SEANCE DU 5 FEVRIER 2002


M. le président. La parole est à M. Braye, auteur de la question n° 1262, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Dominique Braye. Madame le secrétaire d'Etat, ma question concerne le rôle surprenant que veut jouer l'AFTRP, l'Agence foncière et technique de la région parisienne, dans une opération commerciale privée.
En effet, un projet d'implantation à Poissy, dans les Yvelines, d'un immense centre commercial et culturel dénommé « Les Terrasses de Poncy » suscite l'inquiétude et l'opposition de la quasi-totalité des élus des Yvelines. Ceux-ci savent que la réalisation d'un tel projet bouleverserait totalement les fragiles équilibres régionaux en matière d'équipements commerciaux et culturels, non seulement dans la vallée de la Seine, mais également dans tout l'ouest parisien.
L'ampleur « pharaonique » de ce projet compromettrait gravement, dans tout l'ouest parisien, l'attractivité des zones commerciales existantes et entraînerait une désertification inéluctable de tous les centres-villes avoisinants : Saint-Germain-en-Laye, Poissy, Chambourcy, Orgeval et bien d'autres.
Ce projet est prévu sur 35 hectares et 100 000 mètres carrés de surface construite, soit l'équivalent du centre commercial Les Quatre Temps à la Défense. Serait associé à ce centre commercial surdimensionné un gigantesque « centre de vie » comportant des équipements culturels - cinémas, salle de spectacle - des équipements sportifs et de loisirs ainsi que des infrastructures hôtelières.
Dans ce contexte très inquiétant, comment est-il possible, madame le secrétaire d'Etat, qu'un établissement public d'Etat à vocation régionale, en l'occurrence l'AFTRP, puisse envisager d'intervenir directement dans le montage financier de cette opération commerciale privée, d'une part, sans en référer aux autorités de tutelle et, d'autre part, en totale contradiction avec sa vocation publique ?
De plus, cet établissement public s'apprêterait à passer une convention d'aménagement avec la ville de Poissy, dans laquelle il serait prévu qu'il prenne la totalité du risque financier de l'opération d'aménagement, ainsi que celui du coût des infrastructures annexes, qui représentent à elles seules le quart du coût total de l'opération. La puissance publique a-t-elle pour vocation de jouer un rôle de banquier et d'opérateur dans une opération privée qui nuira à de nombreuses communes des Yvelines ?
Comment un investissement aussi important de fonds publics dans une gigantesque opération commerciale privée présentant de grands risques financiers et condamnée, de surcroît, par la quasi-totalité des élus des Yvelines peut-il être envisagé, alors même qu'aucune concertation préalable n'a eu lieu avec ces élus et avec les partenaires institutionnels concernés, qu'il s'agisse du conseil général des Yvelines, du conseil régional d'Ile-de-France ou des chambres consulaires ?
Je voudrais donc savoir, madame le secrétaire d'Etat, si M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, autorité de tutelle compétente, réprouve cet engagement inconsidéré et très risqué de fonds publics dans une aussi importante opération commerciale privée.
Si, comme je l'espère, tel est le cas, je souhaite que vous puissiez me préciser, en son nom, les décisions qu'il entend arrêter afin de faire cesser ce détournement de la mission d'un établissement public à vocation régionale, ainsi que les mesures qu'il compte prendre à l'encontre de ceux qui l'ont organisé sans en référer à leur autorité de tutelle.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur l'action de l'AFTRP dans la mise en place d'un centre commercial et de loisirs dénommé « Les Terrasses de Poncy » à Poissy, dans les Yvelines.
Je rappelle que l'AFTRP est un établissement public à caractère industriel et commercial, dont les activités sont multiples. Outre, bien sûr, sa mission d'expert et d'opérateur foncier pour le compte de l'Etat, de la région Ile-de-France ou à la demande de collectivités locales et de tiers, elle intervient également comme aménageur pour des programmes d'activité ou d'habitat, en mandat ou en compte propre. Elle est acteur de collectivités locales en particulier.
L'AFTRP, établissement public, se doit, dans son activité, de respecter un certain nombre de priorités des politiques publiques, de règles de déontologie et de règles prudentielles limitant étroitement les risques financiers encourus.
Dans le respect de ces principes, qui ont d'ailleurs été formalisés récemment par un contrat signé entre l'Etat et l'AFTRP, il entre donc pleinement dans les missions de l'Agence d'être un aménageur au service des collectivités locales qui lui en font la demande, et l'Etat souhaite qu'elle soit un aménageur public de référence, en Ile-de-France, par la qualité des aménagements qu'elle réalise.
C'est dans ce cadre que la ville de Poissy a confié à l'AFTRP, à la fin de 1998, une mission visant à étudier la faisabilité d'une opération d'aménagement sur un site de 34 hectares situé à la croisée des autoroutes A 13 et A 14 et de la RN 13.
Cette étude a été poursuivie en juin 1999 par une mission de définition d'un parti d'aménagement, de négociation avec les propriétaires fonciers et d'assistance technique à la réalisation d'une consultation internationale permettant de retenir un promoteur commercial partenaire principal de l'opération. Nous sommes bien là dans le cadre classique d'une mission d'aménagement confiée par une collectivité locale.
En deux étapes, le jury, composé de représentants de la ville et de l'AFTRP, a classé au premier rang, le 31 juillet 2001, l'offre du promoteur BEG SA. Il a suivi dans son choix l'avis d'un comité technique rassemblant la ville, l'AFTRP, le conseil général, le conseil régional, les services de l'Etat, la chambre de commerce et d'industrie et la chambre des métiers.
A ce stade, et l'ensemble des missions préparatoires menées par l'AFTRP ayant été dûment rémunérées, la ville de Poissy a souhaité confier à l'agence l'aménagement du site, dans le cadre d'une zone d'aménagement concerté, sous la forme d'une convention d'aménagement. Là encore, nous sommes dans le cadre classique des opérateurs d'aménagement public.
Je rappelle, pour mémoire, que le projet comprend, sur 34 hectares, un espace de culture, de loisirs et de commerce, un pôle hôtelier, quelques logements et le maintien à l'état naturel de 40 % de l'emprise, conformément au schéma directeur régional.
Le bilan prévisionnel de l'opération proposée représente un chiffre d'affaires d'environ 33 millions d'euros. Il est équilibré avec la seule partie fixe de la charge foncière proposée par le candidat retenu, soit 27 millions d'euros, sans tenir compte d'une part déteminable, proportionnelle au chiffre d'affaires de l'espace qui pourra être réalisé et qui serait versée sur quinze ans. Ce bilan prend en compte 9 millions d'euros de participations aux équipements publics, permettant le financement intégral des voiries nécessaires. Je précise que l'AFTRP ne reçoit aucun fonds public dans ce type d'opérations.
Aucun crédit public ne risque donc d'être investi à perte dans ce secteur.
En vertu du contrat d'objectif que j'évoquais précédemment, un comité d'engagement réunissant les services de l'Etat qui assurent la tutelle de l'agence a été mis en place. Doivent lui être soumis tous les projets d'opérations en compte propre envisagés par l'Agence, avant le passage, dans tous les cas nécessaire, devant son conseil d'administration.
Ce comité, qui s'est réuni le 25 octobre 2001, a formulé un certain nombre de remarques visant à s'assurer de la cohérence de l'aménagement envisagé avec les documents de planification et a sollicité des explications sur ces conditions financières.
Les conditions juridiques et financières du montage de l'opération, prévoyant notamment la possibilité pour l'Agence de revendre les terrains au promoteur en cas de blocage de l'opération, ne font courir aucun risque à celle-ci. En clair, c'est le promoteur qui sera obligé d'acheter les terrains.
Dans ces conditions, le comité d'engagement a formulé un avis favorable sur cette opération, compte tenu notamment de la compatibilité du projet avec le schéma directeur régional.
Le conseil d'administration de l'agence, réuni le 19 décembre 2001, a autorisé la poursuite des études et la maîtrise foncière de l'assiette du projet à condition que celle-ci soit garantie par la commune.
A l'occasion de la réunion du conseil, certains de ses membres ont souligné les inquiétudes dont vous faites état concernant la remise en cause de l'équilibre commercial du secteur. Je tiens à préciser à cet égard que, si l'engagement dans une convention d'aménagement conduit l'agence à poursuivre le montage de l'opération et la garantit financièrement en cas d'échec du projet, il ne préjuge pas les décisions publiques qui seront prises par les instances compétentes, s'agissant notamment de l'approbation des documents d'urbanisme, du résultat de l'étude d'impact, de la décision de la commission départementale d'équipement commercial, la CDEC, et de la délivrance des permis de construire.
C'est dans le cadre de ces procédures que les opposants au projet peuvent se faire entendre, et il revient à la puissance publique compétente, tantôt la commune, tantôt la CDEC, de donner son autorisation.
Au demeurant, monsieur le sénateur, même au cas où ces autorisations ne seraient pas données, l'AFTRP ne prendrait pas de risque quant aux fonds publics. Elle est bien dans la mission d'aménageur à qui a été confié, par une décision d'une collectivité territoriale, un mandat d'aménagement.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie des explications que vous venez de me fournir, bien qu'elles ne me rassurent pas totalement.
En effet, vous avez indiqué qu'en cas de défaillance il reviendrait à l'opérateur de racheter les terrains. Mais, madame, s'agissant d'un projet aussi important, il est fort possible qu'il n'en ait plus les moyens et qu'il utilise les procédures de faillite ou de mise en liquidation judiciaire, ce qui ne permettra pas de récupérer les fonds qui auront été investis.
Je tiens en outre à vous rappeler, madame, que les administrateurs, notamment les représentants de l'Etat, ont découvert ce projet au cours du conseil d'administration de décembre 2001, tel qu'il est précisé dans le compte rendu dudit conseil, alors que l'AFTRP y travaille depuis 1998.
Il faut noter, par ailleurs, l'absence totale de concertation puisque ni le conseil général, ni le conseil régional d'Ile-de-France, ni les chambres consulaires n'ont donné le moindre aval à ce projet ; certains ont même découvert son existence dans la presse.
Or ce projet, qui, on le voit bien, est inspiré de projets américains, soulève un grave problème, madame le secrétaire d'Etat.
En effet, nos dispositifs de contrôle ne sont pas adaptés à ce type de projets, qui ont des répercussions sur tout un département, voire sur les départements voisins. Ainsi, les membres élus de la commission départementale d'équipement commercial que vous avez évoquée ne sont issus que d'un tout petit périmètre. En France, nous n'avons pas l'habitude d'installer des équipements d'une telle envergure.
J'attire donc votre attention, madame le secrétaire d'Etat, sur les dangers inhérents à une telle opération. La quasi-totalité des élus des Yvelines, toutes sensibilités confondues, puisque celle du maire de Poissy est certainement plus proche de la mienne que de la vôtre ou de celle de nos collègues qui siègent à la gauche de l'hémicylce, sont extrêmement inquiets. Il y a fort à parier que tous les centres commerciaux de l'ouest parisien, de Chambourcy à Flins, à Buchelay, à Vélizy II ou à Parly II, seront complètement déstabilisés par cette immence opération. Elle ouvrira la voie à la surenchère car, dans une économie de marché, on ne peut résister qu'en augmentant de volume. Finalement, un certain nombre de centres commerciaux disparaîtront, pendant qu'un autre projet gigantesque fera concurrence à celui-ci.
Il en va donc de la responsabilité du Gouvernement, à travers l'AFTRP, d'évaluer les conséquences que pourrait entraîner l'opération en question et de garantir les équilibres commerciaux pour éviter la désertification des centres-villes. Dans les Yvelines, à travers les grands projets de ville, nous avons tout fait pour installer les multiplex en centre-ville et non en périphérie. Le maire de Poissy s'est d'ailleurs bien battu pour préserver les cinémas de son centre-ville. Or, avec le projet actuel, la tendance s'inversera : nous aurons des centres-villes dortoirs, toute l'activité étant concentrée à la périphérie.
Je vous mets en garde, madame le secrétaire d'Etat : si cette opération devait voir le jour, elle servirait d'exemple pour tout le territoire français, remettant en cause la totalité des actions qe nous menons contre la désertification des centres-villes.

DÉCONVENTIONNEMENT DE 60 000 LOGEMENTS