SEANCE DU 9 OCTOBRE 2001


M. le président. « Art. 34 bis F. - I. - Lorsqu'une entreprise occupant entre cinquante et mille salariés procède à des licenciements économiques susceptibles par leur ampleur d'affecter l'équilibre économique du bassin d'emploi considéré, le représentant de l'Etat dans le département peut réunir l'employeur, les représentants des organisations syndicales de l'entreprise concernée, les représentants des organismes consulaires ainsi que les élus intéressés. La réunion porte sur les moyens que l'entreprise peut mobiliser pour contribuer à la création d'activités, aux actions de formation professionnelle et au développement des emplois dans le bassin d'emploi. Cette contribution est proportionnée au volume d'emplois supprimés par l'entreprise et tient compte des capacités de cette dernière.
« II. - Les entreprises occupant au moins mille salariés, ainsi que les entreprises visées à l'article L. 439-6 du code du travail et celles visées à l'article L. 439-1 du même code, dès lors qu'elles occupent ensemble au moins mille salariés, sont tenues d'apporter une contribution à la création d'activités et au développement des emplois dans le bassin affecté par la fermeture partielle ou totale de sites. Cette contribution s'apprécie au regard du volume d'emplois supprimés par l'entreprise et de la situation économique du bassin et tient compte des moyens de l'entreprise. Elle prend la forme d'actions propres de l'entreprise ou d'une participation financière auprès d'organismes, d'établissements ou de sociétés s'engageant à respecter un cahier des charges défini par arrêté. Les conditions de mise en oeuvre du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 201, présenté par M. Gournac, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 221, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le II de cet article :
« II. - Les entreprises occupant plus de mille salariés, ainsi que les entreprises visées à l'article L. 439-6 du code du travail, et celles visées à l'article L. 439-1 dès lors qu'elles occupent ensemble plus de mille salariés, sont tenues de prendre des mesures permettant la création d'activités et le développement des emplois dans le bassin affecté par la fermeture partielle ou totale du site, à hauteur d'un montant maximum correspondant à quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum de croissance visé à l'article L. 141-2 du code du travail, par emploi supprimé. Ce montant ne peut être inférieur à une fois la valeur mensuelle de ce salaire minimum de croissance. Il est fixé par le représentant de l'Etat en fonction des capacités financières de l'entreprise, du nombre d'emplois supprimés et de la situation du bassin d'emplois, appréciée au regard de l'activité économique et du chômage.
« Les mesures mises en oeuvre prennent la forme d'actions propres de l'entreprise ou d'actions réalisées pour le compte de l'entreprise par des organismes, établissements ou sociétés s'engageant à respecter un cahier des charges défini par arrêté.
« Une convention signée par l'entreprise et le représentant de l'Etat dans le département précise le contenu des actions de réactivation du bassin d'emploi prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et leur condition de mise en oeuvre. En l'absence de convention signée par l'entreprise et le représentant de l'Etat dans un délai de six mois courant à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise prévue en application des articles L. 321-2 et L. 321-3 du code du travail, l'entreprise est tenue d'effectuer au Trésor public un versement égal au montant maximal prévu par le décret précité.
« En cas d'inexécution totale ou partielle de la convention, l'employeur est tenu d'effectuer au Trésor public un versement égal à la différence constatée entre le montant des actions prévues par la convention et les dépenses effectivement réalisées.
« Ces versements sont recouvrés selon les modalités ainsi que les sûretés et garanties applicables aux taxes sur le chiffre d'affaires.
« Le représentant de l'Etat dans le département réunit l'employeur, les organisations syndicales et professionnelles, les représentants des organisations consulaires ainsi que les élus intéressés avant la signature de la convention visée ci-dessus et les associe au suivi de la mise en oeuvre des mesures.
« Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions de mise en oeuvre du présent article. »
La parole est à M. Gournac, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 201.
M. Alain Gournac. Lors de la première lecture, le Sénat avait exprimé son soutien à l'idée de renforcer l'obligation de réindustrialisation du bassin d'emploi pour les entreprises qui licencient. Il s'était cependant interrogé sur la nature de la contribution créée : s'agit-il d'un impôt ? D'une taxe ? D'autre chose ?
Or les débats à l'Assemblée nationale n'ont pas permis de clarifier les interrogations soulevées lors de la discussion au Sénat, malgré ce qui avait été promis. Dans ces conditions, cet amendement tend à la suppression de l'article 34 bis F.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l'amendement n° 221 et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 201.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je suis très défavorable à l'amendement n° 201 parce que nous voulons précisément responsabiliser les entreprises au regard des conséquences, notamment sur les bassins d'emplois des licenciements qu'elles sont amenées à décider. C'est en effet cet article qui prévoit des obligations pour les entreprises en matière de réactivation des bassins d'emploi.
L'article 34 bis F impulse des démarches de concertation entre l'ensemble des acteurs locaux à l'occasion des restructurations mises en oeuvre par des entreprises de taille moyenne. Il crée une contribution obligatoire des grandes entreprises à la réactivation des bassins d'emploi, au-delà des exigences actuelles en matière de contenu du plan social.
A côté des autres dispositions du projet de loi qui visent à rendre effectif le droit à reclassement des salariés licenciés, à améliorer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, par exemple en mettant à la charge des grandes entreprises le financement des congés de reclassement au bénéfice des salariés, cet article est évidemment essentiel à nos yeux en ce qu'il contribue au renforcement de la responsabilité sociale des entreprises. C'est pourquoi je souhaite qu'il soit maintenu.
Quant à l'amendement n° 221, il vise à préciser les conditions de mise en oeuvre de l'article 34 bis F.
Les mesures de réactivation du bassin d'emploi concerné pourront être mises en oeuvre soit par l'entreprise elle-même soit par des sociétés de reconversion agissant pour son compte et financées par elle.
Ces mesures seront arrêtées dans le plan de sauvegarde de l'emploi et devront être précisément définies et détaillées dans une convention signée avec le représentant de l'Etat, et à l'élaboration de laquelle seront associés l'ensemble des acteurs intéressés par le développement économique du bassin d'emploi : l'employeur mais aussi les organisations professionnelles et consulaires, et les élus locaux.
Cette démarche vise à créer une dynamique partenariale de concertation permettant de faire émerger les différentes options possibles en matière de réactivation du bassin. La convention précisera le contenu des mesures de réactivation du bassin d'emploi, leur condition de réalisation, leur coût financier ainsi que, éventuellement, les prestataires chargés de sa mise en oeuvre.
La participation financière de l'entreprise ne pourra pas dépasser un montant maximum fixé par décret en Conseil d'Etat dans la limite du montant fixé par la loi.
Le Gouvernement souhaite que les entreprises s'impliquent dans la mise en oeuvre de ces mesures, ce qui explique que, dans l'hypothèse où elles ne signeraient pas de convention avec le représentant de l'Etat, elles devront s'acquitter auprès du Trésor public du montant maximum par emploi supprimé.
Ces précisions très importantes visent à faire en sorte que nous puissions davantage mettre en oeuvre ces partenariats locaux dont nous avons tant besoin.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 221 ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Le rapporteur à la tête dure : s'agit-il d'un impôt, d'une taxe ou d'autre chose ? Sur quelle ligne comptable allons-nous trouver cela ? Il faudra bien l'inscrire quelque part dans les livres de l'entreprise ! N'ayant toujours pas de réponse sur ce point, je suis évidemment défavorable à l'amendement n° 221 et persiste à demander la suppression de l'article 34 bis F.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 201.
M. Gilbert Chabroux. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Nous ne pouvons pas laisser sans réponse les propos de M. Gournac présentant l'amendement n° 201.
L'article 34 bis F mérite certainement un autre sort que celui qui lui est réservé un peu hâtivement et brutalement par la majorité sénatoriale, en tout cas par M. Gournac. Il s'agit en effet d'un texte qui intéresse particulièrement les élus locaux dont la région est touchée par des restructurations et des licenciements, et nous sommes tous dans ce cas.
La possibilité de réunir tous les partenaires concernés - représentant de l'Etat, élus, chefs d'entreprise et représentants des salariés - permet de rassembler les compétences et les efforts pour envisager des solutions au problème posé à toute la collectivité.
Il n'est pas anormal, il est même juste qu'une entreprise, surtout de quelque importance, qui décide, par exemple, de fermer une unité de production, notamment dans une région rurale, ne puisse se désintéresser des conséquences de cette décision. C'est l'un des aspects qui différencient notre type de civilisation d'une société purement marchande et libérale.
Nous ne pouvons accepter qu'une entreprise, abandonnant des centaines de chômeurs et laissant des friches industrielles derrière elle, se comporte ainsi en prédateur. Au demeurant, les entreprises les plus importantes se préoccupent déjà de la réindustrialisation des zones touchées, par essaimage, partenariats, ou par d'autres formules. Cet article contient donc non pas des innovations révolutionnaires mais plutôt ce que j'appellerai une amélioration et une extension de l'existant.
Les inquiétudes de M. le rapporteur quant à la nature juridique de la contribution éventuelle de l'entreprise me paraissent très exagérées. S'agissant notamment des entreprises moyennes, il est clair, à travers l'emploi du verbe « pouvoir », que la contribution en cause est non pas une taxe ou un impôt mais bien une contribution strictement volontaire et proportionnée aux possibilités de l'entreprise. Je ne crois pas que les entreprises doivent s'inquiéter, mais il est vrai qu'il s'agit pour elles d'une responsabilisation désormais inscrite dans la loi.
Pour ce qui est des grandes entreprises - et je précise ici par avance que nous approuvons l'amendement n° 224 du Gouvernement - il est clair qu'elles ne sauraient se dérober à leur responsabilité et à leur devoir. Elles auront la facilité de le faire directement ou par l'intermédiaire d'organismes spécialisés, et c'est sans doute cette dernière option que retiendront la plupart d'entre elles.
Le choix du conventionnement nous paraît très pertinent puisqu'il permet de « lister » avec précision les actions de réactivation qui seront exécutées par l'entreprise et d'en débattre avec les partenaires économiques et sociaux. Dans ce cas, il est tout aussi clair que, si l'entreprise ne remplit pas les engagements qu'elle aura elle-même pris, il lui faudra verser au Trésor ce que je me permettrai d'appeler une « pénalité ».
Il n'y a rien, là non plus, de révolutionnaire : la nouveauté consiste simplement à inscrire dans la loi un conventionnement qui fera aller une aide des entreprises vers les collectivités et les bassins d'emploi, non l'inverse. Ce me semble justice en ce cas.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Nous considérons que l'objectif visé par le Gouvernement avec l'amendement n° 221 est intéressant. Aujourd'hui, la question de savoir si la contribution financière prévue est un impôt ou autre chose n'est pas vraiment la plus urgente. (M. Gournac, rapporteur, proteste.) Cela étant, il faut se rendre à l'évidence : un montant maximum de 25 000 francs n'est pas de nature à recréer des emplois en nombre suffisant.
D'après des informations qui filtrent en provenance de deux grandes organisations syndicales, il paraît probable que les organismes de réinsertion trouveront matière à travailler avec ces fonds, mais la création d'activités n'est pas la justification de cet amendement.
Par conséquent, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
M. Alain Gournac, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Je souhaite seulement indiquer à M. Chabroux que l'amendement n° 201 n'est pas « l'amendement de M. Gournac » : il a été débattu devant la commission des affaires sociales et adopté par elle. Il s'agit donc bien d'un amendement de la commission des affaires sociales.
Je lui fais, en outre, observer que les entreprises « sont tenues » de contribuer pour un certain montant. Il ne s'agit donc nullement d'une simple possibilité.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 201, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 34 bis F est supprimé et l'amendement n° 221 n'a plus d'objet.

Article 34 bis
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