SEANCE DU 3 DECEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'équipement, les transports et le logement : III. - Transports et sécurité routière : Aviation et aéronautique civiles, et budget annexe de l'aviation civile.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour un exercice un peu paradoxal, puisque le projet de budget que nous sommes appelés à examiner a été préparé bien avant les attentats du 11 septembre qui ont bouleversé la donne de l'économie des transports aériens. Le Gouvernement a d'ailleurs d'ores et déjà fait voter plusieurs amendements pour modifier les recettes et devra opérer des ajustements supplémentaires en loi de finances rectificative.
Je ne m'attarderai donc pas trop longtemps sur le projet de budget annexe de l'aviation civile pour 2002, tel qu'il figure dans les documents annexés au projet de loi de finances.
Du point de vue des recettes, ce projet était caractérisé essentiellement par une stabilisation des taux de la taxe de l'aviation civile et par la suppression de la subvention versée par le budget général. Il faut à mon avis souligner que l'aviation civile devient ainsi le seul moyen de transport financé exclusivement par ses usagers. Par ailleurs, l'endettement du budget annexe était stabilisé, les emprunts nouveaux correspondant à peu de choses près au remboursement des emprunts passés.
Le volet des dépenses, contrairement à celui des ressources, n'a pas été modifié. Les dépenses de personnel augmentent de 8,4 %, sous l'effet du protocole d'accord de la direction générale de l'aviation civile, signé pour trois ans en décembre 2000. Ce protocole prévoit de nombreuses mesures catégorielles, fixe les modalités de mise en oeuvre des 35 heures et prévoit surtout la création de 446 emplois nouveaux par an, dont 210 contrôleurs, afin d'absorber la croissance du trafic aérien. Ces protocoles triennaux conduisent à une croissance importante des rémunérations alors même que la durée du temps de travail sera réduite.
Tous les trois ans, le Gouvernement consent à « acheter la paix sociale » au prix fort. Il le fait d'autant plus facilement que les payeurs ne sont pas partie prenante à ces négociations et qu'une grève des contrôleurs aériens coûte près de 200 millions de francs par jour.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Plus !
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. L'augmentation des ressources du budget annexe est ainsi complètement absorbée par la croissance des charges de personnel, et les dépenses d'investissement constituent, comme souvent, la variable d'ajustement. Les attentats du 11 septembre ont - comme vous le savez - des conséquences négatives considérables pour le transport aérien. Certaines d'entre elles appellent la mise en oeuvre de mesures immédiates et ponctuelles, du moins, c'est ce qui serait souhaitable : je pense à la mise en oeuvre du plan Vigipirate renforcé dans les aéroports ou à la compensation, aux compagnies aériennes, du préjudice subi lors de la fermeture du ciel américain pendant les fameux quatre jours.
Ces mesures, de même que la prise en charge des mesures de sûreté mises en oeuvre par les compagnies aériennes elles-mêmes, seront essentiellement financées par l'Etat en 2002, même si une petite partie sera à la charge des compagnies.
Pour autant, il ne s'agira pas de revenir à la situation d'avant le 11 septembre dès que la menace semblera s'éloigner ; il faudra si possible franchir un palier supplémentaire en termes de sûreté aérienne et aéroportuaire.
Les dépenses vont donc augmenter de manière importante au cours des prochaines années, notamment en matière de personnel, afin d'assurer le contrôle des passagers mais aussi des bagages de soute. Ces mesures sont financées par la taxe d'aéroport, dont les plafonds sont relevés, et par le fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, le FIATA, dont les ressources proviennent de la taxe d'aviation civile. Elles seront donc, en fait, financées par les compagnies aériennes, et, in fine, par les passagers.
Dans l'hypothèse où le trafic ne progresserait que de 2,6 % en 2002, comme le prévoit l'agence européenne Eurocontrol, le produit des redevances et de la taxe d'aviation civile sera - vous l'avez compris - moindre que celui qui était attendu.
La trésorerie du budget annexe en souffrirait dans un premier temps, mais son équilibre financier serait remis en cause si la crise du transport aérien devait durer. Des sources de financement nouvelles devraient alors être trouvées. Comment faire ?
Vous pourrez augmenter encore les redevances ou la taxe d'aviation civile, mais ce sera au détriment de la situation concurrentielle des compagnies aériennes françaises. Vous pourrez aussi augmenter les emprunts, mais le niveau d'endettement du budget annexe est déjà bien trop élevé. Reste alors le contribuable.
Ce qui est certain, c'est que, si la crise dure un peu trop longtemps, le budget annexe sera fragilisé, comme les compagnies aériennes, qui constituent, rappelons-le, sa principale source de financement. Dans ce cas, la réduction des coûts fixes serait indispensable, pour le budget annexe comme pour les compagnies aériennes.
La question de la dénonciation du protocole d'accord, qui repose sur une hypothèse de croissance du trafic aérien de 5,8 % par an, devra alors être posée.
La situation actuelle doit nous conduire, plus que jamais, à poser la question de l'engagement financier et opérationnel des pouvoirs publics dans le domaine du transport aérien, notamment en matière de sûreté.
Au cours des dernières années, le secteur des transports aériens a fait appel à la sous-traitance pour presque toutes les activités, y compris les plus sensibles. Cette politique doit être réévaluée à l'aune des événements récents, car elle ne permet pas, selon moi, d'exercer un contrôle suffisant.
S'agissant du rôle de l'Etat, il faut souligner que les Etats-Unis, pionniers de la libéralisation du secteur, sont intervenus massivement en faveur de leurs compagnies aériennes, alors que les Etats membres de l'Union européenne se sont surtout montrés soucieux de prévenir les distorsions de concurrence et d'engager une restructuration du secteur à l'échelle européenne.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous fassiez part de vos commentaires sur les décisions prises dans le cadre de l'Union européenne et, en particulier, sur la question de l'assurance des compagnies aériennes, à propos de laquelle des interrogations planent encore, si j'ose dire.
Puisque j'évoque les aides publiques au secteur du transport aérien, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous rappeliez le détail du plan de soutien que vous avez annoncé, voilà bientôt deux mois, prévoyant un financement de 2 milliards de francs, assuré à parité par l'Etat et par les compagnies aériennes. Nous aurons l'occasion d'examiner tout à l'heure un amendement qui constitue un élément de ce plan. Cependant, quelques aspects méritent des éclaircissements, voire des explications.
Sur un total de 2,035 milliards de francs, l'Etat devrait prendre en charge un peu moins de la moitié - 948 millions de francs - qui serait financé notamment grâce aux recettes dégagées par la privatisation d'Autoroutes du sud de la France. Cette somme devrait servir, à concurrence de 520 millions de francs, à aider les compagnies aériennes et, pour 428 millions de francs, à financer les investissements de sûreté aéroportuaires. Il semble que les sommes destinées à financer les dépenses de sûreté des compagnies aériennes devraient être versées, d'abord, sous la forme d'une dotation en capital à Aéroports de Paris, qui serait chargé de les redistribuer aux compagnies.
Ce montage compliqué, dont je souhaiterais que vous nous exposiez les motifs, est doublement critiquable : d'abord, parce qu'il s'agirait d'affecter les recettes de privatisation à des dépenses de fonctionnement, ce qui ne constitue pas une bonne gestion du budget de l'Etat ; ensuite, parce qu'il confie à Aéroports de Paris une tâche compliquée qui ne lui revient pas alors que ses comptes prévoient que l'Etat prélèvera 150 millions de francs au titre de l'année 2001.
Avant de dire un mot des crédits du transport aérien, je veux évoquer la question emblématique du troisième aéroport.
La décision récente d'installer cette plate-forme à Chaulnes ne me semble pas une bonne décision. Un nouvel aéroport situé à plus de 120 kilomètres de la capitale ne renforcera ni la position concurrentielle de Paris ni celle d'Air France, qui s'inquiète légitimement, car si elle résiste mieux que d'autres compagnies européennes, c'est aussi grâce à la qualité de son hub de Roissy.
Ce futur aéroport ne sera opérationnel que dans une quinzaine d'années. Je suis curieux de savoir comment il sera possible d'absorber la croissance du trafic aérien d'ici là, compte tenu du plafond que vous avez fixé pour Roissy.
Avant de conclure, je voudrais évoquer les crédits du transport aérien.
Les crédits de recherche sont en légère diminution tandis que les avances remboursables, destinées notamment à financer l'Airbus A 380, sont en forte progression. Je me félicite, monsieur le ministre, du soutien accru au développement de ce projet ambitieux. En revanche, on peut regretter que les crédits de recherche soient en diminution alors que les besoins sont importants, afin notamment de renforcer les dispositifs de sécurité dans les appareils.
Les incertitudes portant sur l'avenir du transport aérien risquent de durer, fragilisant nos entreprises du secteur du transport aérien. Je crains également que des incertitudes ne persistent en matière de sûreté, en dépit des mesures prises, car seule une coopération internationale renforcée et permettant de contrôler le respect des normes par les différents Etats permettra de s'assurer d'un niveau de sûreté minimale.
Alors que la situation internationale fait peser des risques nouveaux, la commission des finances déplore fortement que l'Etat poursuive son désengagement en matière de financement de la sûreté, qui constitue une mission régalienne. Elle a donc décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits du budget annexe de l'aviation civile.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'aviation civile et le transport aérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les attentats du 11 septembre 2001 ont écrit l'une des pages les plus noires de l'histoire de l'aviation civile. Nous nous associons pleinement aux souffrances des victimes, de leurs familles, des équipages, des personnels des compagnies, et je n'ai pas voulu commencer ce rapport pour avis sans faire part de l'émotion de la commission des affaires économiques.
Le plan de soutien mis en place par le Gouvernement, à concurrence de 2 milliards de francs, doit être financé pour moitié par les passagers et pour moitié par l'Etat. Le milliard des passagers n'a pas tardé à se concrétiser, avec les relèvements de la taxe d'aviation civile et de la taxe d'aéroport, pour un renchérissement estimé à 15 francs par billet. On avait déjà eu l'occasion d'en parler, c'est donc devenu effectif.
Quant au milliard de l'Etat, il s'agit en réalité de 950 millions éparpillés dans divers instruments budgétaires : 200 millions sont inscrits dans le projet de loi de finances rectificative, le reste provenant d'un montage confus s'apparentant à une véritable usine à gaz pour recycler, via Aéroports de Paris, des recettes de privatisation d'Autoroutes du sud de la France, ASF.
Au passage, monsieur le ministre, je me félicite de votre conversion soudaine aux bienfaits des privatisations...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est l'ouverture du capital !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. ... puisque utiliser l'argent des privatisations, c'est reconnaître de facto l'intérêt de celles-ci. Vous n'avez pas toujours eu le même avis !
Cela étant, il reste encore beaucoup de confusion autour du milliard annoncé. Et je ne sais pas encore comment il pourra être mobilisé, d'autant que cela suppose que certaines modifications interviennent de façon que les excédents d'ASF puissent être recyclés.
Il est toutefois dommage que votre conversion soit partielle et ne vise qu'à récolter, dans la précipitation, l'argent que vous n'arrivez pas à trouver ailleurs. Il aurait fallu continuer sur votre lancée. Pourquoi ne pas faire évoluer le statut d'Aéroports de Paris ou celui d'Air France ?
Ce montage budgétaire de dernière minute est pour le moins biscornu. Il alourdit encore, dans le budget annexe, la part du financement provenant des compagnies, et donc des usagers du transport aérien, alors que ces dépenses relèvent, pour une part sans cesse croissante, de missions régaliennes !
En ce qui concerne le FIATA - fonds d'intervention pour les aéroports et les transports aériens -, qui a absorbé, en 1999, le fonds de péréquation des transports aériens - FPTA -, son périmètre a été étendu à la prise en charge de dépenses de sécurité, d'incendie, de sauvetage, de lutte contre le péril aviaire et d'environnement.
Or, depuis cette « hybridation » du FIATA, les missions d'aménagement du territoire n'ont cessé d'être diluées et marginalisées, le fonds étant peu à peu détourné de son objet.
La dégradation de la qualité et de la fréquence des dessertes aériennes régionales rend urgent l'assouplissement des conditions d'éligibilité à ce fonds. Cela dépend de vous, monsieur le ministre, puisque c'est par décret que vous pouvez faire évoluer ces habitudes.
Au-delà de la crise actuelle du secteur, personne ne conteste les prévisions de croissance du trafic à moyen terme. Comment absorber alors les 140 millions de passagers attendus en Ile-de-France en 2020 ?
Le Gouvernement - ou plutôt le Gouvernement moins le ministre de l'environnement - a répondu à cette question en prévoyant la construction d'un troisième aéroport, à Chaulnes.
Arrêtons-nous un instant sur la méthode qui a présidé à cette prise de décision. Dans le débat public, au-delà des paillettes et des effets de manches, à aucun moment n'a été envisagée l'évolution possible des plates-formes parisiennes actuelles, en particulier de celles de Roissy, aéroport formaté pour accueillir un nombre de passagers bien supérieur aux 55 millions arbitrairement fixés pour son activité.
Je me demande comment une telle solution a pu échapper à la sagacité de la commission Zémor, que l'on ne peut suspecter de s'être livrée à un oubli volontaire.
Construire un aéroport exige au moins quinze ans. Que se passera-t-il d'ici là ? Un déplafonnement non avoué et non accompagné du quota d'activité de Roissy !
Au lieu de traiter le problème de front, vous l'avez soigneusement contourné, contribuant à envenimer un peu le dialogue entre riverains, élus et exploitants de la plate-forme, tant il est vrai que, comme au temps des Horace et des Curiace, le sort des uns se joue sur la division des autres.
Pourtant, vous le savez bien, exproprier, reloger et indemniser les riverains de Roissy qui souhaiteraient déménager pour augmenter les capacités de la plate-forme et, plus modérément, consacrer les sommes nécessaires pour financer l'enveloppe de bruit coûterait deux fois moins cher que la construction de Chaulnes. Ce scénario, auquel vos experts travaillent pourtant, n'est évoqué nulle part !
La prétendue méthode démocratique du débat public - et je sais de quoi il s'agit pour avoir, en 1995, été rapporteur de la loi qui l'a instaurée ! - alors qu'il était de bon ton de s'opposer aux travaux de la mission Douffiagues, dont j'avais l'honneur d'être membre, aurait-elle couvert une décision prise sur des critères autres que celui de l'intérêt général, sur des critères, dirons-nous - mais ce n'est qu'une supposition - politiciens ?
Pourquoi pas Beauvilliers ? Sans doute parce que ce site avait été choisi par la droite et qu'une députée verte en avait fait son fonds de commerce. Pourquoi Chaulnes ? Peut-être faut-il voir là l'influence de l'un de vos amis politiques ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. S'agissant de Chaulnes, monsieur le ministre, n'aurait-il pas été de bonne gouvernance de prendre contact avec nos voisins belges et allemands, de manière à ménager un environnement favorable à la création d'une plate-forme à cet endroit ? Or il m'a été dit qu'ils n'avaient pas été consultés ni même prévenus de ce choix. Ils le regrettent amèrement, et à juste titre, car ç'aurait été le moyen de dessiner une sorte de schéma de cohérence aéroportuaire.
Une deuxième question avant de conclure, monsieur le ministre : quand les préconisations de l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l'ACNUSA, relatives à l'élargissement des zones d'inconstructibilité autour des aéroports seront-elles mises en oeuvre ? Vous n'êtes pas avare de promesses quant à la parution du décret nécessaire, voire d'un nouveau projet de loi sur le sujet. Je m'en félicite mais, au-delà des mots, quels sont vos actes ? Quand ce décret attendu depuis le mois de mai sera-t-il enfin publié ? Tout est prêt. Il ne manquerait plus, m'a-t-on dit, qu'une signature : la vôtre !
La commission des affaires économiques s'est prononcée à la fin du mois d'octobre sur le budget annexe alors que la traduction budgétaire des mesures du plan de soutien, notamment, n'étaient toujours pas connues. Dans le brouillard le plus total, elle s'en est remise à la sagesse du Sénat pour l'adoption des crédits de l'aviation civile et du transport aérien.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez clarifier cette situation budgétaire quelque peu confuse.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 10 minutes ;
Groupe socialiste, 10 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 7 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du budget annexe de l'aviation civile, le BAAC, s'inscrit dans un contexte bien différent de celui qui avait entouré notre discussion sur le même sujet l'année dernière.
Voilà un an, en effet, notre collègue Jean-Pierre Plancade relevait que la croissance du trafic aérien se poursuivait de façon régulière. Il citait l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui prévoyait que cette croissance perdurerait dans les années à venir.
Or, il y a tout juste douze semaines, c'est le transport aérien de passagers que le fanatisme a réquisitionné pour commettre ses abominables forfaits. En conséquence, le plus grand pessimisme a semblé de mise quant à l'avenir de ce secteur.
Dans un premier temps, le Gouvernement français a décidé d'octroyer une aide de 2 milliards de francs aux aéroports et compagnies aériennes pour leur permettre, notamment, de renforcer la sécurité et la sûreté, et il a su convaincre la Commission européenne, initialement réticente, du bien-fondé de cette mesure.
Evidemment, il n'était pas question pour le Gouvernement de venir pallier les conséquences des erreurs de gestion commises dans des compagnies privées ou de sauver des filiales françaises de groupes étrangers subissant les répercussions des difficultés de leur maison mère. Il convient toutefois que la puissance publique demeure attentive au sort des salariés victimes de l'échec de stratégies aussi ambitieuses qu'inconsidérément suivies.
Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2002, quoique élaboré avant le 11 septembre, a prévu d'allouer au budget annexe de l'aviation civile des crédits qui s'élèvent à 1,417 milliards d'euros, soit 9,299 milliards de francs, ce qui représente une hausse de 3,8 %, plus forte d'un point que celle de l'an dernier. Malgré cette augmentation, il convient de le signaler, le budget annexe de l'aviation civile s'équilibre par ses recettes propres, sans qu'il soit besoin d'une subvention provenant du budget général.
Et pourtant, le taux de la taxe de l'aviation civile est une nouvelle fois demeuré stable. En fait, c'est en tablant, sans audace excessive, comme nous le verrons plus loin, sur l'accroissement du produit des redevances de navigation aérienne, de route et pour services terminaux, que ce budget annexe se suffit à lui-même.
Ces recettes seront en grande partie consacrées au financement des 467 emplois créés, notamment dans le personnel technique, doté de 366 postes supplémentaires, d'où une hausse des dépenses en personnel de 8,4 % et, partant, celle de 7,8 % qu'enregistrent les dépenses ordinaires.
En revanche, les dépenses de fonctionnement proprement dites n'augmentent pas plus vite que le budget annexe dans son ensemble, avec une croissance de 3,7 %.
Une fois l'effort en termes de recrutements assimilé par les finances publiques, il conviendra sans doute de relancer les dépenses d'investissement, car elles ont été, tant en autorisations de programme qu'en crédits de paiement, réduites cette année, comme la précédente.
Il faut cependant reconnaître que cette baisse ne compromettra pas les efforts de modernisation de notre outil de contrôle du trafic aérien et d'amélioration de la sécurité du dispositif dans les espaces que l'OACI a confiés à la France.
De même, ce budget annexe permettra de financer de nombreux travaux sur nos bases aériennes et dans le domaine du contrôle technique, dont les moyens sont en forte progression. Je note que le doublement des crédits de paiement dans ce domaine a notamment pour but de permettre l'engagement de nouvelles études liées à la lutte contre les nuisances sonores.
Cela m'amène à évoquer le sujet qui a fait l'actualité nationale du secteur aérien durant ces derniers mois : je veux parler de la construction d'un troisième aéroport parisien et de sa localisation.
Sur ce sujet, des déclarations passionnées ont été faites, appuyées par des arguments techniques dont l'utilisation avait peut-être pour but de masquer les raisons, qui n'étaient pas nécessairement en rapport avec l'intérêt général, de la position des intervenants dans ce dossier.
Il a notamment été avancé, par référence à de supposées conséquences à long terme de la tragédie du 11 septembre, que le trafic aérien allait s'effondrer au xxie siècle, un siècle au cours duquel, si l'on en croyait l'an dernier à pareille époque les infatigables professionnels du pessimisme, les Concorde ne reprendraient pas leurs vols.
En réalité, il n'y a aucune raison de croire à une remise en cause de la tendance au développement, progressif mais régulier, du transport aérien de passagers et de fret.
J'ajouterai qu'il serait pour le moins indécent, voire indigne, de vouloir tirer un quelconque profit politique personnel de ces horribles événements.
Avec sagesse, le Gouvernement a décidé de maintenir les limitations de nuisances à Orly et à Roissy.
Reste à trouver des infrastructures susceptibles d'accueillir la différence entre les plafonds actuels d'activité et les 140 millions de passagers attendus en 2020 pour le Grand Bassin parisien, sans compter le fret supplémentaire.
Le recours aux aéroports régionaux constitue sans doute une partie de la réponse, et le Gouvernement l'a bien compris puisqu'il a assuré, pour le futur immédiat, une aide de 5 milliards de francs pour leur développement. Mais la logique même du hub vient limiter l'intérêt d'une telle ressource.
Une nouvelle plate-forme s'impose donc, et c'est là que le dossier se complique. En effet, par un bien compréhensible réflexe de not in my backyard , c'est-à-dire « pas dans mon coin », les habitants voisins des sites successivement pressentis ont souvent exprimé leur réticence, voire leur opposition. Pourtant, il a bien fallu trancher, et le Gouvernement a su prendre ses responsabilités, tout en optant pour le site qui semble le moins mauvais possible.
Les élus cantonaux de nombreux villages ne resteront pas indifférents au destin des petites communes concernées par le projet. Bien sûr, nous serons tous attentifs à ce que le processus se déroule avec le moins possible de dommages pour les populations concernées.
Il serait sans doute intéressant de voir les avocats d'un relogement des riverains de Roissy et d'Orly expliquer le bien-fondé de leur solution par rapport au déplacement des habitants du secteur retenu par le Gouvernement, en nombre nettement inférieur.
Quoi qu'il en soit, force nous est de reconnaître l'intérêt du site de Chaulnes, entre l'agglomération parisienne au sens le plus large et celle que forment le nord de la France et le Benelux, avec sa desserte ferroviaire et autoroutière.
A ce propos, j'ai entendu des critiques s'exprimer en ironisant sur la saturation de l'A 1 ou sur celle de la ligne ferroviaire à grande vitesse, exploitant même divers incidents techniques survenus dans sa traversée de la Somme.
Au-delà d'un nécessaire renforcement de l'infrastructure ferroviaire, le développement de solutions aternatives, en particulier pour le fret, s'imposera sans doute pour donner à la nouvelle plate-forme tous les gages de succès : je pense notamment au canal Seine-Nord et aux liaisons autoroutières transversales.
Cependant, ces considérations ne sont nullement de nature à remettre en cause notre appui à la décision prise à la mi-novembre par le Gouvernement.
Mais ce dossier n'est pas le seul qui ait permis au Gouvernement de manifester sa capacité à faire face à ses responsabilités. En témoigne la très nette progression des crédits du fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien. Le FIATA est en effet en hausse de 52 % par rapport à 2001 ; c'est dire que le repli de l'an dernier est plus qu'effacé : l'accroissement est de 17 % par rapport à 2000. Ces moyens permettront de faire face aux enjeux, d'une acuité toute particulière depuis le 11 septembre, de déplacements aériens plus sûrs.
Il s'agit en effet d'accroître la sûreté et les services de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronef, le contrôle à 100 % des bagages de soute, l'acquisition et le fonctionnement de matériel pour l'inspection des passagers et le contrôle des zones protégées.
En outre, le FIATA pourra davantage aider les entreprises de transport aérien à contribuer à l'aménagement du territoire par leurs dessertes.
Enfin, le Gouvernement a souhaité accroître son concours à la construction aéronautique civile en reconduisant les 329 millions d'euros d'autorisations de programme et en portant à 266 millions d'euros les crédits de paiement, qui sont en hausse de 10 %.
Il s'agira notamment de soutenir, avec 185 millions d'euros, le développement de l'A 380, un appareil gros-porteur très prometteur, comme l'a dernièrement montré la commande de trente-deux appareils de ce type parmi les quarante-trois Airbus achetés par l'Emirat de Dubaï au constructeur européen.
Monsieur le ministre, sur tous les grands dossiers aéronautiques et aériens, malgré une conjoncture mondiale particulièrement délicate et des tentatives de récupération de la crise internationale à des fins intéressées, le Gouvernement a su, cette année encore, faire prévaloir l'intérêt général.
Il a aussi fait en sorte que se poursuive la mise en oeuvre d'une stratégie industrielle et d'une politique des transports aériens au service de l'emploi et du développement durable.
Les moyens mobilisés par ce projet de loi de finances permettent de soutenir cette politique. Le groupe socialiste votera donc les crédits des transports aériens et du budget annexe de l'aviation civile.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui ce budget de l'aviation civile dans des conditions historiques exceptionnelles et dramatiques, à la suite des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, comme l'ont rappelé nos deux rapporteurs, Yvon Collin et Jean-François Le Grand.
Nos premières pensées vont, bien sûr, aux victimes des attentats et des accidents.
Nous ne pouvons cependant nous abstenir d'une analyse rigoureuse de la politique proposée par le Gouvernement afin d'apprécier comment il entend répondre à la conjoncture et préparer l'avenir du secteur du transport aérien.
Le budget annexe de l'aviation civile pour 2002 s'élève à 1,41 milliard d'euros. Néanmoins, il est aujourd'hui très difficile de chiffrer avec précision les recettes de l'aviation civile, car nous ne savons pas dans quelles proportions le produit des redevances sera affecté par la baisse du trafic.
Les attentats ont en effet déclenché un grave marasme dans le secteur du transport aérien, même si la situation commençait déjà à se dégrader avant le 11 septembre pour quelques compagnies aériennes, comme le montrent les faillites de Swissair et de Sabena. Certains n'hésitent pas à qualifier les difficultés actuelles de « plus grande crise à court et à moyen terme de l'aviation civile depuis la Deuxième Guerre mondiale ».
Le trafic international a baissé de 18,6 % depuis le 11 septembre, dont 10,9 % sur les lignes européennes, 33,6 % sur l'Atlantique nord et 17,6 % sur l'Extrême-Orient.
Selon toute vraisemblance, cette crise affectera profondément le secteur. D'une part, elle risque de se prolonger : le transport aérien n'a-t-il pas mis quatre ans à se remettre des conséquences de la guerre du Golfe ? D'autre part, les restructurations vont s'accélérer.
Dans l'immédiat, toutes les compagnies ont réagi de façon radicale : suppressions d'emplois, gel de certaines dessertes, hausse de tarifs, notamment pour absorber les surcharges de sécurité. Leur situation économique s'est fortement détériorée et l'exercice 2001 devrait se clore, pour nombre d'entre elles, par des pertes record. Sur la période de juillet à septembre 2001, British Airways a vu son bénéfice avant impôt chuter de 97 %. Pour Air France, au premier semestre, le résultat net a malheureusement baissé de 34 %.
Les Etats-Unis ne s'y sont d'ailleurs pas trompés en déployant un plan d'intervention sans précédent, d'un montant de 18 milliards de dollars, soit 5 milliards d'aides directes, 10 milliards de garanties pour les hausses des primes d'assurance et 3 milliards pour financer des mesures de sécurité dans les aéroports et les avions.
Face à une telle détermination, nous devons particulièrement veiller à ce que ces aides ne se traduisent pas par des distorsions de concurrence.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est le cas !
M. Ladislas Poniatowski. Il en va de même des normes de sécurité nouvelles que les Etats-Unis pourraient chercher à imposer au reste du monde.
Jusqu'à présent, l'Union européenne a choisi une voie prudente en mettant en place des aides ponctuelles et évolutives qui ne déséquilibrent pas le marché. Gardons-nous, cependant, de laisser l'écart se creuser avec les Etats-Unis et veillons à ce que les soutiens ne soient pas accordés à des entreprises déjà chancelantes.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé une enveloppe de 1 milliard de francs pour renforcer la sûreté et dédommager les compagnies de leurs pertes d'exploitation. Cela sera-t-il suffisant ? Nous devons non plus raisonner dans l'absolu mais tenir compte de l'interventionnisme des Etats-Unis, pays qui a lancé la déréglementation du ciel. Il faut absolument que vous nous précisiez les modalités d'octroi de ce milliard ; ou plus exactement, de 950 millions de francs.
Face à des actes de violence d'une telle atrocité et à une crise d'une telle ampleur, notre objectif premier doit être la sécurité de nos concitoyens, qui ont perdu confiance en un mode de transport pourtant sûr. Un travail approfondi doit être rapidement engagé sur ce sujet dans le cadre de l'organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI.
D'après les données du Livre blanc sur la politique européenne des transports présenté par la Commission en septembre dernier, de tous les modes de transport, c'est le transport aérien qui a enregistré, de loin, la croissance la plus forte au cours des vingt dernières années. Depuis 1970, le trafic a quintuplé dans les aéroports des Quinze, et ce sont près de 25 000 avions qui se croisent quotidiennement dans le ciel européen.
Cette tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années, et la part du transport aérien dans le transport de passagers devrait doubler entre 1990 et 2010.
Même si les attentats sont susceptibles de ralentir un tel niveau de croissance pendant quelques années, ils ne l'enrayeront pas.
En conséquence, comme il est écrit dans le Livre blanc, nous ne pourrons nous dispenser « d'une réforme de la gestion du ciel et d'une disponibilité suffisante en termes de capacités aéroportuaires dans une Union européenne élargie ».
Nous souhaiterions d'ailleurs connaître les réponses du Gouvernement à ce document dont les auteurs déplorent une organisation de la gestion du trafic insuffisamment intégrée, appellent à la réalisation du ciel unique à l'horizon 2004, dénoncent « la pénurie chronique d'aiguilleurs du ciel », entendent « réconcilier la croissance du trafic aérien avec l'environnement » et plaident pour « l'optimisation des capacités aéroportuaires ».
Sur ce dernier point, monsieur le ministre, nous sommes très dubitatifs sur la manière dont le Gouvernement s'est « entiché », si je puis dire, du site de Chaulnes, dans la Somme. Votre choix est très surprenant parce qu'il constitue un pari coûteux, risqué et contesté.
Un aéroport situé à 130 kilomètres de Paris n'est-il pas trop éloigné pour ne pas être délaissé ? Les Canadiens n'ont-ils pas essuyé un redoutable échec avec l'aéroport de Mirabel, pourtant établi à seulement 80 kilomètres de Montréal ? Pourquoi ferions-nous mieux ? (M. le ministre s'exclame) Une telle distance suppose un réseau d'infrastructures, notamment ferroviaires, lourdes et performantes.
Enfin, le choix de ce troisième aéroport ne résout pas la question de la qualité et de la fréquence des liaisons entre Paris, Orly et Roissy. A terme, on peut même s'interroger sur l'avenir de l'aéroport d'Orly.
Ce nouvel aéroport ne règle pas non plus le problème essentiel des nuisances sonores pour les riverains.
La solution évidente, mais qui mériterait d'être fermement appliquée, réside dans la stricte interdiction des constructions aux abords des aéroports. Nous l'avons évoquée longuement lors de l'examen de la loi SRU, monsieur le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Eh oui !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Je ne suis pas loin de m'interroger pour savoir si l'ouverture de l'aéroport de Chaulnes n'est pas un moyen de faire admettre à l'opinion publique et aux riverains la construction de deux pistes supplémentaires à Roissy.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Oh !
M. Ladislas Poniatowski. Le débat public qui va s'engager maintenant à propos de ce nouvel aéroport parisien ne doit pas nous faire oublier les dessertes régionales qui ont connu, ces derniers mois, une forte dégradation, comme l'a montré la commission des affaires économiques du Sénat dans un récent rapport.
Parfois directement concurrencées par le TGV, ces lignes n'en continuent pas moins de répondre à des besoins et de participer de l'aménagement du territoire. Il serait préférable, à l'avenir, de chercher des solutions équilibrées sur le long terme, complémentaires d'un point de vue spatial et qui ne privilégient pas un mode de transport par rapport à un autre.
Ce débat budgétaire m'a permis d'évoquer plusieurs questions portant sur les transports aériens. Force est de constater que le Gouvernement n'y apporte pas de réponse qui permette de préserver l'avenir de ce secteur ni d'un point de vue conjoncturel ni d'un point de vue structurel. C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants ne votera pas ce budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une célèbre chanson, Jacques Brel disait : « T'as voulu voir Vesoul, et on a vu Vierzon ». S'agissant du troisième aéroport, on attendait Beauvilliers, et on a vu Chaulnes !... (Sourires.)
C'est finalement après de nombreuses heures de vol et de multiples changements de cap que le projet de troisième aéroport a finalement « amerri » dans la Somme, déjà si éprouvée par les inondations !
Après cet atterrissage forcé dans la partie historique et riche de la Somme, l'émotion, la révolte se relaient dans une même interrogation : cet aéroport du futur est-il opportun au moment où, et pour combien de temps encore, la tragédie du 11 septembre a frappé le transport aérien au coeur ?
L'angoisse, la perspective du déracinement s'expriment par tous les moyens, de la part d'une population jetée dans les vertiges de l'incertitude et qui se voit, hélas ! forcée, dès aujourd'hui, de préparer au quotidien une mort lente annoncée. Les promesses de richesses à terme ressemblent, dans ce cas particulier, à des soins palliatifs.
Comment ne pas comprendre la détresse de ces villages auxquels on notifie le destin de l'Atlandide, ou celui, plus récent, des engloutis de la vallée de Tignes ?
M. Jean-Philippe Lachenaud. Et Goussainville ? Et Gonesse ?
M. François Gerbaud. Je suis de ceux qui partagent leurs légitimes émotions.
Il ne s'agit pas de refuser un équipement qui s'imposera, peut-être, un jour. Il s'agit, plus simplement, de dire que l'on pouvait attendre et, peut-être, faire ailleurs ou autrement.
Je suis convaincu aussi que ce choix, qui renforce encore plus l'hégémonique région parisienne au nord-est...
M. Paul Raoult. Des noms !
M. François Gerbaud. ... n'est pas dans une logique d'aménagement du territoire. Il semble s'inscrire - comme cela a été dit - dans les retombées d'une écologie électorale plutôt que dans une vision stratégique à moyen terme.
Au mois de février, lors d'un débat que vous avez organisé, monsieur Collin, le président d'Aéroports de Paris de l'époque disait : « Je ne souhaite pas que le troisième aéroport soit simplement le produit d'une réaction de rejet ». Il ajoutait que, si une croissance du trafic aérien est séduisante dans le hit-parade des aéroports, elle est aussi perçue d'une manière négative par les riverains.
Ainsi en est-il de Roissy qui, faute d'un plan draconien d'occupation des sols, a vu monter vers ses pistes et ses nuisances des riverains dont les protestations avaient, en leur temps, conduit le gouvernement de l'époque à la création de la mission Douffiagues vous avez participé, monsieur le rapporteur. Celle-ci avait conclu que Beauvilliers, dans un espace beauceron proche de Paris et peu peuplé, pouvait être le site du troisième aéroport.
Le Gouvernement en avait ainsi décidé. Mais ce qu'un gouvernement avait fait, un autre l'a défait... Exit Beauvilliers, c'est Chaulnes qui peut !... (Sourires.)
Nous verrons si un autre gouvernement, demain, ne lui réservera pas le sort de la plate-forme beauceronne !
Tenons-nous - en aux faits : les aéroports régionaux existent, et, si l'on peut s'interroger sur la réelle opportunité d'un troisième aéroport, c'est dans le souci qu'il n'y ait point de contradiction entre le rythme des investissements parisiens et celui des investissements consacrés aux plates-formes régionales.
Lors de l'annonce du choix de la troisième plate-forme, qu'il ne jugeait pas urgente, votre collègue M. Yves Cochet a dit : « L'Etat organisera le transfert d'activité de fret à Vatry. »
Surprenante déclaration que celle d'un transfert autoritaire du fret de Paris vers un seul aéroport, celui de Vatry. A-t-on interrogé l'Aéropostale et Federal-express pour lesquels une telle décision n'est pas vraiment acceptable ?
Les grands aéroports de province qui se modernisent peuvent accueillir un nombre accru de passagers, post ou pré-acheminés par TGV. Quant au fret, deux plates-formes spécialisées, Châteauroux et Vatry, peuvent l'accueillir pour mieux désencombrer les deux aéroports parisiens.
L'exclusive recommandation de Vatry a été énoncée sans qu'aucune analyse objective n'ait été réalisée auprès d'autres aéroports.
L'aéroport de Châteauroux, partenaire officiel d'Aéroports de Paris depuis 1998, en raison des avantages qu'il offre - compétitivité des tarifs, ouverture vingt-quatre heures sur vingt-quatre, situation en dehors de l'encombrement aérien, connexion autoroutière directe - est une piste supplémentaire dédiée au fret.
En outre, sa situation au sud et proche de Paris en fait une escale particulièrement économique pour les produits provenant du bassin méditerranéen, d'Afrique, de l'océan Indien et d'Asie, ainsi que pour les denrées périssables destinées à Rungis.
Désigner ministériellement et arbitrairement Vatry comme le seul site capable d'accueillir le fret, c'est ignorer les plates-formes de province et, d'une certaine manière, nier le nécessaire équilibre du territoire.
En disant cela, je n'ai pas l'intention d'engager une nouvelle bataille de la Marne ni d'entrer en compétition avec Vatry. Je souhaite simplement démontrer que les sites d'accueil ont des différences importantes, géographiques et juridiques. Vatry est exploité par une société privée à capitaux franco-canadiens, tandis que ce sont les collectivités locales qui gèrent l'aéroport de Châteauroux-Déols à leurs risques et périls, ce qui mérite quelque respect.
Si les propos de votre collègue auquel je fais allusion, et qui ne sont point les vôtres, devaient être enterinés, le Gouvernement transgresserait la règle de l'équité et de l'égalité de traitement qu'il se doit de réserver à tous ses administrés, quels qu'ils soient.
A l'occasion du choix du site de Chaulnes, M. le Premier ministre a annoncé l'octroi d'une enveloppe budgétaire pour aider les aéroports régionaux à investir. L'aéroport de Châteauroux entend en bénéficier et prendre ainsi sa place parmi les grandes plates-formes régionales. Nous comptons beaucoup sur vous pour qu'il en soit ainsi.
Au nombre des mesures d'accompagnement et pour mieux dynamiser une politique en faveur de l'aménagement du territoire, il faut aussi envisager de libérer les droits de trafic en province.
La libération des droits de trafic pour les aéroports régionaux est l'indispensable orientation souhaitée par tous les grands responsables d'aéroports.
Le concept ancien des droits de trafic doit évoluer avec les changements intervenus dans le domaine du transport aérien. Si les droits en matière de transport de passagers doivent être adoucis, ceux qui existent pour le fret doivent l'être encore davantage.
Les autorisations accordées par les autorités d'un pays aux compagnies aériennes étrangères ont par ailleurs un impact considérable sur cette compétition. En effet, si les droits d'atterrissage sont refusés, les chargements ne peuvent être que déroutés sur les aéroports de pays voisins.
Je citerai quelques exemples : en 1995, deux Boeing 747 devaient prendre des cargaisons de beaujolais à Paris ; les droits ayant été refusés, les avions ont été chargés, l'un, à Bruxelles, l'autre, à Luxembourg. Cela s'est traduit par des pertes d'argent et de travail.
Plus récemment, en décembre 2000, des vols réguliers d'Iliouchine de la compagnie Faso Airways acheminant à Châteauroux des haricots verts à destination de Rungis ont été refusés par l'administration française. Les avions se sont donc posés à Ostende.
Autre exemple : la compagnie algérienne Khalifa Airways désirait également que ses avions se posent à Châteauroux. Elle s'est vu refuser les droits de trafic en 2001 et ses appareils se sont posés, eux aussi, à Ostende.
Voilà quelques situations parmi d'autres qui éclairent parfaitement que tout déroutement sur des aéroports étrangers représente une perte économique considérable pour notre pays. C'est la raison pour laquelle nous sollicitons toute votre attention sur ce sujet.
Ainsi s'achève la part que je souhaitais prendre à ce débat, qui, une fois de plus, et c'est une respectueuse coïncidence, se déroule, comme l'écrivait Saint-Exupéry, sur « un vol de nuit » ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)