SEANCE DU 13 NOVEMBRE 2001


FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 2002

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, adopté par l'Assemblée nationale (n° 53, 2001-2002). [Rapport n° 60 (2001-2002) et avis n° 61 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité sociale, on le sait, est au coeur de la vie quotidienne de nos concitoyens parce qu'elle commande largement la confiance, la justice et la solidarité dans notre société. Elle est d'autant plus importante que nous sommes entrés depuis quelques mois dans une période où les incertitudes économiques sont plus fortes, et elles ont été encore accentuées par les tensions internationales nées des terribles attentats du 11 septembre.
Dans un tel contexte, plus que jamais, les Français doivent pouvoir compter sur la sécurité sociale pour garder confiance en l'avenir. Les mesures contenues dans le présent projet de loi à l'issue de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, conjuguées aux dispositions en discussion dans le cadre du projet de loi de finances, visent précisément à maintenir la confiance de nos concitoyens.
Je commencerai par les comptes de la sécurité sociale puisque, après tout, le projet de loi de finances est d'abord destiné à voir où ces comptes en sont et ce que nous faisons des ressources de la sécurité sociale.
Une fois n'est pas coutume, permettez-moi de commenter les comptes tels qu'ils ont été présentés par M. Vasselle à la page 64 de son rapport.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quel honneur !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je formulerai quatre observations.
Je soulignerai, premièrement, qu'il manque quelque chose dans ce rapport puisque les déficits du passé, qui ont atteint plus de 200 milliards de francs entre 1994 et 1997, n'y figurent pas. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. C'est dépassé, ce sont des arguments misérables !
M. Alain Gournac. C'est usé !

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Deuxièmement, ce rapport confirme le retour à l'excédent des comptes de la sécurité sociale à partir de 1999 et le maintien, en 2001 et en 2002, d'un excédent supérieur à cinq milliards de francs. C'est écrit en toutes lettres dans le rapport de M. Vasselle.
M. André Vantomme. Très bien !
M. Claude Estier. Cela les laisse cois !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Troisièmement, apparaît au titre de l'année 2002 l'annulation de la créance du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, comme je l'avais annoncé lors de la commission des comptes du 7 juin 2001, par souci de vérité à l'égard du Parlement et de l'opinion.
Quatrièmement, enfin, il y a dans ce rapport ce qui ne devrait pas y être,...
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ah !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... à savoir les prélèvements sur les excédents passés, lesquels n'affectent évidemment en rien les résultats des exercices concernés. En effet, ces excédents ont été mobilisés pour améliorer nos politiques sociales, d'une part, par un investissement en faveur de la garde des jeunes enfants de deux fois 1,5 milliard de francs versé au fonds d'investissement pour la petite enfance, le FIPE, et, d'autre part, pour constituer une épargne collective afin de garantir l'avenir de nos retraites.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a plus de réserves !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si nous avons pu mobiliser ces fonds, c'est à l'évidence parce qu'il y avait des excédents...
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il y avait aussi des déficits : l'assurance maladie est en déficit !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est le raisonnement de la commode : on tire un tiroir après l'autre !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... ce qui n'était pas le cas, bien entendu, dans la période précédente. (Applaudissements sur les travées des socialistes.)
A la vérité, ces transferts au FIPE et au fonds de réserve des retraites que M. Vasselle voudrait comptabiliser dans le prétendu déficit de la sécurité sociale devraient être ajoutés aux excédents constatés...
M. Didier Boulaud. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... puisque, précisément, les fonds existaient et que nous avons pu les utiliser pour financer des politiques qui vont dans le sens du bien-être collectif.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non ! Pour creuser le déficit !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. On pourrait donc parfaitement retourner l'argument, mais je ne le ferai pas, et dire au contraire que, par rapport aux excédents constatés par M. Vasselle à partir de 1999, il faudrait encore ajouter les sommes que nous avons consacrées à la petite enfance et aux retraites.
M. Didier Boulaud. C'est limpide !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous omettez de parler des déficits !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Parallèlement à ce redressement financier, le Gouvernement a procédé à une importante modernisation de la comptabilité des organismes sociaux. Les agrégats qui vous sont présentés pour 2002 sont évalués, pour la première fois, en comptabilité de droit constaté, mode de présentation des comptes plus conforme à la réalité économique des résultats de chaque exercice.
A cet égard, le Haut Conseil de la comptabilité des organismes de sécurité sociale permettra, par ses recommandations, d'améliorer encore la présentation des comptes des organismes de sécurité sociale afin de faciliter le contrôle du Parlement.
Le redressement financier a été obtenu par une politique efficace et continue en faveur de l'emploi. En effet, depuis près de cinq ans, nous avons développé la croissance et l'emploi...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En creusant les déficits !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... grâce à la réduction du temps de travail,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Les 35 heures ne sont pas financées !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... aux emplois-jeunes et aux dispositifs spécifiques d'insertion. Nous avons créé une dynamique de progrès social avec un objectif prioritaire : la lutte contre le chômage.
Nous avons démontré qu'il était possible de mettre en oeuvre une politique conciliant croissance, compétitivité, emploi, solidarité et qualité de vie.
M. Alain Vasselle, rapporteur. En accroissant les déficits !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les résultats que nous avons obtenus sont sans précédent...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai, ils sont sans précédent !
M. Jean Chérioux. Effet d'annonce !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et nous pouvons en être fiers, même s'il reste beaucoup à faire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai aussi !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Depuis 1997, 1,5 million d'emplois ont été créés et le nombre de demandeurs d'emploi a diminué de plus d'un million.
M. Henri de Raincourt. Combien ont été radiés ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous avons également amélioré en termes de croissance et d'emploi notre situation par rapport à nos voisins européens.
M. Didier Boulaud. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur. On en reparlera !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les résultats obtenus en matière de lutte contre le chômage, qui, bien entendu, bénéficient à la sécurité sociale au travers d'une augmentation des cotisations, doivent aussi beaucoup à des choix de financement de cette dernière plus favorables à l'emploi.
C'est ainsi que nous avons procédé, en 1998, à une réforme très importante des prélèvements sociaux supportés par les assurés au titre de la branche maladie. Nous avons fait bénéficier les personnes actives d'un gain de pouvoir d'achat et, surtout, nous avons rééquilibré le financement de l'assurance maladie, afin qu'il pèse moins fortement sur les revenus du travail.
Nous avons aussi porté à 1,8 fois le SMIC le seuil retenu pour l'octroi des allégements de charges concernant les bas salaires et nous avons modulé ces allégements en fonction de la durée du travail, afin de favoriser l'embauche de travailleurs peu qualifiés sans inciter à la création d'emplois précaires.
Dans le même esprit, nous avons progressivement supprimé les allégements de charges sociales consentis aux entreprises qui embauchent des salariés à temps partiel, afin de limiter le nombre des emplois à temps partiel subi.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cela nous éloigne de la sécurité sociale !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non : c'est vous qui avez cité les 35 heures, monsieur le rapporteur, et j'y viens, car je ne veux rien éluder.
En effet, nous avons prévu un financement des allégements de charges consentis en faveur des entreprises qui embauchent des salariés faiblement qualifiés ou qui mettent en place les 35 heures.
A ce propos, je veux souligner de nouveau que les allégements de charges restent minoritaires dans l'ensemble des allégements...
M. Alain Vasselle, rapporteur. On en reparlera !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et qu'ils ont un effet bénéfique sur l'emploi, à la différence de ceux qui avaient été décidés par le précédent gouvernement et qui avaient été accordés sans aucune contrepartie pour l'emploi.
Les allégements liés aux 35 heures sont financés par des ressources de nature fiscale dans le cadre du FOREC, ce qui préserve les ressources de la sécurité sociale. Le décret installant l'établissement public est paru au Journal officiel le 26 octobre 2001 : le FOREC pourra ainsi assurer en toute transparence le financement des allégements de charges dès l'exercice 2001.
Nos résultats en matière d'emploi ont permis à la sécurité sociale de bénéficier d'un financement stable et durable. Le dynamisme des recettes de la sécurité sociale au cours de la présente législature a permis de financer les avancées essentielles obtenues pour la protection sociale des Français et de dégager, au fil des dernières années, des excédents significatifs.
Le rétablissement des comptes est donc assuré. Il permet de poursuivre la construction de nouveaux droits et d'ouvrir l'avenir. La discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale est l'occasion de présenter les nouveaux progrès qui contribuent encore à l'amélioration de la protection sociale de nos concitoyens.
Qu'avons-nous fait des excédents dégagés depuis quatre ans ?
En matière de politique familiale, notre projet comporte des avancées significatives issues de la conférence de la famille du 11 juin 2001.
Ainsi, nous créons un congé paternel de deux semaines, que l'Assemblée nationale améliore encore pour tenir compte des naissances multiples et en élargir l'accès aux cas de naissance de prématurés, et nous dotons de 229 millions d'euros supplémentaires, soit 1,5 milliard de francs, le fonds d'investissement de la petite enfance, créé l'année dernière, pour permettre la création en 2002 de 20 000 nouvelles places en crèche, s'ajoutant aux 20 000 places déjà créées en 2001.
En outre, les moyens du Fonds national d'action sociale de la CNAF, la Caisse nationale d'allocations familiales, connaissent une croissance sans précédent de 6 milliards de francs sur quatre ans, dont 1,6 milliard de francs pour 2002, ce qui permettra de développer les autres modes d'accueil du petit enfant et les loisirs des jeunes.
Le débat à l'Assemblée nationale a permis enfin de majorer de façon significative le montant de l'allocation de présence parentale en le portant au niveau du SMIC et de réformer l'allocation de rentrée scolaire pour en faire bénéficier les familles dont le revenu se situe juste au-dessus du seuil de ressources.
Telles sont les mesures supplémentaires que, après celles, nombreuses, que nous avons déjà prises depuis quatre ans, nous proposons pour les familles en 2002.
Par ailleurs, nous faisons progresser la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce sujet a toujours été très important, mais il prend un relief particulier dans le contexte actuel, alors que s'est produit à Toulouse l'accident du travail le plus meurtrier depuis une quinzaine d'années.
Nous avons mis en place le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, que nous dotons pour 2001 de 2,875 milliards de francs et, à titre provisionnel, de 76 millions d'euros pour 2002, soit un total de 3,3 milliards de francs.
Les débats à l'Assemblée nationale ont permis en outre d'améliorer le régime de retraite anticipée pour les personnes exposées à l'amiante.
En ce qui concerne la prise en charge des accidents du travail, le projet de loi comporte une disposition de revalorisation des indemnités versées en capital ; il a été complété par l'Assemblée nationale de plusieurs mesures qui renforcent les droits des victimes, notamment ceux des ayants droit. Je ne doute pas que nous reviendrons sur cet important sujet au cours du débat.
S'agissant des retraites, nous avions trouvé la branche vieillesse en déficit. Celle-ci renoue dorénavant avec les bénéfices et devrait afficher environ un milliard d'euros d'excédents en 2002. Ceux-ci permettent d'associer les retraités aux fruits de la croissance : pour 2002, le Gouvernement propose de revaloriser les pensions de 2,2 %, alors que l'inflation prévisionnelle est de 1,5 %.
M. Claude Domeizel. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce coup de pouce supplémentaire portera à 1,4 % le gain de pouvoir d'achat des retraités depuis 1997. Grâce à la suppression en 2001 de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, pour les retraités non imposables, la hausse de pouvoir d'achat s'élèvera pour ces derniers, sur la même période 1997-2002, à 1,9 %, alors que, sur la période 1993-1997, le pouvoir d'achat des retraités avait baissé de 2,3 %. (Marques d'approbation sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer. Eh oui, on s'en souvient !
M. Didier Boulaud. Période de funeste mémoire !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. En ce qui concerne l'avenir de nos régimes de retraite par répartition, le Gouvernement poursuivra dans les mois qui viennent le chantier « âge et travail », qui doit permettre d'accroître l'emploi et d'améliorer les conditions de celui-ci pour les salariés les plus âgés. Cela est nécessaire pour pouvoir viser le plein emploi.
Le Conseil d'orientation des retraites, dont la qualité des travaux est reconnue par tous, nous remettra son premier rapport en décembre. Il fera le point de la concertation sur le diagnostic financier et des conditions dans lesquelles il convient d'organiser la nécessaire réforme des régimes de retraite par répartition, qui, aux yeux du Gouvernement, doivent absolument être préservés. Après les élections législatives, nous aurons alors en main tous les éléments pour organiser des négociations tripartites et déboucher sur des propositions législatives.
Enfin, nous assurons la montée en charge du fonds de réserve pour les retraites. Ce fonds, dont nul ne remet plus en cause aujourd'hui le principe,...
M. Claude Domeizel. Si, ils le remettent en cause !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... disposera, en 2020, de plus de 1 000 milliards de francs.
M. Michel Teston. Ils veulent supprimer des recettes !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous contestez les propos de Mme le ministre ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il est possible, monsieur Vasselle, que, dans l'extrême bienveillance que j'ai à votre égard, quelque chose m'ait échappé ! (Sourires.)
M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous n'avons jamais fondamentalement mis en cause le fonds de réserve ! C'est son mode de financement qui pose problème !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Supposons que personne dans cette assemblée ne remette en cause le fonds de réserve des retraites.
M. Claude Domeizel. Supposons !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il est très insuffisant !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce fonds disposera de plus de 1 000 milliards de francs en 2020. Le projet de loi prévoit de porter la part du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine affectée au fonds de réserve pour les retraites de 50 % à 65 %. Nous avons pour objectif, grâce à cette hausse, de doter ce fonds de 85 milliards de francs en 2002.
De plus, afin de compenser la révision du tarif des licences UMTS,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... le projet de loi de finances rectificative pour 2001 affectera la totalité de ces recettes au fonds de réserve pour les retraites en 2001. Pour 2002, la perte de recettes sera intégralement compensée par des recettes issues des privatisations.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Lesquelles ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le fonds de réserve des retraites ne subira donc aucune perte de recettes et disposera donc bien, comme prévu, de 85 milliards de francs, soit quelque 13 milliards d'euros, à la fin de 2002.
J'en viens maintenant à la santé et aux soins de qualité que nous voulons assurer à tous les Français.
Bien entendu, notre objectif est encore et toujours d'améliorer la qualité des soins, tant dans les établissements publics et privés qu'en médecine de ville. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, des moyens importants ont été mobilisés depuis 1997. Le secteur de la santé connaissait alors une situation préoccupante, et nous avons réagi en relevant, année après année, le niveau des moyens accordés aux établissements hospitaliers du service public ou à but lucratif dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale.
A cet égard, je rappelle que, pour l'année 1997, le précédent gouvernement avait prévu un taux d'évolution des dépenses d'assurance maladie de 1,7 %. Depuis 1998, ce taux n'a cessé d'augmenter, et il atteindra 3,9 % en 2002. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Tout va bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cet effort a concerné l'ensemble des secteurs de l'offre de soins, en particulier l'hôpital. Nous avons en effet développé une politique hospitalière axée à la fois sur la qualité des soins et sur la réduction des inégalités.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On verra cela dans quelques années !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le service public hospitalier est le pivot de l'offre de soins à la disposition de la population. Il assure 70 % de l'activité hospitalière globale et plus de 80 % de l'activité de médecine, de psychiatrie ou de soins de suite, et prend par ailleurs en charge 91 % des urgences. L'hôpital public assume des missions propres liées à l'enseignement, à la recherche, à la prise en charge de l'urgence - c'est-à-dire l'accueil de tous, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an - et de l'ensemble des pathologies ; ce sont ces missions qui fondent la spécificité du secteur public.
Les Français sont très attachés, à juste titre, au rôle joué par l'hôpital public, mais ils sont aussi attachés à la mixité de notre système, qui comporte également une offre privée financée par l'assurance maladie. Ainsi, les cliniques privées prennent en charge 50 % de la chirurgie, et elles se sont spécialisées en certaines interventions. Elles assurent en outre 35 % de l'obstétrique.
Le Gouvernement a, dès 1997, pris la mesure des difficultés rencontrées par le secteur hospitalier. Il a aussitôt réagi en relevant, année après année, le niveau des moyens accordés aux établissements par le biais des lois de financement de la sécurité sociale.
Pour 2002, nous prévoyons tout d'abord, pour l'hôpital, dans le cadre du taux global d'évolution des dépenses, de porter l'objectif d'augmentation à 4,8 %, ce qui tient compte des effets de la réduction de la durée du travail : hors réduction de la durée du travail, l'augmentation prévue est de 3,6 %.
Nous avons donc connu, à compter de 1997, une croissance continue, régulière et accentuée depuis deux ans de l'enveloppe financière attribuée à l'hôpital.
Le Gouvernement a également augmenté l'enveloppe financière attribuée aux cliniques privées, qui ne devait progresser que de 1,3 % en 1997, soit beaucoup moins que l'augmentation prévue pour l'hôpital à l'époque. Sous notre impulsion, le taux a dépassé 2 % dès 1999, pour atteindre 3,3 % en 2001. Nous poursuivrons cet effort en 2002, avec un objectif en hausse de 3,5 %.
Le développement constant des progrès technologiques et la nécessité de doter les établissements d'outils performants ont été pris en compte dans cet effort budgétaire.
Ainsi, les dépenses liées à l'achat des nouvelles molécules permettant de lutter contre le cancer ou la polyarthrite rhumatoïde seront couvertes par l'octroi d'une subvention spécifique. Nous avons dégagé une enveloppe de 1,5 milliard de francs pour 2002 afin de financer l'innovation thérapeutique.
En outre, le programme hospitalier de recherche clinique a été mis en place depuis 1998 sur l'initiative de Bernard Kouchner.
Enfin, depuis 1997, nous avons multiplié par 2,7 le nombre d'appareils d'imagerie par résonance magnétique nucléaire. Pour 2002, nous avons décidé, avec Bernard Kouchner, d'amplifier cet effort et de rattraper le retard que nous avons encore sur les autres pays européens, en augmentant le parc d'appareils d'IRM de plus de 40 %. Nous mettrons en place de véritables schémas régionaux d'imagerie, en déléguant le régime d'autorisation auprès des agences régionales de l'hospitalisation.
Parallèlement à l'augmentation générale des moyens de fonctionnement, le Gouvernement a contribué à la réduction des inégalités dans l'accès aux soins.
Depuis 1997, le Gouvernement s'est résolument engagé dans une démarche de renforcement du potentiel hospitalier et d'amélioration de la qualité des soins sur l'ensemble du territoire.
Dès 1999, à travers les schémas régionaux d'organisation sanitaire réalisés après une large concertation avec les élus, les usagers et les professionnels, l'offre sanitaire a été réorientée vers la couverture des besoins des patients par une définition des grandes disciplines médicales à conforter et à organiser ainsi que par un renforcement d'un certain nombre de dispositifs, notamment les dispositifs d'urgence.
Nous avons également réduit les inégalités par la mise en oeuvre de grands programmes de santé en réduisant les écarts budgétaires entre les régions.
Enfin, la mise en place de la couverture maladie universelle a contribué à ce que l'hospitalisation redevienne accessible à tous.
Nous poursuivons les efforts de modernisation de l'hôpital public pour améliorer la qualité et la sécurité des soins ainsi que pour adapter l'offre de soins aux besoins de la population.
Pour accompagner la réalisation de ces priorités, nous avons décidé de mener une politique sociale sans précédent et sur plusieurs années.
Conformément aux attentes des Français, le Gouvernement a tenu, depuis quatre ans, à conforter la qualité de l'offre hospitalière de notre pays en lui donnant les moyens de sa modernisation, en améliorant les conditions de travail et en revalorisant la situation de ses agents. Nous avons décidé que l'extension du mouvement de réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière s'accompagnera d'une création d'emplois sans précédent et sans équivalent dans l'histoire des hôpitaux.
M. Alain Gournac. C'est pour cela que les agents défilaient ce matin !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les protocoles signés par Mme Martine Aubry les 13 et 14 mars 2000 ont amélioré les conditions de travail, rendu plus attractives les carrières des praticiens hospitaliers et relancé la promotion professionnelle et les formations professionnelles pour les personnels de la fonction publique hospitalière. Ils ont aussi réaffirmé la place du dialogue social dans les établissements.
Le protocole du 14 mars 2001 sur les filières professionnelles dans l'ensemble de la fonction publique hospitalière, que j'ai signé avec les représentants des agents hospitaliers, apporte une revalorisation des cursus professionnels et des rémunérations. Il ouvre les possibilités de promotion interne et apporte des solutions au blocage des carrières lié à la démographie.
Enfin, par le protocole du 27 septembre 2001, nous avons engagé la réduction du temps de travail pour répondre aux attentes des personnels en matière de conditions de vie au travail et de vie personnelle.
Le Gouvernement a décidé d'accompagner la réduction du temps de travail par la création de 45 000 emplois sur trois ans, entre 2002 et 2004.
L'ensemble de ces mesures représente, pour l'hôpital, un effort financier sur 2001 et 2002 de 11,7 milliards de francs supplémentaires, qui s'ajoutent aux efforts que nous avons faits les années précédentes.
Le débat à l'Assemblée nationale a permis de renforcer les moyens de fonctionnement et d'investissement de l'hôpital. D'abord, sera assuré un complément de crédits non reconductibles de 1 milliard de francs sur la dotation hospitalière 2001 pour réduire les tensions budgétaires de certains établissements. Ensuite, les actions du fonds de modernisation des établissements de santé, le FMES, seront renforcées dès 2001, pour aider au financement de promotions professionnelles et des projets sociaux, et par une dotation de 1 milliard de francs en 2002, pour le soutien à la politique sociale et à l'investissement. Au total, le FMES bénéficiera de 1,9 milliard de francs. Enfin, l'investissement sera soutenu par un abondement de 1 milliard de francs du fonds d'investissement et de modernisation de l'hôpital, assuré en 2002 par le budget de l'Etat. Sur un montant total de 11,7 milliards de francs pour l'hôpital, ces mesures nouvelles représentent 3,9 milliards de francs.
Le rôle essentiel que joue l'hôpital dans l'accès aux soins de tous et en permanence méritait que ces efforts soient accomplis.
Comme chaque année, par respect pour le Parlement et pour sa bonne information, j'ai remis au Sénat, ainsi qu'à l'Assemblée nationale, le projet de répartition par région de la dotation hospitalière qui n'est soumise que globalement à votre vote.
J'ai également choisi d'informer sans attendre les directeurs des agences régionales de l'hospitalisation afin que ces décisions, une fois qu'elles seront adoptées par le Parlement, puissent être mises en oeuvre rapidement et dans une large concertation. A ce sujet, j'ai donné des instructions précises aux agences régionales de l'hospitalisation.
En ce qui concerne les cliniques privées, l'accord tarifaire du 4 avril 2001 a marqué ma volonté de prendre pleinement en compte la situation sociale et économique des cliniques privées.
Dans le cadre de l'accord que nous avons conclu le 7 novembre dernier avec les représentants de l'hospitalisation privée, nous avons prévu l'affectation de 1,7 milliard de francs de crédits pour les mesures sociales et salariales en 2001 et en 2002. Cette somme est à comparer aux 3,9 milliards de francs de mesures nouvelles consentis pour l'hôpital.
Ce qui nous a guidés dans la négociation avec les représentants des cliniques, ce sont deux objectifs : d'abord, le ciblage de ces mesures supplémentaires sur les rémunérations des infirmières ; ensuite, la prise en compte des difficultés tarifaires de certaines cliniques et, bien entendu, la contrepartie en matière de transparence des comptes des cliniques.
Le premier objectif, c'est le suivi des rémunérations. Cet accord permet de répondre concrètement à l'attente des salariés de ce secteur. Il prévoit ainsi un engagement de la fédération de l'hospitalisation privée de parvenir rapidement à une nouvelle convention collective, qui permettra de revaloriser de façon significative les salaires des infirmières. L'amendement que nous allons déposer concernant le fonds de modernisation des cliniques privées consistera à ouvrir ce fonds au financement des actions des établissements en matières sociale et salariale. Nous avons également obtenu que, dans le cadre de l'accord qui s'appliquera début 2002, conformément à l'objectif proposé, une enveloppe de 500 millions de francs soit consacrée aux augmentations de salaires des personnels.
Ces points feront l'objet d'un suivi dans le cadre d'un observatoire tripartite, qui associera l'Etat, les employeurs et les organisations syndicales.
En contrepartie de ces aides ciblées sur les augmentations de salaires des personnels, notamment des infirmières, et sur les établissements qui ont des difficultés et qui participent à la complémentarité du service public hospitalier, il était important que nous puissions mettre en place - c'était le second objectif de cet accord - une aide différenciée et transparente.
Il fallait aider les cliniques car leurs ressources sont constituées à près de 90 % par les dotations de l'assurance maladie. Nous allons affecter ces ressources en prenant en compte les inégalités tarifaires, car il existe une grande variété de situations. L'utilisation du fonds de modernisation des cliniques privées permettra aux agences régionales de définir le niveau de l'aide en fonction des besoins et en particulier du niveau du tarif des cliniques et de leur place dans la réponse aux besoins de la population prévue par les schémas régionaux d'organisation sanitaire. Le fonds sera doté de 600 millions de francs en 2001 et 2002, soit un effort supplémentaire de 1,2 milliard de francs.
Nous allons également prévoir dans l'amendement que les cliniques devront mettre à la disposition des agences régionales de l'hospitalisation, les ARH, tous les éléments d'information nécessaires à sa demande. Ce point sera également introduit dans le contrat type qui est passé entre les ARH et les cliniques privées.
Vous le constatez, en contrepartie de l'effort supplémentaire, proportionné par rapport à l'hôpital, qu'il fallait faire pour les cliniques privées, nous introduisons des mécanismes de contrôle de l'utilisation de ces fonds ciblés sur les salaires et les rémunérations des personnels infirmiers et sur les établissements qui en ont vraiment besoin, en nous dotant des moyens de contrôle nécessaires.
Au total, sur 2001-2002, l'hôpital public aura bénéficié d'un effort financier de 11,7 milliards de francs, dont 3,9 milliards de francs de mesures nouvelles, et le secteur privé d'un ensemble de mesures de 3,1 milliards de francs, dont 1,7 milliard de francs de mesures nouvelles. Il faut comparer 11,7 milliards de francs pour l'hôpital avec 3,1 milliards de francs pour les cliniques privées, toutes mesures confondues, pour 2001 et 2002. Il faut comparer 3,9 milliards de francs de mesures nouvelles pour l'hôpital avec 1,7 milliard de francs de mesures nouvelles pour les cliniques privées.
C'est une politique sanitaire cohérente qui est menée, visant à mieux soigner les patients et à donner aux professionnels de chaque secteur concerné des perspectives d'évolution financière satisfaisantes. L'accès à des soins de qualité pour tous nos concitoyens est, en effet, une des priorités du Gouvernement. Cela suppose que l'hôpital public, les cliniques et la médecine de ville assurent une offre de soins appropriée et disposent d'un bon niveau de moyens pour répondre à la demande de la population.
En ce qui concerne notre politique du médicament, l'objectif est de permettre à nos concitoyens d'accéder à toutes les innovations. La progression des dépenses de médicament reste rapide : 7,7 % en 2001. Ce rythme s'est toutefois ralenti par rapport à l'année 2000, où il s'est établi à 11 %, grâce aux premiers effets des mesures annoncées en juin 2001 en termes de baisses de prix.
Le développement du générique doit être encouragé. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 prévoit la possibilité de prescrire en dénomination commune internationale, et non plus uniquement en nom de marque.
L'efficacité de la régulation des dépenses a été renforcée. L'objectif de 2,4 milliards de francs de baisses de prix concernant principalement les spécialités dont le service médical rendu a été jugé insuffisant et les médicaments déjà amortis dont le volume et la croissance sont élevés a été mis en oeuvre par la voie conventionnelle.
S'agissant de notre politique médico-sociale, nous poursuivons les plans pluriannuels en faveur des personnes handicapées avec un renforcement voté par l'Assemblée nationale pour améliorer la prise en charge de l'autisme.
De même, le plan de médicalisation des établissements pour personnes âgées est poursuivi selon le plan de marche annoncé et en totale articulation avec la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie dès le 1er janvier 2002.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le présent projet de loi présente un objectif national des dépenses d'assurance maladie pour 2002 de 112,77 milliards d'euros en droits constatés, en progression de 3,9 % par rapport aux dépenses de 2001. Cet objectif correspond aux priorités de santé publique et aux actions de modernisation du système de soins que je viens de rappeler. Il se compose de quatre éléments principaux.
D'abord, pour les hôpitaux, l'objectif est de 4,8 %.
Ensuite, les établissements médico-sociaux demeurent un secteur prioritaire avec une croissance de 5,1 %, compte tenu de l'amendement, adopté à l'Assemblée nationale, sur la prise en charge de l'autisme. L'année 2002 verra la pleine réalisation de la réforme de la tarification, en liaison avec la mise en oeuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie.
En outre, pour les cliniques privées, un objectif de 3,5 %, supérieur de 0,2 point à celui de 2001, a été retenu. Il est près de trois fois supérieur à ce qu'il était en 1997 où il s'établissait à 1,3 %.
Enfin, l'objectif des dépenses de soins de ville est fixé à 3,2 %, compte tenu de l'amendement, adopté par l'Assemblée nationale, sur la prévention bucco-dentaire pour les enfants de six ans et de douze ans. Je rappelle qu'il s'agit là de mesures extrêmement importantes, qui assurent une visite gratuite à chaque enfant âgé de six ans et de douze ans pour prévenir les caries dentaires. Seront concernés 1,4 million d'enfants.
Par ailleurs, je veux insister sur la rénovation de notre système de soins de ville. Depuis un an, vous le savez, on a appelé cela le « Grenelle de la santé », nous travaillons pour renouer le lien avec les professionnels de santé.
A l'issue de la concertation que j'ai engagée avec les professionnels au mois de janvier 2001, j'ai rendu public un document présentant treize propositions pour la rénovation des soins de ville.
A l'Assemblée nationale, à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui sera examiné par votre assemblée en janvier prochain, certaines de ces propositions, comme la création d'un Haut Conseil de la santé ou l'extension de l'évaluation aux professions paramédicales, ont été introduites.
D'autres propositions sont inscrites dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, que j'ai l'honneur de vous présenter.
Il s'agit de la mise en place de dispositifs d'appui à l'installation, afin de prendre en compte les difficultés que posent le recrutement, le maintien et le remplacement de médecins et d'infirmiers dans certaines zones rurales et urbaines difficiles.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bientôt, c'est tout le pays qui sera en difficulté !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. En l'occurrence, nous mettons en place une mesure extrêmement importante, qui était réclamée depuis longtemps.
Il s'agit également de la mise en place de financements pérennes et d'une harmonisation des procédures au niveau régional pour soutenir le développement des réseaux.
Parmi ces propositions, figure enfin la création d'un mécanisme complémentaire de soutien pour les gardes libérales.
Enfin, j'ai souhaité rénover le cadre conventionnel qui lie les caisses de sécurité sociale aux professionnels et définir un mécanisme de régulation qui soit mieux compris et mieux accepté par tous.
Je propose de donner aux partenaires conventionnels la possibilité de définir des engagements en matière d'organisation des soins, de respect des bonnes pratiques ou de suivi de l'activité. Ces engagements conventionnels feraient l'objet d'un suivi régulier par les partenaires conventionnels afin d'en assurer le respect dans un cadre pluriannuel.
Dans le cadre de ces engagements conventionnels, et uniquement dans ce cadre, la possibilité d'utiliser la valeur des lettres clés dans le cadre de rapports quadrimestriels ne s'appliquerait plus.
L'amendement du Gouvernement voté par l'Assemblée nationale fournit le cadre à ces évolutions. Celui-ci devra évoluer tout au long des débats parlementaires.
Des concertations sont en cours afin de préciser avec les professionnels, les partenaires sociaux et les caisses d'assurance maladie notre proposition. Trois éléments ressortent des propositions présentées depuis le 25 janvier : la mise en place d'un socle interprofessionnel, l'articulation avec la régulation et la dimension à la fois collective et individuelle de la convention. Il n'est pas dans nos intentions de prédéterminer ce qui résultera d'éventuelles négociations pour une ou des nouvelles conventions, mais il nous appartient de fixer le cadre législatif de ces évolutions.
Je crois en effet profondément à la valeur du contrat pour rénover le dialogue que la société, qui assure le financement collectif du système de soins, entretient avec les médecins et les professions paramédicales.
Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 s'inscrit dans le prolongement des priorités du Gouvernement : l'instauration de nouveaux droits pour une France toujours plus solidaire. Il concilie de façon active les deux principes qui nous guident : l'efficacité économique et la solidarité. Ce projet de loi reflète bien notre engagement en faveur de la rigueur dans la gestion des comptes sociaux et notre souci d'agir toujours mieux en faveur des plus faibles et des plus fragiles.
A travers ce dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale de la législature, le Gouvernement affirme son intention non pas de clore une politique engagée depuis cinq ans, mais bien d'en assurer la continuité. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. On verra !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Assurer aux Français une protection sociale de qualité, c'est en effet permettre de prendre en charge les risques qui sont aujourd'hui bien identifiés ; c'est aussi se donner les moyens de prévenir ceux que l'on redoute. Je crois qu'avec le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale nous disposons de réponses fortes à ces défis permanents. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen). M. le président. La parole est à M. Vasselle, rapporteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Il a amené son fan-club ! (Sourires.)
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux et l'assurance maladie. J'ai noté que vous avez fait de même pour Mme Guigou, et sans doute avez-vous eu raison :...
M. Gilbert Chabroux. Elle avait des choses importantes à dire !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... vous l'avez applaudie avant et après son intervention !
M. Jean Chérioux. Eux, ils ont tous les droits, car ce sont de grands démocrates ! Ce sont des donneurs de leçons permanents !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je tiens par avance à m'excuser auprès de vous, mes chers collègues, car je vais abuser de votre attention sans doute un peu plus longuement que vous ne l'auriez souhaité les uns et les autres ; mais le sujet, vous l'imaginez bien, est important.
Je me permets de rappeler immédiatement que la loi de financement de la sécurité sociale met en jeu un budget qui est de loin supérieur à celui de la loi de finances.
Ce point est souvent oublié ou occulté par la plupart de nos concitoyens, voire de nos élus locaux ou des médias. Je me plais à rappeler que le budget de la sécurité sociale s'élève à plus de 2 000 milliards de francs, alors que le budget de la nation s'établit à un peu moins de 2 000 milliards de francs. C'est dire que l'enjeu de ce texte est considérable et concerne la vie quotidienne de nos concitoyens, qu'il s'agisse des retraités, des familles ou de chacune et chacun d'entre nous, quel que soit son âge : en effet, tous, nous faisons appel, tout au long de notre vie, assez régulièrement, même si c'est le moins souvent possible, aux professionnels de la santé pour recevoir des soins et essayer de vieillir dans les meilleures conditions possibles le plus longtemps possible.
J'ai noté, madame le ministre, que vous aviez débuté votre propos en faisant référence à mon rapport écrit. C'est en quelque sorte une « première » : il est assez rare, en effet, que les membres du Gouvernement commencent leur intervention dans la discussion générale sur un texte en faisant référence au rapport écrit d'un parlementaire ! Je tenais donc à saluer ce fait et à m'en féliciter.
Cela étant, madame le ministre, vous avez évoqué ce rapport dans un esprit polémique puisque vous avez relevé qu'il contenait, à vos yeux, un certain nombre d'inexactitudes,...
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est vrai !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... ainsi que d'autres éléments que vous vous êtes plu à relever pour faire valoir l'action du Gouvernement. Vous avez relevé également des omissions notables et avez regretté que ce rapport ne fasse pas référence à une période ancienne. Je pensais, pour ma part, que nous devions nous projeter dans l'avenir plutôt que nous tourner vers le passé !
M. Gilbert Chabroux. Il faut relever les erreurs !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Les Françaises et les Français attendent du Gouvernement comme du Parlement non pas qu'ils se penchent en permanence vers le passé mais qu'ils leur donnent des perspectives d'avenir et les assurent que, demain, ils pourront connaître des conditions de vie meilleures que celles qui leur sont accordées aujourd'hui.
M. Gilbert Chabroux. Il faut d'abord relever les erreurs !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Monsieur Chabroux, nous aurons l'occasion, tant dans la discussion générale que lors de l'examen des articles, de pouvoir débattre sur ce que vous considérez comme des erreurs...
M. Gilbert Chabroux. Absolument !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... et que, pour notre part, nous ne considérons pas comme telles.
M. Gilbert Chabroux. Les électeurs se sont déjà prononcés !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez en effet dit, madame le ministre, que mon rapport écrit comportait des inexactitudes dans la mesure où je faisais figurer dans le passif un certain nombre d'excédents que vous utilisez de manière tout à fait pertinente, dites-vous, pour satisfaire les besoins de votre politique. Ces excédents, dès lors qu'ils sont prélevés - je me permets de vous le faire remarquer - viendront diminuer la situation nette de l'ensemble du régime de sécurité sociale dont on constatera, dès la clôture de l'exercice 2002, qu'elle sera non plus positive mais bien négative.
De surcroît, vous utilisez un certain nombre d'artifices pour faire croire aux Français que nous nous trouvons dans une situation particulièrement confortable...
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... qui ne justifie donc aucune inquiétude, ni pour le présent ni pour l'avenir.
L'exercice auquel je me suis plu à me livrer, en plein accord d'ailleurs avec le président et tous les membres de la commission des affaires sociales, a consisté à rétablir pour les Françaises et les Français la vérité des comptes de la sécurité sociale pour chacune des branches et à leur donner le coût réel du financement des 35 heures.
M. Alain Gournac. C'est très important !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je prendrai un seul exemple qui, je l'espère, sera suffisamment parlant pour permettre à nos collègues de bien comprendre que les « inexactitudes » relevées dans mon rapport n'en sont pas en réalité.
J'évoquerai les cinq milliards de francs que, madame le ministre, vous avez décidé de prélever...
M. Alain Gournac. De pomper !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... sur l'excédent en 2000 de la branche famille pour augmenter le fonds de réserve des retraites. Il s'agit en réalité de compenser la disparition des excédents du fonds de solidarité vieillesse qui devaient être la ressource principale de ce fonds de réserve.
En effet, l'année dernière, vous avez utilisé une partie des ressources du fonds de solidarité vieillesse pour financer les 35 heures, créant ainsi un déficit qu'il vous a bien fallu combler à un moment donné.
Vous avez donc eu cette idée géniale - je ne sais si elle vient de vous ou des fonctionnaires de Bercy qui vous ont épaulée dans votre démarche - de tirer parti de l'excédent dans la branche famille pour jouer sur la fongibilité des branches.
M. Alain Gournac. Et hop !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je me permets de souligner au passage que, ce faisant, vous n'avez pas respecté les engagements solennels pris par le Gouvernement, et approuvés par le Parlement, qui tendaient, d'une part, au respect de la séparation des branches - cette mesure, je le rappelle, avait été approuvée par les deux assemblées -...
M. Alain Gournac. Carambouille !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... et, d'autre part, à la compensation intégrale de toutes les mesures d'allégement de charges ou de cotisations par des dotations budgétaires de l'Etat, disposition législative datant de 1944. Je rappellerai également - excusez-moi de le faire une nouvelle fois, car peut-être cela vous mettra-t-il mal à l'aise, vous ou les membres de votre majorité - que, lorsque le Gouvernement a décidé la mise en place du FOREC, il avait solennellement déclaré, la main sur le coeur, que toutes les compensations et tous les allégements de cotisations seraient compensés intégralement, au franc près,...
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... par des dotations budgétaires de l'Etat. Or il n'en est rien ! Et vous jouez, madame le ministre, sur les mots : vous dites que vous ne prélevez pas de produits de cotisations pour financer les 35 heures (Mme le ministre acquiesce) et que, en conséquence, vous ne pénalisez pas la sécurité sociale et la branche maladie. Vous omettez toutefois de dire à la représentation nationale et aux Français que, lorsque le Gouvernement - Mme Aubry était alors en charge du ministère de l'emploi et de la solidarité - a décidé d'alléger les cotisations sociales pour en faire profiter l'économie et essayer de relancer l'emploi dans notre pays, il leur a substitué le produit de la CSG, c'est-à-dire un produit fiscal. A partir du moment où vous aviez substitué cette recette fiscale au produit des cotisations du travail, c'était bien pour la destiner au financement de la branche maladie. Les impôts et taxes actuels sont bien des ressources de la sécurité sociale...
M. Alain Gournac. Carambouille !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Or vous jouez sur le fait que ces ressources avaient un caractère fiscal pour considérer que le Gouvernement peut les utiliser selon son bon vouloir pour engager des dépenses qui ne sont pas nécessairement liées à la sécurité sociale. Vous jouez sur les mots en disant que le fait d'utiliser cette ressource fiscale n'affaiblit en aucun cas la branche maladie de la sécurité sociale, et que vous ne faites qu'utiliser une recette fiscale pour financer une politique sociale. Non ! C'est vraiment tromper les Français que de leur faire croire que vous utilisez des recettes fiscales pour des mesures sociales et qu'il y a un lien entre les deux.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur. En fait, il faut dire aux Français que ces recettes fiscales étaient affectées à la sécurité sociale. Vous n'avez donc pas le droit de les utiliser à d'autres fins.
C'est la raison pour laquelle nous affirmons haut et fort que vous avez utilisé des fonds de la sécurité sociale pour financer une politique sociale que vous n'aviez pas les moyens de mettre en oeuvre ! Vous avez fait rêver les Français ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Didier Boulaud. C'était mieux quand Juppé augmentait la TVA ?
M. René-Pierre Signé. Il n'y avait pas d'excédents avec vous !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Toute vérité, mon cher collègue, est difficile à entendre, surtout lorsqu'elle correspond à la réalité !
Nous avons donc un gouvernement issu d'une majorité qui, en 1997, s'est fait élire notamment sur cette annonce de mise en place de la politique des 35 heures.
M. René-Pierre Signé. Et ils osent donner des leçons !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Mais il s'est bien gardé de dire comment il en assurerait le financement ! Et aujourd'hui, l'heure de vérité a sonné !
M. Didier Boulaud. On va voir ça !
M. Alain Vasselle, rapporteur. L'heure de vérité a sonné parce que les Françaises et les Français... (Exclamations sur les travées socialistes.)
Laissez-moi m'exprimer !
M. Philippe Nogrix. Cela les gêne !
M. Alain Gournac. Ils ne veulent rien entendre !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous pourrez me répondre tout à l'heure dans le cadre de la discussion générale...
M. Didier Boulaud. Ne vendez pas la peau de l'ours !
Mme Hélène Luc. Et vous, qu'avez-vous fait ? Il faut en parler aussi !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Madame Luc, me permettez-vous de terminer sur ce point ?
M. René-Pierre Signé. Qui parle de carambouille ?
Mme Hélène Luc. Vous parlez de ce qui se passe maintenant sans évoquer ce qui s'est passé avant !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Me permettez-vous de continuer de répondre aux arguments développés par Mme le ministre ?
M. René-Pierre Signé. Oui, mais sans provoquer !
M. Alain Gournac. Qu'a fait Mme le ministre au début de son intervention, sinon provoquer ?
M. le président. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole et vous seul.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je ne fais pas de provocation, malheureusement pour vous, mes chers collègues. Je ne fais que rappeler un certain nombre de vérités. J'admets que c'est difficile à entendre et que, le moment venu, vous aurez du mal à vous justifier devant l'opinion publique.
M. Didier Boulaud. Et vous, comment avez-vous géré ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je disais donc que, lorsque vous avez mis en place cette politique des 35 heures, vous saviez que vous n'en aviez pas la capacité financière. Aujourd'hui, les Français vont se rendre compte, un peu tard pour un certain nombre d'entre eux, que c'est une politique de gribouille qui a été mise en place par ce gouvernement et que la sécurité sociale en souffre. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer. En matière de politique de gribouille, vous pouvez parler !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez fait valoir, madame le ministre, des éléments de satisfaction en faisant ressortir les excédents que j'ai rappelés et dont j'ai décrit l'utilisation. Puis, vous avez relevé que j'avais omis - omission de taille selon vous - de rappeler que, pendant la période 1994-1997, la sécurité sociale avait accusé un déficit global de plus de 200 milliards de francs.
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur. J'ai encore en tête le chiffre que vous avez annoncé devant la commission : 265 milliards de francs. Il est vrai que, dans votre situation, vous ne devez plus en être à 30, 40 ou 50 milliards de francs près !
Il faut toutefois replacer les choses dans leur contexte : la période de 1993 à 1997 a été marquée par l'une des plus graves récessions économiques de l'après-guerre et c'est à cette situation qu'a dû faire face le gouvernement de l'époque !
M. René-Pierre Signé. Vous n'avez pas su gérer !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Aucun gouvernement n'aurait fait mieux. Si vous aviez été vous-mêmes au pouvoir à cette époque, vous n'auriez pas pu faire mieux que ce qu'a fait à l'époque le gouvernement de MM. Balladur et Juppé. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Didier Boulaud. Eh oui ! Parlons-en de M. Juppé !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je ne sais si je vais arriver à terminer mon propos. De toute façon, j'ai toute la soirée, toute la nuit devant moi : si vous voulez que cela dure, mes chers collègues, cela m'est égal !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le calme est le propre de l'innocence.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il est un peu facile de dire que si la situation est bonne, c'est grâce à la conjoncture française et non à la conjoncture internationale et que si elle est mauvaise, c'est parce que, sur le plan international, cela va mal et donc que la France souffre de la récession économique générale.
Voilà peu de temps, certains membres du Gouvernement ont déclaré, après les événements survenus aux Etats-Unis, que la France connaîtrait probalement un début de récession économique, qui serait la conséquence d'un ralentissement de l'économie américaine. Mais quand la croissance était au rendez-vous, ils ne disaient pas que c'était dû à une situation internationale favorable, c'était dû, à ce moment-là, uniquement à la politique du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
On fait dire ce que l'on veut à la situation économique pour essayer d'en tirer les fruits et les profits sur le plan local. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Didier Boulaud. Nous n'avons pas taxé les Français, nous !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous en parlerez au moment de la discussion de la loi de finances ;...
M. Didier Boulaud. Les deux points de TVA, c'est quand même cela qui a mis les Français à genoux !
M. Alain Vasselle, rapporteur ... pour le moment, nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Il faut dire que la croissance annuelle des recettes du régime général est passée de 2,96 % en 1997 à 6,23 % en 2000.
Je reconnais, avec Mme le ministre, que la croissance a été au rendez-vous, qu'elle a permis d'améliorer sensiblement les recettes de la sécurité sociale et qu'elle a contribué largement au redressement des comptes de cette dernière. Nous divergeons seulement sur les causes : nous avons la faiblesse de penser que cette croissance était due non pas à la politique menée par le Gouvernement, mais bien à l'effet d'une conjoncture favorable sur le plan international et européen, conjoncture que le Gouvernement n'a pas su, d'ailleurs, utiliser à bon escient pour permettre de redresser durablement et structurellement l'ensemble des branches de la sécurité sociale.
On peut relever d'ailleurs que les effets positifs des mesures de redressement prises par la précédente majorité ont eu tendance à s'estomper. Et pourtant Mme Aubry avait emboîté le pas au gouvernement Juppé en ce qui concerne notamment la régulation des dépenses de santé ;...
M. Didier Boulaud. On a vu les résultats !
M. Alain Vasselle, rapporteur. ... elle en avait changé quelques modalités mais avait maintenu le système de la sanction collective, notamment celui des clés flottantes, auquel Mme le ministre a fait référence tout à l'heure. Mais ces mesures n'ont pas été prolongées significativement, ce qui s'est traduit par une progression des dépenses qui a eu tendance à se rapprocher de celle des recettes : 5,87 % pour les unes et 6 % pour les autres en 2000.
La sensibilité conjoncturelle des recettes de la sécurité sociale se trouve ainsi confirmée. C'est d'ailleurs cette sensibilité conjoncturelle qui explique, pour l'essentiel, la dégradation des comptes sociaux observée pendant la récession du début des années quatre-vingt-dix, qui fut l'une des plus sévères que notre pays ait connues au cours de l'après-guerre.
Quoi qu'il en soit, la vigoureuse croissance des recettes de la sécurité sociale s'est traduite par une amélioration des soldes comptables. Mais cette amélioration est-elle aussi prononcée qu'elle aurait pu l'être, compte tenu de la croissance de ces dernières années ? Non, à l'évidence !
Le Gouvernement a annoncé triomphalement par votre voix, madame le ministre, « qu'entre 1989 et 2002, la sécurité sociale a dégagé un excédent cumulé de 23 milliards de francs » ; vous avez ajouté : « Même si nous prenons en compte l'année 1998, qui était encore marquée par un déficit, nous serons en mesure d'atteindre un quasi-équilibre du régime général sur les quatre exercices 1998 à 2001. »
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Or, mes chers collègues, à l'examen, il apparaît que ces chiffres pèchent pour le moins par excès d'optimisme, et je vais vous expliquer pourquoi.
Livrons-nous ensemble à un exercice d'arithmétique élémentaire. Il consiste à additionner le solde déficitaire - de 9,7 milliards de francs - du régime général pour l'exercice 1998 au solde excédentaire - de 3,3 milliards de francs - de l'année 1999 et au solde désormais déficitaire de l'année 2000, qui atteint 10,7 milliards de francs en raison de l'annulation de la dette du FOREC à l'égard de la sécurité sociale, annulation décidée par le Gouvernement dans le présent projet de loi.
M. René-Pierre Signé. C'est faux !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Mme le ministre l'a confirmé. Ne dites pas que c'est faux, monsieur Signé !
M. le président. Il n'en sait rien ! Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle, rapporteur. J'y ajoute les excédents prévisionnels des exercices 2001 et 2002 résultant des amendements adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale, soit respectivement 5,3 milliards de francs et 5,1 milliards de francs. Je prends donc en compte à la fois les déficits et les excédents.
Le total de cette addition établie sur la base de chiffres officiels et incontestables - je mets au défi quiconque de contester ces chiffres ou alors ce serait remettre en cause les organismes chargés de suivre les comptes de la sécurité sociale - fait apparaître que la situation financière des régimes est bien moins favorable que ne pourraient le laisser croire les communiqués de victoire du Gouvernement.
Pour les années 1998 à 2002, en effet, le déficit cumulé atteindra 6,7 milliards de francs. Pour la seule branche maladie, il sera de 61,3 milliards de francs. Il n'y a donc pas lieu de pousser des « cocoricos », en disant que la sécurité sociale s'est redressée et que les comptes sont consolidés. Nous en sommes bien loin !
Comment expliquer un tel déficit alors que les recettes du régime général ont connu une forte croissance au cours de ces dernièrs années ? La réponse à cette question est double : d'une part, la sécurité sociale a été dépouillée d'une partie de ses recettes - j'en ai donné un exemple tout à l'heure - pour assurer le financement du fameux FOREC ; d'autre part, la dérive des dépenses d'assurance maladie, qui traduit l'inaction du Gouvernement en ce domaine, pèse de plus en plus sur les comptes du régime général.
S'agissant tout d'abord du FOREC, je ne vous rappellerai pas, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comment le Gouvernement, confronté au surcoût prévisible pour le budget de l'Etat des allégements de cotisations accordés dans le cadre des 35 heures, a décidé de transférer indirectement cette charge à la sécurité sociale en créant ce fonds.
La commission des affaires sociales a essayé d'évaluer le montant de cette charge pour la sécurité sociale. En effet, vous nous dites, madame le ministre, que le financement du FOREC « préserve les ressources de la sécurité sociale car il n'est fait appel qu'à des ressources de nature fiscale » ; mais vous oubliez de préciser qu'une bonne partie de ces ressources fiscales étaient antérieurement affectées à la sécurité sociale.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ainsi, si l'on ajoute, d'une part, la totalité des recettes fiscales de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse transférées au FOREC et, d'autre part, l'annulation de la dette de ce dernier pour l'année 2000, on aboutit à un total cumulé de quelque 85 milliards de francs, dont 30 milliards au titre de la seule année 2002.
Or, lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, vous nous avez indiqué, madame la ministre, que les allégements liés aux 35 heures représentaient 34,6 milliards de francs au sein du total des dépenses du FOREC, qui atteindront, par ailleurs, 102 milliards de francs en 2002. Je vous rappelle, mes chers collègues, que les autres exonérations ou allégements désormais regroupés dans le FOREC, dont la ristourne dite « Juppé », étaient, avant 2000, entièrement compensés à la sécurité sociale par le budget de l'Etat. Sur la base du chiffre communiqué par Mme le ministre, on peut donc raisonnablement estimer que la sécurité sociale financera désormais, en 2002, 88 % des allégements liés aux 35 heures.
Permettez-moi, mes chers collègues, de m'arrêter un instant sur le financement des 35 heures et sur ces chiffres qui ont retenu longuement l'attention des membres de la commission. Je vous invite à vous reporter au tableau de l'annexe F du présent projet de loi relatif aux comptes du FOREC pour 2002. On retrouve bien les chiffres que vous annoncez, madame le ministre : le coût des allégements dus aux 35 heures est officiellement de 36 milliards de francs sur un total de 102 milliards de francs, soit un pourcentage de 35 % alors que le coût des allégements pour les bas salaires au sens large, puisqu'on y trouve l'aide incitative initiée par la loi Robien, qui est pourtant une mesure d'aide à la réduction du temps de travail, serait de 66 milliards de francs, soit 65 % du total des dépense du FOREC.
Le seul problème, c'est que cette annexe comptabilise dans les allégements pour bas salaires l'extension de la « ristourne Juppé », qui passe de 1,3 à 1,8 SMIC. Or cette extension, d'un coût de 17 milliards de francs, avait pourtant été décidée dans la loi « Aubry 2 ». On ne peut donc pas l'imputer à l'ancienne majorité. Dès lors, les chiffres changent du tout au tout : le coût des mesures découlant des lois Aubry représentent alors un coût total de 53 milliards de francs, soit 52 % du total du FOREC, tandis que le coût des mesures décidées par la précédente majorité se ramène à 48,5 milliards de francs, soit 48 %. Telle est la réalité des chiffres.
Madame le ministre, la commission des affaires sociales a souhaité, malgré tout, entrer dans votre logique. Vous nous dites que l'application des 35 heures ne coûtent que 36 milliards de francs. Chiche ! Ne retenons que vos chiffres ! Dans ce cas, il faut constater que la sécurité sociale finance 88 % d'une politique qui aurait dû être financée par l'Etat dans le cadre de la loi de finances.
M. René-Pierre Signé. Il y avait des excédents !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ajoutons à cela les 15 milliards de francs que, pour les années 2001 et 2002, l'UNEDIC verse à l'Etat. Ainsi ce dernier, qui s'affranchit de la théorie des « retours pour les finances publiques » des 35 heures, gagnerait même de l'argent.
Si c'est ce que vous vouliez démontrer, madame le ministre, nous sommes prêts à vous suivre !
Je tenais, mes chers collègues à m'attarder quelques instants sur les chiffres concernant les 35 heures, de manière que chacun les ait bien en tête. Encore ne s'agit-il que d'une évaluation du coût direct du FOREC pour la sécurité sociale et pour le fonds de solidarité veillesse. En effet, la nécessité de dégager des ressources financières destinées à alimenter ce fonds s'est accompagnée, ces deux dernières années, de la mise en place de circuits de financement particulièrement opaques et complexes.
La « mise au clair » de ces circuits de financement aboutit d'ailleurs à l'élaboration de schémas incompréhensibles. Charles Descours avait, l'année dernière, brocardé l'« usine à gaz » aux invraisemblables tuyauteries qui avait été mise en place et en avait fait un tableau très parlant.
M. René-Pierre Signé. Il a été battu !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il est d'ailleurs dommage que les techniques audiovisuelles ne puissent pas encore être utilisées dans l'hémicycle, monsieur le président. Il serait très profitable à nos collègues qu'un écran nous permette, par exemple, de projeter des graphiques.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Claude Domeizel. Ils démontreraient le contraire de ce que vous affirmez !
M. Jean Chérioux. Mais non, vous le savez bien !
M. René-Pierre Signé. On pourrait mettre les déficits à droite ! (Sourires.)
M. Alain Vasselle, rapporteur. De telles projections permettraient de mieux comprendre le fonctionnement du dispositif.
A ce sujet, madame le ministre, puique vous avez présenté le passage à la comptabilité des organismes de sécurité sociale en droit constaté comme l'un des grands acquis de l'action du Gouvernement, vous me permettrez de préciser que cette importante réforme a été lancée dès 1994 par la précédente majorité ; c'est la complexité technique de ce dossier qui explique que plusieurs années de travail aient été nécessaire pour aboutir. Il était plus que temps que nous puissions travailler en droit constaté et que vous-même puissiez rendre hommage à l'initiative qui avait été prise par la précédente majorité.
M. Didier Boulaud. Les Français s'en sont chargés, aux législatives !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Voilà au moins un point positif que vous acceptez de reconnaître.
Mais revenons au FOREC.
Notre commission est particulièrement préoccupée par les effets néfastes des circuits financiers mis en oeuvre depuis l'année 2000. Ceux-ci fragilisent, d'une part, les fondations financières de la sécurité sociale et compromettent, d'autre part, le financement de diverses prestations, dont certaines sont pourtant jugées essentielles par le Gouvernement. Je n'évoquerai ici, madame le ministre, que la couverture maladie universelle « de base », pour le financement de laquelle l'assurance maladie avait bénéficié, en 1999, de l'affectation de recettes spécifiques qui lui ont été, depuis, progressivement « confisquées » au profit du FOREC.
Quelles étaient ces recettes ? Une part du prélèvement social de 2 %, une part des droits sur le tabac et la taxe sur les véhicules à moteur.
Lors de l'examen du texte portant création d'une couverture maladie universelle, le Gouvernement avait en effet proposé d'affecter à la branche maladie des recettes fiscales pour lui permettre de faire face à cette dépense nouvelle. Or que s'est-il passé depuis ? On a privé et on a continué de priver la branche maladie de ces recettes qui lui permettaient de financer une partie du déficit lié à cette dépense nouvelle.
Interrogée à ce sujet par notre commission, la CNAM a d'ailleurs répondu qu'elle ne savait pas comment serait financée la CMU « de base » en 2002 puisque le Gouvernement n'a pas prévu, dans le projet de loi de financement pour 2002, des ressources nouvelles permettant de compenser cette perte de recettes de la branche maladie. Celle-ci va donc être confrontée à des difficultés majeures pour financer la CMU « de base ».
Bien entendu, le manque à gagner correspondant viendra s'ajouter au déficit, déjà substantiel, de la branche maladie.
Par ailleurs, la nécessité de trouver sans cesse des ressources supplémentaires pour le FOREC aboutit à des résultats qui sont complètement absurdes. Ainsi, la CNAM, qui est déjà la branche la plus déficitaire du régime général, est celle qui est le plus mise à contribution, car elle reçoit, à elle seule, près de 80 % des recettes fiscales affectées au régime général !
En dépit de toutes ces incohérences, le Gouvernement a choisi de persévérer dans l'erreur en 2002. L'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qu'il conviendrait d'ailleurs de baptiser plutôt « projet de loi de financement du FOREC », est, à cet égard, révélateur. Celui-ci comporte, en effet, son lot de « branchements » et autres « tuyauteries » destinées à l'alimentation de ce fonds.
Ce sont 11,1 milliards de francs qui vont se trouver à nouveau, en 2002, prélevés sur la sécurité sociale, dont 8,1 milliards en provenance de l'assurance maladie. Cela correspond à la perte de recettes concernant les droits sur les alcools, la taxe sur les véhicules à moteur et une partie des droits sur les tabacs.
Le système n'est d'ailleurs pas facile à comprendre ! On réaffecte une partie des droits sur les tabacs et comme on en a réaffecté trop, on en prélève une partie pour la redonner à une autre branche.
M. Jean Chérioux. C'est le bonneteau !
M. Alain Vasselle, rapporteur. On a bien du mal à suivre !
Et vous ajoutez à ces 8,1 milliards de francs les 3 milliards de francs qui viennent indirectement de la branche famille. En effet la perte, par le fonds de solidarité vieillesse, de 2,9 milliards de francs au profit du FOREC lui est compensé, à due concurrence, par une augmentation de la part des majorations de pensions pour enfants mise à la charge de la branche famille.
Ceux d'entre nous qui étaient présents lorsque nous avons examiné le projet de loi, présenté par le gouvernement de M. Balladur, instituant le fonds de solidarité vieillesse se souviennent que, à l'époque, on avait essayé de donner un peu de transparence et de lisibilité au financement des retraites. Ce fonds avait été créé pour faire supporter par la solidarité nationale les dépenses dites de « solidarité », précisément, en ne laissant à la charge de la branche vieillesse que les dépenses contributives.
Pour permettre au fonds de solidarité vieillesse de financer les dépenses non contributives, il avait été décidé de lui affecter les droits sur les alcools.
Or, depuis 1997, le Gouvernement n'a eu de cesse de transférer ces recettes à d'autres objets : initialement affectées au FSV, elles l'ont été ensuite à la branche maladie. Et puis, se rendant compte des insuffisances de financement du FOREC, on les a retirées à la branche maladie pour les affecter à celui-ci ! Décidément, on a tendance à se perdre dans les tuyauteries installées par le Gouvernement !
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 amplifie également d'autres errements déjà dénoncés les années précédentes par notre commission.
Il s'agit, tout d'abord, de la modification rétroactive de l'affectation de certaines recettes. Je viens de le dire, les droits sur les alcools, dont bénéficiait jusqu'à présent la CNAMTS, ont été transférés au FOREC à compter du 1er janvier 2001. De même, le produit de la taxe sur les véhicules terrestres à moteur, qui était intégralement affecté à la CNAMTS en 2001 pour le financement de la couverture maladie universelle, est reversé en totalité au FOREC en 2002.
Dans ces conditions, quel crédit peut-on encore accorder au solde de la branche maladie ? Quelle signification cet indicateur, pourtant essentiel, peut-il encore avoir pour les assurés et les professionnels de santé, que l'on entend par ailleurs « responsabiliser » ?
En outre, comme je l'ai déjà indiqué, le projet de loi annule purement et simplement la dette du FOREC à l'égard de la sécurité sociale pour l'année 2000.
L'imputation de l'annulation de cette dette sur l'exercice 2000 soulève, tout d'abord, de graves questions de principe au regard des règles élémentaires de la comptabilité publique. Ainsi, la commission des comptes de la sécurité sociale, selon son secrétaire général, « s'interdisant tout retraitement des comptes 2000 qui justifierait inévitablement d'autres corrections et ouvrirait la porte à l'arbitraire », avait imputé cette annulation sur les comptes 2001, qui sont encore ouverts.
Si l'on suit les propositions du Gouvernement, comme les mesures qui sont prises affectent les comptes 2000, qui sont déjà clôturés depuis un moment, il faudra rouvrir la comptabilité 2000 pour introduire l'incidence de l'annulation de la créance que vient de décider le Gouvernement pour assurer le financement du FOREC.
C'est une première ! C'est du jamais vu ! D'ailleurs, les agents comptables des caisses nous en ont donné acte en nous confiant qu'il s'agissait d'un exercice extrêmement difficile, qui leur poserait des problèmes d'ordre matériel et informatique. « Techniquement, nous pouvons tout faire, nous ont-ils dit, mais nous n'avons jamais eu à faire ce type d'exercice. »
On peut donc s'interroger sur le choix fait par le Gouvernement d'ouvrir à nouveau les comptes 2000, c'est-à-dire les comptes d'un exercice clos. Ce choix n'est, bien évidemment, pas innocent dans la mesure où il lui permet de ne pas corriger, dans un sens nettement plus défavorable, les comptes de l'exercice 2001, dont la clôture publique et définitve doit intervenir au printemps 2002.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la créance ainsi annulée s'élève, pour le seul régime général, à 15 milliards de francs.
De tels procédés, vous l'admettrez, sont inadmissibles. La commission vous proposera donc de supprimer la disposition législative correspondante.
Autre mauvaise habitude, également confirmée et amplifiée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 : les prélèvements effectués sur les excédents des exercices passés ; je suis vraiment désolé de donner de mauvaises nouvelles aux Français, mais force m'est de décrire la réalité ! Un double prélèvement est ainsi opéré sur les excédents 2000 de la branche famille, à savoir, d'une part, 1,5 milliard de francs pour le fonds d'investissement de la petite enfance et, d'autre part, 5 milliards de francs au profit du fonds de réserve des retraites.
M. René-Pierre Signé. Il y a un rapporteur pour la famille !
M. Alain Vasselle, rapporteur Il va vous en parler beaucoup plus longuement que moi, ne vous inquiétez pas, mon cher collègue !
Ainsi, les familles n'auront pas bénéficié longtemps des excédents que la CNAF était, jusqu'à présent, parvenue à conserver. Le versement au fonds de réserve des retraites, qualifié de « contribution aux dépenses de solidarité intergénérationnelle », viendra en réalité compenser, pour partie, les nombreuses ponctions opérées sur le fonds de solidarité vieillesse au titre soit des 35 heures soit du financement de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Au-delà des ponctions opérées chaque année, le Gouvernement est ainsi conduit, pour boucler ses comptes de fin de législature, à prélever les excédents qui lui avaient jusqu'alors échappé. Privée d'une partie significative de ses ressources et de ses réserves au profit du FOREC, la sécurité sociale doit également faire face à la dérive des dépenses d'assurance maladie. J'évoquerai plus en détail ce sujet dans la suite de mon intervention. Pour l'heure, je me bornerai à vous rappeler, mes chers collègues, le montant du déficit cumulé de la branche maladie pour les années 1998 à 2002 : 61 milliards de francs !
Ce constat d'ensemble est d'autant plus préoccupant que les comptes de la sécurité sociale, ainsi que ceux du présent projet de loi de financement, tels que je vous les ai présentés, reposent sur des hypothèses économiques que le Premier ministre qualifie de « patriotiques » et sur une évolution de l'ONDAM particulièrement « idéaliste ». Or, s'il vient à manquer un point de croissance de la masse salariale, ce qui représente une perte supplémentaire de 10 milliards de francs, ou si l'ONDAM progresse au même rythme qu'en 2001, soit 16 milliards de francs de dépenses supplémentaires, le résultat du régime général basculera dans le rouge - complètement cette fois - dès 2002. Il sera, dès lors, victime d'un redoutable « effet de ciseaux » entre, d'une part, la contraction de ses recettes et, d'autre part, la progression incontrôlée des dépenses d'assurance maladie.
Ainsi, à l'issue d'une période de croissance exceptionnelle, la sécurité sociale se trouve, de manière paradoxale, dépourvue de toute réserve pour affronter des temps probablement beaucoup plus difficiles. Les marges financières dont elle disposait, détournées pour financer la coûteuse politique des 35 heures et « engloutie » par la dérive des dépenses d'assurance maladie, n'ont pas été utilisées pour mettre en place les réformes indispensables à la pérennité de notre système de protection sociale.
Notre commission n'a aucun goût particulier pour le rôle de Cassandre. Toutefois, afin de donner à la sécurité sociale et, plus particulièrement, au régime général les moyens de faire face aux défis à venir, elle propose au Sénat de rétablir la vérité des comptes sociaux.
Cette « opération-vérité » consisterait à restituer, en 2002, au régime général et à la sécurité sociale l'ensemble des recettes qui leur ont été, directement ou indirectement, « confisquées » au profit du FOREC.
L'évaluation réalisée par notre commission à ce sujet, et dont le détail figure dans le rapport écrit, permet ainsi de dégager, pour le régime général, un total de recettes supplémentaires de 30 milliards de francs. Son excédent atteindrait ainsi, en 2002, 35 milliards de francs, contre 5 milliards de francs prévus actuellement. Le fonds de solidarité vieillesse, quant à lui, disposerait de 18 milliards de francs supplémentaires, qui seraient ensuite reversés au fonds de réserve des retraites, ce qui permettrait au Gouvernement d'atteindre effectivement les objectifs qu'il avait affichés, en déclarant à la représentation nationale qu'il alimenterait le fonds de réserve des retraites grâce aux excédents du fonds de solidarité vieillesse.
Si nous suivions le Gouvernement, compte tenu de la situation actuelle - Dominique Leclerc en parlera plus savamment que moi dans un instant -, nous risquerions de nous retrouver, cette année, concernant le fonds de solidarité vieillesse, avec un excédent limité à 1 milliard de francs, voire avec un solde nul ou même avec un déficit, autrement dit sans aucune possibilité d'alimenter le fonds de réserve des retraites.
A l'inverse, si l'on rétablissait les recettes du fonds de solidarité vieillesse, les sommes qu'il pourrait reverser au fonds de réserve permettraient à ce dernier de réunir 100 milliards de francs dès 2002, contre 86 milliards de francs prévus dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
A ce sujet, madame le ministre, quand vous annoncez que, grâce aux mesures du Gouvernement, le fonds de réserve atteindra 86 milliards de francs d'ici à la fin de l'exercice 2002, vous omettez de dire qu'il aurait dû s'établir à 55 milliards de francs à la fin de l'exercice 2001, alors qu'il ne dépassera pas 41 milliards de francs ; vous avez donc pris du retard, et le conseil d'orientation des retraites, partageant en cela l'analyse du Sénat, considère que, pour atteindre 1 000 milliards de francs, il aurait fallu réaliser au moins entre 30 et 35 milliards de francs par an. Or ces chiffres ne sont pas au rendez-vous et, même avec 86 milliards de francs, vous êtes encore en retard par rapport à l'objectif de 1 000 milliards de francs. Il faut que les Françaises et les Français le sachent !
Ces résultats nous donnent ainsi une idée de l'importance de la manne financière qu'aurait procurée la croissance à la sécurité sociale si cette manne n'avait pas été détournée par le Gouvernement pour financer une coûteuse politique de l'emploi, qui commence d'ailleurs à donner de sérieux signes de faiblesse.
M. Didier Boulaud. Une coûteuse politique sociale !
M. Alain Vasselle, rapporteur. La commission des affaires sociales soumettra donc au Sénat divers amendements visant à définir le cadre juridique de cette « opération vérité ». Ainsi, les partenaires sociaux et l'opinion publique seront pleinement informés de l'état actuel de nos finances sociales et de l'occasion, gâchée par le Gouvernement, que représentaient les années de croissance pour engager les réformes nécessaires, notamment en matière de retraites.
M. René-Pierre Signé. Et la couverture maladie universelle ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il appartiendra ensuite à l'Etat de dégager sur son propre budget les ressources nécessaires au financement de sa politique de l'emploi.
Lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, en juin dernier, vous avez déclaré, madame la ministre, que « la fraction non compensée des allégements de cotisations ne pourra pas avoir, pour elle-même, pour effet de provoquer la mise en déficit de la sécurité sociale ». Or il n'en sera rien, les comptes présentés par le Gouvernement dans le projet de loi de financement pour 2002 nous démontrent, malheureusement, le contraire. Nul ne devrait pourtant devoir douter de votre parole, madame la ministre !
M. René-Pierre Signé. Vous vous y connaissez en déficits ! Et les déficits Juppé ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. J'en arrive à ma conclusion sur les grands équilibres financiers : si vous souhaitez réellement la lisibilité des comptes pour les Français, si vous voulez jouer cette carte de la transparence tant prônée par le Premier ministre, si vous voulez jouer la rigueur des finances, vous ne pourrez qu'appuyer notre démarche et donner raison au Sénat en vous pliant à l'exercice auquel j'invite l'ensemble de mes collègues.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire concernant les grands équilibres financiers de la sécurité sociale.
Je n'en ai malheureusement pas terminé, puisqu'il me faut maintenant vous parler de la branche maladie, avant que mes collègues Jean-Louis Lorrain et Dominique Leclerc interviennent pour vous entretenir l'un de la branche famille, l'autre de la branche vieillesse.
Concernant la branche maladie, l'examen de ce sixième projet de loi de financement de la sécurité sociale, cinquième et dernier de la législature, est aussi l'occasion de dresser un premier bilan de la politique menée depuis juin 1997 en matière d'assurance maladie.
Nous allons donc nous pencher quelques instants sur la branche maladie, qui est au coeur des préoccupations des Français même si la famille et les retraites ne sont pas absentes de leurs inquiétudes.
Il apparaît que les années 1998 à 2001 ont constitué, en réalité, quatre années de dérive de l'assurance maladie, et que l'année 2001, mes chers collègues, a vu la confirmation - et parfois l'accélération - des tendances inquiétantes que la commission des affaires sociales avait déjà relevées les années précédentes.
La dérive des dépenses s'est poursuivie sans donner le moindre signe d'un quelconque ralentissement. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie, le fameux ONDAM a, une nouvelle fois, été dépassé en 2001, témoignant du caractère peu réaliste des objectifs sur lesquels le Gouvernement a demandé à la représentation nationale de se prononcer.
Qu'il me soit permis, à cet égard, de rappeler, puisque Mme la ministre se plaît à se référer à des périodes antérieures, que seul le premier ONDAM de l'histoire parlementaire, c'est-à-dire l'ONDAM de 1997, qui a suivi la réforme constitutionnelle, aura été respecté.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En effet !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Or il me semble qu'on peut l'imputer à la responsabilité du précédent gouvernement !
Sur quatre années, de 1998 à 2001, le dérapage entre l'objectif voté et l'ONDAM réalisé a d'ailleurs nettement eu tendance à s'accroître : le dépassement a été de 9,8 milliards de francs en 1998, de 10,2 milliards de francs en 1999, de 17,4 milliards de francs en 2000 et de 17 milliards en 2001. Au total, malgré les rebasages successifs, l'ONDAM aura dérapé de 54 milliards de francs, pendant cette période, par rapport aux objectifs votés par le Parlement. Où est la maîtrise des dépenses de santé ?
Les dépenses qui relèvent du champ de l'ONDAM ont continué à fortement progresser, augmentant de 5,6 % en 2000 et de 5 % en 2001.
Cette dérive trouve essentiellement son origine dans la forte croissance des soins de ville, qui représentent à eux seuls environ 45 % de l'ONDAM et au sein desquels les dépenses de médicaments connaissent la croissance la plus vive : 11 % en 2000, 7,7 % en 2001.
Au demeurant, mes chers collègues, tout porte à croire que l'ONDAM de 2002 ne sera pas plus respecté que les précédents : il apparaît en effet bâti sur des hypothèses de croissance des dépenses complètement irréalistes.
Les auteurs du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale partagent d'ailleurs cette analyse puisque, selon eux : « L'hypothèse retenue en matière de dépenses d'assurance maladie est particulièrement ambitieuse. L'objectif de 3,8 % fixé pour 2002, qui inclut le financement de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux, correspond à un objectif inférieur pour les autres dépenses. Sa réalisation supposerait un freinage considérable par rapport à la tendance moyenne des deux dernières années, supérieure à 5 % ».
Autrement dit, on part du principe que, dès l'année 2002, les dépenses de soins de ville et de médicaments vont miraculeusement enregistrer un ralentissement très net, et on table en même temps sur un taux de croissance qui resterait le même. L'information circule-t-elle entre le ministère des finances et le ministère des affaires sociales ? On peut se le demander ! N'avons-nous pas entendu M. Fabius reconnaître qu'il serait obligé de réviser à la baisse le taux de croissance ? On ne peut pas, d'un côté, reconnaître à Bercy que la croissance va diminuer et considérer, d'un autre côté, en présentant le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que la croissance sera toujours au rendez-vous et qu'en définitive les objectifs de l'ONDAM seront respectés ! Vraiment, c'est prendre les vessies pour des lanternes et faire croire n'importe quoi aux Français !
Soyons un peu sérieux et un peu constructifs : il ne faut pas prendre les Français pour des imbéciles, ils sont capables de comprendre dans quelle situation nous nous trouvons réellement. Une simple prolongation de la tendance enregistrée ces deux dernières années en matière de dépenses de soins de ville amènerait en effet à un nouveau dérapage d'au moins 15 milliards de francs si le pourcentage de dérive constaté entre 1998 et 2001 demeurait inchangé.
Dans ces conditions, la commission des affaires sociales vous proposera, comme l'année dernière, d'opposer une sorte de « question préalable » à l'ONDAM 2002, c'est-à-dire de le rejeter solennellement. Nous nous refusons, en effet, à engager l'autorité du Sénat en lui demandant d'approuver un objectif dont le Gouvernement s'empressera de s'affranchir quelques mois plus tard.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Alain Vasselle, rapporteur. La pratique observée depuis cinq ans traduit à l'évidence un dévoiement de l'ONDAM et mérite d'être sanctionnée clairement. En effet, ce n'est pas seulement un « agrégat » qui dérive, mais avec lui notre système de soins, et le débat démocratique autour de la sécurité sociale.
Malgré une croissance exceptionnellement forte des recettes, l'absence de maîtrise des dépenses conduit très logiquement la branche maladie du régime général à enregistrer des déficits répétés : 14,7 milliards de francs en 1998 en droits constatés, 4,8 milliards de francs en 1999, 17,2 milliards de francs en 2000 et 11,5 milliards de francs en 2001.
Le Gouvernement prévoit même pour 2002 un déficit de 13 milliards de francs - c'est dire qu'il n'y aurait aucun redressement des comptes de la branche maladie -, ce qui porterait le déficit cumulé des années 1998-2002 à 61,2 milliards de francs.
La prévision pour l'exercice 2002 suppose naturellement que l'ONDAM soit respecté et que les recettes continuent à progresser fortement, ce qui représente un double pari.
Le simple prolongement des tendances enregistrées ces deux dernières années en matière de dépenses de soins de ville amènerait le déficit de la branche maladie du régime général à près de 30 milliards de francs à la fin de l'année 2002, soit un déficit cumulé sur cinq ans approchant les 80 milliards de francs. Naturellement, si les recettes venaient à fléchir du fait d'un ralentissement de la croissance, ce déficit serait majoré d'autant, auquel cas peut-être dépasserait-on même les 100 milliards de francs.
On mesure à cette aune l'effectivité du « redressement de la sécurité sociale » dont vous vous targuez pourtant régulièrement, madame la ministre !
Il apparaît, dès lors, stupéfiant que l'assurance maladie, qui constitue la branche déficitaire par excellence, se voie néanmoins ponctionnée à un double titre pour assurer le financement des 35 heures : par les 8 milliards de francs de recettes qu'elle abandonne au FOREC et par la charge financière - 10 milliards de francs en année pleine - qu'elle va supporter au titre des emplois créés dans les hôpitaux.
On peut, certes, se targuer d'une augmentation sans précédent de la dotation globale des hôpitaux, mais celle-ci est en fait destinée à financer les 35 heures. Et, dans le même temps, on creuse le déficit de la branche maladie et de la sécurité sociale parce que le Gouvernement est incapable de trouver les moyens de financer la politique qu'il a décidé de mettre en oeuvre. C'est un peu facile de prélever dans les recettes de la sécurité sociale et d'accentuer le déficit, creusant davantage encore le trou !
La progression des dépenses d'assurance maladie intervient, de surcroît, dans un contexte de fortes tensions entre les pouvoirs publics et les professionnels de santé.
Ainsi, la régulation des soins de ville est aujourd'hui complètement dans l'impasse. L'application du mécanisme pernicieux des lettres-clés flottantes, dont l'échec est désormais patent, a mis en péril le fonctionnement du système conventionnel et fait disparaître toute véritable possibilité de régulation.
Après une année de concertation, vous avez certes dévoilé, madame le ministre, le 4 octobre dernier, treize propositions pour « la réforme des soins de ville et l'avenir de l'assurance maladie ». Ce texte, d'une portée très générale, était censé servir de base à une nouvelle concertation avec les professionnels. Mais, peut-être pressé par certains protagonistes ou par certaines échéances qui se rapprochent, le Gouvernement n'a pas attendu la mise en place de la concertation. C'est ainsi que, dès le 25 octobre, il faisait adopter par l'Assemblée nationale un article additionnel pour le moins ambitieux puisqu'il vise ni plus ni moins à « la rénovation du cadre conventionnel et du dispositif de régulation » des soins de ville !
De l'aveu même du Gouvernement, qui a qualifié ce texte d'« amendement esquisse » - je ne sais pas si c'est vous qui étiez au banc du Gouvernement à l'Assemblée nationale, madame le ministre, et c'est sans doute votre collègue M. Kouchner qui a utilisé ce terme, avec ou sans votre assentiment - de l'aveu même du Gouvernement, dis-je, le dispositif proposé reste encore à l'état d'ébauche.
Si le Gouvernement semble retenir l'idée d'une architecture conventionnelle à trois niveaux, ainsi que vous nous l'avez rappelé tout à l'heure, madame le ministre, il ne tranche ni la question du mode de régulation des dépenses ni celle des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie dans cette régulation.
Le mécanisme des lettres-clés flottantes est maintenu, même si, selon le Gouvernement, il ne s'appliquerait plus aux professionnels ayant signé une convention.
Après une année de concertation, le Gouvernement esquisse donc, dans l'improvisation la plus totale, un dispositif inachevé et incomplet et auquel s'opposent déjà une bonne partie des professionnels de santé.
Pour sa part, la commission des affaires sociales vous proposera la suppression du dispositif de régulation par les lettres-clés flottantes, cette suppression constituant à ses yeux un préalable à la reprise du dialogue avec les professionnels de santé. En effet, comment voulez-vous réunir autour d'une table des professionnels de santé pour essayer de redonner un élan ou un sang nouveau au système conventionnel si vous affirmez vouloir maintenir le dispositif de la sanction collective, si vous menacez, en cas de non-signature du système conventionnel que vous proposez, d'un retour au système des lettres-clés flottantes ?
Nous considérons, nous, qu'il faut commencer par faire disparaître une mesure qui n'a d'ailleurs pas été appliquée dans le courant de l'exercice 2001, et créer ainsi les conditions favorables à la discussion. Nous pourrons peut-être alors parler ensuite des conditions dans lesquelles pourra être mise en oeuvre la mesure proposée dans l'amendement auquel vous venez de faire allusion !
En matière de médicament, le Gouvernement semble une nouvelle fois préférer l'augmentation des prélèvements pesant sur l'industrie pharmaceutique à des actions plus structurelles visant à promouvoir le bon usage du médicament.
La forte croissance des dépenses de médicaments montre à l'évidence que la seule régulation financière par le biais des reversements acquittés par les laboratoires pharmaceutiques et des prélèvements de toute nature sur l'industrie du médicament a une efficacité tout à fait limitée.
Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport, il est regrettable que le Gouvernement ne consacre que des efforts encore insuffisants pour promouvoir le générique et le bon usage du médicament. Ainsi, le développement du générique reste encore balbutiant, les médicaments génériques ne représentant aujourd'hui que 3 % du marché des médicaments, soit une économie de 600 millions de francs seulement en 2000 pour l'assurance maladie.
La Cour des comptes relève en outre qu'aucune mesure significative en faveur du bon usage du médicament n'a en réalité été prise depuis 1998.
Une illustration assez significative de cette inaction peut être trouvée dans le fonds de promotion de l'information médicale et médico-économique, créé par l'article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Ce fonds devrait être chargé, selon le Gouvernement, de « l'information à destination des professionnels de santé indépendante de l'industrie pharmaceutique sur l'utilisation des médicaments ».
A ce jour, près d'un an après sa création, ce fonds ne fonctionne toujours pas, faute du décret d'application nécessaire dont on nous dit qu'il serait « en cours d'élaboration ».
Enfin, la situation des établissements de santé, qu'ils soient publics ou privés, reste particulièrement préoccupante.
L'hôpital public doit passer, le 1er janvier 2002, aux 35 heures sans que les moyens nécessaires à cette mutation aient été dégagés. Le Gouvernement fait valoir qu'il a choisi de créer 45 000 emplois spécifiques pour la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière. Madame le ministre l'a réaffirmé il y a quelques instants.
Je note que cette décision est sans équivalent dans la fonction publique. Dans la fonction publique d'Etat, la réduction du temps de travail devra en effet se mettre en place à moyens humains constants. Cette « générosité » du Gouvernement s'explique peut-être par le fait que les 45 000 emplois créés seront en réalité financés par l'assurance maladie et non par l'Etat.
Lors des nombreuses auditions auxquelles j'ai procédé en tant que rapporteur, j'ai pu constater que tous les acteurs du monde hospitalier s'accordaient à souligner les difficultés considérables qu'allait entraîner la mise en place de la réduction du temps de travail dans les établissements hospitaliers. Chacun se demande effectivement comment pourront s'effectuer ces recrutements massifs, alors même qu'un grand nombre de postes sont aujourd'hui vacants.
Nous n'avons pas revu suffisamment tôt le numerus clausus d'un certain nombre de promotions, aussi bien dans les écoles d'infirmières que dans les universités, à tel point que nous sommes obligés de faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère pour pourvoir des postes.
Je me suis laissé dire que des hôpitaux recrutaient des infirmières espagnoles et que nombre de médecins viennent de l'étranger. Dans le même temps, des centaines de jeunes s'inscrivent en première année d'études de médecine.
Rien que pour l'académie d'Amiens, sur les 600 à 700 jeunes qui s'inscrivent chaque année pour suivre des études de médecine, seulement 80 à 90 sont reçus, alors que les besoins ne vont cesser de s'accroître en raison des départs à la retraite de la génération du baby-boom. Nous n'avons pas préparé l'avenir. C'est particulièrement préoccupant.
Aujourd'hui, le phénomène des 35 heures aggrave la situation et la rend particulièrement désagréable et inconfortable.
En outre, les moyens financiers qui ont été dégagés n'apparaissent pas à la hauteur des enjeux.
En 2002, la part de l'ONDAM attribuée aux hôpitaux progressera de 4,8 %, dont 1,2 %, soit 3,3 milliards de francs, sera consacré au financement des créations d'emplois.
La fédération hospitalière de France, que préside notre collègue M. Gérard Larcher, avait demandé, pour sa part, que l'on compense aux établissements hospitaliers la charge supplémentaire que représente le passage aux 35 heures par la suppression de la taxe sur les salaires que ceux-ci acquittent. La taxe sur les salaires représente environ 11 milliards de francs pour les hôpitaux, soit un montant proche du coût en année pleine des créations d'emplois liées à la réduction du temps de travail. Cette solution n'a naturellement pas été retenue par le Gouvernement, puisqu'elle aurait privé l'Etat d'une recette. Son choix s'est au contraire porté sur l'augmentation des dépenses des hôpitaux, lesquelles sont financées par l'assurance maladie.
Dans ce contexte, confronté à la « grogne » d'une partie de sa majorité plurielle qui menaçait de ne pas voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a été contraint de mobiliser en urgence des moyens supplémentaires pour les établissements hospitaliers.
Se refusant à augmenter la dotation hospitalière incluse dans l'ONDAM pour 2002, il a été obligé de recourir à des expédients peu glorieux, mobilisant les différents fonds hospitaliers existants.
Ainsi, ce plan de soutien aux établissements hospitaliers sous dotation globale serait composé, selon le Gouvernement, de 3 milliards de francs de crédits supplémentaires et de 900 millions de francs « d'accélération de crédits déjà existants ».
La présentation choisie par le Gouvernement est naturellement très avantageuse et a pour objectif de « gonfler » au maximum les enveloppes ainsi dégagées.
En réalité, l'effort nouveau en faveur des hôpitaux est beaucoup plus réduit : il repose quasi-uniquement sur l'assurance maladie et ne représentera au total - je le dis à l'intention de M. Fischer et de Mme Luc - que 2,1 milliards de francs et non pas 3 milliards de francs, comme cela a été annoncé.
M. Guy Fischer. Nous allons y revenir ! Ne le dites pas à notre place. Nous le disons nous-mêmes !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous allez conforter le rapporteur, monsieur Fischer !
Le Gouvernement avait certes promis 1 milliard de francs au titre du fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO, lequel est financé sur les crédits santé du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Lors de la réunion de la commission des affaires sociales, mercredi dernier, j'avais souligné qu'il faudrait attendre le 12 novembre pour avoir une idée plus précise des crédits budgétaires effectivement dégagés au titre du FIMHO : ce fonds a en effet la particularité d'être toujours richement doté en autorisations de programme et très chichement en crédits de paiement. Dès lors, on pouvait légitimement se demander si le milliard de francs promis au titre du FIMHO figurerait en crédits de paiement ou en autorisations de programme.
La réponse est intervenue hier, puisque le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2002 majorant, dans les crédits de la santé, les autorisations de programme au titre du FIMHO de 1 milliard de francs - quelle générosité, mes chers collègues communistes ! - et les crédits de paiement de seulement 100 millions de francs, ces 100 millions de francs étant gagés par une diminution des crédits du RMI. On prend l'argent du RMI pour satisfaire une partie de la majorité plurielle et obtenir son vote à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale !
M. René-Pierre Signé. Il y a eu des créations d'emploi !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Mes chers collègues, tirez les enseignements de cet exercice de la part du gouvernement que vous soutenez !
Au total, le FIMHO disposera donc, en 2002, de 1,3 milliard de francs d'autorisations de programme et de seulement 100 millions de francs de crédits de paiement.
M. Henri de Raincourt. C'est tragique !
M. Alain Vasselle, rapporteur. J'attire à cet égard l'attention de notre commission des finances sur cette situation exceptionnelle. M. Joyandet pourra apprécier !
A l'évidence, le Gouvernement n'a pas les moyens de sa politique : il affiche 1,3 milliard de francs de crédits budgétaires pour l'hôpital, mais ne débloque effectivement que 100 millions de francs !
Les mesures nouvelles en faveur de l'hôpital se limitent donc en tout et pour tout à 2,1 milliards de francs en 2002, dont 2 milliards de francs viennent de l'assurance maladie.
J'admire l'habileté politique, c'est au moins un point que l'on peut reconnaître à ce gouvernement, puisqu'il a su convaincre le groupe communiste de l'Assemblée nationale que près de 4 milliards de francs supplémentaires avaient été dégagés. Il est clair que la multiplication des fonds, qui parcellisent le financement de la sécurité sociale, permet assez aisément de telles opérations qui reviennent in fine à comptabiliser deux fois les mêmes sommes.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n'est pas ma faute : le texte est tellement dense que je me dois d'en parler longtemps !
M. le président. Je vous prie de conclure rapidement, monsieur le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je tiens à appeler l'attention de notre assemblée sur le peu de considération du Gouvernement à l'égard de la représentation nationale, du Parlement.
Dès le lundi 29 octobre à neuf heures trente, madame le ministre, vous réunissiez les directeurs d'agences régionales de l'hospitalisation afin de décider de l'affectation dans les hôpitaux publics des dotations supplémentaires votées par l'Assemblée nationale le vendredi 26 octobre, et ce alors même que le Sénat ne s'était pas prononcé sur les dispositions en question et que l'Assemblée nationale n'avait pas encore adopté l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La commission des affaires sociales considère que la répartition impromptue de ces dotations par le Gouvernement relève d'une précipitation et d'une fébrilité qui font peu de cas du respect des droits du Parlement et des principes qui régissent nos finances publiques.
Enfin, les cliniques privées connaissent, pour leur part, des difficultés croissantes. La conjugaison d'une enveloppe moins généreuse que celle de l'hôpital public et du passage effectif aux 35 heures a profondément fragilisé ces cliniques privées.
La situation difficile que connaissent nombre d'établissements de santé privés trouve son origine dans la conjonction d'un double phénomène : d'une part, la création d'emplois, à hauteur de 7,3 % en un an, consécutive à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans les cliniques et, d'autre part, la pénurie de personnel soignant, notamment infirmier, résultant de la création d'emplois et des différentes mesures d'ordre social prises en faveur des personnels de l'hospitalisation publique, au travers des protocoles successifs.
Les cliniques redoutent que l'annonce, par le Gouvernement, de la création de 45 000 emplois à l'hôpital sur trois ans à compter du 1er janvier 2002 ne se traduise par le départ de leurs infirmières les plus expérimentées vers les établissements publics, le niveau de rémunération que les cliniques proposent au personnel soignant étant en effet inférieur de 15 % à 30 % à celui du public.
Il est vraisemblable que les hôpitaux publics ne pourront réussir à pourvoir tous les nouveaux postes.
La commission des affaires sociales avait souhaité, par conséquent, que le fonds de modernisation des cliniques privées, le FMCP, puisse disposer d'une dotation sensiblement plus élevée afin d'accompagner les restructurations qui s'imposent.
Elle a, semble-t-il, été partiellement entendue par le Gouvernement qui a annoncé, le mercredi 7 novembre au matin, à l'issue d'une négociation avec les représentants de la fonction hospitalière publique, la FHP, « un programme pluriannuel de financement » en faveur des cliniques.
La commission des affaires sociales observe, tout d'abord, que le 1,7 milliard de francs de mesures nouvelles annoncées doit être amputé de la dotation de 150 millions de francs au FMCP qui figuraient déjà à l'article 13 du projet de loi : l'effort supplémentaire ne serait en réalité que de 1,55 milliard de francs.
En outre, elle s'interroge sur l'enveloppe de 500 millions de francs accordée dans le cadre de l'accord fixant les tarifs des cliniques pour 2002 : cette somme venant en majoration de l'objectif de dépenses des cliniques privées en 2002, j'espère que le Gouvernement majorera l'ONDAM 2002 en conséquence. Nous attendons donc avec impatience le dépôt par le Gouvernement de ces amendements.
Enfin, je voudrais souligner, avant l'examen par le Sénat des nouvelles dispositions qui lui sont soumises, que bon nombre des articles votés en matière d'assurance maladie dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ne sont, de l'aveu même du Gouvernement, toujours pas appliqués, ce qui incite à examiner avec un certain détachement les mesures nouvelles qui nous sont proposées à l'occasion de ce projet de loi.
J'arrêterai là mon propos, mes chers collègues, pour satisfaire à la demande de M. le président et ne pas abuser de votre attention. J'avais encore des observations importantes à formuler sur les accidents du travail, mais j'y reviendrai plus longuement lors de la discussion des articles.
J'ai été, je le reconnais, bien long, mais il me semble, monsieur le président, que mes propos étaient nécessaires pour que l'opinion publique soit informée. J'espère que les médias sauront s'en faire l'écho pour que les Français connaissent la véritable situation de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Monsieur le rapporteur, nous avons bien compris que vous n'étiez pas d'accord avec le Gouvernement ! (Sourires.)
La parole est à M. Jean-louis Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 17 octobre dernier, comme tous les parlementaires, j'ai reçu une lettre de M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales, qui débute en ces termes : « La dernière fois que l'UNAF a décidé d'écrire à chacun d'entre vous, c'était en 1997 et 1998, lorsque le Gouvernement avait voulu supprimer l'universalité des allocations familiales en soumettant leur versement à un critère de ressources. Si l'UNAF se permet de recommencer aujourd'hui, c'est que la gravité de la situation l'exige. »
Ainsi, le Gouvernement s'apprête à terminer la présente législature comme il l'a entamée, en pénalisant les familles.
A l'occasion de l'examen d'un projet de loi qui s'inscrit, par sa philosophie, dans la droite ligne des précédents et pour comprendre la gravité de la situation dont fait état l'UNAF, un bilan de la politique familiale menée par ce Gouvernement s'imposait.
Avant d'en venir aux mesures spécifiques du présent projet de loi, il convient donc de retracer l'évolution des moyens de la politique familiale qui sont aujourd'hui en cause.
Nous constatons, en premier lieu, l'évolution satisfaisante des ressources de la CNAF.
Les ressources, composées des cotisations sociales et des impositions affectées, ont globalement augmenté plus rapidement que la croissance. De 1998 à 2002, ces ressources ont progressé de 0,05 point de PIB, ce qui représente, en 2002, 4,7 milliards de francs supplémentaires.
Dans cette tendance globale, il convient de distinguer l'évolution des cotisations de celle des recettes fiscales affectées à la CNAF. Les premières croissent fortement alors que les secondes stagnent en apparence.
Cette stabilité n'est due, en réalité, qu'à un seul facteur : environ 10 % des recettes fiscales de la branche famille ont été affectés à d'autres usages.
L'évolution des recettes à un rythme supérieur à la croissance a procuré un surplus de ressources d'environ 16 milliards de francs.
Face à cette augmentation, les prestations familiales affichent une forte décélération, même si l'évolution des trois secteurs - les prestations familiales légales, les aides au logement et l'action sociale - recouvre des réalités différentes.
Si l'on neutralise l'effet de la débudgétisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, le poste des prestations familiales ne peut plus masquer son déclin.
En effet, ces prestations ont régressé entre 1998 et 2002 de 0,1 point de PIB, ce qui représente une économie de 31 milliards de francs, simplement du fait d'une indexation sur l'inflation.
Bien sûr, certaines évolutions doivent être saluées, telles que la croissance des dépenses pour l'emploi d'une assistante maternelle, mais elles sont le plus souvent la contrepartie de mesures pénalisantes pour les familles.
Dans le même temps, les allocations de logement ont augmenté un peu plus vite que le PIB. La réforme des modes de calculs engagée par le Gouvernement explique partiellement cette évolution.
Grâce aux dotations décidées en 2001 et 2002, notamment à l'occasion des conventions d'objectifs et de gestion, pour accompagner les coûts de fonctionnement générés par les fonds d'investissement pour la petite enfance, le budget du fonds national d'action sociale a augmenté plus fortement que la croissance.
Sur cette évolution, il convient de formuler deux observations.
En premier lieu, les poids respectifs des trois secteurs - prestations familiales, aides au logement et action sociale - sont très dissemblables, puisqu'ils représentent respectivement 73 %, 20 % et 7 % des dépenses de la branche, hors transferts.
Du fait de leur poids respectif, la forte décélération des prestations familiales n'est pas, loin s'en faut, compensée par la bonne tenue des aides au logement et de l'action sociale. Tout au plus, par des dépenses nouvelles, ces deux derniers postes ramènent-ils le montant global de l'économie sur les prestations de 31 milliards à 24 milliards de francs.
En second lieu, il faut noter que l'effort a porté sur les prestations - notamment sur les aides au logement - dont le bénéfice est soumis aux conditions de ressources les plus restrictives.
Alors ministre de l'emploi et de la solidarité, Mme Aubry avait affirmé ici même, le 4 novembre 1997, que la politique familiale reposait sur « la solidarité nationale ». L'assimilation de la politique familiale à une politique de solidarité fait glisser cette dernière - la tendance des prestations le confirme - d'un effort de la nation en faveur de l'ensemble des familles vers une politique d'aide sociale destinée essentiellement aux plus modestes.
Avec des recettes supplémentaires à hauteur de 16 milliards de francs et une baisse des dépenses de 24 milliards de francs, la déformation du poids de la politique familiale dans la richesse intérieure a entraîné, en cinq ans, un excédent de 40 milliards de francs.
Peu dynamiques, les dépenses d'allocation vieillesse des parents au foyer et les cotisations d'assurances personnelles ont permis à la branche de réaliser une économie d'une douzaine de milliards de francs, qui s'est ajoutée aux 40 milliards de francs déjà cités et à l'excédent de 11 milliards de francs dont bénéficiait, au départ, la branche en 1998. L'excédent cumulé de la branche sur la période 1998-2002 devrait donc s'élever à 64 milliards de francs.
J'ouvre ici une parenthèse. Le Gouvernement ne cesse de répéter qu'il a rétabli les finances de la branche. Celle-ci faisait en effet face à une dette cumulée et à un déficit en 1997. Or la dette a été transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES. Ce sont donc les générations suivantes qui la paieront. Quant au déficit, le Gouvernement a pris des décisions qui ont fortement pénalisé les familles.
A posteriori , ces décisions étaient injustes et inutiles au regard de l'excédent structurel de la branche, qui s'est réformé dès 1999. En revanche, ces mesures étaient nécessaires afin que le Gouvernement dégage des marges de manoeuvre pour financer ses autres politiques, notamment les 35 heures.
La CNAF affiche aujourd'hui un excédent cumulé d'un peu plus de 19 milliards de francs. Si l'on y ajoute les excédents prévisionnels pour 2001 et 2002 nets des mesures nouvelles prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le montant des excédents cumulés disponibles s'élève, fin 2002, à environ 29 milliards de francs, et non à 64 milliards, ce qui aurait été l'excédent naturel de la branche. Cet écart de plus de 35 milliards de francs s'explique parfaitement.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes nomme pudiquement « reclassement financier » les prélèvements qui ont permis au Gouvernement de réaffecter les moyens financiers initialement dévolus à la politique familiale.
Ces reclassements financiers sont maintenant bien connus. Il s'agit de l'effet négatif lié à la débudgétisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, la MARS, qui coûte, sur la période 2000-2002, plus de 15 milliards de francs ; de l'annulation des créances du FOREC, d'un montant de 2,8 milliards de francs, et des majorations de pensions pour enfants, qui se traduisent, sur cette période, par un transfert supérieur à 9 milliards de francs, soit au total, 27 milliards de francs.
Outre ces reclassements, la branche famille doit consacrer 5 milliards de francs supplémentaires au fonds de réserve pour les retraites. Sur le total de 64 milliards de francs, 27 milliards auront été siphonnés au cours des exercices, 5 milliards versés au fonds de réserve pour les retraites et 3 milliards de francs auront été consacrés aux familles par l'intermédiaire du fonds d'investissement pour la petite enfance.
Il resterait donc 29 milliards de francs à la fin de l'année prochaine, sous réserve que le cadrage macroéconomique du Gouvernement se réalise. En cas d'écart, le niveau des excédents tombera d'autant, alors que les dépenses, qui sont certaines, demeureront stables.
A la lecture du présent projet de loi, découvrant l'article 29 relatif au transfert d'une partie des excédents de la branche au fonds de réserve pour les retraites, M. Hubert Brin a parlé d'une « agression contre les familles ». Doit-on aller jusque-là ? Ce terme fort révèle le caractère profond du projet : l'arbre des annonces en faveur des familles cache en fait la forêt des prélèvements affectant la CNAF.
Les dépenses en faveur des familles prévues par le présent projet de loi de financement s'inscrivent dans la ligne des annonces de la conférence de la famille et approchent les 4 milliards de francs.
Fortement emblématique, le congé de paternité est une avancée à saluer, quoique modeste, vers un dispositif répandu dans les pays nordiques. Pourtant, ni la culture des entreprises encourageant ces congés ni la souplesse infiniment supérieure des congés suédois ou danois ne permettent de leur comparer le congé de onze jours, neuf jours ouvrables en réalité, proposé par le Gouvernement. En conséquence, l'impact prévisionnel de la mesure, qui est estimée à 700 millions de francs, calée sur les statistiques scandinaves, semble assez irréaliste.
A côté du congé de paternité, il est prévu, dans le projet, l'inscription d'une seconde tranche de 1,5 milliard de francs au fonds d'investissement pour la petite enfance.
Prévue à hauteur de 1 milliard de francs par la conférence de la famille, cette nouvelle enveloppe a dû être majorée. En effet, avant même son annonce, la moitié des crédits était déjà engagée au titre des insuffisances de la première tranche.
Pour utile qu'il soit, il faut le reconnaître, ce dispositif n'est pas exempt de critiques. Réputé exceptionnel, il a dû, en révélant brutalement les carences de l'accueil de la petite enfance, être pérennisé, ce que nous considérons comme une bonne chose.
Abondé par un mécanisme de reprise sur excédent, il donne lieu à des acrobaties comptables, dont la plus regrettable est de faire disparaître de l'agrégat de dépenses de la branche une charge pourtant engagée sur l'exercice.
Enfin, à côté d'environ 300 millions de francs de mesures diverses, le projet de loi prévoit une dotation au fonds d'action sociale de 1,6 milliard de francs, due essentiellement à la signature de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion et aux besoins, en termes d'accompagnement, des structures de la petite enfance créées nouvellement.
A l'envers de cette face plutôt heureuse, si l'on peut dire, se trouve l'abîme des ponctions creusées par le Gouvernement : 5 milliards de francs pour le fonds de réserve pour les retraites, plus de 6 milliards de francs pour les majorations de pensions pour enfants, 3 milliards de francs au titre des créances du FOREC. Nul ne peut nier ce constat : le projet de loi de financement prévoit, pour la branche famille, la perte de 14 milliards de francs.
Devant ces contributions qui nous semblent inacceptables, les associations familiales se sont émues auprès du Gouvernement. Or, contrairement aux précisions que vous avez apportées lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, il semble que la concertation n'ait jamais eu vraiment lieu.
Dans la lettre adressée à tous les parlementaires par M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, il est clairement écrit que « le Gouvernement utilise les excédents de manière totalement unilatérale ».
Pourtant, les familles ont besoin de tous les moyens financiers de la politique familiale. En effet, le renouveau démographique appelle un accompagnement.
A ce propos, je voudrais faire une seconde parenthèse. Contrairement à ce qui a été souvent dit, la reprise de la natalité en France date de 1995. Les années 2000 et 2001 marquent des pics dans une tendance plus générale.
Si l'effet d'une politique familiale devait être souligné, il s'agirait davantage des effets de la loi « famille », votée en juillet 1994.
M. Jean Chérioux. Oh oui !
M. Gilbert Chabroux. Financée à crédit !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Concernant le pic de l'an 2000, il est difficile de le mettre au crédit de la politique gouvernementale, puisque les mesures prises, notamment en faveur de la petite enfance, ne sont entrées en vigueur qu'en 2001. Pour être de bonne foi, il convient donc d'être prudent. Sans doute le facteur décisif est la confiance qu'ont les familles en l'avenir, même si l'effet de la politique familiale ne saurait être négligé.
Après avoir joué le rôle de frein en période de baisse tendancielle de la fécondité, une fois celle-ci retournée à la hausse, la politique familiale est sans nul doute appelée à jouer un effet accélérateur.
A côté de la question démographique, le chantier de la situation des jeunes adultes demeure grand ouvert.
En cinq ans, le Gouvernement s'est contenté de mettre en oeuvre, non sans les critiquer, les dispositions prévues par le loi « famille » de 1994, à savoir l'allongement de l'âge ouvrant droit aux allocations familiales et quelques mesures améliorant les conditions d'accès au logement.
Puis, d'une conférence de la famille à l'autre, l'espoir fut entretenu. Le 11 juin dernier, le verdict est tombé, à savoir la création solennelle, par voie législative, d'une commission chargée de réaliser un nouveau diagnostic.
Puisque, à l'instar de la question des retraites, l'effort du Gouvernement en faveur des jeunes adultes se cantonne à la constitution d'une documentation imposante, je voudrais, a contrario , rendre hommage à l'action utile et ciblée de l'action sociale des caisses d'allocations familiales, qui, avec 350 millions de francs, n'est néanmoins pas à la hauteur des attentes exprimées.
En conséquence, pour ceux qui estiment, avec le Président de la République, que « les familles ne peuvent pas tout faire toutes seules » et que « la France ne peut se résigner à voir les moyens de sa politique familiale se réduire », force est de constater que le présent projet de loi n'est pas de très bon augure. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc, rapporteur.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nouveau rapporteur pour l'assurance vieillesse, permettez-moi, en début de propos, de vous dire tout l'honneur qui m'est fait de succéder à M. Alain Vasselle, rapporteur à cinq reprises pour cette branche de la sécurité sociale, dont les analyses m'ont été très utiles. Compte tenu de l'inaction du Gouvernement en la matière, elles restent d'ailleurs parfaitement d'actualité.
M. Alain Dufaut. C'est un bon début !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je souhaite tout d'abord insister sur le caractère fragile de l'équilibre financier de la branche vieillesse.
L'objectif de dépenses de la branche vieillesse veuvage pour 2002, prévu à l'article 30 du projet de loi, s'élève à 893 milliards de francs, en progression de 4 % par rapport à l'année 2001.
La branche vieillesse parvient tout juste à l'équilibre. Je vous renvoie à mon rapport écrit, dans lequel je me suis attaché à comparer les recettes et les dépenses de l'ensemble des régimes de base d'assurance vieillesse.
Madame la ministre, je veux revenir sur votre propos relatif au déficit de cinq milliards de francs de la branche vieillesse en 1997, argument que le Gouvernement utilise souvent, et dernièrement encore le 23 octobre à l'Assemblée nationale lors de l'examen de ce projet de loi. Sachez que cet argument est fallacieux, comme je l'ai écrit dans mon rapport et je m'en explique.
En fait, le Gouvernement compare deux soldes comptables de nature fort différente, puisque, à partir du 1er janvier 1998, est entré en vigueur le système Racine, qui ventile à la source, au niveau des URSSAF, les recettes de la sécurité sociale, à l'inverse du mécanisme précédent, qui les répartissait au niveau national, selon une méthode « statistico-comptable ».
Cette modification introduit une rupture dans la série des encaissements recensés, ce qui rend non significatives les évolutions entre 1997 et 1998 et difficile la compréhension du niveau même de ces encaissements.
Le système Racine a profondément modifié la répartition des encaissements entre les branches du régime général. Cette modification, défavorable à la branche maladie, a été au contraire très favorable à la branche vieillesse, qui a bénéficié en 1998, à ce titre, d'un surcroît de recettes de 5,22 milliards de francs.
Cela revient à dire que la branche vieillesse du régime général était probablement à l'équilibre en 1997. Le Gouvernement utilise donc un argument peu scrupuleux.
Si l'on s'en tient au seul régime général, dont la part ne représente jamais que 46 % du total, il est aisé de se rendre compte que l'excédent de 3,3 milliards de francs de la CNAV prévu pour 2000 se transforme, comme l'a expliqué M. Vasselle, en un déficit de plus de 1,3 milliard de francs du fait de la « dette FOREC ». La conséquence de l'article 5 du projet de loi est bien d'annuler le versement de cet excédent au fonds de réserve.
Le solde tendanciel de la CNAV serait, en 2001, de 6,4 milliards de francs. Quant à 2002, ce solde tendanciel devait être de 9,8 milliards de francs, mais compte tenu des différentes mesures du projet de loi, il s'établirait à 6,7 milliards de francs. Le rapporteur pour les équilibres financiers généraux vient d'insister sur « l'optimisme » des prévisions macro-économiques ; je n'y reviens donc pas.
Le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, a connu, depuis 2000, un bouleversement de son financement et de ses missions. Désormais, le FSV est structurellement déficitaire, compte tenu de l'affecation au FOREC des droits sur les boissons, de la diminution du taux de CSG qui lui est affecté et de la prise en charge de la dette de l'Etat à l'égard des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO, l'Association générale des institutions de retraites des cadres et l'Association des régimes de retraites complémentaires.
Son compte est aujourd'hui maintenu à flot en raison de trois nouvelles recettes : d'abord, les versements de la branche famille, qui représentent 3,1 milliards de francs en 2001, puis 6 milliards de francs en 2002 ; ensuite, les ponctions sur le compte de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, dont le solde avait été initialement affecté au FSV pour alimenter le fonds de réserve - ces ponctions représentent un montant de plus de 12 milliards de francs sur les exercices 2000 à 2002 cumulés ; enfin, les ponctions sur son fonds de roulement, c'est-à-dire ses excédents cumulés, qui était censé alimenter également le Fonds de réserve pour les retraites.
En définitive, alors que la branche vieillesse bénéficie aujourd'hui d'une situation démographique exceptionnelle compte tenu de l'arrivée à la retraite des « classes creuses » nées lors de la Seconde Guerre mondiale, et d'une progression dynamique de ses recettes en raison de la croissance économique, elle n'a pas pu préparer l'avenir. Le montant total des sommes qu'elle a « mis de côté », par l'intermédiaire du fonds de réserve, sont de 6,9 milliards de francs, soit un peu plus de 1 milliard d'euros. Ce résultat se passe de commentaires !
Je voudrais désormais revenir sur le dossier de la réforme des retraites, tel qu'il a été conduit, et enterré, par le Gouvernement.
La méthode « diagnostic, dialogue, décision » a connu ici un échec cuisant.
M. Claude Domeizel. C'est vous qui le dites !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Non, ce sont les Français, malheureusement !
Après avoir annoncé, à l'automne 1999, des « décisions » du Premier ministre et parce que ces « décisions » se sont transformées en « orientations », il a fallu se résoudre à créer une commission, le Conseil d'orientation des retraites, le COR. Dès lors, le discours tourne en boucle : la concertation des années 2000-2001 succède à la concertation des années 1998-1999.
M. Claude Domeizel. Et vous, qu'avez-vous fait ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Certes, chacun s'accorde sur la qualité des travaux réalisés par le Conseil d'orientation des retraites. Il convient de rappeler toutefois que le MEDEF n'a pas souhaité désigner de représentants, ce qui facilite naturellement, vous le comprendrez, la convergence des analyses.
Le COR a fait connaître, le 17 mai dernier, de nouvelles projections qui conforment largement le constat établi par le rapport Charpin. Le déficit de la seule CNAVTS, pour l'année 2020, s'élève ainsi à 71,6 milliards de francs. Toujours pour la seule année 2020, le déficit des régimes de base s'élève à plus de 380 milliards de francs, soit plus du tiers des encours annoncés du fonds de réserve.
Le Gouvernement avait annoncé, l'an dernier, qu'il prendrait des décisions sur la base des propositions du COR. Du reste, le rôle que doit jouer cet organisme reste flou : s'agit-il de poser un diagnostic, d'engager un dialogue ou d'élaborer des décisions ? Le rapport annexé au projet de loi utilise l'expression « diagnostic partagé ». Or cette expression était déjà employée dans la lettre adressée à Jean-Michel Charpin par le Premier ministre en date du 29 mai 1998.
Les conséquences de la création du conseil sont là : la réforme est désormais renvoyée au lendemain des élections législatives. Un sondage rendu public en septembre dernier, montrant l'attente des Français, est pourtant particulièrement instructif. Le Gouvernement a visiblement choisi de privilégier les 8 % de Français qui jugent ce dossier peu urgent.
Faute de présenter une réforme, le Gouvernement explique désormais qu'il a préparé la réforme. Vous avez annoncé devant l'Assemblée nationale, madame la ministre, un véritable calendrier : remise du premier rapport du COR en décembre, qui devrait, d'une part, faire état d'une convergence des analyses et, d'autre part, avancer des propositions ; deuxièmement, travaux complémentaires effectués « dans la concertation » sur les avantages familiaux dans la retraite et sur la prise en compte du handicap ; choix à faire « tout de suite après les échéances électorales ».
En somme, la présente législature risque, s'agissant des retraites, de se conclure par une seule véritable mesure : l'abrogation de la loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite, dite « loi Thomas ». Le Gouvernement justifie cette abrogation par « la volonté d'assurer en priorité la pérennité des régimes de retraite par répartition ». Le financement des retraites de demain est-il assuré grâce à cette abrogation ? Je ne le crois pas !
Compte tenu de l'inaction gouvernementale, l'analyse du projet de loi n'appelle pas de longs commentaires en dehors du cas particulier du fonds de réserve.
L'article 26 procède, une nouvelle fois, à une revalorisation des pensions par le biais d'un « coup de pouce ». Cette politique nuit profondément à la lisibilité de l'action publique.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. La revalorisation est sans nul doute économiquement possible aujourd'hui. D'aucuns trouveront d'ailleurs cette revalorisation insuffisante.
Mais, dans la logique même défendue par le Gouvernement, la commission des affaires sociale observe que tout « coup de pouce » aux retraites d'aujourd'hui réduit d'autant les sommes mises en réserve pour garantir l'avenir des retraites, puisque les excédents de la CNAV sont censés alimenter le fonds de réserve. Le coût cumulé des revalorisations de 2000, 2001, 2002 sur les comptes du seul régime général serait de 41 milliards de francs en 2010. En conséquence, l'effet des revalorisations, à cette même date, est bien de priver le fonds de réserve de cette somme.
En réalité, il est temps d'assurer, par un mécanisme pérenne, une garantie aux retraités, qui se voient chaque année soumis, pour la revalorisation de leur pension, à l'arbitraire des décisions gouvernementales.
Alors que le principe de la création du fonds de réserve a fait l'objet d'un relatif consensus et qu'il avait suscité un réel espoir chez les Français, les vicissitudes de son financement risquent d'avoir une conséquence dommageable : une perte supplémentaire de crédibilité de l'action publique.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est vrai !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je rappelle que Alain Vasselle a effectué, le 8 mars 2001, une mission de contrôle sur pièces et sur place, dont le résultat a été riche d'enseignements. Compte tenu des « ponctions » opérées sur le Fonds de solidarité vieillesse, et du démarrage poussif du fonds de réserve, la commission des affaires sociales mettait en doute le chiffre mythique des 1 000 milliards de francs. Ce diagnostic a été, depuis, confirmé. Les recettes provenant des excédents du FSV et de la C3S, censées constituer la principale recette du fonds, se résument aujourd'hui au versement de 1,9 milliard de francs au fonds de réserve correspondant à l'excédant du FSV pour l'exercice 2000, intervenu le 10 octobre 2001, et au versement de 2 milliards de francs d'excédents de la C3S, intervenu le 23 octobre 1999.
La somme ainsi obtenue - 3,88 milliards de francs - apparaît bien mince au regard des 650 milliards de francs, à l'horizon 2020, annoncés par le Gouvernement, le 2 mai dernier, au Conseil d'orientation des retraites.
En réalité, il faudra attendre 2005 et la montée en charge des versements de la branche famille pour que le FSV soit à nouveau dans une situation structurellement excédentaire et à même de verser des excédents au fonds de réserve.
Les gouvernements des années 2005-2020 devront ainsi verser un montant de 646 milliards de francs, soit une moyenne annuelle de 43 milliards de francs, pour « tenir » le plan de financement annoncé par le gouvernement de Lionel Jospin. Autant dire qu'un tel objectif tient désormais de la gageure.
La commission des affaires sociales constate que les mesures, votées en urgence, de la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel relatives au fonds de réserve ne font toujours pas l'objet d'un début d'application.
Dès sa première année d'existence en 2000, le fonds de réserve connaît un retard d'abondement de l'ordre de 2,5 milliards de francs sur les 23,2 milliards de francs espérés.
Devant la défaillance du Fonds de solidarité vieillesse, sollicité pour financer les trente-cinq heures, le Gouvernement avait décidé de compenser cette « perte » par l'affectation du produit d'une fraction des licences UMTS. Après avoir espéré 18,5 milliards de francs, puis 9,25 milliards de francs, le fonds de réserve ne bénéficiera plus que de 8,1 milliards de francs en 2001.
Au total, le fonds de réserve ne devrait disposer pour 2001 que de 42 milliards de francs, alors que 55 milliards de francs étaient prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Encore convient-il de noter que les versements s'effectuent, pour la grande majorité d'entre eux, en fin d'année, voire au début de l'année suivante. Au 31 octobre 2001, le fonds de réserve ne comptait « en caisse » que 25,3 milliards de francs. Pour 2002, le Gouvernement recourt à quelques artifices pour gonfler les recettes de ce fonds.
L'article 28 du projet de loi prévoit d'augmenter ses ressources pérennes : la part du prélèvement social de 2 % est portée de 50 à 65 %. Cette disposition relève de l'affichage, puisque ce pourcentage supplémentaire de 15 % faisait partie des recettes de la CNAVTS déjà affectées, par la voie de ses excédents, au fonds de réserve.
L'article 29 du projet de loi affecte au fonds 5 milliards de francs d'excédents de la branche famille en 2000. Comme l'a souligné M. Lorrain, rapporteur, c'est dire le respect porté par le Gouvernement au principe de la séparation des branches de la sécurité sociale.
L'article 17 du projet de loi de finances pour 2002 affecte intégralement au fonds de réserve les recettes de redevances domaniales liées à l'exploitation des réseaux de téléphonie mobile. Etaient initialement prévus 16,24 milliards de francs : le résultat serait désormais d'un peu plus de 8 milliards de francs. Cet article a dû être complété par l'article 17 ter nouveau, qui prévoit de nouvelles ventes par l'Etat de titres, de parts ou de droits de sociétés, dont un montant plafonné à 8,13 milliards de francs sera affecté au Fonds de réserve pour les retraites.
Le montant annoncé de 85 milliards de francs pour le 31 décembre repose ainsi sur trois conditions...
M. Claude Domeizel. Il n'y en a qu'une : que vous ne reveniez plus au pouvoir !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. ... premièrement, l'existence d'un excédent de la CNAV en 2001 de 6,4 milliards de francs, la dégradation de la situation économique pouvant affecter fortement ce solde ; deuxièmement, la participation de deux nouveaux candidats au processus d'attribution des licences UMTS ; troisièmement, l'effectivité d'une recette de privatisation de 8 milliards de francs.
Malheureusement, l'expérience de 2001 devrait tenir lieu de leçon : le montant annoncé de 85 milliards de francs pour fin 2002 n'apparaît pas crédible.
Je souhaiterais terminer cette intervention par quelques réflexions sur le contenu d'une réforme des retraites en France, réforme d'autant plus nécessaire qu'elle a été retardée.
Une réforme des retraites pourrait s'inspirer, en France, des expériences étrangères. L'exemple allemand, que j'analyse plus amplement dans mon rapport écrit, montre qu'à côté d'une réforme du régime de base permettant d'assurer une lisibilité aux retraités et une viabilité financière du système, des fonds de pension sont mis en place sur l'initiative des entreprises, tandis qu'est encouragé le développement de retraites individuelles par capitalisation. Mais il n'est pas toujours besoin d'évoquer l'étranger.
Nous disposons en France d'un « socle » pour mener à bien une réforme des retraites. Ce socle a été défini non pas par le Conseil d'orientation des retraites, mais par les partenaires sociaux, le 10 février 2001. L'accord portant sur les régimes de retraite complémentaire, arraché dans la douleur, comprend un important premier volet consacré à la réforme des régimes de base, dont le texte peut faire l'objet d'un consensus.
La conduite de la réforme des retraites en Allemagne comme la déclaration des partenaires sociaux montrent que la question du taux de remplacement et de sa garantie dans les années à venir est fondamentale.
La seconde question fondamentale est celle de l'équité entre les régimes. Si l'on se fie au sondage précité, l'opinion publique, toutes tendances politiques confondues, est largement « mûre » pour un alignement des conditions de départ à la retraite des salariés du secteur public, ce qui ne peut que nourrir des regrets, compte tenu de l'inaction du Gouvernement, depuis 1997, sur cette question.
Ces deux questions - taux de remplacement et équité entre les régimes - montrent que les régimes publics sont concernés au premier chef, le régime général ayant fait l'objet d'une réforme courageuse en 1993.
Les projections financières ne font que confirmer ce constat. Ainsi, en 2020, les deux tiers du besoin de financement global du régime de base - hors régimes complémentaires - seraient imputables aux régimes du secteur public.
Enfin, toutes les réformes menées à l'étranger montrent combien il est important pour chacun de prévoir la possibilité de compléter sa pension issue du mécanisme de répartition par une rente ou un capital représentant ses efforts d'épargne.
En opposant capitalisation et répartition, en faisant croire que l'ancienne majorité avait souhaité remplacer l'une par l'autre, alors que la capitalisation ne peut intervenir que sous la forme d'un complément utile, le Gouvernement porte une lourde responsabilité.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les observations que je souhaitais faire en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Mes premiers mots, madame la ministre, seront pour vous dire notre plaisir de vous voir, ici, en séance,...
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. ... plaisir qui vous laisse imaginer notre déception de ne pas vous avoir entendue en commission des finances, mardi dernier !
M. Jacques Oudin. C'est vrai !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Nous ne pouvons donc qu'attendre avec impatience l'occasion de débattre avec vous de votre budget, celui du ministère de l'emploi et de la solidarité, le vendredi 7 décembre prochain.
Si donc notre commission a particulièrement peu apprécié votre absence lors de la réunion que j'évoquais à l'instant, je tiens à vous remercier, en contrepoint, des réponses complètes et intéressantes que vos services ont faites au questionnaire que je vous ai adressé. Cela étant, je regrette avec mes collègues les propos que vous avez tenus au début de votre intervention. Il n'est pas habituel, en effet, qu'un ministre s'exprimant à la tribune de la Haute Assemblée se montre aussi dur à l'égard d'un rapporteur, en l'occurrence un rapporteur dont nous apprécions la très grande qualité. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centristes et des Républicains et Indépendants.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le pauvre ! Plaignez-le ! Il s'en remettra !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Pour en revenir au questionnaire, je constate que, tous les ans, mon prédécesseur, M. Jacques Oudin, dont les analyses restent d'ailleurs tout à fait d'actualité, vous demandait ces réponses : vous avez bien voulu nous les apporter et nous vous en remercions.
Nous examinons ce soir le sixième projet de loi de financement de la sécurité sociale. Qu'il me soit permis de rappeler l'apport historique que constitue la création de ce dispositif sur l'initiative du Président de la République et du gouvernement dirigé par M. Alain Juppé.
M. Louis Grillot. Très bien !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Il s'agit de l'élément central de la réforme entreprise cinquante ans après les ordonnances fondatrices de 1945.
Je m'étonne, au passage, de constater que le dispositif Juppé, dont on nous dit qu'il est si mauvais, n'a pas été modifié depuis quatre ans et qu'il est, aujourd'hui encore, partiquement inchangé.
M. Charles Guené. Très bien !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Cette réforme a donné un souffle nouveau à la sécurité sociale, l'a confortée comme le premier des services publics de France, comme un élément essentiel de notre identité et de notre patrimoine, comme la preuve concrète de l'idée de solidarité dans notre pays.
La création des lois de financement avait pour objet de permettre à la représentation nationale, celle qui exprime l'opinion du peuple français, d'examiner les recettes et les dépenses des organismes de base de la sécurité sociale et de discuter de leur utilisation.
La loi de financement, clef de voûte de la légitimité de la sécurité sociale, devait garantir la transparence du débat. Après cinq exercices, il est légitime de se demander, madame la ministre, ce qui a été fait de cette ambition.
Afin de répondre à cette question, je passerai rapidement en revue tout le champ de la sécurité sociale, en distinguant les besoins et les attentes des réalisations.
La retraite constitue la première préoccupation des Français, comme l'a fort justement rappelé tout à l'heure M. Leclerc. Neuf Français sur dix réclament, d'après les études, une réforme de notre système de retraite. Le Gouvernement ne répond toujours pas à cette demande.
Cette inaction repose sur deux piliers : le fonds de réserve des retraites et la politique des rapports.
Le fonds de réserve pour les retraites aurait pu constituer une chance extraordinaire de faciliter la réforme des régimes de retraite, s'il avait été effectivement constitué à hauteur des engagements du Gouvernement. Cependant, les promesses n'engageant que ceux qui les écoutent,...
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pour vous, pas pour nous !
M. Alain Joyandet, rapporteur. Surtout pour vous, madame la ministre, si j'en juge aux chiffres que la commission des finances a examinés !
Donc, si les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent, les différentes sources d'abondement ont été taries les unes après les autres au profit de questions plus urgentes que les retraites, les 35 heures ou le déficit budgétaire de l'Etat, pour ne citer que celles-là.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, non !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Parallèlement, décidé à parfaire sa connaissance du sujet, le Gouvernement a souhaité mener une politique déterminée, voire ambitieuse, de publications sur le thème des retraites. De rapports en études, de concertation en concertation plus approfondie, de réunions en colloques, le Gouvernement fait de la France le premier pays producteur européen... de rapports sur le sujet ! (M. Vasselle, rapporteur, s'esclaffe.) Il est vrai que la concurrence s'étiole, puisque plusieurs de nos voisins sont passés dans la division supérieure, celle des réformes ; je citerai l'Italie, la Suède, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, qui se sont attaqués au problème.
Ainsi, avec une belle constance, le fonds reste à la recherche de ses réserves, les rapports, à la recherche des solutions et les retraites, à la recherche de leur réforme ! Quant aux Français, ils attendent, un peu inquiets.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien !
M. Jacques Oudin. En effet !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. La santé constitue une priorité nationale, au même titre que l'emploi et la sécurité.
Madame la ministre, il serait illusoire de croire que, sur le long terme, notre pays sera un jour en mesure d'inverser la tendance à la hausse des dépenses. Des besoins nouveaux apparaissent sans cesse. Qui peut dire que nos hôpitaux sont trop riches ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faut vous mettre d'accord avec M. Vasselle ! Il dit l'inverse !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Qui peut dire que nos cliniques sont trop rentables, que la prise en charge du cancer mobilise trop d'argent, que les équipements dentaires ou optiques sont trop bien remboursés ?
Parallèlement, des paramètres de fond interviennent qui rendent les dépenses d'assurance maladie structurellement dynamiques. Le vieillissement de la population, mais aussi les innovations thérapeutiques et l'attente de nos concitoyens contribuent ainsi à cette tendance de fond.
Est-ce à dire, cependant, que la part des dépenses de santé dans la richesse nationale doit augmenter de manière indéfinie et, avec elle, les impôts et les cotisations prélevés sur les Français ? Je ne le crois pas.
Personne ne peut affirmer que les 800 milliards de francs consacrés par la collectivité à l'assurance maladie sont aujourd'hui bien employés. Personne ne peut nier que des inégalités régionales persistent, que des structures peu efficientes sont privilégiées par rapport aux structures les moins coûteuses, que la consommation de médicaments en France est la plus importante d'Europe.
Pour que leur protection sociale progresse autant que les Français l'escomptent, il faudra donc bien apprendre à réfléchir à des priorités, à adapter notre système d'allocation des ressources, à dépenser selon nos choix plutôt que selon nos habitudes.
Il nous faut du volontarisme, madame la ministre. Or, vous ne nous avez offert, depuis cinq ans, que de l'immobilisme. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Domeizel. Mais non !
M. Guy Fischer. Vous êtes caricatural !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Ce n'est pas moi qui le dis ; ce sont les Français qui sont unanimes sur le sujet.
M. Claude Domeizel. Les Français ? C'est à vous qu'ils ont dit ce qu'ils pensaient de vous !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. La famille n'est ni une inquiétude comme les retraites ni une priorité comme la santé ; elle est le coeur vivant de notre société. La branche « famille » de notre sécurité sociale doit en être l'expression. Elle doit permettre, à partir des efforts consentis par les cotisants et les contribuables, de soutenir le projet familial de chacun.
La branche « famille » symbolise l'effort de la nation pour sa cellule de base. Le Gouvernement en a fait une tirelire, la tirelire de sa politique des 35 heures.
M. Claude Domeizel. C'est faux !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Comment justifier, madame la ministre, que les excédents de la branche « famille » financent les 35 heures ?
M. Claude Domeizel. Mais non !
M. Gilbert Chabroux. N'importe quoi !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Comment justifier qu'ils viennent au secours du fonds de solidarité vieillesse, lui-même ponctionné pour cette politique de gribouille ?
M. Claude Domeizel. C'est faux !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Comment justifier que seulement le sixième de l'excédent de la branche en 2000 revienne aux familles ?
Est-ce à dire que nous préférons, pour boucher les trous creusés par les décisions politiques d'aujourd'hui, laisser partir à vau-l'eau la politique familiale ? A quand l'annonce par le Gouvernement de la diminution des allocations familiales pour financer les 35 heures, à l'hôpital public, par exemple ? (Protestations sur les travées socialistes.) Ce n'est ni notre conception de la famille ni notre idée de la manière dont elle doit être aidée.
M. Claude Domeizel. On la connaît, votre conception de la famille !
M. Guy Fischer. Et votre politique en la matière a échoué !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Les accidents du travail, autre sujet, intéressent bien peu les commentateurs. Je m'y arrêterai pourtant quelques instants, car j'ai la conviction que cette branche connaît une situation bien plus difficile que ces excédents actuels ne le laissent paraître.
L'actualité de la branche « accidents du travail », c'est d'abord l'indemnisation de l'amiante. Le coût humain de ce drame apparaît d'ores et déjà considérable. Il se lit notamment dans les statistiques terribles des personnes décédées de cancers ou d'autres maladies directement liées à l'amiante.
Devant cette douleur humaine dont elle est en partie responsable, la société ne peut rester silencieuse. La mise en place de préretraites « amiante » et du fonds d'indemnisation des victimes apportera un soutien financier aux victimes et à leur famille et symbolisera la réparation d'un préjudice qui, malheureusement, s'évalue davantage en douleurs humaines qu'en compensations pécuniaires.
La branche « accidents du travail » prend naturellement en charge une grande partie de ces compensations. L'effort de l'Etat est annoncé, sans cesse repoussé, mais finira bien par être concrétisé. Mais, au-delà des chiffres, pour cette année ou la suivante, nous devons prendre conscience du fait que l'indemnisation des victimes s'élèvera à plusieurs milliards d'euros, probablement entre 25 milliards de francs et 30 milliards de francs. On ne pourra donc échapper à une réflexion sur les recettes de la branche.
De même, depuis plusieurs années, le Gouvernement est alerté sur les problèmes de délimitation entre la branche « accidents du travail » et la branche « maladie ». Régulièrement, et encore cette année, des prélèvements que l'on pourrait qualifier d'arbitraires sont ainsi réalisés au titre de la sous-évaluation des accidents du travail. On ne peut que s'étonner de constater qu'une réforme en profondeur n'a toujours pas été entreprise sur le sujet.
L'impression donnée par ce survol rapide contraste vivement avec les annonces du Gouvernement et de vous-même, madame la ministre, et les propos louangeurs qu'il s'adresse à lui-même.
La commision des finances ne se livrera pas à un commentaire détaillé des différentes mesures ici proposées. Il y aurait beaucoup à dire, mais, ce soir, pour ne pas risquer d'être, à mon tour, interrompu, j'irai à l'essentiel, vous renvoyant, pour le reste, à mon rapport écrit. En revanche, la commission se doit de porter un regard financier sur ce texte. Or ce que l'on voit ne peut manquer de surprendre.
J'aborderai trois points : le contexte, les comptes, les flux financiers.
S'agissant du contexte, tout d'abord, le projet de loi de financement est bâti, notre rapporteur l'a indiqué, sur une double hypothèse de croissance économique et d'évolution de la masse salariale qui, de volontariste avant les événements du 11 septembre, devient franchement imprudente.
Une erreur d'un demi-point sur la croissance économique, due pour moitié à la demande intérieure et pour moitié à la demande extérieure, signifie une perte de recettes de 4 milliards de francs et des dépenses supplémentaires de 2 milliards de francs pour la sécurité sociale. Or les prévisions de croissance du Gouvernement français sont supérieures de plus d'un demi-point aux prévisions les plus optimistes des conjoncturistes.
A l'imprudence du cadrage global s'ajoute celle de la prévision d'évolution des dépenses d'assurance maladie. Le Gouvernement table sur un rythme de 3,9 %, quand chacun s'accorde à prévoir qu'il sera supérieur d'au moins un point, soit 8 milliards de francs de dépenses supplémentaires.
Pour ce qui est maintenant des comptes de la sécurité sociale, malgré le passage aux droits constatés - nous nous réjouissons, madame la ministre -, jamais ils n'auront été aussi obscurs. (M. Domeizel s'indigne.) C'est à croire que le Gouvernement a volontairement cherché à brouiller les chiffres pour qu'on ne puisse lui opposer cette vérité simple : il a gâché la période de croissance économique exceptionnelle qui s'achève.
Les recettes n'ont jamais été aussi dynamiques que ces dernières années, mes chers collègues. Au lieu d'en profiter pour amorcer les réformes dont je soulignais précédemment à quel point elles font défaut, le Gouvernement a figé davantage encore la structure des dépenses.
M. Claude Domeizel. Aïe, aïe, aïe !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Par ailleurs, pour reprendre les termes du secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale, le Gouvernement a « ouvert les portes à l'arbitraire » en nous proposant la réouverture des comptes 2000 du régime général, alors que ceux-ci ont été arrêtés par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, approuvés par le conseil d'administration des caisses et transmis à la tutelle.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Dans son intervention, M. Vasselle interrogeait tout à l'heure la commission des finances sur certaines méthodes, et c'est bien le point le plus choquant de tout ce que nous avons pu analyser.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Ce faisant, madame la ministre, vous rendez déficitaire la sécurité sociale en 2000, rompant en cela avec deux annonces du Gouvernement : que la sécurité sociale ne paierait pas pour les 35 heures et qu'elle était excédentaire en 2000. La réalité est inscrite à l'article 5 du projet de loi : la sécurité sociale est déficitaire en 2000 parce qu'elle paie directement, et sans compter, les différentes pertes de recettes qu'elle a pu subir pour les 35 heures. Ce sont les faits, madame le ministre ! Imaginez ce que chacun d'entre nous dirait - mais aussi les marchés et nos partenaires européens - si les comptes de l'Etat étaient rouverts dix mois après leur clôture ! Quant à ceux d'une entreprise... Le professionnel qui se livrerait à cet exercice s'exposerait tout simplement à des poursuites pénales !
Voilà où nous en sommes.
Enfin, j'aborderai la question des flux financiers. Chacun dénonce les « tuyauteries », je n'y reviendrai pas. Le Gouvernement porte, de ce point de vue, une certaine responsabilité. Par sa politique des fonds, il a déstabilisé durablement la sécurité sociale et voilé le débat parlementaire sur la loi de financement.
J'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ces tuyauteries et ces systèmes un peu flous conduisent à ce que notre débat se concentre aujourd'hui sur les manipulations en tout genre, au lieu de se focaliser sur les trois points essentiels que sont le niveau des prélèvements, le rythme d'évolution des dépenses et le contenu de ces dernières. Nous devrions, à la limite, ne parler que de cela !
Parallèlement, le Gouvernement se livre à des pratiques financières qui laissent pantois : mise en déficit volontaire du fonds de solidarité vieillesse et financement de ce déficit par la trésorerie du fonds ; ponctions sur la branche famille ; augmentation volontaire et désordonnée des dépenses de l'assurance maladie, afin d'aggraver directement son déficit. Tout cela se fait au mépris le plus total du principe fondateur de la séparation des branches.
Le comble de l'obscurité est atteint avec la mesure en faveur des chômeurs âgés, dont chacun sait qu'une partie relève du pouvoir réglementaire, qu'une autre partie figure dans le projet de loi de modernisation sociale et que la dernière partie est un « cavalier social ».
Quelle conclusion tirer de ce tableau d'ensemble ?
Des comptes qui ont été rendus illisibles, des moyens mal utilisés, des réformes volontairement négligées, des dépenses structurellement et volontairement augmentées, un cadrage macroéconomique volontairement faussé : ce sont les faits. Le prochain gouvernement, quel qu'il soit, ne pourra plus se livrer à ces jeux-là puisqu'il n'aura ni cagnotte sociale ni comptes à rouvrir, mais seulement des déficits à financer qui trouveront leur source dans cinq années de dérives de la dépense.
Plus grave à mes yeux, madame le ministre, ces dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 accentuent des tendances à l'oeuvre depuis la loi de financement pour 1998. Leur résultat, au-delà des comptes, des dépenses, des prélèvements, des soldes, est un dévoiement de l'avancée démocratique que représentaient les lois de financement de la sécurité sociale.
Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que le moment n'est pas loin où il sera opportun, comme l'avait proposé au printemps dernier Charles Descours, de réaliser ce que j'appellerai une « révision technique » des dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale ? A la lumière de l'expérience des six textes successifs examinés au Parlement, mais aussi en tenant compte d'enjeux qui n'apparaissaient pas à l'époque, il faut bien le reconnaître, il me semble que plusieurs pistes s'ouvrent qu'il conviendra sans doute d'explorer.
Une de ces pistes sera de multiplier les votes obligatoires lors de la discussion du projet de loi de financement : vote, comme cette année, sur les objectifs et les prévisions de l'année en cours, révisés en fonction de l'exécution ; vote des dépenses par branche ; vote sur chacun des fonds, comme s'il s'agissait de budgets annexes ou de comptes d'affectation spéciale ; vote sur les différents volets de l'ONDAM ; vote par type de recettes, voire par bénéficiaire de recettes ; vote d'approbation des comptes définitifs des organismes. Nous aimerions, madame le ministre, connaître votre sentiment sur ces propositions.
De même, nous souhaiterions savoir ce que vous pensez d'une deuxième piste, celle qui pourrait nous conduire vers une meilleure articulation du projet de loi de finances et du projet de loi de financement, en modifiant, s'il le fallait, les champs respectifs de ces deux lois.
Une troisième piste, enfin, serait de réfléchir à la proposition qui a été faite de constituer un fonds unique - cela nous éviterait toutes ces discussions ! - destiné à accueillir l'ensemble des flux financiers en faveur des caisses de sécurité sociale. Son principal intérêt serait de mettre fin aux changements incessants d'affectation de recettes et de nous permettre de nous concentrer sur le point essentiel que serait l'évolution de ses dépenses. De plus, dans la mesure où il ne s'agirait pas de prestations aux assurés, les lignes de dépenses de ce fonds pourraient avoir un caractère limitatif.
J'ai conscience qu'il ne s'agit là que d'ébauches, et le débat sur la réforme des lois de financement ne fait que commencer.
En résumé, madame la ministre, c'est non pas tant le montant total des dépenses consacrées à la sécurité sociale que nous voulons remettre en cause que la présentation des comptes et, plus grave, les opérations contestables dont j'ai parlé tout à l'heure. Le résultat final, affecté par toutes ces opérations, ne permet, hélas ! de conclure ni à la sincérité ni à la lisibilité des comptes.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances a émis un avis négatif sur le texte tel que l'a adopté l'Assemblée nationale. En dehors d'un amendement qu'elle vous proposera à l'article 3, elle s'en remettra aux propositions formulées par la commission des affaires sociales que nous ont exposées tout à l'heure les différents rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, et pour ne pas retarder davantage le moment où les orateurs des groupes pourront s'exprimer, je me contenterai de formuler quelques observations en complément des rapports très riches et de grande qualité que nous avons entendus.
Je tiens à féliciter M. Alain Vasselle, mais aussi M. Alain Joyandet, que nous venons d'entendre, et nos rapporteurs MM. Jean-Louis Lorrain et Dominique Leclerc.
Je ne reviendrai donc pas sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, ni sur le bilan des comptes sociaux au cours de cette législature qui s'achève.
Cependant, je m'arrêterai un moment sur l'instrument nouveau dont disposent le Parlement et le Gouvernement depuis cinq ans : qu'en avons-nous fait ? Qu'avons-nous fait de la réforme constitutionnelle et organique de 1996 ?
Nous étions dotés d'une nouvelle catégorie de lois, les lois de financement de la sécurité sociale, dont l'examen devait être, avec la discussion du projet de loi de finances, le moment fort de l'automne. Avant la session unique, nous évoquions la « session budgétaire ».
Or, les projets de loi de financement ont été ravalés au statut de projets de loi ordinaires, au statut de projets de loi « parmi d'autres ». En quelque sorte, pour appliquer à la discussion budgétaire une expression célèbre, nous avons eu la léthargie, mais sans la liturgie ni la litanie ! (Sourires.)
Nous avons eu un projet dont on discute finalement à la va-vite, entre deux autres projets de loi, dits sociaux, qui sont généralement les vraies priorités du Gouvernement.
Ainsi, la commission des affaires sociales, parallèlement à ses travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, a dû et devra aborder au cours de cet automne la suite de la discussion du projet de loi de modernisation sociale, qui comporte plus d'une centaine d'articles en navette, de la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations et de la proposition de loi relative à la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail, ainsi que l'examen du projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale, qui comporte également une centaine d'articles.
Elle n'a échappé que de peu à la discussion du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé - là encore, on compte une centaine d'articles -, que l'Assemblée nationale a dû examiner au début du mois d'octobre.
Est-ce parce que nous sommes en fin de législature et que les derniers textes se bousculent ? On pourrait le croire, mais il n'en est rien : à l'automne 2000, nous examinions la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la proposition de loi créant une agence de sécurité sanitaire environnementale, la proposition de loi relative à la contraception d'urgence ; nous discutions en première lecture la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, et nous examinions le lourd projet de loi d'habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnances à la transposition des directives européennes, qui visait notamment le code de la mutualité. (M. Bernard Murat rit.)
Si l'on remonte à l'automne 1999, nous examinions alors le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, c'est-à-dire la loi Aubry II.
C'est dire que le Gouvernement n'a jamais sanctuarisé, dans le domaine social, les deux ou trois mois pendant lesquels le Parlement et ses commissions chargées des affaires sociales devraient consacrer l'essentiel de leur attention et de leur énergie à discuter un budget de 2 000 milliards de francs !
Le mode de discussion en séance publique des projets de loi de financement de la sécurité sociale est peut-être également en cause. Nous consacrons un temps non négligeable à la discussion du budget des Monnaies et Médailles, qui s'élève à quelques millions de francs, ou de celui de l'Imprimerie nationale. Il en va de même, pour prendre des exemples plus significatifs, des budgets du tourisme ou des services généraux du Premier ministre, qui prévoient respectivement 36 et 478 millions de francs de mesures nouvelles.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est tout à fait vrai !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais nous ne consacrons pas une « respiration » particulière à la discussion de l'objectif de dépenses de la branche famille, qui représente 275 milliards de francs. Cela mérite tout de même un souffle !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Bien sûr !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous ne consacrons pas plus de « respiration » à l'objectif de la branche vieillesse, qui concerne 890 milliards de francs, ou à l'objectif de la branche maladie, qui met en jeu 820 milliards de francs.
En s'inspirant de l'expérience conduite par la commission des finances sur certains budgets, pourquoi ne pas réfléchir à un jeu de questions-réponses portant successivement sur les trois branches de la sécurité sociale et se concluant chacun par le vote de l'objectif de dépenses de la branche considérée ? Je soumets ce point à votre réflexion.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce serait une excellente chose !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour rendre aux lois de financement leur ambition initiale, il faudrait aller naturellement plus loin, car l'expérience des cinq dernières lois de financement de la sécurité sociale nous conduit à considérer que l'instrument lui-même doit gagner en rigueur. Ou peut-être, pour être plus précis, l'instrument tel qu'il a été construit n'a-t-il pas été en mesure d'empêcher qu'il soit détourné de son objet et trahi dans son esprit.
Mes chers collègues, au-delà de ces réflexions, trois points retiennent mon attention.
La multiplication des fonds sociaux tout d'abord : je doute - pardonnez-moi, madame la ministre - du souci de transparence qui justifie chaque fonds pris isolément. Je suis certain en revanche qu'ensemble ils rendent la loi de financement parfaitement opaque.
Il est ainsi extrêmement difficile de suivre de façon cohérente les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes, et totalement impossible de rapprocher les premiers des secondes pour obtenir un indicateur d'équilibre à peu près intelligible.
Ensuite, l'ONDAM a un caractère purement comptable, il est dépourvu de tout contenu en santé publique et son ajustement chaque année n'a aucun sens. La notion de service voté et de mesures nouvelles est parfois contestée dans les lois de finances. Nous serions heureux de disposer, en matière de finances sociales, d'une notion aussi rustique et imparfaite !
Quelle est, dans l'ONDAM 2002, la part de reconduction à l'identique de l'ONDAM 2001 ? Et quelle est la part des mesures nouvelles, c'est-à-dire des dépenses supplémentaires indispensables ou, a contrario , des économies programmées ?
A une telle question posée par M. Vasselle, il n'y a pas de réponse, si ce n'est une évaluation de l'impact des 35 heures à l'hôpital public. Effectivement, on ne peut faire moins...
Enfin, le projet de loi de financement de l'année se transforme en un texte glissant englobant plusieurs exercices, faisant office de projet de loi de financement rectificative de l'année en cours et, en quelque sorte, de projet de loi de règlement de l'année précédente. Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 modifie substantiellement les comptes de 2001 et récrit ceux de 2000. Le Gouvernement ferait certainement des prévisions plus réalistes et prendrait moins de liberté en cours d'année, si le prix à payer était de revenir, au mois de juin, devant le Parlement pour s'expliquer sur un collectif social.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Eh oui !
M. Roland du Luart. Très bonne idée !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Notre ancien collègue Charles Descours - à qui je rends un hommage tout particulier pour le travail qu'il a réalisé au sein de la commission des affaires sociales - a déposé, au printemps dernier, une proposition de loi organique sur les lois de financement qui reprend et éclaire certains des points que j'ai évoqués. Il faudra que nous fassions avancer ce dossier, d'autant que j'ai entendu avec intérêt M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des finances de l'Assemblée nationale, évoquer, lui aussi, les nécessaires ajustements de la loi organique de 1996.
En dernier point, j'évoquerai un débat de fond que nous avons eu en commission.
Notre excellent collègue Gilbert Chabroux a estimé que nous parlions trop de chiffres...
M. Claude Domeizel. Aujourd'hui encore !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... et pas assez des voies et moyens pour lutter, par exemple, contre le tabagisme. En quelque sorte, nous parlions trop des comptes et pas assez de santé publique.
Il m'a semblé, madame la ministre, que vous partagiez le même sentiment lors de votre audition par notre commission.
C'est vrai, nous avons beaucoup parlé des comptes, mais il me semble qu'il n'est pas négligeable de savoir d'où vient l'argent et où il va, s'il a été et s'il sera dépensé conformément au bon usage des fonds publics.
Un de vos prédécesseurs, madame la ministre, avait déclaré qu'elle ne souhaitait pas être la « ministre des comptes ». Je vous ferai observer que, lorsque le ministre des affaires sociales ne s'occupe pas des comptes, c'est généralement son collègue de Bercy qui s'en charge. Vous le savez : la nature a horreur du vide.
Je vous avoue que nous aurions nous-mêmes préféré parler - et entendre parler - moins des comptes et plus des priorités de santé publique, de politique familiale et d'avenir des retraites.
Seulement, les comptes sont ce qu'ils sont et, en cette fin de législature, ils nous inquiètent !
En réalité, ce dont nous avons besoin, ce sont de lois d'orientation pluriannuelles dans le cadre desquelles s'inscriraient chaque année les lois de financement.
Je crois que, dans le domaine de la santé publique, une telle démarche serait plus fructueuse qu'un débat annuel précédant l'examen du projet de loi de financement. En effet, soit les orientations de santé publique sont annuelles et rien n'empêche alors de les aborder explicitement dans la loi de financement et de les traduire en objectifs précis et en moyens concrets ; soit ces objectifs sont pluriannuels, comme je le pense, et, dans ce cas, il faut se tourner vers une loi d'orientation, sur cinq ans par exemple.
Un tel exercice serait également indispensable dans le domaine de la famille. La loi de 1994 a été vilipendée au motif qu'elle n'était pas financée. Ce grief me semble très exagéré puisque, aujourd'hui, la vraie question que nous nous posons est celle de l'utilisation, ou du détournement, des excédents de la branche famille.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Oui, parlons de détournement !
M. Gilbert Chabroux. Pourquoi pas de pillage ou de hold-up ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce serait un peu fort, monsieur Chabroux !
M. Gilbert Chabroux. Oh, on l'a déjà entendu !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous nous sommes tous émus - M. Jean-Louis Lorrain le premier et, à l'instant, M. Chabroux - des ponctions répétées opérées sur la branche famille. En commission, M. Chérioux, dont on sait l'attachement à la politique familiale, a pourtant fait observer, à juste titre, que les recettes de la branche famille n'étaient pas intangibles et qu'il relevait de la responsabilité du Parlement d'en fixer le niveau.
Ce rappel est nécessaire. Il serait bon, en effet, que le Parlement débatte clairement de la politique familiale dont notre pays souhaite se doter, pour les cinq ans ou pour les dix ans qui viennent, et fixe le niveau des prélèvements permettant de financer une telle politique.
Ce que nous reprochons en effet au Gouvernement, c'est d'opérer par « raids » successifs, dans l'obscurité.
M. Gilbert Chabroux. Nous ne sommes pas en Afghanistan, monsieur About, mais au Sénat de la République !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'empêche que, sur le plan financier, cela s'appelle ainsi !
M. Claude Domeizel. Ah, il faut de l'imagination !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Une année, le Gouvernement décide de pérenniser la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et en tire argument pour en faire passer la charge du budget de l'Etat à celle de la CNAF.
L'année suivante, il décide que la branche famille prendra à sa charge la majoration de pension pour enfant au motif qu'il considère soudain que cette prestation a cessé d'être ce qu'elle est depuis l'origine, c'est-à-dire une prestation vieillesse.
L'année d'après, il décide que les excédents de la branche vont alimenter le fonds de réserve des retraites, au nom cette fois de la solidarité « intergénérationnelle ».
Parallèlement, la branche famille est dépouillée en plusieurs étapes de la taxe de 2 % sur les revenus du patrimoine dont elle avait bénéficié depuis la création de cet impôt.
Dans tout cela, aucune transparence,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est vrai !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... aucune logique,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. ... aucune politique, aucune projection dans l'avenir. C'est, en résumé, le grief majeur que nous faisons au Gouvernement pour sa gestion depuis cinq ans des enjeux financiers de notre protection sociale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 est le cinquième du genre pour votre gouvernement, madame la ministre, et le dernier de la législature. Il est donc l'occasion de dresser un bilan.
Ce bilan est plutôt préoccupant, hélas ! et cette opinion est largement partagée par la plupart des acteurs sociaux.
Vous faites, en effet, l'unanimité contre vous : que ce soit les représentants des professionnels, les syndicats patronaux, les caisses de sécurité sociale, la Cour des comptes ou la Caisse des dépôts, tous ont vivement critiqué ce projet de loi.
La CNAM, la CNAF et la CNAV ont rejeté massivement le texte. Les administrateurs de la CNAM ont reproché « l'opacité des comptes et la complexité des transferts financiers », et souligné « l'absence d'éléments concernant une nouvelle politique conventionnelle entre les caisses et les médecins ainsi que sur la clarification des rôles entre l'Etat et les caisses ».
La Cour des comptes a dressé un constat sévère de la faible efficacité des actions publiques en vue d'une « maîtrise des dépenses de santé », estimant que le dispositif actuel « n'a pas fait ses preuves » et que « la politique du médicament » doit être « profondément modifiée ».
Une étude prospective sur l'avenir des retraites pour les quarante prochaines années, réalisée par Futuribles avec l'Observatoire des retraites de la Caisse des dépôts, vient de souligner le caractère « fondamentalement suicidaire » de la politique « d'attentisme » menée en France, politique qui conduirait, dès 2020, à une « montée des tensions extrêmement forte entre les actifs et les retraités ».
Enfin, du côté des représentants des professionnels et des assurés, on citera, par exemple, la Confédération des syndicats médicaux français, qui a critiqué le texte au motif qu'il fixe « un objectif de dépenses irréaliste » et fait « perdurer le principe des sanctions collectives », ou encore Familles rurales, qui a jugé que le projet de loi de financement de la sécurité sociale « prive durablement la branche famille de moyens financiers ».
Défendre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 relève donc de l'hypocrisie partisane ou, ce qui est pis, de l'inconscience.
En cinq ans, le Gouvernement a peu à peu vidé la loi de financement de la sécurité sociale de son sens. Quels sont en effet l'esprit et l'objectif de cette loi ? Elle a été instaurée, d'une part, pour bien distinguer les finances de la sécurité sociale de celles de l'Etat et, d'autre part, pour mieux piloter celle-ci. Or, cette cinquième édition du projet de loi de financement de la sécurité sociale s'éloigne gravement de ces deux objectifs.
Tout d'abord, la confusion entre finances de l'Etat et finances sociales s'accentue.
La Cour des comptes a ainsi critiqué la multiplication des flux croisés entre l'Etat et la sécurité sociale, qui rendent l'ensemble de moins en moins lisible.
Le budget social est réquisitionné pour financer les 35 heures, et, en effet, la sécurité sociale assumera presque l'intégralité du coût des allégements de charges en 2002 : plus de 34 milliards de francs, selon vos dires, soit près de 88 % du montant. Tous les moyens sont bons pour grappiller de l'argent !
Les maigres bénéfices des branches sont systématiquement ponctionnés.
Le Gouvernement prive l'assurance maladie de certaines de ses ressources légitimes, telles que la taxe sur les contrats d'assurance automobile, censée compenser la charge supportée par l'assurance maladie pour soigner les accidents de la route, ou la taxe sur les tabacs et alcools, qui ne constitue pourtant qu'une faible contrepartie du coût social de ces deux fléaux.
De même, le Gouvernement demande à la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale, d'accélérer ses remboursements à l'Etat au détriment de ses propres capacités à amortir la dette.
Le Gouvernement justifie tous ces détournements par l'argument selon lequel, la politique de l'emploi bénéficiant à la sécurité sociale, la seconde devrait donc contribuer au financement de la première. Cet argument est parfaitement fallacieux. Il ne s'agit pas, en l'occurrence, de polémiquer sur le nombre d'emplois créés par les 35 heures.
M. Henri de Raincourt. Très peu !
M. Roland du Luart. Chaque emploi nouveau génère, certes, des recettes de cotisations pour la sécurité sociale, mais il génère également pour elle des dépenses de soins, d'accidents du travail, et, à terme, de retraite. Retirer aux caisses les cotisations de ces nouveaux emplois, c'est oublier que ceux-ci engendrent également des prestations qu'elles doivent, ou devront, financer.
Quant au pilotage du système, autant dire que la loi de financement ne contrôle plus rien et que le rôle du Parlement en la matière est réduit à la portion congrue.
Les prévisions de recettes sont irréalistes, celles de dépenses fantaisistes.
Les hypothèses de croissance sur lesquelles vous fondez vos calculs sont, pour le moins, irréalistes, madame la ministre.
Vous vous calez sur 2,5 % de croissance du produit intérieur brut, ce qui, avant même les attentats du 11 septembre, était déjà chimérique, tous les experts s'accordent pour le dire ! L'INSEE ne misait alors que sur 2,1 %. Vous faites preuve du même irréalisme en ce qui concerne la masse salariale dont vous espérez 5 % de croissance. Attention cependant ! S'il manque seulement un point de masse salariale supplémentaire, nous constaterons une dérive de l'ordre de 10 milliards de francs !
Quant aux dépenses d'assurance maladie, l'objectif national n'a pas été une seule fois respecté depuis 1997 : vous aviez prévu une croissance de 2,5 % en 2000, elle a été de 5,6 % ; vous aviez prévu une croissance de 3,5 % en 2001, elle atteindra sans doute 5 % ! Qui peut encore croire que les dépenses d'assurance maladie n'augmenteront que de 3,8 % en 2002, comme vous le prévoyez ?
L'ONDAM a perdu du sens. Le Gouvernement le calcule non plus par rapport à l'objectif de l'année précédente, mais par rapport aux dépenses effectives constatées. L'objectif n'est donc jamais validé a posteriori . Sa fixation en loi de financement est devenue purement factice. Il n'est pas respecté parce que le Gouvernement est incapable de maîtriser les dépenses.
Selon le rapport de la Cour des comptes, les résultats des exercices 1998, 1999 et 2000 font apparaître un déficit cumulé de 12 milliards de francs alors que la croissance économique de ces trois années a été excellente, et même exceptionnelle, et que la progression des charges de retraites a, pour des raisons notamment démographiques, été faible. Cela montre, conclut la Cour, que l'équilibre des comptes reste à conforter.
Parler de « robustesse du redressement des comptes sociaux », comme le fait le rapport annexé à l'article 1er du projet de loi, c'est donc se moquer du monde. Ces comptes traduisent bien, au contraire, un bilan désastreux car 1998-2001 a été une période de croissance économique exceptionnelle. Vous avez, en réalité, gaspillé les fruits de la croissance !
J'en viens aux différentes branches de sécurité sociale. En la matière, je résumerai la politique du Gouvernement en deux mots : étatisation et irresponsabilité. Le Gouvernement ne fait aucune des réformes nécessaires et compense cette inaction par un interventionnisme autoritaire et inefficace.
Le Gouvernement piétine l'autonomie des partenaires sociaux et fait fi du dialogue social. La décision de faire financer les 35 heures par la sécurité sociale a provoqué le départ du MEDEF et de la CGPME - Confédération générale des petites et moyennes entreprises - de la gestion des caisses de sécurité sociale.
En outre, alors que le paritarisme repose notamment sur le principe de la consultation des partenaires sociaux en cas de mise en oeuvre de nouvelles prestations, le Gouvernement vient d'instaurer un congé paternité - était-ce une priorité ? -, qui sera financé par la caisse d'allocations familiales, sans que les partenaires sociaux aient été informés.
Cet étastisme outrancier est le revers de l'absence de réforme de fond.
Ainsi, dans le domaine de l'assurance maladie, au lieu de rétablir et de renforcer la politique conventionnelle qui impliquerait directement les acteurs dans la gestion de leur branche, vous persistez dans la politique du gros bâton : vous taxez un peu plus les laboratoires pharmaceutiques ; vous maintenez le mécanisme pernicieux des lettres clés flottantes pour sanctionner les professions médicales. Ce système de sanction collective - nous vous l'avons déjà dit, et les faits parlent pour nous - est inefficace et injustifiable. Il est inefficace car, depuis 1997, les objectifs de dépenses ont systématiquement été dépassés, de 17 milliards de francs en 2000 et de 15,8 milliards de francs en 2001. Il est injustifiable : si certains, dans une profession, se comportent moins vertueusement que d'autres, pourquoi sanctionner aussi ces derniers ?
Enfin, vous attribuez les enveloppes financières au gré de vos amitiés politiques, oubliant ainsi au passage les cliniques privées et la médecine libérale. Il a fallu une grève générale des professionnels du privé pour qu'ils soient entendus.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Eh oui !
M. Roland du Luart. Quel gâchis !
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est vrai !
M. Roland du Luart. Les treize propositions de réforme que vous avez récemment faites aux professionnels de santé sont une sorte de testament recensant une partie des problèmes qu'il aurait fallu régler et que vous n'avez eu ni la volonté ni le courage de faire avancer. Le chantier ouvert en 1996 reste donc aujourd'hui en l'état.
Quant à la branche famille, vous la ponctionnez à nouveau de 5 milliards de francs au profit du fonds de réserve pour les retraites. Or le rapport Hermange de septembre dernier a révélé de nombreuses carences des politiques en faveur de l'enfance.
Dans le domaine des retraites, vous poursuivez sereinement et sans vergogne la politique de l'autruche. C'est devenu un modèle du genre !
Depuis quatre ans, vous multipliez les rapports : le rapport Charpin, en avril 1999, le rapport Taddei, en octobre 1999, et le rapport Teulade, à la fin de 1999, sans oublier les projections du conseil d'orientation des retraites, en avril 2001. Rien ne bouge !
A la fin de 2001, le fonds de réserve pour les retraites devrait compter 40 milliards de francs, soit 30 milliards de francs de moins que ce qui était prévu. On peut donc légitimement douter des promesses faites pour 2002 dans le présent projet de loi.
Comment ne pas être triste devant un tel bilan ? Des fruits de la croissance gâchés, des manipulations financières déresponsabilisantes, aucune imagination réformatrice, un endettement qui va de nouveau se creuser, des nuages noirs qui s'amoncellent sur l'avenir des retraites. Rien n'est vraiment rassurant.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants soutiendra les amendements proposés par la commission des affaires sociales et ses excellents rapporteurs, auxquels je tiens à rendre hommage pour le travail qu'ils ont accompli. Nous le disions déjà l'an passé, nous ne pouvons, hélas ! que le répéter cette année : nous sommes inquiets pour l'avenir de notre protection sociale. (Applaudissements sur le travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)