SEANCE DU 12 FEVRIER 2002


CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA DÉLINQUANCE DES MINEURS
(Ordre du jour réservé)

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 213, 2001-2002) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de résolution (n° 332, 2000-2001) de MM. Henri de Raincourt, Jean Arthuis, Guy-Pierre Cabanel et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur les diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner la proposition de résolution de MM. de Raincourt, Arthuis, Cabanel et de Rohan tendant à créer une commission d'enquête sur les « diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs. »
La commission des lois a eu à examiner à la fois la recevabilité juridique et l'opportunité, compte tenu de son objet, de la création de cette commission d'enquête, en application de l'article 11 de notre règlement.
Sur le premier point, la recevabilité juridique, et conformément aux conditions fixées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et par l'article 11 du règlement du Sénat, il ne s'agit pas d'enquêter sur des faits déterminés. La saisine, par M. le président du Sénat, de la chancellerie n'est donc pas nécessaire.
En revanche, la proposition correspond bien à l'objet du deuxième type de commission d'enquête visant à « recueillir des éléments d'information sur la gestion des services publics, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ». Je vous rappelle que nous avons fusionné, voilà quelques années, les commissions d'enquête et les commissions de contrôle.
Ayant pour objet de contrôler le fonctionnement d'un service public de la justice, en particulier de la protection judiciaire de la jeunesse, la proposition entre parfaitement dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance précitée.
La proposition prévoit que la commission d'enquête sera, comme c'est l'usage, composée de vingt et un membres ; elle détermine avec précision son champ d'investigation et est donc recevable comme répondant aux conditions de l'article 11 du règlement du Sénat.
En ce qui concerne le second point, l'opportunité, la création d'une commission d'enquête est pleinement justifiée par l'évolution de la délinquance des mineurs.
Il y a lieu de rappeler que le nombre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a progressé de plus de 78 % entre 1990 et 2000, pour atteindre, en 2001, un total de 177 017.
Selon des études récentes, la délinquance des mineurs s'est banalisée, en même temps que l'usage de la violence : outre l'augmentation considérable des atteintes aux biens, les atteintes aux personnes se sont multipliées.
C'est ainsi que le nombre de mineurs condamnés est passé, de 1995 à 1999, de 9 404 à 36 787. Pour cette dernière année, les atteintes à la personne - principalement les coups et blessures volontaires - représentent 6 258 condamnations, soit une multiplication par quatre. Dans le même temps, les condamnations pour atteintes sexuelles et les infractions en matière de stupéfiants ont été multipliées respectivement par trois et trois et demi.
Il apparaît que la progression des condamnations est parallèle à celle des fait constatés, ce qui soulève la question de l'efficacité de la prévention et de la répression de la délinquance des mineurs.
C'est donc à un travail approfondi que vous invitent les auteurs de la proposition de résolution en vue de rechercher les moyens d'améliorer les réponses de la société à la délinquance des mineurs.
En effet, « ce phénomène constitue à l'évidence un défi majeur pour notre société, qui ne peut laisser sur le bas-côté une partie de sa jeunesse ni laisser sans protection les victimes de cette délinquance, le plus souvent elles-mêmes mineures », comme le notent, à juste titre, les auteurs de la proposition de résolution.
Aucun travail d'enquête n'a été récemment mené sur cette question par les assemblées parlementaires. Certes, des enquêtes extrêmement approfondies ont été consacrées au fonctionnement de la justice par notre assemblée, mais aucune ne portait spécifiquement sur la justice des mineurs. Le Sénat, comme il l'a fait sur d'autres sujets - je pense à notre récente enquête sur les prisons -, pourra ainsi apporter une contribution importante à la réflexion sur la délinquance des mineurs.
La commission des lois vous propose de retenir, comme champ d'investigation de la commission d'enquête, les moyens de répondre à la « délinquance des mineurs », notamment les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la mission de réinsertion.
En effet, si la question des structures d'accueil des mineurs délinquants est l'une des plus importantes, il n'apparaît pas souhaitable de restreindre le domaine de l'enquête et il est bon de pouvoir examiner les règles gouvernant la justice des mineurs.
Je suis convaincu qu'au-delà des polémiques et des anathèmes, au-delà des quatre prochains mois durant lesquels nous risquons fort d'entendre tout et son contraire, la commission saura proposer des remèdes concrets face à cette situation préoccupante, face aussi à une relative impuissance des familles, de l'école et de la justice.
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. « La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente. »
Cette citation, mes chers collègues, est extraite de l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Vous le savez, en ce temps, la France sortait des désordres de la dernière guerre mondiale et le souci du gouvernement provisoire de la République, sur un tel sujet, était de veiller à la protection de jeunes sans repères, qui avaient subi des troubles sérieux d'ordre matériel et moral et qui étaient tombés dans la délinquance.
Aujourd'hui, heureusement, le contexte n'est plus le même. Cependant, cette préoccupation conserve toute son importance.
Il faut en convenir, mes chers collègues, la question de la délinquance juvénile relève d'une actualité permanente, car se trouve en jeu notre capacité à réussir l'intégration paisible dans la société de jeunes femmes et de jeunes hommes en devenir, partageant le respect de valeurs communes sans lesquelles il ne peut exister une cohésion solide du corps social. Il s'agit, à chaque fois, d'un terrible défi pour la préservation de l'avenir que, nous, les adultes, devons relever.
En disant cela, je ne cherche pas à relativiser la gravité de la situation actuelle. Les statistiques des crimes et délits constatés par les services de police et de gendarmerie en France, au cours de ces dernières années, sont préoccupantes, en particulier celles qui sont relatives aux mineurs mis en cause. Si nous examinons les chiffres pour la période comprise entre 1992 et 2001, nous constatons que nous sommes passés de 98 864 à 177 010 mineurs impliqués. Au cours de la même période, donc un peu moins de dix ans, la part des mineurs dans le total des personnes mises en cause pour crimes et délits a progressé, passant de 13,9 % à 21,2 %.
Il n'est donc pas question ici de nier la hausse tendancielle de la délinquance des mineurs constatée dans notre pays ; elle se confirme d'année en année et - ce qui est grave - se caractérise par une baisse de l'âge des mineurs mis en cause dans les faits de plus en plus violents et par une multiplication d'actes de délinquance commis en groupe.
Ayons simplement à l'esprit que la délinquance juvénile n'est pas un phénomène inédit. Cependant, elle se développe aujourd'hui dans des proportions telles qu'elle suscite, à juste titre, l'exaspération croissante des victimes et accentue le sentiment général d'insécurité dans la population.
Dans ces circonstances, il est légitime que les élus s'emparent de la question pour non seulement mieux comprendre ce phénomène et animer la réflexion sur ce sujet, mais aussi pour tenter d'apporter des réponses concrètes.
Ainsi, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête dans le but de rechercher les moyens d'améliorer les réponses de la société à la délinquance des mineurs nous paraît totalement fondée dans son principe.
Toutefois, une telle démarche appelle de notre part un certain nombre d'observations qui sont autant de mises au point face aux reproches injustes exprimés à l'encontre de la justice des mineurs et au faux procès de carences engagé à l'encontre de l'action gouvernementale.
Vous dites, monsieur le rapporteur, qu'aucun travail d'enquête n'a récemment été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Simon Sutour. Je voudrais tout de même signaler la journée d'auditions publiques organisée, en 1996, par M. Jacques Larché, alors président de la commission des lois, à laquelle avaient participé, outre le garde des sceaux, des personnes quotidiennement confrontées au problème de la délinquance juvénile, avocats, juges des enfants, magistrats du parquet, fonctionnaires de police et membres des corps enseignant et préfectoral. Le compte rendu de l'ensemble de ces auditions avait été publié dans un rapport d'information, intitulé, d'ailleurs : La délinquance juvénile : comment y répondre ?
Vous noterez la permanence de ce problème, puisque, en 1945 comme en 2002, nous nous posons la même question.
Contrairement à ce qu'affirment les détracteurs de la justice des mineurs, il ne faut pas y voir le signe de ce que l'on appelle trop souvent ces temps-ci le « laxisme des magistrats de la jeunesse ». Le taux de réponse pénale des mineurs s'améliore : le nombre de peines d'emprisonnement pour délits est passé de 6 475 en 1993 à 13 169 en 1998.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux !
M. Simon Sutour. En proportion, la justice est plus sévère avec les mineurs qu'avec les majeurs.
Très vite, dans les premiers mois qui ont suivi son entrée en fonction, le gouvernement de Lionel Jospin a pris conscience de ce problème de société en ouvrant la réflexion en profondeur et en apportant des réponses concrètes.
Le 1er décembre 1997, le Premier ministre a confié à deux députés, Mme Christine Lazerges et M. Jean-Pierre Balduyck, une mission interministérielle sur le traitement de la délinquance des mineurs.
Le conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998 a arrêté un plan de lutte gouvernemental contre la délinquance des mineurs. Le 27 janvier 1999 et le 30 janvier 2001, le conseil de sécurité intérieure a pris acte de l'action engagée et des résultats qu'elle avait d'ores et déjà obtenus, tout en arrêtant de nouvelles décisions tendant à la poursuivre et à l'amplifier.
Une circulaire du 9 mai 2001 relative à l'action publique et à la sécurité a été diffusée aux procureurs généraux et aux procureurs de la République.
Les principales orientations mises en oeuvre visent à apporter une réponse judiciaire aux premiers actes de délinquance commis par les mineurs en développant les rappels à la loi grâce au recrutement des délégués du procureur et à répondre rapidement à tous les faits de délinquance en assurant une continuité de l'intervention.
Elles tendent à diversifier les réponses éducatives, notamment le perfectionnement des dispositifs d'accueil et d'urgence, afin de faciliter le placement des mineurs déférés dans le cadre d'une procédure pénale. La mise en place des centres de placement immédiat, les CPI ; et le développement des centres éducatifs renforcés, les CER ; est considérée comme une priorité : quarante-deux CPI sont ouverts et cinq projets sont en cours de réalisation ; quarante-sept CER sont ouverts et vingt-cinq projets sont en préparation.
Elles ont également pour objet de mieux associer les familles et les acteurs sociaux concernés, en permettant notamment aux parents d'exercer leurs responsabilités éducatives dans toutes les procédures concernant leur enfant mineur.
Elles s'appliquent, enfin, à améliorer la coordination de l'intervention des différents acteurs judiciaires.
L'action du Gouvernement trouve aussi sa traduction dans la politique menée en matière de protection judiciaire de la jeunesse. Je vous rappelle que les crédits qui lui sont alloués dans la loi de finances ont connu, au cours des années précédentes, une forte progression, de 6,4 % en 1999, de 14,7 % en 2000 et de 7,3 % en 2001. Paradoxalement, lors du dernier examen du projet de loi de finances pour 2002, la majorité sénatoriale a rejeté ces crédits.
On ne peut donc critiquer le Gouvernement de manquer de volonté ni taxer le service public de la justice d'agir avec faiblesse. Mais la justice des mineurs ne peut pas, à elle seule, répondre au problème global posé par la délinquance des jeunes. La justice n'offre qu'une réponse individualisée à des enfants qui sont passés à l'acte violent.
Ces mises au point étant faites, une question demeure : si la création de la commission d'enquête qui est proposée par les présidents des groupes de la majorité sénatoriale est appropriée, est-elle pour autant utile et opportune dans le contexte actuel ? Nous ne le pensons pas et c'est pourquoi les membres du groupe socialiste s'abstiendront au moment du vote sur la proposition de résolution, comme ils l'ont fait en commission.
Les travaux du Parlement vont être suspendus en raison des prochaines échéances électorales, présidentielle et législatives. L'actualité démontre que les choses ont tendance à s'accélérer en la matière !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Simon Sutour. Au cours de cette période électorale qui représente le rendez-vous démocratique par excellence pour le pays, les programmes politiques seront comparés et permettront d'éclairer les enjeux à venir. Il n'est pas sûr que le moment soit propice à un travail en profondeur de la commission d'enquête et que ses membres soient disponibles.
Par ailleurs, la campagne électorale métamorphosera sans doute profondément la nature du débat. Le temps des investigations et de la réflexion cédera naturellement la place aux acteurs de cette confrontation démocratique qui devront expliciter leur projet de réformes et tracer les perspectives de leur politique pour les cinq ans à venir.
Enfin, et sans préjuger des conclusions auxquelles aboutira la commission - si toutefois elle aboutit à des conclusions pendant cette période, monsieur le rapporteur -, le contexte électoral risque de porter atteinte à la sérénité même de ses travaux. La droite a tellement agité le chiffon rouge de l'insécurité ces derniers mois qu'on la voit mal ne pas se servir de cet instrument de contrôle, malheureusement à des fins uniquement polémiques. Je vous renvoie, là encore, à l'actualité. Je suis un élu du département du Gard, proche d'un département dans lequel se situe une ville dont il a été beaucoup question hier !
Comment ne pas s'interroger, sachant que la proposition de résolution a été déposée au mois de mai 2001, soit depuis bientôt un an, quelques jours avant l'examen par le Sénat du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne ?
Nous nous demandons également quel est l'intérêt actuel de tels travaux.
S'agissant de la délinquance des mineurs, les propositions de la droite parlementaire sont connues ; elles se résument en une formule : réformer l'ordonnance de 1945. Elles ont été largement explicitées tant au Sénat, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la sécurité quotidienne, au mois de mai 2001, qu'à l'Assemblée nationale, en octobre dernier, lors de la discussion d'une proposition de loi déposée par les présidents des groupes de l'opposition.
Permettez-moi d'en citer quelques-unes, parmi les plus caractéristiques : faciliter la retenue des enfants de dix à treize ans dans les locaux de la police, abaisser à dix ans, au lieu de treize, l'âge auquel un enfant pourra être condamné à une peine, permettre de prononcer à l'égard des enfants de dix ans des peines de travail d'intérêt général, revenir à la possibilité de placer les enfants de moins de seize ans en détention provisoire pour une durée de quinze jours renouvelable une fois et supprimer les allocations familiales à la famille comprenant un jeune délinquant. J'arrêterai là mon énumération.
Face à de telles propositions, le groupe socialiste du Sénat a exprimé son opposition. D'une part, nous ne pouvons laisser croire que les problèmes lourds posés par la délinquance des mineurs peuvent se réduire à une simple réécriture d'un texte qui a déjà été modifié à de multiples reprises. D'autre part, nous sommes attachés à privilégier les réponses éducatives parce que, pour reprendre la formule de notre collègue Robert Badinter, « l'enfant ou le mineur délinquant n'est pas un adulte en réduction (...) mais un être en devenir ». Affirmer cette réalité ne revient pas à nier la nécessité de la sanction. Celle-ci doit simplement être mieux adaptée à l'âge de l'enfant.
Nous sommes encore plus convaincus aujourd'hui qu'il faut apporter une réponse globale dans le cadre d'une politique publique d'envergure. Peut-être parviendrons-nous à vous convaincre de mieux appréhender le débat actuel sur l'insécurité ? Les réponses policières et judiciaires ne peuvent suffire face à l'enjeu de société que représente la délinquance des jeunes. Les réponses relèvent d'une dynamique collective. C'est pourquoi nous soutenons ardemment la proposition de Lionel Jospin tendant à faire de la prévention de la délinquance des mineurs une grande cause nationale.
Quoi qu'il en soit, si le moment choisi pour la création de la commission d'enquête nous paraît inopportun, pour ne pas dire opportuniste, nous préférons privilégier les arguments de fond aux arguments de forme. Ainsi, tout au long des travaux d'investigation de la commission, nous veillerons à ce que ne soit pas négligé tout ce qui favorise la socialisation et la responsabilisation des mineurs, c'est-à-dire l'apprentissage élémentaire de la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, mes chers collègues, nous sommes de nouveau saisis de la proposition des présidents des trois groupes de la majorité sénatoriale de constituer une commission d'enquête sur les diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs, à quinze jours de l'interruption de la session parlementaire.
Cette proposition ne nous paraît pas particulièrement bienvenue, s'agissant tant de la façon dont « l'affaire » a été traitée que du fond même de l'initiative.
Tout d'abord, on ne peut que déplorer d'avoir attendu la fin de session pour inscrire à l'ordre du jour du Sénat une demande tendant à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire.
Il y a huit mois, la conférence des présidents avait décidé l'inscription de cette même proposition de loi à l'ordre du jour de la séance mensuelle réservée, à la veille de l'interruption d'été. Elle avait alors été retirée in extremis après que certains d'entre nous eurent fait valoir qu'une période d'intersession à la veille d'un renouvellement sénatorial n'était pas forcément le bon moment pour faire fonctionner une commission d'enquête parlementaire !
Pourtant, il a fallu attendre à nouveau la veille d'une interruption de session parlementaire pour que la proposition de résolution réapparaisse subitement. Pas plus qu'au mois de juin dernier, je ne trouve ce choix pertinent.
On peut d'autant plus être surpris de cette manière de procéder que la charge de l'ordre du jour n'explique pas tout : nous avions suggéré dès le dépôt de la proposition de loi qu'elle fasse l'objet d'une mission d'information, ce qui aurait permis de subir de façon moins forte les contraintes de l'ordre du jour tout en permettant un travail de fond et de recueillir les témoignages et les avis des personnes compétentes. Cette solution aurait permis également d'associer les membres d'autres commissions, ce qui était évidemment utile, mais certainement moins spectaculaire.
Nous n'avons pas été suivis sur ce terrain et nous sommes aujourd'hui en droit de nous interroger sur les motivations de nos collègues de la majorité sénatoriale.
De deux choses l'une, soit l'initiative n'est que formelle, seul l'affichage importe, et il est vrai que les conditions dans lesquelles la commission d'enquête sera amenée à travailler laissent perplexe. Constituée dans une période de campagne électorale guère propice à l'investissement et à la disponibilité des uns et des autres, amenée à rendre son rapport en plein mois d'août sans présentation en séance publique, on semble cumuler les handicaps ! Alors cela vaut-il la peine de gagner six mois et pourquoi ne pas renvoyer la question à la session d'octobre ?
Soit il s'agit pour l'opposition de droite, la majorité sénatoriale, de continuer à se donner une tribune parlementaire hors session, pendant les échéances électorales. La commission d'enquête parlementaire travaillera alors à grands coups de renfort médiatique, ne servant pas la cause de ceux qui se battent pour refuser la fatalité de la délinquance de mineurs.
Si telle est l'option que vous nous proposez, il ne faut pas compter sur notre soutien.
Reconnaissez, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, que le caractère partisan de votre initiative - vous n'avez à aucun moment cherché à privilégier une démarche consensuelle associant l'ensemble des groupes représentés au Sénat - a de quoi faire douter de votre réelle volonté de procéder à une évaluation approfondie de l'ordonnance de 1945 dans tous ses aspects !
Souvenons-nous également de la petite histoire du dépôt de la proposition de résolution : à la veille de la discussion en première lecture du projet de loi sur la sécurité quotidienne, la droite avait décidé de profiter de l'occasion pour tester son programme électoral anti-jeunes délinquants, voire anti-jeunes des banlieues.
Mise en difficulté devant le caractère extrême de certaines propositions, contestée même sur une partie de ses travées, elle avait sorti de son chapeau une commission d'enquête alibi, pour légitimer son discours démagogique et sécuritaire en se donnant la caution d'une initiative apparemment axée sur la réinsertion.
Notre collègue M. Delfau avait alors mis en garde la majorité sénatoriale en lançant « un appel solennel à nos collègues de la majorité sénatoriale contre la tentation de travailler dans la perspective d'une échéance électorale. Ce sujet est trop grave et trop pressant pour que nous en fassions un argument de campagne pré-présidentielle ».
Il est fort dommage qu'il n'ait pas été entendu et que la droite ait choisi une fois de plus de privilégier l'affichage politique sur une réelle analyse de fond de la délinquance des mineurs.
L'effet et le message qui en ressortiront sont, de mon point de vue, tout à fait déplorables, car ils ne manqueront pas de donner le sentiment aux Français que cette question, qui les préoccupe particulièrement et à juste titre, ne sera traitée que dans une perspective électoraliste.
En tout cas, une telle situation n'est pas propice à la sérénité que l'on serait en droit d'attendre des parlementaires sur un tel sujet.
C'est également sur le fond que la proposition peut être critiquée !
Nous ne sommes pas opposés, sur le principe, à la création d'une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. Bien au contraire, une telle initiative permettra sans nul doute de revenir sur des jugements hâtifs et sur des présupposés concernant le soi-disant laxisme des juges, cette affirmation allant en effet à l'encontre de ce que les professionnels observent sur le terrain.
N'oublions pas que la pratique de la réponse systématique - qui n'existe pas pour les majeurs - rend, à bien des égards, la justice pénale des mineurs plus sévère, comme vient de le rappeler Simon Sutour.
Car si, comme le souligne le rapporteur, aucune commission d'enquête n'a encore eu lieu, vous n'ignorez pas que différents rapport, notamment parlementaires, ont déjà été publiés sur le sujet et font référence.
Il y a également fort à parier, sans vouloir anticiper sur les conclusions de la commission d'enquête, que l'ordonnance de 1945, particulièrement mise en cause ces derniers temps, révélera avec force la pertinence et la modernité de ses principes fondateurs.
Nous ne sommes pas « arc-boutés » sur l'ordonnance de 1945 et réfractaires à toute révision, mais nous considérons qu'elle est une référence pour beaucoup d'entre nous, parce qu'elle a su montrer qu'une sanction dépourvue de dimension éducative n'a pas de sens.
Il faut espérer que les travaux de la commission d'enquête permettront ainsi à certains de renoncer à la tentation aberrante de déconstruire la spécificité du droit des mineurs pour calquer celui-ci sur le droit des majeurs.
Cette conception est en effet à l'opposé de toutes les évolutions progressistes, telles qu'elles sont systématisées dans les textes internationaux, qui montrent que le mineur ne peut être considéré comme un adulte en miniature et que l'on doit lui reconnaître une identité propre. Toute autre solution ne peut que conduire à une impasse et hypothèque toute chance de réinsertion dans l'avenir.
Enfin, nous pouvons espérer qu'une étude approfondie permette d'identifier précisément les difficultés réelles, notamment en termes de moyens, et les points sur lesquels concentrer les efforts. Certains découvriront peut-être à cette occasion que, plus qu'une modification des textes - l'ordonnance de 1945 offre une large palette de mesures - les juges attendent un surcroît de moyens et que, quand la prévention est mise en oeuvre, elle est largement une réussite. Quant aux centres de placement, c'est essentiellement à un problème de recrutement qu'ils sont aujourd'hui confrontés.
Nous accueillons en tout cas favorablement les propositions de modification de M. le rapporteur tendant à élargir le champ d'investigation de la commission d'enquête, tant celui qui avait été retenu à l'origine nous paraissait partiel et partial.
En effet, malgré les apparences, la proposition de résolution s'inscrivait dans une perspective exclusivement répressive. L'emploi du terme « réinsertion » ne pouvait ainsi faire longtemps illusion si l'on se référait à l'exposé des motifs. Dès lors que l'on choisit de n'aborder la question de la « réinsertion des mineurs délinquants » que sous l'angle du renforcement des centres d'éducation renforcée, les CER, et des centres de placement immédiat, les CPI, voire de la création de nouvelles structures, dès lors que l'on se refuse à évoquer d'autres modes de réinsertion, tels que les mesures de réparation ou le développement des travaux d'intérêt général, on ne peut prétendre vouloir autre chose que la punition.
Cette crainte ne pouvait d'ailleurs qu'être confortée par les débats du 11 octobre dernier à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi des députés du groupe du RPR « tendant à modifier l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 ainsi qu'à renforcer la protection des mineurs », car la volonté affichée de remettre en cause le primat éducatif institué par l'ordonnance de 1945 conduisait les auteurs de ce texte à proposer la mise en place de nouvelles structures en remplacement des CER et des CPI : des « structures fermées », précisait M. Cuq, « pouvant constituer une alternative crédible à l'incarcération des mineurs ». C'est donc toujours une logique d'enfermement que l'on fait prévaloir, sans même la garantie du judiciaire, comme l'avait fort justement souligné alors Mme Lebranchu.
Une telle évolution ne pourrait que contredire les conclusions auxquelles était parvenue, monsieur le rapporteur, la commission d'enquête sur les prisons, qui montraient combien l'enfermement constitue un facteur supplémentaire de déstructuration plutôt que de réinsertion : substituer un enfermement à un autre ne semble pas particulièrement efficace !
Ces solutions de facilité ne peuvent qu'être un motif de découragement pour tous ceux qui mènent un lent et patient travail de fond au quotidien : je pense aux policiers, aux magistrats, aux éducateurs, aux enseignants, ainsi qu'aux parlementaires qui s'intéressent à ces questions.
On doit donc se réjouir que M. le rapporteur n'ait pas souhaité s'en tenir à cette vision parcellaire ; relevant, à juste titre, qu'il n'était pas souhaitable « d'écarter a priori du champ d'investigation de la commission d'enquête l'examen des règles gouvernant la justice des mineurs », notamment de celles qui figurent dans l'ordonnance du 2 février 1945, il nous invite à procéder à « un examen serein et approfondi de ces règles ». Nous faisons nôtre cette vision, qui nous semble bien préférable et de nature à permettre d'établir un véritable « état des lieux » de l'application de l'ordonnance de 1945, dans l'ensemble de ses aspects : préventifs, éducatifs et répressifs.
Pour l'heure, les sénateurs communistes ne peuvent cautionner une initiative dont le caractère politicien n'a pu échapper à personne. Ils ne prendront donc pas part au vote de la proposition de résolution.
Néanmoins, parce qu'il n'est pas dans leurs habitudes de s'opposer à une démarche visant à renforcer le droit d'initiative législative ou le contrôle parlementaire, ils ne refuseront pas de participer aux travaux de cette commission. Les propos très modérés du rapporteur, M. Hyest, les y encouragent.
Cependant, nous ne persisterons dans cette attitude que dans la mesure où des garanties nous seront données en matière de sérénité et de neutralité et où la majorité sénatoriale acceptera de jouer le jeu sans céder aux pressions sécuritaires à laquelle la période semble décidément bien propice. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Monsieur le président, mes chers collègues, il nous est donc proposé aujourd'hui de créer une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs.
Cette proposition de résolution, à l'origine de laquelle se trouvent les quatre présidents de groupe de la majorité sénatoriale, est tout à fait pertinente dans la mesure où la délinquance des mineurs a connu une progression exponentielle ces dernières années et où l'on a constaté, surtout, une aggravation de la violence accompagnant ces actes délictueux.
En effet, en dix ans, le nombre de jeunes mis en cause dans des actes de délinquance a quasiment doublé, passant de 98 000 à 175 000. Par ailleurs, les chiffres annoncés par le préfet de police de Paris montrent la participation croissante des mineurs aux actes avec violence.
Je ne reviendrai pas sur les propos de notre excellent rapporteur, qui a démontré l'intérêt que présente la création de cette commission d'enquête par notre assemblée. En revanche, j'aimerais rappeler les circonstances qui ont conduit au dépôt de la proposition de résolution.
Cette dernière avait été déposée à l'occasion de l'examen en première lecture par notre assemblée, en mai dernier, du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne.
La majorité sénatoriale a toujours considéré que le problème de la délinquance des mineurs ne pouvait pas être traité sous un seul de ses aspects. Nous avons toujours refusé le débat stérile entre répression et prévention.
Cependant, le Gouvernement, depuis cinq ans, pèche par angélisme, et le discours laxiste de la majorité plurielle, que nous avons encore entendu à l'instant, n'a pu apparaître que comme un blanc-seing donné à une certaine jeunesse pour persister dans la voie de la délinquance. A force d'avoir voulu privilégier, sans résultat, la seule prévention, le Gouvernement porte une très grande responsabilité dans la progression incessante de cette nouvelle délinquance.
Pour autant, monsieur Bret, nous ne sommes pas des tenants de la seule répression et nous sommes au contraire persuadés que seule une constante association de la prévention à celle-ci peut être efficace.
C'est la raison pour laquelle nous avions, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, formulé des propositions en matière de prévention et de réinsertion de la jeunesse délinquante. Malheureusement, la quasi-totalité de ces propositions relevaient du domaine réglementaire et ne pouvaient donner lieu au dépôt d'amendements.
C'est pourquoi cette proposition de résolution a été déposée. Nous ne nous étions pas trompés sur son utilité, puisque les membres du groupe communiste républicain et citoyen, par la voix de Mme Borvo, avaient alors salué cette initiative. Ce même orateur avait d'ailleurs fustigé la majorité sénatoriale, qui, dénonçant son caractère de façade, n'avait toujours pas examiné ce texte lors de la deuxième lecture, à l'automne dernier, du projet de loi que j'ai évoqué.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, la majorité sénatoriale n'a nullement l'intention de laisser passer cette occasion. Elle souhaite mettre à profit la période de suspension de l'activité législative pour étudier au fond cette importante question. Il s'agit non pas, pour nous, d'en faire un sujet permanent de communication grâce aux tribunes qui nous seront offertes dans les mois à venir, mais de réaliser, monsieur le rapporteur, un travail approfondi et très sérieux.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !
M. Alain Joyandet. La proposition de loi initiale visait uniquement à étudier les diverses mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants pouvaient être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsérer ces derniers.
Le champ d'étude retenu pouvait paraître restrictif, mais il s'inscrivait, comme je viens de le rappeler, dans le cadre défini par le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, dont l'examen nous avait déjà permis de formuler d'autres propositions relatives à la répression de la délinquance des mineurs. Le volet afférent à la réinsertion étant d'ordre réglementaire, nous ne pouvions faire de suggestions sur ce plan à cette occasion.
Cela aurait pourtant été fort utile, car, sans réinsertion, la répression de la délinquance est vaine. En effet, dans certains cas, les centres de détention pour mineurs présentent le risque de précipiter plus rapidement encore ces jeunes dans une spirale fatale.
Nos propositions n'ayant pas été retenues par l'Assemblée nationale, il semble à présent tout à fait judicieux d'étendre, comme nous l'offre M. le rapporteur, le champ d'investigation de cette commission d'enquête à l'ensemble de la question de la délinquance des mineurs, qu'il est indispensable, je le répète, d'envisager de façon globale.
Notre groupe se satisfait donc de l'extension du champ d'investigation et votera, bien entendu, la création de la commission d'enquête. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je crois avoir tenu des propos mesurés, ce qui n'a pas été forcément le cas de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et, surtout, du groupe socialiste. L'électoralisme se manifeste généralement chez ceux qui la dénoncent chez les autres, mais je n'engagerai pas un débat sur ce sujet !
Il est vrai que nous ne disposons pas aujourd'hui d'études approfondies sur l'ensemble du problème de la délinquance des mineurs, c'est-à-dire sur les volets afférents respectivement à la prévention, à la répression et à la réinsertion. Ainsi, M. Bret sait que la commission d'enquête sur les prisons avait déploré de façon unanime, s'agissant notamment des maisons d'arrêt, que l'on n'examine pas la question de la détention des mineurs, dont on connaît très bien les implications : actuellement, on dénombre 700 mineurs incarcérés.
Cette situation, parmi d'autres raisons, a amené la formulation d'un certain nombre de propositions et conduit les présidents des groupes de la majorité sénatoriale à souhaiter la création d'une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs.
Cela étant, je rappelle que les commissions d'enquête sont tenues à certaines précautions : tant que leurs conclusions n'ont pas été élaborées, le secret s'impose, et il n'est pas question de se lancer dans des opérations médiatiques. Tel n'avait d'ailleurs pas été le cas à l'occasion de commissions d'enquête précédentes.
Par ailleurs, certains nous objectent que nous serons très occupés dans les six mois à venir. Je leur répondrai que nous le serons de toute façon moins que nous ne l'avons été au cours de l'année écoulée, qui nous a vus souvent légiférer dans l'urgence et siéger la nuit ! Dans ces conditions, il était alors presque impossible de mettre en place une mission d'information ou une commission d'enquête.
La suspension de nos travaux, qui n'interrompt d'ailleurs pas la mission de contrôle du Parlement, nous permettra donc, à mon sens, d'accomplir une tâche de fond et d'enquêter sur la délinquance des mineurs. Je suis convaincu que nombre des banalités que l'on entend tous les jours à ce propos perdront tout crédit si nous savons une nouvelle fois dépasser les petites polémiques politiciennes et travailler à résoudre un problème qui préoccupe l'ensemble de la société. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - En application de l'article 11 du règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres sur les moyens de répondre à la délinquance des mineurs, en particulier sur les mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation auxquelles les mineurs délinquants peuvent être soumis et leur adaptation à la nécessité de réinsertion de ces mineurs. »
J'indique au Sénat que la commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de résolution : « Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois sur l'article unique de la proposition de résolution n° 332.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen ne participe pas au vote.
M. Simon Sutour. Le groupe socialiste s'abstient.

(La proposition de résolution est adoptée.)

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