, sans doute faut-il songer également à réformer l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF.
Les règles de cet impôt paraissent inadaptées à la situation des associés dirigeants de start-up, dont les parts sont actuellement imposées si elles représentent moins de 25 % du capital.
Une modernisation s'impose également quant aux modalités de taxation des stock-options. Celles-ci doivent être conçues comme une nouvelle façon de voir le partage de la valeur ajoutée. Elles ont vocation à être diffusées le plus largement possible afin de toucher tous les salariés qui exercent une influence sur les performances de l'entreprise.
L'amélioration du régime fiscal des stock-options prévue par la loi sur les nouvelles régulations économiques constitue une avancée réelle, mais encore insuffisante, vers une simplification et un allègement de la fiscalité prônée depuis plusieurs années par la majorité sénatoriale, en particulier par mon groupe parlementaire, l'Union centriste.
La fiscalité des revenus doit être aujourd'hui repensée en fonction du nécessaire développement d'entreprises dont la philosophie est de promouvoir un nouveau partage de la valeur ajoutée, à travers, notamment, les stock-options. Si les taxations des revenus et des plus-values ne sont pas liées et pensées en fonction du développement de projets entreprenariaux fondés sur le risque, ces entreprises risquent de ne pas pouvoir fidéliser leurs salariés en France et, par voie de conséquence, de transférer leurs centres de décision à l'étranger.
Telles sont, brièvement exposées, des propositions qui favoriseraient des créations d'emplois durables dans des secteurs de pointe. Nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur ces différents thèmes lors du prochain débat budgétaire.
Madame le secrétaire d'Etat, le groupe de l'Union centriste ne pourra pas cautionner globalement les orientations que vous nous présentez. Cela étant, nous vous remercions par avance des réponses que vous apporterez à nos interrogations et des commentaires que vous ferez sur nos suggestions. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de RPR.)
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ainsi donc le Sénat poursuit la pratique du débat d'orientation budgétaire. Je note les perspectives d'institutionnalisation de cette « bonne habitude » que contient la proposition de loi organique relative aux lois de finances dont la discussion est en cours entre les deux assemblées.
Ce prélude à la préparation du budget pour 2002 nous permet de rappeler que la situation des finances publiques en général et celle des finances des collectivités locales en particulier se sont notablement améliorées depuis 1997.
Nos orientations générales sur le budget pour 2002 ont été largement développées, et de façon fort brillante, par mon ami Bernard Angels. Je veux insister, quant à moi, sur la situation des collectivités locales, qui sont le principal investisseur public et qui, comme d'autres secteurs de la vie nationale, ont tout lieu d'être satisfaites de la politique qui a été menée depuis quatre ans.
En 2000, les finances des collectivités locales ont continué à se redresser. Nous avons bien noté qu'elles sont « au large » ou, plutôt, moins à l'étroit qu'auparavant. Cette situation, jointe à une rigueur de gestion assez bien partagée, a permis le désendettement et l'allégement de la pression fiscale.
Les dépenses des collectivités ont progressé, en raison, notamment, de l'accroissement de la masse salariale et des investissements, qui, après avoir progressé en 1999 et en 2000, devraient se maintenir à un rythme soutenu en 2001 et 2002.
En 2000, les dépenses d'investissement - 220 milliards de francs - ont progressé de 10,5 % par rapport à 1999. Ce phénomène est lié à la montée en puissance des structures intercommunales à fiscalité propre. En effet, ces groupements représentent aujourd'hui 12 % des dépenses des collectivités locales, soit une hausse de 57 % par rapport à 1999. Cette progression de leurs dépenses d'équipement est deux fois supérieure à celle des dépenses des communes, qui sont pourtant déjà élevées.
Certains se sont plaints de la prise en charge par l'Etat d'une trop grande part des ressources fiscales locales. Quelles polémiques sur la vignette automobile de la part de départements « compensés », certes, mais hurlant à l'atteinte à la liberté fiscale ! Que n'avaient-ils augmenté davantage leur produit fiscal : ils auraient été « compensés » à due concurrence ! Et ils oubliaient de dire qu'ils sont désormais assurés d'une recette certaine !
Les recettes des collectivités locales font donc une large part aux concours de l'Etat. Ces concours, qui représentent au moins 40 % de leurs ressources et qui sont composés à plus de 60 % par des prélèvements sur recettes - le reste étant constitué de dotations budgétaires - ont progressé nettement, du fait de l'indexation du contrat de solidarité et de croissance, des abondements exceptionnels, ainsi que des compensations par l'Etat des allégements de fiscalité locale effectués par le Gouvernement depuis 1997.
Depuis cette date, les concours de l'Etat aux collectivités locales ont progressé de 7 % par an en volume. Si, plus précisément, on ne tient compte que de l'effet du contrat de solidarité et de croissance, ainsi que de celui des abondements exceptionnels, ces concours ont augmenté de 1,3 % par an en volume, alors même que les dépenses de l'Etat progressaient, toujours à structure constante, de 0,4 % seulement par an en moyenne. Les concours de l'Etat aux collectivités locales ont donc progressé trois fois plus vite que le budget de l'Etat. La situation ne serait évidemment pas la même si les « bases Juppé » du pacte de stabilité avaient été maintenues !
Il est certain que cette progression joue un rôle déterminant dans la situation financière actuelle des collectivités locales.
Le mandat des élus issus des toutes récentes élections municipales et cantonales débute sur des bases solides, puisque les dépenses de l'Etat en faveur des collectivités locales ont augmenté de plus de 15 % par rapport aux crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2000. Elles progressent de plus de 44 milliards de francs, passant de 293 milliards à 337 milliards de francs, soit une augmentation de 6,4 milliards de francs pour les dotations, de 31,6 milliards de francs pour les compensations et de 6 milliards de francs en faveur des dégrèvements.
Il n'en reste pas moins que le mode de financement des collectivités locales devrait faire l'objet d'une meilleure répartition, tout le monde en convient, et qu'il doit continuer à tenir compte du développement rapide de l'intercommunalité.
Il faut en effet reconnaître que le développement des communautés d'agglomération se traduit par des transferts financiers au détriment des communautés de communes, qui ont enregistré, notamment en milieu rural, une moindre progression de leur dotation globale de fonctionnement. Du fait de l'appel des compensations négatives, chacun sait que la TPU a peu d'attrait pour les petites communes rurales, même au sein des communautés de communes à fiscalité additionnelle.
Enfin, les grands concours de l'Etat pourraient faire l'objet d'une plus grande péréquation, à l'instar de la dotation de fonctionnement minimale des conseils généraux, car la solidarité n'est pas à la charge de l'Etat seul. Les collectivités doivent elles aussi la mettre en pratique. Tel est le rôle des communautés de communes.
C'est dire que les élus locaux attendent de connaître les projets du Gouvernement en matière de réforme des finances locales, projets qui doivent être présentés au Parlement à la fin de cette année. En attendant, nous nous félicitons de la reconduction du contrat de solidarité et de croissance annoncée pour 2002.
Nous croyons à la réforme de l'Etat. Ce n'est pas, de notre part, un acte de foi. Nous considérons qu'il s'agit d'une nécessité. Mais nous croyons aussi qu'elle doit s'accomplir dans la concertation.
Le but du Gouvernement étant de faire en sorte que la croissance soit au service de l'emploi et de la cohésion sociale, les services assurés par les collectivités locales ne doivent pas cesser d'être confortés dans cette optique.
A cette fin, nous souhaitons poursuivre notre action dans les trois axes suivants : instauration d'un nouveau contrat entre l'Etat et les collectivités locales sur les bases du contrat de croissance et de solidarité ; meilleure répartition des ressources locales au sein d'une intercommunalité améliorée ; modernisation des finances locales par une refonte d'ensemble du système, dans la ligne du rapport Mauroy, avec une fiscalité locale plus juste, en simplifiant les dotations et en permettant une péréquation améliorée et plus volontariste, et ce dans l'esprit d'efficacité et de solidarité que M. Laurent Fabius a évoqué hier devant le Sénat.
Vous nous trouverez, madame, à vos côtés, car vous répondez ainsi aux attentes de nos concitoyens et à celles des collectivités locales. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bernard.
M. Jean Bernard. Monsieur le président, madame « le » secrétaire d'Etat - je ne cède pas à la mode actuelle, ce qui n'enlève rien à la considération et au respect que je vous porte, madame -, mes chers collègues, l'année 2002 est importante, sinon essentielle, pour la défense nationale puisqu'elle correspond à la fin de la loi de programmation militaire pour 1997-2002.
La conjoncture internationale fait naître quelques inquiétudes quant à la pérennité de notre croissance.
Nous sommes d'ores et déjà touchés par le ralentissement de l'économie américaine. Nous n'ignorons pas qu'il affecte déjà l'Allemagne, notre partenaire, dont le marché contribue pour un tiers à la croissance française. Nous pouvons dès lors être inquiets quant à notre taux de croissance en 2002.
Si nous comprenons fort bien que les priorités du Gouvernement soient l'éducation, la sécurité, la justice et l'environnement, nous insistons sur la nécessité que le projet de budget de la défense nationale pour 2002 ne soit pas pénalisé, et nous demandons qu'il soit suffisamment important pour que la réussite de la réforme engagée en 1996 par le Président de la République ne soit pas compromise. Il en va de la crédibilité de notre défense autant que du moral des personnels qui la composent.
Non, madame le secrétaire d'Etat, les dépenses militaires ne sont pas du gaspillage. Elles sont un investissement à court terme pour notre industrie, elles sont un moyen pour les militaires d'exercer leur métier et elles sont un investissement à long terme pour notre sécurité, la défense de nos intérêts vitaux et la participation de notre pays à la défense de l'Union européenne.
Force est de constater, depuis trois ans, que les armées n'ont jamais profité des fruits de la croissance. Leur budget n'a pratiquement pas augmenté, loin s'en faut, et celui de leur équipement a baissé.
La loi de programmation initiale prévoyait que les crédits des titres V et VI devaient s'élever à 90,3 milliards de francs. Quant à l'annuité fixée à l'issue de la modification du programme de 1998, elle était de 86,1 milliards de francs. Or, nous avons pu constater que l'engagement du Gouvernement n'avait été tenu qu'en 1999. En 2000, les crédits d'équipement n'étaient que de 82,9 milliards de francs, accusant une baisse de 4 % par rapport à l'année précédente et, en 2001, ils ne s'élevaient qu'à 83,4 milliards de francs.
Depuis 1996, les personnels de notre défense ont parcouru un chemin gigantesque pour se restructurer, se professionnaliser et, ainsi, mener à bien la réforme engagée.
Cette réforme structurelle importante a exigé une évolution des mentalités en même temps qu'une grande capacité d'adaptation. Les efforts fournis ont été de taille et il ne faudrait pas, madame le secrétaire d'Etat, que les hommes et les femmes qui composent les éléments de notre défense aient le sentiment aujourd'hui que la communauté nationale ne les reconnaît pas.
Ils se sont adaptés sans bruit et sans état d'âme, démontrant ainsi que leur motivation fondamentale restait le service rendu à la nation. Encore faut-il que cette dernière leur donne les moyens d'exercer leur profession et de remplir leurs missions.
Or ils constatent aujourd'hui qu'ils restent pour ainsi dire les parents pauvres des choix budgétaires puisque, systématiquement, les arbitrages financiers du Gouvernement leur sont défavorables, le budget de la défense ne représentant plus que 1,96 % environ du produit intérieur brut de la nation.
Les crédits du titre III doivent donc augmenter en 2002, d'une part, pour améliorer les conditions de vie et de travail des militaires, en particulier dans l'armée de terre, et, d'autre part, pour leur permettre d'exercer leur activité et de poursuivre un entraînement nécessaire.
Nous estimons également qu'une plus grande attention doit être portée aux conditions de vie et au pouvoir d'achat des personnels, à l'heure où se développe, dans la communauté militaire, le sentiment que les efforts considérables de restructuration n'ont pas été récompensés par des avantages comparables à ceux qui ont été accordés à la société civile.
Une revalorisation de la condition militaire est indispensable car celle-ci n'est pas à la hauteur de l'engagement fourni.
Si le titre III a, jusqu'à ce jour, garanti la réussite de la professionnalisation, il n'a, en revanche, pas pris en compte l'effet des 35 heures.
Cette idée gagne les esprits, tant la vie familiale actuelle, sortie des casernes, est immergée dans la société civile. La rémunération, les conditions de logement et de garde des jeunes enfants ne compensent en rien les sujétions qui sont imposées aux militaires. De surcroît, le célibat géographique, qui découle essentiellement de l'absence d'emploi pour les conjointes, ajoute au malaise existant dans l'armée de terre, comme dans la gendarmerie d'ailleurs.
En outre, à l'heure où les contraintes liées aux opérations extérieures n'ont jamais été aussi fortes, j'attire votre attention, madame le secrétaire d'Etat, sur l'impact qu'ont eu certaines mesures, telles que la non-prise en charge d'un accident survenu hors service ou, pire, l'interruption de solde locale lorsque le militaire est en permission. Ces dispositions nous semblent tout à fait vexatoires et injustes.
Les militaires ont exprimé à plusieurs reprises leur inquiétude de voir la professionnalisation banaliser leur métier et, dans une certaine mesure, restreindre leur couverture sociale et leur protection juridique.
Il ne faudrait pas que les personnels des armées, qui côtoient en permanence des civils, qui sont immergés dans la société civile, aient l'impression qu'on leur supprime des avantages sociaux, qu'ils n'ont pas droit, sous prétexte qu'ils sont discrets et pudiques, à vivre et à travailler dans des conditions décentes.
Nous craignons, si ces sentiments perdurent, qu'ils ne contribuent à l'échec de la réforme de nos armées.
Puisque nous estimons que les militaires, en tant que salariés, doivent avoir exactement les mêmes droits que les agents publics, nous demandons que l'effort financier soit accru, de façon à attirer, conserver et renouveler les personnels, pour que les effectifs soient suffisants tant en quantité qu'en qualité.
S'agissant plus particulièrment des militaires de l'armée de terre, le budget 2002 devrait intégrer les exigences imposées par le nouveau système. Outre l'allégement des charges de travail, il est nécessaire de faciliter la vie quotidienne des unités et de leur personnel, et de leur offrir un cadre de vie décent. Faute de cette adaptation, il sera complètement illusoire d'espérer recruter et conserver une ressource de qualité. C'est à ce prix, madame le secrétaire d'Etat, que le modèle d'armée professionnelle sera atteint et consolidé en 2002. Nous craignons déjà la fuite de nos meilleurs éléments vers le secteur civil en même temps que la rupture de la dynamique de l'engagement, et ce d'autant plus que l'attractivité des postes est moindre que celle des emplois civils.
Avant de passer aux crédits d'équipement, il nous paraît important d'insister sur le point suivant : s'il est vrai que, depuis plusieurs années, les dépenses de fonctionnement ont progressé, il n'en demeure pas moins que cette progression est uniquement liée à celle des rémunérations et des charges sociales, tandis que les autres dépenses de fonctionnement ont fortement diminué, essentiellement au détriment de l'entretien programmé des matériels. Ces crédits n'étaient que de 1,1 milliard de francs en 2001.
Afin que le modèle d'armées 2015 prévu par la programmation soit réalisé, il est nécessaire que les crédits d'équipement du titre V se situent au-dessus de la barre des 85,9 milliards de francs fixés en 1998. En conséquence, nous estimons qu'ils doivent atteindre, au minimum, 87 milliards de francs en 2002, notre souhait étant qu'ils s'élèvent à terme à 90 milliards de francs par annuité.
Pour 2002, les autorisations d'engagement doivent augmenter. Il est en effet nécessaire que la dotation permette de couvrir la totalité des commandes globales dès leur passation, ce principe devant en particulier être appliqué aux programmes menés en coopération. Leur niveau doit également être majoré pour permettre, comme nous l'avons déjà signalé à maintes reprises, une croissance nette au bénéfice de deux domaines, généralement sacrifiés en cas de contraintes budgétaires, l'infrastructure et l'entretien programmé des matériels.
Les commandes globales étant le gage d'économies et de baisses de prix significatives, il convient non seulement d'avoir une dotation en autorisations d'engagement suffisante, mais également de mettre fin aux aléas budgétaires qui remettent chaque année en cause les programmes. Sur ce dernier point, nous déplorons que, par l'arrêté du 21 mai dernier, 300 millions de francs aient été ponctionnés sur le budget de la défense, dont 285 millions de francs sur le tite V. Nous ne le dirons jamais assez : l'expérience a bien montré que, pour les programmes majeurs, tout étalement se traduit mécaniquement et inéluctablement par des dépenses supplémentaires, tandis que le saupoudrage des commandes se traduit par des coûts de revient unitaires élevés.
Quant aux crédits de paiement, ils doivent permettre, en 2002, de rattraper les retards enregistrés en début d'exécution de la loi de programmation, en particulier ces trois dernières années.
Sans une hausse significative des crédits du titre V, madame le secrétaire d'Etat, le maintien de la capacité opérationnelle de nos matériels ne sera pas assuré.
En ce qui concerne la marine, nous avons noté, depuis plusieurs années, une décroissance continue des moyens d'investissement, laquelle a influé directement sur les programmes de cohérence opérationnelle et les soutiens. De ce fait, la situation de notre flotte est devenue préoccupante.
En conséquence, le budget pour 2002 devra confirmer le renouvellement des composantes majeures de projection et de dissuasion, qu'il s'agisse des frégates Horizon, du quatrième sous-matin nucléaire lance-engins de nouvelle génération ou du lancement du projet de frégates multifonctions.
En ce qui concerne l'armée de l'air, le budget pour 2002 devra tenir compte des tendances constatées chez nos partenaires européens. Nous le savons, la part des forces aériennes dans les budgets de la défense diffère entre la Grande-Bretagne et la France ; elle représente respectivement 30 % contre 21 % du budget global. La Royal Air Force risque de supplanter à court terme notre aviation de combat. Par ailleurs, le budget pour 2002 doit pouvoir assurer le passage d'une loi de définition à une loi de fabrication et prendre enfin en compte le coût des programmes Rafale et A 400 M.
En ce qui concerne l'armée de terre, il ne faut pas négliger le coût que représentent les entrées en phase de fabrication de l'hélicoptère Tigre et le poids financier du programme Leclerc. Si l'on ajoute l'indispensable prise en compte de la protection du combattant, les crédits du titre V doivent excéder les 16,9 milliards de francs alloués en 2001.
Indispensables au soutien des forces, les infrastructures et l'entretien programmé des matériels devront connaître une augmentation importante de leurs moyens.
S'agissant de l'entretien programmé des matériels, nous avions noté l'année dernière que les armées ne pourraient y faire face en 2001 dans la mesure où les crédits étaient tout à fait insuffisants, en baisse de 4 % par rapport au budget précédent. Ils s'élevaient en 2001 à 14 885 millions de francs seulement.
Les chiffres sont là, madame le secrétaire d'Etat, pour illustrer nos propos. La disponibilité technique opérationnelle des matériels majeurs de l'armée de terre n'est que de 21 % pour les chars AMX 10, de 34 % pour les chars Leclerc et de 66 % pour l'hélicoptère Puma. Quant à la marine, il est regrettable de constater qu'environ 20 % de ses bâtiments restent à quai et que 60 avions de l'armée de l'air sont dans l'impossibilité d'effectuer les entraînements nécessaires.
Par ailleurs, l'armée de terre souffre de grands retards dans la réalisation des infrastructures. Le plan Vivien de modernisation des logements pour les engagés est loin d'être achevé, si bien que ces derniers ont le sentiment que les armées n'ont pas tenu les promesses qui leur avaient été faites. Un effort devra donc être consacré à cette activité pour éviter d'accentuer le malaise existant.
Pour en terminer avec le titre V, sachant que l'inscription de dépenses indues diminue d'autant la réalité des crédits effectivement consacrés à l'équipement militaire, nous nous permettons d'émettre deux souhaits pour 2002.
Nous aimerions vivement, en effet, que les crédits du titre V ne soient pas utilisés pour financer le surcoût important des opérations extérieures, comme c'est le cas depuis trois ans, et ce à concurrence d'une somme non négligeable de 2,5 milliards de francs par an.
Nous souhaitons également que le budget civil de recherche et de développement ne bénéficie plus d'un prélèvement sur le titre VI. Nous n'ignorons pas que, de façon paradoxale et strictement contraire à la loi de programmation, les crédits du BCRD représentent une ponction de 4,15 milliards de francs pour le budget de la défense depuis 1997. Cela n'était pas prévu et ce n'est pas acceptable. En 2001, l'activité « recherche et technologies » disposait d'un budget de 4,4 milliards de francs sur les 5,6 milliards de francs prévus et théoriquement alloués. Nous estimons que la recherche doit pouvoir disposer en 2002 de davantage de moyens financiers si nous voulons garder une avancée que nous assuraient notre recherche et nos techniciens.
Enfin, lors du sommet de Nice, l'identification des forces nationales, susceptibles d'être mobilisées dès 2003 dans le cadre de la force européenne de réaction rapide, a été approuvée. Il faut donc d'ores et déjà prendre en compte les conséquences financières de l'engagement français. Pour avoir une force européenne efficace, il faut en outre que la France dispose de systèmes de commandement, de conduite, de communication et de renseignement adaptés.
Madame le secrétaire d'Etat, nous vous rappelons que le succès de la mise en oeuvre de la force européenne dépend en grande partie de la convergence des choix budgétaires des pays membres. Or, comme nous l'avons constaté, les divergences se font d'année en année plus criantes entre le Royaume-Uni et la France, je termine ce propos par une interrogation. Pourrons-nous, dans ces conditions, garder notre rôle prépondérant en Europe ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'exprime aujourd'hui dans ce débat d'orientation budgétaire en qualité de rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale.
L'année dernière, intervenant au même titre, je regrettais l'absence du ministre chargé de la sécurité sociale lors d'un débat d'orientation budgétaire. Considérant que les comptes - si nous réformions l'ordonnance de 1959 - devraient être agrégés, nous estimons que les deux ministres devraient être au banc.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Charles Descours. Je n'exprimerai pas aujourd'hui le même regret, non que la compagnie de Mme Guigou ne nous soit pas agréable,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Au contraire !
M. Charles Descours. ... mais parce que l'actualité de ces dernières semaines a montré que c'était vous, madame le secrétaire d'Etat, qui, avec M. Fabius, étiez les véritables patrons de la sécurité sociale et des comptes sociaux.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est rassurant !
M. Charles Descours. Ça... nous allons voir, monsieur le rapporteur général !
Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances de 2000, la Cour des comptes, constatant que vos marges de manoeuvre budgétaire se réduisaient, s'interroge sur les tentations qui, je la cite, « pour être assez traditionnelles, doivent être évitées ». La Cour des comptes relève ainsi « que l'Etat peut vouloir bénéficier implicitement du potentiel de hausse de la capacité de financement de la sécurité sociale, assise sur des recettes sociales considérées comme plus indolores et en hausse sensible, en débudgétisant des prestations sans dégager sur son budget des moyens correspondants. »
Quand on connaît la prudence avec laquelle la Cour des comptes s'exprime, tout cela explique la suite.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Charles Descours. Or, confronté à l'impossibilité, voire à la non-volonté, de dégager, sur le budget de l'Etat, les moyens nécessaires au financement de la politique du Gouvernement, et, plus particulièrement, des 35 heures, à l'évidence le Gouvernement n'a pas résisté à la tentation ! Les excédents des organismes sociaux fournissent désormais à l'Etat les « recettes de poche » - il me semble tout de même qu'il faut avoir une grande poche ! - qui lui sont nécessaires pour boucler ses fins de mois. Dès lors, on peut s'interroger à juste titre sur la réalité même des comptes budgétaires que vous nous présentez aujourd'hui.
Certes, je vous reconnais, madame le secrétaire d'Etat, ainsi qu'à votre ministère, le mérite de la persévérance.
En 1999, je le rappelle, lorsque s'était posée la question du financement des 35 heures, le projet initial du Gouvernement, sans doute largement inspiré par Bercy, était d'y faire participer la sécurité sociale et l'assurance chômage.
En effet, selon la loi de 1994, que nul n'ignore dans cette enceinte, et donc en l'absence de modifications du cadre légal, la compensation des exonérations de cotisations accordées dans le cadre des 35 heures aurait dû faire l'objet d'une dotation budgétaire, inscrite sur les crédits du ministère de l'emploi. Cette compensation se serait traduite par une augmentation importante des dépenses publiques. Le coût supplémentaire représenté par les 35 heures, en sus de la ristourne bas salaires, dite ristourne Juppé, était ainsi estimé, à l'époque, à quelque 65 milliards de francs.
Mais, bien entendu, comme cela était prévisible, le ministère des finances - où vous n'étiez pas encore en qualité de secrétaire d'Etat, madame - a usé de toute son influence, à l'époque, pour éviter l'inscription de ces dépenses supplémentaires au budget de l'Etat. A l'occasion de mon récent contrôle, sur pièces et sur place, des comptes du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, j'ai pris connaissance d'une note de la direction du budget en date du 15 février 1999.
Cette note précise que « le dispositif permanent d'aide à la réduction du temps de travail ne doit pas représenter un surcoût net pour les finances publiques ». Je comprends très bien cette volonté. Invoquant alors la théorie selon laquelle les créations d'emplois résultant des 35 heures génèrent des recettes supplémentaires de cotisations pour la sécurité sociale, le Gouvernement avait donc présenté un premier projet de FOREC qui mettait directement à contribution la sécurité sociale et l'UNEDIC. La commission des comptes de la sécurité sociale avait d'ailleurs, par anticipation, « provisionné » 5,5 milliards de francs au titre de la contribution du régime général pour l'année 2000. Toutefois, face à l'opposition unanime des partenaires sociaux, le Gouvernement avait dû finalement renoncer à ce projet de financement.
Le FOREC « première manière » était enterré, si je puis dire, mais le problème demeurait entier. Pour que les charges supplémentaires résultant des exonérations de cotisations ne viennent pas s'imputer au budget de l'Etat, il fallait trouver une autre solution pour maintenir le volontarisme budgétaire, comme M. Fabius l'a dit hier.
Est alors apparu le FOREC « deuxième manière », créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, sous la forme d'un établissement public. Désormais, la sécurité sociale allait bien participer au financement des 35 heures, mais de manière indirecte et opaque, et par l'intermédiaire d'un système de « tuyauteries » compliqué - je croyais avoir inventé le terme, mais je l'ai lu dans une note que la direction de la sécurité sociale adressait à son ministre.
Le régime général n'a pas récupéré les 5,5 milliards de francs déjà provisionnés par la commission des comptes. En effet, le Gouvernement a réduit les recettes du régime général à due concurrence afin de les affecter en ressources au FOREC nouvellement constitué, si l'on peut dire, parce que nous verrons par la suite qu'il ne l'est toujours pas.
En revanche, l'analyse du dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale permet d'établir que la création du FOREC s'est traduite, en 2000, par une économie de l'ordre de 6 milliards de francs pour le budget de l'Etat, le montant des recettes fiscales affectées étant inférieur au montant des charges transférées.
En 2001, afin de faire face à l'augmentation prévisible des dépenses du FOREC, ce « réseau de tuyauteries » fut perfectionné afin d'augmenter le prélèvement opéré sur les recettes de la sécurité sociale. Toujours selon la commission des comptes, sa mise en place s'est ainsi traduite, pour la seule année 2001, par une perte de 4,4 milliards de francs pour la branche famille, de 1 milliard de francs pour l'assurance maladie du régime général et de 1,7 milliard de francs pour le fonds de solidarité vieillesse.
En d'autres termes, et avant le prélèvement dont je vais parler ensuite, les excédents de la sécurité sociale résultant d'une conjoncture économique exceptionnelle ont été captés pour assurer le financement des 35 heures.
Ce FOREC « deuxième manière », même indirectement financé par la sécurité sociale, présentait toutefois, pour votre ministère, madame, un grave vice de conception. En effet, lors de sa création, le Parlement avait prévu un verrou légistatif afin de garantir, en cas de déficit, la compensation intégrale par le budget de l'Etat, le FOREC ne devant pas être présenté en déficit selon la loi.
Cela explique la « crampe administrative » qui s'ensuivit : pas moins de trente notes furent échangées entre les deux directions, celle du ministère des finances et celle du ministère des affaires sociales, au sujet du décret créant le FOREC. Cela a duré au moins six ou huit mois.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas le fait du hasard !
M. Charles Descours. Le décret n'a toujours pas été signé alors que nous étions parvenus, après avis du Conseil d'Etat, à un quasi-accord.
Jusqu'à aujourd'hui, le déficit des 35 heures a été supporté par la trésorerie du régime général. Le président du conseil d'orientation et de surveillance que je suis est bien obligé de le constater. En effet, ce FOREC virtuel reposait sur une fiction, à savoir l'équilibre affecté des dépenses et des recettes. Ce point d'équilibre avait été fixé à 67 milliards de francs pour 2000 et à 85 milliards de francs pour 2001. En réalité, selon la commission des comptes de la sécurité sociale, qui s'est réunie voilà quelques jours, le déficit du FOREC s'établit, malgré la ponction sur la sécurité sociale que j'ai déjà dénoncée, à 13,3 milliards de francs.
Selon les lois en vigueur, ce déficit aurait dû être intégralement compensé à la sécurité sociale par le budget de l'Etat, mais Mme Guigou a indiqué que la sécurité sociale, puisqu'elle était excédentaire, permettait « de prendre en charge l'écart de compensation - c'est joli, tous ces termes - en 2000 tout en maintenant son excédent ». Les partenaires sociaux se sont prononcés contre à l'unanimité et, si cette décision allait jusqu'à son terme, la parité de la gestion de la sécurité sociale, qui existe depuis cinquante-cinq ans, risquerait d'être mise en jeu.
Ainsi, en 2000, le coût total de la création virtuelle du FOREC a été de 18 milliards de francs pour la sécurité sociale ! A la lumière des chiffres que j'ai cités tout à l'heure, nous voyons que l'excédent du régime général aurait été de près de 24 milliards de francs si les 35 heures n'avaient pas été financées par la sécurité sociale.
On nous annonce - mais je ne suis pas d'accord avec ce chiffre - qu'en 2001 le déficit du FOREC s'élèverait « seulement » à 3,3 milliards de francs à la charge de la sécurité sociale. Je n'y crois pas, dans la mesure où les dépenses évaluées à 92 milliards de francs me semblent à nouveau sous-évaluées. Nous verrons bien !
C'est donc un FOREC « troisième manière » que vous allez mettre au point dans le projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, puisqu'il faut que désormais la sécurité sociale participe au financement du surcoût des 35 heures, au nom d'une théorie des retours particulièrement discutable.
Ces errements rappellent une situation passée que nous avons essayé de clarifier pour tenter de simplifier les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale. Les termes « charges indues » auraient dû sortir de notre vocabulaire. Malheureusement, je crains qu'ils n'y reviennent.
Je n'engagerai pas de polémique pour savoir combien d'emplois ont été créés grâce aux 35 heures, malgré la publication, intervenue hier de façon pertinente, du rapport du Plan. On peut considérer que, sur plus de 500 000 emplois créés en 2000, 100 000 à 150 000 sont dus aux 35 heures, les autres résultant de la conjoncture.
Je voudrais dénoncer une nouvelle fois ces tours de passe-passe entre le budget de l'Etat et les comptes sociaux qui tendent à devenir systématiques.
J'aurais pu évoquer l'allocation d'autonomie, dont nous avons parlé hier, au sujet de laquelle l'Etat ne fait aucun effort puisque, sur les 17 milliards de francs qu'elle coûtera cette année, 5,5 milliards de francs proviennent de la sécurité sociale, 500 millions de francs des fonds d'action sociale et 11 milliards de francs des départements.
Ces « tuyauteries » deviennent donc de vrais pipelines entre la sécurité sociale et le budget de l'Etat. Tout cela n'est pas sain, tout cela n'est même pas démocratique puisque nous ne pouvons plus expliquer à nos collègues, d'abord, à nos concitoyens, ensuite, ce qu'est aujourd'hui le budget social.
De même, ces excédents auraient pu alimenter le fonds de réserve des retraites. Je n'y reviendrai pas, la commission des affaires sociales du Sénat ayant rédigé des rapports sur tous ces problèmes.
Pour respecter un affichage budgétaire conforme à ses prévisions et en contribuant à l'équilibre des 35 heures par une ponction considérable sur la sécurité sociale, le Gouvernement a placé une véritable bombe à retardement au coeur de nos finances sociales.
Ce cumul explosif des 35 heures, des échéances démographiques de l'assurance vieillesse et donc du déficit des retraites, de la dérive des dépenses maladie est d'ores et déjà en place.
Après avoir écouté, hier, M. Fabius, qui a longuement insisté sur la prudence avec laquelle il fallait considérer les comptes 2001 parce que le freinage de la croissance est plus fort que prévu, je crains que cette machine infernale n'explose bientôt aux yeux de tous. Si cela devait arriver, j'espère que ce sera avant les échéances électorales et que l'opinion s'apercevra ainsi que l'on a masqué la réalité des comptes sociaux.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce sera à la charge des successeurs, comme d'habitude !
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais aborder deux points : le premier, que j'évoquerai en tant que rapporteur spécial du budget des affaires sociales à la commission des finances, concerne les finances sociales - il a déjà été largement traité et fort bien ; le second, que je traiterai en tant que rapporteur de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, des schémas de services collectifs de transports de voyageurs et de marchandises, concerne la politique des transports.
Je commence donc par les finances sociales.
Comme cela a été dit, l'examen des comptes fait apparaître un résultat vertueux pour la deuxième année consécutive. Mais, quand on creuse le problème, la réalité apparaît quelque peu différente.
Tout d'abord, on se rend compte que l'avenir n'est pas assuré - M. Descours vient de le montrer ramarquablement. Ensuite, cet excédent excite les convoitises de l'Etat, qui ponctionne nos comptes sociaux pour financer d'autres actions comme les 35 heures ; cela a été déjà souligné par la Cour des comptes.
La capacité de financement dégagée par les administrations de la sécurité sociale est de 54,5 milliards de francs, c'est considérable. Le solde du régime général est de 5,2 milliards de francs, dont acte au Gouvernement. Toutefois, cela résulte essentiellement, d'abord, de facteurs conjoncturels - nous nous en félicitons - mais surtout de la persistance des prélèvements obligatoires pour le domaine social qui sont et qui demeurent exorbitants.
Les prélèvements sociaux atteignent, en 2000, 21,4 % du PIB. Ils ont augmenté d'un point en quatre ans, passant de 20,5 milliards de francs à 21,4 milliards de francs ; rien que pour 2000, l'augmentation est de 6,7 % par rapport à 1999.
Effectivement, avec de tels chiffres, on peut obtenir des résultats intéressants. Mais le plus inquiétant c'est qu'aucune réduction à terme de ces niveaux de prélèvement n'est envisagée.
L'examen des dépenses appelle de ma part cinq observations.
La première de ces observations concerne la dette sociale, qui est toujours préoccupante. Les encours de la caisse d'amortissement de la dette sociale - la CADES - s'élèvent à 200 milliards de francs, auxquels il faut ajouter 100 milliards de francs à rembourser à l'Etat, d'où une question naïve, madame la secrétaire d'Etat : les excédents de la sécurité sociale ne pourraient-ils pas permettre d'accélérer le remboursement de la dette sociale ? C'est une question que je pose depuis longtemps sans avoir, bien entendu, jamais obtenu de réponse.
Deuxième observation : le Gouvernement s'est fait une spécialité de mettre en place des mesures sociales non financées, comme M. le président de la commission, M. le rapporteur général et Charles Descours l'ont souligné. Il doit alors se livrer à des acrobaties budgétaires invraisemblables, que tout le monde d'ailleurs dénonce en vain, telles que le montage d'usines à gaz pour financer les 35 heures ou l'allocation personnalisée d'autonomie.
Ma troisième observation a trait aux retraites.
Nous dénonçons tous l'absence totale d'anticipation du Gouvernement pour faire face au choc financier inéluctable que causeront les retraites.
Le conseil d'orientation des retraites, qui a été mis en place tardivement, l'année dernière, ne dit rien d'autre dans tous ses rapports que ce qui est déjà annoncé depuis dix ans, depuis le premier livre blanc sur les retraites.
Le fonds de réserve des retraites, qui devait être doté de 1 000 milliards de francs ne dispose actuellement que de 20 milliards de francs. Je poserai donc, une fois de plus, une question naïve, madame le secrétaire d'Etat : est-ce que l'Etat est en mesure de nous dire de quelles ressources ce fonds disposera au 31 décembre 2002, et, puisque nous sommes dans un débat d'orientation budgétaire, à la fin de 2003 ou de 2004 ? Là encore, nous sommes certains que, la question étant posée, la réponse ne nous arrivera pas de sitôt.
Ma quatrième observation est relative au déficit structurellement persistant de notre régime d'assurance maladie.
La branche maladie est déficitaire de 6,1 milliards de francs. Les prévisions pour 2001, qui ont été présentées récemment à la commission des comptes de la sécurité sociale, ne sont, en fait, guère crédibles compte tenu de l'absence de réforme.
Ainsi, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, qui doit figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale, n'a absolument plus aucune signification. Nous votons des objectifs qui sont calculés de façon biaisée, à partir de réalisations ayant elles-mêmes dépassé les objectifs précédents. Nous avons voté pour 2000 un ONDAM de 658 milliards de francs ; il a été réalisé à 675 milliards de francs, soit un dépassement de 17 milliards de francs !
C'est ainsi chaque année : le taux que l'on demande au Parlement de voter est en fin de compte totalement fictif. Pourquoi ? Parce que les réformes structurelles ne débouchent pas et que les incohérences se multiplient.
Le Gouvernement a présenté un schéma de services sanitaires que la délégation à l'aménagement du territoire a examiné hier. Paradoxalement, ce document n'a fait l'objet d'aucune consultation des principaux opérateurs. Je sais que ce n'est pas forcément de votre responsabilité, madame la secrétaire d'Etat !
La restructuration hospitalière est en panne, la coordination entre les soins de ville et l'hôpital est déficiente. Tout cela augure mal de l'avenir et du rééquilibrage de notre branche maladie.
Ma cinquième observation concerne les excédents des branches accidents du travail et famille, qui sont réels.
Il y a des excédents. Mais que prouvent-ils ?
Le premier excédent, celui de la branche accidents du travail, souligne la surtaxation des entreprises. On n'y peut rien, c'est mathématique !
Le second excédent met en évidence l'insuffisance de la politique familiale, laquelle ne saurait se résumer au seul congé de paternité - projet au demeurant excellent, nous n'en disconvenons pas. Nous aurions souhaité depuis longtemps, nous l'avons souvent dit, une politique familiale d'une autre envergure qui ait une autre ambition pour la France.
Je viens au deuxième point sur lequel je veux insister : le financement de la politique des infrastructures de transports, qui mobilise des montants financiers aussi considérables que la sécurité sociale et suscite un diagnostic tout aussi pessimiste.
J'ai présenté hier devant la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire mon rapport sur les schémas de services collectifs de transports collectifs, voyageurs et de marchandises, lequel a été adopté à l'unanimité des membres présents.
J'avais auparavant présenté deux autres rapports, l'un, devant la commission des finances, sur le financement des infrastructures de transport, l'autre, devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur la politique européenne des transports, le tout faisant un ensemble relativement cohérent.
Cela m'autorise à vous dire, madame la secrétaire d'Etat, que le budget que vous nous présentez cette année, comme celui que vous nous présenterez l'année prochaine n'anticipent en rien les besoins importants de financement que requiert une politique de transports cohérente, qui corresponde d'abord à l'évolution de la demande, ensuite au rôle que la France doit jouer comme plaque tournante des transports en Europe, notre position géographique nous autorisant, bien sûr, des ambitions dans ce domaine.
Je formulerai trois observations.
D'abord, la demande en matière de transport ne cessera de croître, comme elle croît depuis quarante ans. Je me souviens qu'au Club de Rome, dans les années soixante, soixante-dix, on dissertait sur la « croissance zéro ». Bien entendu, c'était une idée fausse, et la croissance continue de la demande en matière de transport provoque maintenant, un peu partout, des phénomènes de congestion ou de saturation.
Or il y a quelque chose d'inexorable dans la croissance de la demande en matière de transport : son taux est systématiquement à peu près du même niveau que celui de la croissance du PIB, affichant même parfois jusqu'à un point de plus. Cela vaut surtout pour certains modes de transport, comme la route ou la voie aérienne.
Les projections pour 2010 ou 2020 sont connues. La constitution et l'élargissement de l'espace européen sont des facteurs d'accélération de cette croissance, car on ne crée pas un vaste espace économique si ce n'est pas pour développer les échanges, et donc les transports.
Comme je l'ai indiqué, la place de la France est celle d'une plaque tournante et, compte tenu de la croissance plutôt forte que connaissent les pays du Sud, qu'il s'agisse de l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie, mais aussi, à terme, des pays du Maghreb, nous aurons encore un rôle majeur à jouer dans les transports européens. Nous devons donc nous y préparer.
Or nous observons actuellement des phénomènes de saturation et de congestion pour tous les modes de transport. En matière autoroutière, j'évoquerai, à titre d'exemples, le sillon rhodanien, la liaison entre Paris et Lille, la région parisienne, la traversée des massifs montagneux : qu'on songe au tunnel du Mont-Blanc. Les capacités de transport de fret par rail sont elles aussi saturés. Le ciel européen est congestionné. Quant à la desserte des ports, ceux d'Europe du Nord - Anvers, Amsterdam ou Rotterdam, qui sont aussi « nos » ports - comme les ports strictement français, elle n'est pas assurée dans des conditions satisfaisantes.
J'en viens à ma deuxième observation. Une des solutions possibles pour conduire une politique des transports plus dynamique consiste à transférer une part du trafic de fret de la route vers la voie ferrée. L'orientation est louable, intéressante, et nous y souscrivons.
Cependant, un tel choix emporte quelques exigences, et d'abord celle de la cohérence avec nos voisins européens. En effet, développer le fret ferroviaire est pertinent pour les grandes distances. Par conséquent, si l'on veut expédier par cette voie, à travers la France, des marchandises de Madrid à Berlin ou même de Marseille à Amsterdam, il faut que nos voisins aient eux-mêmes développé leurs équipements de fret ferroviaire.
Or que constatons-nous ? Le fret ferroviaire diminue dans tous les pays d'Europe ; seule la France s'en tire un peu mieux. Il y a là un obstacle sérieux au développement du fret ferroviaire.
Bien sûr, dans le domaine ferroviaire, le TGV constitue un grand succès et l'inauguration de la ligne Lyon-Marseille a été un couronnement de la politique menée en la matière. Mais le TGV ne transporte pas de marchandises !
La réflexion est d'autant plus urgente que la politique du fret ferroviaire engagée au cours des dernières années a été un échec, et même un échec cinglant. Les grèves de 1995, comme celles du printemps dernier, ont eu des effets dramatiques pour tous les chargeurs et, bien entendu, pour les opérateurs ferroviaires.
Chacun le sait, une politique de développement du fret ferroviaire nécessite des investissements colossaux : des dizaines de milliards. Qui paiera ? Réseau ferré de France est actuellement paralysé par une dette de 150 milliards de francs, dont personne ne sait comment elle peut être remboursée. La SNCF est étranglée par l'effort financier du TGV - lequel est toutefois nécessaire - et par des charges de personnel qui dépassent les recettes commerciales.
La sphère ferroviaire a besoin, pour fonctionner chaque année, d'une somme comprise entre 65 et 70 milliards de francs, à la charge des finances publiques, tant nationales que régionales.
Mais, là encore, les comptes sont opaques et l'avenir est inconnu. Or l'avenir du transport ferroviaire ne doit pas être sacrifié et il ne passe pas par l'étranglement de la route ; il passe par un effort d'investissement.
Ma troisième observation concerne le plan de financement prévisionnel de la politique des transports du Gouvernement. Ayant vainement cherché les chiffres dans le schéma de services collectifs de transport, j'ai été amené à élaborer moi-même ce plan de financement prévisionnel. Un tableau figure dans mon rapport, et il est très inquiétant, madame la secrétaire d'Etat.
Pour l'ensemble des réseaux de transport, la moyenne annuelle des investissements a été, de 1990 à 1994, de 45,3 milliards de francs et, de 1995 à 1998, de 45 milliards de francs. C'était certes insuffisant, mais c'était à peu près étal. Pour la période 2000-2020, la moyenne annuelle, telle qu'elle ressort du schéma de services de transport, est de 30,5 milliards de francs, ce qui représente une diminution d'un tiers par rapport aux périodes précédentes.
Sur quoi porte cette diminution ?
Le réseau routier national - routes et autoroutes -, qui a bénéficié respectivement de 24 milliards de francs et de 27 milliards de francs par an au cours des deux périodes précédentes, chute à 11,5 milliards de francs par an.
Le réseau ferroviaire, qui s'est vu attribuer 16,2 milliards de francs par an, puis 12 milliards de francs, recevrait 13,4 milliards de francs par an entre 2000 et 2020, ce qui est totalement insuffisant par rapport à nos objectifs.
Quant aux voies navigables, elles bénéficient d'une progression, mais les volumes sont marginaux : on passe de 0,7 milliard de francs à 0,9 milliard, puis à 1,7 milliard. On a abandonné Rhin-Rhône, Seine-Est et on a quasiment abandonné Seine-Nord, et les financements sont dramatiquement insuffisants.
M. Philippe Marini, rapporteur général. S'agissant de Seine-Nord, on ne nous a jamais dit qu'on l'avait abandonné ! Mais, dans les faits, c'est vrai !
M. Jacques Oudin. De toute façon, avec 1,7 milliard de francs par an, il est impossible de financer Seine-Nord.
S'agissant des ports maritimes, la baisse des dotations annuelles est constante : 1,6 milliard de francs, puis 1,3 milliard et finalement 0,9 milliard pour la période 2000-2020. C'est absurde !
Quant aux aéroports, les chiffres sont respectivement de 2,7 milliards de francs, 3,1 milliards et 3,3 milliards. Je pense que, si l'on fait un effort en faveur de Roissy et des aéroports de la périphérie, on pourra éventuellement s'en sortir.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La troisième aéroport n'est pas urgent !
M. Jacques Oudin. Quoi qu'il en soit, madame la secrétaire d'Etat, ce plan de financement à long terme est de la même veine que les dépenses civiles en capital, qui ne font que décroître en valeur relative. Quel est le poste qui augmente le moins dans le budget de 2001 ? C'est celui des dépenses civiles en capital, donc les dépenses liées aux transports.
Au total, à l'issue de ce bilan, après de si sévères constats, que faut-il retenir quant à la politique du Gouvernement ? Je note une politique sanitaire mal maîtrisée, une politique familiale déficiente, une politique des retraites irresponsable et une politique des transports irréaliste. Ce n'est pas ainsi, madame le secrétaire d'Etat, que nous préparerons l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roland du Luart. L'alternance risque d'être difficile à gérer !

(M. Jean Faure remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette discussion fort intéressante nous permet de mesurer le décalage entre le discours et les actes du Gouvernement.
Voilà moins d'une semaine, nous avons consacré le principe de sincérité des lois de finances dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est pour l'avenir !
M. Roland du Luart. Nous avons également voté une disposition qui institutionnalise le débat d'orientation budgétaire.
Nous avons enfin amélioré l'information du Parlement en enrichissant le contenu du rapport déposé par le Gouvernement au cours du dernier trimestre de la session ordinaire.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est également pour l'avenir !
M. Roland du Luart. Madame la secrétaire d'Etat, vous avez approuvé ces initiatives, soulignant que le Parlement devait disposer, au moment opportun, d'une vision cohérente de l'ensemble des finances publiques et des choix qui les sous-tendent.
Pourtant, la bonne volonté affichée par le Gouvernement ne l'a pas empêché de déposer un rapport d'orientation budgétaire qui, cette année encore, manque cruellement de sincérité.
Ce document se fonde en effet sur des hypothèses économiques auxquelles plus personne ne croit, y compris à Bercy.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Roland du Luart. Surtout, il présente les informations de manière biaisée, voire contestable.
Je ne prendrai qu'un exemple, et je vous invite, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à vous reporter à la page 8 du rapport présenté par le Gouvernement. Y figure en effet un tableau comparatif des taux de croissance du PIB dans les pays du G7. Le Gouvernement l'utilise pour démontrer que la France devrait connaître une croissance plus forte que ses principaux partenaires en 2001 et en 2002.
Ce type de tableau n'a rien de contestable en soi, d'autant que les données comparatives sont fournies par le Fonds monétaire international, institution éminemment respectable.
J'attire néanmoins votre attention sur l'indication qui figure en tout petits caractères sous le tableau des taux de croissance. Il y est en effet discrètement précisé que les prévisions sont celles du FMI, sauf dans le cas de notre pays.
Ainsi, le FMI prévoit 2,6 % de croissance en France en 2001 et 2002, mais ce sont les prévisions gouvernementales de 2,9 % et 3 % qui figurent dans le tableau comparatif !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La main dans le sac !
M. Roland du Luart. Or, madame le secrétaire d'Etat, vous savez bien qu'en matière économique on ne peut comparer que des données déterminées selon une même méthode de calcul, selon les mêmes critères. Nous avons tous appris cela à Sciences-Po ou ailleurs !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la « permanence des méthodes » !
M. Roland du Luart. Vous citez les prévisions du FMI dans le rapport d'orientation budgétaire, ce qui montre que vous les considérez comme fiables. Mais alors, pourquoi seraient-elles fiables pour tous les pays, sauf pour la France ?
Que pensez-vous de cette méthode qui consiste à fausser la comparaison en changeant les chiffres sous prétexte qu'ils sont moins favorables ? Pensez-vous qu'il s'agit là d'une présentation sincère ?
N'aurait-il pas été plus simple de regarder la réalité en face, plutôt que de chercher à la travestir ?
Nous savons tous que le contexte économique s'est fortement dégradé : c'est un fait.
Le prix du pétrole reste, hélas ! à un niveau élevé. L'atterrissage « en douceur » de l'économie américaine se révèle de moins en moins « doux ».
Mais il y a plus inquiétant encore : la croissance des principaux pays de la zone euro marque le pas, surtout en Allemagne.
La France n'est pas épargnée : selon l'INSEE, notre croissance a été nettement plus faible que prévu au premier trimestre de 2001. En outre, de nouvelles inquiétudes ont fait leur apparition en matière d'investissement des entreprises, d'inflation, de création d'emplois et de consommation intérieure.
Nous venons même d'apprendre que notre commerce extérieur avait renoué avec un solde négatif au mois d'avril - 483 millions d'euros - alors même que le poids de la facture énergétique tend à se réduire, mais de manière insuffisante.
Enfin, le taux d'inflation annuel de la zone euro a atteint 3,4 % en mai, et M. Trichet, devant notre commission des finances, s'en est ému. Ce chiffre, rendu public lundi, est en effet particulièrement préoccupant, même si la France fait mieux que la moyenne de ses partenaires et même si ce mauvais résultat s'explique par des facteurs conjoncturels.
Il tombe à un très mauvais moment : l'économie confirme son ralentissement et aurait bien besoin d'une nouvelle baisse des taux d'intérêt.
Le « socle de croissance » évoqué par le Gouvernement est donc en train de se fissurer.
S'il est difficile de dire avec précision quelle sera la situation économique dans ou ou deux ans, nous devons au moins reconnaître que les incertitudes sont nombreuses et en tirer les conséquences.
Mes chers collègues, le débat d'orientation budgétaire est non un débat économique mais un débat politique. Nous devons faire preuve de responsabilité, sans nous voiler la face. Le problème est que le Gouvernement continue à faire comme si de rien n'était.
Certes, madame la secrétaire d'Etat, vous avez admis, avec M. Fabius, que la croissance en 2001 se situerait dans le bas de votre fourchette de prévisions, soit 2,7 %. Cependant, vous n'en avez tiré aucune conséquence budgétaire, c'est-à-dire en termes politiques. Vous considérez que la demande intérieure demeurera suffisamment solide pour soutenir la croissance, grâce aux baisses d'impôts. C'est un peu vite oublier que la pression fiscale en France a atteint des records.
Lors de la dernière discussion budgétaire, notre groupe avait dénoncé la « mystification fiscale » qui consiste à faire croire aux Français que l'on va baisser les impôts alors que ceux-ci ont fortement augmenté depuis 1997.
De surcroît, le programme fiscal du Gouvernement s'apparente plus à un saupoudrage électoraliste qu'à une réforme structurelle de nos prélèvements obligatoires. Il risque donc de ne pas avoir l'effet d'entraînement recherché.
Notre groupe estime qu'il est urgent d'adopter des mesures ciblées, notamment en faveur des familles et de certains secteurs économiques, en particulier celui de la restauration.
Alors que certains semblent remettre en cause les baisses d'impôt, nous pensons qu'il faut au contraire aller plus loin et plus vite en la matière.
Toutefois, cela n'est possible que si nous parvenons véritablement à maîtriser, voire à réduire les dépenses publiques.
Là encore, nous pouvons constater le décalage entre le discours et la réalité de la politique gouvernementale. En théorie, les dépenses de l'Etat progresseraient en volume de 0,3 % en 2001 et de 0,5 % en 2002.
Officiellement, le programme pluriannuel de finances publiques 2002-2004 affiche une réduction progressive du poids des dépenses publiques dans le produit intérieur brut.
En réalité, le Gouvernement ne se donne pas les moyens d'atteindre ses objectifs. Il entretient l'illusion de la rigueur tout en créant les conditions d'un dérapage. La charge de la dette reste considérable, le poids des dépenses de la fonction publique ne cesse de croître, les réformes de structures susceptibles de générer des économies ont été quasiment abandonnées ou différées.
Surtout, les finances publiques sont sous la menace des bombes à retardement que constituent les retraites des fonctionnaires, les emplois-jeunes et les 35 heures.
Je constate, par exemple, que le Gouvernement impose la réduction du temps de travail au secteur privé, alors qu'il est incapable de se l'appliquer à lui-même financièrement à moyens constants. Il suffit, d'ailleurs, d'en parler dans chaque département avec les préfets, qui nous annoncent des tensions extrêmement vives dans ce domaine d'ici à la fin de l'année, tant les choses sont mal préparées.
Le Gouvernement menace la compétitivité des entreprises en augmentant leurs charges et met à contribution la sécurité sociale, ce qui est plus que contestable, mais, surtout, il se garde bien d'expliquer comment sera financé le passage aux 35 heures dans la fonction publique nationale, territoriale et hospitalière.
A l'automne dernier, j'ai eu l'occasion de souligner que les dépenses accrues dans une conjoncture favorable constituaient une espèce de « prion budgétaire », qui demeure invisible en période de hautes eaux économiques, mais qui s'active en cas de coup de tabac. J'ai bien peur que ce coup de tabac ne soit plus très loin !
La rigidité du budget est telle que le Gouvernement ne dispose plus de réelles marges de manoeuvre, à moins d'engager des réformes structurelles ambitieuses, ce qu'il s'est toujours refusé à faire.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce seront des vaches maigres !
M. Roland du Luart. Il ne faudrait pas qu'il recoure de nouveau à des artifices comptables pour dissimuler les difficultés que notre ami Jacques Oudin évoquait tout à l'heure.
Je ne souhaite pas non plus que certains budgets, comme celui de la défense, soient encore utilisés comme des « variables d'ajustement ».
La politique du Gouvernement nous place en effet dans une situation paradoxale. Les dépenses augmentent beaucoup trop dans leur ensemble mais certains postes essentiels sont sacrifiés. Le fonctionnement continue d'évincer l'investissement et les mesures d'affichage politques se multiplient, au détriment des missions régaliennes de l'Etat.
Je tiens notamment à souligner que le coût des 35 heures devrait s'établir à près de 100 milliards de francs en 2001. A titre de comparaison, les budgets cumulés de la justice et de la sécurité n'atteignent que 62,6 milliards de francs.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Roland du Luart. On constate le gâchis !
Je cite mes sources : il s'agit du rapport de notre éminent collègue M. Descours sur le coût des 35 heures, dans lequel il précisait que la somme de 96 milliards annoncée passait à plus de 100 milliards de francs. Or, dans le projet de loi de finances pour 2001, le budget de la justice s'élevait à 29 milliards de francs, celui de la sécurité à 33,6 milliards de francs, au total 62,6 milliards de francs, contre, je le répète, 100 milliards de francs pour financer les 35 heures.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Lumineuse démonstration ! On voit bien où sont les priorités !
M. Roland du Luart. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général !
Cette situation me paraît inacceptable à un moment où nos concitoyens souffrent d'une justice trop lente et d'une insécurité grandissante.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela ne s'arrange pas !
M. Roland du Luart. Un Etat omnipotent est un Etat impotent ! Nous devons recentrer ses missions et lui donner les moyens de sa politique régalienne.
De même, nous devons avoir conscience que la réduction des dépenses militaires a des conséquences directes sur l'activité et le moral des armées.
Si nous voulons réussir la professionnalisation, enjeu essentiel pour l'avenir, nous devons, là encore, nous en donner les moyens.
Je souhaiterais, enfin, vous faire part de mes inquiétudes au sujet de l'équilibre des comptes publics. La réduction du déficit budgétaire a été insuffisante au cours de ces dernières années. Elle est surtout fragile, car essentiellement conjoncturelle.
Le Gouvernement l'avoue lui-même à demi-mot dans son rapport, puisqu'il reconnaît que l'amélioration du solde des administrations publiques entre 1997 et 2002 tient « pour un peu moins des deux tiers au regain de croissance économique et pour un peu moins des deux tiers au regain de croissance économique et pour un peu plus d'un tiers à des facteurs structurels ».
Ce demi-aveu ne dissipe pas les inquiétudes pour l'avenir. En effet, j'ai noté que le Gouvernement restait très flou sur ses engagements pour 2002.
Il ne faudrait pas que le déficit redevienne une variable d'ajustement budgétaire. La France a pris des engagements devant ses partenaires européens. Elle doit les respecter.
Mes chers collègues, le Gouvernement se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins.
Il est encore temps d'éviter une impasse budgétaire grave comme celle de 1992-1993. Bien entendu, les conditions économiques sont différentes, me direz-vous. Mais la politique des gouvernements socialistes est toujours aussi laxiste en ce qui concerne le fonctionnement.
Les semaines à venir seront cruciales pour l'avenir de nos finances publiques.
Je souhaite que le Gouvernement et sa majorité plurielle entendent la voix de la raison et de la responsabilité.
Il est grand temps de faire taire les cigales, avant qu'il ne soit trop tard ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent ! Ce sont des cigales folles ! (Rires.)
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de l'Etat est la résultante de la politique que conduit le Gouvernement.
Certains gouvernements déterminent d'abord leurs politiques en fonction des promesses qui sont lancées ou des situations politiques auxquelles ils décident de faire face. Ils constatent ensuite la traduction comptable ou renvoient aux exercices ultérieurs les conséquences ou inconséquences budgétaires.
D'autres gouvernements commencent par mettre au point un cadrage budgétaire volontariste avant d'arbitrer entre le souhaitable et le possible.
Selon que l'on applique telle ou telle méthode, l'exercice est plus ou moins périlleux sur le plan politique, en tout cas à court terme.
J'ai le sentiment que le Gouvernement auquel vous appartenez, madame le secrétaire d'Etat, appartient clairement à la première catégorie, à tel point qu'en pleine période de croissance internationale et de sur-recettes fiscales, il n'a pas été capable de commencer à inverser les tendances lourdes qui hypothèquent l'avenir des finances publiques de notre pays.
Quelles sont ces tendances ? Augmentation préoccupante, parce que structurelle, de l'endettement ; absence de politique d'investissements qui, seuls, préparent l'avenir ; frais de fonctionnement galopants.
Oui, l'endettement de notre pays est préoccupant. En vingt ans, il est passé de quelques centaines de milliards de francs, à peine supérieur au budget de l'Etat, à plus de 5 000 milliards de francs représentant 300 % du budget.
Si mes recherches sont exactes, en 1980, le budget de la France était d'un peu plus de 540 milliards de francs et l'endettement de 420 milliards de francs. Et, en l'an 2000, le budget était d'un peu plus de 1 500 milliards de francs et l'endettement de 5 300 milliards de francs.
M. Bernard Angels. Merci Sarkozy !
M. Alain Joyandet. Ces quatre chiffres à eux seuls en disent long sur la dérive. Quel que soit le ratio utilisé, ils sont édifiants : cette dette est passée de 25 % du PIB à 45 % du PIB entre 1986 et 2001.
Si mes recherches sont toujours exactes, au cours de ces mêmes vingt ans, vous avez exercé, vous-mêmes ou vos amis, la responsabilité du Gouvernement pendant environ quinze ans.
Je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, que vous nous donniez votre sentiment sur cette dette. J'ajoute immédiatement - cela me paraît évident, mais cela va mieux en le précisant - que votre gouvernement n'est pas le seul responsable de cette situation qui dure depuis bien longtemps.
Qu'y a-t-il en contrepartie dans les actifs susceptibles d'être convertis ? Nous ne le savons pas !
Est-il normal, face à une telle situation, de continuer à emprunter pour fonctionner ?
Va-t-on encore longtemps et d'une manière chronique, emprunter chaque année plus que l'équivalent de notre désendettement ?
A ce rythme, que lirons-nous dans le budget de la France en 2005... en 2010... ? Et comment fait-on pour rembourser, alors qu'en même temps on annonce des baisses d'impôts ?
Cette situation - qui, encore une fois, n'est pas de votre seul fait - n'est-elle pas très préoccupante, tout particulièrement en cas de fléchissement de la croissance ? N'est-il pas temps de l'expliquer aux Français ?
S'agissant des frais de fonctionnement, on voit bien qu'ils sont devenus incontrôlables et que la totalité de la progression annuelle de la charge est absorbée par l'augmentation des coûts de la fonction publique et la charge de la dette.
Il n'y a donc plus aucune marge de manoeuvre. Dans un tel contexte budgétaire, les annonces de politiques nouvelles venant non pas remplacer d'autres politiques, mais s'ajouter à celles qui existent déjà, démontrent une inconséquence dont, il est vrai, M. Fabius et sans doute vous-même, madame la secrétaire d'Etat, vous êtes désolidarisés mais que vous allez pourtant devoir comptabiliser, ruinant du même coup les ambitions de réduction des déficits, donc de l'endettement.
Je ne nie pas l'existence d'une volonté de Bercy de ralentir l'augmentation de la dépense publique. Mais force est de constater qu'une seule fourmi, même entêtée, ne pourra faire face au bataillon de cigales qui siègent autour de la table du conseil des ministres. Si, en plus, le premier d'entre eux se range du côté des plus nombreux, alors, le pire est à venir !
Dans ces conditions, l'objectif de diminution du déficit ne pourra pas être atteint. Du même coup, le recours à l'emprunt sera augmenté d'autant, c'est inéluctable.
La conséquence, madame la secrétaire d'Etat, se lit au chapitre des investissements : l'Etat français n'investit plus. Les transferts de nos capacités d'investissement vers le fonctionnement ne cessent d'augmenter. A peine 80 milliards de francs ont été consacrés aux investissements civils en 2000 et l'ordre de grandeur sera sans doute la même en 2001.
Pour ma part, je ne crois pas à la fongibilité fonctionnement-investissement que certains techniciens s'efforcent de défendre. A part pour quelques lignes budgétaires qui nécessitent sans doute d'être analytiquement réaffectées, pour l'essentiel, l'investissement reste l'investissement et le fonctionnement reste le fonctionnement.
C'est fort de cette conviction, madame le secrétaire d'Etat, que j'ai défendu ici, dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, l'idée de réinscrire ou d'inscrire la règle d'or dans la loi fondamentale.
Si j'ai finalement retiré cet amendement, j'ai le sentiment que cette idée continue son chemin, même si je sais combien il est difficile, lorsque l'on est au Gouvernement, d'avoir les mains liées par des règles trop rigides.
A tout le moins pourrait-on demander au ministre de l'économie et des finances, lorsqu'il est obligé d'emprunter pour fonctionner, de venir s'en expliquer devant la représentation nationale.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est indispensable, et il faudra y venir !
M. Alain Joyandet. Nous ne pouvons donc pas être en accord avec ces orientations budgétaires, qui sont les conséquences de la politique conduite par votre Gouvernement.
En réalité, nous ne discutons d'ailleurs pas d'orientations budgétaires. Nous faisons des commentaires sur la situation financière de notre pays, plus que sur des orientations budgétaires puisque nous ne savons pas encore très bien comment vous avez l'intention de « cadrer » les choses dans l'avenir.
Nous pourrions pourtant utilement avoir ce débat sur les orientations budgétaires, sur les besoins de nos concitoyens et sur les moyens correspondants dans le budget.
Notre collègue Roland du Luart a tout à l'heure illustré d'un exemple ce que pourrait être cette volonté politique et ce que devraient être ces orientations budgétaires, en comparant à juste titre, comme je l'avais fait, les budgets de la défense et de la sécurité au coût du passage aux 35 heures.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est ce que j'appelle les vraies priorités !
M. Alain Joyandet. Voilà l'exemple d'une orientation budgétaire que nous n'approuvons pas.
En tout cas, madame la secrétaire d'Etat, nous sommes confrontés à un mélange dangereux de tendances lourdes.
Je sais très bien, je le répète, que le gouvernement auquel vous appartenez n'est pas seul responsable de ce bilan, puisque c'est le résultat de vingt ans d'exercices budgétaires. Toujours est-il que nous sommes placés devant ce constat en matière de grands équilibres. C'est un mélange dangereux de tendances lourdes que vous confirmez, dans un contexte de fin de cycle vertueux pour l'économie internationale. Et c'est en ce sens que le gouvernement actuel porte une part de responsabilité particulière par rapport à ses prédécesseurs.
Ce mélange dangereux vous conduira inéluctablement soit à constater un déficit plus élevé que ne le permettent les règles européennes, alors que nous sommes déjà le dernier de la classe, ou presque, soit à repousser des baisses d'impôts significatives devenues pourtant urgentes dans un climat de concurrence internationale, soit à renoncer à doter notre territoire des équipements publics nécessaires. On peut d'ailleurs réellement craindre que ce chapitre des investissements publics ne serve de variable d'ajustement à la suite de l'évolution du contexte que nous constaterons.
Voilà donc dans quel état se trouvent les finances de notre pays, et il ne sera pas facile de sortir de cette situation.
Je sais bien, madame la secrétaire d'Etat, qu'aucune politique budgétaire ne peut être fortement modifiée de façon brutale et rapide. Mais ne vous semble-t-il pas urgent de rechercher les voies et moyens pour commencer, ne serait-ce que légèrement, à inverser ces tendances lourdes et très dangereuses à terme ?
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. Alain Joyandet. N'est-il pas venu, le temps du courage, le temps d'expliquer à nos concitoyens que l'Etat vit au-dessus de ses moyens, que la France vit au-dessus de ses moyens,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... Le temps de la transparence !
M. Alain Joyandet. ... qu'elle emprunte sur le marché financier français, ou, pis encore, à l'étranger, pour financer les 35 heures et les emplois jeunes, ou tout simplement, pour partie encore dans le budget actuel, pour financer le salaire des fonctionnaires ?
Je ne suis pas un adepte du catastrophisme ni de la sinistrose. Mais, vous l'avez compris, mon inquiétude, sincère, madame la secrétaire d'Etat, a été encore renforcée par l'analyse des documents que vous avez bien voulu vous-même nous adresser. Peut-être ai-je une lecture budgétaire insuffisamment adaptée à la nature même des fonctions de l'Etat. Je sais bien que celui-ci a des contraintes particulières. Je sais aussi qu'il n'est ni une entreprise ni une collectivité locale et qu'il est soumis à ces contraintes. Cependant, il existe tout de même, madame la secrétaire d'Etat, un certain nombre de fondamentaux de bonne gestion communs à toute collectivité publique ou privée pour assurer son avenir. Force est de constater que l'Etat, qui devrait donner l'exemple, ne respecte plus depuis longtemps ces règles de base.
Certes, le gouvernement auquel vous appartenez n'est pas seul en cause, mais vous auriez pu commencer à redresser la situation pendant les dernières années, grâce à une conjoncture internationale exceptionnelle, qui, hélas ! donne des signes sinon de retournement du moins de fléchissement. Au lieu de cela, il a été question de « cagnotte ». Et je fais le pari que le Gouvernement va continuer encore à sacrifier à la démagogie jusqu'en juin 2002. Je suis cependant persuadé que, après, le Gouvernement, quel qu'il soit, devra se doter de véritables orientations budgétaires, fondées sur la sincérité, la responsabilité et sans doute la rigueur.
Pour préparer son avenir et celui des générations futures, notre pays a besoin d'une toute autre politique budgétaire. Contrairement à ce que disait M. Fabius ici même hier, nous ne demandons pas tout et son contraire, nous ne demandons pas une rigueur budgétaire et des augmentations de crédits partout. Mais il y a d'autres orientations à prendre, et ce sera difficile.
Ceux qui seront contraints de mettre en oeuvre ces nouvelles orientations devront s'armer de patience et faire preuve d'une très grande pédagogie auprès de nos concitoyens. Quels que soient les chemins empruntés, après une période aussi longue de laisser-aller, je crains fort que l'addition ne soit salée pour ceux qui devront la payer. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je souhaite me livrer à un bref commentaire à la suite des échanges de propos intervenus hier soir avec M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous avons beaucoup parlé de dette publique, mais, étant donné l'heure tardive et la documentation nécessitant d'être réexaminée, je n'ai pas réagi sur l'instant et j'ai réservé quelques observations pour la fin de cette matinée, madame le secrétaire d'Etat, en votre présence.
Dans la colonne 115 du compte rendu analytique de la séance d'hier, M. Fabius déclare : « Le poids de la dette publique dans le produit intérieur brut, de 1980 à 1993, soit en treize ans et sous des gouvernements différents, a augmenté de 20 points, ce qui est considérable. De 1993 à 1997, soit en seulement quatre ans et sous des gouvernements qui trouvaient grâce auprès du rapporteur général, il a encore augmenté de 20 points... »
J'ai effectué des recherches dans les documents de l'INSEE, des comptes nationaux, de la Banque de France et de la direction de la prévision. Mes chers collègues, j'ai constaté - je parle de la dette publique au sens du traité de Maastricht - que la dette publique représentait 21 points de produit intérieur brut en 1980 et 45,6 points en 1993 : l'augmentation est donc de 24,6 points, et non de 20 points ! Par ailleurs, elle est passée de 45,6 points en 1993 à 59,3 points en 1997, soit une augmentation de 13,7 points. Ce n'est pas tout à fait 20 points ! Les arrondis sont généreux, madame le secrétaire d'Etat. Espérons que les commerçants, lorsqu'ils passeront à l'euro, n'agiront pas de même. (Sourires.)
Cela étant dit, arrêtons-nous un instant sur la succession des chiffres. Que constatons-nous ? Nous constatons que le saut essentiel a été fait au cours de l'année 1993, monsieur le président de la commission des finances. Or si une telle constatation peut être faite sur l'année 1993, c'est pour une raison tout à fait mécanique, qui tient à l'alternance de 1993.
Souvenez-vous, mes chers collègues : 1993 - première année de récession, l'année record de l'erreur budgétaire ! - le déficit budgétaire initial qui avait été voté par le Parlement - la majorité à l'Assemblée nationale était socialo-communiste, n'est-ce pas ? - ...
M. Roland du Luart. On dit maintenant « plurielle » !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... s'élevait à 165 milliards de francs et le déficit de réalisation assumé par le « pauvre » M. Balladur atteignait 315 milliards de francs. Voilà la réalité ! Et on voudrait travestir les chiffres pour reporter sur de malheureux gouvernements du passé les turpitudes d'aujourd'hui ! Ce n'est absolument pas acceptable !
A contrario, le commentaire que je m'étais permis de faire dans mon rapport, tant écrit qu'oral, était dépourvu de toute intention polémique, il s'inscrivait sur une longue période et appelait à la responsabilité de tous. Je faisais valoir que l'emprunt et la poursuite de la progression de la dette, c'est la facilité générale à laquelle nous sommes enclins, les uns et les autres, et dont il faut nous prémunir. Tout à l'heure, lorsque notre collègue Joyandet disait, comme un certain nombre d'entre nous, qu'il faut faire de la pédagogie en ce domaine et éviter de retomber dans les facilités parce qu'elles se paient très cher, il avait infiniment raison. C'est le message de responsabilité que la commission des finances du Sénat s'efforce de diffuser.
Je voudrais revenir sur un second propos tenu hier par l'excellent ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - je dis « excellent » car nous apprécions toujours ses développements et le ton de nos échanges.
Il a indiqué, colonne 116 du compte rendu analytique de notre séance d'hier : « Enfin, entre 1999 et 2001, soit en seulement deux ans, le poids de cette dette a diminué de trois points ! » De quelle dette parle-t-on ? Il faut faire preuve de transparence, M. Roland du Luart nous y a incités tout à l'heure. Il faut bien lire les tableaux, même ce qui est écrit en petits caractères sous les tableaux, et s'assurer que les chiffres sont homogènes et cohérents, et peuvent donc faire l'objet de commentaires corrects du point de vue méthodologique.
Dans mon commentaire et dans le rapport écrit, je disais que, de 1997 à 2001, la dette négociable de l'Etat, madame le secrétaire d'Etat, avait augmenté en valeur absolue de 1 000 milliards de francs. La dette de l'Etat, ce n'est pas la dette publique. M. le ministre m'a répondu avec des chiffres qui concernent la dette publique. Or la dette publique, c'est la dette de l'ensemble : Etat, sécurité sociale, cher collègue Descours, et collectivités territoriales. Nous savons que, grâce aux prélèvements supplémentaires de ces dernières années, les comptes de la sécurité sociale se sont beaucoup améliorés. Les collectivités territoriales, elles, sont vertueuses. L'Etat, lui, est le mauvais élève dans cette « classe à trois ». C'est ce que nous constatons. D'ailleurs, ce n'est pas moi qui le dis, madame le secrétaire d'Etat, c'est le Livre de Poche.
En effet, dans l'édition en livre de poche de L'Economie française, INSEE, édition 2001-2002, c'est-à-dire dans la publication, pour l'ensemble de nos concitoyens, du rapport sur les comptes de la nation de 2000, on peut lire, à la page 222, premier paragraphe : « La part de la dette de l'Etat dans la dette brute est prépondérante et continue à progresser : elle en représente 79,4 % à la fin de 2000 après 74,6 % à la fin de 1997. » Qui dit cela ? Des théoriciens ultralibéraux à la solde des Américains ? (Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Des suppôts du baron Seillière ? (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) Pas du tout ! C'est l'INSEE, dans un livre distribué quasiment à tous les Français !
Je poursuis ma citation : « En matière d'endettement, la France occupe une position médiane au sein de l'Union européenne, dont le ratio moyen est passé de... »
Il est bien clair qu'il faut distinguer, d'une part, l'Etat, qui n'est pas vertueux, qui continue à se laisser aller à la facilité, même si la conjoncture a rendu jusqu'à présent toute chose indolore et presque invisible et, d'autre part, la dette publique qui, grâce à la consolidation des comptes des organismes sociaux et des collectivités territoriales, affiche une assez nette amélioration.
Hier soir, M. le ministre a choisi les indicateurs qui l'arrangeaient. Mais la présentation qui avait été faite par la commission, sous votre égide, monsieur le président Lambert, est une présentation globale, objective et, je le répète, non polémique. C'est la réalité des choses ! Notre collègue du Luart parlait d'or voilà quelques instants en indiquant que, dans le cadre qui sera le nôtre avec la nouvelle loi organique, ces jongleries ne seront plus possibles.
M. Roland du Luart. Espérons-le !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quel que soit le gouvernement en place, il faudra respecter une terminologie et des méthodes permanentes, un même référentiel, et lorsqu'on en changera il faudra s'expliquer devant la représentation nationale et l'opinion publique.
M. Roland du Luart. Excellente intervention !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En d'autres termes, madame le secrétaire d'Etat, profitez bien des facilités actuelles ! Profitez-en bien pour nous présenter dans quelques mois le budget pour 2002, budget qui, nous sommes nombreux ici à en être persuadés, sera, comme celui de 1993, un budget électoral pour six mois et pour camoufler la réalité ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste.)
M. Roland du Luart. Excellente démonstration !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Au terme de ce long débat, entamé hier en présence de M. Fabius, vous comprendrez que je réponde peut-être plus brièvement qu'il ne l'a fait lui-même après avoir entendu les orateurs qui s'étaient exprimés au cours de la soirée.
M. Grignon a souligné que la croissance française est en phase de ralentissement. C'est un fait : elle est affectée par le ralentissement américain et par le ralentissement allemand. Ni M. Fabius ni moi-même ne l'avons nié. Nous avons dit que, par rapport à la fourchette de croissance que nous avons envisagé et qui se situe entre 2,7 % et 3,1 %, nous serions plutôt dans le bas de la fourchette. Mais nous avons dit aussi - j'aurai l'occasion d'y revenir dans un instant pour répondre à M. du Luart - que, cette année, la croissance française sera la plus forte au sein des pays du G7 et la plus forte d'Europe. Sans négliger les évolutions qui sont en cours, nous pensons raisonnablement que la France devrait mieux tirer son épingle du jeu que la plupart de ses partenaires européens.
Je tiens à souligner un autre point : depuis 1997, la croissance est fondée sur la vigueur de la demande intérieure. En 2001, cette demande intérieure restera forte, ce qui n'est pas contradictoire avec les éléments qui ont été cités de l'enquête effectuée par l'INSEE relative au moral des ménages. Par rapport à une période récente, à savoir le début de l'année, le moral des ménages est en baisse, mais il reste malgré tout beaucoup plus élevé qu'il ne l'a jamais été au cours des dix dernières années, puisqu'il demeure encore trente points au-dessus de ce qu'il fut en 1995. En ces matières, il faut se garder des caricatures et regarder les chiffres de près - je reviendrai dans un instant sur l'analyse de M. Marini.
En ce qui concerne le chômage, vous avez indiqué que des manipulations statistiques étaient à l'oeuvre. Je n'ai qu'une seule réponse à vous donner : le taux de chômage, au sens du Bureau international du travail, le BIT, est fondé sur une enquête menée directement auprès des ménages. Cette enquête confirme bien la baisse puisque, au mois d'avril, le taux de chômage, au sens du BIT, s'établit à 8,7 %. Autrement dit, c'est le chiffre le plus bas que nous ayons connu depuis 1983.
M. Grignon s'est inquiété de l'évolution des déficits publics. Il a, par ailleurs, proposé des exonérations fiscales. Il est un peu comme ceux qui, nombreux dans cet hémicycle, ne se considèrent peut-être pas comme des cigales, mais qui, en semaine, demandent des baisses de dépenses et, le dimanche, préconisent de nouvelles dépenses.
M. Grignon a également regretté de ne pas disposer de plus d'informations sur les arbitrages qui devront être effectués entre les trois pôles que constituent les dépenses, les recettes et le déficit. A l'évidence, cela fait partie des arbitrages qui seront rendus dans le courant de l'été et qui vous seront présentés lors de l'examen du projet de loi de finances.
Il a également été fait allusion à la fiscalité relative aux entreprises qui se développent dans le secteur de la nouvelle économie, notamment en ce qui concerne les stock-options. Dans ce domaine, le Gouvernement ne reste pas inactif. J'ai eu moi-même l'occasion d'être entendue par la commission présidée par Denis Badré. Le Gouvernement attend les propositions de Michel Charzat, puisque celui-ci s'est vu confier une mission de réflexion sur les améliorations qui pourraient être apportées à notre dispositif fiscal en faveur de ces entreprises innovantes.
M. Moreigne a souligné l'évolution très favorable des finances des collectivités locales. Il a bien voulu rappeler que celles-ci contribuent en effet fortement à l'excédent de nos comptes publics. Il a également rappelé que, depuis quatre ans, les concours de l'Etat aux collectivités locales avaient été dynamiques : si nous avions été sous le régime du pacte de stabilité du précédent gouvernement, en 2001, les concours des collectivités locales eussent été de 6 milliards de francs inférieurs à ce qu'ils sont. En effet, depuis 1999, nous sommes passés dans un système de contat de croissance et de solidarité, qui permet une indexation plus favorable, notamment en fonction de la croissance.
M. Moreigne a aussi rappelé la nécessaire péréquation entre les collectivités locales. Nous aurons évidemment l'occasion d'en reparler de manière très approfondie non seulement lors du débat sur le projet de loi de finances, mais aussi lors des échanges que nous aurons lorsque le rapport sur la réforme de la fiscalité locale sera présenté au Parlement. Je crois que chacun ici peut partager ce point de vue. Mais nous sommes bien conscients - je pense que M. Fabius a eu l'occasion de le dire hier soir - que cette péréquation ne peut pas reposer uniquement sur l'Etat. Désormais, nous devons rechercher au sein des collectivités locales elles-mêmes des facultés de péréquation accrues.
M. Bernard a longuement évoqué la politique de défense et les budgets qui sont accordés à ce secteur. Si l'on compare l'effort de défense de la France avec celui des Etats-Unis et de Grande-Bretagne depuis 1990, il est évident que nous avons adapté notre appareil de défense de manière beaucoup moins brutale que ces deux pays à la suite de la fin de la guerre froide. C'est le premier constat.
M. Bernard a par ailleurs longuement développé la nécessité de mener à bien le processus de professionnalisation engagé depuis 1996, ce à quoi je souscris tout à fait et ce que le Gouvernement s'est efforcé de faire, je crois, avec succès, budget après budget.
S'agissant de l'équipement, M. Bernard a mis en avant le fait que la loi de programmation militaire n'aurait pas été respectée. Sans être véritablement facétieuse, j'aimerais qu'il me cite une loi de programmation militaire qui l'ait été. Ce que je peux dire, c'est que jamais une loi de programmation militaire n'aura été mieux respectée que celle qui est actuellement en vigueur. Le meilleur exemple est tout récent : nous avons, au-delà même de la loi de programmation militaire, pris de nouveaux engagements, ne serait-ce qu'hier, en signant le contrat portant sur l'A 400 M, le nouvel avion de transport militaire qui a vocation à équiper les armées françaises. Cela montre que le budget de la défense préserve l'avenir de nos armées.
J'ajouterai une dernière information. Le projet de budget allemand pour 2002, qui est en cours d'élaboration et de discussion, prévoit une réduction, en termes nominaux, tant sur les personnels que sur les équipements, des crédits de la défense.
Nous ne sommes donc pas, comme j'ai pu l'entendre au travers des propos de M. Bernard, dans une situation où les intérêts vitaux de la France seraient mis à mal, bien au contraire ! La France entend tenir toute sa place au sein de la défense européenne.
M. Descours nous a fait un savant exposé de la situation des finances sociales, qu'il connaît évidemment parfaitement bien. Il a dit, en tout cas, c'est ce que j'ai cru comprendre - des choses assez contradictoires : d'une part, la sécurité sociale irait très bien si l'Etat ne la ponctionnait pas sans cesse ; d'autre part, bien qu'en excédent, la sécurité sociale irait très mal.
M. Charles Descours. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Vous vous êtes plaint, monsieur le sénateur, du fait que les excédents de la sécurité sociale soient agrégés, de même que les excédents des collectivités locales, au déficit de l'Etat. C'est une règle de présentation comptable qui est habituelle, que tous les pays pratiquent, et c'est ainsi que nous présentons nos comptes à Bruxelles. Nous ne cachons rien, puisque nous « décontractons », si je puis utiliser cette expression, chaque élément du solde entre l'Etat, les collectivités locales et la sécurité sociale.
S'agissant du financement des allégements de charges liés aux 35 heures, vous avez dit beaucoup de choses. Je rappellerai tout d'abord qu'en 2000, sur les 70 milliards de francs d'allégements de charges qui auront été consentis, plus de la moitié correspondent à ce que l'on appelle traditionnellement la « ristourne Juppé ».
M. Charles Descours. Sans oublier les allégements de la loi de Robien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Absolument !
En 2000, les créations d'emploi liées aux 35 heures ont été de l'ordre de 150 000. Ce chiffre n'est pas d'une précision absolue, mais je pense que personne ne s'engagerait à quelques unités près ; ce n'est qu'un ordre de grandeur.
Ces 150 000 emplois représentent environ 10 milliards de francs de cotisations supplémentaires. C'est cela qu'il faut prendre en compte, sans balayer d'un revers de main, comme j'ai cru que vous le faisiez, monsieur le sénateur, la notion de retour. Car la baisse de la durée du travail et les allègements de charges qui l'ont accompagnée ont créé des emplois, lesquels ont généré eux-mêmes des ressources, qui sont revenues dans les caisses de la sécurité sociale.
M. Charles Descours. Ce n'est pas ce que le Gouvernement avait promis, c'est tout ce que je dis !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. L'Etat, joue tout son rôle puisque, d'ores et déjà, il assure le financement des 35 heures à hauteur de 80 %
Je souhaite insister par ailleurs sur les allégements de charges sociales ; je réponds ainsi, en quelque sorte, par anticipation à M. du Luart.
J'entends souvent que les 35 heures ont un coût élevé. Vous-même, monsieur du Luart, avez dit que ce gouvernement avait accru les charges qui pèsent sur les entreprises. Je me demande véritablement sur quoi reposent de tels propos !
Les 35 heures, ce sont des allégements de charges, plus précisément - disons les choses comme elles sont - des allégements de cotisations patronales, qui, par conséquent, bénéficient aux entreprises. Je ne vois donc pas comment ce gouvernement pourrait être accusé d'accroître les charges sur les entreprises ! J'aimerais qu'au moins l'on reconnaisse que les 35 heures s'accompagnent d'une politique d'allégement substantiel des charges au profit des entreprises.
M. Roland du Luart. C'est le coût que je critique !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Dans ce cas, monsieur du Luart, il ne faut pas dire que ce gouvernement accroît les charges qui pèsent sur les entreprises !
M. Oudin s'est interrogé sur l'augmentation des prélèvements sociaux. Il faut faire attention à ne pas commettre de confusion, car, pour moitié ou à peu près, cette augmentation provient d'un transfert de recettes des droits sur les tabacs, qui ont été affectés par l'Etat à la sécurité sociale. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'une augmentation comptable. Pour le reste, effectivement, la hausse des prélèvements sociaux par rapport à la richesse nationale provient bien d'une augmentation de la masse salariale, qui est plus rapide que la croissance du PIB : c'est la résultante des créations d'emplois que nous avons enregistrées au cours de cette période.
Vous vous êtes également interrogé, monsieur le sénateur, sur le remboursement de la dette sociale et sur le fonds de réserve pour les retraites. L'apparition, depuis trois ans, d'excédents importants pour les régimes de sécurité sociale signifie tout simplement que ces régimes accumulent des réserves. En d'autres termes, leurs actifs nets s'améliorent. Par conséquent, sur le plan économique, le fait d'avoir des actifs nets en accroissement est équivalent à un remboursement de la dette. (M. Jacques Oudin s'exclame.)
Que cet excédent soit inscrit dans les comptes des régimes de sécurité sociale ou au fonds de réserve pour les retraites est équivalent sur un plan économique. Je conçois - et je partage ce point de vue - que vous préfériez qu'il figure au fonds de réserve pour les retraites. C'est ce que nous sommes en train de faire !
Par ailleurs, M. Oudin, avec d'autres orateurs, a déploré, dans un certain nombre de domaines - il a cité la politique familiale et les transports - ce qu'il a appelé l'irréalisme du Gouvernement, ce que je traduirai en disant que, au fond, le Gouvernement ne dépense pas assez. Finalement, ce qui est assez surprenant, c'est que, dans cette Haute Assemblée, on entend beaucoup d'appels à dépenser plus.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. J'ai donc bien entendu cet appel à dépenser plus en faveur des familles...
M. Jacques Oudin. Pas à dépenser plus ! A dépenser mieux !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. ... et en faveur des transports, comme je l'avais entendu en matière militaire. Mais je crois aussi - et ce n'est pas la Haute Assemblée qui me contredira - qu'il est important de maîtriser la dépense publique, et tout particulièrement celle de l'Etat. C'est ce que ce Gouvernement s'efforce de faire, monsieur le rapporteur général ! Dans un instant, j'aurai l'occasion de revenir sur la dette.
S'agissant des déficits publics, du déficit de l'Etat et de la dépense de l'Etat, jusqu'à présent, nous nous sommes toujours efforcés de respecter les objectifs que nous nous étions fixés.
Monsieur du Luart, vous m'avez en quelque sorte interpellée sur les hypothèses économiques qui sous-tendent le rapport d'orientation budgétaire.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement, de manière officielle, ne prévoit pas mensuellement la croissance. Nous avons deux rendez-vous dans l'année à l'occasion desquels nous produisons un nouveau jeu d'hypothèses économiques, notamment sur la croissance, qui nous permettent également de réviser nos évaluations de recettes fiscales. Si nous n'avons pas procédé à cet exercice, dont j'ai compris que vous auriez souhaité qu'il fût réalisé à l'occasion de ce débat d'orientation budgétaire, c'est tout simplement parce que nous sommes entre ces deux rendez-vous, le prochain se situant à la fin de l'été, comme tous les ans. C'est la raison pour laquelle nous pourrons présenter un projet de loi de finances qui sera fondé sur un nouveau jeu d'hypothèses que nous souhaitons aussi proches de la réalité que possible.
Prendre le risque de refaire une prévision qui n'aurait pas été réalisée dans des conditions de sérieux suffisantes et en tirer des conclusions sur ce que devraient être nos recettes fiscales en 2001 eût été extrêmement hasardeux. Cela étant, cet exercice, qui est nécessaire, aura lieu à bonne date, c'est-à-dire à la fin de l'été prochain.
S'agissant des prévisions du FMI, je vous en donne acte, il s'agit d'une erreur matérielle, la correction n'ayant pas pu être effectuée. Vous avez l'oeil, monsieur du Luart, et je vous en félicite. (Sourires.)
Sur le fond, monsieur du Luart, si nous avions pu rectifier le chiffre et fournir la prévision du FMI de manière homogène, comme nous aurions sans doute dû le faire, cela n'aurait rien changé au sens du tableau qui figure à la page 8 et le classement de la France par rapport aux autres pays n'aurait en rien été modifié. (M. du Luart s'étonne.)
J'ajoute que ce tableau a deux vocations : d'une part, fournir une indication sur l'avenir et, d'autre part, donner une vision rétrospective de ce qu'a été la croissance française depuis quatre ans par rapport à ses principaux voisins ou compétiteurs, croissance dont je répète qu'elle a été non seulement solide mais régulière et à haut niveau.
M. Joyandet a taxé de laxisme la politique budgétaire du Gouvernement. Je ne rappellerai que deux données, en espérant ne pas être soumise à la vindicte de M. le rapporteur général. (Sourires.) Sur toute la période allant de 1997 à 2002, la croissance moyenne des dépenses de l'Etat aura été de 1,8 % ; de 1993 à 1997, cette croissance a été également de 1,8 %, mais par an ! Les laxistes ne sont pas forcément ceux que vous dénoncez sans cesse, tout en réclamant d'ailleurs, sans cesse également, avec d'autres, de nouvelles dépenses.
S'agissant de la dette publique, monsieur le rapporteur général, je reprends les chiffres que vous avez cités et qui sont extraits de l'édition de poche du rapport sur les comptes de la nation : de 1980 à 1993, la dette publique est passée de 21 % à 45,6 % du produit intérieur brut, soit, en effet, plus de 20 points ; de 1993 à 1997, elle est passée de 45,6 % à 59,3 % du PIB, soit près de 14 points. Ce qui compte, c'est la durée respective des périodes considérées : quatorze ans pour 24 points, d'un côté, et quatre ans pour 14 points, de l'autre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les arrondis généreux !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, nous avons eu, ici même, de très longs débats sur la dette publique voilà moins d'une semaine.
Je crois avoir dit que je souscrivais pleinement à l'objectif consistant à enrichir l'information du Parlement s'agissant de la dette publique. Nous n'attendrons pas la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique qui, me semble-t-il, est en bonne voie entre les deux assemblées, pour procéder à cette amélioration. Nous le ferons dès le projet de budget pour 2002. Il faudra effectivement attendre que la nouvelle loi organique entre en application pour que le Parlement puisse se prononcer par un vote sur ce sujet extrêmement important.
Quant à la « cagnotte », dont il a été question, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apaiser vos craintes : il n'y aura pas, en 2002, de nouvelle cagnotte ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sur ce point, nous sommes parfaitement d'accord ! (Sourires.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 392 et distribuée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)