SEANCE DU 14 DECEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 64
septies. -
Après l'article L. 241-6 du code du travail, il
est inséré un article L. 241-6-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 241-6-1. -
I. - Les personnes titulaires d'un diplôme en
médecine, d'un certificat ou d'un autre titre mentionné à l'article L. 4131-1
du code de la santé publique et ayant exercé au moins pendant cinq ans,
peuvent, pour une durée de cinq ans à compter de la date de promulgation de la
loi n° du de modernisation sociale exercer la médecine du travail ou la
médecine de prévention, à condition d'avoir obtenu un titre en médecine de
santé au travail et de prévention des risques professionnels, à l'issue d'une
formation spécifique, d'une durée de deux ans comprenant une partie théorique
et une partie pratique en milieu de travail.
« II. - Au titre de cette formation, chaque médecin peut bénéficier d'une
indemnité liée à l'abandon de son activité antérieure, d'une garantie de
rémunération pendant la période de formation et d'une prise en charge du coût
de celle-ci. Le financement de ces dispositions est assuré par des concours des
organismes de sécurité sociale et une participation des services médicaux.
« III. - Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du
présent article. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 110, présenté par Mme Beaudeau, MM. Muzeau et Fischer, Mme
Demessine et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi
libellé :
« Supprimer l'article 64
septies. »
L'amendement n° 108, présenté par MM. Jean-Louis Lorrain, Franchis et Dériot
est ainsi libellé :
« Compléter le I du texte proposé par l'article 64
septies
pour
l'article L. 241-6 du code du travail par une phrase ainsi rédigée :
« Les titulaires du diplôme de l'Institut national de médecine agricole de
Tours répondent aux conditions de cet article. »
La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 110.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
A l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi de modernisation sociale,
le Sénat avait supprimé, sur propositions du rapporteur et de notre groupe,
l'article 64
septies,
qui visait à instaurer une voie de formation
parallèle en médecine du travail pour les médecins généralistes.
Sachant bien que cet article ne réglerait rien, l'Assemblée nationale l'a
rétabli en troisième lecture, mais l'a modifié afin de limiter à cinq ans la
durée d'application de ce dispositif de reconversion.
Une telle modification, certes restrictive, ne peut cependant pas nous
satisfaire. Même assorti d'une durée d'application limitée à cinq années, ce
dispositif nous semble toujours remettre en cause la médecine du travail en
tant que discipline spécialisée et protectrice de la santé des salariés et
fragiliser la capacité d'expertise et d'influence de ces personnels.
Il paraît difficile d'accepter, en guise de solution à la pénurie de médecins
du travail, que l'on ouvre la possibilité de former en deux ans des médecins
généralistes à cette discipline, alors que la préparation du DES de médecine du
travail requiert quatre années d'études.
Bien sûr, la carence en médecins du travail est réelle : 1 800 postes manquent
en équivalent plein temps, si l'on inclut le nécessaire tiers temps de
prévention inscrit dans le décret du 10 mars 1979. Nous n'avons cessé de le
répéter, tout comme nous constatons depuis longtemps les dangers qui pèsent sur
la protection de la santé au travail, faute de personnels en effectifs
suffisants. L'absence de volonté politique dans ce domaine ne date pas de
quatre ans.
Actuellement, un médecin du travail contrôle en moyenne 2 500 à 3 000 salariés
par an, alors qu'un chiffre maximal de 1 800 salariés par an est avancé par la
majorité des experts dans ce domaine pour permettre à ces médecins de pouvoir
jouer pleinement leur rôle de préventeur, de conseiller des salariés et du chef
d'entreprise, ainsi que de protecteur de la santé au travail.
Il serait totalement illusoire de penser qu'un tel système restera provisoire
et d'une durée maximale de cinq ans.
Il renforcera, c'est vrai, madame la secrétaire d'Etat, les effectifs de la
médecine du travail, mais à quel prix ! Vous savez combien nous devons, les uns
et les autres, nous méfier du transitoire et du provisoire.
Il nous appartient, dès lors, bien plutôt de conserver à la médecine du
travail son caractère de spécialité, et à ses personnels la qualité d'experts
en toxicologie, en ergonomie, en psychopathologie et en connaissance des
produits cancérogènes, mutagènes et toxiques.
Il faut donc à tout prix sauvegarder l'unicité du diplôme de médecin du
travail, et ce qui nous paraît urgent, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, c'est de donner aux médecins du travail les moyens de mener à bien
leurs missions.
Cet article va finalement enterrer ce problème et donner l'illusion d'une
réponse des pouvoirs publics à une carence qui, en vérité, s'aggravera.
Pour répondre à ces difficultés manifestes, nous ne pensons pas, bien entendu,
que toute idée de reconversion soit à rejeter. Cependant, la reconversion telle
que nous pourrions l'accepter serait celle qui se ferait pour les médecins
généralistes par le biais de l'internat qualifiant ou du concours dit «
européen », qui, je le rappelle, existe depuis dix ans. Que des médecins
libéraux souhaitent exercer dans le cadre de la médecine du travail, c'est très
bien ! Mais alors il faut que leur soit offerte une formation semblable à celle
que reçoivent les étudiants en DES de médecine du travail, mais aussi une
logique de formation dégagée de la pression qui est instaurée par le
financement de cette formation par les employeurs.
Par ailleurs, il convient, bien entendu, d'augmenter sensiblement le
numerus clausus
régissant le nombre de médecins du travail annuellement
promus.
Madame la secrétaire d'Etat, vous m'avez fait observer en deuxième lecture ici
même que le Gouvernement avait ouvert 225 postes au concours de l'internat
depuis quatre ans, mais vous constatiez cependant que perdurait la pénurie de
médecins du travail. C'est effectivement un constat. A vrai dire, cela me
semble tout à fait logique. Il faut en fait, pour être réaliste, doubler le
numerus clausus
et faire passer de 100, qui est le chiffre record de
l'année 1999, à 400 au moins le nombre de postes ouverts chaque année au
concours de l'internat. Il faut également augmenter le
numerus clausus
du concours européen et, surtout, le régionaliser afin que les médecins
généralistes qui désirent se reconvertir en médecins du travail ne soient pas
découragés par la perspective, éventuelle et fréquente, de déménagement à
l'autre bout de la France.
Tels sont, selon nous, les éléments efficaces d'une réforme efficiente de la
médecine du travail. C'est pourquoi nous vous proposons de supprimer cet
article.
M. le président.
La parole est à M. Franchis, pour présenter l'amendement n° 108.
M. Serge Franchis.
L'article 64
septies
crée une nouvelle filière de formation à la
médecine du travail.
Par le présent amendement, nous souhaitons rappeler que des filières existent
déjà, comme celle qui concerne les médecins du travail qui exercent au niveau
des MSA et qui sont titulaires du diplôme de l'Institut national de médecine
agricole de Tours.
La médecine du travail en agriculture est exercée par des docteurs en médecine
titulaires soit du DES de médecine du travail, soit du diplôme de cet institut.
Ce diplôme, obtenu à la suite d'une formation théorique et pratique de deux
ans, permet d'exercer la médecine du travail en agriculture ainsi que dans la
fonction publique - médecine de prévention - sauf, en principe, au régime de
l'industrie et du commerce.
Il paraît donc logique que la formation à l'Institut national de médecine
agricole de Tours, existant depuis plusieurs années et formant des médecins du
travail, soit considérée comme telle et que le diplôme qu'il délivre soit
reconnu comme titre en médecine de santé au travail et de prévention des
risques professionnels, et qu'il soit mentionné dans le décret
d'application.
Cette disposition relève peut-être du domaine réglementaire. Cet amendement
vise précisément à demander au Gouvernement les dispositions qui sont
susceptibles d'être prises en la matière.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 110 et 108 ?
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je donnerai d'abord l'avis de la commission sur l'amendement
n° 110.
L'article 64
septies
permet aux médecins généralistes de se reconvertir
en médecins du travail, à condition de suivre une formation spécifique de deux
ans.
Je comprends les motivations de l'amendement n° 110, puisque notre commission
avait elle-même déposé et fait adopter un amendement de suppression de cet
article en deuxième lecture.
La commission avait, en effet, considéré qu'il s'agissait là d'une disposition
votée « à la sauvette », sans concertation et malgré l'opposition résolue
exprimée par certaines organisations représentatives des médecins du
travail.
L'objectif fixé par le Gouvernement était de remédier, par des moyens de
fortune, à la carence en médecins du travail en évitant à tout prix le
nécessaire débat sur le rôle et l'avenir de la médecine du travail. Pour notre
commission, la médecine du travail méritait une véritable réforme, et non des
mesures qui relevaient de l'expédient, adoptées à la va-vite, à quatre heures
du matin.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a rétabli cet article dans une
rédaction qui diffère toutefois sur un point essentiel de celle qu'elle avait
adoptée en deuxième lecture, puisque le dispositif ne serait applicable que
pendant une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la loi.
Eu égard à la pénurie de médecins du travail et au caractère désormais
transitoire du dispositif proposé, la commission propose d'accepter l'article
64
septies.
Dans ces conditions, je ne peux qu'être défavorable à cet amendement de
suppression.
J'en viens à l'amendement n° 108. La commission s'en remet à la sagesse du
Sénat. Peut-être cette catégorie pourrait-elle être ajoutée dans le décret,
madame le secrétaire d'Etat. Si, aujourd'hui, devant le Sénat, l'engagement
était pris de ne pas oublier les diplômés de l'Institut national de médecine
agricole de Tours, le problème serait réglé.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 108 et 110 ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je m'exprimerai tout d'abord sur l'amendement n° 110,
auquel le Gouvernement est défavorable. Je souhaiterais dire de nouveau à Mme
Beaudeau les raisons de cette position.
La médecine du travail, premier système de prévention français, connaît depuis
plusieurs années une grave pénurie de recrutement, représentant 10 % du corps.
Le Gouvernement est allé pourtant au maximum des efforts possibles puisque,
depuis 1998 - vous l'avez d'ailleurs rappelé vous-même, madame la sénatrice -,
225 postes ont pu être ouverts globalement au concours de l'internat, et ce
malgré la contrainte du
numerus clausus.
Pourtant, le déficit en médecins du travail n'est pas une difficulté
transitoire. En effet, la structure démographique est telle que 3 000 des 6 500
médecins du travail exerçant aujourd'hui partiront à la retraite au cours de la
décennie à venir.
Dans ces conditions, les dispositions utilisées jusqu'à présent ne sont pas en
mesure de fournir de façon pérenne le niveau de ressource nécessaire au
fonctionnement régulier de la médecine du travail.
A moyen terme, le système devra trouver son équilibre dans une réforme
d'ensemble des études médicales, mais des mécanismes doivent impérativement
être mis en place, pour sortir de situations qui deviennent, localement
ingérables.
Le dispositif de conversion de médecins généralistes vers la médecine du
travail et la médecine de prévention, moyennant, bien sûr, une formation
adaptée et un contrôle des connaissances, est donc une mesure indispensable
dans l'attente d'une réforme d'ensemble des études médicales, pour donner à la
médecine du travail les ressources qui lui sont nécessaires.
Elle a fait l'objet d'une concertation le 18 mai dernier, devant le conseil
supérieur de la prévention des risques professionnels, où elle a reçu un
accueil très favorable des partenaires sociaux. Je souhaitais le redire ici. En
outre, il convient de rappeler qu'elle est positivement accueillie par les
syndicats de médecins du travail.
S'agissant de l'amendement n° 108, j'ai bien écouté les avis des uns et des
autres, mais le Gouvernement pense que cet amendement est en réalité sans
objet, car il vise le diplôme délivré par l'Institut national de médecine
agricole de Tours qui donne déjà accès à la fonction de médecin du travail en
agriculture régie par les dispositions du code rural. Mais s'il faut le
réintroduire dans le décret d'application,...
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Voilà !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
... en cohérence avec ce que je viens de dire, nous le
ferons.
M. le président.
Monsieur Franchis, l'amendement n° 108 est-il maintenu ?
M. Serge Franchis.
Pour que les choses soient très claires, je souhaite que le décret
d'application fasse état de ce diplôme.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous ai écoutée avec
attention. A ce point du débat, je voudrais que nous soyons bien d'accord sur
le fait que ces médecins n'exerceront pas uniquement dans le milieu agricole et
qu'ils pourront intervenir dans tous les secteurs. Il faut être très vigilants
à cet égard. Je ne voudrais pas que le législateur soit trompé dans cette
affaire et qu'il être soit pas ensuite objecté que, même si leur diplôme figure
dans le décret, il doivent, en fin de compte, exercer uniquement dans le
domaine agricole.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Je maintiens tous les mots que j'ai prononcés. Je ne
vois pas où se poserait un nouveau problème. Pour que ce soit très clair, je
répète ce que j'ai dit voilà un instant : nous pensons que cet amendement est
sans objet puisque le diplôme délivré par l'Institut national de médecine
agricole de Tours donne déjà accès à la fonction de médecin du travail en
agriculture régie par les dispositions du code rural. Donc, si ce que je dis
n'est pas suffisant et s'il faut, dans le décret d'application, inscrire une
précision en cohérence avec les propos que je viens de tenir, ce sera fait bien
sûr.
M. le président.
J'ai l'impression d'assister à un dialogue de sourds !
Monsieur Franchis, qu'en est-il de l'amendement n° 108 ?
M. Serge Franchis.
Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 110, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 108, pour lequel la commission s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.
Je mets aux voix l'article 64
septies
, modifié.
(L'article 64
septies
est adopté.)
Article 64 octies