SEANCE DU 19 février 2002


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Recrutement

de conseillers de cour d'appel

Rejet d'un projet de loi organique déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 241, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire. [Rapport n° 179 (2001-2002).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi, qui constitue le deuxième volet de la réforme globale de la justice commerciale, a pour objet de permettre aux anciens juges consulaires d'accéder aux fonctions de conseiller de cour d'appel à titre temporaire, afin de siéger dans les formations de jugement traitant du contentieux commercial. Malheureusement, ce texte important n'a pas été examiné par le Sénat.

Cette voie nouvelle de recrutement complète les voies d'accès à la magistrature déjà existantes, qui permettent l'intégration de personnalités issues du monde économique.

Je tiens à souligner que cette ouverture des cours d'appel à des personnes qui n'auront pas la qualité exclusive, ni même principale, de magistrat représente une avancée historique dans notre organisation judiciaire. C'est même une petite révolution. Il s'agit donc d'intégrer dans notre ordre judiciaire de véritables juges d'appel d'un type nouveau, dont la situation exorbitante au regard du droit commun de la magistrature justifie des conditions de recrutement et de statut particulières.

Ce texte, qui introduit le principe de la mixité au niveau des cours d'appel, est indiscutablement lié au projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce.

C'est pourquoi, après l'adoption par votre Haute Assemblée de la question préalable ayant pour objet de décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'examen du projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce, le principe de réalité me conduit à penser qu'une délibération identique interviendra sur le présent texte.

Il ne me paraît donc pas opportun d'entrer dans une présentation détaillée du projet de loi qui est aujourd'hui soumis à votre examen. Croyez que je le regrette beaucoup, parce que c'est sûrement une occasion ratée dont on parlera longtemps. D'autres ici l'adopteront peut-être un jour ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, Mme le garde des sceaux vient de nous expliquer l'économie du présent projet de loi organique, qui tend à permettre à des juges des tribunaux de commerce d'accéder aux fonctions de conseiller de cour d'appel, dans des conditions qui ne sont d'ailleurs pas complètement nouvelles, puisque ce mode de recrutement extérieur existe déjà : il a été institué en 1970, élargi par une loi organique du 19 janvier 1995, et confirmé par le Conseil constitutionnel comme étant un mode de recrutement à titre temporaire de magistrats. Par conséquent, en faire un élément de la réforme des tribunaux de commerce relève, d'une certaine manière, de l'abus de langage.

Cela me rappelle, madame le garde des sceaux - je vous prie de m'en excuser -, les marchés forains de la Normandie.

M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pourquoi la Normandie ?

M. Paul Girod, rapporteur. Parce que l'on dit que les Normands ont un talent de négociation qui est supérieur à celui des Florentins : on donne, on reprend, on équilibre. (Sourires.)

M. Patrice Gélard. C'est parfaitement exact !

M. Robert Bret. C'est quand même exagéré !

M. Paul Girod, rapporteur. Je ne l'ai pas inventé, madame le garde des sceaux ! J'ai lu dans un extrait de presse rapportant l'une de vos déclarations que la présence d'anciens juges consulaires dans les cours d'appel était la contrepartie de l'entrée des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce. Cette espèce de marchandage est un peu bizarre, d'autant que les conditions préalables à l'entrée des anciens juges des tribunaux de commerce dans les cours d'appel sont telles que la mesure est a priori vidée de tout effet. On leur impose en effet une sorte de délocalisation, que l'on peut à la limite comprendre, sous réserve des procédures de récusation, mais qui aboutit à ce qu'un juge de tribunal de commerce ne peut siéger que dans une cour d'appel autre que celle qui se trouve dans le ressort du tribunal où il exerce.

Cela revient à dire que la délocalisation géographique est obligatoire et qu'en conséquence le nombre de candidats sera faible, d'autant qu' a priori ce sont d'anciens juges consulaires, donc des bénévoles, qui, en général, exercent encore des responsabilités professionnelles effectives.

Qui plus est, cette mesure est assortie de conditions d'âge qui font que ceux qui n'ont plus de responsabilités économiques effectives sont d'avance exclus du système.

Il faut donc se délocaliser de deux cents kilomètres pour pouvoir éventuellement bénéficier du dispositif prévu dans ce projet de loi organique. Il y a là une anomalie !

J'en soulignerai une autre : les déclarations d'intérêts directs et indirects, que l'on ne demande qu'aux juges consulaires et non aux juges professionnels, alors qu'ils partageront le secret des délibérations, les difficultés de l'instruction et du jugement des problèmes économiques qui leur seront soumis.

Il y a là des distorsions d'exigence qui sont à l'évidence excessives et de nature à entraîner un déséquilibre, malgré l'intérêt apparent, ou marchand, de l'échange prévu dans ce projet de loi organique par rapport au projet de loi ordinaire que nous avons repoussé l'autre jour. Dernièrement, madame le garde des sceaux, contre l'avis du Gouvernement et contre celui de certains de nos collègues, nous avons adopté une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce. Cette question préalable nous a valu - cela a d'ailleurs suscité de ma part, tout à l'heure, un rappel au règlement, et je parle sous le contrôle de mon ami Jean-Jacques Hyest, qui a reçu le même télégramme que moi - une invraisemblable volée de bois vert de la part des rapporteurs de l'Assemblée nationale, à laquelle j'ai d'ailleurs répondu. J'ai été accusé de tout, du contraire de tout, de retardement, etc.

Il faut quand même rappeler que c'est un peu comme « Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage... » : ce texte est soumis au Sénat après un très très long voyage puisque, déclaré d'urgence à l'Assemblée nationale, il a fallu attendre un an et demi pour qu'il y soit rapporté. Ensuite, huit mois se sont écoulés avant qu'il nous soit présenté, soit, comme par hasard - cela révèle probablement quelque intention cachée du Gouvernement - deux jours avant la suspension, exigée par l'Assemblée nationale, de la session parlementaire. Cela signifie que tout le monde s'est accordé, à l'échelon des responsables réels de ce pays, à faire en sorte que cette réforme n'aille pas à son terme.

Il n'empêche que les rapporteurs de l'Assemblée nationale nous ont accusés de tous les maux. Pour ne rien vous cacher, puisque je vous ai lu tout à l'heure le télégramme qui m'avait été envoyé, mes chers collègues, je vais vous donner lecture, de mémoire, du télégramme que je leur ai moi-même adressé : « J'ai bien reçu votre télégramme. Je vous rappelle que l'usage de l'insulte, de la calomnie et de la menace n'ont jamais grandi personne et que tout cela est consternant. » Bien entendu, ils en feront l'usage qu'ils voudront !

Madame le garde des sceaux, nous avons opposé une question préalable au projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce. Ne serait-ce que par parallélisme des formes et en égard à votre marchandage, nous déposerons également une motion tendant à opposer la question préalable sur le présent projet de loi organique puisque, ayant refusé le premier aspect du marché, il n'y a aucune raison de souscrire au second.

Il est une autre raison au rejet de ce texte, que je vous ai donnée tout à l'heure : il ne peut être ressenti, par les membres des tribunaux de commerce, que comme une insulte supplémentaire qui vient s'ajouter à toutes celles qu'ils ont subies de la part des rapporteurs de l'Assemblée nationale, agissant soit en tant que membres d'une commission d'enquête, soit en tant que rapporteurs des deux textes, ce qui nous afflige fortement.

Notre ami Jean-Jacques Hyest nous dira tout à l'heure quelles autres anomalies ils ont introduites dans le texte sur les mandataires, qui mérite probablement d'être examiné au fond dès maintenant, alors que le texte sur l'organisation et le fonctionnement de la justice commerciale ne pourra vraisemblablement être examiné qu'une fois que l'on aura revu la carte des tribunaux de commerce, la loi de 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, la loi de 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, modifiée en 1994, et, ce qui est plus important, le renforcement de la présence du parquet dans les tribunaux de commerce, l'accroissement des moyens de la justice du siège et les consignes données au parquet sur le suivi des affaires commerciales.

Il y a sûrement beaucoup à dire et beaucoup à construire, mais pas sur des ruines, pas sur l'insulte. Très honnêtement, je regrette que le gouvernement de notre pays se soit laissé entraîner par quelques « éructeurs » dans une démarche qui ne peut que décrédibiliser notre économie en mettant en cause le dynamisme de ses entrepreneurs. Un risque très grave a été pris ici, je le dis sans passion et avec beaucoup de tristesse. Je pense que le Sénat est dans son rôle en arrêtant, quand il en est encore temps, un processus de « boule de neige » qui ne peut que déstabiliser une bonne partie de l'économie française.

Des réformes, soit ; dans la sérénité, sûrement ; des réformes constructives, certainement aussi ; mais le slogan, non ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, « Nous avons à Paris et dans toutes nos villes de France une très belle juridiction. La juridiction consulaire : c'est là que sont portées toutes les affaires de commerce. Les juges sont des commerçants. On peut y plaider sa cause. Les juges n'ont aucune sorte d'honoraires. Ils ne quittent jamais le tribunal avant que toutes les affaires ne soient jugées ».

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ou renvoyées !

M. Laurent Béteille. Mon cher collègue, c'est Diderot qui s'exprimait ainsi dans un chapitre de ses Mémoires pour Catherine II, pour qualifier de manière élogieuse la justice commerciale.

Entre ce jugement et celui du rapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, Arnaud Montebourg, il y a un abîme.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certainement !

M. Laurent Béteille. Je ne crois pas du tout qu'il faille aujourd'hui montrer du doigt une institution en général et des magistrats bénévoles en particulier, qui rendent des services éminents à la justice de ce pays, qui le font sans percevoir de rémunérations et sans compter leur temps, même si les affaires qui leur sont soumises sont complexes.

Il est vrai que c'était bien mal aborder cette réforme de la juridiction commerciale que de commencer par affirmer que cette institution était « pourrie », qu'elle était « gangrénée » plus qu'on ne pouvait le penser et - un comble ! - qu'un boulanger ne pouvait pas avoir les compétences pour être président d'un tribunal de commerce. On reconnaît là la parole d'un grand démocrate !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais ils n'y siègent pas, les boulangers, à l'heure actuelle !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Et c'était justement une ouverture permise par le texte !

M. Laurent Béteille. Cher collègue, on nous a expliqué qu'il ne fallait pas qu'un boulanger soit président d'un tribunal de commerce. (M. Michel Dreyfus-Schmidt proteste.)

Je ne sais pas ce que l'on a contre les boulangers à gauche, mais, apparemment, on ne les porte pas aux nues !

On a donc lancé cette réforme en commençant par jeter l'opprobre sur la fonction. C'est de là qu'ont découlé les projets de loi dont nous discutons et qui sont censés apporter une solution aux graves problèmes que rencontre la justice commerciale.

Or, nous le savons tous, une réforme des tribunaux de commerce est indissociable d'une réforme de la justice dans son ensemble, qui embrasse, notamment, les tribunaux paritaires des baux ruraux et les conseils de prud'hommes. Cela étant, j'ignore si un boulanger peut siéger au sein d'un conseil de prud'hommes ! (Sourires.)

Plus particulièrement, ce projet de loi organique modifiant l'ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, qui institue le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire, nous est présenté comme le corollaire, mais à l'échelon des cours d'appel, de l'introduction de la mixité dans les juridictions commerciales de première instance.

Cette prétendue contrepartie n'est pas convaincante. A bien des égards, il s'agit d'une mesure hypocrite qui ne correspond à aucune aspiration particulière, à aucune attente particulière des juges consulaires.

Je rappelle, d'ailleurs, que le taux d'appel des décisions rendues par les tribunaux de commerce est relativement faible, puisqu'il est de 13,3 %, ce qui est inférieur au taux d'appel enregistré contre les décisions des magistrats professionnels des tribunaux de grande instance et, plus encore, contre les décisions des conseils de prud'hommes, dont le taux d'appel dépasse 55 %.

On retrouve de nouveau dans ce texte la même méfiance envers la juridiction consulaire, avec cette incompatibilité géographique, disposition tout à fait vexatoire, qui fait interdiction aux conseillers de siéger dans la cour d'appel dans le ressort de laquelle est situé le tribunal de commerce au sein duquel ils ont exercé les fonctions de juge consulaire.

Comme notre rapporteur, nous considérons que cette mesure est tout à fait excessive. A lire ce texte, on constate à chaque paragraphe cette même méfiance envers les juges consulaires, systématiquement suspectés d'être malhonnêtes, influençables et fort peu indépendants.

C'est là un bien mauvais départ, et une appréciation tout à fait injustifiée, madame le garde des sceaux. Il est tout à fait scandaleux de travailler ainsi !

Dans ces conditions, parce que ce texte est inscrit à notre ordre du jour à quelques heures de l'interruption de nos travaux et en fin de législature, nous ne pouvons que désapprouver la démarche du Gouvernement. Nous voterons donc la motion tendant à opposer la question préalable qui a été fort justement déposée sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Girod, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,

« Considérant que le projet de loi organique instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire n'a pour objet que de tirer les conséquences pour les cours d'appel de l'instauration de la mixité ;

« Considérant qu'il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce instaurant la mixité dans les tribunaux de commerce ;

« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à instituer le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire (n° 241, 2000-2001). »

Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Girod, le rapporteur de la motion.

M. Paul Girod, rapporteur. J'ai expliqué tout à l'heure en quoi ce texte est une illusion agitée devant les juges consulaires, en quoi le dispositif proposé équivaut à interdire, en pratique, toute candidature réelle d'un magistrat consulaire pour exercer les fonctions de conseiller de cour d'appel. Je n'y reviens donc pas.

En revanche, je souhaite formuler quelques remarques sur l'ambiance qui préside aux délibérations du Sénat en cet instant.

On nous explique - télégramme, campagne de presse, bouche à oreille - que notre but est de défendre des puissants contre des faibles et que nous n'avons aucun souci des 45 000 entreprises en difficulté que compte notre pays. Mais, précisément, pourquoi y a-t-il 45 000 entreprises en difficulté en France ? Et comment peut-on encore rester chef d'entreprise dans ce pays, avec la cascade de contraintes qui tombent tous les jours sur le dos des entrepreneurs,...

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Paul Girod, rapporteur. ... que ce soient la mise en oeuvre des 35 heures, les restrictions bancaires et tout ce qu'on peut imaginer de réglementations, de paperasses, d'obstacles à la création d'entreprise. Voilà autant de vrais problèmes !

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Bernard Fournier. Absolument !

M. Paul Girod, rapporteur. On peut également se poser la question de savoir si l'intrusion des réformes que l'on nous propose améliorerait en quoi que ce soit le sort des 45 000 entreprises en difficulté et de la masse des artisans qui sont concernés par l'activité des tribunaux de commerce.

On nous a proposé récemment, dans l'autre texte, une extension, certes, souhaitable du corps électoral des juges consulaires, mais conçue de telle manière que l'on aboutissait inévitablement à des affrontements corporatistes à l'intérieur du corps électoral des tribunaux de commerce, donc à la politisation ou à la « corporatisation » de ces tribunaux de commerce, qui est l'inverse de ce qu'exigerait une saine justice. Et Mme le garde des sceaux devrait savoir ce qu'est une saine justice !

Donc, de ce côté-là, nous n'avons pas de leçons à recevoir, d'autant que ce n'est pas l'intrusion du juge professionnel dans le système qui améliorera quoi que ce soit en la matière.

M. Paul Blanc. Tout à fait !

M. Paul Girod, rapporteur. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le bilan - difficile à obtenir de la Chancellerie, c'est le moins qu'on puisse dire - de l'activité des chambres commerciales des tribunaux de grande instance siégeant en substitution des tribunaux de commerce : le taux d'échec des redressements d'entreprises y est supérieur à celui des tribunaux de commerce.

En quoi l'intrusion de juges professionnels dans le système peut-elle améliorer quoi que ce soit ? J'aimerais que l'on en fasse la démonstration objective avant que l'on ne jette sur le Sénat des anathèmes parlementaires, diffusés par des voies médiatiques complaisantes, et que les insultes qui nous sont adressées par nos collègues rapporteurs de l'Assemblée nationale soient jugées comme il se doit, comme un manquement grave à la déontologie parlementaire.

Pour ces raisons, mais aussi pour les arguments de fond que j'ai développés précédemment, je souhaite que le Sénat adopte cette motion, constatant que cette réforme bâclée, présentée sous forme de slogans, va exactement à l'encontre du but affiché, en ce qu'elle ne fera qu'aggraver, si on l'applique en l'état, la situation de ceux au secours desquels on prétend se ruer. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre la motion.

M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur, un peu moins de passion ! Vous n'êtes pas d'accord avec le texte de l'Assemblée nationale ? C'est votre droit.

M. Jean-Jacques Hyest. Lui, il a reçu les télégrammes !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. le rapporteur était déjà passionné avant, j'ai eu l'occasion de le constater en commission.

Quand on n'est pas d'accord avec un texte, en particulier dans un système bicaméral, il y a un moyen de le manifester, et un moyen constructif, c'est de déposer des amendements pour modifier ce texte afin qu'on puisse en discuter réellement.

Vous dites que les tribunaux de commerce existent depuis des siècles. Certes, mais il faut savoir laisser les cendres pour avoir les braises.

Oui, il y a sûrement des tribunaux de commerce présidés par des commerçants docteurs en droit qui font du bon travail parce qu'ils possèdent ces qualités-là. Les autres sont bénévoles ? Très bien !

M. Paul Girod, rapporteur. Ils sont tous bénévoles !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils sont quelque peu cooptés ? Ils ont le droit de porter la robe ? Soit, ils sont très contents ainsi ! On voit aussi dans certains tribunaux, les magistrats consulaires cooptés s'en remettre aux greffiers du soin de rédiger les jugements, lorsque les affaires ne sont pas renvoyées de fois en fois, s'entend ! Mais soit !

Vous pouvez voir les choses comme vous voulez, monsieur le rapporteur on peut aussi avoir l'impression - c'est sans doute le cas de mes amis rapporteurs à l'Assemblée nationale - que vous ne voulez pas les voir comme elles peuvent être.

On veut donc introduire des magistrats professionnels ; les tribunaux de commerce acceptent, sous réserve que les magistrats professionnels ne président pas. Comment peut-on imaginer un instant qu'un magistrat professionnel assisté de juges non professionnels puisse ne pas présider ? C'est impossible !

Si ce texte ne vous plaît pas, monsieur le rapporteur, vous avez le droit de le dire, et je regrette vivement, quels que soient l'heure et le moment, que vous n'ayez pas déposé d'amendements. Nous en aurions sans doute fait autant et, si nous n'avions pas été dans l'état d'esprit qui est le nôtre aujourd'hui, si nous ne siégions pas sous la menace de ceux qui font grève pour imposer leur point de vue, nous pourrions discuter moins passionnément de l'ensemble du problème.

Monsieur le rapporteur, ne comptez pas sur nous pour adopter la motion que vous nous présentez !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Compte tenu de l'ambiance, je n'en dis pas plus, monsieur le président !

M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.

M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président. La parole est à M. Gélard. M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis en parfaite harmonie avec M. le rapporteur pour estimer que le texte qui nous est soumis aujourd'hui est bâclé, parce que nous n'avons pas examiné, au préalable, les problèmes en profondeur et parce que la principale réforme qui aurait dû être entreprise, à savoir la réforme de la carte des tribunaux de commerce, ne l'a pas été et ne nous est même pas proposée. En réalité, tous les abus que l'on a bien voulu dénoncer découlent de cette carte et n'ont pas d'autre cause.

Par conséquent, débattre d'un projet de loi visant à créer une nouvelle catégorie de magistrats des cours d'appel alors que nous n'avons pas étudié au fond le problème des tribunaux de commerce relève véritablement de l'aberration. Il convient donc d'agir dans la logique des propositions formulées par M. le rapporteur, avec lequel je suis tout à fait d'accord pour affirmer que les pressions inadmissibles auxquelles les rapporteurs du Sénat ont été soumis, dans cette affaire, par leurs homologues de l'Assemblée nationale doivent être dénoncées et sanctionnées. Je trouve inadmissible de travailler sous la contrainte et dans le désordre, comme nous le faisons à l'heure actuelle sur ce texte relatif aux tribunaux de commerce, lesquels ne méritent pas que l'on donne d'eux une image indigne.

A cet égard, je pourrais citer le cas d'un tribunal de commerce, situé dans mon département, qui est apprécié par la cour d'appel et dont la quasi-totalité des jugements sont confirmés par celle-ci. Aucun de ses magistrats n'a jamais été mis en cause. Veut-on jeter la suspicion sur son action sans avoir examiné au fond les véritables problèmes ? Ce n'est pas acceptable, et c'est la raison pour laquelle nous suivrons pleinement les conclusions de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je n'ai pas à juger des pressions que des parlementaires exercent sur d'autres parlementaires, mais d'autres formes de pressions existent, par exemple les grèves.

Quoi qu'il en soit, je ne peux pas vous laisser dire, monsieur Gélard, que les petits tribunaux de commerce seraient responsables des dysfonctionnements que l'on peut constater. Ce n'est pas vrai : on connaît de petits tribunaux qui accomplissent un excellent travail, tandis que certains grands tribunaux rencontrent des difficultés.

En revanche, puisque la réforme de la carte des tribunaux a été largement évoquée, je me permettrai de vous écrire et de vous rencontrer à ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs,...

M. Jean-Jacques Hyest. Allez-y ! Chiche !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. ... après que les travaux du Parlement auront été suspendus.

Quels sont les tribunaux de commerce qui doivent être supprimés ? Si telle est la question de fond à laquelle il serait impératif de répondre au préalable, je suis prête à établir avec vous la carte des tribunaux de commerce, mais alors faisons-le en toute transparence.

En effet, monsieur Girod, de nombreux parlementaires m'ont adressé des courriers, mais aucun d'entre eux ne m'a suggéré la fermeture du tribunal de commerce dont relève sa circonscription ! Tous me demandent au contraire de défendre leur tribunal contre un gouvernement à qui l'on prête l'horrible intention de modifier la carte judiciaire !

Par conséquent, je veux bien que l'on invoque la déontologie, la loyauté et l'éthique, mais nous devons alors, dans cette optique, dresser ensemble, département par département, la liste des tribunaux qui devront disparaître. Nous en avons déjà fermé un certain nombre...

M. Jean-Jacques Hyest. C'est vrai !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. ... - c'était la première fois que cela se produisait, et pourtant la gauche n'a pas toujours été au pouvoir ces trente dernières années - mais cela nous a valu des reproches de la part de parlementaires représentant toutes les sensibilités politiques, qui évoquent le terrible traumatisme qu'auraient entraîné les suppressions de tribunaux de commerce intervenues sous ce gouvernement.

Je suis donc d'accord pour revoir avec vous la carte des juridictions, mais rendons publiques vos propositions, puisqu'il est nécessaire, paraît-il, de fermer au moins quarante tribunaux de commerce, alors que je prévoyais pour ma part d'en supprimer seize, ce qui soulève déjà de vives récriminations !

M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Paul Girod, rapporteur. En ce qui concerne la carte des juridictions, madame le ministre, je comprends vos arguments, et je ne suis d'ailleurs pas certain que vous n'ayez pas reçu, un jour, une lettre signée de mon nom demandant à ce que le tribunal de commerce de Chauny fasse l'objet d'une attention particulière et d'un regroupement convenable. A cet égard, je vous signale que les greffes ont été rapprochés et que les situations peuvent donc évoluer.

Toutefois, ma principale remarque ne porte pas sur ce point.

L'incohérence de la démarche du Gouvernement tient au fait que, alors que le nombre des tribunaux compétents pour les dossiers importants avait été restreint, un décret a été pris, le 30 juillet 1999, par votre prédécesseur, visant à redonner compétence en cette matière à de nombreux tribunaux complémentaires.

Par conséquent, à l'époque même où l'on chantait pouilles à tous les tribunaux de commerce par le biais de commissions d'enquête et d'une inspection générale de l'administration centrale, le gouvernement auquel vous appartenez rendait aux petits tribunaux, qui, par définition, traitent moins d'affaires et sont plus sensibles aux pressions locales, la compétence pour les gros dossiers.

L'action du Gouvernement manque donc vraiment de cohérence ! Une fois de plus, nous délibérons sur un texte qui a été inspiré par des slogans, des haines et des rancunes, et non sur un projet constructif. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.

Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi organique.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

57314312157199113 En conséquence, le projet de loi organique est rejeté.

M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Paul Girod, rapporteur. Compte tenu de l'interruption prochaine, qui nous est imposée par l'Assemblée nationale, des travaux du Parlement, je crains de ne plus avoir d'autre occasion de prendre la parole devant vous, madame le garde des sceaux.

A cet instant, je souhaite donc vous exprimer mes sentiments personnels de déférence, madame le ministre, et remercier mes collaborateurs de la commission des lois pour l'excellence de leur travail, la justesse de leurs avis et la qualité de leur plume. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

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ADMINISTRATEURS

ET MANDATAIRES JUDICIAIRES

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 243, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostics d'entreprises. [Rapport n° 180 (2001-2002).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le traitement des difficultés des entreprises est depuis longtemps, en France, confié à des spécialistes.

Cette mission était traditionnellement dévolue à des syndics professionnels, dotés d'un statut réglementé dès 1955. Après quelques modifications intervenues en 1967, cette réglementation a été profondément remaniée par la loi du 25 janvier 1985, directement liée à la réforme concomitante du droit des procédures collectives.

Cette loi consacrait l'existence de deux professions aux missions distinctes : les administrateurs judiciaires, d'une part, les mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises, d'autre part.

Le Gouvernement a adopté, sur le plan réglementaire, les mesures urgentes qui s'imposaient, afin de garantir l'exécution des mandats de justice dans le respect scrupuleux des intérêts de chacun.

Ont ainsi été adoptées, aux termes du décret du 29 décembre 1998, diverses dispositions propres à assurer un contrôle renforcé de ces professionnels - ceux-ci étaient d'ailleurs d'accord - et une plus grande transparence de leurs activités.

Il s'agit donc maintenant d'adapter la loi de 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d'entreprise, pour permettre de mieux atteindre les objectifs qu'ils ont mission de concourir à réaliser et qui demeurent aujourd'hui encore essentiels : privilégier la sauvegarde des entreprises en difficulté, ainsi que le maintien de l'activité et de l'emploi.

Il convient dès lors que les entreprises en difficulté soient confiées à des professionnels dont le statut garantisse mieux encore l'indépendance, la compétence, la disponibilité et la probité.

A cette fin, le projet de loi que nous examinons ce soir s'articule autour de deux axes majeurs : une rénovation profonde du statut de ces professions, une plus grande transparence et un meilleur contrôle de leur activité.

L'exigence d'une indépendance renforcée passe d'abord, nécessairement, par le maintien du principe du mandat de justice : le choix par une juridiction des professionnels appelés à traiter les difficultés des entreprises est, en effet, apparu comme le seul moyen vraiment efficace de garantir leur neutralité, aussi bien à l'égard des dirigeants de l'entreprise défaillante que des créanciers.

De même, l'exigence de compétence explique le choix qui a été fait de maintenir l'existence de deux professions spécialisées, chargées l'une des intérêts de l'entreprise, l'autre de ceux de la collectivité des créanciers.

En revanche, la rénovation du statut de ces mandataires de justice imposait une plus grande ouverture à la concurrence, conçue comme stimulante, et ce au bénéfice des professionnels eux-mêmes.

Ainsi, la possibilité, pour les juridictions, de désigner, pour remplir les mêmes missions, des personnes non inscrites sur les listes de ces professions est plus largement envisagée.

Elle devrait surtout être l'occasion, pour les deux professions, de se renouveler et de se structurer afin de gagner en qualité et en efficacité.

Parallèlement, plusieurs dispositions du projet de loi concourent à la suppression de monopoles de fait dont bénéficiaient jusqu'à présent certains de ces mandataires de justice.

Cette ouverture à la concurrence - mais à la concurrence interne à la profession, cette fois - devrait éviter à l'avenir que se constituent dans les études, comme c'est parfois le cas, de véritables stocks de dossiers, ne permettant pas une gestion et un suivi raisonnables de ceux-ci, au détriment, bien évidemment, des entreprises comme de l'ensemble de leurs partenaires.

La nécessaire ouverture de la profession ne pourra cependant produire de réels effets que si la concurrence qu'on peut en attendre est équilibrée entre, d'une part, les professionnels réglementés et, d'autre part, les personnes qui seront choisies en dehors des listes préétablies.

C'est pourquoi plusieurs dispositions importantes du projet de loi concourent à soumettre ces derniers à des exigences de contrôle et de garanties symétriques de celles qui s'imposent aux professionnels inscrits sur les listes.

Le second objectif du projet de loi vise à un encadrement plus strict de l'exercice des professions d'administrateur et de mandataire.

C'est ainsi que le principe de l'accomplissement personnel du mandat judiciaire est expressément affirmé et que de nouvelles incomptabilités sont créées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Parallèlement, un renforcement du régime disciplinaire est apparu nécessaire.

Cet ensemble plus cohérent constitue le gage de prestations de qualité, accomplies dans des délais raisonnables et moyennant un coût acceptable.

Après avoir brièvement rappelé les grands axes de la réforme souhaitée par le Gouvernement, je souhaite m'arrêter plus particulièrement sur quelques-uns des sujets essentiels qui ont été abordés par votre commission des lois.

Le travail qu'elle a effectué est considérable puisque les amendements qui vous sont proposés ont sensiblement modifié le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale.

Je dois donc dès à présent rendre hommage à votre commission et à son rapporteur pour l'ampleur et la qualité du travail ainsi réalisé. Je sais à quel point ce travail fut lourd et exigeant, notamment sur une question aussi technique que la codification.

Cet exercice, nécessaire à la cohérence du texte et indispensable en termes d'ordonnancement juridique, c'est votre commission qui l'a entièrement assumé et je voudrais ici l'en remercier tout spécialement ; je m'associe aux remerciements qui ont été adressés à ses collaborateurs.

Mais là n'est pas le seul point de convergence entre nos préoccupations respectives : sur le fond, votre commission des lois a pris plusieurs initiatives tendant à améliorer le texte adopté par l'Assemblée nationale dans l'esprit du projet de loi initial.

J'évoquerai diverses dispositions qui caractérisent cette démarche.

S'agissant, par exemple, des conditions de moralité requises pour accéder aux deux professions, un amendement de votre commission subordonne la prise en compte des faits contraires à l'honneur ou à la probité à une condamnation pénale. Le texte, identique à celui du projet de loi initial, respecte tout à la fois les principes de présomption d'innocence et de proportionnalité.

Dans le même esprit, votre commission des lois, et le Gouvernement partage son analyse, ne permet pas aux commissions d'inscription de se transformer en une quasi-instance disciplinaire, à l'occasion du passage des professionnels au nouveau régime statutaire.

Dernier exemple : il vous est aujourd'hui proposé de faire une distinction très nette entre la nécessaire réforme du droit des procédures collectives et celle qui doit spécifiquement porter sur le statut des professionnels qui en ont la charge. Même si j'ai, par anticipation, exprimé mon accord, devant l'Assemblée nationale, avec certaines dispositions en matière de procédures collectives, il me paraît sage, et je rejoins sur ce point votre commission des lois, que la réforme du droit de la « faillite » fasse l'objet d'un examen global, dans un souci de cohérence.

Je soulignerai aussi que votre commission a retenu diverses dispositions destinées à améliorer le projet de loi, auxquelles je ne peux que souscrire.

Il en est ainsi de l'amendement visant à encadrer l'exercice par les professionnels d'activités accessoires. De même, comme vous le savez, l'Assemblée nationale a adopté un dispositif encadrant une future réforme, par voie réglementaire, du tarif des administrateurs et des mandataires.

Le Gouvernement s'était opposé à ces amendements qui empiétaient très largement sur la matière réglementaire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Votre commission des lois a examiné cette question avec sagesse et le texte qu'elle propose me paraît très équilibré : en effet, tout en supprimant les dispositions proprement réglementaires, elle a conservé, en l'améliorant, le dispositif de rétribution des procédures impécunieuses, et je ne puis qu'y souscrire. Le mécanisme de financement retenu permettra une juste rémunération du travail effectué.

Je précise que les dispositions réglementaires nécessaires à sa mise en oeuvre devront inclure plusieurs mesures destinées à répondre aux critiques qui peuvent aujourd'hui porter sur le tarif en vigueur. Selon cette logique d'équilibre, une réforme d'ensemble de ce tarif pourra être menée à bien.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je suis en revanche réservée ou opposée à d'autres amendements, sur des points souvent de grande portée.

L'un des axes principaux de la réforme, comme je vous l'ai exposé, réside dans la volonté de permettre aux juridictions de recourir à des mandataires de justice occasionnels.

L'Assemblée nationale a notablement amendé le projet de loi initial en ne soumettant cette ouverture à aucune restriction, et sans doute le texte qu'elle a adopté va-t-il trop loin : je partage sur ce point l'opinion de votre commission des lois.

J'approuve donc l'amendement qu'elle vous propose tendant à rétablir comme condition de désignation d'un professionnel hors liste le critère tiré de la nature de l'affaire.

En revanche, je ne peux qu'être défavorable au rétablissement du caractère exceptionnel du recours à des mandataires occasionnels, critère qui, s'ajoutant au premier, bride la faculté de désignation du juge plus encore qu'actuellement, du moins pour les administrateurs. Sur ce point, cet amendement créerait un vrai problème. Il obéit à une logique que je n'ai pas bien saisie. Tout à l'heure, le débat nous permettra il peut-être d'aller plus loin dans la compréhension réciproque, sinon d'aboutir à un accord.

Le critère lié à la nature de l'affaire me paraît suffisant tout en étant plus précis que celui qui avait été retenu par le législateur de 1985.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah ?

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Par ailleurs, et c'est peut-être un paradoxe, l'amendement qui vous est proposé permet de recourir à des personnes morales non inscrites pour exercer des mandats d'administrateur. Je n'y suis pas favorable. Les missions exercées par les administrateurs, et je pense spécialement à celle de représentation, sont caractérisées par un fort intuitu personae.

S'il est exact qu'un administrateur inscrit peut exercer dans le cadre d'une société d'exercice - la société civile professionnelle, la société d'exercice libéral - celles-ci sont soumises à une réglementation rigoureuse garantissant l'indépendance morale et économique du professionnel.

Tel n'est pas le cas des sociétés de droit commun, qui peuvent associer des professionnels d'horizons différents, sans exigences particulières de déontologie. C'est le sens de l'amendement que le Gouvernement a déposé.

Enfin, le texte du Gouvernement vise un objectif affirmé de renouvellement de la profession et considère comme inadmissibles les situations dans lesquelles, au plus grand préjudice des justiciables concernés, certaines procédures de liquidation ne sont clôturées qu'au terme de délais absolument insupportables.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Effectivement !

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Gardons à l'esprit que certaines procédures en cours obéissent encore au régime de la loi de 1967 !

C'est l'unique objectif visé par la condition de limite d'âge des professionnels, instaurée par le texte et par les règles régissant le transfert des dossiers en cas de cessation d'activité. Le Gouvernement y reste attaché, pour les raisons que je viens d'exposer brièvement.

En dépit de ces quelques divergences, je ne doute pas que le débat qui s'ouvre aboutira à une réforme raisonnable et équilibrée du statut des administrateurs et des liquidateurs judiciaires. Les professionnels eux-mêmes le souhaitent, tout en restant vigilants. Il faut mettre fin à un climat de suspicion et permettre la rénovation de la profession. Celle-ci s'y attache, et je voudrais lui en rendre hommage. Mais encore faut-il que le législateur accompagne ses efforts, ce qu'a fait votre commission des lois.

Enfin, je voudrais de nouveau remercier votre commission des lois et ses collaborateurs, car, même si quelques textes sont encore inscrits à l'ordre du jour avant que le Parlement suspende ses travaux, je n'aurai peut-être pas l'occasion de le faire ultérieurement. Je veux particulièrement remercier le rapporteur M. Jean-Jacques Hyest. En dépit de ce que l'on a cru entendre tout à l'heure sur des problèmes d'ambiance, le présent projet de loi a fait l'objet d'un travail approfondi et, de toute façon, il sortira enrichi de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Girod applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la manière dont nous sommes appelés à légiférer pourrait nous donner le tournis, tant elle est imprévisible. Depuis longtemps, je suis l'arme au pied pour examiner cette réforme. J'avais été désigné rapporteur voilà quelques mois, et nous avons attendu.

Comme l'a rappelé jeudi dernier notre collègue Paul Girod, c'est à la suite d'un rapport de 1998 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale que le Gouvernement a annoncé à l'automne suivant le dépôt d'un projet de loi portant réforme des procédures collectives et des tribunaux de commerce.

Un an et demi plus tard, plus de réforme des procédures collectives, mais trois projets de loi, dont deux visent à réformer les tribunaux de commerce, le dernier portant sur la réforme du statut des administrateurs et des mandataires judiciaires. Huit mois se sont alors écoulés avant l'inscription de ces textes à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, et en urgence bien entendu - nous y sommes habitués ! Nous sommes en mars 2001 et, malgré l'urgence, c'est seulement le 25 octobre que le Gouvernement annonce que les projets de loi pourraient être examinés par le Sénat avant la fin de la législature. Enfin, le 21 novembre, l'inscription de ces textes est programmée pour le début de l'année. Nous sommes aujourd'hui le 19 février, à deux jours de l'interruption de nos travaux !

Il me serait loisible, comme pour les autres textes débattus respectivement jeudi dernier et tout à l'heure, de proposer de voter une motion tendant à opposer la question préalable, mais pour une autre raison, madame le garde des sceaux. En effet, l'Assemblée nationale n'a aucunement tenu compte, dans sa frénésie législative, du fait que les lois n°s 85-98 et 85-99 du 25 janvier 1985, dont la dernière est relative au statut des administrateurs et mandataires judiciaires, ont été abrogées par l'ordonnance du 18 septembre 2000 codifiant la partie législative du code de commerce.

L'Assemblée nationale - avec le plus grand sérieux ? - a poursuivi l'examen de la réforme sur le fondement des lois abrogées depuis plus de six mois dans un souci « de clarté et de lisibilité ». Le Gouvernement avait tenté de déposer des amendements qui ont été balayés.

Comment une commission des lois peut-elle ignorer les textes codifiés et modifier des dispositions disparues de l'ordonnancement juridique, d'autant que la modification d'une disposition codifiée vaut ratification implicite, ce que nous ne saurions accepter sans abdiquer le pouvoir de contrôle du législateur sur les ordonnances ?

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Néanmoins, je vous proposerai de poursuivre nos travaux, pour faire mentir certains « petits messieurs », en réintégrant, comme il se doit, la réforme du statut des administrateurs et mandataires judiciaires dans le code de commerce au moyen d'une cinquantaine d'amendements. Ils auraient été plus nombreux si la commission des lois ne vous proposait pas également de supprimer toutes les dispositions touchant aux procédures collectives, estimant que la nécessaire réforme d'ensemble de ces textes ne saurait être improvisée sur quelques points, et j'ai compris, madame le garde des sceaux, que vous en étiez d'accord.

A ce sujet, je me permets de vous renvoyer à un rapport déposé, le 5 octobre dernier, devant l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, portant sur l'évolution des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises. On voit la difficulté de la tâche, et le texte qui est en concertation mérite d'être abordé au fond.

Ces observations préliminaires étant faites, pour la clarté du débat, il ne vous apparaîtra pas forcément inutile qu'avant de vous présenter le projet en lui-même et de faire le point sur le texte voté par l'Assemblée nationale et les propositions de la commission des lois je rappelle en quoi le statut des professions d'administrateur et de mandataire judiciaire est lié à l'évolution du droit des procédures collectives ; madame le garde des sceaux, vous avez initié ces explications tout à l'heure.

Elles sont nées en effet de la réforme de 1985, consacrant ces deux professions qui présentent de fortes spécificités. Je regrette presque que M. Badinter ne soit pas présent ce soir car je vais le citer à plusieurs reprises.

Pour comprendre les raisons de l'apparition de ces deux professions, il faut rappeler l'évolution des finalités fondant le droit des procédures collectives marquée par la grande réforme du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.

En effet, si le fondement du droit de la faillite fut d'abord et longtemps la punition du commerçant défaillant qui n'honorait pas ses engagements - c'était la sanction - la préoccupation de la protection des créanciers puis, plus récemment, de la survie des entreprises s'est imposée.

Chaque étape qui s'est ajoutée aux autres a conduit à une complexité juridique croissante du régime des procédures collectives.

Après la loi du 13 juillet 1967, qui fut la première à apprécier le sort de l'entreprise selon le critère économique et sa possibilité de redressement, « la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif » constituent le but assigné par la loi de 1985 aux procédures collectives.

Logiquement, l'éclatement de l'ancienne profession de syndic a donné naissance à trois professions distinctes, dont les deux principales sont celles d'administrateur et de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises. En effet, comme l'indiquait le garde des sceaux à l'époque, « il n'est plus possible que dans une personne unique se concentrent et l'intérêt des créanciers et l'intérêt de l'entreprise ».

D'où la création d'une profession d'administrateur judiciaire « chargé d'analyser les difficultés, de réunir les partenaires, de négocier et d'élaborer un plan d'entreprise et, s'il est nécessaire, de gérer provisoirement », et celle de mandataire judiciaire ayant la double mission de représenter les créanciers au cours de la procédure et, le cas échéant, de procéder à la liquidation des biens. Je rappelle que c'est la loi du 31 décembre 1990 qui a modifié la dénomination de cette profession en l'intitulant « mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises ».

Si les caractéristiques des missions des deux catégories de professionnels les opposent, elles présentent des spécificités communes, qui ont justifié une organisation professionnelle elle-même commune.

Les différences de statut de ces deux professions permettent, à titre exceptionnel - c'est la loi de 1985 - de désigner une personne non inscrite sur la liste nationale - liste dans le ressort de la cour d'appel pour les mandataires, et je crois qu'il faut modifier les choses dans ce domaine - des administrateurs, si cela paraît nécessaire, pour « donner prééminence aux besoins de l'entreprise ». Nous y reviendrons, car c'est, je crois, le point fondamental de la réforme.

Ces professions sont incompatibles avec toute autre profession - sauf celle d'avocat en ce qui concerne les administrateurs - et sont d'exercice libéral, même si elles ne sont pas à proprement parler des professions libérales, puisque, bien évidemment, elles ne possèdent pas de clientèle. Le mandat de justice est le trait caractéristique de ces professions en en faisant « des collaborateurs du service public de la justice, à qui est réclamée, comme pour le juge, l'impartialité ».

Des esprits prétendument modernes objectent que ces professions sont sans correspondance avec la situation des professionnels participant au traitement des difficultés des entreprises dans les autres pays européens.

Si nous tenons à la spécificité des finalités assignées par la législation française aux procédures collectives, nous pourrions rappeler, comme le faisait observer un éminent spécialiste, le président Bézard, que pratiquement toutes les législations européennes ont fondé exclusivement le droit de la faillite sur le remboursement des créanciers sans avoir aucun égard pour l'aspect sauvegarde de l'emploi.

L'existence des professions d'administrateur et de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises constitue donc une spécificité française indissociable de celle de nos procédures collectives. Devons-nous nous en plaindre ? Je ne le pense pas.

L'épais rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, dont le volume n'est pas le garant du sérieux, ne conclut à rien de mieux qu'à la suppression de la profession de mandataire liquidateur et au « redressement » de celle d'administrateur judiciaire.

En vrac, étaient dénoncées la collusion entre mandataires et juges consulaires, la critique du numerus clausus , la pratique de la sous-traitance, l'absence de contrôle et la carence des poursuites disciplinaires, en y ajoutant le caractère lucratif de ces professions - c'est bien le moins pour une profession, sauf à devenir un sacerdoce (M. Dreyfus-Schmidt s'exclame) - et le non-respect du tarif.

Un rapport plus sérieux, rédigé par l'inspection générale des finances et par l'inspection générale des services judiciaires à la demande du garde des sceaux, relevait l'absence du contrôle effectif sur les mandataires, le non-respect de la réglementation tarifaire et le recours excessif à des intervenants extérieurs pour des tâches liées au mandat de justice, avec pour conséquence un renchérissement des procédures.

On doit, bien entendu, dénoncer avec vigueur les dérives réelles constatées chez quelques professionnels, mais déplorer l'exploitation polémique de ces rapports pour tenter de mettre en cause l'existence même de ces professions, consubstantielles à notre conception des procédures collectives.

Pour illustrer mon propos, et à titre d'exemple, je citerai le problème des tarifs.

Un ancien président de la chambre commerciale de la Cour de cassation, commentant les travaux de la commission d'enquête, écrivait ainsi, en septembre 1998, en se référant à l'estimation établie par le rapport d'enquête selon laquelle la dérive financière des frais et honoraires des mandataires serait de 80 % : « Pour les frais et honoraires des mandataires, on constaterait une surfacturation de 80 % sur la base d'un échantillon de vingt dossiers du tribunal de Mulhouse. On mesurera la crédibilité de la conclusion lorsque l'on saura qu'il y a 500 procédures ouvertes chaque année à Mulhouse et 60 000 en France et qu'en outre des milliers de procédures sont encore ouvertes à Mulhouse et des centaines de milliers en France. L'échantillon est-il pour autant juste ? Il est impossible de le vérifier puisque l'on ne connaît pas le nom des dossiers visés. Dans la plupart des cas où des noms d'affaires sont évoqués, les constatations de la mission sont fausses... Parfois, la mission a sa propre interprétation du tarif contraire à celle... du ministre de la justice ». Voilà le sérieux de certains rapports !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tel qu'il est, le tarif est excessif !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vais y venir ! Mais on ne peut pas insérer de tels exemples pour illustrer la généralisation.

Le procès n'est pas nouveau, mais la caricature et la généralisation excessive ne peuvent que compromettre une réforme équilibrée.

Mieux vaut, au lieu de vilipender une profession, rechercher les causes des défaillances de quelques-uns pour remédier aux dérives constatées.

Tout d'abord, les mandataires exercent leurs fonctions dans un contexte ingrat, et, citant à nouveau le président Bézard, on peut rappeler que « l'intervention d'un mandataire de justice se traduit au mieux par un espoir déçu et au pire par une polarisation à son encontre de toutes les responsabilités et de toutes les critiques. Le chef d'entreprise dans la plupart des cas perd son outil de production, les salariés leur emploi ; quant aux créanciers, la multiplication des privilèges, » - on pourrait aussi aborder ce problème, mais dans le cadre général des procédures collectives - « la réduction et la disparition des actifs rendent quasiment impossible leur remboursement. Le mandataire est le deus ex machina responsable de tous les maux. Ces professions sont les seules dans une telle situation ».

Imputer aux mandataires la responsabilité de l'échec des procédures collectives est un non-sens, et c'est pourtant ce qu'affirment la commission d'enquête et le rapport de l'Assemblée nationale.

La prévention des difficultés des entreprises, mais aussi, comme je l'ai indiqué, le caractère tardif de la cessation de paiement, l'inadéquation du critère d'ouverture, sans parler des causes économiques - insuffisance des fonds propres, importance du crédit inter-entreprises - sont certainement plus importants et auraient justifié que la réforme des procédures collectives constitue une vraie priorité.

Enfin, les dérives n'ont pu qu'être encouragées par la faiblesse de l'autorité publique. On observe une absence trop fréquente du parquet dans les procédures collectives et un retard dans la révision du tarif applicable aux mandataires, même si vous nous avez donné des assurances sur ce dernier point, madame le garde des sceaux. En effet, la révision des tarifs, qui est de nature réglementaire et qui est annoncée chaque année, n'a toujours pas été effectuée.

Le décor étant planté, venons-en à la pièce.

Acte I : le Gouvernement propose une ouverture contrôlée de la profession, en généralisant la faculté donnée au tribunal de désigner comme mandataire une personne non inscrite sur la liste, alors que cette disposition n'existait que pour les administrateurs judiciaires, et ce à titre exceptionnel.

Cependant, des critères et des garanties sont exigés, puisque le mandataire comme l'administrateur hors liste doivent justifier d'une expérience et d'une qualité particulière au regard de l'affaire : le tribunal doit motiver sa décision après avis du parquet ; il ne peut s'agir que d'une personne physique ; la personne doit remplir les conditions de moralité exigées des mandataires inscrits, être indépendante - j'insiste sur ce point - et se conformer aux règles déontologiques et techniques exigées qui s'imposent aux professionnels inscrits, en matière d'assurances, de dépôt des fonds à la Caisse des dépôts et consignations, notamment.

Le respect du mandat de justice, même si les modalités de désignation sont un peu imprécises, est préservé. Nous ne pouvons qu'y adhérer.

Acte II : contenu en germe dans l'exposé des motifs du projet de loi, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale vise à une ouverture banalisée conduisant de facto à la disparition des professions réglementées.

L'Assemblée nationale a réduit le critère de choix d'une personne non inscrite pour exercer les fonctions de mandataire à la simple référence à « une expérience ou à une qualification particulière », en supprimant la référence à la mise en relation de cette expérience ou de cette qualification avec « la nature de l'affaire » en cause. Ce faisant, elle banalise le recours à une personne extérieure ; dans ces conditions, est-il encore besoin de motiver la décision ?

De surcroît, des personnes morales peuvent être désignées pour exercer les fonctions d'administrateur judiciaire, ce qui ouvre la porte aux grands cabinets pluridisciplinaires, avec tous les risques de conflits d'intérêt. Je n'ai pas l'habitude de citer des noms, mais, dans cette période, après ce qui s'est passé sur le plan international, une telle disposition me semble particulièrement mal-venue. (M. Girod applaudit.)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certains, après avoir dénoncé la collusion entre les juges consulaires et les mandataires, ouvrent d'une manière inconsidérée un certain nombre de cabinets qui ne présenteraient pas les mêmes garanties.

Parallèlement, pour faire bonne mesure, l'Assemblée nationale s'est ingéniée à corseter la profession, en vue d'une lente asphyxie à laquelle, bien entendu, échappent les personnes choisies hors liste.

Le projet de loi initial renforce - c'est d'ailleurs très souhaitable le cadre légal d'exercice des professions de mandataires, dans la ligne du décret du 27 décembre 1998 ; les mesures visent le renforcement de la concurrence interne et l'encadrement de l'accès aux fonctions et de l'exercice des fonctions. Elles visent également le renforcement des incompatibilités, pour prévenir tout conflit d'intérêts, et des règles de surveillance et de discipline.

L'Assemblée nationale enserre les mandataires dans un véritable carcan allant de la fixation d'une limite d'âge à un élargissement à tout intéressé de la saisine de la commission nationale aux fins de retrait d'une liste d'un professionnel, comme en matière disciplinaire.

Je rappelle, en outre, qu'il ne sera sans doute pas extrêmement profitable d'ouvrir à tout le monde la possibilité de contester à tout moment.

Je ne détaillerai pas ici les innombrables dispositions, vexations excessives, auxquelles les professionnels inscrits seraient désormais assujettis, dont l'étendue n'est toujours pas bien définie en dépit des sanctions disciplinaires encourues. Par rapport aux autres professions judiciaires et juridiques réglementées - il faut toujours faire des comparaisons ! - ces mandataires seraient dans une situation exceptionnelle ou même « extraordinaire ».

En revanche, la moindre rigueur du régime applicable aux personnes désignées hors liste nationale pour exercer un mandat d'administrateur ou de mandataire crée une situation de concurrence déloyale au profit de ces dernières. Veut-on vider les professions de leurs éléments les plus dynamiques et, en fait, tuer les professions réglementées, comme certains semblent s'y préparer ? Je ne savais pas - mais on en apprend tous les jours ! - que l'ultralibéralisme pouvait coexister avec un ultraréglementarisme ; mais j'espère que, derrière une intransigeance vertueuse, ne gisent pas quelques enjeux économiques non négligeables et peut-être inavoués. Les auteurs de ces propositions hasardeuses en sont-ils conscients ? Souhaitons que non, et ils seront absous au bénéfice du doute. (Sourires.)

Mais je n'accepte pas, dans ces conditions, les leçons de moralité que certains voudraient donner. Moi qui suis parlementaire depuis quinze ans, c'est la première fois - j'y insiste - que je vois des députés se comporter ainsi à l'égard du Sénat. Et si j'en suis aussi ébahi, c'est que je pensais qu'il y avait sinon un minimum d'éducation -, mais c'est là une chose que l'on ne peut pas demander ! -, du moins un minimum de bienséance.

M. Paul Blanc. Un minimum de respect !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous comprendrez aisément, mes chers collègues, que la commission des lois ne vous proposera pas d'entériner une dérive dangereuse de la profession d'administrateur et de mandataire, qui met en péril la mise en oeuvre des procédures collectives.

Nous vous proposons, au contraire, de confirmer le maintien des professions réglementées, à condition qu'elles soient plus rigoureusement encadrées ; je sais que c'est le souhait des professionnels.

C'est pourquoi toutes les dispositions visant à une ouverture externe incontrôlée ne peuvent être acceptées, et nous vous en proposerons la suppression.

Le dispositif prévu par l'Assemblée nationale créant une véritable rupture d'égalité entre les professionnels inscrits et les personnes choisies hors liste, dont le caractère constitutionnel est discutable, une ouverture limitée au choix du juge, dans la ligne de la loi de 1985, paraît compatible avec le principe d'égalité.

Bien entendu, les critères et les garanties pour les personnes non inscrites doivent être confirmés, même si l'appel à des personnalités extérieures doit demeurer l'exception.

De même, nous vous proposerons d'approuver le renforcement du cadre légal applicable aux professions de mandataire et d'administrateur, tout en éliminant les mesures excessives et vexatoires, telles que l'exclusion des avocats, la limite d'âge, etc. - la liste est longue et je vous renvoie à cet égard à mon rapport et à l'examen des articles.

Enfin, comme je l'ai exposé précédemment, nous ne pouvons que rejeter une réforme ponctuelle de la législation sur les procédures collectives, compte tenu de la réforme d'ensemble attendue et, hélas ! différée.

Telles sont les observations que suscite ce projet de loi et les modifications que la commission des lois vous proposera, en regrettant vivement que des sujets si sérieux soient parfois traités avec tant de légèreté.

Outre le discrédit que les approximations polémiques risquent de susciter dans l'opinion publique contre l'immense majorité des professionnels compétents et intègres, rien n'est plus détestable que la recherche permanente de la médiatisation à tout prix, le goût du scandale d'accusateurs sans vergogne !

Cela n'a jamais fait une bonne législation, et c'est sans doute le rôle et l'honneur du Sénat de remettre les problèmes à leur juste place et d'y apporter des solutions équilibrées et constructives.

Nous célébrerons demain le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo qui, lui aussi, était attaché au bicamérisme. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bret. M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après le rejet des deux premiers textes composant la réforme de la justice commerciale, nous voici devant le troisième volet.

Le projet de loi relatif aux professions d'administrateur et de mandataire judiciaires devait, en effet, constituer le complément logique de cette réforme.

Mais où est donc passée la logique dans la mesure où la réforme a été mise en pièces par le vote d'une question préalable sur les deux premiers textes ?

Je le redis avec force : il y a, mes chers collègues de la majorité, plus que de l'incohérence à vouloir légiférer sur une partie seulement du fameux « triptyque », remettant aux calendes grecques la mise en place de la mixité dans les tribunaux de commerce. Vous nous privez à la fois du débat de fond et de l'exercice de notre droit d'amendement.

A qui ferez-vous croire, par ailleurs, que les professions de mandataire judiciaire sont complètement déconnectées des juridictions commerciales, lesquelles sont, par ailleurs, chargées de désigner les premiers, et ce dans le cadre de la loi de 1985 ?

Pourquoi n'avez-vous pas été jusqu'au bout de votre manoeuvre en défendant également une motion sur ce texte ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce qu'il n'y avait pas de raison de le faire !

M. Robert Bret. Peut-être avez-vous pressenti que les professionnels concernés étaient ouverts au dialogue, qu'ils étaient prêts à accepter de moderniser leurs activités dans le souci d'offrir aux juridictions et aux justiciables plus de garanties et d'efficacité ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Robert Bret. Je pense, effectivement, que les mandataires de justice sont moins préoccupés par la réglementation - même accrue - de leur profession que par l'ouverture de celle-ci à une concurrence débridée, comme l'a conçue singulièrement l'Assemblée nationale. Ce qu'ils souhaitent, avant tout, c'est de pouvoir continuer, demain, à exercer leurs missions dans le cadre d'une profession réglementée.

A cet égard, j'estime que le projet de loi initial respectait un « équilibre » acceptable entre une ouverture à la concurrence contrôlée et un cadre légal d'exercice des professions de mandataires renforcé.

Au demeurant - et c'est sans doute le seul point sur lequel nous pouvons être d'accord avec vous, chers collègues de la majorité sénatoriale - je considère que le texte, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, renforce de manière excessive la réglementation de ces professions judiciaires ainsi que l'ouverture à la concurrence.

Mais, même si nous arrivons à ce même constat, il est évident que les motivations qui nous ont guidés en la matière divergent totalement.

Nous considérons pour notre part que, derrière ce texte, se joue le sort de nombreuses entreprises, de leurs salariés et de leurs familles.

Permettez-moi une digression : je m'étonne de voir la droite se méfier de l'ouverture de la profession de mandataire de justice au secteur libre, elle qui défend la liberté d'entreprendre et l'avènement d'un libéralisme total libéré de toute contrainte publique.

Chers collègues, s'il est incontestable que les mandataires de justice ont mauvaise réputation, celle-ci s'explique - pour partie seulement - par la nature même de leur mission, les différents rapports dont ils ont fait l'objet ayant fait le reste.

Ces professionnels sont, en effet, trop souvent porteurs de mauvaises nouvelles. Ils arrivent à un moment de la procédure où il n'y a, hélas, plus beaucoup d'espoir.

Mais cette situation n'est-elle pas davantage le fait de l'esprit même de la loi du 25 janvier 1985 fixant le régime juridique des procédures collectives, qui aurait dû être réformée, comme d'ailleurs le Gouvernement s'y était engagé ?

Dans ces conditions, la nécessaire réforme proposée risque fort de demeurer incomplète, voire de n'être qu'un « cautère sur une jambe de bois », d'autant que lesdits mandataires exercent leurs missions dans le cadre juridique de la loi de 1985 et qu'ils ne sont, en la matière, que la partie visible de l'iceberg, la partie cachée, la plus importante, représentant le régime des procédures collectives.

Cette loi de 1985, revisitée en 1994, sur l'initiative de la droite sénatoriale, qui plus est sous un gouvernement de droite, rime davantage - vous en conviendrez - avec liquidation, cessation, licenciement plutôt qu'avec redressement, plan de continuation, sauvegarde des entreprises et des emplois.

Les plans de licenciements, qui fluctuent au gré des courbes boursières, sont, hélas ! suffisamment nombreux pour nous le signifier !

Par ailleurs, la loi de 1985 n'est pas complètement étrangère aux abus mis en relief dans les rapports respectifs de l'Assemblée nationale et des inspections menées par la Chancellerie et Bercy ne les contient-elle pas en germe ?

Cela dit, s'il faut, bien entendu, lutter contre les dérives constatées, l'ouverture à la concurrence externe est-elle pour autant la solution alors que la mise en place d'un meilleur contrôle, liée à un renforcement des moyens pour l'exercer efficacement, aurait sans doute suffi ?

N'est-il pas contradictoire de corseter les professions d'administrateur et de mandataire judiciaires, d'un côté, et, de l'autre, d'ouvrir grand les portes de la concurrence à des personnes extérieures qui échapperaient à toute réglementation ?

Je vois là le risque d'une concurrence sauvage et déloyale, teintée d'un ultralibéralisme patent, entre les inscrits et les non-inscrits, qui n'ont pas du tout les mêmes obligations.

En effet, ne s'appliquent aux non-inscrits ni les conditions de sélection - examen d'accès au stage, stage professionnel et examen d'aptitude, obligation de formation continue - ni la limite d'âge, ni le régime des incompatibilités, ni la déclaration d'intérêts, et j'en passe.

Quel intérêt auront, dès lors, les mandataires de justice à rester dans le cadre d'une profession réglementée ?

Qui peut nous assurer que les mandataires réglementés ne choisiront pas, demain, de passer dans le secteur dit « libre », beaucoup moins contraignant ?

Serons-nous pour autant satisfaits ? Est-ce vraiment l'objectif recherché par la réforme ?

Surtout, la transparence et la lutte contre les excès visées par le texte seront-elles réalisables, demain, en dehors de tout encadrement ?

Interrogeons-nous sur les conséquences des mesures figurant dans ce texte sur la pérennité des professions réglementées et surtout sur la prévention des difficultés des entreprises et la sauvegarde des emplois !

Sont-elles compatibles avec l'intérêt général, celui des entreprises, de leurs salariés, bref des justiciables ?

Si cette profession, qui constitue une spécificité française, devait disparaître, ce serait au profit exclusif des grands cabinets d'audit, contrôlés par des multinationales du chiffre et du droit, aux motivations plus qu'incertaines en termes de prévention des difficultés des entreprises et de sauvegarde des emplois. Telle est la réalité.

Je conclurai mon propos en insistant sur les grands absents de cette réforme, qui pourtant ne sont pas les moins nombreux à être concernés : je veux parler des salariés.

Le volet sur la place et le rôle de ces derniers tout au long des procédures collectives fait, en effet, cruellement défaut dans cette réforme.

Or, si l'on veut moderniser la profession de mandataire judiciaire, l'ouvrir sur des personnalités externes et donc autoriser sur elle un regard extérieur, pourquoi ne pas envisager une implication accrue des salariés, qui sont, en cas de procédure collective, les premiers pénalisés dans leur emploi et dans leur pouvoir d'achat ?

Il peuvent être d'un apport incontestable, d'autant qu'on ne peut pas les taxer d'aller à l'encontre de l'intérêt général.

Ainsi, pourquoi ne pas profiter de la possibilité accordée aux tribunaux de confier des mandats d'administrateur ou de mandataires judiciaires à des personnes extérieures en fonction de leur qualification pour permettre à des salariés ou à d'anciens salariés d'exercer ces fonctions ?

Enfin, pourquoi n'y a-t-il aucun représentant des salariés au sein de la commission nationale chargée, entre autres missions, de statuer sur les candidatures à l'inscription sur la liste des mandataires de justice ?

M. le président. La parole est à Mme André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, jeudi dernier, à cette même place, j'exprimais le regret que les trois projets de loi n'aient pas fait l'objet d'une discussion commune, car ils représentent les trois volets d'une même réforme de la justice commerciale.

La majorité sénatoriale n'a pas respecté leur logique d'ensemble en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable sur les projets de loi relatifs aux tribunaux de commerce et aux conseillers de cour d'appel recrutés à titre temporaire. Passons !

Je le dis à nouveau, nous sommes satisfaits que la commission des lois ait accepté, sous l'impulsion de son rapporteur, notre collègue Jean-Jacques Hyest, d'examiner le dernier volet de la réforme de la justice commerciale relatif au statut des administrateurs et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.

Je ne reviendrai pas sur les faits qui ont été à l'origine de la création d'une commission d'enquête parlementaire à l'Assemblée nationale ainsi qu'à celle d'une enquête menée conjointement par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des services judiciaires.

C'est bien à la suite des conclusions convergentes de ces enquêtes qu'il est apparu nécessaire de corriger les effets pervers de certaines pratiques et les imperfections de la loi de 1985. Mais il n'y a pas eu que les rapports d'enquêtes parlementaire et administrative : je rappelle que ces projets de lois s'inspirent largement des travaux de la conférence des tribunaux de commerce d'octobre 1997 sur la modernisation des tribunaux de commerce.

Si la nécessité d'assurer une justice impartiale est un objectif essentiel, une seconde considération mérite d'être prise en compte : l'intérêt de l'entreprise et de ses salariés.

Il est temps d'adapter notre outil judiciaire à l'évolution économique mondiale et de favoriser, autant que faire se peut, la sauvegarde de l'entreprise en difficulté par le maintien de l'activité et de l'emploi, dès lors que la viabilité est avérée.

La justice consulaire traite annuellement de 150 milliards de francs de créances. Toute la chaîne économique est concernée : en premier lieu les salariés, mais aussi les sous-traitants, les actionnaires, les épargnants et, finalement, la collectivité publique.

Au demeurant, personne ne cherche à jeter l'opprobre sur tous les professionnels des procédures collectives. Ces derniers détiennent des compétences incontestables. Si la responsabilité personnelle de tel mandataire, tel liquidateur ou tel président est en cause, il revient à la justice d'intervenir.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

Mme Michèle André. C'est par un meilleur encadrement de la profession et la clarification de certaines pratiques que nous parviendrons à ramener la sérénité et la crédibilité, dans l'intérêt de la profession tout entière. Il est nécessaire d'y créer les conditions d'un renouveau en mettant un terme à des situations de monopole qui se sont révélées nocives. Personnellement, je ne vois pas de contradiction dans cette démarche, contrairement à ce qu'a pu conclure M. Hyest.

Ce projet de loi ne cherche pas à banaliser le recours à des personnes extérieures qui offriraient de moindres garanties ! Loin d'entretenir la suspicion, il vise seulement la disparition des situations de monopole de fait, dont profitent les mandataires de justice, en permettant l'ouverture de ces professions à la concurrence parce qu'une telle exclusivité professionnelle a engendré des dérives sources d'abus manifestes.

Cette ouverture, contrairement à ce qui est dit, implique des contreparties indispensables, car, sans elles, nous pourrions craindre, comme vous, la disparition des professsions réglementées. Tel n'est pas notre souhait ; en tout cas, ce n'est pas l'objectif visé par le projet de loi.

Pour pouvoir être désignées, les personnes non inscrites se verront imposer de nombreuses conditions et ne pourront être choisies que si certaines garanties sont respectées. Il serait en effet paradoxal de vouloir mettre un terme aux dérives constatées en contrôlant mieux les professions réglementées tout en se montrant moins scrupuleux à l'égard des personnes extérieures.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

Mme Michèle André. Il est nécessaire que les professionnels prennent conscience de cet aspect de la question qui établit un équilibre. En aucun cas, l'existence des deux professions d'administrateur et de mandataire judiciaires en vue d'assurer un traitement efficace des entreprises en difficultés n'est remise en cause.

Ainsi, un ensemble de mesures adaptées - compétence nationale de ces professions, création d'un examen d'accès au stage, ouverture de la profession aux membres de l'Union européenne - permettront non seulement d'améliorer les qualités et les compétences de l'ensemble de ce secteur d'activité mais aussi de favoriser le renouvellement et la restructuration de ces deux activités professionnelles.

La rénovation de la profession ne pourra s'opérer pleinement si, parallèlement, un renforcement du contrôle n'est pas assuré.

Nous n'émettons aucun doute sur la réaction positive des administrateurs et des mandataires judiciaires. Lorsque les dispositions du décret du 29 décembre 1998 ont été édictées, la profession, dans son ensemble, a montré qu'elle pouvait se ressaisir elle-même. Mais il ressort des enquêtes de l'Assemblée nationale et des deux inspections générales que le dispositif réglementaire n'est pas satisfaisant.

Il faut nécessairement aller plus loin : le renforcement des incompatibilités, tout comme l'interdiction faite de déléguer à des tiers les missions qui incombent aux professionnels, participent de cette nécessité. Il en va de même de l'instauration de nouvelles mesures disciplinaires comme l'extension des autorités de saisine et un réaménagement des sanctions.

La réforme de la justice commerciale est donc hautement nécessaire.

Il est regrettable qu'en votant la question préalable sur le texte relatif aux tribunaux de commerce et en proposant de modifier l'essentiel du projet de loi relatif aux mandataires judiciaires la majorité sénatoriale donne l'impression de prêter sa voix à la défense d'un certain corporatisme.

La profession des administrateurs et mandataires a besoin d'un renouveau : l'ouverture de la profession, l'institution de contrôles efficaces, l'établissement de conditions plus strictes de recrutement sont autant de mesures prévues dans le projet de loi afin de renforcer la qualité des décisions prises et de donner aux justiciables le sentiment que les actes accomplis dans le cadre des procédures collectives sont impartiaux et ne visent que l'intérêt de l'entreprise.

Ne nous voilons pas la face, les effets positifs de cette réforme ne se feront sentir que si l'Etat remplit son engagement en matière de refonte de la carte judiciaire et de recrutement de magistrats et s'il procède à la révision des textes relatifs aux procédures collectives. Cette réforme devra être poursuivie et menée à son terme.

Le groupe socialiste, au nom duquel j'interviens, prend d'ores et déjà ses responsabilités ; il soutiendra l'action du Gouvernement en ce sens. (Applaudissements sur les travées socialistes ; ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il a été fait allusion un certain nombre de fois aux positions que j'ai été amené, au nom de la commission des lois, à recommander au Sénat de prendre sur les deux autres textes qui composent la réforme de la justice commerciale. Mon intervention n'en sera que plus brève.

Il est vrai que l'attitude de la commission des lois est, sur le présent texte, différente de ce qu'elle a été lorsqu'il s'est agi de bouleverser le travail de magistrats volontaires et bénévoles, et il n'est pas étonnant que notre collègue Jean-Jacques Hyest ait, lui, proposé à la commission des lois de travailler en profondeur sur ce dispositif tendant à réorganiser les professions d'administrateur et de mandataire judiciaires.

Je note au passage que ce projet de loi aurait pu entrer rapidement en application si le Gouvernement n'avait pas fait en sorte qu'aucun des trois textes ne puisse être, de toute façon, adopté définitivement. Nous allons donc nous trouver après-demain, concernant ces professions, devant un vide abyssal. On conviendra que ces gesticulations ne procèdent pas d'un législatif sérieux.

Quoi qu'il en soit, le texte, tel qu'il nous parvient de l'Assemblée nationale, comporte certaines dispositions auxquelles je ne puis, pour ma part, eu égard à la modeste expérience qui est la mienne s'agissant des tribunaux de commerce et de la gestion des entreprises en difficulté, qu'apporter mon appui et mon concours.

Il est vrai que, ici et là, l'attitude de certains mandataires de justice vis-à-vis des justiciables a pu soulever quelques problèmes. Cette attitude consitait tantôt en un excès de précipitation dû en partie à un tarif - M. Dreyfus-Schmidt y a fait allusion - qui ne leur permettait pas de se faire rémunérer convenablement sur des dossiers impécunieux, tantôt en un « entretien » artificiel de dossiers qui étaient, au contraire, susceptibles de leur procurer des rentrées.

De rares dérives individuelles ont donc été constatées, qui font ressortir une surveillance insuffisante de la part des parquets. J'ai déjà été amené à le souligner : peut-être la justice commerciale à la française serait-elle plus évidemment efficace si les parquets étaient partout suffisamment étoffés, suffisamment motivés, suffisamment présents aux audiences, suffisamment assidus dans la surveillance disciplinaire des professions réglementées qui font vivre les tribunaux de commerce. Sans doute y aurait-il là une première série de mesures à prendre pour faire en sorte que cet appui et ce contrôle soient à la fois permanents et efficaces. Nous verrons bien ce qui se passera dans les mois qui viennent !

Si le texte voté par l'Assemblée nationale contient d'utiles apports, dus bien souvent, je le reconnais, à l'initiative du Gouvernement, il renferme aussi quelques dispositions qui me paraissent avoir été très justement « clouées au pilori » par le rapporteur.

Je ne suis qu'un homme, après tout, et, quand je reçois un document, j'ai l'habitude de le lire. Or il me semble bien qu'un amendement de l'Assemblée nationale risque fort d'ouvrir la porte à ce que l'on appelle les Big five , c'est-à-dire les grands cabinets d'audit américains.

L'affaire Enron vient de nous rappeler à quel point la confusion des genres est préjudiciable et combien l'exception française que constitue le commissaire aux comptes a de vertus par rapport à un conseiller d'entreprise. Si nous avons réussi à éviter, en France, ce genre de dénouement, c'est peut-être dû aussi à cette autre exception française que vous supportez mal, madame le ministre : les tribunaux du commerce.

Dans le fameux télégramme que j'ai reçu, je lis cette phrase extraordinaire, que je serais tenté d'appliquer à l'amendement de l'Assemblée nationale auquel je viens de faire allusion : « Vous avez choisi votre camp, celui de ceux qui veulent contrôler et s'approprier les tribunaux de commerce, davantage préoccupés de faire des affaires plutôt que d'y faire prévaloir l'intérêt général. »

Je crains que, à la lumière de cet amendement, cette phrase ne se retourne contre ses auteurs.

Madame le garde des sceaux, je crois donc que notre rapporteur fait bien de mettre quelques bornes aux dérives intellectuelles de certains législateurs qui ne siègent pas ici. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

M. le président Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discusion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.