SEANCE DU 21 JUIN 2001


DROITS DU CONJOINT SURVIVANT

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 224, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint survivant. [Rapport n° 378 (2000-2001) et rapport d'information n° 370 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 8 février dernier, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité une proposition de loi tendant à améliorer les droits successoraux du conjoint survivant et à supprimer les dernières discriminations dont font l'objet les enfants adultérins.
Ce texte a recueilli la pleine adhésion du Gouvernement.
Il devenait en effet urgent de donner, en matière successorale, la place que le conjoint mérite et occupe déjà au sein de la famille.
Il était tout aussi indispensable de supprimer l'inégalité patrimoniale dont les enfants adultérins étaient encore injustement victimes, comme l'a mis en évidence la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, le 1er février 2000.
Cette proposition de loi est soumise aujourd'hui à votre examen.
La commission des lois partage sans réserve le dernier volet du texte sur les enfants adultérins.
Elle vous propose, en revanche, de vous écarter sensiblement de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale sur les droits successoraux du conjoint survivant.
Mais surtout, dépassant le cadre initial du débat, elle entend réformer l'ensemble du droit des successions.
Je voudrais vous dire pourquoi je ne peux suivre cette orientation avant d'axer mes propos sur la situation du conjoint survivant.
Qu'une réforme globale du droit des successions soit nécessaire, je crois que chacun s'accorde à le penser.
Le droit des successions a vieilli. Il ne correspond plus à la physionomie actuelle des familles et ne prend pas suffisamment en compte les nouvelles configurations patrimoniales, notamment la primauté des fortunes acquises sur celles qui ont été reçues en héritage. Il reste un droit complexe impliquant des démarches longues et multiples, peu accessible, sauf aux ménages les plus aisés qui peuvent recourir aux conventions notariales.
Pour autant, je ne crois pas que la proposition de loi dont vous êtes saisis puisse constituer le bon vecteur d'une telle réforme.
Cette proposition s'insère dans le projet global de rénovation du droit de la famille. A cet égard, vous avez déjà eu à connaître de la question de la prestation compensatoire. Vous serez prochainement saisis des propositions de loi relatives à l'autorité parentale et à la dévolution du nom.
Les impératifs du calendrier parlementaire ont conduit à une division thématique de la réforme sans pour autant nuire à la cohérence de l'ensemble.
C'est dans ce contexte que l'initiative de l'Assemblée nationale s'inscrit, eu égard à l'acuité des problèmes posés par la situation du conjoint survivant et par celle des enfants adultérins.
Réformer l'ensemble du droit des successions, auquel il faudrait d'ailleurs joindre celui des libéralités qui lui est indissolublement lié, s'inscrit dans une autre logique.
Je sais que, sur ce point, la réflexion est aujourd'hui très avancée. La preuve en est que la commission des lois se propose de reprendre en grande partie le texte élaboré en juillet 2000 par le professeur Pierre Catala et le Conseil supérieur du notariat.
Ce texte est d'ailleurs lui-même inspiré du projet de loi déposé au Parlement le 8 février 1995 et issu de la commission de travail présidée par le doyen Carbonnier.
Mais réouvrir aujourd'hui ce débat à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi, certes importante mais limitée dans son objet, ne m'apparaît pas raisonnable. Il me paraît difficile d'examiner en une journée à peine la modification de plus de deux cents articles du code civil.
Les conditions d'une discussion approfondie permettant à chacun d'exprimer son point de vue sur un sujet délicat qui, contrairement à ce que l'on pourrait penser, comporte encore des divergences d'appréciation ne sont manifestement pas réunies.
Je pense à la question d'un éventuel aménagement de l'ordre des héritiers, à celle de la gestion des successions acceptées sous bénéfice d'inventaire ou encore à celle de la place de la réserve.
J'ajoute que, sur une telle réforme, on ne peut se dispenser de recueillir à nouveau le sentiment de tous les acteurs concernés : bien sûr, les familles, mais aussi l'ensemble des professionnels et des administrations compétentes.
Enfin, il est raisonnable de penser qu'un texte limité aux droits du conjoint survivant et de l'enfant adultérin trouvera son aboutissement tant attendu avant la fin de la présente législature. Je ne voudrais pas que l'élargissement du débat soit le gage de son enlisement. Le mieux me paraît, en l'espèce, être tout à fait l'ennemi du bien.
C'est pourquoi, bien que désireuse de faire avancer ce dossier dont je connais l'importance - vous avez raison de vous y attarder, et je comprends que vous considériez qu'il est temps, en 2001, de le faire - je demande au Sénat de ne pas adopter aujourd'hui cette réforme d'ensemble. J'en resterai personnellement, au nom du Gouvernement, au texte concernant les droits du conjoint survivant.
Je voudrais tout d'abord rappeler l'économie générale du texte adopté par l'Assemblée nationale.
Il repose sur le souci de faire du conjoint un héritier à part entière.
Actuellement, en présence d'enfants, situation la plus fréquente, le conjoint ne peut prétendre qu'au quart de la succession en usufruit et n'a même pas toujours de disponibilités suffisantes pour se maintenir dans le logement familial.
Un tel dispositif n'est pas de nature à satisfaire les besoins des veufs et veuves, plus âgés qu'autrefois et à l'espérance de vie plus longue.
Après la douleur que provoque la mort de l'être qui lui est le plus proche, le conjoint survivant perçoit l'ouverture de la succession de celui-ci comme une seconde épreuve, en découvrant qu'il est encore largement, aux yeux de la loi, un étranger à la famille de celui dont il a partagé la vie. Ce drame moral du veuvage est souvent aggravé par une crise financière.
On a cependant longtemps hésité à accroître les droits du conjoint survivant, craignant de porter atteinte à ceux des descendants dont la situation pouvait être également fragile ; mais ceux-ci sont aujourd'hui, la plupart du temps, des adultes, plus âgés qu'autrefois, déjà établis dans la vie. Un équilibre peut donc désormais être plus facilement trouvé.
Cet équilibre passe par une véritable reconnaissance des droits du conjoint survivant, d'une part, en consacrant sa place au sein du premier ordre des héritiers et, d'autre part, en lui reconnaissant des droits en pleine propriété, même en présence d'enfants.
Il passe également par la faculté qui lui est très largement ouverte de rester dans le logement familial.
En revanche, la proposition de loi qui a été votée n'a pas entendu faire du conjoint, de manière systématique, un héritier réservataire, ce qui n'aurait pu être acquis qu'au détriment des droits des autres héritiers en ligne directe et de la liberté de tester de l'époux prédécédé.
Je voudrais reprendre ces trois idées forces avant d'en venir à leur application dans le détail du texte.
Le premier axe essentiel est l'affirmation plus forte des droits du conjoint survivant dans l'ordre des successibles. Est ainsi traduite cette nouvelle donnée sociologique essentielle qui est le resserrement de la famille autour du noyau conjugal.
Dans tous les cas de figure, le conjoint bénéficiera des droits en pleine propriété là où il n'avait jusqu'à présent que des droits en usufruit. Actuellement, la présence d'enfants, de parents dans les deux lignes ou de frères et soeurs ne lui permet pas de prétendre à une qualité autre que celle d'usufruitier.
Le deuxième axe essentiel du nouveau dispositif qui recueille l'accord de la commission des lois est la protection particulière du conjoint à l'égard de la résidence familiale.
Les opinions sont, sur ce point, unanimes : le conjoint doit pouvoir, dans toute la mesure possible, continuer à vivre le reste de sa vie dans ce qui a été le logement conjugal.
J'en viens au dernier droit fondamental, celui de préserver la liberté testamentaire du défunt en ne prévoyant pas, au profit du conjoint survivant, un droit à une réserve générale. Cette question a été très largement et vivement débattue.
La réponse n'est pas simple, car la réserve peut paraître l'expression la plus aboutie de la protection des héritiers et la consécration définitive de l'entrée du conjoint survivant dans la famille.
Toutefois, si la loi est légitime à consacrer juridiquement des liens d'affection, quelle légitimité aurait-elle à contraindre les époux en dépit, le cas échéant, de la disparition de ces liens d'affection ?
De surcroît, la liberté testamentaire peut aussi opportunément offrir aux époux la possibilité d'aménager, en plein accord, des successions compliquées par la recomposition de la famille ou l'évolution des caractéristiques du patrimoine.
En outre, il n'est pas souhaitable de multiplier les droits à réserve alors que les législations européennes ne vont pas dans ce sens.
Ces trois idées forces ont été déclinées par l'Assemblée nationale sur un mode que la commission des lois ne reprend pas à son compte. Je le regrette, car le dispositif me paraissait judicieux et équilibré.
Tout d'abord, la place accordée par la commission au conjoint survivant dans l'ordre des successibles ne reflète pas la réalité du cercle familial d'aujourd'hui. Concrètement, il ne pourra recueillir la totalité de la succession de son conjoint que si celui-ci ne laisse à son décès non seulement aucun enfant ni aucun parent, mais encore aucun grand-parent, aucun frère, aucune soeur, aucun neveu ou petit-neveu.
J'ajoute que le régime prévu est particulièrement complexe puisque les droits des frères et soeurs dépendent de la présence ou non d'ascendants dans les deux branches.
En deuxième lieu, la commission des lois propose de faire varier les droits du conjoint en fonction de la qualité des enfants appelés à succéder, selon qu'il s'agit d'enfants issus du mariage ou d'une autre union.
C'est ainsi que, en présence d'enfants communs, le conjoint dispose, à son choix, de la totalité de la succession en usufruit ou du quart de celle-ci en propriété. Il ne dispose pas, en revanche, de la première branche de l'option lorsque le conjoint prédécédé laisse des enfants dont il n'est pas lui-même le parent.
Ce mécanisme, outre sa mise en oeuvre délicate, conduit à opérer une discrimination en fonction de la nature de la filiation, qui est à contre-courant de l'évolution du droit de la famille.
J'ajoute, en troisième lieu, que le texte proposé consacre ainsi la possibilité pour le conjoint d'exercer ses droits en usufruit.
Je crois nécessaire de rappeler les multiples critiques que suscite l'usufruit.
Il ne permet pas une gestion économique efficace des patrimoines : je pense notamment au cas des entreprises, dont l'activité nécessite des décisions rapides.
Il est, par là même, un frein au développement des échanges, car rares sont les acquéreurs potentiels de ce type de droit.
Par l'antagonisme qu'il fait naître entre des personnes ayant des droits concurrents, l'usufruit se révèle souvent nuisible à la bonne entente familiale, surtout lorsque l'écart d'âge entre le survivant et les descendants du prédécédé est faible, tandis que s'allonge l'espérance de vie.
Au surplus, la conversion possible de l'usufruit en rente viagère est immanquablement génératrice de contentieux.
Je crois donc plus sage de ne s'en tenir qu'à des droits en propriété, en ne laissant pas d'option sur ce point au conjoint survivant, étant entendu que le texte garantit par ailleurs son droit d'usage et d'habitation sur le logement principal. Seuls de tels droits confèrent à leur titulaire une autonomie suffisante. J'observe d'ailleurs que c'est la position des associations représentatives des intérêts des conjoints survivants. C'est aussi la tendance croissante des législations européennes.
En quatrième lieu, la commission des lois entend restreindre l'assiette de la part successorale du conjoint survivant aux seuls biens existants au jour du décès à l'exclusion de ceux qui auraient pu être antérieurement donnés.
Permettez-moi de m'étonner d'une telle proposition, qui rompt l'égalité entre les héritiers au détriment du conjoint.
Le principe général en matière de dévolution successorale est le rapport de l'ensemble des libéralités faites par le défunt, sauf volonté contraire de celui-ci. Ce principe n'est pas lié à la qualité de réservataire, mais à celle de successible. Pourquoi donc y déroger pour le conjoint, sauf à en faire un « sous-héritier » ?
En cinquième lieu, la commission des lois propose de modifier sur plusieurs points le mécanisme retenu par l'Assemblée nationale en ce qui concerne le droit du conjoint sur le logement familial.
Si elle reprend tel quel le droit pour celui-ci de rester dans les lieux dans l'année du décès, elle modifie le régime de son droit d'usage et d'habitation.
Dans l'ensemble, ces dispositions ne privilégient pas la continuité du cadre de vie du membre survivant du couple.
La commission confère ainsi au conjoint survivant une large possibilité de donner à bail l'habitation principale du couple.
De même, tout en affirmant symboliquement l'intangibilité de ce droit, elle permet néanmoins au conjoint prédécédé de le faire significativement varier dans sa consistance en lui permettant de le faire porter sur un autre logement que l'habitation principale du couple.
Je préfère, pour ma part, reconnaître la liberté testamentaire plutôt que permettre de façon déguisée d'amoindrir le droit d'usage et d'habitation du conjoint survivant.
Je relève, du reste, que la commission ne prévoit pas de formalités particulières pour l'expression de la volonté du conjoint prédécédé, alors que, dans le texte proposé par l'Assemblée nationale, cette restriction supposera une démarche spécifique et la consultation d'un notaire qui, seul, pourra rédiger l'acte. Elle devrait donc être exceptionnelle. Il s'agira d'un acte grave plaçant le défunt face à ses responsabilités tout en ménageant sa liberté.
Je rappelle, en outre, que le texte de l'Assemblée nationale renforce la créance alimentaire du conjoint survivant qui pourrait ainsi se voir privé de ses droits successoraux.
Dans la logique de son raisonnement, qui est de conférer un caractère intangible au droit au logement, la commission ne reprend pas à son compte l'amélioration ainsi proposée.
La commission prévoit par ailleurs que, lorsque la valeur du droit d'habitation dépasse la part successorale de l'époux survivant, celui-ci pourra être tenu de récompenser la succession lorsque ses besoins ne justifieront pas ce dépassement.
Outre que cette disposition sera source de multiples contentieux pour déterminer s'il y a matière à récompense, cette obligation risque de contraindre le conjoint survivant à quitter son cadre de vie habituel.
La commission prévoit enfin que les héritiers pourront remettre en cause, par voie judiciaire, le droit d'usage et d'habitation du conjoint survivant lorsque celui-ci aura manqué gravement à ses devoirs envers le défunt.
Là encore, je préfère, pour ma part, préserver la liberté testamentaire des époux plutôt que laisser les héritiers s'entre-déchirer sur leurs démêlés conjugaux.
Je terminerai par le dispositif original que l'Assemblée nationale propose d'instituer pour assurer, en l'absence de proches parents du défunt - ascendants et descendants - une certaine protection du conjoint contre les libéralités que le prédécédé pourrait faire.
Ce mécanisme à géométrie variable procède d'une vision réaliste et équilibrée, et protège la liberté du défunt tout en faisant prévaloir les intérêts du conjoint sur ceux de la famille éloignée.
La commission des lois du Sénat n'estime pas utile d'adopter cette disposition. Je crois néanmoins souhaitable que la réflexion se poursuive sur ce point.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je voulais formuler au seuil de cette discussion générale, largement issues d'ailleurs d'entretiens avec les représentants des conjoints survivants.
Je regrette que, malgré le travail considérable fait par la commission des lois du Sénat et son rapporteur, nous n'ayons pas, sur un texte si important, une pleine convergence de vues, alors que le texte issu de l'Assemblée nationale avait été adopté à l'unanimité, tous groupes confondus.
Je souhaite que les navettes nous permettent de nous rapprocher en nous axant sur ce que l'attente sociale rend essentiel et urgent : d'une part, la reconnaissance de droits successoraux au conjoint survivant dignes de la place qui est la sienne dans la famille d'aujourd'hui ; d'autre part, l'abandon de toute discrimination à l'égard de l'enfant adultérin. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis de deux propositions de loi : l'une nous vient de l'Assemblée nationale et a été élaborée sur l'initiative et sur le rapport de M. Vidalies ; l'autre a été déposée par mes soins.
Toutes deux visent à améliorer le sort des conjoints survivants et à créer une égalité successorale entre enfants légitimes, naturels et adultérins.
S'il existe un consensus sur l'objectif - vous l'avez rappelé et le vote à l'unanimité à l'Assemblée nationale le traduit bien -, les moyens pour y parvenir diffèrent depuis vingt ans, retardant du même coup la réforme d'ensemble du droit successoral.
Déterminer la place du conjoint survivant conduit à revoir la place du conjoint par rapport à la famille par le sang, donc celle du ménage par rapport au lignage et à s'interroger sur les conséquences de la multiplication des familles recomposées.
Quels sont, aujourd'hui, le profil et les droits du conjoint survivant ?
Le profil : c'est une femme de plus de soixante ans. En effet 87 % des personnes veuves ont plus de soixante ans et 84 % sont des femmes. Cela dit, n'oublions pas que, en 1999, 1 490 veuves avaient moins de vingt ans.
Les droits du conjoint survivant : ils sont historiquement limités et, le plus souvent, se bornent à de l'usufruit.
Ce n'est qu'en 1930 que lui sont attribués des droits en propriété en l'absence d'héritier dans une ligne.
Plus tard, la loi du 26 mars 1957 élève le conjoint survivant dans l'ordre des successibles devant les collatéraux ordinaires.
Enfin, l'ordonnance du 30 décembre 1958 fait de lui un véritable héritier en lui conférant la saisine, c'est-à-dire la faculté d'entrer de plein droit en possession des biens, droits et actions du défunt.
Aujourd'hui, en l'absence de testament ou de donation, le conjoint n'hérite que d'une portion limitée de la succession en usufruit. Il se situe au quatrième rang des successibles et n'hérite de l'ensemble de la succession en pleine propriété qu'en l'absence des trois premiers rangs.
De plus, son sort peut se trouver amélioré ou aggravé par des dispositions à cause de mort : amélioré grâce à une assurance-vie ou par des libéralités ; aggravé, car il peut être privé de tous droits par testament, avec la maigre compensation toutefois de pouvoir demander des aliments à la succession dans un délai d'un an.
Mais ce tableau ne doit être apprécié qu'après avoir fait le constat rassurant que 80 % des couples utilisent les moyens prévus pour améliorer le sort du conjoint survivant.
Nous avons donc à améliorer le régime de dévolution légale auquel restent soumis les 20 % qui n'ont pris aucune disposition.
L'évolution est jugée par tous nécessaire.
Le mariage est non plus une institution à fins patrimoniales, mais le fruit d'une double volonté de s'unir pour des raisons affectives. Les patrimoines des époux sont majoritairement constitués de biens acquis pendant le mariage. L'accroissement de l'espérance de vie conduit les enfants à hériter à un moment où ils sont déjà établis et disposent de leur propre patrimoine.
Tous ces facteurs militent pour un rééquilibrage de la place du conjoint par rapport à celle de la famille. Rééquilibrage, oui ! Bouleversement, non ! Nous devons avoir le souci de ne pas créer de nouvelles injustices par excès de zèle.
Les pays voisins ont fait la même démarche et, désormais, le conjoint survivant se voit attribuer des droits en pleine propriété.
Où en est la réflexion dans notre pays ?
Pour 300 000 mariages, on enregistre 120 000 divorces, ce qui aboutit à des recompositions familiales qui rendent les successions toujours plus complexes. En 1996, un mariage sur quatre impliquait un époux divorcé et un mariage sur douze impliquait deux époux divorcés. Les situations se compliquent encore lorsque le remariage concerne un conjoint beaucoup plus jeune, éventuellement de la même génération, voire plus jeune, que les enfants du premier lit.
Nous sommes loin de l'image traditionnelle de la veuve âgée se retrouvant en présence uniquement d'enfants communs aux deux époux.
La diversification des modèles familiaux rend plus difficile l'adoption d'une solution adaptée à tous.
Depuis quinze ans, projets de loi et rapports officiels se succèdent et proposent d'accroître les droits du conjoint survivant, mais selon des solutions différentes : plus de droits en pleine propriété pour les uns ; plus de droits en usufruit pour les autres ; création d'une réserve pour certains ; liberté testamentaire pour d'autres. Aucune solution unique ne se dégage.
Pourtant, après les travaux d'un groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et par le professeur Catala à la demande d'un gouvernement un premier projet de loi a été déposé par M. Michel Sapin en 1991. Il a été repris dans un projet plus général en 1995. Une option entre une part en propriété et la totalité en usufruit assortie d'un droit à maintenance de ses conditions d'existence peut résumer ces textes.
En mai 1998, Mme Irène Théry préconise, dans son rapport, d'aligner la dévolution légale ab intestat en présence d'enfants sur les pratiques actuelles autorisées en matière de libéralités dans le cadre de la quotité spéciale entre époux. Elle a même proposé que le conjoint soit appelé à succéder immédiatement après les descendants.
Enfin, le groupe présidé par Mme Dekeuwer-Défossez a préconisé, en 1999, que le conjoint recueille l'intégralité de l'usufruit, tout en ouvrant à chaque enfant la possibilité de réclamer sa part de réserve en pleine propriété en échange de l'abandon au conjoint de sa part de la quotité disponible. Ce groupe de travail a proposé également que le conjoint survivant prime sur les collatéraux et les ascendants ordinaires.
Après quinze ans de réflexion, il nous revient de trancher cette question du conjoint survivant.
Mais il est un deuxième dossier, celui des droits de l'enfant adultérin.
Les droits de l'enfant adultérin sont aujourd'hui limités. Ils sont réduits de moitié dans la dévolution légale au profit des enfants légitimes ou du conjoint. L'enfant adultérin ne peut recevoir de libéralités en sus de la part successorale. Il peut être écarté de toute participation aux opérations de liquidation et de partage de la succession. Il ne peut s'opposer aux demandes d'attribution préférentielle de biens effectuées par les enfants légitimes ou le conjoint. Il ne peut demander la conversion de l'usufruit du conjoint en rente viagère.
Ces restrictions ont entraîné - vous l'avez rappelé, madame la ministre - la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
La Cour a estimé que l'enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables. Depuis, des juridictions de première instance ont écarté l'application de plusieurs dispositions du code civil applicables aux enfants adultérins, les jugeant contraires à la convention européenne des droits de l'homme. Il est donc temps pour nous de légiférer.
Face à ces questions, que nous propose l'Assemblée nationale ?
Elle prévoit, d'abord, l'accroissement des droits du conjoint survivant. Elle élève la place du conjoint dans l'ordre des successibles. Elle augmente la quotité des droits en propriété que le conjoint peut recueillir. Elle lui reconnaît un droit viager d'habitation et d'usage sur le logement qui lui servait de résidence principale. Enfin, autre dimension, elle transforme le conjoint survivant en héritier réservataire uniquement en l'absence de descendants et d'ascendants et lui garantit un droit temporaire au logement après le décès.
Par sa proposition, l'Assemblée nationale élève l'enfant adultérin dans l'ordre des successibles. Elle place le conjoint survivant au deuxième rang en concours avec les père et mère du défunt. Au détriment des père et mère, l'Assemblée nationale accorde la moitié de la succession en pleine propriété au conjoint survivant.
Mais l'Assemblée nationale va encore plus loin en lui accordant les trois quarts de la succession si l'un des deux parents est prédécédé. La totalité de la succession va au conjoint survivant en l'absence des père et mère, privant de toute part de la succession les grands-parents, les soeurs et les frères.
Madame la ministre, vous parliez tout à l'heure de famille éloignée. En ce qui me concerne, je ne pense pas que les frères, les soeurs et les grands-parents constituent la famille éloignée.
Comme pour se faire pardonner, l'Assemblée nationale accorde d'ailleurs aux grands-parents le droit de se faire reconnaître une créance d'aliment contre la succession recueillie par le conjoint. Ainsi, en cas de besoin, les grands-parents devront obtenir du conjoint survivant un secours, alors qu'aujourd'hui ils devancent logiquement le conjoint dans l'ordre des successibles.
La quotité des droits en propriété serait donc considérablement augmentée dans ces cas d'absence de descendants. Mais elle le serait aussi en présence de descendants puisque le conjoint survivant recueillerait un quart en propriété - c'est l'article 2 - contre un quart en usufruit aujourd'hui.
De plus, la proposition de l'Assemblée nationale accorde au conjoint survivant la faculté de demander un droit d'habitation viager sur le logement dépendant de la succession dans lequel il aurait eu sa résidence principale, ainsi qu'un droit d'usage sur le mobilier le garnissant.
En cas de local loué à bail, le conjoint pourrait exercer un droit d'usage sur le mobilier et bénéficierait d'un droit renforcé au transfert du bail à son nom.
La valeur de ces droits s'imputerait sur celle des droits successoraux recueillis par le conjoint sans récompense, dans l'hypothèse où elle serait supérieure aux droits recueillis.
Le conjoint ne serait autorisé à louer le local sur lequel il exerce son droit que dans le seul cas où il viendrait, pour raison de santé, à être hébergé dans un établissement spécialisé.
Par accord entre le conjoint et les héritiers, le droit d'usage et d'habitation pourrait être converti en une rente viagère ou en un capital. Mais l'Assemblée nationale est allée beaucoup plus loin en instituant une réserve en l'absence de descendants et d'ascendants sur le quart des biens, notamment en présence de collatéraux privilégiés.
En présence de descendants ou d'ascendants, le conjoint ne serait pas réservataire et pourrait donc être privé d'usage et d'habitation sur le logement par volonté du prédécédé.
En revanche, l'Assemblée nationale prévoit que le conjoint survivant pourrait obtenir la jouissance gratuite pendant un an du local et de son mobilier.
Ce droit est considéré comme un effet du mariage et non comme un droit successoral. Etant d'ordre public, il ne pourrait être remis en cause par le défunt.
De plus, il est proposé un véritable devoir de secours au bénéfice du conjoint contre la succession.
Enfin, l'Assemblée nationale a prévu une information sur le droit de la famille, notamment sur les droits du conjoint survivant.
En ce qui concerne l'enfant adultérin, l'Assemblée nationale supprime, à l'article 9, toute référence aux enfants adultérins dans le code civil. Il n'y a donc pas de difficulté.
J'en viens aux propositions de la commission des lois.
Elles peuvent se résumer en quatre souhaits : premièrement, construire un équilibre entre le conjoint survivant et la famille par le sang ; deuxièmement, préserver la liberté testamentaire tout en accordant des garanties minimales au conjoint survivant ; troisièmement, établir l'égalité successorale entre tous les enfants ; enfin, quatrièmement, inclure ces modifications dans une réforme d'ensemble du droit des successions.
Construire un équilibre entre le conjoint et la famille par le sang a été notre premier souci.
La commission des lois s'est montrée très soucieuse de ne pas passer d'une situation dans laquelle le conjoint était exclu par la famille de sang à une situation dans laquelle le conjoint exclurait à son tour la famille par le sang.
Pour y parvenir, nous proposons de faire porter les droits du conjoint sur les biens existants, l'objectif étant de permettre au conjoint survivant de maintenir ses conditions d'existence.
En présence de descendants, la commission a souhaité, sur amendement du groupe socialiste, aller moins loin que ne le souhaitait le rapporteur. En effet, je proposais que le conjoint reçoive, en plus du quart en propriété prévu par l'Assemblée nationale, l'usufruit sur la part revenant aux enfants issus du mariage.
La solution retenue confirme le quart des biens existants en propriété avec, dans le cas où le conjoint ne serait en présence que d'enfants communs, le droit pour ce dernier d'opter soit pour le quart en propriété, soit pour l'usufruit sur l'ensemble.
Pour permettre l'adoption de cette proposition du groupe socialiste, la commission vous proposera quelques articles complémentaires organisant ce droit d'option du conjoint.
Ces dispositions devraient permettre de limiter le risque de contentieux avec les enfants d'un autre lit, tout en permettant un choix s'il n'y a que des enfants issus du mariage.
De même, pour limiter les aspects anti-économiques de l'usufruit, nous proposerons de consacrer une section du code civil à la conversion de l'usufruit du conjoint.
Ces dispositions unifieraient et compléteraient les règles applicables à tout usufruit du conjoint sur les biens du prédécédé, qu'il résulte de la loi, d'un testament, d'une donation de biens à venir ou d'une clause du régime matrimonial.
Vouloir préserver un équilibre entre conjoint et famille par le sang, c'est non seulement améliorer la situation du conjoint survivant, mais aussi veiller à ce que, emporté par un mouvement un peu rapide, on ne porte pas atteinte au droit de la famille par le sang.
C'est pourquoi la commission des lois propose qu'en l'absence de descendants le conjoint reçoive la moitié des biens en propriété, contre aujourd'hui la moitié en usufruit, mais aussi que la famille par le sang reçoive l'autre moitié.
Cette moitié attribuée à la famille irait aux père et mère, en leur absence aux frères et soeurs et, en l'absence des précités, aux ascendants ordinaires.
En l'absence d'une branche d'ascendants ordinaires, le conjoint verrait sa part passer de la moitié aux trois quarts.
En l'absence des héritiers des trois premiers ordres, le conjoint survivant recevrait l'ensemble des biens, comme aujourd'hui.
Ces mesures raisonnables confirment notre refus de voir encourager le déclin de la famille par le sang, utile quand personne n'est là pour faire face aux problèmes.
Le conjoint survivant, lui, dans tous les cas de figure se trouverait beaucoup mieux doté qu'à l'heure actuelle.
Enfin - cela se produira dans les cas rarissimes - constatons que rendre des droits successoraux aux ascendants ordinaires du défunt est plus correct que de les priver de l'héritage de leurs petits-fils ou petites-filles et de les contraindre à cette humiliante créance alimentaire contre le conjoint survivant.
Notre deuxième proposition est de préserver la liberté testamentaire du défunt tout en prévoyant un minimal garanti au conjoint.
Parce qu'il est difficile d'admettre que le conjoint survivant bénéficie de moins de droits que ne peut en avoir, dans certains cas, le conjoint divorcé, le conjoint doit se voir reconnaître un droit minimal intangible au logement, assorti d'un droit à pension s'il se retrouve dans le besoin même s'il est nécessaire de confirmer que le conjoint survivant n'est pas un héritier réservataire.
C'est pourquoi la commission des lois propose de supprimer la réserve créée par l'Assemblée nationale en l'absence de descendants et d'ascendants, réserve qui n'avait pour objet que de priver d'une part les frères et soeurs.
Autre point important : l'Assemblée nationale a prévu que le droit au logement n'était pas intangible, le conjoint pouvant en être privé par testament. Cela n'est pas acceptable. Le conjoint n'étant pas réservataire, la marge testamentaire s'exercera naturellement à son détriment.
Pour assurer une meilleure protection du conjoint survivant, la commission des lois propose de lui accorder un droit viager intangible au logement. En revanche, nous avons estimé que ce droit ne doit pas obligatoirement s'exercer sur la résidence principale.
Dans tous les cas, si le droit d'habitation excède les droits successoraux du conjoint survivant et si l'importance du local dépasse de manière manifestement excessive ses besoins effectifs, nous proposons que le conjoint récompense la succession.
Cette disposition n'est pas de nature à gêner le conjoint survivant. En effet, la valeur du droit d'habitation est faible et dépassera très rarement et de peu ses droits successoraux.
Je rappelle que la proposition de loi confère au droit d'habitation une valeur égale à 60 % de celle de l'usufruit, soit 42 % de la valeur du bien pour un conjoint survivant de vingt ans ; mais ce montant tombe à 6 % de la valeur du bien pour un conjoint de plus de soixante-dix ans.
Autre nouveauté, l'Assemblée nationale n'accorde la possibilité au conjoint survivant de donner à bail le logement que s'il vient à être hébergé en établissement spécialisé. Nous proposons d'étendre cette possibilité à l'ensemble des situations dans lesquelles l'état du conjoint nécessite un changement de domicile : la dépendance, la mobilité réduite, certaines maladies, des logements à l'étage, des logements isolés... Dans certains cas, la situation du conjoint survivant exige qu'il puisse éventuellement changer de domicile.
Enfin, nous souhaitons reconnaître au seul époux dans le besoin un droit de créance contre la succession, et ne pas suivre l'Assemblée, dont le dispositif revient à créer une nouvelle prestation compensatoire « lorsque les conditions de vie se trouvent gravement amoindries du fait de la mort de son époux ».
Limitons-nous à la pension due à l'époux dans le besoin, en aménageant le délai accordé au conjoint pour lui faciliter la demande d'aliments. Par pitié ! ne créons pas une deuxième prestation compensatoire.
La troisième proposition de la commission des lois est d'établir l'égalité successorale des enfants, qu'ils soient légitimes, naturels ou adultérins.
Il convient d'approuver la suppression totale prévue par l'Assemblée de la notion d'enfant adultérin dans le code civil.
Dans la même logique, il convient de rétablir l'égalité successorale des enfants naturels par rapport aux enfants légitimes en ce qui concerne particulièrement l'action en retranchement prévue à l'article 1527 du code civil.
Ces mesures devraient être applicables à l'ensemble des successions ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi, sous réserve qu'elles n'aient pas fait l'objet d'accord amiable ou de décision de justice passée en force de chose jugée.
Les autres différences de traitement entre les enfants légitimes et naturels perdurant depuis la loi de 1972 seront réglées, bien entendu, dans un autre cadre.
Enfin, la commission des lois propose d'inclure ces modifications dans une réforme d'ensemble du droit des successions. C'est notre quatrième et dernière proposition.
Les travaux du groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et le professeur Catala ont donné naissance à trois projets de loi déposés à l'Assemblée nationale dans un intervalle de sept ans par des gouvernements appartenant à des majorités politiques différentes : 1988, Pierre Arpaillange, au nom de Michel Rocard ; 1991, Michel Sapin, au nom d'Edith Cresson ; 1995 Pierre Méhaignerie, au nom d'Edouard Balladur, ce troisième projet étant, à des détails près, la fusion des deux premiers.
Or la présente proposition de loi traite des thèmes abordés dans le projet de loi Sapin, mais occulte totalement les autres dispositions contenues dans le projet de réforme globale.
Sans créer de véritables bouleversements, ces dispositions permettraient de remédier à de réelles difficultés qui apparaissent au cours des règlements successoraux, difficultés bien compréhensibles, puisque aucune refonte des successions n'a été entreprise depuis 1804.
Lors des auditions publiques, différents intervenants, dont le professeur Catala et le représentant du Conseil supérieur du notariat, ont plaidé pour l'inclusion du projet de réforme globale des successions dans la présente proposition de loi. Ils ont rappelé que, si cette refonte n'avait pas été engagée, c'est précisément parce que tous les professionnels n'étaient pas d'accord sur la douzaine d'articles dont traite aujourd'hui la proposition de loi qui nous est soumise. Mais, puisque tel est maintenant le cas et qu'il y a un accord général sur tout le reste, pourquoi ne pas profiter de l'examen de ces articles ? Ne pas le faire serait incohérent.
Cette réforme consensuelle, à caractère technique, a été deux fois présentée au seul Conseil d'Etat avant d'être adoptée par le conseil des ministres sous des gouvernements de gauche et de droite.
Votre commission des lois vous propose, mes chers collègues, de ne pas laisser échapper l'occasion qui se présente. Rien ne justifie de retarder la mise en oeuvre de cette réforme, soutenue par tous, politiques, notaires, juristes et associations familiales.
Madame la ministre, soyez certaine, la grande réforme de la famille ne viendra jamais, car on nous la dissèque par petits bouts ! Une telle occasion ne se représentera pas de sitôt.
Dans cet hémicycle, tous les spécialistes connaissent le contenu de cette réforme. Ne faisons pas semblant de découvrir les 200 articles qui sont proposés ! Tout le monde est d'accord et aucun argument, autre que politicien, ne justifierait d'en différer la discussion.
C'est pourquoi nous proposons d'adopter plusieurs articles additionnels après l'article 9 et de donner une nouvelle rédaction aux articles 1er, 2, 3 et 4, de manière à procéder à la réécriture totale du titre Ier du livre troisième du code civil relatif aux successions.
Cette réécriture permettra de clarifier les règles d'ouverture, de transmission, de liquidation et de partage des successions, et d'y apporter d'utiles modifications de fond.
Il convient, premièrement, de clarifier l'ouverture et la transmission des successions en s'appuyant sur un principe, à savoir que l'héritier continue la personne défunte, et en rappelant le corollaire de ce principe, l'acquisition immédiate de la succession, la saisine, mais cela sans oublier la règle selon laquelle l'héritier donataire, le légataire universel et à titre universel sont tenus indéfiniment au passif.
Il faut, deuxièmement, moderniser les qualités requises pour succéder en abandonnant la théorie des comourants, en renforçant la personnalisation de l'indignité.
Il s'agit, troisièmement, de légaliser et de simplifier en matière de preuve de la qualité d'héritier.
Quatrièmement, nous proposons de réorganiser la présentation et de simplifier les règles de la dévolution successorale, en supprimant la distinction existant entre les collatéraux, les frères et soeurs dits consanguins, utérins, germains, distinction qui n'a plus de sens aujourd'hui, et en limitant de façon absolue au sixième degré la rentrée dans les successibles.
Cinquièmement, c'est la rénovation de la transmission et de la liquidation successorale que nous proposons.
Pour cela, il faut raccourcir les délais de l'option héréditaire pour éviter les blocages, permettre une action interrogatoire qui impose un choix dans un délais de cinq mois et ramener le délai de prescription de 30 ans à 10 ans.
Il faut limiter aussi les risques de l'acceptation simple en mettant à l'abri l'acceptant des dettes inconnues au moment de la succession et en limitant le règlement de legs aux forces de la succession.
Il faut aussi réorganiser le régime de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, en renforçant la protection des créanciers par une information et une publicité, et en accordant plus de souplesse aux héritiers.
Enfin, il faut unifier le régime des successions vacantes.
Le service des domaines serait commis dans tous les cas par le président du tribunal de grande instance. Il disposerait d'une grande autonomie, dans un cadre strictement défini par la loi et sous contrôle de l'autorité judiciaire.
Sixièmement, la refonte que nous proposons doit permettre aussi l'administration pour une durée d'un an de la succession par un mandataire qualifié.
Faute d'accord, l'un des héritiers, pour éviter le blocage, pourra demander la nomination d'un mandataire pour un an, sans avoir d'effet sur l'option héréditaire.
Septièmement, la commission des lois propose d'accélérer le partage et d'en assouplir les règles, en promouvant le partage amiable et en limitant le partage judiciaire en cas de contentieux véritable, en regroupant les règles relatives aux demandes en justice qui précisent les modalités du partage, en affirmant l'égalité en valeur des parts et des lots, en présumant non rapportables les donations faites à des héritiers autres que les descendants, l'idée étant surtout de maintenir une égalité de traitement entre les descendants, en consacrant les règles jurisprudentielles relatives au règlement du passif et au rapport des dettes, en sécurisant le partage, en limitant à deux ans le délai imparti à l'héritier victime de trouble ou d'éviction pour agir en garantie contre ses copartageants et en substituant à l'actuelle action en rescision pour lésion une action nouvelle en complément de part.
Pour conclure, la commission des lois propose au Sénat d'adopter cette réforme consensuelle et attendue par les professionnels. Techniquement étudiée de longue date, elle est de nature, croyez-le, mes chers collègues, à régler de nombreuses difficultés. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, longtemps attendue, incomplète, certes, mais bienvenue, telle peut être sommairement qualifiée la réforme dont notre assemblée débat aujourd'hui. La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat y attache un grand prix, et pour cause : dans plus de trois cas sur quatre, le conjoint survivant est une femme.
La situation des conjoints survivants est loin d'être satisfaisante : notre droit des successions a certes évolué depuis l'adoption du code Napoléon, mais il leur demeure nettement défavorable et ignore les évolutions socio-économiques qui ont affecté depuis deux siècles la famille, tant dans sa structure que dans son patrimoine. Si l'on considère que les règles successorales reflètent l'image que la société se fait de la famille, on ne peut que constater, pour la déplorer, l'existence d'une grande ingratitude à l'égard du conjoint.
Les droits du conjoint survivant dépendent en effet de la « configuration familiale», mais, dans les cas les plus fréquents ceux où le défunt laisse des ascendants ou des descendants -, il ne peut prétendre qu'au bénéfice de l'usufruit ; encore peut-il en être privé car, ne faisant pas partie des héritiers réservataires, il peut avoir à renoncer à sa vocation successorale.
Certes - et le rapporteur de la commission des lois le faisait observer il y a un instant - dans la majorité des cas, la situation réelle du conjoint survivant est plus favorable grâce aux libéralités que les époux se sont consentis, grâce au régime matrimonial qu'ils ont choisi ou grâce aux dispositions testamentaires qu'ils ont adoptées.
Il n'en reste pas moins qu'environ 20 % des ménages, et bien souvent les plus modestes ou les plus jeunes, n'ont pris aucune disposition particulière. Ce sont eux qui sont intéressés au premier chef par le texte que nous examinons.
C'est pourquoi la première recommandation que la délégation aux droits des femmes a adoptée porte sur la nécessité d'améliorer d'une manière concrète et la plus efficace possible l'information des couples en matière successorale.
Il nous paraît essentiel, en effet, que soit délivrée le plus en amont possible l'information sur les conséquences du décès d'un des conjoints, que ce soit à l'occasion, même si cette proposition peut paraître surprenante, des formalités préliminaires au mariage ou que ce soit à l'occasion d'un achat immobilier.
S'agissant du dispositif des deux propositions de loi, la délégation aux droits des femmes s'est rangée à une évidence : il est extrêmement difficile de trancher entre l'usufruit, d'une part, la pleine propriété, d'autre part, tant la catégorie des conjoints survivants est diverse et hétérogène. En réalité, de deux choses l'une : ou l'on se réfère au souhait majoritairement exprimé au travers des libéralités entre époux, et l'usufruit universel paraît devoir être la solution la mieux adaptée ; ou l'on privilégie une vision prospective des structures familiales en raison notamment de l'allongement de la vie et de la multiplication des remariages, et il conviendrait, à ce moment-là, de privilégier le droit de pleine propriété.
Aucune solution n'étant en elle-même parfaite, notre délégation a très modestement proposé de suivre l'avis des professionnels, qui semblent nettement favorables à la pleine propriété, après avoir penché un temps, comme la doctrine, pour l'usufruit universel.
La délégation est dans son rôle en mettant l'accent sur un autre élément essentiel du débat, celui de la réserve. Faut-il faire du conjoint survivant un héritier réservataire comme les ascendants ou les descendants ou doit-il garder le statut qui est actuellement le sien ?
Il convient, en tout cas, de mettre un terme à une réelle hypocrisie : les droits du conjoint survivant ne valent que s'ils sont garantis, et l'on ne peut espérer les améliorer réellement si l'on continue d'admettre que le conjoint puisse en être privé par une libéralité consentie à un tiers du vivant des époux.
Dans la plupart des pays européens, le droit successoral a institué une réserve. La commission de réforme du code civil elle-même s'était engagée timidement dans cette voie, voilà une cinquantaine d'années. La FAVEC, la fédération des associations de conjoints survivants, dont la représentativité n'est pas contestée, souhaite également que l'on s'oriente dans cette voie.
Les textes qui nous sont soumis n'accordent pas de réserve au conjoint, sauf pour ce qui concerne la proposition Vidalies, lorsqu'il n'y a ni ascendant ni descendant. Encore faut-il noter qu'il ne s'agit, à ce moment-là, que d'une réserve d'un quart de la succession.
Certes, le problème de la réserve est délicat.
Il est délicat parce qu'on peut faire abstraction des autres héritiers ascendants ou descendants. Il est délicat parce que d'importantes difficultés techniques se posent, à commencer par celle qui est à l'origine de la réserve : faut-il la prendre sur la quotité disponible ou sur les droits des autres héritiers réservataires ?
Si l'on sort un instant du droit, on se rend compte que c'est tout le problème de la place du mariage par rapport au lignage qui est ainsi posé. C'est incontestablement une question de fond, que la délégation a examinée de manière approfondie et que l'on doit aujourd'hui poser.
En tout cas, si les « réserves sur la réserve » au bénéfice du conjoint survivant sont très fortes, ce qui permet à l'exception française de perdurer, la délégation est dans son rôle en recommandant au législateur d'envisager l'attribution, à terme, d'une part réservataire au conjoint survivant : à terme, c'est-à-dire dans le cadre de la réforme globale des droits de succession, dont les présentes dispositions ne dispenseront pas le Gouvernement.
Il conviendrait, par ailleurs, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur voilà un instant, de faire disparaître du code civil la théorie, ô combien désuète, des « comourants », dont disposent les articles 270 et suivants.
Tant la FAVEC, que nous avons auditionnée, que la délégation voient dans le droit d'habitation et au maintien du logement une disposition essentielle.
Le souhait de finir ses jours dans son cadre de vie habituel paraît d'autant plus légitime que plus de la moitié des veuves ont dépassé 75 ans. La délégation demande, en conséquence, que ces droits d'habitation et d'usage soient intangibles, que le défunt ne puisse s'y opposer de son vivant, possibilité qui existe - nous l'avons regretté - même si elle est encadrée, dans la proposition de loi Vidalies.
Améliorer l'information en matière successorale, garantir le droit au logement du conjoint survivant, envisager, mettre à l'étude l'institution d'un droit réservataire partiel, telles sont donc les recommandations que la délégation aux droits des femmes adresse au Sénat. Elles traduisent un souci : tenir compte de l'évolution socio-économique qui voit, d'une part, la structure familiale se recentrer autour du couple et des enfants et, d'autre part, le patrimoine familial reposer de plus en plus sur les revenus professionnels des deux époux. Cette double évolution fait apparaître de plus en plus injuste le statut successoral d'« étranger » à la famille qui a été jusqu'à présent celui du conjoint survivant. (Applaudissements sur les travées du l'RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui tend à remédier au décalage qui existe actuellement entre la place qu'accorde l'opinion publique au conjoint survivant et celle qu'il occupe effectivement dans le droit successoral français. Elle tend également à supprimer les inégalités successorales entre les enfants légitimes et les enfants adultérins.
S'agissant du conjoint survivant, le sort que lui réserve le code civil en matière de succession suscite, depuis de nombreuses années, des interrogations et des réflexions, au niveau tant des praticiens que des milieux extraprofessionnels.
En effet, le resserrement de la famille autour du couple et des enfants, et l'importance croissante des biens acquis durant le mariage au détriment des biens propres, avec au premier chef le logement familial, conduisent à reconsidérer la place limitée que les textes assignent au conjoint dans la succession du défunt.
En 1804, pour éviter que les biens ne sortent de la famille, le conjoint survivant n'avait vocation successorale que dans des cas exceptionnels, et toujours en pleine propriété. Aujourd'hui, à l'inverse, il a toujours une vocation, généralement en usufruit, exceptionnellement en pleine propriété. Si ses droits ont beaucoup augmenté et si leur nature s'est modifiée, une constatation demeure : le conjoint survivant est le « parent pauvre » de la succession. Sauf si le défunt a pris des dispositions de son vivant pour organiser la transmission de ses biens, celle-ci se fera selon les règles de dévolution légales, qui ne permettent au conjoint survivant que de recueillir une part réduite de la succession.
Si le défunt a des descendants, hypothèse la plus fréquente, le conjoint ne dispose que d'un quart des biens en usufruit. En présence d'ascendants ou de collatéraux privilégiés, il est également privé d'un droit de propriété et obtient un droit d'usufruit de la moitié de la succession. Il convient de rappeler que la conversion de son usufruit en rente viagère peut lui être imposée. Le conjoint survivant n'obtient des droits en pleine propriété que dans des situations résiduelles : lorsque qu'il est en présence d'ascendants ou collatéraux privilégiés dans une seule ligne ou simplement en concours avec des collatéraux simples.
En l'état actuel de notre législation, le conjoint survivant n'a même pas l'assurance de pouvoir continuer à disposer, ne serait-ce qu'en usufruit, du cadre de vie qui était le sien. De surcroît, n'étant pas réservataire, il peut voir ses droits, déjà limités, disparaître si le défunt s'est montré généreux dans ses libéralités à autrui.
Les préoccupations qui ont inspiré les règles successorales actuelles se révèlent moins importantes en raison de la part prépondérante prise dans les patrimoines par les biens acquis durant le mariage. De même, les règles de dévolution successorales, en donnant priorité à la famille par le sang ne reflètent manifestement pas la tendance au resserrement de la celllule familiale autour de l'enfant et du couple.
Le souci de protéger le conjoint survivant est devenu primordial : il s'agit de veiller à ce qu'il puisse disposer librement d'un patrimoine lui assurant une autonomie dans la gestion de sa vie de veuf et lui permettant d'assumer le coût, le cas échéant, de la dépendance physique. Dans ce contexte, l'allongement de la vie humaine, l'amenuisement des solidarités familiales, la multiplication des familles recomposées militent pour une amélioration des droits consentis au conjoint survivant.
Presque tous les pays occidentaux ont, pendant le dernier quart du xxe siècle, accru les droits successoraux du conjoint survivant, tantôt en lui donnant un usufruit universel, tantôt, dans les pays d'influence germanique, en lui donnant une part en pleine propriété, généralement une part d'enfant le moins prenant. Souvent, il lui est accordé une réserve, tantôt en pleine propriété, tantôt en usufruit.
La France a tenté, à plusieurs reprises, de modifier les règles successorales dans leur ensemble, et celles qui sont relatives au conjoint survivant en particulier. En effet, faisant suite aux travaux du groupe de travail animé par le doyen Carbonnier et le professeur Catala, un premier projet de loi a été déposé par Michel Sapin en 1991. Il a été repris dans un projet plus général par Pierre Méhaignerie en 1995. Ces deux projets de loi n'ont malheureusement pas été examinés par le Parlement.
Mme Irène Théry, puis Mme Dekeuwer-Défossez, dans leurs rapports respectifs, remis à Elisabeth Guigou et à Martine Aubry, insistaient sur la nécessité de réformer cette branche du droit.
La proposition de loi tient compte du souci des personnes de disposer, au décès de leur conjoint, d'une somme d'argent et d'un logement.
Tout d'abord, elle octroie au conjoint survivant quels que soient les parents laissés par le défunt, des droits en propriété qui permettent aux autres héritiers de conserver leur autonomie. Le montant des droits recueillis par le conjoint variera selon les membres de la famille venant à la succession : ils seront de l'ordre d'un quart en présence d'enfants, d'un demi si le défunt laisse ses père et mère, et de trois quarts s'il ne laisse que l'un d'entre eux.
Par ailleurs, la proposition de loi donne au conjoint survivant, s'il le souhaite, et sauf volonté contraire exprimée par le défunt dans le testament par acte public, un droit viager au logement, assorti d'un droit d'usage du mobilier le garnissant, qui s'impute sur les droits de propriété qu'il aura recueillis dans la succession, mais qui, s'il les excède, ne contraint pas le conjoint bénéficiaire à récompenser la succession.
Le conjoint survivant disposera d'un an à compter du décès du conjoint pour manifester sa volonté d'exercer ses droits d'usage et d'habitation, qui pourront ultérieurement, d'un commun accord entre le conjoint et les autres hériters, être convertis en une rente viagère ou en un capital.
Dans l'hypothèse où le logement serait loué, le conjoint survivant se verra attribuer un droit d'usage sur le mobilier le garnissant, les conditions dans lesquelles le conjoint peut se voir transféré le bail étant facilitées.
Par ailleurs, le conjoint survivant bénéficie, nonobstant toute disposition contraire, de la jouissance gratuite, pendant une année, du logement occupé à titre d'habitation principale à l'époque du décès, les loyers étant remboursés par la succession si le logement en question fait l'objet d'un bail à loyer.
Enfin, dans le souci de protéger le conjoint survivant, la rédaction de l'article 207-1 du code civil est modifiée afin de renforcer le devoir de secours qui peut être mis à la charge de la succession lorsque le conjoint survivant voit ses conditions de vie gravement amoindries par le décès de son conjoint.
Si le groupe socialiste se félicite de cette proposition de loi, il propose toutefois quelques modifications. Il fait une différence entre la présence d'enfants issus ou non du mariage. Lorsque les enfants sont issus du mariage du défunt et du conjoint survivant, s'inspirant des dispositions du projet de loi de Michel Sapin de 1991, repris par le projet de loi de Pierre Méhaignerie de 1995, il ouvre au conjoint survivant une option entre les droits en pleine propriété et les droits en usufruit. En revanche, en présence d'enfants d'un lit précédent, le conjoint survivant recueille la propriété du quart des biens existants.
Il prévoit également de faire porter les droits du conjoint survivant sur les biens du défunt existants au décès. En effet, il n'est pas utile de remettre en question à son profit des donations qui ont pu être faites, notamment aux enfants, y compris à ceux d'un premier lit.
Par ailleurs, il propose, comme la commission des lois, que tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu'il résulte de la loi, d'un testament ou d'une donation de biens à venir, ouvre la faculté de demander la conversion en rente viagère. Ce droit de conversion appartient à chacun des cohériters nu-propriétaires ainsi qu'au conjoint survivant. En cas de désaccord, il reviendra au juge d'accepter ou non la conversion et d'en déterminer le montant. Toutefois, la conversion de l'usufruit portant sur le logement du conjoint survivant ne pourra être ordonnée qu'avec l'accord de ce dernier.
Quant à la commission des lois, elle préconise d'accorder le quart de la propriété des biens existants complété par l'usufruit sur la seule part des biens revenant aux enfants communs. Nous préférons à cette solution celle qui a été retenue par l'Assemblée nationale, assortie de la possibilité de laisser le choix, seulement en présence d'enfants communs au défunt et au conjoint survivant, entre la propriété du quart des biens existants et l'usufruit de la totalité, comme c'est le cas en matière de donation au dernier vivant.
Mais surtout, la commission propose d'inclure la réforme relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins dans une refonte générale du droit des successions. Nous ne pouvons réellement pas nous associer à cette proposition. Il est inconcevable de vouloir procéder, au détour de l'examen d'une proposition de loi dont l'objet était limité, à une réforme générale du droit des successions, touchant ainsi à pas moins de deux cent cinquante-deux articles du code civil, sans une étude préalable ni un examen parlemenaire complet.
S'agissant des dispositions tendant à supprimer toutes limitations actuellement apportées par le code civil aux droits successoraux des enfants adultérins, je m'en félicite.
En effet, alors que les enfants légitimes, légitimés, adoptifs ou naturels simples ont tous les mêmes droit sur la succession de leur père et mère, les enfants adultérins, tout en étant également héritiers de leurs parents, voient leur part réduite par rapport à celle des autres enfants du défunt. L'enfant adultérin ne reçoit que la moitié de la part qui lui serait revenue si tous les enfants, y compris lui-même, étaient légitimes, la demi-part non attribuée revenant de droit aux enfants légitimes.
De même, l'enfant adultérin n'a pas le même statut successoral que les autres enfants vis-à-vis du conjoint survivant.
Le 1er février 2000, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour discrimination à l'égard des enfants adultérins. Afin de tirer les conséquences de cette décision, la proposition de loi supprime les différentes dispositions du code civil établissant une discrimination successorale au détriment des enfants adultérins.
Certes, j'aurais préféré que la réforme des droits du conjoint survivant et celle des droits des enfants adultérins soient incluses dans la grande réforme du droit de la famille ; les contraintes de l'établissement du calendrier législatif ne l'ont pas permis. Or il est urgent, comme c'était le cas pour la prestation compensatoire, de légiférer le plus vite possible sur ces deux sujets. J'espère que la majorité sénatoriale fera preuve de sagesse en retirant les amendements tendant à une refonte complète du droit des successions, afin de ne pas compromettre cette réforme tant attendue. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est d'usage de dire que le droit des successions est demeuré intangible depuis 1804 ; on le dit pour le code civil comme pour d'autres codes.
En fait, on s'aperçoit que, si l'évolution de la structure de la famille nécessite une révision complète de ce volet important de notre droit civil, notamment en ce qui concerne les droits du conjoint survivant, les diverses modifications qui sont intervenues, à savoir la loi de 1957, l'ordonnance de 1958, mais aussi la loi de 1972 sur la filiation et, enfin, la loi du 31 décembre 1976, qui concerne le partage et les rapports, ont néanmoins permis de faire progresser chaque fois un peu plus les droits du conjoint survivant. Le droit n'est donc pas resté intangible depuis 1804.
Je ne rappellerai pas le projet Sapin ou le projet Méhaignerie, qui avait été déposé à l'Assemblée nationale. Malgré leur caractère largement consensuel, l'accord tant de la doctrine que des praticiens du droit - sauf sur un point, j'y reviendrai -, plusieurs projets ont vu le jour sans être examinés par le Parlement.
Faut-il, dès lors, accepter cet état de fait ou tenter de réformer l'ensemble de notre droit des successions en profitant de notre droit très limité d'initiative ? Une séance par mois, ce n'est en effet pas beaucoup !
C'est l'une des questions posées par la commission des lois, qui nous propose rien de moins que de réformer une grande partie du titre Ier du livre III du code civil, qui comporte - vaste ambition - plus de deux cents articles.
Il y a lieu de rappeler que la réforme annoncée de l'ensemble du droit de la famille, dont les successions constituent une part non négligeable, est toujours reportée, les commissions succédant aux commissions, et que seule l'initiative parlementaire a fait progresser le sujet sur un certain nombre de points ; je pense notamment à la prestation compensatoire en cas de divorce, qu'il était nécessaire de réformer.
C'est la voie qu'a choisie l'Assemblée nationale, dont nous examinons la proposition de loi sur les droits du conjoint survivant et des enfants naturels, qu'elle a adoptée à l'unanimité, ce qui est toujours très dangereux, de mon point de vue, s'agissant de problèmes dits non politiques mais techniques.
Selon les termes particulièrement pudiques des articles 759 et 760 du code civil, les enfants naturels sont ceux « dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne ». En clair, il s'agit des enfants adultérins. Examinons ce premier point.
Si la jurisprudence de la Cour de cassation avait conclu, jusqu'en 1998, que la « discrimination » dont étaient l'objet les enfants adultérins n'était contraire ni à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la vocation successorale étant étrangère au respect de la vie privée et familiale reconnu par l'article 8 de la convention, ni à la convention de New York sur les droits de l'enfant, nous devons désormais tenir compte de l'arrêt du 1er février 2000 de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a condamné la France pour discrimination au motif de différence de traitement en matière de succession entre les enfants naturels et légitimes et les enfants adultérins.
Je crois que nous pouvons tous adhérer au principe selon lequel « l'enfant adultérin ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables ». Il nous semble, de surcroît, que, comme pour les conjoints survivants, le régime des libéralités peut largement faire pièce aux dispositions des articles 759 et 760 du code civil et que le système prévu est la conséquence logique de la réforme qui avait été adoptée sur la reconnaissance des enfants adultérins.
En ce qui concerne les conjoints survivants, les avis sont convergents et unanimes pour accroître leurs droits successoraux. Rappelons tout de même que cela ne concerne que 20 % des successions, car le problème doit être examiné dans le cadre global des régimes matrimoniaux - ils ont fait l'objet d'une réforme très importante en 1955 par la voie parlementaire car, à l'époque, on avait encore le temps d'élaborer des lois sur des sujets importants ! - et des donations et testaments, dont beaucoup souhaitent par ailleurs une rénovation.
Il faut rappeler aussi que le législateur a souvent favorisé, notamment par des mesures fiscales, à la fois la transmission des patrimoines par anticipation et la protection du conjoint survivant.
Des situations souvent inacceptables demeurent néanmoins. Il s'agit souvent, cela a été dit, de successions ouvertes à la suite d'accident ou de décès prématuré d'un des conjoints pour une raison de maladie, ou encore de l'imprévoyance ou de la méconnaissance du droit d'un nombre encore trop important de nos concitoyens, la succession étant souvent constituée du logement principal de la famille et d'une épargne modeste. Dans tous les autres cas, fort heureusement, les successions sont réglées à l'avance.
Qu'il me soit permis de saluer les efforts remarquables accomplis par les professionnels que sont les notaires.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. D'aucuns disent qu'il faudrait fusionner toutes les professions. Or les notaires, en qualité d'officier ministériel, demeurent indispensables dans notre société pour régler ces problèmes de droit de la famille.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Votre approbation me comble !
M. Raymond Courrière. C'est une approbation de professionnel !
M. Jean-Jacques Hyest. Je n'osais pas le dire !
M. Robert Bret. C'est du corporatisme !
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne suis pas corporatiste, car je n'appartiens pas à cette profession ! Mais vous voyez que je sais reconnaître le bienfait de chacune des professions, quelle qu'elle soit !
L'information peut être améliorée, et l'Assemblée nationale a fait une proposition dans ce sens. Mais il me paraît pour le moins curieux que cette information en matière de succession soit apportée au moment du mariage. On pourrait peut-être aussi communiquer aux époux les règles concernant le divorce ! (Rires.) Il y a là quelque chose qui me gêne un peu.
Améliorer les droits du conjoint survivant ne doit toutefois pas conduire à la création de nouvelles discriminations. Les mesures adoptées par l'Assemblée nationale sur ce point, même si leur simplicité peut séduire, ne paraissent pas constituer un point d'équilibre.
Tout le monde est d'accord pour considérer que la création d'une forme de réserve générale et héréditaire au profit du conjoint survivant face à des héritiers autres que les descendants et ascendants ne doit pas être acceptée. Mais au nom de quel principe passerait-on d'une situation où le conjoint était exclu par la famille par le sang à une situation où il exclurait lui-même cette famille, ce qui pourrait avoir pour effet paradoxal de transmettre tout le patrimoine de la famille du conjoint décédé à la famille de l'époux survivant ? Or, avec les propositions de l'Assemblée nationale on pourrait aboutir à cette situation.
C'est pourquoi la commission des lois, dont les débats ont été très approfondis sur cette question, modifie substantiellement les règles fixées par l'Assemblée nationale, et ses propositions nous semblent équilibrées.
En ce qui concerne la succession en présence d'enfants issus du mariage, la solution d'équilibre permettant d'ouvrir une option entre propriété et usufruit nous paraît préférable, la règle du quart en propriété s'appliquant en cas d'enfants non issus du mariage.
Notons au passage que, comme l'avaient souligné le professeur Catala et le Conseil supérieur du notariat au cours des auditions préalables, il y a bien lieu de viser les « biens existants » et non la « succession ».
Madame le garde des sceaux, je sais que vous n'êtes pas d'accord sur ce point. Cependant, l'objet de la loi étant de garantir les conditions d'existence de l'époux survivant, pourquoi envisager le rapport à succession des biens donnés, quelquefois depuis très longtemps, aux enfants pour les établir ? On va créer des situations extrêmement complexes. Dès lors, selon moi, mieux vaut tenir compte des biens existants plutôt que de la succession.
En l'absence de descendants, la distinction faite selon qu'existent des ascendants privilégiés dans les deux lignes ou dans une seule ligne, avec le droit maintenu des collatéraux privilégiés à la succession, aboutit à des solutions qui nous semblent pertinentes.
Cela met en jeu la conception même que l'on a de la famille. La famille ne se compose pas seulement des parents et des enfants : les frères et soeurs des parents en font aussi partie !
M. Nicolas About, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Au nom de quoi privilégierait-on certains par rapport aux autres ? On peut améliorer les droits du conjoint survivant sans pour autant supprimer tout droit à succession pour les collatéraux.
Il en est de même dans les diverses hypothèses où l'absence de descendants ou d'ascendants privilégiés dans les deux lignes ne prive pas les collatéraux d'un droit à succession. Mais peut-être est-ce là une vision provinciale !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Moi aussi, je suis une « provinciale » !
M. Jean-Jacques Hyest. On nous dit que la famille est maintenant réduite à la famille nucléaire, mais je crois que nous avons précisément aujourd'hui l'occasion de manifester qu'une solidarité existe entre l'ensemble des membres de la famille et que cela doit se traduire aussi dans les successions. Car c'est, à mon avis, l'envers et l'endroit d'une même situation.
M. Nicolas About, rapporteur. En l'absence d'enfant !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On peut toujours tester entre frères et soeurs !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui mais, mon cher collègue, je vous l'ai dit tout à l'heure, nous légiférons pour les 20 % de cas qui ne sont couverts ni par les régimes matrimoniaux ni par les libéralités.
J'ajoute que, si l'on examinait bien les libéralités des coutumes antérieures au code civil - car on sait bien que, en fin de compte, ce qui a été codifié, c'est, en gros, la coutume du Parisis ou de l'Ile-de-France - on constaterait qu'il existait des dispositions extrêmement diverses selon les provinces. Aujourd'hui, bien que deux siècles se soient écoulés, on continue, dans un certain nombre de régions, à faire des libéralités en fonction de coutumes différentes de la coutume de Paris. Notre excellent collègue Patrice Gélard évoquait l'autre jour, à ce sujet, la Haute-Normandie. Mais on pourrait évoquer tout autant des coutumes du Midi ou de la Bretagne.
Bien entendu, pour éviter que le conjoint survivant ne soit évincé du logement familial, et que les dispositions prévues ne contredisent ce droit au maintien dans les lieux, insuffisamment protégé par l'Assemblée nationale, il convient de renforcer le dispositif, avec des aménagements pour éviter d'autres abus, comme nous le propose la commission des lois.
On comprend mieux pourquoi des avis divergents ont pu être émis sur les droits du conjoint survivant. Si tous sont d'accord pour les renforcer, encore faut-il qu'ils soient équilibrés, qu'ils tiennent compte de l'évolution économique et sociale de la situation respective des époux. C'est pourquoi les conclusions de la commission des lois recueillent l'approbation de notre groupe.
En revanche, sur les autres aspects de la proposition, qui reprennent, certes, en grande partie le projet de 1995, mais qui consistent à réformer l'ensemble du droit de succession, on peut être partagé. En effet, tous les praticiens demandent cette réforme, depuis longtemps préparée, et qui, elle, a fait l'objet d'un avis du Conseil d'Etat. Ce n'est pas le cas de toutes les propositions. (Sourires.)
Mais l'importance de ce texte et sa complexité mériteraient sans doute mieux qu'un examen global, qui en fait une sorte d'ordonnance de nature législative.
Je comprends, bien entendu, la volonté de la commission et de son rapporteur de répondre à la légitime attente des juristes, et aussi à celle des justiciables. De l'accueil que réservera l'Assemblée nationale à cette initiative dépendent, bien sûr, ses chances de succès. Comme l'urgence ne s'impose pas, nous aurons sans doute à revenir sur le dispositif. Nous posons une sorte de pierre d'attente, pour employer une formule d'architecture.
C'est pourquoi, tout bien pesé, même si un certain nombre d'articles méritent d'être examinés d'un peu plus près, le plus urgent étant tout de même la réforme du droit des conjoints survivants, le groupe de l'Union centriste votera les conclusions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la réforme du droit des successions est attendue depuis de très nombreuses années puisqu'une grande partie des dispositions légales qui régissent ce domaine sont inchangées depuis la législation napoléonienne, ce qui laisse subsister un certain nombre d'anachronismes.
Certes, la loi est, en la matière, supplétive et 80 % des successions sont préparées par la volonté du de cujus au travers de dispositions testamentaires, de donations partages, d'un changement de régime matrimonial ou d'autres dispositions de prévoyance. La loi ne s'adresse donc qu'aux 20 % de successions non préparées.
Cependant, à mon sens, ce chiffre doit nous faire réfléchir. En effet, n'est-ce pas parce que les dispositions légales sont inadaptées que tant de nos concitoyens se voient contraints de recourir à des dispositions particulières ? On peut penser que, si la loi était adaptée, le besoin de recourir aux testaments ou aux donations pour régler les successions se ferait moins sentir.
Cette inadaptation que l'on constate concerne, pour une large part, le cas du conjoint survivant, qui a été négligé par le code civil de 1804 et aussi, en vérité, par les textes ultérieurs.
Au-delà de ce qui est réellement une situation injuste pour le conjoint survivant, beaucoup de dispositions du droit de succession avaient été jugées dépassées tant par la pratique que par la doctrine. C'est pourquoi, d'ores et déjà, de nombreux projets de réforme, largement inspirés à vrai dire des travaux du doyen Carbonnier et des propositions des notaires, ont été déposés sur le bureau des assemblées sans, curieusement, jamais aboutir jusqu'ici. Les premiers de ces textes remontent à une bonne quinzaine d'années.
Paradoxalement, depuis cette époque, les évolutions constatées de la famille ont rendu sans doute la tâche encore plus complexe, en particulier dans le domaine sensible du droit du conjoint survivant.
Oui, la famille a évolué : un grand nombre de nos concitoyens ont choisi de ne pas se marier ; le PACS a été introduit ; la proportion des divorces, dont on aurait pu penser qu'elle allait régresser du fait de la diminution du nombre des mariages, n'a cessé d'augmenter. C'est ainsi que les familles recomposées prennent chaque jour plus d'importance dans les statistiques, d'où un certain nombre de difficultés nouvelles.
On pourrait penser que l'existence d'enfants de lits différents est à l'origine des difficultés que l'on rencontre dans le règlement des successions. Mais, dans la pratique, les litiges qui surgissent sont aussi créés par des « enfants germains ».
En tout cas, la veuve et le veuf « traditionnels », issus d'un mariage unique, ne constituent plus le modèle dominant. La proposition de loi qui nous est soumise est précisément destinée à fournir un cadre unique pour des situations très diverses.
Cela étant, la proportion de successions préparées n'est pas près de se réduire au profit d'une disposition légale qui ferait l'unanimité ou le consensus.
Le but reste de protéger par priorité les situations qui méritent le plus d'être protégées, en laissant à chacun la possibilité d'y déroger lorsque la composition de la famille lui semble le justifier.
Il était donc plus que temps de remédier aux situations difficiles que cette faible considération du conjoint survivant pouvait engendrer.
Paradoxalement, mis à part le cas particulier des droits successoraux de l'enfant adultérin, qui ne fait pas débat, la proposition de loi n'a choisi de s'attaquer qu'à la partie la plus controversée de la réforme, celle sur laquelle les professionnels ne s'accordent pas toujours, pour laisser de côté tout ce qui était attendu et faisait l'objet d'un très large consensus.
Il est, me semble-t-il, regrettable qu'une pareille réforme n'ait pas été envisagée plus tôt par le Gouvernement et qu'il ait fallu attendre une initiative parlementaire pour, enfin, repenser les droits du conjoint survivant, alors que cette préoccupation ne date pas d'hier, comme en témoignent les tentatives non abouties de 1988, 1991 et 1995.
Celles-ci avaient d'ailleurs le mérite d'inscrire la nécessaire réforme des droits du conjoint survivant dans une refonte plus vaste des droits successoraux. Il convient donc d'approuver chaleureusement notre collègue Nicolas About pour l'excellent travail qu'il a fourni, étoffant et élargissant ainsi l'objectif modeste et parcellaire de la proposition initiale, pour viser à une réforme plus globale de l'ensemble des droits successoraux.
Considérant que les dispositions techniques de cette réforme avaient déjà été étudiées en profondeur, qu'elles étaient attendues par les professionnels, que la réforme du droit des successions était plutôt consensuelle et qu'elle devait enfin clarifier et simplifier les règlements successoraux, le rapporteur a donc décidé d'inclure dans la présente proposition de loi des mesures concernant l'ensemble des droits successoraux.
Dans un souci de cohérence, les droits du conjoint ne sont donc plus orphelins du cadre logique qui doit les accompagner, à savoir l'ensemble des droits successoraux, le rapporteur considérant à juste titre que l'examen de la présente proposition de loi permet la mise en oeuvre d'une réforme plus vaste.
Des dispositions visant à clarifier et à moderniser les règles d'ouverture, de transmission, de liquidation et de partage de la succession devraient régler les nombreuses difficultés posées par les règlements successoraux, notamment dans des cas parfois un peu anecdotiques : théorie des comourants et celle de l'indignité, qui souffraient d'un archaïsme certain et d'un manque de précision quant à leur définition actuelle dans le code civil.
La preuve de la qualité d'héritier est, par ce nouveau texte, institutionnalisée. Concernant la transmission et la liquidation successorales, les délais d'option et de prescription héréditaire sont raccourcis, les risques que présente l'acceptation pure et simple sont diminués et l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, jugée trop imprécise, est réorganisée. Enfin, l'administration temporaire de la succession par un mandataire qualifié est favorisée et le partage est assoupli et accéléré par des dispositions visant à promouvoir le partage à l'amiable, à affirmer l'égalité en valeur des lots et à simplifier les rapports dans un souci d'égalité.
Toutes ces dispositions assainissent le code civil et forment une base solide pour réformer à l'avenir le droit des libéralités, jugé trop rigide. Elles forment un apport essentiel à la proposition de loi initiale parce qu'elles doivent permettre de conserver un droit civil cohérent en matière de succession.
Ces apports importants, issus du travail approfondi de la commission, sont une juste réponse à l'approche parcellaire et fragmentée du droit de la famille, alors qu'une réforme globale est nécessaire : droits du conjoint survivant, nom patronymique ou autorité parentale sont autant de réformes partielles et tardives qui multiplient les risques d'incohérence et trahissent l'absence d'une politique familiale complète et réfléchie de la part du Gouvernement.
M. le rapporteur soulignait, d'ailleurs, qu'aucune raison véritable ne justifiait le report d'un projet de loi global du droit des successions, au vu des nombreuses études précédemment effectuées et du caractère consensuel de cette réforme.
De plus, les modifications des droits du conjoint survivant impliquent, en amont, une réflexion sur la place du mariage par rapport au lignage, sur les fondements de la filiation, qui, nous le voyons, relèvent déjà de domaines plus vastes que celui des seuls droits du conjoint survivant.
De cette réflexion doit découler un projet global de réforme du droit de la famille où seraient inscrits les droits du conjoint survivant.
Il semble donc que la récurrence de ces réformes partielles révèle une optique trop réduite en suivant le trajet inverse de maturation d'un projet de loi. Cette méthode ouvre la course aux réajustements permanents de notre code civil.
Face à l'urgence qu'il y a à améliorer la situation du conjoint survivant et au vu des travaux et des contributions du rapporteur, M. Nicolas About, le groupe du RPR votera cette proposition de loi, qui, ainsi modifiée, devrait répondre aux soucis des particuliers comme des professionnels.
Penser la famille en tant qu'institution, c'est-à-dire en tant qu'instrument par lequel la collectivité institue son nouveau membre, et confronter cette vision aux bouleversements qu'elle traverse reste néanmoins la priorité fondamentale pour pouvoir proposer enfin concrètement un droit de la famille pertinent et cohérent. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit des successions apparaît, à bien des égards, comme un concentré d'anachronismes et d'injustices.
Héritage d'une France rurale qui s'attachait à assurer la transmission du patrimoine terrien dans la famille par le sang, ce droit est en décalage avec la réalité sociologique actuelle ; parallèlement à l'allongement de la durée de vie, la famille se recompose autour d'un triangle familial père-mère-enfant, fluctuant au gré des recompositions, qui voit un patrimoine resserré autour du logement acquis au cours du mariage.
Ce changement sociologique s'accompagne d'un changement de valeurs de la société qui tend à privilégier les personnes plutôt que les biens, « la logique de l'affection plutôt que celle du sang », comme l'a écrit M. Alain Vidalies dans son rapport à l'Assemblée nationale.
Dans ce contexte, tant la situation de l'enfant adultérin que celle du conjoint survivant apparaissent comme des injustices flagrantes, d'ailleurs mal comprises par les citoyens eux-mêmes. C'est à ces deux « anomalies » que s'attaque la proposition de loi qui nous est soumise.
Première anomalie, le simple terme d'enfant adultérin symbolise à lui seul les siècles de discriminations dont ces enfants, qualifiés par la « faute » de leurs géniteurs, sont encore victimes aujourd'hui sur le plan successoral.
Il a fallu une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme pour que la jurisprudence et le législateur suppriment aujourd'hui les différences de traitement contraires au principe d'égalité des filiations et qu'on cesse de reprocher à l'enfant adultérin « des faits qui ne lui sont pas imputables ».
Seconde anomalie visée par le texte de loi : les droits successoraux du conjoint survivant. Là encore, quelle injustice de notre droit, qui maintient le conjoint dans la situation d'« étranger dans la famille », de « pièce rapportée », dit-on aussi charitablement !
Notre droit actuel, dont les principes remontent à 1804, se caractérise en effet par la faible place faite au conjoint survivant dans la succession : il ne peut prétendre qu'à un quart en usufruit s'il y a des enfants, la moitié en l'absence de descendants si les parents du défunt ou ses frères et soeurs sont encore en vie. Relégué aux confins de l'ordre successoral, il fait ainsi figure de « parent pauvre de la succession ».
Cette situation est perçue comme une aberration par les couples : ils sont 80 % à avoir anticipé cette injustice et pris des dispositions testimoniales ou conventionnelles contraires.
Il y a là une double raison de changer les textes : d'une part, une loi majoritairement contrariée par la pratique doit être revue ; d'autre part, il convient de protéger les 20 % restants qui, quelles que soient les causes - (imprévoyance, coût financier supplémentaire, ignorance de la loi) - risquent de se retrouver dans une situation parfois critique au moment du décès de l'un deux. Ils ne sont même pas assurés de pouvoir rester dans leur logement.
Si tout le monde s'accorde à dire que la situation ne peut plus perdurer, les solutions divergent profondément quant à l'articulation des droits du conjoint survivant et des héritiers par le sang, comme le souligne la différence entre le texte de l'Assemblée nationale et celui de la commission des lois du Sénat.
Pour notre part, il nous semble que la solution adoptée à l'Assemblée nationale est équilibrée, même si les parlementaires communistes étaient, à l'origine, plus favorables à la reconnaissance d'un droit à l'usufruit sur la totalité des biens de la succession. Un tel système nous semblait en effet le plus protecteur des droits du conjoint survivant, sans hypothéquer les droits des héritiers.
Mais si l'on se réfère à la diversification des situations familiales, qui devrait s'amplifier dans le futur, la solution de l'attribution d'une partie de la succession en pleine propriété peut apparaître plus adaptée. Elle permet une liquidation plus rapide de la succession, ce qui a un réel intérêt, notamment dans les cas de remariage.
Néanmoins, madame la garde des sceaux, il serait judicieux de prévoir un aménagement des règles fiscales en vigueur dans la mesure où cette option induit une double taxation rapprochée lorsqu'il s'agit de conjoints âgés, ce qui semble très pénalisant dans le cas des petites successions.
En outre, dès lors qu'on n'opte pas pour l'usufruit, il paraît absolument nécessaire de donner au conjoint survivant un « minimum garanti » pour reprendre une expression déjà utilisée. La reconnaissance d'un droit à la jouissance gratuite du logement pendant un an et la créance alimentaire du conjoint survivant dans la succession en constituent les deux volets principaux.
Pour les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, il convient d'y intégrer également le droit au maintien dans le logement commun.
Nous savons tous ici, pour l'avoir vécu au moins avec nos propres parents, combien il est essentiel pour le conjoint survivant âgé - la moitié des veufs et veuves sont âgés de plus de soixante-quinze ans - de conserver son cadre de vie habituel.
C'est également le cas pour les jeunes veuves avec des enfants en bas âge, la FAVEC nous ayant rappelé dans quelle situation catastrophique elles se trouvaient le plus souvent.
C'est pourquoi la reconnaissance d'un droit d'habitation du logement qui constituait la résidence principale des époux, assorti d'un droit d'usage sur le mobilier le garnissant, est absolument fondamentale.
Droit personnel et intransmissible, il est impératif, selon nous, de le garantir effectivement, sauf à lui faire perdre de son intérêt, notamment par comparaison avec l'usufruit sur la totalité des biens. C'est pourquoi il convient de le rendre intangible. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Faire dépendre ce droit de la seule volonté du défunt, y compris sous l'angle de la désignation du logement qu'occupera le survivant, va en effet à l'encontre de l'objectif visé, qui consiste à assurer la sécurité non seulement matérielle mais également affective du conjoint survivant par la préservation de son cadre de vie habituel.
Dans la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale, l'altération du droit d'habitation nous semble, en outre, contradictoire avec la constitution d'une réserve en l'absence de descendant, car elle crée une discrimination au détriment du conjoint avec enfant, alors moins protégé.
En réalité, les restrictions mises au droit d'habitation révèlent bien les réticences à changer réellement la logique de la transmission du patrimoine.
Soyons clairs : la reconnaissance d'un droit du conjoint ne pourra se faire sans une minoration des droits des autres héritiers. L'Assemblée nationale, qui l'a compris, a tranché en faveur de la priorité sur les collatéraux.
Cette logique est refusée par la majorité de la commission des lois, qui, ne craignant pas de dramatiser la situation, voit dans le texte de l'Assemblée nationale l'« exclusion de la famille par le sang ».
La différence de situation faite au conjoint survivant, selon la présence d'enfants communs ou d'enfants d'un premier lit, participe également de ce qui m'apparaît comme une dramatisation de la situation. Elle occulte, en effet, que les enfants du premier lit conservent, quoi qu'il arrive, leur statut d'héritiers réservataires. En tout état de cause, ce traitement différencié vient contrarier le principe de l'égalité des filiations que nous entendons promouvoir.
Dans son excellent rapport fait au nom de la délégation aux droits des femmes, notre collègue Philippe Nachbar nous invite à ne pas tergiverser. Comme il le fait judicieusement remarquer, la question du conjoint survivant nous oblige à prendre position sur la place du mariage par rapport au lignage. La consécration de la place du conjoint dans la famille ne pourra se faire « sans sortir d'une conception exclusivement "verticale" de la succession ».
Or, c'est là que se situe le fond du problème : le Gouvernement, à défaut de grande loi sur la famille - cela a été rappelé il y a un instant - a tardé à une systématisation des principes directeurs de son action en lui préférant la méthode des petits pas. Mon propos ne vous vise pas directement, madame la garde des sceaux, vous l'aurez compris.
Les lois adoptées jusqu'à présent, ou en passe d'être adoptées - réforme de la prestation compensatoire, nom patronymique, accès aux origines -, sont certainement utiles, mais n'ont pas permis de trancher un certain nombre d'options fondamentales induites par ces textes.
Je me félicite que la conférence de la famille ait permis de clarifier quelque peu ces objectifs. Il était temps, oserai-je dire !
En attendant, la majorité sénatoriale a beau jeu - l'occasion fait le larron, comme on dit ! - de s'engouffrer dans ces espaces non occupés et de profiter d'un texte à portée limitée pour proposer, même sans étude préalable, des réformes à caractère très général.
Peut-être cette méthode, devenue habituelle au Sénat, a-t-elle le mérite de lancer un débat, mais je ne suis pas certain que, du point de vue législatif, cela fasse vraiment avancer les choses.
Je me permets de dire que la méthode de la commission des lois pose également problème.
Alors que M. le rapporteur souligne la complexité du sujet en mettant en exergue les différents projets de loi qui n'ont pas abouti, il soutient dans le même temps que les dispositions adoptées en commission ne donnent pas lieu à débat.
Peut-être auriez-vous pu nous laisser le temps d'en juger sereinement, plutôt que de faire de vastes propositions à huit jours de la discussion en séance publique.
Quand on a la volonté d'arriver à des solutions consensuelles, on peut privilégier d'autres méthodes. De même, je comprends mal que l'on fasse aussi peu de cas de l'unanimité des députés sur le texte.
Je crois donc qu'il serait préférable d'en rester pour aujourd'hui au champ limité des deux propositions de loi - dont la vôtre, monsieur le rapporteur - pour régler rapidement la question du conjoint survivant et de l'enfant adultérin.
Pourquoi ne pas reporter à plus tard, par le biais d'une autre proposition de loi, une réforme plus générale du droit des successions, voire des libéralités ?
Je pense également qu'il faudra, à terme, se poser la question de l'extension au PACS des dispositions sur les successions.
Pour l'heure, le groupe communiste républicain et citoyen, qui souhaite voir déboucher rapidement une réforme très attendue, refusera de voter un texte qui, en élargissant le champ d'application de la loi, hypothèque son avenir.
M. Nicolas About, rapporteur. Les seize dernières années ont montré que la réforme ne viendra jamais en discussion ! Vous pouvez me faire confiance !
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, président du groupe d'études sur le veuvage et fidèle interlocuteur de la FAVEC, j'ai toujours placé la défense des droits du conjoint survivant au coeur de mes engagements.
Mon intérêt pour les sujets familiaux n'est d'ailleurs un secret pour personne ici. C'est donc avec beaucoup de satisfaction que j'aborde la discussion de cette proposition de loi, premier volet d'une réforme du droit de la famille que nous attendions.
Je commencerai par formuler une remarque sur l'ensemble de la réforme en cours.
Arrivant au terme d'un second mandat qui aura été riche, aussi riche que le précédent, je n'aurai pas l'occasion d'examiner personnellement les autres axes de la vaste réforme que Mmes les ministres de la justice et de la famille ont entreprise.
J'ai pris depuis longtemps la décision de ne pas briguer un nouveau mandat, car j'estime en conscience qu'il faut savoir partir, passer le relais. N'est-ce pas, l'âge aidant, une forme de respect pour notre mission ? Je ne prétends pas que cette décision ait été très facile, mais ainsi en ai-je décidé.
Je profite de cette occasion pour remercier l'ensemble du Sénat, les élus, le personnel, tous ceux, qui, du plus humble au plus grand, m'ont assisté dans ma mission.
Sans reprendre les critiques contenues dans la question d'actualité adressée à Mme Royal lors de la séance du 7 juin dernier, je tiens cependant à vous livrer quelques réflexions, madame le garde des sceaux.
Premièrement, la famille, cellule de base de la société, mérite mieux que les mesures éparses que vous soumettez à notre vote. Plutôt que d'engager une réforme d'ensemble, le Gouvernement auquel vous appartenez ne propose qu'une réforme morcelée. Ainsi, du grand projet de réforme du droit de la famille lancé par Mme Elisabeth Guigou voilà plus de deux ans, il ne reste aujourd'hui, lisait-on dans la presse, le 11 juin dernier, qu'une dizaine de textes disparates d'origine gouvernementale ou parlementaire. Ce n'est pas sérieux !
Deuxièmement, soucieux de la santé des familles, je regrette la négligence du Gouvernement, qui semble oublier les références qui définissent la famille. Les situations difficiles que rencontrent les familles, les nouvelles formes d'union et de recomposition familiale ne doivent pas faire oublier l'importance, dans les chiffres comme du point de vue institutionnel, de la famille fondée sur le mariage, d'ailleurs plébiscitée par les Français.
Enfin, il me semble que le mariage et la famille légitime sont, comme le soulignait, à l'Assemblée nationale, ma collègue Marie-Thérèse Boisseau, les grands oubliés de cette réforme.
J'en viens à la proposition de loi que nous avons aujourd'hui à examiner et qui est relative aux droits du conjoint survivant.
Ce texte tend à améliorer les droits de l'époux touché par le deuil de son conjoint lorsque la succession n'a pas été organisée. La proposition de loi répond donc à de réelles attentes. Elle ne concerne, heureusement, cela a été dit, que 20 % de l'ensemble des conjoints survivants. En effet, dans la plupart des cas, le couple a déjà organisé la succession pour que le conjoint survivant ne se retrouve pas dans une situation matérielle difficile à la suite du décès de son époux.
Le droit du conjoint survivant vise justement à prolonger les devoirs entre époux au-delà du décès.
Tout d'abord, s'agissant des droits du conjoint survivant, il est proposé que ce dernier soit placé plus favorablement dans l'ordre de la succession et qu'il arrive désormais au même niveau que les descendants et les parents du défunt.
Ce principe, fondé sur une logique plus affective, me paraît aller dans le bon sens en privilégiant les sentiments des personnes, et non plus seulement les liens du sang. Il s'agira de veiller malgré tout à ce que les grands-parents du défunt ne soient pas les « parents pauvres » de cette réforme. Je suis un papy ! (Sourires.)
Les situations divergent selon que le conjoint prédécédé laisse ou non des enfants.
En l'absence d'enfants, il paraît totalement naturel que le conjoint hérite au moins de la moitié des biens de son époux en pleine propriété, d'autant que, aujourd'hui, le patrimoine conjugal relève davantage de biens progressivement acquis par les époux que de biens hérités.
En présence de descendants, la pleine propriété, comme dans le cas précédent, est-elle suffisante ?
Sur le sujet, le groupe de travail dirigé par Mme Théry se prononçait en faveur de l'usufruit sur la totalité de la succession. C'est aussi la position défendue par le professeur Catala, auditionné à plusieurs reprises par la commission des lois, lorsqu'il déclare : « l'usufruit possède une forte portée symbolique, car il exprime la continuité du couple, incarné désormais par le survivant. Inversement, le quart en propriété n'a pas la portée symbolique, dont on le gratifie aujourd'hui, dans la mesure où il banalise le conjoint au rang des enfants, brouillant ainsi l'image de l'arbre familial, comme les sociologues l'ont relevé. »
Le recensement des actes de donation laisse d'ailleurs apparaître une préférence massive pour l'usufruit.
En définitive, la proposition de la commission des lois du Sénat présentée par M. le rapporteur me paraît être la solution la meilleure, la solution de la sagesse : en plus du quart de la succession en pleine propriété, elle garantit au conjoint survivant l'usufruit sur la part des biens existants revenant aux enfants communs.
J'en viens au droit, dont pourrait bénéficier l'époux survivant, de loger pendant un an gratuitement au domicile qu'il habitait avec son conjoint avant que celui-ci décède. Cette mesure est la meilleure illustration de l'attention que le législateur entend porter au conjoint survivant. La période très douloureuse du veuvage nécessite que l'époux survivant trouve des conditions favorables autour de lui. Je me réjouis que Mme Hervé, présidente de la FAVEC, ait été entendue sur cette possibilité offerte au veuf ou à la veuve.
S'agissant maintenant de l'égalité successorale entre enfants légitimes et enfants adultérins, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, oui la France, notre pays, à supprimer la distinction entre enfants légitimes et enfants adultérins. C'est le célèbre arrêt Mazurek.
Sans vouloir remettre en cause cette décision, laissez-moi, monsieur le président, madame le garde des sceaux, chers collègues, vous faire part de mon inquiétude : cette proposition de loi, d'un côté, souhaite consolider l'institution du mariage et, de l'autre, accorde des droits considérablement accrus aux enfants adultérins. Mme Dekeuwer-Défossez ainsi que le professeur Catala soulignaient l'un et l'autre un étonnant paradoxe, curieux hommage rendu au conjoint survivant : si la proposition socialiste demeure en l'état, il y aura non plus un partage équitable entre le conjoint survivant et l'enfant adultérin, mais une étonnante répartition, qui attribuerait le quart de la succession au conjoint, tandis que l'enfant adultérin, s'il est le seul enfant, en obtiendrait les trois quarts !
De même, dans la proposition qui nous est soumise, seule la succession des enfants communs aux deux époux sera frappée d'usufruit, tandis que l'enfant adultérin pourra disposer de son bien sans que le conjoint survivant puisse exercer sur cette succession son droit d'user !
Ces considérations laissent songeur. L'arrêt Mazurek ne doit pas devenir l'effet Mazarine, et le statut de l'enfant adultérin, autrefois peu enviable, ne doit pas devenir, tout à coup, une situation garantissant des droits exorbitants ! Un équilibre doit à tout prix être maintenu.
Au terme de ces quelques remarques, je me réjouis que la commission des lois propose une réforme plus générale des successions. En effet, ce qui mériterait d'être revu, c'est l'ensemble du dispositif datant de 1804 - oui, 1804 ! - et pas seulement la succession du conjoint survivant. Mais j'attends du présent texte qu'il soit un détonateur.
Je remercie M. le président, Mme le garde des sceaux, le rapporteur M. Nicolas About, ainsi que l'ensemble des membres de la commission des lois. En accord avec la majeure partie des modifications proposées par la commission, je voterai le texte qu'elle aura amendé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. J'interviendrai brièvement, car beaucoup a été dit, et j'avais répondu par avance à certaines observations.
Il faut rappeler que la loi doit répondre à la situation la plus générale et la plus courante, la liberté testamentaire permettant de régler les situations les plus particulières. Ces situations très particulières sont diverses. Elles peuvent même se présenter comme exemples ou contre-exemples. Ainsi donc, il semble que la législation doive fixer un cadre général, ce qu'a fait le texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Le reproche adressé à ce texte est de bafouer les droits des frères et soeurs et ceux des grands-parents.
Je rappelle, d'abord, que le conjoint prédécédé aura pu user de sa liberté testamentaire au profit de ses autres proches, voire de tiers.
Je rappelle, ensuite, que le texte de l'Assemblée nationale prévoit, au profit des grands-parents, une créance alimentaire lorsqu'ils sont dans le besoin.
Je rappelle, enfin, que la famille d'aujourd'hui est sociologiquement de plus en plus nucléaire. Cette évolution n'est pas un déclin, c'est une réalité. L'Assemblée nationale en a tenu compte.
N'oublions pas que mettre le conjoint survivant en concurrence de droits successoraux avec des frères et soeurs du prédécédé, c'est aussi le mettre en concurrence de droits avec les neveux, petits-neveux et arrière-petits-neveux. Pourquoi tous ceux-ci hériteraient-ils de biens acquis pendant le mariage ? C'est le fruit du labeur d'une vie, ce qui est le cas maintenant en général des successions ab intestat. De plus en plus souvent, les biens communs ont été construits en commun, et ce serait considéré comme une injustice.
M. Nicolas About, rapporteur. Il peut aussi y avoir des biens propres !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, en fait, vous voulez répondre à la question de la transmission en lignée d'un bien de famille. Je pense que, lorsqu'il y a des biens propres à transmettre en ligne, des dispositions testamentaires peuvent être prises pour faire jouer cette solidarité avec les frères et soeurs que vous avez évoquée.
Le droit d'usage et d'habitation reconnu au conjoint survivant est l'expression, je crois, de l'équilibre trouvé par le texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Il consacre l'affection de l'un des conjoints, des conjoints entre eux, la volonté présumée du conjoint prédécédé de voir l'autre rester dans le logement du couple, le souhait du conjoint survivant de rester dans ce cadre naturel étant largement exprimé. C'est d'ailleurs le fait générateur de beaucoup de prises de position de parlementaires, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
Il trouve sa limite dans la liberté pour le conjoint prédécédé d'exprimer une volonté différente. Pour autant, la protection des droits du conjoint survivant justifie d'écarter la proposition, que vous semblez faire, de permettre au conjoint prédécédé de désigner un autre immeuble comme celui dans lequel s'exerce ce droit. Ainsi que je vous l'ai dit, cette protection justifie aussi que l'expression de la volonté du conjoint soit soumise à des formes particulières, à savoir la rédaction d'un acte notarié.
Je ne reviendrai pas sur les désavantages de l'usufruit, car je me suis déjà expliquée sur ce point.
J'ajouterai qu'il me paraîtrait critiquable de distinguer les droits du conjoint selon qu'il se trouve en présence d'enfants communs ou d'enfants dont il n'est pas le parent. Bien sûr, je comprends la difficulté, mais je pense que nous devons en rester à la proposition inititale.
J'en viens à l'étendue de la présente proposition de loi. Vous avez raison de dire que l'on aurait dû, depuis longtemps, reprendre les textes qui concernent l'ensemble des droits de succession et les libéralités, mais il sera difficile de le faire au détour de ce texte. Ce qui m'inquiéterait, c'est que, en voulant répondre à un souhait justifié, d'ailleurs largement par les explications qui ont été apportées ce matin, on voie ce texte s'enliser et ne pas aboutir, et que pour vouloir aller jusqu'au bout des choses on n'aille pas au moins a minima . J'espère que l'on ira a minima . J'assume le fait que l'on aurait effectivement dû, depuis longtemps déjà, penser à un texte général.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en cet instant, je n'interviendrai pas sur le fond, étant en parfait accord avec les propositions de notre rapporteur.
Je voudrais tout de même appeler votre attention sur la procédure selon laquelle ce texte a été élaboré et est examiné.
Il s'agit d'une proposition de loi. Nous savons tout l'intérêt d'un tel texte. Nous connaissons aussi le défaut technique qui accompagne une proposition de loi par rapport à un projet de loi : des avis importants, nécessaires, n'ont pas été donnés. Je songe en particulier à l'avis du Conseil d'Etat, qui eût été très utile en la matière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement n'est pas obligé de suivre l'avis du Conseil !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Certes, et je ne critique pas le principe de la proposition de loi, mon cher collègue !
J'ai quelque faiblesse pour le Conseil d'Etat : il lui arrive - parfois ! - de donner des avis utiles. Il m'est arrivé de le critiquer, même si son vice-président n'en était pas content. Mais c'est une autre chose !
La suite de la navette telle qu'elle découle des intentions du Gouvernement n'est pas satisfaisante. En effet, d'après ce que l'on m'a dit, vous allez, madame le garde des sceaux, faire examiner ce texte dès le 28 juin à l'Assemblée nationale. C'est une procédure d'urgence camouflée. Nous sommes habitués à un peu plus d'ouverture d'esprit de votre part.
Compte tenu des positions que vous prenez en cet instant et qui sont relativement rigides, il est clair que l'Assemblée nationale va purement et simplement, au cours de cette pseudo-seconde lecture, ne pas tenir compte du travail qui a été fait. Nous connaissons ces pratiques : tel sera certainement le résultat auquel nous aboutirons. Nous devrons donc reprendre nos propositions.
J'en viens aux adjonctions que nous proposons. Elles ont tout de même quelque mérite. Jamais ces propositions ne sont venues en discussion publique. Notre rapporteur a excellemment souligné le fait que c'était à partir d'études techniques, qui sont indispensables en la matière, que des gouvernements aussi divers que celui de Mme Cresson, celui de M. Rocard ou celui de M. Balladur avaient abouti à des positions identiques. Le texte est prêt ; les dispositions sont bienvenues.
Nous n'avons pas la vanité de penser que, sur des sujets aussi techniques, nous pouvons apporter des modifications fondamentales. En fin de compte, la commission des lois, sur l'initiative de son rapporteur, s'est efforcée de corriger les défauts de procédure qui résultent de ce que je viens de décrire.
Sur la présente proposition de loi, nous avons procédé à des auditions publiques, ce que l'Assemblée nationale n'a pas fait. Nous avons entendu des avis extrêmement divergents et particulièrement charpentés. Enfin, nous connaissons tous le travail extrêmement sérieux accompli tant par M. le doyen Carbonnier que par M. Catala. M. Carbonnier n'a pas pu se rendre devant notre commission pour des raisons de santé. Il voulait venir, il nous l'a écrit. J'ai regretté qu'il ne le puisse pas. Mais M. Catala, qui est en quelque sorte son fils spirituel en la matière, a été entendu par la commission.
Par conséquent, saisissons l'occasion qui nous est donnée, et ne la rejetons pas purement et simplement ; sinon, le problème restera en suspens, et nous devrons encore attendre. En outre, comme vous le savez très bien, l'année prochaine sera très largement consacrée à d'autres préoccupations, et il n'y aura donc aucune chance de voir adopté ce texte indispensable qui corrige des anachronismes, telle la théorie des co-mourants.
Tout cela devient ridicule. Il faut essayer de régler ces problèmes. Nous vous en donnons l'occasion. Vous ne la saisissez pas, et je le regrette, car nous pourrions aboutir à un résultat tout à fait positif.
Les quatorze articles de la proposition de loi peuvent faire l'objet d'appréciations divergentes. Nous avons fait des choix que nous croyons justifiés, mais il est possible d'en discuter. Sur le reste, les dispositions retenues sont d'une telle technicité que, honnêtement, je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de différent.
La commission des lois considère qu'il est nécessaire de profiter de l'occasion qui nous est donnée.
Encore une fois, je regrette que l'Assemblée nationale se saisisse dans les tout prochains jours de ce texte sans avoir eu le temps d'examiner véritablement nos propositions. Les députés vont-ils procéder à des auditions ? Je n'en sais rien. En tout cas, ils ne l'ont pas fait jusqu'à présent.
Madame le garde des sceaux, vous avez parlé d'« unanimité ». Mais vous savez ce que valent les unanimités !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Division additionnelle avant l'article 1er