SEANCE DU 4 JUILLET 2002


POLITIQUE GÉNÉRALE

Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une demande d'approbation d'une déclaration de politique générale du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur cette demande, en application de l'article 49, alinéa 4, de la Constitution.
C'est aujourd'hui la première fois depuis 1996 que le Sénat est appelé à se prononcer sur une déclaration de politique générale du Gouvernement.
C'est pour notre assemblée un moment d'une importance particulière, un instant solennel, puisque cette procédure a été mise en oeuvre douze fois seulement depuis le début de la Ve République.
Aussi le Sénat est-il extrêmement sensible, monsieur le Premier ministre, à la marque méritée d'attention, d'estime et de considération que lui témoigne votre gouvernement.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Enfin !
M. le président. Je salue au nom du Sénat la présence au banc du Gouvernement de M. le Premier ministre et de nombreux ministres et secrétaires d'Etat qui sont venus honorer notre assemblée de leur présence.
Je leur souhaite à toutes et à tous la plus cordiale bienvenue, mais chacun comprendra que j'ai une pensée particulière pour nos collègues sénateurs qui ont fait leur entrée au Gouvernement.
Je le rappelais jeudi dernier : pour la deuxième fois sous la Ve République, après Michel Debré, un sénateur accède à la plus haute fonction gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Avec les quatre sénateurs nommés ministres, vous conduisez, monsieur le Premier ministre, un « quintet » sénatorial qui a forgé son expérience, qui a puisé ses idées dans la gestion locale, au plus près des préoccupations quotidiennes des Françaises et des Français.
Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, assemblée de proximité par essence, ne peut que s'en réjouir.
Les responsabilités locales que vous avec exercées au niveau communal, départemental ou régional ont fait de vous les acteurs privilégiés de la démocratie locale, laquelle doit nous servir aujourd'hui d'exemple, comme elle a su inspirer par le passé, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, les travaux du Sénat.
Au cours des cinq années précédentes, le Sénat a beaucoup travaillé et beaucoup réfléchi. Comme je l'ai maintes fois répété à la place qui est la mienne, notre assemblée a constitué une force de proposition et d'initiative, au point de jouer un rôle de laboratoire d'idées et d'incubateur de réformes.
Même durant l'interruption des séances publiques de ces derniers mois, le Sénat a poursuivi ses travaux de réflexion sur de multiples sujets d'actualité à travers une intense activité de ses commissions, délégations ou missions d'information.
La continuité sénatoriale a pu trouver ainsi sa pleine expression.
Je forme le voeu que le Gouvernement puisse utilement s'inspirer des analyses et propositions issues des travaux du Sénat.
Je pense, par exemple, à l'excellent rapport de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, qui vient juste d'être publié, ainsi qu'à celui de la mission d'information sur les métiers de la justice.
J'ai aussi à l'esprit la proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, que j'avais déposée avec vous-même, monsieur le Premier ministre, avec vous, monsieur le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, et avec nos collègues MM. Jean-Pierre Fourcade et Jean Puech.
Cette proposition de loi, adoptée en première lecture le 26 octobre 2000, pourra servir de base de réflexion et donner le point de départ d'une mutation très attendue.
Comme je l'ai dit souvent, l'« acte II » de la décentralisation, dont cette proposition de loi est l'un des éléments, correspond à la préoccupation constante, à l'aspiration profonde de nos concitoyens, qui souhaitent plus de liberté, plus d'écoute et plus de proximité ; les récents événements politiques l'ont mis en évidence.
Cette réforme nécessitera de faire évoluer en profondeur les institutions de la France ; n'oublions pas que la décentralisation constitue la pierre angulaire de la nécessaire réforme de l'Etat.
Traditionnellement attaché à l'amélioration de la qualité des textes législatifs et à l'approfondissement de ses missions de contrôle, le Sénat aura à coeur de peser de tout son poids dans le cadre d'un bicamérisme harmonieux. Il jouera, par ses réflexions et suggestions, un rôle constructif dans la mise en oeuvre de la nouvelle politique qui va nous être présentée dans un instant.
Je sais, monsieur le Premier ministre, que nous pourrons compter sur votre écoute et votre volonté de travail en commun.
La demande d'approbation d'une déclaration de politique générale que vous nous soumettez aujourd'hui me paraît être la meilleure preuve, la plus belle illustration de votre souhait d'un dialogue institutionnel apaisé et fructueux entre le Sénat et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez l'émotion qui est la mienne au moment de m'exprimer à nouveau à cette tribune, dans mes nouvelles fonctions, compte tenu du profond respect que j'éprouve pour la Haute Assemblée et de la grande considération qu'elle m'inspire pour le travail qui s'y accomplit.
Je ressens le moment présent comme un moment fort de mon action politique car je sais pouvoir compter sur la Haute Assemblée comme partenaire de la nouvelle dynamique que nous voulons insuffler dans notre pays.
Merci de votre accueil et merci de l'accueil que vous avez réservé, hier, au discours de politique générale qu'a prononcé devant vous M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Merci, monsieur le président - cher président - de vos propos et de la « feuille de route » que vous avez déjà donnée à la Haute Assemblée. Je reconnais dans cette démarche votre rigueur, mais aussi une certaine malice à me rappeler les textes que j'ai signés. (Sourires.) Ces textes, nous les avons travaillés ensemble ; ils m'engagent donc en effet, comme ils engagent tous leurs signataires. Je peux vous dire que tous les membres du Gouvernement, qu'ils soient ou non issus du Sénat, veilleront au respect de ces engagements.
Comme vous le savez, le Gouvernement que le Président de la République m'a demandé de diriger est né du grand débat démocratique auquel a donné lieu l'élection présidentielle. De ce grand débat ont émergé deux messages : celui du 21 avril et celui du 5 mai. Le premier fut celui de l'exaspération, de la colère, de l'impatience d'un grand nombre de Françaises et de Français pour qui la République ne fonctionne pas comme ils le voudraient, pour qui elle est lointaine et souvent impuissante, pour qui elle ne tient pas ses promesses dans la vie quotidienne.
Quelle est la liberté du créateur, de l'entrepreneur aujourd'hui ? Que fait-on des valeurs d'égalité quand on parle des retraites des artisans, des agriculteurs ? Où sont nos messages de fraternité dans les quartiers de grande solitude ? Où est le vécu de notre République ?
Ainsi, le 21 avril, les Françaises et les Français nous ont dit qu'ils voulaient une République plus proche d'eux, une République qui tienne ses promesses.
Puis, le 5 mai, ils se sont rassemblés pour bien montrer qu'ils étaient non pas contre la République, mais contre son fonctionnement et qu'ils étaient fondamentalement attachés à ses valeurs.
Le projet du Président de la République fut le rempart contre l'extrémisme et un moyen de promouvoir les valeurs de la République.
Le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger est donc investi originellement de ces deux missions : répondre à l'attente des Français et promouvoir les valeurs de la République, qui sont au coeur de notre unité nationale.
Pour répondre à cet objectif, nous avons construit notre programme d'action autour de quatre grandes priorités.
La première de ces priorités est de réaffirmer l'autorité républicaine, de faire en sorte que l'Etat soit respecté, respectable et que l'on puisse compter sur lui là où on l'attend. Cela implique qu'il soit moins dispersé, qu'il soit plus concentré sur ses missions essentielles, ses fonctions régaliennes et qu'en la matière il ait les moyens de répondre à l'attente des Français.
Nous nous engageons dans cette voie rapidement. Ainsi, dès la présente session extraordinaire, nous avons programmé le dépôt de textes qui nous permettront de donner à la justice et à la police les moyens de l'ambition nouvelle nécessaire au pays.
C'est très important : nous savons combien la sécurité est affaire de liberté, combien la sécurité est affaire de justice. Ce sont les plus fragiles qui sont les plus exposés.
Ainsi, des moyens considérables, humains et budgétaires, seront mis à la disposition de cette mission de sécurité et de justice pour que nous puissions mettre en oeuvre la politique pour laquelle la majorité a été élue.
Nous engagerons aussi un chantier important pour notre défense : dès la fin de l'année, une loi de programmation militaire s'intégrera dans cette remobilisation de l'Etat.
En effet, peut-on être fier quand on apprend que du matériel important pour notre défense est cloué au sol par manque de pièces de rechange ?
Peut-on parler de sécurité pour les Français, tellement menacés à l'intérieur comme à l'extérieur par ce terrorisme insidieux qui nous menace toujours, si l'on ne fait pas les efforts nécessaires pour avoir une défense qui, à l'extérieur comme à l'intérieur, protège nos concitoyens ?
Vous l'avez bien compris, nous comptons mettre le respect de l'autorité républicaine, des fonctions régaliennes de l'Etat au coeur de notre action gouvernementale.
Notre deuxième priorité est le rétablissement du dialogue social.
Si la République se veut plus vivante, elle doit s'ouvrir au dialogue social et elle doit s'ouvrir à l'échelon local ; elle doit faire en sorte que les acteurs responsables du champ social et du champ local aient plus de responsabilités.
Les partenaires sociaux sont gourmands de dialogue ; ils réclament la discussion et sont prêts à s'attaquer à des dossiers difficiles ; je pense au dossier des 35 heures, à l'harmonisation des Smic, au dossier des charges sociales. Nous avons ainsi un grand nombre de dossiers sociaux à mettre sur la table de la négociation.
Je souhaite que nous allions vite s'agissant, notamment, de la durée du temps de travail. Nous voulons respecter l'engagement d'une durée légale de 35 heures, mais en l'assouplissant, en concertation avec les partenaires sociaux. Dès que les grandes lignes auront été définies par la négociation, nous serons prêts, par la voie législative ou la voie réglementaire, à prendre les décisions qui s'imposent et qu'attendent les entreprises qui veulent participer au retour de la croissance.
Le dialogue social devra nous aider également à remettre en marche de grands projets de société ; je pense à la formation professionnelle, au dossier des retraites, pour lesquels nous prenons des engagements clairs. Certes, ils seront difficiles à tenir, mais nous devons profiter de cette période pour reconstruire la charpente de notre organisation sociale.
Le système de retraite par répartition doit être sauvé et nous voulons le sauver. C'est pourquoi nous demandons aux partenaires sociaux d'être en mesure de réunir les conditions de mise en oeuvre de la réforme à la fin du premier semestre 2003.
Notre engagement social est au coeur de l'humanisme que nous voulons promouvoir au sein de la République. Nous le ferons partout, y compris dans les territoires les plus fragiles.
Je pense, en l'occurrence, aux territoires ruraux menacés de désertification, qui connaissent toutefois aujourd'hui une renaissance devant leur permettre d'amorcer un développement nouveau. Le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, qui a fait ses classes dans cette assemblée, saura trouver les bonnes idées pour redynamiser nos territoires ruraux.
Je pense aussi aux quartiers difficiles, à l'action qui doit être menée dans ces quartiers déshumanisés qui nécessitent une restructuration complète. Le ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine aura à cet égard autorité à la fois sur le logement social et sur la partie sociale de la politique de la ville, afin de mobiliser ces deux leviers nécessaires à son action.
Dans cette dynamique sociale, nous voulons promouvoir les valeurs créatives, les valeurs d'initiative, permettre à toute cette énergie humaine, aujourd'hui laissée de côté, de participer à notre économie, à notre démocratie économique et sociale.
Bien évidemment, je pense aux jeunes, dont, aujourd'hui, 15 % sont au chômage, soit deux foix plus que la moyenne, ce qui est inacceptable. Comment une société peut-elle se construire un avenir en tournant le dos à la jeunesse ? C'est pourquoi, dès cette session, nous proposerons un projet de loi tendant à supprimer les charges sociales en cas d'embauche de jeunes de moins de vingt-deux ans afin de donner le coup de pouce nécessaire à leur entrée dans l'entreprise, avec de vrais contrats, et ainsi de leur permettre de s'inscrire dans la dynamique économique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pensons aussi à la formidable énergie féminine qui n'est pas utilisée dans notre économie ! Nous voyons bien que les jeunes filles sont en train de prendre les places de tête dans les concours, dans tout notre système éducatif, mais qu'elles sont encore en retrait dans les autres secteurs de notre activité économique et sociale.
Mme Nicole Borvo. Et dans les assemblées ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Nous avons donc tenu à ce qu'un membre du Gouvernement soit en charge de la parité, qui peut être politique mais qui est aussi économique et sociale, pour que les femmes trouvent toute leur place dans le développement de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) C'est un enjeu très important. Cela fait aussi partie de la promotion de cette France créative, qui devra s'appuyer de manière équilibrée sur sa vocation à l'initiative, mais aussi sur sa préoccupation sociale. On ne peut pas en effet avancer sur le terrain économique sans avancer aussi sur le terrain social, car l'ambition de l'économique, c'est le social. Nous sommes, sur ce sujet, très déterminés.
J'en viens à notre troisième priorité, sur laquelle je dirai quelques mots connaissant les compétences de la Haute assemblée sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autre d'ailleurs.
Ainsi, sur la décentralisation, sur l'avènement de cette République des proximités dont nous avons tant débattu ici, des idées ont été émises, de nombreux rapports ont été rédigés. Aujourd'hui, il nous reste à dégager les lignes d'avenir, les convictions étant déjà formées.
En fait, si l'on arrive à faire primer les initiatives des territoires, les initiatives montantes sur les directives descendantes, on aura déjà changé bien des choses dans ce pays. La décentralisation, c'est oxygéner la République en faisant en sorte que les initiatives, les responsabilités locales s'affirment. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Charasse. Et cela rapporte des voix aux élections !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous en profiterez aussi !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Il y a, sur ce sujet, un moyen d'avancer. Nous ne souhaitons pas que cette étape nouvelle de la décentralisation se limite à organiser différemment les pouvoirs. Il s'agit de développer dans la société le couple responsabilité-évaluation. Si l'on veut que les choses progressent, il faut que l'on puisse donner plus de responsabilités aux acteurs de proximité, mais, évidemment, les soumettre à des processus d'évaluation.
Comment aborder ce problème si complexe ? Je vous propose de le décliner autour de deux valeurs clefs de l'aménagement du territoire dans un pays comme la France : la cohérence et la proximité.
Nous avons évidemment besoin de la cohérence. Si l'on a obtenu son CAP en Rhône-Alpes, on doit pouvoir l'utiliser en Lorraine ! Il faut donc renforcer les fonctions de cohérence. Il y a trop de disparités régionales dans notre pays, aujourd'hui. La cohérence est essentielle à nos équilibres territoriaux.
Mais il ne faut pas oublier la proximité. Il faut faire en sorte que les décisions soient prises plus près du citoyen, que la définition des responsabilités soit la plus claire possible, qu'elle soit comprise par tous. Si l'on fait de la cohérence sans proximité, on fera du jacobinisme et si l'on fait de la proximité sans cohérence, on fera de la dispersion. Il faut donc et de la cohérence et de la proximité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je pense que la cohérence concerne notamment, même si tous les échelons de responsabilité y contribuent, l'articulation entre l'Etat et la région. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
MM. Henri de Raincourt et René Garrec. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. D'ailleurs, initialement, dans le texte de 1984, le contrat de plan offrait précisément la perspective de partenariats entre l'Etat et la région.
Je vois là un grand chantier de réforme : il nous faut à la fois rebâtir l'idée de contrat de plan et transférer certaines compétences, en permettant que soient menées des expérimentations nouvelles. Au demeurant, ces transferts aux régions pourront aussi devenir des leviers de la réforme de l'Etat. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Il est en effet un certain nombre de sujets sur lesquels nous pourrons, grâce à cette fonction de cohérence repensée, faire bouger notre système institutionnel, en gardant toujours à l'esprit cette double exigence de responsabilité et d'évaluation.
J'appelle donc les régions à faire des propositions en vue de transferts expérimentaux, de manière que nous puissions entreprendre dans la durée cette démarche novatrice.
La proximité, elle aussi essentielle, doit être équilibrée.
Le département, la commune, le groupement de communes sont les acteurs permanents de l'action de proximité, faite d'initiatives prises sur le terrain en vue de favoriser le développement local. Aujourd'hui, il nous faut rendre cette action de proximité plus lisible et plus efficace. Les lois relatives à l'intercommunalité, aux pays, à la démocratie de proximité ainsi qu'à la solidarité et au renouvellement urbains contiennent de bonnes choses. Mais je ne suis pas sûr que, en dehors de cette assemblée, le SCOT soit réellement identifié par tous... (Rires et applaudissements sur les mêmes travées. - M. Michel Charasse applaudit également.)
Comment, en effet, les premiers militants de la République que sont les élus locaux peuvent-ils s'y retrouver dans les différents volets territoriaux des contrats de plan ? Ils ont du mal à passer à l'action parce qu'eux-mêmes n'y voient pas clair ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je pense que, sur ces sujets, intercommunalité, pays, SCOT, SRU, démocratie de proximité, le Sénat a un rôle particulier à jouer. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Outre un projet de loi constitutionnel, un texte nous permettra de clarifier les méthodes d'intervention pour conforter cette République de proximité, dans laquelle le couple commune-département occupe une place très importante, étant entendu que l'organisation intercommunale doit aussi jouer tout son rôle à cet égard.
Le dernier pilier de notre action est cette nouvelle alliance que nous souhaitons construire avec l'Europe. Il faut vraiment convaincre les Français que l'Europe n'est pas un adversaire, qu'elle n'est pas une concurrente. L'Europe, c'est nous ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) Nous sommes des acteurs de la construction européenne. Il nous faut donc participer à la réforme institutionnelle de l'Europe, car la perspective européenne fait partie de notre avenir.
Dans la réflexion stratégique qui est actuellement engagée, nous devons réaffirmer notre attachement à cette fédération des Etats-nations, réaffirmer notre souhait de voir un jour l'Europe présidée par une personnalité susceptible d'être, dans le monde, le porte-voix de nos convictions. Nous aurons à travailler sur ces questions, notamment à partir des propositions que formulera la convention présidée par M. Giscard d'Estaing.
Ce sera pour nous l'occasion de repenser l'Europe, de la rendre moins technocratique, capable d'être un véritable multiplicateur d'influence. C'est ainsi que nos idées, nos valeurs, notre culture, cet humanisme universel hérité de notre histoire, trouveront les moyens de son expression mondiale. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Gaudin. Cela nous plaît ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Nous devons être présents sur le terrain du monde. Nous ne sommes nullement condamnés à l'impuissance ou au silence.
Certes, aujourd'hui, une puissance, en raison de sa suprématie, est tentée d'imposer ses vues à l'ensemble du globe. Nous devons donc faire valoir les idées de la France, qu'elles concernent le développement économique, la culture, l'organisation politique, la défense ou l'environnement. Nous nous battrons d'ailleurs à Johannesburg pour la constitution d'une organisation mondiale de l'environnement. Nous nous battrons aussi pour une autre forme de mondialisation, dotée d'une gouvernance responsable, car c'est quand il n'est pas gouverné que le monde est dangereux !
Notre patrimoine est un atout précieux pour que la France puisse porter des messages forts, notamment la préservation de cette richesse qu'est la diversité culturelle, et construire des alliances durables. (Très bien ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Nous devons nous mobiliser pour réussir les rendez-vous très importants qui concernent l'organisation mondiale du commerce et de l'organisation mondiale de l'environnement, rendez-vous à l'occasion desquels nous aurons des messages à faire passer. Nous ne pouvons pas laisser la politique agricole et la pêche être déstructurées. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Sur un certain nombre de sujets, nous devons nous battre, non pas en nous repliant sur nous-mêmes, mais en défendant nos idées et en assurant notre présence partout où la voix de la France peut se faire entendre.
Je suis très fier de voir ce gouvernement si mobilisé aujourd'hui, sous l'impulsion du Président de la République, sur les questions du développement durable, et nous irons à Johannesburg - à Rennes, avec le président de Rohan, avec Tokia Saïfi et plusieurs autres membres du Gouvernement, nous avons préparé cette importante conférence - avec la ferme volonté d'y faire valoir le point de vue de la France.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont quelques-unes des initiatives que nous voulons prendre. Bien sûr, notre programme est vaste et il nous donne de quoi remplir toute une législature, mais des engagements précis ont été pris, assortis de dates tout aussi précises.
Le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger compte sur votre confiance et sur votre contribution à l'oeuvre commune pour faire en sorte que cette législature soit au service des Français, au service de leurs attentes et de leurs espoirs. C'est cette mobilisation que nous voulons promouvoir.
Dans notre pays, aujourd'hui, la clé du mouvement, c'est la confiance. Les Françaises et les Français qui se sont abstenus lors des récentes consultations électorales ont exprimé souvent de la défiance. Nous devons, tous ensemble, par la qualité de notre travail, reconquérir leur confiance.
Le prochain rendez-vous sera celui des résultats, non celui des promesses. Passé le rendez-vous de l'élection, s'ouvre devant nous le moment de l'action. C'est pour la mener que je compte sur vous ! C'est pourquoi, conformément à l'article 49, alinéa 4, de la Constitution et à l'article 39, alinéa 2, de votre règlement, je souhaite que le Sénat se prononce par un vote. (Mmes et MM. les sénateurs des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que certains sénateurs du RDSE se lèvent et applaudissent longuement.)
M. Henri de Raincourt. Nous sommes très contents ! (Sourires.)
M. Nicolas About. Et très fiers !
M. Patrick Lassourd. On voit bien qu'il sort de chez nous ! (Nouveaux sourires.) M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 57 minutes ;
Groupe socialiste : 53 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 24 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Je vous indique d'ores et déjà, mes chers collègues, que nous interromprons nos travaux à douze heures trente, M. le Premier ministre étant alors dans l'obligation de nous quitter pour assister à une réunion extrêmement importante.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d'Etat, mes chers collègues, après six mois de débats, de confrontations et de péripéties, les Français se sont prononcés. Jacques Chirac a vu son mandat renouvelé. Nous nous réjouissons de sa réélection, pour lui-même et pour la France, et nous souhaitons un quinquennat heureux et fécond. Qu'il soit assuré de notre attachement comme de notre soutien. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Nos compatriotes ont entendu non pas voir présider autrement, mais gouverner autrement. Ils ont investi une majorité nouvelle pour diriger les destinées du pays. Cette majorité est large, forte et indiscutable. Elle doit permettre la véritable politique d'alternance à laquelle aspirent tant de nos concitoyens.
Lors des consultations électorales, les Français, par un vote d'une ampleur exceptionnelle, ont marqué leur indéfectible attachement aux valeurs de la République, à la démocratie, à la tolérance, au respect des droits et de la dignité des personnes. Ce vote réparateur a effacé les craintes ou les regrets qu'avait fait naître le premier tour du scrutin présidentiel.
Mais les Français, à l'occasion des élections législatives, ont témoigné de leur refus d'une cohabitation délétère, qui brouille les repères, affaiblit l'exécutif et porte atteinte à notre crédit dans le monde.
La cohérence nouvelle entre l'action du chef de l'Etat, du chef du Gouvernement et de la majorité à l'Assemblée nationale doit être un facteur puissant de dynamisme et d'efficacité.
Le Sénat ne peut que se féciliter de voir l'un des siens, pour la première fois depuis quarante-trois ans, diriger un gouvernement.
Vous jouissez dans cette assemblée, monsieur le Premier ministre, de toute notre estime et de la considération que vous valent votre éloquence, votre capacité d'écoute et votre connaissance des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous serons à vos côtés pour soutenir votre politique et vous aider à mettre en oeuvre les engagements souscrits devant la nation par le Président de la République et la majorité que vous conduisez.
Nos félicitations et nos voeux s'adressent également à vos collègues Alain Lambert, Jean-Paul Delevoye, Xavier Darcos et Hubert Falco, qui ont siégé parmi nous, et auxquels nous souhaitons beaucoup de succès dans leurs nouvelles fonctions.
MM. Ladislas Poniatowski et M. Patrick Lassourd. Aux autres aussi !
M. Josselin de Rohan. Le temps du verbe est passé : voici venu le temps de l'action.
Dès les premiers jours de votre gouvernement, vous avez démontré votre volonté de changement et pris des décisions concrètes et rapides qui ont recueilli l'adhésion de l'opinion. Pour conserver son soutien, il vous faudra faire preuve de lucidité, de courage et d'habileté. Aucune de ces qualités ne vous fait défaut mais vous savez que, sans lucidité, le courage n'est que témérité, sans courage, la lucidité est inopérante, sans habileté, la lucidité et le courage ne suffisent à convaincre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Il vous faudra tout à la fois rassurer, réformer et rassembler. Ce ne sera pas une entreprise aisée, car comment réformer sans déranger, comment choisir sans heurter ?
Il faut rassurer. C'est pourquoi nous avons besoin, non pas d'un Etat omnipotent, mais d'un Etat fort. Nos concitoyens sont las et même révoltés devant l'impuissance de l'Etat face à la violence, au trafic de stupéfiants, à l'extorsion de fonds et à la délinquance en tout genre. Ils refusent les zones de non-droit, les agressions à l'école, dans les transports en commun ou dans la rue. Ils entendent que leurs plaintes soient reçues, que les délinquants trouvent des juges, que les délits soient sanctionnés, les sentences exécutées, les individus dangereux mis, quel que soit leur âge, hors d'état de nuire. Ils réclament, pour protéger leurs personnes et leurs biens, des gendarmes dans les gendarmeries, des policiers dans les commissariats et des juges dans les tribunaux. Ils ne veulent plus voir tous ces serviteurs de l'Etat dans la rue ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
La sécurité ne peut pas, ne doit être un privilège pour quelques-uns : elle est un droit pour tous. L'insécurité n'est pas une obsession. Elle est une réalité annuelle pour les plus faibles et la combattre est l'une de nos principales priorités.
Tous ceux qui, dans ce pays, créent, produisent ou travaillent aimeraient recevoir l'assurance d'une pause législative ou réglementaire.
De grâce, monsieur le Premier ministre, écoutez ces artisans, ces chefs d'entreprise qui se plaignent de consacrer près du tiers de leur temps en discussions avec l'administration ou à remplir questionnaires et formulaires. Ecoutez les agriculteurs qui doivent effectuer un véritable marathon afin d'obtenir un agrément pour leurs projets de traitement et voient une nouvelle circulaire et un nouvel arrêté les ramener à la case départ.
Toute cette énergie et tout ce temps dépensés en vain génèrent découragement et démoralisation. Si nous voulons retrouver la confiance du monde de l'entreprise, il faut mettre un terme à ce prurit législatif qui a conduit à l'élaboration de plus de 200 lois en cinq ans et d'un millier de règlements. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Hélène Luc. On verra ce que vous ferez !
M. Claude Estier. Et avant ?
M. Josselin de Rohan. Rassurer, c'est ouvrir ou rouvrir la voie de l'emploi à ceux qui en sont privés. Abaisser les charges sociales et fiscales qui pèsent sur l'entreprise, ce n'est pas faire un cadeau aux possédants, c'est empêcher la fermeture ou la délocalisation d'un établissement, c'est encourager la création de nouveaux emplois. (Très bien ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées).
Mettre fin à la culture de l'assistanat en substituant des contrats d'insertion aux allocations, c'est dynamiser la politique de l'emploi. Permettre à ceux qui le peuvent et le souhaitent de travailler plus pour gagner plus assure une garantie de revenus à ceux qui doivent faire face à des dépenses imprévues ou à des investissements indispensables. L'imposition brutale, indiscriminée et unilatérale des 35 heures à l'économie française a été non seulement un contresens, mais un facteur grave d'affaiblissement et de désorganisation des entreprises et, pour nombre de salariés qui ont vu geler leur salaire et réduire leurs heures supplémentaires, un motif de frustration et d'inquiétude.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Desserrer ce carcan qui affecte la compétitivité des entreprises est aujourd'hui un impératif, une mesure inéluctable pour leur redonner foi en l'avenir.
«La France ne peut faire le choix de l'immobilisme », a dit Jacques Chirac. C'est pourquoi il faut réformer.
Mme Nicole Borvo. Sans loi !
M. Josselin de Rohan. Certaines administrations remplissent des tâches inutiles et maintiennent des organismes sans justification tout en conservant leurs effectifs. D'autres sont dans l'incapacité de faire face à leurs missions, faute des personnels nécessaires. Chaque année, le Parlement et la Cour des comptes dénoncent les dysfonctionnements, les carences ou les erreurs de gestion des services publics sans que des remèdes sérieux soient apportés pour mettre un terme à cette situation.
L'explosion de la dépense publique, les déficits budgétaires alarmants mis en lumière par l'audit de nos finances publiques sont la conséquence de ce manque de rigueur. Ils nous obligent à mettre un terme à des dérives contraires à nos engagements européens, qui fragilisent notre économie et obèrent l'avenir de nos successeurs.
Réformer les services de chaque ministère, développer une évaluation des politiques publiques, instaurer une culture du résultat dans l'administration, récompenser les agents pour leurs performances dans leur service sont autant d'objectifs qui conduiront à une véritable modernisation de l'Etat.
Moderniser l'Etat implique une meilleure gestion de la ressource humaine. Le moment est venu de renoncer aux habitudes anciennes qui consistaient à faire suivre tout départ à la retraite d'un nouveau recrutement. L'efficacité administrative ne se mesure pas à l'aune des effectifs, elle se mesure à la qualité du service rendu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
La Haute Assemblée a défendu avec constance et conviction la nécessité de donner un nouvel élan à la décentralisation.
En préconisant une réforme du titre XII de la Constitution, le chef de l'Etat ouvre la voie à des changements décisifs de notre administration territoriale, en métropole et outre-mer.
Transférer aux collectivités locales, aux régions, aux départements, aux communes ou aux agglomérations de larges compétences, qui étaient autrefois dévolues à l'Etat, dans les domaines de l'économie, de l'aménagement du territoire, de l'environnement, de la formation professionnelle, de la culture ou du sport, ainsi que des infrastructures, inscrire dans la Constitution le droit à l'expérimentation pour les collectivités, accorder dans certaines conditions aux collectivités locales un pouvoir réglementaire, leur apporter une garantie constitutionnelle de leur autonomie fiscale, telles sont les modifications fondamentales que nous appelons de nos voeux.
Nous voyons dans cette évolution un gage d'une plus grande efficacité dans la gestion des affaires publiques, d'un progrès de la démocratie grâce à une participation et à un contrôle accrus de la population sur ces affaires.
Plus de proximité, c'est plus de responsabilité et plus de transparence, plus de modernité dans la mesure où la France, comme désormais la plupart des pays de l'Union européenne, accordera davantage de pouvoir aux collectivités locales.
Nous connaissons votre volonté, monsieur le Premier ministre, de mettre prochainement en chantier cette importante réforme. Soyez assuré de notre détermination à contribuer à son élaboration et à son succès.
L'absence, pendant cinq ans, de toute réforme de notre régime de retraite a mis à l'épreuve la solidarité entre les Français et compromet l'avenir de ce régime.
Garantir la retraite par répartition, veiller à l'équité entre les Français au regard de la retraite, permettre à ceux qui veulent travailler plus longtemps de prolonger leurs droits, créer des fonds de pension à la française et favoriser l'épargne salariale, revaloriser les retraites des agriculteurs, des artisans et des commerçants, tels sont les axes autour desquels doit s'organiser la réforme.
Il faut avoir le courage d'entreprendre cette réforme et de résister à la démagogie ou à l'égoïsme de ceux qui se barricadent derrière leurs intérêts catégoriels en se refusant à toute concession sans souci de l'intérêt général.
Votre majorité se doit d'appuyer votre action. Les engagements pris par le chef de l'Etat ont été ratifiés par le suffrage universel. Le temps viendra peut-être de rappeler que la légitimité procède des urnes et de la représentation nationale et non de la rue. Cela se produira si les adversaires des réformes veulent y recourir pour faire obstacle aux réformes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Notre fiscalité, enfin, doit être repensée. Le montant élevé de nos prélèvements obligatoires et le taux de notre impôt sur les sociétés rendent notre pays chaque jour moins attractif pour les investisseurs étrangers et affectent la compétitivité de nos entreprises.
Le poids de l'impôt pèse essentiellement sur la classe moyenne alors que près d'un Français sur deux échappe à tout prélèvement et que les plus fortunés ont su prendre depuis longtemps leurs précautions en s'abritant dans les paradis fiscaux. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
La diminution de 5 % de l'impôt accordée à tous les contribuables est un signe fort qui marque la volonté de l'Etat de s'engager sur la voie de la déflation fiscale.
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous ne pouvons qu'approuver cette mesure, qui va dans le sens d'une plus grande équité, quoi qu'en disent ses détracteurs.
Mme Hélène Luc. Ah !
M. Philippe Marini. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. Elle peut être un moyen de relancer la consommation, donc l'emploi. Mais il est clair que, sans une volonté farouche et un effort soutenu pour diminuer durablement la dépense publique, ces mesures seront sans lendemain.
M. Philippe Marini. C'est clair !
M. Josselin de Rohan. Gouverner, c'est rassembler. Une véritable politique d'aménagement du territoire réduira l'écart qui existe entre les régions et évitera les déséquilibres entre les agglomérations et le monde rural, les fractures numériques, la disparition des services publics. Une grande politique de la ville doit supprimer les « ghettos » constitués par les logements vétustes et insalubres et permettre le lancement d'importants programmes de logements sociaux. La création d'emplois dans les villes peut être aussi relancée grâce à la reprise de la politique des zones franches.
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous nous félicitons que vous ayez fait ce choix.
M. Jacques Valade. C'est une très bonne idée !
M. Josselin de Rohan. Rassembler, c'est redonner consistance au dialogue social. La discussion et la négociation entre partenaires sociaux doivent précéder la loi et non procéder de la loi.
Rassembler, c'est poursuivre l'intégration des immigrés en luttant contre toutes les formes de discrimination et contre tous les communautarismes, en favorisant l'insertion professionnelle, l'apprentissage de notre langue, mais aussi en veillant à ce que les valeurs de la République soient enseignées à ceux qui souhaitent obtenir la nationalité française après avoir demandé l'asile à notre pays.
Rassembler, c'est veiller au respect et au maintien de l'unité nationale.
Nous n'admettrons pas que soit porté atteinte à l'intégrité du territoire, que soient érigés en interlocuteurs ou en partenaires privilégiés ceux qui veulent faire prévaloir leurs revendications par la lutte armée ou la violence sur le dialogue ou le suffrage universel. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
C'est autour des valeurs fondamentales de notre République et de ses idéaux de tolérance, de liberté et de solidarité, autour de son drapeau, que doivent se regrouper tous ceux qui se reconnaissent dans la France ou s'en réclament.
Comment pourrions-nous oublier le choc que nous avons ressenti lorsque nous avons constaté que près du tiers de nos compatriotes avaient porté leur suffrage sur des formations extrémistes qui ne reconnaissent pas nos institutions ou que près de la moitié des Français n'avaient pas voté aux élections législatives ? Nous avons alors pris conscience du fossé qui sépare les citoyens de la classe politique. Un très grand nombre d'entre eux juge que ceux qu'ils nomment avec quelque dédain « les politiques » ignorent les problèmes de la « France d'en bas » ou sont incapables de répondre à leurs préoccupations.
Nous devons entendre cette protestation et répondre à l'interpellation qui nous est adressée. Nous partageons, monsieur le Premier ministre, votre souci d'un Etat plus fort mais aussi plus économe, plus modeste, moins pesant et plus proche des Français, d'un pouvoir plus accessible et ouvert au dialogue.
Nous savons bien qu'en dépit de votre volonté, vous ne pouvez pas, comme Amélie Poulain, l'héroïne au grand coeur d'un film à succès, résoudre toutes les difficultés des Français et rétablir en peu de temps l'harmonie, la concorde et la prospérité par la grâce d'une boîte à secrets.
Vous vous heurterez à l'inertie, à la mauvaise volonté ou à l'hostilité de ceux qui se cramponnent aux avantages acquis et aux rentes de situation. Vous aurez à combattre les sceptiques et les prophètes de malheur qui se complaisent dans les prédications les plus sombres pour mieux goûter la volupté des échecs.
Vous devrez affronter l'opposition des nostalgiques de modèles politiques et sociaux antiques et dépassés que leurs revers n'instruisent jamais.
Mais vous puiserez dans le soutien que vous apportent le chef de l'Etat, votre majorité et l'opinion la force et l'énergie nécessaires pour engager et mener à bien les profondes réformes que le pays attend.

Il faut rétablir la confiance des Français dans la République et dans la France. Vous y parviendrez en montrant que les promesses seront tenues et que vous conservez le cap que vous vous êtes fixé.
Nous disposons de toutes les capacités, de toutes les ressources, de tous les talents indispensables pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés : la maîtrise de la mondialisation, la construction européenne, la modernisation de notre société.
Nous parviendrons à relever ces défis pour peu qu'on libère les énergies, qu'on desserre les contraintes qui pèsent sur les hommes et les entreprises, qu'on ouvre des perspectives à notre jeunesse, qu'on reconnaisse le travail et le mérite.
Avec vous, nous voulons redonner à la France le goût de la réussite, l'ambition de faire entendre sa voix en Europe et dans le monde, la foi dans son avenir.
Selon un proverbe poitevin, « lorsqu'on sème tôt, on est toujours certain de récolter un peu quelque chose ». Vous avez semé à temps ! Nous avons la conviction que, grâce à vous et à votre Gouvernement, la moisson sera belle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le Premier ministre, je tiens tout d'abord à vous dire combien votre nomination, comme celle de nos anciens collègues Jean-Paul Delevoye, Alain Lambert, Xavier Darcos et Hubert Falco, honore le Sénat. Pour vous et pour tous les membres du Gouvernement, nous formons des voeux de pleine réussite.
Tous ensemble, aujourd'hui, comme nos collègues députés hier, nous vivons un moment important : le Gouvernement vient en effet d'engager sa responsabilité devant le Parlement.
C'est un moment de responsabilité et de détermination. C'est le moment où s'enclenche réellement le processus de décision publique, dans la transparence et l'esprit républicain. Et, pour nos concitoyens trop souvent indifférents - ils l'ont manifesté lors des élections - ce moment doit être l'un des signes de cette réconciliation, de ce renouveau démocratique, de ce dynamisme de leurs institutions auxquels ils aspirent.
Ce débat constitue en effet, dans notre vie politique nationale, le point d'alliance le plus solide entre un gouvernement et sa majorité parlementaire. Il débouche sur le serment d'un double engagement ; il entraîne les conditions de cet engagement dont la première est la confiance ; il est aussi le coup d'envoi d'une action politique concertée et attendue. C'est pourquoi, loin d'être convenu, cet exercice revêt au contraire un attrait d'autant plus inédit que les temps sont enfin venus d'une espérance partagée.
Cette espérance, c'est celle des Français, exaspérés de ne pas avoir été entendus jusqu'à présent et qui ont soif de clarté. C'est celle du courage politique retrouvé, de la démocratie responsable et reconnue, de la France remise en ordre de marche.
Cette espérance, c'est aussi celle d'un véritable équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif, assumant enfin chacun la plénitude de leurs missions : pour l'un, l'action qui guide et dynamise le pays ; pour l'autre, l'écriture de la loi qui en trace les contours et l'exercice du contrôle qui en valide la mise en oeuvre.
Monsieur le Premier ministre, pour oeuvrer au nécessaire redressement de notre pays, vous avez dit hier que vous souhaitiez que « le temps de l'action relaie le temps des élections ». Vous réussirez parce que nous connaissons votre volonté de privilégier l'écoute et la proximité. Nous approuvons pleinement cette démarche positive et pragmatique. Nous sommes convaincus qu'elle se concrétisera, dans les semaines et les mois qui viennent, dans un contexte économique pourtant encore difficile et dans un contexte social que nous espérons apaisé.
En nous exposant les grandes lignes de votre programme, vous nous avez en effet incités à conclure en ce sens. Lorsque l'action témoigne des promesses dans le respect des convictions, la politique retrouve tout son sens. Et lorsque la lucidité rejoint l'optimisme, tous les objectifs sont à portée de main. Ils sont atteints dans l'union, lorsque l'union repose sur le dialogue, le respect des partenaires et la confiance réciproque. Prenez garde, monsieur le Premier ministre, aux abus de position dominante ! Mais vous saurez résister à cette tentation. Alors, je puis vous l'assurer, monsieur le Premier ministre, le groupe de l'Union centriste apportera à votre gouvernement son soutien, plein et entier.
Nous le ferons parce que vous appelez à « l'audace réformatrice », parce que nous savons que vous allez suivre la voie du progrès, de la liberté, du rétablissement de l'Etat de droit, de la décentralisation, et que vous envisagez cette démarche dans une optique résolument européenne. Nous savons que vous lancerez les réformes nécessaires au développement harmonieux de notre pays, dans l'espace concurrentiel international que nous connaissons désormais, et que vous avez l'ambition de conforter le rôle de la France dans le monde.
C'est dans ces conditions, tout naturellement, que le groupe de l'Union centriste vous accorde sa confiance. S'il fallait résumer en trois mots le sens de votre démarche telle que nous la concevons, telle que nous la comprenons, ce serait en trois verbes, symboles de progression : simplifier, responsabiliser, libérer, cela dans le respect de chacun. Ce sont bien les clés de votre programme, car, nous en sommes persuadés, c'est ainsi que la France retrouvera son énergie, sa solidarité, son rayonnement.
C'est une lourde tâche qui vous est confiée. Sans revenir en détail sur toutes les mesures indispensables à mettre en oeuvre, je souhaiterais rapidement porter un éclairage sur quelques axes de travail que notre groupe juge prioritaires.
Tout d'abord, bien sûr, la recherche d'un nouvel art de gouverner. Nous partageons totalement ce point de vue, car il conditionne la réussite et l'efficacité de toute démarche politique. Lorsque vous dites, monsieur le Premier ministre, que « la politique est une affaire de vérité » et qu'il s'agit de « placer l'homme au coeur de votre projet », sachez que ces phrases emportent notre pleine adhésion et pourront emporter celle des Français.
Cette nouvelle méthode de gouvernement que nous appelons de nos voeux va de pair avec la réaffirmation - oserais-je dire la réhabilitation ? - des grands principes démocratiques et républicains qui régissent une société : le respect de l'autorité de l'Etat, le respect de la justice et des lois, la définition d'un cadre économique et fiscal équitable et clair. C'est alors que peuvent intervenir les réformes, surtout si elles sont précédées d'une nécessaire pédagogie. J'évoquerai particulièrement l'urgence de redonner des marges de liberté aux acteurs économiques, en simplifiant la paperasserie et les formalités administratives, en clarifiant et en allégeant la fiscalité, en abaissant le coût du travail, en « revisitant » la loi sur les 35 heures, en rendant au dialogue social ses lettres de noblesse et ainsi son efficacité, en adaptant la formation. Et je connais votre ambition en la matière.
Je m'arrête là. Nous comptons sur vous : la compétivité de notre territoire doit être restaurée le plus rapidement possible. Il y va de la nécessaire amélioration du pouvoir d'achat des Français, qui conditionne leur liberté, et de l'attractivité retrouvée du territoire national.
Parmi les priorités auxquelles nous sommes naturellement attachés, je citerai le retour à l'équilibre des comptes publics, comme la rationalisation de la gestion publique. C'est évidemment l'élément essentiel qui détermine, dans le temps, l'amplitude de vos marges d'action, le succès des réformes.
Le gouvernement socialiste vous laisse une situation très dégradée, presque inquiétante.
M. André Rouvière. C'est exagéré !
M. Jean Arthuis. Le pays est en crise. Mais vous disposez heureusement, au sein du Gouvernement, des meilleures compétences pour mener à bien ce chantier difficile de l'assainissement de nos finances publiques.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est vrai !
M. Jean Arthuis. Nous ne pouvons que vous souhaiter courage et détermination, et vous assurer à nouveau, en ce domaine, de notre absolu soutien.
Je citerai encore le redoutable problème des retraites, soigneusement contourné par le gouvernement précédent...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et celui d'avant !
M. Jean-Jacques Hyest. Comme le pénultième !
M. Jean Arthuis. ... qui inquiète, à juste tire, l'ensemble de nos concitoyens. Nous sommes tous attachés au régime des retraites par répartition, qui doit être absolument préservé, ce qui implique que des mesures réalistes soient mises en oeuvre sans tarder. Je pense notamment à la possibilité pour chaque actif de se constituer tout au long de sa carrière, s'il le désire et dans la mesure de ses capacités, une retraite complémentaire. C'est une mesure que vous avez annoncée et nous nous en réjouissons.
Je mettrai enfin l'accent sur deux sujets qui nous tiennent particulièrement à coeur : la poursuite de la décentralisation en France et la consécration de l'Europe.
Le groupe de l'Union centriste, vous le savez, est l'un des artisans et, bien sûr, l'un des ardents défenseurs de l'achèvement d'un processus concerté de décentralisation. Il est plus que temps d'accorder enfin de réelles marges de manoeuvre aux collectivités territoriales,...
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
M. Jean Arthuis. ... de leur transférer les missions que l'Etat ne peut plus accomplir convenablement, de démêler l'écheveau des compétences et des financements croisés. (M. René Garrec approuve.)
Nous avons noté avec satisfaction que les nécessaires transferts de compétences seront accompagnés de transferts de ressources correspondantes.
Mme Nicole Borvo. On verra !
Mme Hélène Luc. On dit toujours ça !
M. Jean Arthuis. Cette évolution se réalisera d'autant mieux que les collectivités territoriales sauront conjuguer ressources nouvelles et responsabilité fiscale.
L'appel que vous lancez aux régions pour expérimenter des transferts de compétences doit se doubler d'un appel lancé aux départements, garants des solidarités humaine et territoriale.
M. Jean-François Le Grand C'est une bonne idée !
M. Jean Arthuis. Sans doute faudra-t-il s'attaquer à la réforme de la fiscalité locale.
C'est presque un paradoxe : l'aboutissement de la décentralisation passe aujourd'hui par un exercice de simplification. Mais il demeure délicat, nécessite de la transparence et beaucoup de pédagogie, pour que nos concitoyens redécouvrent sur le terrain, au quotidien, les vertus de la démocratie locale. C'est pourquoi il ne doit pas, nous semble-t-il, s'effectuer sans une intense concertation avec les différents échelons locaux.
Ce qui compte, c'est que les citoyens sachent qui fait quoi dans l'écheveau des collectivités territoriales. Comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent et épousent les règles de la démocratie dans une telle complexité ? Si nous voulons apprendre nos institutions à nos enfants, il faut assurément clarifier et simplifier.
Quant à l'Europe, il nous faut la considérer pour imaginer le destin de la France. La prise en compte de la dimension européenne dans toute décision politique est désormais nécessaire. Loin d'être une contrainte, elle doit nous apparaître à tous comme un encouragement à aller de l'avant, à évoluer pour gagner en efficacité comme en bien-être.
A cet égard, la convention sur l'avenir de l'Europe, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, nous guidera. Quoi qu'il en soit, les gouvernements devront peser davantage dans le processus de décision européen, et le Parlement devra renforcer ses liens avec les assemblées des autres pays membres de l'Union européenne.
Le politique, nous en sommes convaincus, ne pourra plus de s'exonérer de sa propre responsabilité en se réfugiant derrière les décisions européennes. C'est à vous, gouvernement, c'est à nous, Parlement, d'agir pour mettre en place l'Europe politique qui nous fait tant défaut aujourd'hui.
C'est à nous tous de dessiner les institutions démocratiques de l'Europe, de contribuer à la rédaction d'une Constitution européenne - nous y avons, au groupe de l'Union centriste, d'ores et déjà beaucoup travaillé. Alors, et seulement alors, l'Europe deviendra citoyenne, donc compréhensible et assumée par les peuples des Etats membres qui la composent. Nous comptons sur le Président de la république et sur votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour avancer dans cette voie. En donnant un visage politique à l'Europe, on lui donne la force démocratique nécessaire pour oeuvrer à une mondialisation humanisée.
Nous apportons notre soutien à tous ces grands axes de travail, parce que nous considérons que nous passons aujourd'hui un « pacte de confiance » avec votre gouvernement. Il prendra d'autant plus de valeur que nous saurons, ensemble, redonner toute son envergure au Sénat, creuset des libertés, du respect de la diversité des convictions, de la transparence.
L'article 34 de la Constitution stipule : « La loi est votée par le Parlement. » Cela implique que la loi retrouve son caractère normatif et ne soit plus un bel exercice de communication, souvent destiné à masquer l'impuissance publique.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean Arthuis. Dès que l'administration connaissait des dysfonctionnements, le Gouvernement déposait un projet de loi...
M. Henri de Raincourt. Hélas !
M. Jean Arthuis. ... pour apaiser les inquiétudes du peuple !
Sortons de ces gesticulations absurdes ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
L'inflation législative, dérive du précédent gouvernement, doit être freinée. « Trop de lois tue la loi » ! Le bilan de la session 2000-2001 nous indique que seules deux lois ont été rendues totalement applicables,...
M. Henri de Raincourt. C'est incroyable !
M. Jean Arthuis. ... soit moins de 5 % du total des textes votés ! Pis : 36 % des lois ont « bénéficié », si j'ose dire, d'une déclaration d'urgence !
Nous lançons un appel, monsieur le Premier ministre, pour que vous résistiez à la tentation de l'urgence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Claude Estier. Oui, mais ça commence mal ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. On verra !
Mme Nicole Borvo. C'est ce que nous attendons !
M. Jean Arthuis. Nos concitoyens n'admettent plus, ou décident d'ignorer superbement, les lois trop complexes, mal bâties, corporatistes, souvent plus proches de la circulaire administrative que des grands principes. Et le Parlement se fourvoie dans une bien dangereuse direction lorsqu'il consent, par facilité ou par faiblesse, à se prêter à cet exercice devenu dérisoire. Tocqueville soulignait qu'il « dépend des lois d'intéresser les hommes aux destinées de leur pays ». Sachons, ensemble, ne pas l'oublier, afin de redonner à la politique sa grandeur et son efficacité.
Le corollaire de cette confiance envers le Gouvernement c'est, bien évidemment, que le Parlement exerce la plénitude de sa mission de contrôle. Il peut s'en donner les moyens, d'autant plus qu'il s'agit essentiellement ici d'une question de volonté. C'est d'ailleurs le meilleur service qu'il puisse rendre au pouvoir exécutif, dès lors que le contrôle de l'action du Gouvernement et des administrations publiques devient une habitude. C'est ainsi qu'il dédramatise les débats de société, économiques ou sociaux et permet d'éclairer véritablement les citoyens, enfin respectés.
Les deux magistrats auxquels vous avez tout récemment confié la tâche de réaliser ce fameux audit « de prévision », comme ils disaient, nous renvoient d'ailleurs à notre propre carence lorsqu'ils écrivent que « le Parlement » - et la Cour des comptes, bien sûr - « devrait normalement suffire pour que les citoyens soient périodiquement informés de l'état de leurs finances publiques d'une façon fiable et crédible... ». Il y va sans aucun doute de l'avenir de notre institution. Je crois que nous pouvons tous aisément partager cette conviction. Je sais qu'elle est chère au coeur de M. le président du Sénat, Christian Poncelet.
Telle est, monsieur le Premier ministre, la teneur du pacte que le groupe de l'Union centriste entend établir avec votre gouvernement, en confiance et solidairement, afin que l'équipe France, passée par de rudes épreuves ces derniers temps, retrouve sa sérénité et reprenne progressivement confiance.
Les sénateurs du groupe de l'Union centriste voteront la confiance à votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le Premier ministre, comme le Président de la République, vous avez évoqué hier le message des Français. Qui peut oublier, en effet, les élections présidentielles, le choc du 21 avril, où, avec une abstention record, nos compatriotes ont sanctionné droite et gauche parlementaires...
M. Patrick Lassourd. Surtout la gauche !
Mme Nicole Borvo ... et où le Front national s'est vu accorder une légitimité inattendue par sa présence au deuxième tour ?
Qui peut oublier l'énorme mobilisation de la jeunesse et le sursaut démocratique du deuxième tour, auquel nous nous honorons d'avoir largement contribué...
M. Patrick Lassourd. Est-elle venue voter aux législatives ?
Mme Nicole Borvo ... puis, le danger écarté, un mois et demi après, de nouveau une abstention record, particulièrement de la jeunesse et des couches populaires ?
Si vous disposez aujourd'hui de tous les pouvoirs, monsieur le Premier ministre, qui peut oublier la crise politique, le divorce entre le peuple et ses représentants ?
Effectivement, notre peuple veut être écouté. Il ne veut plus de promesses non tenues.
La réalité française que vous vous plaisez à évoquer, c'est 3,4 millions de personnes qui dépendent de minima sociaux, 5 millions qui se trouvent sous le seuil de pauvreté, des millions de Français qui subissent la précarité, 10 % de foyers qui perçoivent moins de 368 euros par mois...
M. Patrick Lassourd. C'est vingt ans de gauche !
Mme Nicole Borvo ... 40 % de foyers qui gagnent moins de 13 263 euros par an et 60 % moins de 19 361 euros.
M. Alain Gournac. Vingt ans de gauche !
M. Patrick Lassourd. Vingt ans de gauche, bravo !
Mme Nicole Borvo. Bas salaires, précarité d'un côté, accumulation de richesses de l'autre.
Serge Tchuruk, le P-DG d'Alcatel, reçoit 2 676 000 euros de salaire annuel ; Franck Riboud, P-DG de Danone, 2 300 000 euros ; Thierry Desmarest, 2 225 000 euros. C'est assez juste comme répartition !
M. Patrick Lassourd. Bravo la gauche !
Mme Nicole Borvo. Les deux premiers se sont fait remarquer par leur ardeur à licencier dès le moindre fléchissement du cours de leur société en bourse.
M. Alain Gournac. Comme le parti communiste !
Mme Nicole Borvo. Le troisième a-t-il contribué, avec ses principaux actionnaires, à financer la réparation des dégâts que l'activité de TotalFina a occasionné ces dernières années ?
L'écart ne cesse de se creuser entre les plus pauvres et les plus riches...
M. Patrick Lassourd. Vingt ans de gauche !
Mme Nicole Borvo. ... comme s'est creusé l'éloignement entre les citoyens et les pouvoirs - l'Europe en est, en quelque sorte, le symbole - mais aussi le décalage entre les politiques et la population. En 1967, 51 employés et ouvriers siégeaient à l'Assemblée nationale. Il n'y a plus, aujourd'hui, que 2 ouvriers, au groupe communiste, d'ailleurs.
La parité, que vos amis ont tant combattue, est restée au milieu du gué : il y a 68 femmes sur 577 députés - 6 de plus qu'en 1997-, et je serai la seule femme à m'exprimer au Parlement après votre déclaration de politique générale.
Et que dire de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, que vous n'avez pas évoquée, monsieur le Premier ministre ?
M. Henri de Raincourt. Si, il en a parlé hier !
M. Nicolas About. Vous avez même ri quand il en a parlé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Laissez-la s'exprimer !
Mme Nicole Borvo. Vous avez votre grille de lecture de cette réalité. Vous avez beaucoup parlé de la « France d'en bas » - je me garderai de cette terminologie condescendante - et vous nous proposez d'en rapprocher la politique ! Mais quelle politique ?
Certes, faute de débats réels sur les choix économiques et sociaux, sur l'Europe, pendant toute cette période électorale, nos concitoyens n'ont sans doute pas perçu la réalité libérale de votre programme. Pourtant, ce programme se dessine largement dans votre intervention et dans les engagements fondamentaux du Président de la République que vous voulez soumettre au Parlement dès cette session extraordinaire, en urgence. Permettez-moi, monsieur le Premier ministre, de vous rappeler que, sur les travées du Sénat, vous avez fermement critiqué la procédure d'urgence, citant Edgar Morin : « Quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive ». Vous ne l'avez certainement pas oublié !
Pour ma part, j'ai relu avec intérêt la déclaration de politique générale du Premier ministre Alain Juppé prononcée le 23 mai 1995 devant le Parlement.
M. Alain Gournac. Bonne lecture !
Mme Nicole Borvo. J'y ai retrouvé les maîtres mots d'aujourd'hui, ceux auxquels vous nous avez habitués depuis deux mois déjà, et que vous avez rappelés hier et aujourd'hui devant le Parlement : « Libération des forces vives du pays. Allégement des charges qui grèvent le coût du travail. »
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
Mme Nicole Borvo. « Allégement de la fiscalité sur les revenus. »
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
Mme Nicole Borvo. « Fonctions régaliennes de l'Etat : sécurité et ordre républicain. »
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
Mme Nicole Borvo. « Un pouvoir plus modeste, moins arrogant. »
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Je m'arrête là. Or la déroute rapide de M. Juppé démontre que ce sont les actes qui comptent. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Robert Bret. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Aujourd'hui, vous allez passer aux actes.
Premier acte : la baisse de l'impôt sur le revenu. Nous avions contesté cette orientation ces deux dernières années ; nous nous opposerons à la version particulièrement inégalitaire que s'apprête à mettre en place votre gouvernement.
Que proposez-vous, en réalité ? Une mesure qui favorisera les plus riches : parmi ceux qui paient l'impôt - 51 % sont trop pauvres pour le payer ! - le salarié qui dispose de 1 000 euros de revenu par mois réalisera une économie de 12 euros ; celui qui gagne 10 000 euros par mois bénéficiera, lui, d'une ristourne de 1 775 euros.
Cette décision de baisser l'impôt sur le revenu de 5 % est particulièrement injuste. En revanche, tous les Français sont assujettis à la CSG, à hauteur de 7,4 %, paient une taxe d'habitation et subissent la TVA qui, de loin, rapporte le plus à l'Etat : 143 milliards d'euros contre 53 milliards d'euros au titre de l'impôt sur le revenu.
Ce sont bien les plus riches qui bénéficieront de cette mesure, qui s'ajoute aux exonérations multiples et variées en matière de placements financiers.
Ajoutons que cette mesure - effet d'annonce par excellence - aura des conséquences contraires à celles qui sont annoncées. Chacun sait que les plus riches ne consommeront pas plus : ils épargneront. L'effet sur la croissance sera donc nul.
La justice fiscale est une aspiration légitime. Elle passe par un allégement des impôts les plus injustes - la TVA, la taxe d'habitation - et par une hausse des prélèvements sur les grandes fortunes et sur les revenus financiers du capital.
La réduction de la TVA sur la restauration et les disques est-elle jetée aux oubliettes européennes, comme nous en avons eu la démonstration ?
En revanche, vous vous engagez résolument dans deux domaines : la baisse des charges sociales, pilier de votre action, avec un projet immédiat cher au MEDEF : l'abaissement des charges sociales pour les emplois de jeunes non qualifiés.
Mais qui paiera les nouvelles exonérations de charges ? Et qui garantit qu'elles permettront de créer des emplois ? N'auront-elles pas surtout des effets d'aubaine et pour résultat de nouveaux placements financiers ?
Corollaire des réductions d'impôt : la diminution des dépenses publiques. Vos ministres et vos amis voient des économies à réaliser partout dans les services de l'Etat. Mais il faudrait être précis : quels postes supprimer ?
M. Nicolas About. Peut-être ceux des enseignants qui n'enseignent pas !
Mme Nicole Borvo. Des postes de postier, d'agent hospitalier, d'enseignant ? Ce sont eux les agents de l'Etat ! Nos concitoyens, à juste titre, estiment qu'il en faudrait davantage pour faire face aux énormes problèmes de notre société.
Comment ne pas mettre en parallèle votre discours sur l'autorité républicaine et la lutte contre l'insécurité qui, pour l'instant, se concentre sur la construction de sept mille places de prison et sur le retour des centres fermés pour les jeunes délinquants ?
Evoquer l'insécurité - et l'éradiquer, comme vous le dites - nécessitera la mise en action de l'ensemble des secteurs concernés : la justice et la police, bien sûr, mais aussi l'éducation, la politique du logement, l'urbanisme, l'aide à l'emploi.
Lutter contre l'insécurité, c'est lutter contre la détérioration du cadre de vie et, notamment, de l'habitat : les récents accidents - honteux ! - d'ascenseurs dans des HLM nous l'ont rappelé tragiquement. L'existence de quartiers « relégués » dans lesquels les services publics ne sont plus assurés doit être rappelée. Il s'agit là d'un symptôme d'abandon et d'une source d'insécurité.
Malgré ses limites, nous notons que le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs soulevait la question de l'intervention de la société tout entière pour faire face à la délinquance.
Mais, pour cela, il me semblerait honnête de dire qu'il faut une programmation de moyens publics très importants sur la durée. Si vous vous contentez de proroger l'effort de la police et de la gendarmerie des années précédentes, comment allez-vous développer les autres secteurs de lutte contre l'insécurité ?
Attention aux discours démagogiques et au tout sécuritaire : leurs effets sont redoutables !
Je ne m'attarderai pas sur l'audit des finances publiques.
M. Patrick Lassourd. Dommage !
Mme Nicole Borvo. Car chacun sait que le Président de la République connaissait l'état des finances publiques.
M. Alain Gournac. Et alors !
Mme Nicole Borvo. Est-ce un hasard si ces « fautes » montrées du doigt s'appellent CMU, emplois-jeunes, 35 heures ?
Vous répondez par avance aux attentes pressantes du MEDEF, qui veut se débarrasser de la loi de modernisation sociale, trop contraignante, des 35 heures, qu'il a pourtant largement neutralisées, et de la loi relative aux nouvelles régulations économiques, dont il déplore l'obligation de transparence des rémunérations ou la limitation du nombre de mandats des dirigeants d'entreprises.
La déplorable chute du P-DG de Vivendi Universal montre ce qu'il en est du capitalisme financier, et je m'associe totalement à la proposition de commission d'enquête que vient de faire Jean-Pierre Brard, à l'Assemblée nationale, sur l'opportunité de nationaliser le secteur Vivendi Environnement, financé par les contribuables via les collectivités locales.
M. Louis de Broissia. Merci pour elles !
Mme Nicole Borvo. En revanche, vous avez donné un bien mauvais signe aux salariés en refusant un coup de pouce au SMIC et en leur faisant subir la hausse des transports dès le 1er juillet alors que, sans aucun doute, ils supporteront la hausse des cotisations sociales. Pourtant, chacun le sait, donner plus de pouvoir d'achat aux bas salaires a beaucoup plus d'effet sur la croissance et l'emploi que la baisse des impôts sur les revenus des plus riches.
Vous avez donc choisi, contrairement à votre discours, les intérêts des uns contre ceux des autres. Vous emboîtez le pas au patronat sur les retraites, avec l'allégement de la durée de cotisation, la mise en cause des régimes spéciaux et l'instauration des fonds de pension.
Nous serons présents, aux côtés des salariés, pour la défense de notre système de retraite par répartition, pour le droit à la retraite à 60 ans et contre les fonds de pension.
M. Alain Gournac. Ce n'est plus très drôle !
Mme Nicole Borvo. De la même façon, nous nous opposerons à toute tentative de libéralisation de la santé. Nous soutiendrons les personnels de l'hôpital public, qui défendent ce formidable outil de protection sociale.
M. Alain Gournac. Il fallait le faire avant !
Mme Nicole Borvo. Je constate que vous réaffirmez votre fidélité au plan Juppé. Nous continuerons à nous y opposer en proposant une réforme du financement de la protection sociale, jamais débattue encore.
Vous insistez, tout comme le Président de la République, sur le dialogue social. Vous avez mal commencé avec le SMIC ! Et vous continuez, en annonçant une ordonnance pour légiférer contre le droit constitutionnel de grève.
En revanche, les ingrédients des vieilles recettes libérales sont réunis.
Comment ne pas en voir le symbole dans la privatisation de l'entreprise phare qu'est EDF-GDF, privatisation que vous voulez engager alors même que France Télécom, pourtant largement privatisée, est aujourd'hui en difficulté et appelle l'Etat au secours ? Nous connaissons tout cela !
Aussi, nous ne pouvons qu'accueillir avec méfiance votre projet de décentralisation, qui constitue l'axe majeur de la campagne du Président de la République et des propos que vous avez tenus aujourd'hui.
L'objectif en a été affiché dans le programme de l'Union pour la majorité présidentielle, l'UMP, où l'on peut lire : « La décentralisation est une nécessité politique parce qu'en transférant des compétences vers les collectivités territoriales l'Etat peut se concentrer sur ses responsabilités régaliennes ».
Rapprocher les centres de décision des citoyens, bien entendu ; prendre en compte les diversités et les initiatives locales, ce serait tout à fait positif. Mais avec quelle architecture ? Avec quels moyens ? Qui assurera l'égalité territoriale, l'égalité des citoyens devant les services publics ?
Et, entre les régions et l'Europe, quel rôle pour l'Etat ?
Comment voulez-vous, en effet, réconcilier le peuple et la politique, si personne ne sait qui désigne les directeurs de la Banque centrale européenne, la BCE, qui les contrôle et qui les influence ?
La question européenne est une question centrale. L'Europe de Maastricht est incapable de répondre aux attentes populaires.
J'agirai de toutes mes forces, avec mes amis, pour que prévale l'idée d'une Europe sociale de progrès et de coopération sur l'Europe libérale et technocratique qui se construit aujourd'hui. Cela implique la remise en cause du pacte de stabilité, la réforme de la politique agricole, la renégociation des traités européens, la revalorisation du Parlement européen et des parlements nationaux.
Le débat sur l'élargissement est symbolique. Bien entendu, nous sommes pour l'accueil des pays qui sont aux portes de l'Europe, pour aider leurs peuples à se developper. Nous ne sommes pas pour le repli sur soi dans le droit-fil du sommet européen de Séville sur l'immigration.
Nous ne renoncerons pas au combat pour une réelle démocratisation des institutions, pour une réelle citoyenneté. Elles commencent par de nouveaux droits, de nouveaux pouvoirs pour les salariés dans les entreprises - on n'en parle jamais -, par l'affirmation d'une véritable responsabilité sociale des entreprises - on n'en parle jamais non plus -, par de nouvelles règles de négociations collectives.
Dans la cité, elles supposent de faire reculer les discriminations, et la liste en serait longue.
Elles passent par l'octroi du droit de vote aux résidents étrangers non communautaires et par l'accroissement des pouvoirs d'initiative des électrices et des électeurs.
Vous évoquez la mondialisation. Mais quel regard portez-vous sur le monde ? Le mot « liberté » devrait aussi justifier une politique novatrice de la France pour contester le leadership américain. Bien au contraire, les nouvelles orientations en matières de défense démontrent la volonté de soutenir les Etats-Unis dans leur rôle de gendarme du monde. Le monde est gouverné, mais par les Etats-Unis !
Comment poussons-nous l'Europe à retrouver une voix, après le choc du 11 septembre dernier ?
Le Proche-Orient devrait être l'occasion, pour l'Europe et pour la France, de marquer leur retour sur la scène internationale en proposant d'avancer résolument vers la paix.
Qu'attendons-nous pour agir efficacement afin de mettre en place une force d'intervention au Proche-Orient ?
Une mondialisation de progrès et de justice sociale, c'est aussi le combat acharné contre le fléau du sida. Vous ne l'avez même pas évoqué. Vous parlez de nouvelle gouvernance mondiale. Mais comment concilier le libéralisme prédateur et la préservation de la planète ?
Les sénatrices et les sénateurs communistes sont lucides.
Les jours prochains, les mois qui viennent vont être l'occasion, pour les forces libérales, de porter de rudes coups aux plus défavorisés, au monde du travail.
Malgré nos revers électoraux,...
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Bernard Murat. En effet !
Mme Nicole Borvo. ...nous serons à leurs côtés pour résister, mais aussi pour ouvrir le chantier d'une nouvelle alternative démocratique.
M. Patrick Lassourd. C'est nous qui les sauverons !
Mme Nicole Borvo. Quelques axes intimement liés guideront notre action : la réduction des inégalités, le combat pour l'emploi et contre la précarité, l'égalité des femmes dans le travail et dans la cité, la défense et la modernisation des services publics et la redistribution des richesses, conditions fondamentales d'une France fidèle aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité que chacun se plaît à citer.
C'est cette France qui, demain, continuera à porter l'espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, je souhaiterais commencer mon intervention par quelques remarques d'ordre général.
Je constate, d'abord, que, depuis notre dernière session, les bancs du Gouvernement ont beaucoup changé. Vous-même, monsieur le Premier ministre, qui siégiez tout à fait à droite de notre hémicycle, avez changé de place, accompagné de plusieurs de nos ex-collègues, qui sont devenus ministres, ce qui est de nature à réjouir notre président. (Sourires.) Bien sûr, je mentirais en vous disant que ces changements nous ont remplis d'aise. (Nouveaux sourires.) Mais les électrices et les électeurs en ont ainsi décidé.
M. Nicolas About. Avec raison !
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Claude Estier. C'est la démocratie et nous la respectons.
Plusieurs sénateurs du RPR. Bravo !
M. Claude Estier. Vous êtes maintenant, comme on dit, « aux affaires », et je pourrais même aller jusqu'à vous souhaiter bonne chance, ce qui, bien évidemment, ne vaut nullement adhésion, comme vous le montrera la suite de mon propos.
M. Patrick Lassourd. Ça viendra !
M. Claude Estier. Vous disposez désormais de tous les pouvoirs, avec une majorité massive au Sénat, où elle existe de toute éternité, et, depuis le 16 juin, à l'Assemblée nationale. Je voudrais simplement que vous n'oubliiez pas les circonstances dans lesquelles cette majorité a été acquise.
M. Patrick Lassourd. C'est l'échec de la gauche !
M. Claude Estier. Le 21 avril, le projet porté par le Président de la République sortant avait recueilli moins de 20 % des suffrages et, si ce score a été porté au second tour à 82 %, c'est notamment parce que les électeurs de gauche se sont mobilisés d'une façon exceptionnelle,...
M. Robert Bret. Absolument !
M. Claude Estier. ... non pas pour approuver un projet, mais pour faire barrage à l'extrême droite.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Claude Estier. A partir de là, les élections législatives se présentaient favorablement pour vous et vos amis, sans que vous ayez vraiment à faire campagne autrement que sur le thème, martelé à profusion, du refus d'une nouvelle cohabitation.
M. Patrick Lassourd. Quelle caricature !
M. Claude Estier. Cela n'a pas empêché un record d'abstention, ce qui est en soi, tout le monde l'a dit, un phénomène très préoccupant pour notre démocratie.
M. Patrick Lassourd. C'est surtout l'échec de la gauche !
M. Claude Estier. Et, par un curieux paradoxe de l'histoire, l'inversion du calendrier électoral (Exclamations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) que vous tous avez combattue ici - et vous particulièrement, monsieur le Premier ministre -, vous a, finalement, bien servis !
M. Patrick Lassourd. Tel est pris qui croyait prendre !
M. Alain Gournac. Vous avez été piégés !
M. Georges Gruillot. Vous vous êtes pris les pieds dans le tapis !
M. Claude Estier. Vous êtes donc en place et, à partir de maintenant, c'est vous qui allez être jugés, non seulement par nous mais également par celles et ceux qui vous ont élus.
Vous avez fait grand bruit autour de l'audit que vous avez commandé à deux magistrats de la Cour des comptes.
M. Patrick Lassourd. Pas énormément !
M. Claude Estier. Le rapport qui vous a été remis n'a pourtant pas été une surprise pour vous. Depuis longtemps, le Président de la République,...
M. Patrick Lassourd. Ce n'est pas lui qui laissait dériver les comptes !
M. Claude Estier. ... le Premier ministre, le ministre des finances, les présidents des commissions de finances des deux assemblées sont régulièrement informés des comptes publics. Mais il fallait pouvoir laisser entendre dès maintenant que, si le nouveau gouvernement ne peut pas tenir toutes les promesses faites par le candidat Chirac pendant la campagne électorale, ce sera la faute... à Jospin !
M. Jean-Patrick Courtois. Oui !
M. Claude Estier. Ce que Le Figaro de vendredi dernier a parfaitement traduit en titrant en première page : « La facture des années Jospin complique la tâche du gouvernement Raffarin ».
M. Patrick Lassourd. Vous avez de bonnes lectures !
M. Claude Estier. S'il y a eu effectivement un certain dérapage ces derniers mois, du fait même d'une conjoncture économique moins favorable, il est exagéré de le présenter comme catastrophique, ce que ne disent d'ailleurs pas les auteurs du rapport. Il n'est pas dit non plus que la situation est moins mauvaise aujourd'hui que celle qui apparaissait dans l'audit de 1997, réalisé par les deux mêmes magistrats, notamment pour ce qui est du déficit public, qu'ils estimaient alors compris entre 3,5 % et 3,7 % du produit intérieur brut. La meilleure preuve en est que, compte tenu des mesures de rigueur alors envisagées pour que la France puisse être qualifiée à l'euro, le Président de la République avait décidé la dissolution de l'Assemblée nationale, dissolution qui eut pour conséquence de ramener la gauche au pouvoir et, du même coup, la cohabitation.
M. Patrick Lassourd. Il faut plutôt penser à l'avenir !
M. Claude Estier. Vous avez exprimé le souhait, monsieur le Premier ministre, qu'il n'y ait pas de polémique sur le passé. Nous vous en donnons acte, mais dites-le surtout à vos amis. Je pense, par exemple, à M. Meihaignerie, nouveau président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui a parlé de « mensonge d'Etat ».
De toute manière, donc, le Président de la République connaissait parfaitement la situation des finances publiques lorsqu'il a fait, dans sa campagne électorale, une série de promesses onéreuses qui vous créent aujourd'hui, quoi que vous en disiez, un certain embarras.
Au premier rang de ces promesses, la baisse uniforme de 5 % de l'impôt sur le revenu que vous allez présenter dans le projet de loi de finances rectificative.
Qu'il faille baisser le taux des prélèvements obligatoires, nous en sommes bien d'accord ! Le gouvernement précédent avait d'ailleurs commencé à le faire. Nous avons cependant déjà souligné que la mesure que vous proposez est injuste. En effet, une réduction de 5 % pour celui qui paie un gros impôt est évidemment plus considérable que pour celui qui en paie un faible. Cela veut donc bien dire que les gros revenus vont bénéficier de cette mesure beaucoup plus que les revenus moyens ou faibles. Quant aux Français les moins riches, ceux qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu et qui représentent tout de même la moitié des foyers fiscaux, ils ne bénéfieront de rien du tout !
C'est votre conception de la justice sociale, dont vous venez d'ailleurs de donner d'autres exemples en refusant tout coup de pouce sur le SMIC au moment même où vous donniez satisfaction aux médecins sur le tarif de la consultation, et ce sans véritable contrepartie susceptible de freiner la hausse constante des dépenses de santé à propos desquelles la « nouvelle gouvernance » que vous évoquez nous paraît particulièrement floue. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Quant à la justification que vous donnez à cette baisse uniforme de 5 %, elle est tout à fait discutable. Vous en attendez une relance de la consommation. Il est pourtant prouvé que les ménages les plus aisés ont la plus faible propension à consommer, alors que la moindre augmentation du pouvoir d'achat des plus défavorisés contribue largement au soutien de la consommation, comme on l'a vu, par exemple, avec la prime pour l'emploi mise en place par le précédent gouvernement.
J'ajoute que, si l'on regarde un peu chez nos voisins, une politique similaire de baisse d'impôt engagée en Allemagne, et avec le même objectif, est très loin d'avoir atteint les résultats attendus.
M. le ministre du budget a exprimé l'ambition de « réenchanter » les Français : après l'enchanteur Merlin, nous aurions le «réenchanteur» Lambert ! (Sourires.) Mais nous ne sommes plus au temps des magiciens, et ce n'est pas ainsi que vous y parviendrez. Pour réaliser l'ensemble de vos promesses, vous êtes devant une sorte de quadrature du cercle : partant d'une situation financière difficile, vous allez l'aggraver encore, d'un côté, par la perte des recettes qu'entraîneront la diminution de l'impôt sur le revenu ou la baisse des charges annoncées et, de l'autre, par les importants nouveaux crédits que vous entendez consacrer à la police et à la justice, sans même parler des dépenses militaires, que vous souhaitez augmenter dans le cadre d'une nouvelle loi de programmation. Vous êtes d'ailleurs un adepte des lois de programmation, puisque vous n'en annoncez pas moins de sept !
Pour résoudre ces contradictions, vous tablez sur un taux de croissance de 3 %, ce que nous souhaitons tous pour notre pays. Mais, même si la conjoncture économique s'améliore quelque peu, il est peu vraisemblable que vous puissiez vous fonder sur ce taux de 3 % dans l'élaboration du prochain budget.
Vous serez donc conduit à réduire d'autres dépenses. Nous aimerions savoir lesquelles, car vous êtes resté imprécis, et nous aimerions savoir également si vous ne serez pas tenté, sous prétexte de les adapter ou de les « assouplir », comme vous dites, de remettre en cause un certain nombre de réformes sociales acquises sous la législature précédente.
Nous nous interrogeons également sur le sens précis de la formule que vous avez utilisée au sujet des emplois dans la fonction publique.
Vous avez insisté sur la nécessité de renforcer l'autorité de l'Etat et d'engager davantage de moyens dans la lutte contre l'insécurité qui est, de toute évidence, l'une des grandes préoccupations exprimées par les Français. Le gouvernement précédent a déjà beaucoup agi dans ce sens, notamment avec la mise en place de la police de proximité. Nous ne contestons pas qu'il faille des moyens supplémentaires, mais il ne suffit pas pour cela de voter une loi de programmation. Je rappelle que celle qui fut votée pour la police et la sécurité en 1994 n'a jamais été appliquée. Trois ans plus tard, les augmentations d'effectifs prévues n'avaient pas vu le jour. C'est le gouvernement de Lionel Jospin qui les a réalisées.
Moyens supplémentaires et sanctions plus rapides, certes, mais le mal est plus profond et il exige, pour éviter le basculement précoce dans la délinquance, un véritable apprentissage des règles de vie en société ainsi que, enfin, une grande politique d'intégration. Nous serons donc très attentifs au contenu du texte qui doit nous être présenté au cours de cette session extraordinaire.
Vous avez beaucoup reproché au gouvernement précédent de n'avoir rien fait pour les retraites, ce qui n'est d'ailleurs pas exact.
M. Alain Gournac. Oh !
M. Claude Estier. Agir vite en ce domaine était l'un de vos arguments de campagne. Mais voilà, semble-t-il, que vous n'êtes plus aussi pressé et qu'il vous paraît urgent d'attendre jusqu'à la fin du premier semestre de 2003, après avoir engagé sur ce sujet une concertation avec les partenaires sociaux, que vous semblez vouloir beaucoup mettre à contribution - ce que vous n'avez d'ailleurs pas fait à propos du relèvement du SMIC.
Vous affirmez votre attachement à la retraite par répartition et nous en prenons acte. Force est évidemment de constater que votre grande idée, soutenue par le MEDEF, d'une formule de retraite par capitalisation est aujourd'hui sérieusement battue en brèche par la situation anarchique de la Bourse et la déconfiture d'un certain nombre de grandes entreprises, et que les fameux fonds de pension à la française chers au Président de la République ne sont plus tout à fait à l'ordre du jour.
Vous avez beaucoup insisté hier et ce matin encore, monsieur le Premier ministre, sur la relance de la décentralisation en vous faisant le chantre de ce que vous appelez la « République des proximités ».
Vous voulez en faire l'un des grands thèmes de l'action de votre gouvernement. Nous suivrons avec intérêt les projets que vous présenterez au Parlement sur ce sujet sur lequel la gauche a beaucoup travaillé. Mais quand vous annoncez une refonte des lois sur l'intercommunalité, l'aménagement du territoire, la solidarité et le renouvellement urbains - la SRU - et la démocratie de proximité, lois qui ont été adoptées sous l'ancienne majorité, nous nous interrogeons sur ce que cela veut dire : que restera-t-il de leur contenu même ?
Et quand j'entends, dans le message que nous a adressé mardi le Président de la République, que « le moment est venu de reprendre la longue marche si souvent contrariée vers la décentralisation », je suis tenté de rappeler que, voilà vingt ans, les premières lois de décentralisation, dites lois Mauroy-Defferre, furent le fait de la gauche...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Estier. ... et qu'à l'époque le député Chirac et ses amis du RPR s'y opposèrent vigoureusement. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac. Vous n'avez rien fait depuis cinq ans !
M. Claude Estier. Vous voulez développer l'expérimentation locale, ce qui entraînerait une révision constitutionnelle.
MM. Henri de Raincourt et René Garrec. Très bien !
M. Claude Estier. Ambitieux projet, mais nous attendons d'en connaître les modalités avant de nous prononcer, en sachant que si l'on ne s'attachait qu'à la seule architecture des pouvoirs locaux, on ferait l'impasse sur le contenu même de la politique territoriale. Vous avez parlé ce matin, monsieur le Premier ministre, de « cohérence » et de « proximité », mais nous attendons de savoir ce que vous voulez mettre concrètement derrière ces termes.
Un mot encore à propos du projet de loi d'amnistie adopté hier en conseil des ministres. Le texte que vous présentez correspond à ce qui est devenu, peut-être à tort, un rite après chaque élection présidentielle. Mais de nombreuses rumeurs, relayées notamment par un article assez précis dans le dernier numéro du Journal du dimanche et par un autre encore, mardi, dans Libération , laissent entendre que certains juristes travaillent actuellement à la préparation d'amendements qui auraient pour effet d'étendre l'amnistie aux affaires politico-financières.
Vous avez dit, monsieur le Premier ministre, qu'il n'en était rien et M. le garde des sceaux a répété dimanche que le Gouvernement sera défavorable à tout amendement allant dans le sens d'une amnistie de « tout ce qui, de près ou de loin, correspond à des actes de corruption ou tout ce qui peut être lié à un mélange entre les finances et la vie politique ».
Fort bien ! Mais il arrive souvent - vous le savez comme moi - qu'un amendement soit voté malgré l'opposition du Gouvernement. Nous voulons croire qu'avec la majorité encore docile dont vous disposez à l'Assemblée nationale - mais qui ne le sera peut-être pas toujours, si j'en crois une récente déclaration de M. Jean-Louis Debré - cela ne se produira ni maintenant ni plus tard, à l'occasion d'autres débats. Sachez, en tout cas, que nous serons particulièrement vigilants sur ce point.
Il y aurait encore beaucoup de sujets à traiter et d'inquiétudes à exprimer, par exemple sur ce que vous avez dit du fonctionnement des services publics, sur l'ouverture du capital d'EDF-GDF ou sur le peu que vous avez dit des problèmes de culture, de maîtrise de l'énergie, d'environnement et de développement durable. Mais je ne veux pas être trop long et nous aurons l'occasion d'en débattre au cours des prochaines semaines.
En attendant un grand débat sur la politique internationale de la France, qui me paraît tout à fait indispensable et urgent, je me bornerai à évoquer brièvement le problème de l'Europe, qui a été peu présent au cours des dernières campagnes électorales.
Tandis que la convention que préside M. Giscard d'Estaing poursuit ses travaux à Bruxelles, j'ai la conviction - partagée par mes amis - que nous sommes à un moment crucial pour l'avenir de l'Union européenne. Nous avons, les uns et les autres, pris position en faveur de son élargissement, mais nous voyons, jour après jour, les difficultés auxquelles se heurte cette perspective, aussi bien de la part de pays membres - je pense, notamment, à l'éventuel nouveau rejet par l'Irlande du traité de Nice - que de pays candidats à l'adhésion. Il est essentiel que la France définisse une politique claire qui nous permette de peser réellement, lors des prochaines étapes, en faveur d'une Europe plus politique et plus sociale, et nous voulons qu'à cette définition le Parlement soit mieux associé.
J'en arrive à ma conclusion. Il n'y a plus de cohabitation. Vous détenez tous les pouvoirs, ce qui peut toujours conduire à en abuser...
M. Henri de Raincourt. Non !
M. Claude Estier. ... mais ce qui, en même temps, ne vous laisse aucun prétexte pour ne pas tenir les engagements que vous avez pris. Et puisque vous nous annoncez que vous viendrez chaque année rendre compte de votre action devant le Parlement, nous verrons dans un an où vous en êtes par rapport à ce que vous nous dites aujourd'hui.
Nous sommes, nous, socialistes, désormais dans l'opposition dont le Président de la République nous a dit mardi qu'il serait attentif à ce qu'elle ait toute sa place, ce qui est bien la moindre des choses. Vous avez dit vous-même qu'il n'y a pas un camp qui a toujours raison et un autre qui a toujours tort. En tout cas, sachez-le, notre opposition, nous la voudrons constructive, mais je peux vous assurer, monsieur le Premier ministre, qu'elle sera aussi vigilante. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, l'état du monde et la situation de la France font à eux seuls un devoir de vous aider à réussir l'action que vous venez de présenter à la représentation nationale sous les auspices de la lucidité, du courage et de l'espoir. Mais votre discours de politique générale, monsieur le Premier ministre, est surtout convaincant par lui-même, par son inspiration comme par sa détermination.
Son inspiration est marquée par la recherche de la vérité. Vous le dites avec force en affirmant que la politique est une affaire de vérité. Vous le dites avec raison en spécifiant que celle-ci n'est pas dévolue en exclusivité à un camp, qu'on ne passe pas de l'ombre à la lumière en circulant dans l'hémicycle.
Autrement dit, et plus brutalement encore, la vérité n'est pas l'apanage du nombre et donc de quelque majorité que ce soit. Elle est une obligation universelle. Sa première exigence est tout simplement de ne pas mentir, de ne pas introduire de divorce entre les paroles et les actes. Votre discours d'aujourd'hui suscite notre approbation. Votre action de demain vous la conservera dans la mesure de votre propre fidélité à vos engagements.
Ceux-ci sont importants et nombreux. J'y adhère et je ne peux pas tous les citer pour les mettre en valeur. Je souhaite tout de même saluer au passage des signes puissants de votre message. « La France doit conserver sa capacité d'agir seule si ses intérêts propres et ses engagements bilatéraux l'exigent », avez-vous dit. Je sens là le souffle puissant du refus de la servitude. C'est l'inaliénable part de souveraineté qui fait qu'un peuple peut librement disposer de lui-même. J'y vois la caution du Président de la République.
Je veux aussi saluer votre volonté de repenser les dispositifs d'accueil de l'enfant pour créer l'allocation unique d'accueil du jeune enfant, pour garantir le libre choix de la mère, qu'elle exerce ou non une activité professionnelle. C'est la condition indispensable de revalorisation de l'éducation familiale, « lieu de fraternité », dites-vous. J'ajouterai : « lieu d'éducation à la responsabilité et au sens de la justice ».
La première socialisation est familiale. Vous voulez à juste titre faire preuve de fermeté face à la délinquance juvénile. Vous avez raison de souligner que cette fermeté comprendra une réponse éducative spécifique qui donne aux jeunes une chance de se réconcilier avec la société et, pour cela, d'abord avec eux-mêmes. Il faut affirmer que la prévention spécifique de la délinquance juvénile est d'abord familiale.
L'allocation unique d'accueil constitue le début de cette prévention. Respectant le libre choix de la mère, elle est fondée sur l'obligation d'éduquer aux vertus personnelles et sociales qui incombe d'abord aux parents, avec le soutien et le relais de la République. Cette éducation ne peut pas se faire sans une présence assidue auprès de l'enfant. C'est la première vérité d'ordre anthropologique que la politique doit honorer.
A force de vanter dans nos discours les vertus et les richesses de la famille, nous finirions par oublier qu'elle est d'abord une nécessité.
La République a su s'imposer à elle-même l'organisation de l'obligation scolaire. Elle doit aussi savoir s'imposer l'organisation de l'« obligation familiale », dirais-je par analogie. J'en discerne la première pierre dans votre discours, monsieur le Premier ministre.
Le « principe d'humanité » qui vous anime, monsieur le Premier ministre, vous inspire le projet d'une France porteuse d'un nouvel humanisme. J'y adhère avec confiance, car, en matière d'humanisme, il ne peut pas y avoir d'autre nouveauté possible que la satisfaction plus complète de l'exigence de vérité pour l'homme qu'il comporte.
L'humanisme est un, mais ses liens avec la politique sont complexes. Parce que « l'homme passe infiniment l'homme », comme l'a bien vu Pascal. L'homme est un projet livré à lui-même, absolument libre par certains aspects, mais dépendant par d'autres, puisque l'homme ne se donne pas la vie à lui-même et qu'il est tributaire de la communauté dans laquelle il vit.
Cette réalité complexe appelle, pour s'exprimer publiquement, sans aliénation ni oppression, un équilibre délicat. Dans la perspective du centenaire des lois de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat, il faut réfléchir à frais nouveaux au contenu de la laïcité. Cela s'impose d'autant plus avec la présence sur notre territoire d'importantes communautés religieuses non chrétiennes et avec le développement continu de la biologie. Il faudra donc savoir construire dans la vérité les solutions juridiques, notamment pour l'école, qui permettent à chaque enfant et à chaque adolescent de construire sa personnalité selon les exigences propres de sa foi et de sa raison, dans le respect de ceux qui ne les conjuguent pas de la même façon.
Cela ne pourra se faire sans une reconnaissance respectueuse de cette liberté humaine fondamentale, avec ses exigences les plus concrètes et pratiques en termes de mode de vie, de moeurs et d'existence collective. A défaut, la République laïque, une et indivisible, ne serait plus ni laïque ni indivisible, et son unité ne serait plus qu'oppressive et décadente. Il est incontestable que nous aurons tous un effort à faire pour nous élever à un degré supérieur de sagesse, indispensable pour relever ce défi exigeant et difficile. Il est celui de ce progrès de l'humanisme que vous appelez, monsieur le Premier ministre. Pour cela, je ne vous lésinerai ni mon concours ni ma confiance aussi longtemps que vous permettrez à tout citoyen de rendre justice toujours plus complètement à la dimension sacrée que tout homme porte en lui, à son âme où siège le dynamisme de notre fraternité et la source la plus légitime de votre autorité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le pays vient de fixer le cap pour les cinq ans qui viennent. La démocratie que l'on disait parfois moribonde s'est manifestée dans toute sa vitalité. Les Français que l'on pensait indifférents, ces Français que l'on croyait résignés ont pris la parole, et de quelle manière !
Mme Annie David. Cessez de réécrire l'histoire !
M. Robert Bret. Et le taux d'abstention ?
M. Henri de Raincourt. Quand on fait 3 % aux élections, on devrait être un peu modeste ! (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Ivan Renar. Vous ne pourrez que chuter ! C'est vous qui êtes menacés !
M. Alain Gournac. Ils vont nous donner des leçons !
M. Robert Bret. Vous fardez la réalité !
M. le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !
Nous allons écouter l'orateur sans l'interrompre.
M. Nicolas About. En plus, c'est un bon orateur !
M. Robert Bret. Qu'il ne nous provoque pas ! Il ne veut pas voir la réalité !
M. Henri de Raincourt. C'est vous qui m'avez provoqué !
Partagés entre insatisfaction, espoir et inquiétude, les Français ont exprimé leur rejet de la cohabitation et leur souhait d'être gouvernés autrement. Ils ont affirmé leur attachement à la République et leur refus des extrémismes. Ils ont, une nouvelle fois, crié haut et fort leur besoin d'être écoutés et entendus.
Ironie de l'histoire, ceux qui ont modifié le calendrier électoral... (Ah ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac. Voilà qui est intéressant !
M. Henri de Raincourt. ... dans le but vain d'assurer leur victoire ont été punis par là où ils ont pêché : l'assurance de la domination et la suffisance. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Quel contraste, monsieur le Premier ministre, avec la démarche que vous avez entreprise avec votre gouvernement depuis le 7 mai.
Mes chers collègues, nous n'avons pas oublié ces rentrées parlementaires où l'on nous considérait avec condescendance !
Rappelez-vous combien il était difficile de nous faire entendre d'une opinion publique que l'on disait grisée par la croissance et que l'on prétendait aveuglée par les sondages.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Henri de Raincourt. C'était dit, c'était écrit : une vague rose allait conduire la France au bonheur ! (Rires sur plusieurs travées du RPR.) Mais, de rose, la vague s'est faite bleue. Les Français n'ont pas oublié qu'une élection présidentielle, c'est d'abord la rencontre entre un homme et le peuple.
M. Robert Bret. 20 % !
M. Henri de Raincourt. A la république des sondages, ils ont préféré la république des urnes.
M. Nicolas About. Et celle du coeur !
M. Henri de Raincourt. Si un bilan ne permet pas toujours de gagner une élection, à coup sûr, il peut la faire perdre. En imposant des mesures hasardeuses et non financées, le précédent gouvernement pensait répondre aux attentes des Français. Mais, en réalité, il n'avait pas mesuré que leurs préoccupations étaient autres et ailleurs.
Ce qui compte, c'est non pas tant ce que l'ancien Premier ministre a fait mais tout ce que son gouvernement n'a pas fait alors que la croissance lui en donnait les moyens. Ce qui compte, ce sont les chances qui ont été gâchées, perdues. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Ca, c'est clair !
M. Henri de Raincourt. Quand nous voyons les effets pervers et destructeurs de la loi sur les 35 heures comme autant de bombes à retardement, nous comprenons mieux pourquoi les électeurs ont désavoué Mme Aubry. La « dame des 35 heures » restera à jamais le seul ministre à avoir multiplié par cinq le nombre de SMIC sans en réalité augmenter le pouvoir d'achat.
A ce point de mon propos, je rappellerai les chiffres concernant le SMIC et le « coup de pouce » dont on nous rebat les oreilles, en oubliant ce qui s'est passé ces dernières années.
Souvenons-nous : en 1995, la revalorisation du SMIC était de 2,2 % ; en 1996, de 0,16 % ; en 1997, de 2,26 % ; en 1998, de 0,45 % ; en 1999, en 2000, elle était égale à zéro, et, en 2001, elle s'élevait à 0,2 % ... (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, de l'Union centriste et ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Philippe Nachbar. Quel bilan !
M. Henri de Raincourt ... alors, de grâce !
En réélisant Jacques Chirac, les Français ont fait le choix du coeur et de l'expérience. En envoyant une nouvelle majorité à l'Assemblée nationale, ils ont signifié leur volonté d'en finir avec la cohabitation et de remettre la Ve République à l'endroit.
Ces circonstances ont conduit le Président de la République à faire appel à vous, monsieur le Premier ministre, pour diriger le gouvernement de la France. C'est un véritable bonheur pour nous.
Au moment où s'ouvre une nouvelle page de la vie politique de notre pays, nous ne saurions dissimuler notre fierté : fierté pour les Républicains et Indépendants de voir l'un des leurs pour la première fois, accéder à cette haute fonction et incarner l'indépendance d'esprit, la liberté de ton qui nous sont chères ; fierté aussi de voir un homme de terrain qui a fait ses preuves faire entendre à Matignon la voix des Français ; fierté, enfin, de voir pour la deuxième fois sous la Ve République un sénateur exercer la responsabilité du pouvoir exécutif, quarante-trois ans après Michel Debré.
Qualifié d'« anomalie pour la démocratie » par l'ancien Premier ministre,...
Plusieurs sénateurs du RPR. Eh oui !
M. Alain Gournac. On s'en souvient !
M. Henri de Raincourt. ... le Sénat vient d'offrir à la République son successeur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Alors, méfiez-vous pour la suite !
M. Alain Gournac. Il faut avoir de la mémoire !
M. Robert Bret. On en aura !
M. Henri de Raincourt. Mes chers collègues, j'aime l'histoire contemporaine quand elle écrase les certitudes hâtives et partisanes.
C'est dire si votre présence et celle de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, honorent notre assemblée. Elle est un signe fort auquel nous sommes sensibles.
Votre démarche tranche en effet avec l'attitude distante, pour ne pas dire méprisante, qui fut celle de votre prédécesseur à l'endroit du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Plus encore, elle témoigne de la volonté de votre gouvernement d'associer pleinement le Parlement à la mise en oeuvre du projet du Président de la République, approuvé par les Français, quoi qu'on en dise ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Quand, partout en Europe, les idées d'humanisme, de liberté et de responsabilité triomphent, nous nous réjouissons qu'elles progressent en France.
En 1997, les deux tiers des gouvernements de l'Union européenne étaient dirigés par des socialistes ; aujourd'hui, il n'y en a plus beaucoup ! (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) C'est probablement que, sous une forme ou sous une autre, cela n'apporte pas suffisamment de bonheur aux Européens. (Rires sur les mêmes travées.)
Pour la première fois depuis vingt et un ans, notre majorité présidentielle va disposer de la durée. Pour la première fois également, nous avons un projet, un chef et un mouvement rassemblé.
C'est une chance : sachons la saisir ! Osons faire preuve de « l'audace réformatrice » à laquelle vous nous invitez ; osons porter sans complexe le débat sur les terrains où la gauche entretient l'illusion de l'imagination et de la générosité !
En effet, la satisfaction de la victoire est vite tempérée par la réalité qui se découvre peu à peu. Ce qui est en question, au-delà de la gestion courante des affaires de la France, ce n'est pas simplement le gouvernement des hommes ; ce qui est en cause, c'est notre destin commun, c'est le rayonnement de la France en Europe et dans le monde, c'est notre conception de la personne humaine et de sa place dans une société ouverte et dure.
Après cinq ans de majorité rose, rouge, verte, la France est bloquée, comme paralysée par le doute et la peur du lendemain. Soumis à des lois uniformes, traités comme des usagers, des administrés, pire, comme des assujettis, les Français sont assistés sans être considérés ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Ils ont ainsi perdu peu à peu confiance dans l'action collective et en ceux qui ont l'honneur de la porter. Or aucune politique ne peut réussir sans un climat de confiance.
Avec le Président de la République, avec vous, monsieur le Premier ministre, sachons puiser dans cette crise morale les raisons et la force de contribuer au redressement de notre pays.
A nous d'offrir une espérance et de redonner le goût de vivre ensemble à nos compatriotes. A cet égard, le Gouvernement et sa majorité ont à la fois un devoir de modestie, un devoir d'écoute et un devoir d'action.
Un devoir de modestie, tout d'abord, face à l'immensité de la tâche qui nous attend. Le redressement de la France ne peut être mené à bien que dans la durée. Les Français le savent. En même temps, ils sont impatients et attendent des résultats : ne les décevons pas.
Ayons sans cesse à l'esprit le devoir d'écoute qui s'impose à chacun de nous. Nombre de nos compatriotes ont le sentiment qu'il y a deux poids, deux mesures entre une France engagée et une France protégée ; deux poids, deux mesures quand les salariés cotisent plus longtemps que les fonctionnaires pour leur retraite ; deux poids, deux mesures quand le délinquant appréhendé a plus de droits que la victime ; deux poids, deux mesures quand l'inactivité est mieux rémunérée que le travail. (M. Alain Gournac approuve.)
Ces mots, ces témoignages, combien de fois les avons-nous entendus durant la campagne qui vient de se dérouler dans notre pays !
Or, nous le savons tous, quand chacun se met à regarder dans la « gamelle du voisin », la fracture civique n'est pas loin. Le taux élevé d'abstention et le vote extrême sont là pour nous le rappeler.
C'est dans le devoir d'action que nous trouverons la réponse aux préoccupations de nos concitoyens. A cet égard, monsieur le Premier ministre, je salue les premières semaines de votre gouvernement, riches d'espoir et de promesses. En un mois, vous avez donné l'impulsion et les Français ont à nouveau, me semble-t-il, le sentiment d'être gouvernés par des gens comme eux. (Aplaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Qu'il s'agisse de la baisse des impôts, qui n'est nullement un cadeau fait aux riches mais qui est un devoir national, qu'il s'agisse de la sécurité et de la justice, premiers devoirs de l'Etat, les textes d'ores et déjà inscrits à l'ordre du jour du Parlement correspondent aux priorités nationales.
La méthode de gouvernement proposée et les orientations indiquées hier dans votre déclaration de politique générale, confirmées ce matin avec beaucoup de brio et de chaleur, vont incontestablement dans le bon sens.
Je pense tout naturellement, en particulier au Sénat, à la décentralisation. « L'Etat n'arrive pas à faire le nécessaire et il voudrait s'occuper du superflu. » (Sourires.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Comme Tocqueville, nous sommes nombreux à penser que l'Etat n'a pas le monopole de l'intérêt général.
La ligne que vous avez définie et confirmée en matière de décentralisation nous convient tout à fait. Il nous tarde de nous y engager avec ardeur et passion.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Pour enraciner la démocratie et réconcilier les Français avec la politique, nous devons favoriser leur engagement au service des autres. Nous devons les faire participer aux décisions qui intéressent leur vie quotidienne.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Henri de Raincourt. Pour apporter des réponses au plus près des réalités et des besoins, nous devons expérimenter et permettre la diffusion des responsabilités.
Représentant des collectivités territoriales, le Sénat a vocation à faire ou à confirmer des propositions allant dans ce sens. En effet, un travail en profondeur a été réalisé dans cette maison en direction des libertés locales. Il existe un terreau fertile dans lequel le Gouvernement pourra utilement puiser.
Faire confiance aux acteurs de terrain, c'est aussi la meilleure manière de permettre à l'Etat d'être efficace et de se concentrer sur ses missions essentielles. Nous attendons de l'Etat qu'il facilite les initiatives en simplifiant les lois et les procédures, qu'il crée les conditions favorables à la création et au développement des entreprises.
N'oublions jamais une réalité simple et de bon sens qui, bien que n'étant pas un proverbe poitevin, (Sourires) a tout de même beaucoup de signification : pour redistribuer des richesses, il faut commencer par les créer. (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Vous l'avez dit à propos du dialogue social : nos entreprises, ce sont nos emplois. Elles sont un lieu privilégié d'accomplissement personnel. Elles ne peuvent se développer que si elles fonctionnent bien, non seulement sous l'angle économique, mais aussi sous l'angle social et humain. C'est largement d'elles que dépendent notre prospérité et notre cohésion sociale.
L'Etat peut bien dépenser toujours plus ; toutes les lois sociales n'y pourront rien si les personnes exclues du marché de l'emploi ne retrouvent pas leur autonomie et, plus encore, la conscience qu'elles ont d'être utiles aux autres.
Des citoyens plutôt que des assujettis, grâce à la formation et à l'insertion : c'est ainsi que nous retisserons le lien social défait par le chômage ; c'est ainsi que nous restaurerons l'égalité des chances.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, les Français attendent de vous, de nous, que nous remettions le pays dans une voie nouvelle et différente. La jeunesse attend de vous, de nous, des raisons d'espérer pour son avenir et l'avenir de notre pays.
Comme je l'ai souvent entendu dire au cours de cette campagne, « soyez l'espoir de ceux qui n'ont plus d'espoir » !
La réforme, expliquons-le à nos compatriotes, est non pas une punition, mais une chance qui passe et qu'il faut saisir. Fort d'une majorité absolue, le Gouvernement doit convaincre pour entreprendre et réaliser les réformes dont notre pays a besoin et pour mener à bien son projet collectif : un projet, je le sais, qui veut mettre la liberté au service de l'homme ; un projet qui défend une certaine conception de la personne humaine, de son autonomie et de sa dignité ; un projet qui, pour reprendre votre propos, monsieur le Premier ministre, puise aux sources d'un « nouvel humanisme » et place l'homme au coeur de la société.
M. Charles Revet. Parfait !
M. Henri de Raincourt. Dans l'effort engagé pour rétablir l'autorité de l'Etat, libérer les énergies créatrices et renouer le lien social, le Président de la République et votre gouvernement savent pouvoir compter sur notre indéfectible soutien.
Avec vous, nous désirons faire vivre en harmonie une majorité qui conjugue unité et diversité ; une majorité où chacune de nos familles aura toute sa place sans occuper toute la place ; une majorité qui, loin de penser à elle-même, choisira tout simplement l'accomplissement de son devoir.
Avec vous, nous voulons bâtir une France rassemblée et rayonnante, une France plus humaine, où chaque citoyen sera considéré comme une personne égale aux autres en dignité, en droits et en devoirs ; une France, comme l'a écrit le général de Gaulle, « allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du renouveau ».
En votant la confiance au Gouvernement, notre groupe, avec tous les sénateurs de la majorité présidentielle, veut voter en faveur d'un nouvel élan pour la France. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le Premier ministre, c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai pris connaissance de votre déclaration de politique générale et que j'ai écouté votre intervention ce matin.
Vous demandez à la Haute Assemblée de soutenir votre politique. Si j'en juge par les applaudissements nourris de la majorité des membres du Sénat, il me semble que c'est chose assurée !
M. Charles Revet. Il n'y a pas photo !
M. François Fortassin. Je représente ici les radicaux et la famille de l'opposition. Votre déclaration, monsieur le Premier ministre, m'inspire quelques réflexions.
Tout d'abord, je note que l'UMP, dénomination récente, concentre désormais entre ses mains toutes les clés du pouvoir.
Vous disposez ainsi d'une majorité écrasante au Parlement, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, et vous contrôlez le pouvoir exécutif, sans parler d'autres structures très proches ! On peut considérer que l'UMP devrait suivre fidèlement les consignes du chef de l'Etat. Je ne vois rien de particulier à cela : c'est la loi de la démocratie, mais il appartient aussi à l'opposition d'exercer sa vigilance constructive.
Cette concentration des pouvoirs ne tolère, à l'évidence, aucune erreur stratégique, qu'il s'agisse des objectifs du chef du Gouvernement ou de la façon de gérer en fonction des priorités gouvernementales. La marge de manoeuvre est, à mes yeux, assez étroite.
Je ne crois pas inutile de rappeler que, dans l'hypothèse d'un échec, que personne ne souhaite et qui serait d'ailleurs dramatique pour notre pays, l'on s'exposerait à la montée des extrémismes et à une très forte accentuation de l'abstention. Ce fait doit, à mon sens, amener l'ensemble de la classe politique de ce pays à s'interroger.
Par ailleurs, je voudrais également souligner que le Gouvernement devra composer, durant tout le mois de juillet, avec un calendrier extrêmement serré, où devront trouver place l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, du projet de loi d'amnistie et du collectif budgétaire, ainsi que l'élaboration d'un certain nombre de décrets. Cette situation n'est pas du tout anormale, mais la période précédant les vacances est réduite.
M. Alain Gournac. Au boulot !
M. François Fortassin. Il ne faudrait pas que cela entraîne l'adoption d'un rythme de travail « stakhanoviste », ce qui serait préjudiciable à la réflexion. Or la précipitation, que vous avez d'ailleurs, monsieur le Premier ministre, dénoncée en certaines circonstances, nous guette. Enfin, je relève, monsieur le Premier ministre, que, dans votre déclaration de politique générale, vous n'avez pas mis à mal - cela est vrai pour l'instant du moins - nombre des lois votées au cours de la précédente législature. C'est la preuve implicite que vous considérez qu'un certain nombre d'entre elles vont dans le bons sens !
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas sûr !
M. René Garrec. C'est à voir !
M. François Fortassin. C'est ainsi que j'ai interprété vos propos, mais peut-être ne nous avez-vous pas tout dit ! (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Charles Revet. Attendez de voir venir !
M. François Fortassin. Je vous donne acte, quoi qu'il en soit, de votre déclaration de politique générale, que j'ai d'abord particulièrement appréciée. Elle s'inscrit dans une démarche de modestie. Cependant - je le dis en souriant - en voyant, sur ma droite,...
M. Nicolas About. Tout dépend du point de vue selon lequel on se place !
M. François Fortassin. ... les visages de certains collègues, je me demande si ce temps de la modestie n'est pas révolu. Mais c'est peut-être l'approche de l'été et des vacances, certes un peu retardées, qui vous rend particulièrement joyeux, mes chers collègues ! N'y voyez pas malice de ma part ! (Exclamations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Patrick Lassourd. Pourquoi faudrait-il que nous soyons tristes ?
M. François Fortassin. Mon propos portera maintenant sur les objectifs retenus par le Gouvernement dans des domaines qui me semblent primordiaux.
Certes, en matière sociale, des dossiers difficiles vous attendent, monsieur le Premier ministre. Ils ont déjà été évoqués, aussi passerai-je rapidement sur ce point. Néanmoins, il est évident qu'ils appellent des réponses claires et nettes, ainsi que la transparence dans la prise des décisions. Vous avez invoqué le sens du dialogue, et, à l'évidence, nous ne pouvons qu'adhérer à ce principe.
Je m'attarderai davantage sur le problème des retraites, pour souligner que, d'une part, vous êtes bien sûr favorable au système de la retraite par répartition, si cher aux Français et très apprécié d'ailleurs dans le monde entier, mais que, d'autre part, vous n'excluez pas le recours à la capitalisation. Il faut reconnaître que cette idée est particulièrement séduisante sur un plan intellectuel, mais on peut se demander si, dans l'hypothèse où elle serait mise en oeuvre à l'avenir, le respect du principe d'égalité serait véritablement garanti.
M. Alain Gournac. On peut ne rien faire !
M. François Fortassin. En effet, d'ici à quelques années, des personnes ayant exercé la même activité durant toute leur carrière pourraient alors, au moment de la retraite, se trouver dans des situations considérablement différentes, d'autant que, dans ce pays, il n'a jamais été interdit à ceux qui voulaient le faire de placer de l'argent.
M. Jean-Patrick Courtois. Oui !
M. François Fortassin. Je crois donc que l'Etat s'honorerait de jouer dans ce domaine un rôle de régulateur. J'y reviendrai tout à l'heure.
Quoi qu'il en soit, la constitution de fonds de pension à la française peut apparaître, je le redis très clairement, comme un principe très séduisant sur le plan intellectuel. Cependant, j'attends quand même de voir les résultats de son application, puisque l'avantage d'être sénateur, même si la durée du mandat doit être légèrement réduite, c'est que l'on dispose de quelques années pour juger de la mise en oeuvre des politiques.
M. Alain Gournac. Vous avez déjà attendu cinq ans !
M. François Fortassin. Les 35 heures constituent un autre dossier important, que tout le monde considère comme épineux. J'ai noté que vous ne comptiez pas abroger ce dispositif, monsieur le Premier ministre, et nous attendrons, bien entendu, de connaître les adaptations auxquelles vous voudrez bien procéder en ce domaine.
Enfin, une inquiétude se fait jour au sujet des finances publiques, comme l'a montré le récent audit.
Mme Nelly Olin. Oh oui !
M. François Fortassin. Vous souhaitez réaliser des économies : nous voudrions savoir assez rapidement lesquelles. A cet égard, nous sommes un certain nombre dans cette assemblée, appartenant tant à la majorité qu'à l'opposition, à exercer des fonctions au sein des exécutifs locaux ; vous-même, monsieur le Premier ministre, en avez assumé d'importantes en tant que président de région. Dès lors, mes chers collègues, je vous interroge : ceux d'entre vous qui exercent ou ont exercé des fonctions exécutives ont-ils eu un jour l'occasion de constater une diminution du nombre des fonctionnaires dans les services qu'ils dirigeaient ? Le cas doit être très rare !
On peut bien entendu mieux gérer - chacun s'y attache - mais l'on sait aussi que l'on ne réalisera pas forcément des économies très substantielles, d'autant, monsieur le Premier ministre, que vous nous promettez, ce qui est une bonne chose, de renforcer certains effectifs, notamment dans la police et dans les services du ministère de la justice.
S'agissant des thèmes que vous avez évoqués ce matin, nous ne pouvons, bien entendu, qu'être d'accord.
« Restauration de l'autorité républicaine » : quel homme politique de notre pays s'y opposerait ?
M. Alain Gournac. Il fallait le faire !
Mme Nelly Olin. Il était temps !
M. François Fortassin. « Dialogue social » : qui ne le souhaite pas ?
M. Alain Gournac. La gauche !
M. Charles Revet. Alors, pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Nicolas About. Il fallait le faire !
M. François Fortassin. « La décentralisation, oxygène de la République »,...
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. François Fortassin. ... j'adhère, monsieur le Premier ministre, avec l'idée du couple Etat-région et du couple département-commune.
M. Henri de Raincourt. C'est sage, très sage !
M. François Fortassin. Donner une certaine autonomie financière aux collectivités territoriales me paraît être une excellente chose (Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) , mais encore faudrait-il l'assortir de la péréquation, sinon vous allez créer des disparités considérables entre des départements comme la Lozère, les Hautes-Alpes ou la Haute-Saône et les départements mieux lotis.
M. Robert Bret. Bien sûr !
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. François Fortassin. « Nouvelle alliance avec l'Europe », d'accord !
Enfin, avec une des formulations qui vous sont chères et que nous vous connaissions déjà lorsque vous siégiez dans cette assemblée, vous avez évoqué, monsieur le Premier ministre, le concept de « France d'en bas ». Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu'en baissant les impôts de 5 %,...
M. Henri de Raincourt. Par an !
M. François Fortassin. ... alors que l'on sait que 50 % des Français ne payent pas d'impôts, vous vous adressiez forcément à cette France d'en bas.
M. Claude Estier. Très bien !
M. François Fortassin. Vous avez aussi évoqué l'école, égalité des chances, garante de l'indépendance et de la cohésion républicaine. Personnellement, j'aurais apprécié que l'on parle d'« école républicaine », car, vous le savez, nous, radicaux, sommes très attachés à l'égalité des chances.
Je souhaiterais que l'Etat joue aussi un rôle de régulateur pour éviter certains effets pervers et dérives du libéralisme sauvage.
M. Alain Gournac. Oh !
M. François Fortassin. Sur ce point, je n'ai rien entendu de très approprié.
Pour conclure, nous, radicaux, qui sommes très attachés aux valeurs d'humanisme, de laïcité, de droit à la différence, mais aussi de justice sociale, nous nous situerons dans une opposition qui sera à la fois constructive et vigilante. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le Premier ministre, la tâche qui incombe au gouvernement que vous dirigez est immense. Nous sommes nombreux à le savoir ici et, comme l'a démontré votre déclaration de politique générale, vous en avez réellement une conscience aiguë.
Ce que la retenue qui est la vôtre vous a conduit à n'évoquer qu'indirectement, c'est la dimension historique des responsabilités qui pèsent sur vos épaules. Cet aspect essentiel de l'action qu'il vous appartient de conduire me paraît devoir être souligné.
Nombreux sont ceux qui ont évoqué ce point, la secousse politique du 21 avril dernier ne doit pas, en effet, être mésestimée.
M. Charles Revet. Il est vrai que c'est très important !
M. Gérard Larcher. Elle a failli ébranler les fondements du pacte républicain. Si elle se renouvelait au terme des cinq années qui s'ouvrent désormais devant nous, nul ne peut prédire que la grande mobilisation démocratique du 5 mai dernier se répéterait avec cette ampleur et cette puissance. Qui s'aventurerait aujourd'hui à affirmer que de tels ébranlements pourraient se reproduire sans fissurer le socle des valeurs républicaines autour desquelles la France s'est rassemblée au second tour de l'élection présidentielle puis lors des élections législatives ? Les urnes de mai et de juin, plus heureuses, ne doivent pas occulter celles d'avril !
Oui, l'un des défis majeurs du Gouvernement est de conjurer pour l'avenir le danger que l'on a vu poindre au premier tour de l'élection présidentielle. Oui, sa politique doit constituer un remède à cette potion dissolvante pour la démocratie qui voit s'additionner un tiers d'abstentions et un tiers de votes extrémistes face à un tiers de votes républicains.
La direction à suivre pour ce faire a été clairement tracée par M. le Président de la République dans son message au Parlement avant-hier : « au sursaut démocratique des Français doit répondre un véritable sursaut politique pour rendre à l'action publique sa force et son efficacité »
Il nous faut répondre à la très forte attente de réformes d'ampleur exprimée par le pays. Il nous faut assurer à nos concitoyens une plus grande égalité et une plus grande solidarité devant les risques de la vie.
Plus grande attention portée aux préoccupations des Françaises et des Français, exigence d'une plus grande sécurité, meilleure reconnaissance du territoire dans sa diversité, élan en faveur d'une véritable reconnaissance de la valeur du travail, davantage d'efficacité des pouvoirs publics, plus grande équité face à la retraite, tels sont quelques-uns des appels lancés pas l'opinion. Telles sont les lacunes qui ont alimenté les votes extrêmes et l'abstention.
Le pays a, en définitive, soif de réformes structurelles. Il ne faut pas le décevoir.
Mais, paradoxalement, il est dans le même temps un des pays de l'Union européenne où les forces hostiles à l'adaptation aux changements du monde qui nous entoure apparaissent les plus vigoureuses.
Décembre 1995 et la paralysie des transports publics, mars 2000 et le collapsus de l'administration fiscale, ou encore des mouvements sociaux marqués par l'oubli de l'autre et parfois par la violence, en sont des illustrations marquantes. Mais il y en a d'autres.
Ces formes d'allergie aux réformes, cette sorte de détournement des moyens de la puissance publique pour défendre des intérêts catégoriels expriment sans doute moins un affaissement de la morale collective que la crainte et les peurs des Français face à des évolutions qu'ils comprennent mal. C'est pourquoi, monsieur le Premier ministre, pour réformer, il faut d'abord faire oeuvre pédagogique.
Il convient aussi de prendre garde que les crispations conservatrices des uns ne portent pas atteinte à l'idéal républicain d'égalité partagé par la plupart.
Les Français ne pouvaient-ils pas légitimement s'étonner, pendant la campagne pour l'élection présidentielle, d'entendre sur les ondes des publicités pour la PREFON - régime de retraite par capitalisation réservé aux fonctionnaires - alors que certains des partenaires sociaux représentés au bureau de cette organisation s'étaient déclarés - et continuent d'ailleurs à se déclarer - opposés à tout régime de retraite complémentaire par capitalisation pour les autres salariés ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Henri de Raincourt. C'est incroyable !
M. Gérard Larcher. Pour ce qui me concerne, je ne peux croire que les partenaires sociaux - je les connais bien - soient prêts à défendre l'idée de « deux France » voire de « trois France » mitoyennes mais séparées par des murs réservant les avantages sociaux les plus appréciables à l'une d'entre elles. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Je me refuse à le croire, mais reconnaissons qu'il faut être vigilant.
A côté du défi d'intégration que constituent le chômage et l'exclusion, une fissure sociale n'est-elle pas en train de s'élargir entre une France exposée au vent de la concurrence qui a su s'adapter avec succès mais aussi avec beaucoup d'efforts et une France protégée qui apparaît trop souvent tétanisée par la perspective du changement ?
C'est pourquoi il nous faut réveiller toutes les énergies et associer tous nos citoyens, à commencer par les premiers concernés : les agents publics. Oui, il faut les associer à la modernisation de l'Etat et de nos services publics.
Il y va du maintien de leur rôle clef dans notre pays. Il y va de l'amélioration de notre efficacité collective et de la sauvegarde de l'unité du tissu national.
Les difficultés qui se dressent sur la voie tracée et que vous avez citées hier et ce matin sont nombreuses. Ainsi, l'hôpital connaît de grandes difficultés. Mais pour la première fois depuis le début de la Ve République, mes chers collègues, l'hôpital a été pris en compte dans une déclaration de politique générale d'un chef de gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) C'est dire l'importance que le Premier ministre accorde à cette mission essentielle de service public et d'intérêt général, quel que soit d'ailleurs le statut des établissements.
Vous avez clairement dit hier, monsieur le Premier ministre, que l'intérêt du malade passe par la confiance et l'implication des personnels hospitaliers, dont vous avez rappelé le dévouement, mais aussi la responsabilité.
Il y a les hommes, il y a les structures. Vous avez annoncé votre volonté d'assouplir la gestion de l'hôpital pour mieux l'adapter aux nécessités d'un service public et d'intérêt général et pour le rendre plus moderne et plus proche de la population.
Vous avez proposé une nouvelle gouvernance de la santé : régionalisation accrue, débat parlementaire sur la politique de santé, prise en compte de la prévention et de l'éducation en santé. Tels sont les axes que vous avez tracés et que nous partageons, au-delà même des clivages politiques.
M. François Gerbaud. Très bien !
M. Gérard Larcher. L'indispensable plan de relance de l'investissement hospitalier, que vous avez baptisé, « Hôpital 2007 », est désormais un engagement du Gouvernement.
Vous avez également annoncé la réforme de la loi de 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées, en reconnaissant la nécessité d'un droit à la compensation du handicap. C'était une véritable attente.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Gérard Larcher. Vous avez souhaité vous attaquer aux grandes difficultés, voire aux injustices, de la mise en oeuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie concernant nos aînés.
Plus largement, vous voulez libérer le dynamisme créateur naturel aux Français, qui est aujourd'hui trop étouffé. Cela vous conduit à engager en fait une cure de désintoxication de notre économie vis-à-vis de la dépense publique. Or la dépendance est forte. La dépense publique représente aujourd'hui 53 % de notre PIB.
M. Henri de Raincourt. C'est horrible !
M. Gérard Larcher. Qui plus est, cette dépense publique est de moins en moins orientée vers les budgets essentiels - défense, police, justice - et vers les équipements structurels du territoire, indispensables à toute politique d'aménagement et de rééquilibrage de ce dernier. Elle est de plus en plus affectée aux aides sociales : RMI, chômage, retraite, aide au logement. Celles-ci sont sans doute nécessaires, mais dès lorsqu'elles représentent plus de 29 % du PIB et augmentent de 3,2 points en cinq ans, nous devons nous interroger.
Passer d'une économie où comme M. le président de Raincourt l'a dit, l'assistance prend une part de plus en plus grande à une économie qui, tout en reposant sur des solidarités affirmées, soit davantage orientée vers la responsabilité, l'efficacité et la créativité annonce une sorte de révolution culturelle par rapport aux trente dernières années.
Dans un tel contexte, réformer pour répondre aux aspirations profondes du pays n'est pas aisé. Cela demande volonté, courage et lucidité. Monsieur le Premier ministre, vous n'en manquez pas, et vous avez la chaleur en plus pour réussir !
Cela exige des objectifs clairement fixés : votre déclaration de politique générale les a nettement établis.
Cela nécessite des leviers puissants. Le renforcement de la décentralisation et le dialogue social préalable en sont, et je sais que ce dernier s'engage déjà !
La réalisation des grandes ambitions que vous avez tracées appelle également un soutien du Parlement. Je pense qu'il ne vous fera pas défaut.
La question qui se pose plutôt est de savoir en quoi le Sénat, ses commissions, en particulier la commission des affaires économiques dont vous êtes issu, monsieur le Premier ministre,...
M. Josselin de Rohan. Il a été bien formé ! (Sourires.)
M. Ivan Renar. Et qui est le président de la commission des affaires économiques ?...
M. Gérard Larcher. ... peuvent vous aider à réaliser le vaste programme qui est le vôtre.
Etre prêt à dire « présent » aux sollicitations du Gouvernement est la première réponse qui vient à l'esprit.
Cette présence doit se comprendre comme un appui n'excluant pas l'expression de complémentarités d'appréciation, voire de divergences, seule à même de garantir un dialogue fécond entre le Gouvernement et le Parlement.
Cependant, il est sans doute possible d'aller plus loin. Des institutions comme le Sénat et ses commissions permanentes, dans la diversité des sensibilités qui les composent, peuvent être des forces de proposition, des explorateurs des champs d'action dont les contours ont été tracés. Elles peuvent être des examinateurs attentifs, voire des « démineurs », des dossiers les plus délicats, en bref le cadre naturel d'expression des idées de ces experts politiques du terrain que sont, qu'on le veuille ou non, les sénateurs.
Depuis le mois d'octobre dernier, la commission que je préside, dans la fidélité à ses compétences, qui vont « du sillon au satellite », a ouvert plus de douze chantiers. Sous des formes diverses - missions d'information, groupes de travail, groupes de réflexion, rapports divers - ces chantiers constituent un vaste travail de réflexion situé en amont du processus législatif.
Les sujets abordés, notamment dans le domaine agricole - quel avenir pour la politique agricole commune ? -,...
M. Henri de Raincourt. Grave question !
M. Gérard Larcher. ... rejoignent les contours des exigences que vous avez affirmées hier. La commission des affaires économiques a traité de sujets aussi sensibles sur le plan technique et social que les OGM, l'eau et la faune sauvage, les services publics, l'avenir des grandes entreprises publiques et leur adaptation, les négociations de l'OMC, les grandes infrastructures pour relever le défi du frêt, et les zones franches urbaines. Sur ce dernier point, je me suis réjoui, hier, monsieur le Premier ministre, de voir vos propositions rejoindre les conclusions du rapport d'étape du rapporteur de notre commission.
Nos travaux soulignent la nécessité de libérer les entreprises des carcans réglementaires et fiscaux. Souvenez-vous, monsieur le Premier ministre, de ce que vous disiez dans cette enceinte à propos des incubateurs, de la lourdeur des procédures. Je crois donc que nous pouvons ensemble mettre en oeuvre une réforme.
Les réflexions menées au sujet des entreprises publiques confirment la nécessité de soumettre leur indispensalbe adaptation à la nouvelle donne européenne et mondiale à la définition préalable et parallèle d'un projet industriel et d'un projet social. Vous l'avez indiqué hier.
Les réflexions menées sur les entreprises publiques amènent également à rappeler que ces adaptations doivent s'effectuer dans la confortation des services publics qu'elles assurent. Ce renforcement des services publics n'impose pas le maintien des monopoles d'hier mais exige une régulation vigilante des secteurs concernés.
Telles sont des voies sur lesquelles nous pouvons, me semble-t-il, apporter au Gouvernement la force de notre réflexion et de notre expérience.
Sur tous ces sujets, l'approche idéologique des problèmes me paraît être proscrite dans vos propos, car elle est trop réductrice de la réalité.
Ce qui est privilégié, c'est le souci pragmatique de dégager les solutions concrètes les mieux adaptées à la situation à traiter et les plus à même de permettre à la France de gagner.
Monsieur le Premier ministre, oui, nous vous faisons confiance, car nous vous connaissons. Oui, nous allons être à vos côtés pour, dans le cadre du souffle humaniste que, avec le Président de la République, vous nous faites partager, contribuer à cette France proche et forte qui construira sur l'indispensable réussite économique la cohésion nationale et les solidarités nouvelles. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.