SEANCE DU 20 DECEMBRE 2001


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE
POUR 2001

Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2001.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, hier, à la suite de l'échec de la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi de finances rectificative, l'Assemblée nationale a procédé à une nouvelle lecture de ce texte.
Ses divergences profondes avec la commission des finances du Sénat n'ont pas conduit le Gouvernement à rejeter en bloc les propositions sénatoriales en première lecture. Le Gouvernement a en effet donné son accord à près d'une vingtaine d'amendements issus de la commission des finances ou de la majorité sénatoriale.
Parmi les plus importants, plusieurs concernent les collectivités locales, notamment deux amendements de M. Michel Mercier, activement soutenus par votre rapporteur général et par le président Alain Lambert.
Je mentionnerai également le dispositif proposé par M. Paul Loridant concernant les titres-restaurant dans la fonction publique.
Il me plaît en outre de souligner le très bon travail de coopération mené par vos deux assemblées à propos des commissions sur les cartes bancaires, dans la perspective du passage à l'euro. Je crois que vous êtes parvenus conjointement à un dispositif satisfaisant, répondant au problème posé, autant qu'il était possible au législateur de le faire.
Il me semble important de relever qu'entre la majorité et l'opposition l'Assemblée nationale et le Sénat, les débats ne se résument pas à des affrontements jusqu'au-boutistes et que chacun des acteurs en présence, lorsque des avancées sont possibles en commun, choisissent de faire prévaloir l'intérêt de tous et non les satisfactions de quelques-uns.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Il me semble que cela donne, a contrario, une légitimité plus grande à nos débats et à nos oppositions.
Vous me permettrez de revenir en quelques mots sur les principes et sur l'économie générale du projet de loi de finances rectificative en discussion.
Cette année, tout particulièrement, ce texte est un acte important de la politique économique du Gouvernement : parce que c'est le dernier collectif de la législature et parce que la conjoncture économique est assurément moins heureuse. Ce texte réaffirme et consacre nos orientations, nos choix budgétaires au service de la croissance et de la solidarité durables.
Lorsque nous avons présenté le projet de loi de finances pour 2002, à la mi-septembre, nous avons, Laurent Fabius et moi-même, retenu pour 2001 une hypothèse de croissance de 2,3 %, avec un seuil bas de 2,1 %.
La flambée des prix du pétrole, l'an passé, le dégonflement de la bulle spéculative ont fait très sensiblement ralentir la croissance aux Etats-Unis et dans la zone euro dès le second semestre de 2000.
Les attentats ont porté un coup humain, social et économique déflagrateur, dans un contexte qui était déjà fortement assombri.
La France, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises devant vous s'est plutôt mieux sortie que ses partenaires européens des premiers effets du retournement, et nous le devons sans doute, au moins pour une part, aux baisses d'impôt que nous avons décidées.
Quelques indicateurs récents viennent conforter cette analyse. Les prix ont baissé de 0,2 % au cours des six derniers mois ; près de 200 000 emplois ont été créés depuis le début de cette année, et 30 000 l'ont encore été au troisième trimestre. Par ailleurs, à la fin de septembre le salaire individuel de base avait progressé de 2,5 % sur douze mois. La consommation des ménages en produits manufacturés a crû de 1,7 % au troisième trimestre par rapport au précédent. Enfin, la croissance du troisième trimestre a été robuste, avec une hausse de 0,5 %. Sur les quatre derniers trimestres, la France a connu, comme le Royaume-Uni, une croissance de 2 %, l'Italie de 1,8 %, les Etats-Unis de 0,6 %, l'Allemagne de 0,5 %, tandis que le Japon enregistrait, lui, une baisse de son PIB, de 0,4 %.
De ce point de vue, on peut considérer que notre objectif de croissance de 2,1 % pour l'année 2001 devrait pouvoir être atteint.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances rectificative traduit d'abord la volonté du Gouvernement d'accompagner l'évolution de l'économie et de laisser jouer les « stabilisateurs automatiques » du budget en recettes. Dans ce collectif, le déficit du budget de l'Etat est fixé à 212,48 milliards de francs, c'est-à-dire 32,4 milliards d'euros, soit une hausse de 25,9 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale pour 2001, qui correspond très exactement aux moins-values de recettes fiscales qui ont été annoncées par rapport à la loi de finances initiale. Le déficit est pratiquement identique à celui du collectif de la fin de l'année 2000, qui s'établissait à 209,5 milliards de francs.
Un palier en matière de réduction du déficit de l'Etat est rendu nécessaire par le ralentissement de l'économie, mais je rappelle qu'une nouvelle réduction de ce déficit figure dans la loi de finances pour 2002. En faisant jouer les « stabilisateurs automatiques » en recettes, nous faisons, je le répète, le choix de la croissance.
En retour, cette stratégie nous impose d'être pleinement respectueux de la norme que nous nous sommes fixée quant aux dépenses. Depuis 1997, les objectifs en la matière ont été tenus : les résultats traduisent une progression en moyenne et en francs constants d'un quart de point par an.
Je ne reviendrai pas sur les ouvertures nettes du budget général, qui ont déjà été amplement détaillées.
Les mesures fiscales de ce projet de loi de finances rectificative portent principalement la marque du plan de consolidation de la croissance annoncé par Laurent Fabius le 16 octobre dernier.
C'est le cas de la proposition qui a été faite par le Gouvernement de permettre aux 8,5 millions de foyers ayant bénéficié voilà trois mois de la prime pour l'emploi de la voir doubler dès 2001. Je sais que le Sénat est défavorable à cette proposition. Permettez-moi de le regretter une fois de plus.
Le Gouvernement de Lionel Jospin est attaché à soutenir, en même temps que la demande des ménages, l'offre et l'investissement des entreprises. C'est le sens de nombre des propositions qui figurent dans ce projet de loi. Je n'en ferai pas ici l'exégèse car nous en avons discuté longuement ces derniers jours.
Dans quelques minutes, par la voix de M. le rapporteur général, votre commission des finances vous proposera d'adopter une question préalable et de rejeter ainsi le projet de loi de finances rectificative pour 2001 sans procéder à son examen article par article. Comme je l'ai dit à propos du projet de loi de finances pour 2002, cela me semble tout à fait logique et cohérent.
Faire la loi, fixer les règles qui président à l'organisation de notre collectivité nationale, telle est la responsabilité, noble entre toutes, qui vous incombe. C'est une mission délicate, presque paradoxale. Elle nécessite en effet d'être précis sur chaque détail sans perdre de vue qu'une juxtaposition de mesures ou de normes ne fait pas forcément une politique. Cependant, la mise en cohérence des différentes dispositions, le sens et la portée générale que l'on veut donner à la loi fournissent essentiellement la matière à des confrontations de points de vue et de convictions. C'est donc à un travail long, patient, presque fastidieux parfois, mais en même temps exaltant, que vous devez vous astreindre.
Dans votre enceinte, j'aurai connu beaucoup de moments agréables, car vos débats, je vous le dis très sincèrement, sont souvent passionnants. Et puis, lorsque la sincérité de nos engagements respectifs se transforme en joutes passionnées, j'aurai éprouvé à quel point il y a peu entre la passion et l'emportement... (Sourires.)
Pour vous faire une confidence, je ne regrette aucun de ces moments entre nous. D'abord, parce que mon caractère personnel ne les récuse nullement et, ensuite, parce que me revient à l'esprit cette jolie phrase de Hegel : « Rien de grand dans le monde ne s'est accompli sans passion ».
Faire coexister passion et raison, tel est l'un des objectifs fondamentaux de la démocratie et c'est bien ce que j'ai pu vérifier auprès de vous. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Passion et raison, je donne la parole à M. le rapporteur général.
M. Paul Loridant. Que la raison l'emporte !
M. Bernard Angels. La passion, c'est sûr ! La raison, ce l'est moins...
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, appel à la passion ou appel à la raison, je vais m'efforcer de vous présenter de manière aussi fidèle que possible le projet de loi de finances rectificative tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale.
Si vous le permettez, madame le secrétaire d'Etat, en conclusion de cet échange, je voudrais, parce qu'il s'agit du dernier texte nous permettant d'aborder la politique des finances publiques, profiter de cette occasion pour vous poser quelques questions sur l'articulation complexe entre loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances, notamment à la lumière de la décision récente du Conseil constitutionnel.
Pour ce qui est du collectif budgétaire, mes chers collègues, il est vrai que, si je focalise tout d'abord mon attention sur les articles fiscaux, parmi les quarante-neuf articles qui avaient été transmis par le Sénat à l'Assemblée nationale, vingt-sept ont été adoptés conformes ou quasi conformes.
Pour être encore plus précis, en excluant toute la première partie, c'est-à-dire les articles qui avaient un impact budgétaire, sur les trente-sept autres articles, vingt-quatre, soit les deux tiers, ont été adoptés conformes par l'Assemblée nationale.
En outre, seize articles additionnels introduits par le Sénat en première lecture ont été repris sans modification à l'Assemblée nationale.
Il me faut, à la suite de Mme le secrétaire d'Etat, saluer ce bon fonctionnement du bicamérisme et souligner l'hommage ainsi rendu par nos collègues de l'Assemblée nationale à notre réactivité, à celle des membres de la commission et de leurs collaborateurs qui ont su préparer de bons dossiers, bien argumentés et convaincre, puisque nous avons été suivis.
Cette moisson assez favorable porte, d'abord, sur la fiscalité locale. C'est bien le rôle du Sénat, représentant des collectivités territoriales, que de mettre l'accent sur certains sujets qui le préoccupent.
Ainsi, trois mesures emblématiques, importantes par la jurisprudence qu'elles peuvent créer, ont pris naissance dans ce texte : les mesures d'aménagement pour l'intégration de nouvelles communes dans le périmètre des communautés d'agglomération - il s'agissait d'un amendement de nos collègues Jean-Paul Alduy et Yves Fréville -, la déliaison, dans des conditions bien précises, des taux votés par les départements - il s'agissait d'un amendement de notre collègue Michel Mercier - et la mise en place d'une option pour fixer les taux de fiscalité additionnelle des établissements publics de coopération intercommunale assujettis à la taxe professionnelle unique - il s'agissait d'un amendement dont l'initiateur est le président Alain Lambert.
Je passerai en revue rapidement les autres dispositifs, sans faire de différence, madame le secrétaire d'Etat, en fonction de leur origine politique.
S'agissant de la fiscalité agricole, nous avons étendu à la fièvre aphteuse le dispositif d'étalement d'imposition prévu pour l'indemnisation versée aux éleveurs dont le cheptel est victime de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB.
Par ailleurs, nous nous sommes efforcés, ensemble, de rendre plus méthodiques, plus transparents les rapports financiers de l'Etat actionnaire et des établissements publics. Ainsi, l'article 37 décrit, suivant la logique de la loi organique du 1er août 2001, les conditions dans lesquelles l'Etat peut prélever une quote-part du résultat de ces établissements publics sous forme d'un dividende.
Je citerai l'amélioration du régime des chèques-restaurant, la période de double circulation du franc et de l'euro, dont les particularités nous ont semblé motiver un dispositif d'écrêtement des commissions sur les transactions réalisées au moyen des cartes bancaires, le retour au statu quo pour ce qui est des redevances perçues par les agences de l'eau, et ce dans l'attente du projet de loi sur l'eau, le dispositif permettant de faire prévaloir la neutralité fiscale en faveur de l'ouverture sur les marchés financiers du groupe du Crédit agricole.
Je terminerai cette énumération, qui n'est pas exhaustive, en rappelant que l'amendement relatif à Cherbourg et à La Hague, qui, à nos yeux, avait un caractère un peu trop ad hominem, n'a pas subsisté dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Par conséquent, madame le secrétaire d'Etat, grâce à votre ouverture d'esprit et au travail de vos services, nous avons pu techniquement nous entendre sur tous ces sujets et sur quelques autres, ce qui montre bien la considération que vous portez à notre assemblée. J'ai même le sentiment que, le temps passant, vous vous y sentez de mieux en mieux, madame le secrétaire d'Etat !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Assurément !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Vous pourriez y siéger !
M. Jean Chérioux. C'est une invitation !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien entendu, nul ne sait de quoi l'avenir sera fait !
En ce qui concerne les données générales de la politique économique et financière, plus particulièrement de la politique des finances publiques, il me faut rappeler que nos approches continuent assez fondamentalement à diverger.
Nous sommes particulièrement choqués de constater que, dans la période actuelle de ralentissement, de nouvelles dépenses sont financées par l'accroissement du déficit de la dette.
Nous sommes également choqués par l'irréalisme de certaines prévisions et par certains procédés que l'exécutif a utilisés pour franchir le cap des années 2001 et 2002 et pour aborder, dans les conditions qui lui semblent les plus favorables, par clientélisme, la période préélectorale qui est devant nous.
A cet égard, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la décision toute récente du Conseil constitutionnel mérite quelques commentaires. Cette décision, si j'en ai bien compris les enjeux économiques, a deux conséquences.
D'abord, le fonds de réserve des retraites, que l'on nous a présenté comme une véritable panacée, se vide encore un peu plus de la substance qui lui était promise, puisque 5,5 milliards de francs de versements attendus des organismes de sécurité sociale lui échappent.
Ce fonds de réserve des retraites, qui figure avec maints rapports parmi les divers alibis ayant évité au Gouvernement de prendre ses responsabilités sur le sujet, paraît de plus en plus gesticulatoire et virtuel. La décision du Conseil constitutionnel renforce une nouvelle fois cet aspect.
Ensuite, nous voyons éclater les effets pervers d'une méthode qui ne permet plus à la représentation nationale d'avoir une vision globale des finances publiques.
Nous nous sommes largement mobilisés sur ce sujet il y a quelques mois lors de l'examen de la nouvelle loi organique sur les finances publiques. Nous n'avons cessé de dire, et cette préoccupation me semble très largement répandue quelle que soit notre appartenance politique, que le dualisme entre loi de financement de la sécurité sociale et loi de finances de l'Etat se traduit par de nombreux inconvénients, du point de vue tant de la transparence que de la qualité des décisions prises par l'Etat en matière de finances publiques.
Lorsque l'on analyse ces tuyauteries complexes, ces jeux de miroirs, il est difficile, même avec le soutien des meilleurs spécialistes, d'y voir clair d'autant qu'il existe quelque part, entre la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances de l'Etat, un réceptacle dont l'ampleur grossit d'année en année et dont l'enjeu macroéconomique est devenu très significatif.
Je veux parler, chacun le comprend, du FOREC, le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, qui a été créé par une loi de financement de la sécurité sociale. Le Parlement lui fait obligation d'être en équilibre, mais le FOREC ne figure stricto sensu ni dans la loi de financement de la sécurité sociale ni dans la loi de finances de l'Etat. Il est ailleurs, il mobilise des ressources considérables issues des prélèvements obligatoires - impôts, impositions de toutes natures ou cotisations sociales -, mais il est dans une situation hybride et confuse.
Songez, mes chers collègues, que dans la nomenclature budgétaire de l'Etat, nous nous efforçons de suivre aussi minutieusement que possible, avec nos différents rapporteurs, des budgets, certes très honorables, plus qu'honorables, mais d'un impact économique et financier très réduit, comme ceux des ordres nationaux, des Monnaies et Médailles, de l'Imprimerie nationale ou du Conseil économique et social.
Mais que le FOREC, avec ses enjeux économiques, budgétaires et sociaux, ne soit suivi et ne soit contrôlé ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat par un seul rapporteur, c'est un fait qui mérite d'être souligné.
Le Conseil constitutionnel a constaté que, remontant à l'année 2000, la dette de l'Etat à l'égard des organismes de sécurité sociale ne pouvait pas être annulée rétroactivement.
Dès lors, et sans que ce jeu d'écriture entre l'Etat et la sécurité sociale puisse modifier le solde global des finances publiques, le solde agrégé de l'Etat et de la sécurité sociale, il me semble - mais je voudrais vous en demander confirmation, madame le secrétaire d'Etat - que le solde propre aux organismes de sécurité sociale se trouve amélioré à due concurrence, c'est-à-dire de 16 milliards de francs.
Si le solde des organismes de sécurité sociale est amélioré de 16 milliards de francs, madame le secrétaire d'Etat, comment le solde de l'Etat, qui n'en est que la contrepartie et le reflet, ne serait-il pas détérioré de 16 milliards de francs ?
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La décision du Conseil constitutionnel ne veut-elle donc pas dire, madame le secrétaire d'Etat, que le déficit de l'Etat, que le déficit cumulé des lois de finances s'est trouvé augmenté de 16 milliards de francs ?
Je voudrais aussi vous demander, madame le secrétaire d'Etat, comment le Gouvernement souhaite sortir de cette situation confuse, d'abord, pour ce qui est du sort des 16 milliards de francs en question et, ensuite, pour ce qui est de la clarté à rétablir dans notre système décisionnel, dans le fonctionnement de nos procédures d'approbation parlementaires s'agissant du FOREC.
Vous considérez-vous, madame le secrétaire d'Etat, comme satisfaite de cet état de choses où le FOREC n'est jamais appréhendé en tant que tel mais tantôt dans la loi de financement de la sécurité sociale, tantôt dans la loi de finances de l'Etat ?
Madame le secrétaire d'Etat, vos réponses nous seront précieuses. J'ai lu avec intérêt et avec attention celles qui ont été formulées à l'Assemblée nationale par vos collègues du Gouvernement. J'ai trouvé qu'elles étaient floues, qu'il s'agissait sans doute de réponses d'attente, et que la formulation de Mme Elisabeth Guigou, d'un côté, et que celle de M. Fabius, de l'autre, n'étaient ni complètement cohérentes l'une avec l'autre, ni complètement de nature à répondre à nos interrogations.
Sans doute, à vingt-quatre heures de distance, la capacité de l'expertise que nous reconnaissons à votre grande administration et votre propre réflexion personnelle avec l'esprit percutant et de rigueur que nous vous connaissons vont-elles vous permettre dans quelques instants de nous apporter, avant que nous ne nous séparions pour la période des fêtes, les assurances ou, du moins, les éclaircissements dont le Sénat a besoin. Madame le secrétaire d'Etat, je vous en remercie par avance et je vous remercie, mes chers collègues, de votre attention. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos sera bref. Il ne contient que deux messages l'un, à l'intention de l'Assemblée nationale et l'autre à votre intention, madame la secrétaire d'Etat.
Le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud, auquel, je ne le cache pas, une amitié sincère me lie, a souligné la diligence des services de sa commission et de la séance de l'Assemblée nationale et regretté que le Sénat ne suive pas toujours cet exemple.
C'est un homme juste, et je ne veux pas cacher l'estime que je lui porte. Cela me permet d'autant plus de regretter son propos et de lui dire ma conviction qu'il se trompe.
Cela m'incite à rappeler, une fois encore, ce qu'est la loi dans notre démocratie : elle est l'expression de la volonté générale du peuple français, qui, dans notre République, est le souverain.
Serions-nous prêts, pour achever nos travaux quelques heures plus tôt, à faire bavarder notre souverain, à légiférer en son nom, sans même prendre le temps de nous écouter mutuellement ni même d'examiner avec l'attention nécessaire nos propositions respectives ?
Faut-il rappeler, par ailleurs, que l'ordre du jour prioritaire est fixé en conférence des présidents, sur proposition du Gouvernement ? S'agissant du collectif, dès lors qu'il était prévisible que l'Assemblée nationale achèverait ses travaux le mercredi soir vers vingt heures, la conférence des présidents a fixé l'examen par le Sénat du texte de l'Assemblée nationale le lendemain, jeudi, dès quinze heures, soit en cet instant ! Etait-ce trop tard ? Je ne comprends même pas qu'on puisse l'imaginer !
Le texte de l'Assemblée nationale devait être, pendant l'intervalle, examiné par notre commission.
Nous ne croyons pas que les travaux de l'Assemblée nationale comptent pour rien, nous voulons examiner, avec le soin nécessaire les textes qui nous sont transmis. Or, en l'occurrence, la commission avait à examiner en même temps, le projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Son avis devait être porté à la connaissance des sénateurs, afin que ceux-ci puissent, le cas échéant, présenter leurs amendements.
Parce que j'ai une estime sincère et non feinte pour nos collègues de l'Assemblée nationale, parce que je crois à la nécessité de rendre à la loi sa respectabilité qu'elle tend à perdre et parce que c'est mon devoir, je dénonce, de cette tribune, cette inquiétante propension à la précipitation, à la banalisation, voire à la vulgarisation de l'oeuvre législative.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Comment vouloir que les Français respectent la loi si ceux qui l'écrivent ne croient même plus aux procédures qui en garantissent une élaboration sérieuse ?
Pour ne pas prolonger inutilement cette manifestation de désaccord, j'achève cette critique en indiquant que désormais, au nom de la commission des finances, je proposerai au Sénat d'établir l'ordre du jour en partant du principe systématique d'une nouvelle et complète lecture des lois de finances. Cela évitera ces dérives de précipitation.
Pour terminer mon propos sur un ton plus chaleureux, je dirai qu'il s'agit vraisemblablement du dernier texte budgétaire de la législature dont la commission des finances est saisie au fond, et je ne voudrais pas quitter cette tribune sans vous dire, madame la secrétaire d'Etat, le plaisir sincère qui a été le mien de vous retrouver dans votre fonction ministérielle, quinze ans après votre stage de l'ENA dans le département de l'Orne, dont je suis l'élu !...
M. Michel Charasse. Ah ! C'est une vieille histoire !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai eu de travailler de nouveau avec vous, dans vos nouvelles fonctions, et moi dans celles que j'ai l'honneur d'occuper.
Nous ne proposons pas le même chemin pour atteindre un idéal qui, sur l'essentiel, ne doit pas être si différent. Peut-être même est-il parfois partagé. Là résident l'honneur et la grandeur de la démocratie.
Qu'il me soit permis de vous dire également, madame le secrétaire d'Etat, au-delà de toute considération partisane, combien j'ai apprécié vos qualités personnelles et le soin que vous prenez à favoriser le débat dans notre recherche du bien commun. Nul ne sait - M. le rapporteur général l'a rappelé - ce que les Français décideront l'année prochaine. C'est leur décision souveraine. Je sais toutefois, que, de nos oeuvres communes - celle de l'Assemblée nationale et de Didier Migaud, celle du Gouvernement et de Laurent Fabius, la vôtre, madame le secrétaire d'Etat et celle du Sénat - il restera la nouvelle Constitution financière de la France.
Permettez-moi également de remercier chaleureusement vos collaborateurs.
Puisque je n'ai aucune citation à vous proposer, madame le secrétaire d'Etat, je me contenterai de vous assurer de la sincérité de mes propos. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Mme le secrétaire d'Etat a parlé tout à l'heure de passion et de raison. J'ai remarqué par ailleurs que M. le président de la commission des finances a soutenu le premier point de son exposé avec passion. Je voudrais à cet égard présenter une mise au point.
Je rappelle tout d'abord qu'au Sénat le vote sur l'ensemble du projet de loi de finances rectificative pour 2001 est intervenu le mardi 18 décembre, à dix-huit heures quarante-cinq.
J'indique ensuite que, comme à l'accoutumée, la division des lois a « monté » le texte adopté en temps réel, au fur et à mesure des délibérations du Sénat. Si bien que le texte a pu être adressé par porteur à l'Assemblée nationale dès dix-neuf heures, soit un quart d'heure après son adoption par le Sénat.
Je relève par ailleurs que, grâce à l'informatique et au système AMELI, les services de l'Assemblée nationale pouvaient consulter en ligne l'ensemble des amendements tels qu'ils ont été adoptés par le Sénat.
Je note enfin que le service de la séance du Sénat n'a reçu la transmission officielle du projet de loi qu'à dix heures quinze ce matin, juste avant la réunion de la commission des finances.
Il était nécessaire d'apporter ces précisions, madame la secrétaire d'Etat. Mais, après l'évocation des relations de travail que vous avez eues, il y a plusieurs années avec le président Alain Lambert, je constate que la raison l'a emporté, et je m'en félicite.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant que ne s'achève cette ultime discussion générale sur une loi de finances de l'année 2001, je formulerai trois observations : l'une de fond, l'autre de procédure et la troisième de forme.
La première porte sur la décision du Conseil constitutionnel relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale, même si elle n'a pas de lien direct avec le texte dont nous discutons.
Je n'analyserai pas cette décision en détail, mais je tiens à préciser que la loi de financement de la sécurité sociale et la loi organique qui l'organise sont encore relativement nouvelles, récentes et qu'il faut, à mon avis, un certain temps à toute institution parlementaire pour « digérer » une nouvelle procédure, surtout lorsqu'elle porte sur des masses financières aussi énormes.
Je suppose qu'après 1958 la loi organique sur les lois de finances, cette loi sous laquelle nous vivons toujours et dont M. Lambert rappelait, il y a quelques instants, qu'elle avait été réformée cet été, a certainement donné lieu à autant de cafouillages qu'aujourd'hui la loi organique sur le financement de la sécurité sociale. Mais, mes chers collègues, à l'époque, il n'y avait pas la saisine par les parlementaires du Conseil constitutionnel, lequel n'a donc pas eu l'occasion de se prononcer. Je suis certain que si, dans les années soixante, les parlementaires avaient pu le faire, les gouvernements de l'époque auraient eu certainement autant de déconvenues que le gouvernement actuel.
La création, en 1974, de la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires a conduit le ministère du budget à faire désormais beaucoup plus attention. Et aujourd'hui, les annulations prononcées sur les lois de finances sont généralement relativement mineures.
Je souhaite donc, madame le secrétaire d'Etat, que dorénavant, le ministère des affaires sociales s'inspire de l'exemple qui a été donné par le ministère du budget dans ce domaine, et qu'il fasse autant d'efforts que la maison « Bercy » pour veiller au respect des procédures qu'il lui incombe d'appliquer.
Ma deuxième observation de procédure est pour regretter cette habitude mauvaise dans laquelle nous semblons nous installer et qui consiste à renoncer à faire fonctionner normalement le bicamérisme en matière de lois de finances.
Sur ce collectif, en particulier, je suis persuadé qu'un accord entre les deux assemblées aurait pu être trouvé, si l'on avait voulu faire véritablement fonctionner le bicamérisme et faire aboutir la commission mixte paritaire. Je n'accuse évidemment aucune des deux délégations des deux assemblées à la commission mixte paritaire, mais le nombre très élevé de dispositions adoptées par le Sénat - M. le rapporteur général l'évoquait voilà un instant avec l'accord du Gouvernement et qui figureront finalement dans la loi aurait mérité sans doute, de la part tant de l'Assemblée nationale que du Sénat, un minimum d'efforts pour parvenir à un texte commun.
A force de procéder d'une manière expéditive, automatique et systématique pour constater l'échec de la commission mixte paritaire, nous risquons de mettre entre parenthèses le bicamérisme en matière financière, c'est-à-dire dans le domaine sacré qui justifie l'existence des assemblées et, en France, celle du régime parlementaire. Je souhaite que nous y réfléchissions à l'avenir.
Enfin, sur la forme et à titre personnel, quoique je sois persuadé que le groupe socialiste partage mon sentiment, je tiens à rendre hommage à la gentillesse, à la courtoisie et à la compréhension de Mme le secrétaire d'Etat au budget.
Je connais Mme Parly depuis moins longtemps que vous, monsieur Lambert ! (Sourires.) Cela remonte à l'époque où le ministère des finances était encore au Louvre ! J'étais à la tête - entre autres - de la direction du budget.
Je voudrais vous dire, madame le secrétaire d'Etat, chère amie, que j'ai vraiment apprécié la manière dont vous avez su passer du raisonnement austère, rigoureux et inévitablement mécanique des « budgétaires » à la souplesse qu'exige la tribune parlementaire.
J'ai également beaucoup apprécié l'ensemble de vos collaborateurs, qui ont été avec nous, les parlementaires, d'une gentillesse et d'une disponibilité totale. Ils ont toujours été très attentifs, et ont fait le maximum pour essayer de trouver la meilleure solution, que nous soyons dans l'opposition ou dans la majorité.
C'est l'honneur du Parlement de savoir « fabriquer » des hommes et des femmes de la tribune parlementaire. Sur ce point, je pense, madame le secrétaire d'Etat, que votre examen de passage est particulièrement réussi et j'espère, en cette fin de législature, que l'avenir saura vous réserver la place que méritent les meilleurs serviteurs de la République. (Applaudissements.)
M. le président. C'est jour de fête pour vous, madame le secrétaire d'Etat ! (Sourires.)
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. C'est une secrétaire d'Etat émue qui va s'efforcer de répondre aux questions précises que lui a posées M. le rapporteur général voilà quelques instants sur un sujet à la fois brûlant et complexe. Il voudra bien m'excuser par avance du fait que les explications que je vais lui fournir sont aussi précises qu'il est possible, au lendemain d'une décision qui est, par principe, très récente.
Je vais reprendre devant vous, si vous m'y autorisez, en essayant d'y mettre de la cohérence et de la clarté, puisque vous avez considéré qu'elles faisaient défaut, les éléments d'explication qui ont été apportés hier à vos collègues de l'Assemblée nationale, à la fois par M. Laurent Fabius et par Mme Elisabeth Guigou. Pour cela, il faut, comme vous l'avez souhaité vous-même, être précis sur les tenants et les aboutissants de cette décision du Conseil constitutionnel.
C'est en effet une décision juridique dont il faut analyser les conséquences juridiques et techniques.
En 2000, comme vous le savez, le dynamisme plus important que prévu des 35 heures et de l'emploi a provoqué, par rapport aux prévisions initiales, un déficit du FOREC, qui finance, comme vous le savez, l'ensemble des allégements de cotisations sociales. Le déficit résulte aussi de décisions d'annulation intervenues un peu plus tôt et relatives à certaines ressources affectées dont, pour l'essentiel, la taxe sur les heures supplémentaires, et des transferts de droits tabacs. Le FOREC s'est donc retrouvé déficitaire de 16 milliards de francs en fin d'exercice.
Ce déficit est actuellement porté par la sécurité sociale, qui a inscrit dans ses comptes une créance sur le FOREC à hauteur de 16 milliards de francs.
Le Gouvernement et le législateur ont décidé que cette créance devait être annulée, la sécurité sociale redevenue excédentaire, notamment grâce aux dividendes de la politique de l'emploi pouvant supporter cette charge dans ses comptes, comme elle l'avait supporté en trésorerie.
Afin de faire coller la réalité comptable à la réalité économique, il a été prévu, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, d'en tirer les conséquences sur les comptes 2000 de la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'était pas possible de procéder à une réouverture des comptes clos.
Dans l'immédiat, cette annulation empêche de procéder à l'écriture comptable prévue. Elle est sans conséquence financière pour les finances publiques - c'était l'autre question que vous me posiez, monsieur le rapporteur général - dès lors que cette écriture comptable ne s'accompagnait d'aucun flux financier. D'un point de vue strictement comptable, la décision du Conseil constitutionnel améliore les comptes 2000 de la sécurité sociale de 16 milliards de francs, comme vous l'indiquiez à l'instant, monsieur le rapporteur général, mais elle ne transcrit pas, par ricochet, un déficit du même montant sur l'Etat. Elle maintient un déficit du FOREC en 2000 de 16 milliards de francs. La créance est donc entre la sécurité sociale et le FOREC, et non entre la sécurité sociale et l'Etat à ce titre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On crée donc de la monnaie !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. S'agissant de la créance portée par les comptes de la sécurité sociale, il reviendra au législateur d'en confirmer l'annulation dans une prochaine loi de financement - si ce choix est bien entendu confirmé -, en veillant à ce que l'imputation comptable de cette annulation ne soit pas rétroactive. Mme Guigou a fait savoir qu'elle confiait une mission au secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale afin d'analyser précisément les conséquences sur les comptes des éléments nouveaux intervenus depuis la dernière réunion de la commission des comptes au mois de septembre.
Tels sont les éléments que je pouvais porter à votre connaissance.
J'ajouterai un élément relatif au fonds de réserve pour les retraites, puisque vous y avez fait allusion dans votre propos, monsieur le rapporteur général.
L'objectif qui consiste à porter les réserves à 1 000 milliards de francs en 2020 n'est nullement remis en cause. Je vous rappelle, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, que la projection qui a été faite dans les travaux du conseil d'orientation des retraites ne prend pas en compte les versements exceptionnels de l'UMTS et, pourtant, le dernier état de cette prévision indique que l'objectif pourrait même être dépassé à l'horizon 2020. De ce point de vue, je crois qu'il n'y a donc pas du tout d'inquiétude à avoir et qu'il convient de qualifier le fonds de réserve pour les retraites pour ce qu'il est, c'est-à-dire un instrument permettant de favoriser le lissage du choc démographique et donc de conforter nos régimes de retraites par répartition.
En outre, la part des recettes pérennes de ce fonds est, comme vous l'avez noté, renforcée, puisque, dès 2002, il bénéficiera à hauteur de 65 % des prélèvements sociaux sur le capital contre 50 % actuellement.
J'espère avoir été à peu près complète et avoir répondu à vos questions, monsieur le rapporteur général.
Si je n'ai pas l'occasion de reprendre la parole d'ici à la fin de ce débat, comme je l'ai dit, je suis émue, et le seul mot qui me vient à l'esprit est : « merci ». (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

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