SEANCE DU 6 FEVRIER 2002


M. le président. Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 257, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par l'article 58 pour l'article L. 1142-8 du code de la santé publique :
« Art. L. 1142-8 . - Lorsqu'une saisine ne répond manifestement pas aux conditions posées par l'article L. 1142-1, la commission régionale la déclare irrecevable.
« Dans le cas contraire, la commission rend un avis :
« - sur la nature, l'étendue et la gravité des dommages subis ;
« - sur les circonstances et les causes de ces dommages ;
« - sur le régime d'indemnisation éventuellement applicable.
« L'avis de la commission est émis dans un délai de deux mois porté à six mois lorsqu'une expertise est ordonnée, à compter de sa saisine. Cet avis ainsi que, le cas échéant, le rapport d'expertise sont transmis à la personne qui l'a saisie, à toutes les personnes intéressées par le litige ainsi qu'à l'office institué à l'article L.1142-22.
« L'avis ne peut être contesté qu'à l'occasion de l'action en indemnisation introduite devant la juridiction compétente par la victime ou des actions subrogatoires prévues aux articles L. 1142-14, L. 1142-15 et L. 1142-17.
« La commission saisit l'autorité compétente lorsqu'elle constate des manquements susceptibles de donner lieu à des poursuites disciplinaires. »
L'amendement n° 215, présenté par M. Lorrain, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
« Remplacer les deux premiers alinéas du texte proposé par l'article 58 pour l'article L. 1142-8 du code de la santé publique par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les dommages subis présentent le caractère de gravité prévu au II de l'article L. 1142-1, la commission émet un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages, ainsi que sur le régime d'indemnisation applicable. »
L'amendement n° 345, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par l'article 58 pour l'article L. 1142-8 du code de la santé publique, supprimer les mots : "en Conseil d'Etat". »
L'amendement n° 344, également présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du texte proposé par l'article 58 pour l'article L. 1142-8 du code de la santé publique, remplacer les mots : "ou du taux et de la durée de l'incapacité temporaire" par les mots : "ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail". »
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 257.
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. A cet amendement, qui est d'une portée plus importante que les précédents, M. le ministre a déjà répondu par un tir de barrage, auquel nous allons essayer de résister.
Nous avons cru nécessaire de restructurer un peu l'organisation du système.
La section que nous examinons redéfinit la responsabilité en matière d'accidents médicaux, au sens large du terme, et prévoit la responsabilité pour faute dans une hypothèse classique, à savoir la réparation intégrale du préjudice, depuis les plus petits préjudices jusqu'aux plus graves, et une responsabilité sans faute pour laquelle, ne pouvant tout faire d'un seul coup, nous n'envisageons l'indemnisation qu'à partir d'un certain seuil, seuil que nous avons fixé tout à l'heure, suivant l'avis de la commission des affaires sociales, à l'équivalent d'une incapacité permanente ou partielle de 25 %.
Venons-en maintenant au dispositif de mise en oeuvre de cette responsabilité.
Un esprit simple aurait pu imaginer de confier aux tribunaux le soin de gérer ces systèmes d'indemnisation, puisque, d'une manière générale, les tribunaux ont à connaître des questions de responsabilité. Ils ont bien été créés pour trancher les questions telles que celle de savoir s'il y a faute ou non et quel est le montant des préjudices !
Le Gouvernement, qui est extrêmement imaginatif, a pensé que la justice fonctionnant, semble-t-il, fort mal - je prie ses représentants présents ici de m'excuser de cette appréciation -, il convenait de créer un système parallèle fondé sur des commissions régionales, dont il attend monts et merveilles.
Ces commissions régionales sont considérées comme capables de résoudre les problèmes et de gérer les risques de manière plus satisfaisante.
Elles seront composées d'un certain nombre de délégués : délégués des malades, délégués des personnels hospitaliers, etc. Par l'utilisation de ces procédures, qu'on a tendance à appeler les voies alternatives de la justice, on estime pouvoir parvenir à des solutions meilleures.
La commission des lois, vous vous en doutez, mes chers collègues, qui s'attache depuis toujours non à démanteler le système de justice, mais plutôt à l'aider à mieux s'organiser et à se perfectionner, n'a pas été convaincue de l'efficacité de ce dispositif, et ce d'autant plus que le principal argument invoqué était la lenteur de la justice, qui ne permettrait pas aux victimes d'obtenir une réparation dans des délais satisfaisants. Or cet argument, le principal argument avancé, ne nous paraît pas réellement pertinent.
En effet, dans ce genre d'affaires, devant tous les tribunaux de France et de Navarre, on obtient actuellement une expertise dans un délai maximal d'un mois. Ensuite, les experts sont désignés, puis viennent les délais des expertises. De toute façon, quel que soit le processus choisi, les experts étant les mêmes, le délai des expertises sera identique. Il peut, en effet, être de plusieurs mois ; il est quelquefois un peu plus long quand il y a des contre-expertises.
Enfin, dans le système judiciaire que nous connaissons bien, grâce au système du référé provision, qui est peut-être l'un des mécanismes de notre justice le plus satisfaisant, on peut obtenir, pratiquement dans un délai d'un mois, une décision qui, certes, n'est que provisoire mais qui, en réalité, est presque toujours acceptée par les parties.
En fait, ce système qui fonctionne d'une manière satisfaisante pouvait continuer à fonctionner de manière tout aussi satisfaisante.
Le Gouvernement a donc considéré, lui, qu'il était préférable de créer ces commissions, dont il attendait de meilleurs résultats quant à la rapidité et quant au fonctionnement du dispositif.
Certes, on peut espérer que ce nouveau système permettra aux justiciables d'engager moins de frais et d'avoir une relation plus directe, plus simple, plus immédiate, donc plus satisfaisante avec ces commissions d'indemnisation. Par ailleurs, dans le cas où le supposé responsable d'une faute résisterait à la demande de la victime, les commissions en question pourront inviter le fonds de solidarité, créé pour l'hypothèse des aléas thérapeutiques, à faire l'avance de l'indemnité. La victime, ayant bénéficié de cette avance, sera dispensée de poursuivre sa procédure, et c'est le fonds de solidarité qui sera subrogé dans ses droits afin de poursuivre l'action à l'égard du supposé responsable pour faute.
Il y a, indéniablement, dans ce système un avantage certain pour la victime.
Cela étant, la méthode de travail qui est prévue pour ces commissions ne nous paraît pas très satisfaisante. Il semblerait qu'elles commencent leur examen, puis prennent un certain nombre de dispositions, pour ensuite envisager de procéder à une expertise. De toute évidence, il nous semble préférable de commencer par l'expertise, puisque c'est elle qui commande l'appréciation de la responsabilité et l'appréciation du montant de l'indemnité.
Nous considérons donc qu'il faut placer l'expertise plus en amont dans le processus, ne situant avant elle que la déclaration éventuelle d'irrecevabilité de la saisine. Il faut en effet évacuer les procédures franchement abusives et dépourvues de fondement : c'est une question de bon sens.
Dans le cas contraire, dans l'hypothèse où il y a faute, où une indemnité est due, c'est-à-dire dans la mesure où un dommage doit être réparé, quelle que soit l'importance de ce dommage la commission doit agir, doit faire son travail.
Or, selon le projet du Gouvernement, dans l'hypothèse où une faute a été commise, la commission n'intervient qu'au-dessus d'un certain seuil d'incapacité. Autrement dit, dans les affaires moins graves, mais qui sont tout de même sérieuses - n'aurait-on que 15 % ou 20 % d'incapacité permanente, permettez-moi de vous le dire, c'est quand même tout à fait sérieux -, la commission répondra au plaignant : « Je regrette beaucoup mais, minima non curat, moi, je ne m'occupe pas de ces petites affaires, et vous êtes priés d'aller devant les juridictions. » Or il s'agit, théoriquement, de rendre service au justiciable ! Il aura entamé le processus et, une fois l'expertise rendue, on le priera gentiment d'aller se pourvoir devant les tribunaux !
J'avoue qu'il y a là un paradoxe confondant puisque la démarche gouvernementale est censée mettre à la disposition des justiciables un système plus simple et plus efficace. On met en place un système, mais ce système refuse de fonctionner dans l'hypothèse où l'indemnité qui est due est moins élevée ! Dans ce cas-là, il faut se pourvoir devant des juridictions dont on nous explique par ailleurs qu'elles sont engorgées, raison pour laquelle, précisément, il faut créer des commissions régionales !
D'une manière générale, quand on crée ainsi des voies de recours parallèles, des médiations, c'est généralement pour les petits litiges, parce qu'on a, malgré tout, tendance à penser que, pour les affaires les plus graves, la justice présente des garanties professionnelles qu'on ne trouve pas en dehors d'elle. C'est la philosophie générale de ces voies alternatives. Dans cette optique-là, elles sont admissibles. Or, dans le texte qui nous est présenté, c'est au contraire dans les hypothèses graves qu'est prévu le concours des commissions régionales. Pour les préjudices moins graves - et néanmoins, je le répète, tout à fait sérieux -, il faut recommencer tout le processus devant la juridiction de droit commun.
La commission des lois ne comprend pas du tout cette distinction, qui ne repose pas sur le fond : elle est purement de procédure. Priver les gens, parce qu'ils ont subi un moindre préjudice, des commodités et des avantages supposés de ces commissions, à quoi cela rime-t-il ? Soit on croit à ces commissions, soit on n'y croit pas. Nous, nous faisons le pari d'y croire avec vous, monsieur le ministre. Nous étions sceptiques, mais nous refusons de nous laisser obnubiler par le scepticisme. Nous voulons faire confiance au dispositif. Nous espérons sincèrement et de tout coeur qu'il fonctionnera de façon satisfaisante pour les victimes. Si le texte doit être complété, nous sommes prêts à le compléter, mais à condition que ce soit pour couvrir la totalité des préjudices réparables et que l'on ne se dégage pas sur les tribunaux de droit commun lorsqu'il s'agit de petits préjudices.
Non, décidément, nous ne pouvons pas comprendre votre démarche, monsieur le ministre ! Non seulement elle rend encore plus difficile la situation des gens qui n'ont subi qu'un préjudice relativement modeste mais elle va induire un double système.
Les commissions régionales, au bout d'un ou deux ans de fonctionnement, vont prendre certaines habitudes de travail. Une pratique va se dessiner et, peu à peu, des barèmes seront établis.
Ceux qui n'auront qu'une IPP de 20 % iront devant les tribunaux de droit commun, qui appliqueront, eux, d'autres barèmes et une pratique différente. Autrement dit, le contentieux va se trouver morcelé. Je vous implore de réfléchir aussi à cet aspect des choses, monsieur le ministre.
En réalité, vous craignez que les commissions ne soient submergées. Mais la justice a déjà bien du fil à retordre : elle est passablement submergée ! Après tout, submergée pour submergée...
Croyez-moi, ce sont les justiciables qui seront victimes de cette jurisprudence incohérente. Vous risquez de voir se développer, pour les petits contentieux, une jurisprudence autonome, qui trouvera peut-être un malin plaisir à se distinguer de l'autre. Vous aurez des renvois d'une juridiction à l'autre. Supposez qu'il y ait un doute sur le taux d'incapacité et que, à la suite d'une contre-expertise, l'affaire qui était dans un premier temps du ressort des tribunaux de droit commun doive finalement aller devant une commission. Il y a là matière à un pataquès, permettez-moi de le dire, qui est à l'opposé de l'esprit de votre démarche.
Vous allez peut-être me dire que vous n'avez pas les moyens de doter ces commissions. Eh bien, ces moyens, il faut les prendre ! Nous avons l'expérience de la réforme de la présomption d'innocence.
Si vous faites confiance à ce système, vous devez le doter des moyens adéquats. Au demeurant, à partir d'un certain nombre d'affaires, la commission fera des économies d'échelle : qu'elle ait quinze affaires à traiter ou qu'elle en ait dix, ce sera à peu près pareil !
En bref, si l'on crée une procédure parallèle, il faut que le système soit cohérent et qu'il n'y ait pas deux voies, ce qui est tout simplement contraire à l'idée de bonne justice.
M. le président. La parole est à M. Lorrain, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 215.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. C'est un amendement de coordination.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter les amendements n°s 345 et 344, et pour donner l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 257 et 215.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. J'ai bien entendu l'explication très détaillée de M. Fauchon. Je pense l'avoir comprise malgré mes faibles moyens juridiques et je crois pouvoir affirmer non seulement que je ne suis pas d'accord avec son analyse mais qu'en outre je suis convaincu que le dispositif que nous avons élaboré est bon. (Sourires.)
Je n'ai pas votre science juridique, monsieur Fauchon, mais j'ai pu constater que les actions introduites par des malades ou par leur famille traînaient pendant des années, surtout dans les cas les plus graves.
Le critère de gravité doit rester commun, de notre point de vue, aux accidents médicaux résultant d'une faute et à ceux qui sont liés à un aléa thérapeutique. Ce critère constitue en effet un seuil d'accès à la procédure de règlement amiable des accidents médicaux. Or, si votre amendement était adopté, monsieur Fauchon, toute notion de seuil pour les accidents fautifs et les infections nosocomiales serait supprimée. Cela conduirait, je le crois, à un engorgement.
Au contraire, nous espérons que cette régionalisation de la conciliation va permettre non seulement d'aller plus vite, au bénéfice des malades et des familles, mais également de rétablir la confiance en apportant un véritable éclaircissement. Car je crois d'expérience que la manière dont les tribunaux ont traité ces affaires jusqu'à présent n'a pas permis de rendre parfaitement clair ce qui s'était passé.
Pour me résumer, je suis défavorable à l'amendement n° 257 et je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 215.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 257, 345 et 344 ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. J'avoue que, face au talent de mon collègue Pierre Fauchon, j'ai quelque appréhension à indiquer que son amendement n° 257 a suscité des réserves au sein de la commission des affaires sociales. Cet amendement risque en effet de se traduire, selon nous, par un engorgement des commissions.
Le projet de loi obéit à une logique certaine : les commissions ne se prononcent que sur des dommages graves, qu'ils résultent ou non d'une faute.
Selon l'amendement de la commission des lois, les commissions régionales devraient examiner l'ensemble des cas d'accidents fautifs et d'infections nosocomiales, ce qui impliquerait sans doute un volume d'activité beaucoup plus lourd. Le filtre prévu à l'entrée paraît d'ailleurs symbolique : il vise simplement à écarter les cas manifestement irrecevables.
Je crains donc que cet amendement, dont on peut comprendre les motivations, n'aboutisse à une paralysie du dispositif, ce que personne ne souhaite.
Ayant entendu l'avis du Gouvernement, j'émets un avis plutôt défavorable sur l'amendement n° 257.
Quant aux amendements n°s 345 et 344 du Gouvernement, ils seront satisfaits si l'amendement n° 215 est adopté.
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Je considère, monsieur le ministre, que votre argumentation se retourne contre vous.
Dès lors que ces commissions vont être mises en place, qu'elles fonctionnent pleinement ! Ne divisez pas ce contentieux entre deux juridictions différentes, faute de quoi des contradictions ne tarderont pas à apparaître. Et ne compliquez pas la vie des gens sous prétexte qu'ils ont subi un moindre préjudice.
Par ailleurs, monsieur le ministre, ne vous faites pas d'illusions sur le gain de temps pour les grands préjudices, car ce sont évidemment ceux qui, par définition, donneront le plus lieu à contestation. Avec 40 % ou 50 % d'IPP, il est clair qu'il sera moins facile d'obtenir un accord sur l'indemnisation. Or, à défaut d'accord, les gens devront aller devant les juridictions de droit commun. Vous n'aurez donc rien amélioré !
Ce système est susceptible d'améliorer les choses pour les petits préjudices, mais c'est précisément ces derniers que vous excluez. C'est proprement incompréhensible !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Si nous avons mis au point ce dispositif, c'est précisément parce que la manière dont les choses se passaient jusqu'à présent n'était pas satisfaisante. Il nous semble qu'éclairer, expliquer aux gens, c'est encore la meilleure manière de procéder. Cependant, pour ne pas engorger le système, en effet, nous ne voulons pas que ce système s'applique en deçà d'un certain niveau de gravité. En revanche, au-delà, je suis persuadé que cela fonctionnera mieux. Et, pour les préjudices importants, il n'y aura bien qu'un seul système.
Il faut aussi tenir compte de la réforme de l'expertise : elle va permettre d'opérer des distinctions beaucoup plus fiables. Car il faut savoir ce qu'était l'expertise jusqu'à maintenant !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 257, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence les amendements n°s 345 et 344 n'ont plus d'objet.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article L. 1142-8 du code de la santé publique.

(Ce texte est adopté.)

DIVISION ADDITIONNELLE AVANT L'ARTICLE L. 1142-9
DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE