SEANCE DU 23 JUILLET 2002


M. le président. « Art. 10. - Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles.
« Toutefois, si ces faits ont donné lieu à une condamnation pénale, l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles est subordonnée à l'amnistie ou à la réhabilitation légale ou judiciaire de la condamnation pénale.
« Sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l'amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l'honneur, à la probité, ou aux bonnes moeurs. La demande d'amnistie peut être présentée par toute personne intéressée dans un délai d'un an à compter soit de la promulgation de la présente loi, soit de la condamnation définitive. »
L'amendement n° 39, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Compléter le premier alinéa de l'article 10 par les mots suivants : "sauf dans les cas de mise en danger d'autrui. »"
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. L'article 10 tend à amnistier les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles. Cette disposition comporte une liste d'exclusions : les faits qui ont donné lieu à une condamnation pénale - la règle de l'amnistie des sanctions professionnelles suit donc la règle pénale, si je puis dire - et la possibilité, pour le Président de la République, d'exercer ce que l'on appelle toujours, je crois, la grâce amnistiante.
A l'article 13 figurent des dispositions qui excluent, à bon droit, les employeurs qui ont méconnu leurs obligations en matière de sécurité des travailleurs. Dès lors, on se trouve dans une situation assez étrange : l'employeur qui méconnaît les règles de sécurité dans le travail n'est pas amnistié, ce qui est normal, mais celui qui commet une faute professionnelle grave qui risque de faire exploser l'atelier, blesser ses voisins ou ses collègues, etc., lui est amnistié.
Je propose donc qu'il n'y ait pas deux poids, deux mesures. Je sais bien que, comme le disait Jean-Pierre Sueur cet après-midi, par définition, une loi d'amnistie est une loi très inégalitaire. Mais nous touchons là à des sujets dont nous avons longuement débattu ici, notamment à l'occasion de l'examen de la proposition de notre collègue M. Fauchon. On ne peut pas se permettre d'amnistier ce qui met en danger la vie d'autrui. On exclut cette possibilité en matière de conduite automobile. On ne peut donc pas amnistier la faute professionnelle grave qui a mis en danger la vie d'autrui et qui a justifié une sanction.
Par conséquent, je propose de compléter le premier alinéa de l'article 10 par les mots : « sauf dans les cas de mise en danger d'autrui. » Ainsi, que l'on soit un employeur ou un salarié, si l'on a mis en danger la vie d'autrui, c'est la même règle qui s'applique : on est exclu de l'amnistie M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission émet un avis défavorable, dans la mesure où la notion de mise en danger d'autrui est en réalité une notion de droit pénal. Or l'article 10, dans lequel on veut l'introduire, traite exclusivement des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles.
Par conséquent, l'amendement de M. Charasse n'a pas sa place à cet endroit, ce qui explique la position de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'ai le même avis que la commission.
S'il s'agit d'un délit, l'article 13 l'exclut ; s'il s'agit d'une faute professionnelle, elle entre dans la catégorie des faits contraires à l'honneur de la profession, et l'amnistie n'est pas possible non plus : quel que soit le cas de figure, de telles conduites sont exclues de l'amnistie.
L'amendement est donc inutile.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 39.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Ce que vient de dire M. le ministre est important, mais il a été clair sans l'être totalement.
Si le ministre considère qu'une faute professionnelle mettant en cause la vie d'autrui, même lorsqu'elle n'a pas été suivie d'une plainte au pénal - parce que l'employeur, le dirigeant ou le patron se contente souvent, dans un premier temps, d'une bonne sanction professionnelle - est un manquement à l'honneur exclu en tant que tel de l'amnistie, alors je n'insiste pas. Mais si l'on doit amnistier des fautes de cette nature, qui sont des fautes graves !...
Je connais dans mon département plusieurs entreprises où il est arrivé que des employés commettent des fautes graves, des fautes lourdes, risquant par exemple de flanquer le feu à l'établissement : on ne peut pas amnistier ce genre d'agissements ! Et ce n'est pas parce qu'une telle faute n'a pas été suivie d'une plainte au pénal qu'il faut passer l'éponge sur la sanction disciplinaire !
M. le président. Monsieur Charasse, est-ce à dire que vous êtes prêt à retirer cet amendement ?
M. Michel Charasse. Cela veut dire, monsieur le président, que si le ministre opine, comme l'écrirait le Journal officiel (Sourires) ,...
M. Dominique Perben, garde des sceaux. On peut même dire que le ministre acquiesce explicitement !
M. Michel Charasse. ... je retire mon amendement !
M. le président. L'amendement n° 39 est retiré.
L'amendement n° 19, présenté par M. Cointat, Mme Brisepierre, MM. Del Picchia, Duvernois et Guerry, est ainsi libellé :
« Après le premier alinéa de l'article 10, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sont également comprises dans les dispositions de l'alinéa précédent les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre des élèves par des établissements d'enseignement français à l'étranger visés à l'article L. 451-1 du code de l'éducation ou entrant dans le champ de compétence de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger visé aux articles L. 452-2 à L. 452-5 dudit code. »
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. L'amnistie couvre les sanctions administratives, ce qui inclut les sanctions disciplinaires prises dans les établissements d'enseignement français. Or la France dispose d'établissements d'enseignement également hors de son territoire.
Il est donc nécessaire d'assurer une égalité de traitement entre tous les élèves, et ce d'autant plus que des sanctions disciplinaires prononcées à l'étranger - notamment l'exclusion d'un établissement, qu'elle soit temporaire ou de longue durée - peuvent avoir des conséquences extrêmement graves pour l'enfant qui en est l'objet.
Or le Conseil d'Etat, selon une ordonnance de référé d'avril dernier, ne reconnaît pas aux sanctions prises par un établissement relevant de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, le caractère d'actes administratifs susceptibles d'être attaqués pour excès de pouvoir. On peut donc s'interroger sur l'application du projet de loi que nous examinons à ces établissements, qui, du fait de leur statut, sont couverts par les articles L. 452-3 et L. 452-4 du code de l'éducation : l'article L. 452-3 vise les établissements en gestion directe, qui relèvent du service public et ne devraient pas poser de difficulté, tandis que l'article L. 452-4 est relatif aux établissements conventionnés par l'Agence. Or ces derniers établissements sont des écoles de droit privé, même s'ils portent le nom de lycées et sont totalement soumis aux principes d'enseignement français. En particulier, les livrets scolaires sont les mêmes que dans les établissements de l'éducation nationale et donnent accès aux mêmes écoles françaises, qu'elles soient en France ou à l'étranger.
L'amendement n° 19 vise donc à éviter toute discrimination à l'égard des jeunes Français de l'étranger scolarisés dans un établissement du réseau français, quel que soit son statut, et c'est pourquoi je vous demande de bien vouloir l'approuver.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission a écouté M. Cointat avec intérêt et a prêté une grande attention à ses arguments. Cependant, avant de se prononcer, elle souhaiterait entendre l'avis du Gouvernement, car elle se demande si ce point ne risque pas d'avoir des conséquences au-delà des établissements français d'enseignement.
Dans le cas contraire, si la question soulevée ne concerne que les établissements français d'enseignement, les propos de M. Cointat prennent toute leur valeur et sont des arguments de sagesse.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Si tous les établissements d'enseignement français à l'étranger relevaient de l'éducation nationale, votre amendement serait sans objet, monsieur le sénateur, et c'est l'argument que je m'apprêtais à vous opposer.
Mais vous avez évoqué le cas des établissements qui, selon le Conseil d'Etat, n'entrent pas dans le cadre de l'enseignement public parce qu'ils sont régis par contrat et dont les décisions sont d'une nature différente, ce qui m'amène à revenir sur ma position initiale.
Il semble en effet plus prudent d'être explicite et de ne laisser subsister aucun doute dans le texte de la loi.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 19.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Si je comprends bien, M. Cointat propose d'étendre aux établissements français à l'étranger une mesure qui lui paraît se déduire des dispositions de l'article 10, de façon que toutes les sanctions disciplinaires prononcées dans les établissements publics - et, je suppose, dans les établissements privés sous contrat, mais ce point n'est pas clair - soient amnistiées.
Est-ce à dire, monsieur le ministre, qu'un élève qui a été mis à la porte d'un collège ou d'un lycée, après de nombreux avertissements, parce qu'il était vraiment trop turbulent et qu'il dérangeait trop peut revenir demain dans son établissement taper à la porte et se faire réinscrire ?
M. Christian Cointat. Non !
M. Michel Charasse. Si ! A la prochaine rentrée scolaire, il peut revenir !
Cela veut dire qu'à l'étranger, par exemple - il m'arrive, M. Cointat le sait, de visiter moi aussi des établissements français à l'étranger dans le cadre de la mission de contrôle de la commission des finances -, si un élève est exclu parce que l'on considère qu'il a des relations assez fortes avec des milieux terroristes dangereux, il est amnistié !
Je ne suis pas contre l'amendement de M. Cointat, mais je veux comprendre : je veux savoir ce qui attend les principaux de collèges ou les proviseurs de lycées en France, à la rentrée, si toutes les sanctions disciplinaires d'exclusion sont amnistiées. Sans même parler de l'enseignement privé sous contrat, où j'ignore ce qu'il adviendra, je pose également la question pour les établissements français à l'étranger, lorsque des élèves, comme cela peut se produire dans certains pays sensibles, auront été exclus en raison de relations un peu trop fortes avec des milieux terroristes risquant de contaminer l'établissement ou de perturber gravement son bon fonctionnement. Devra-t-on les accepter de nouveau à la prochaine rentrée scolaire ? Je pose ces questions, auxquelles on n'a pas forcément envie de répondre.
Quelle que soit ma sympathie - et elle est grande - pour mes collègues représentant les Français de l'étranger, j'hésite un peu à voter l'amendement n° 19, car je crains de donner l'impression d'approuver ce qui se passerait dans les établissements français en France.
M. Christian Cointat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Il ne faut pas confondre une sanction disciplinaire avec la sanction pénale d'une action ou d'un délit pour terrorisme. Cela n'a rien à voir !
Je voudrais vous donner lecture du texte de la circulaire du ministère de l'éducation nationale, qui concerne, bien entendu, les précédentes lois d'amnistie et qui s'applique aux établissements français, qu'ils soient publics ou privés sous contrat, c'est-à-dire conventionnés, le Conseil constitutionnel ayant reconnu, le 3 juillet 1988, que l'amnistie pouvait également s'appliquer aux établissements privés : « Il est rappelé que les lois d'amnistie concernent aussi les sanctions administratives et donc les sanctions disciplinaires prononcées par une autorité administrative. Elles entraînent l'effacement des sanctions prononcées. Les faits commis avant la date qu'elle fixe ne peuvent plus faire l'objet de poursuites disciplinaires. Les sanctions prononcées avant son entrée en vigueur sont regardées comme n'étant pas intervenues, de sorte que si un élève qui a fait l'objet d'une exclusion définitive d'un établissement sollicite une nouvelle inscription, cette demande ne peut être rejetée au motif de ladite sanction, à laquelle l'administration ne peut plus faire référence. »
L'amendement n° 19 tend donc à introduire une égalité de traitement, dont l'absence aurait des conséquences beaucoup plus graves à l'étranger. En France, un élève peut toujours s'inscrire dans un autre établissement, car l'école est obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans. A l'étranger, en revanche, même si notre réseau est très performant et très étendu par rapport à celui d'autres pays, nos compatriotes ne peuvent guère espérer mieux qu'une école sur le lieu de leur résidence. Si l'enfant ne peut pas s'y réinscrire - ce qui peut arriver dans certains établissements où règne une très grande sévérité, que je ne condamne pas, mais qui dépasse parfois ce qui se pratique habituellement -, son choix sera simple : ou bien il rentrera en France, ce qui pose des problèmes s'il est très jeune, ou bien il suivra les cours d'enseignement à distance ; et là !...
Soyons logiques : si nous acceptons ce dispositif pour le territoire français, nous devons l'accepter pour nos établissements à l'étranger ; si nous le rejetons pour le territoire français, nous devons le rejeter pour nos établissements à l'étranger.
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Christian Cointat. Puisqu'il est accepté et que tout le monde reconnaît qu'il s'applique, je vous demande simplement, mes chers collègues, d'instaurer une égalité de traitement qui me paraît relever de la plus simple justice.
M. le président. Monsieur Charasse, vos appréhensions sont-elles apaisées ?
M. Michel Charasse. Je ne reproche nullement à M. Cointat de vouloir aligner la situation des établissements français à l'étranger sur celle des établissements en France. De ce point de vue, le principe d'égalité doit s'appliquer.
Ce que je conteste, c'est l'application dans les mêmes termes de la circulaire de 1988 que M. Cointat nous a lue, qui risque de permettre à un élève qui a été exclu - et je vous prie de croire que l'exclusion d'un élève est peu fréquente, qu'elle est longue et difficile à obtenir et qu'il faut batailler pendant des semaines - de revenir à la rentrée flanquer la pagaille dans son établissement. Je n'y suis pas favorable. Je souhaite que nous y réfléchissions à deux fois avant de voter l'article 10, et je pense que, pour nous laisser le temps de la réflexion, il serait opportun de repousser cet article afin que la commission mixte paritaire puisse trancher ce point.
Pour ma part, je voterai contre l'article 10.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. J'avais souligné tout à l'heure que les arguments de M. Cointat avaient frappé la commission, qui y avait porté un grand intérêt.
Je précise que rien n'oblige l'établissement à reprendre l'élève qui aurait été amnistié, monsieur Charasse, et qu'il reste libre, malgré l'amnistie de l'élève, de ne pas le réintégrer à la rentrée suivante. Il ne faut donc pas porter attention aux seuls faits exceptionnels, et je vous ferai la réponse de Pyrrhus dans Andromaque : « Seigneur, trop de soucis entraînent trop de soins, je ne sais pas prévoir les malheurs de si loin. »
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 19.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 40, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Après les mots : ", à la probité,", rédiger comme suit la fin de la première phrase du dernier alinéa de l'article 10 : "aux règles relatives à la mise en cause de la République, de l'autorité de l'Etat ou de l'autorité publique ou aux bonnes moeurs". »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. En réalité, il s'agit plutôt d'un amendement d'appel.
Il me paraissait en effet difficile que le Président de la République puisse accorder la grâce amnistiante à une personne qui aurait manqué « aux règles relatives à la mise en cause de la République, de l'autorité de l'Etat ou de l'autorité publique ou aux bonnes moeurs ». Mais puisque les manquements à l'honneur figurent dans le projet de loi, si l'on peut considérer qu'ils recouvrent les cas que je viens de citer, monsieur le garde des sceaux, je n'insisterai pas.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Il en est bien ainsi !
M. Michel Charasse. Je retire donc mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 40 est retiré.
M. Michel Charasse. Je vote contre !
Je mets aux voix l'article 10, modifié.

(L'article 10 est adopté.)

Article 11