SEANCE DU 25 JUILLET 2002


ORIENTATION ET PROGRAMMATION
POUR LA JUSTICE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion après déclaration d'urgence du projet de loi (n° 362, 2001-2002) d'orientation et de programmation pour la justice. [Rapport n° 370 (2001-2002) et avis n° 374 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de présenter devant le Sénat ce projet de loi d'orientation et de programmation qui tend à mettre en oeuvre, pour ce qui concerne la justice, l'action du Gouvernement pour rétablir l'autorité de l'Etat et garantir la sécurité des Français.
Vous connaissez l'attachement de ce gouvernement au bicamérisme. Je tiens à rendre hommage à M. Garrec, président de la commission des lois, à MM. Fauchon et Schosteck, rapporteurs au fond, à M. Arthuis, président de la commission des finances, ainsi qu'à M. Haenel, rapporteur pour avis.
Le travail de grande qualité que vous avez su mener à bien, messieurs les présidents, messieurs les rapporteurs, en dépit du calendrier chargé de la présente session extraordinaire, traduit la connaissance concrète qu'ont les élus de la Haute Assemblée des problèmes de nos concitoyens.
M. le président. Merci, monsieur le garde des sceaux, des compliments que vous adressez au Sénat ; nous y sommes très sensibles !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. En effet, vos travaux, comme ceux des missions d'information et des commissions d'enquête sénatoriales, montrent à quel point ce projet répond à un besoin urgent et important.
Jamais sans doute l'attente des Français envers la justice n'a été aussi forte ; jamais sans doute la justice n'eut à faire face à une telle crise de confiance des citoyens dans la capacité de l'institution à assurer ses missions. C'est ainsi que nous lisons, pour ce qui concerne la justice, les résultats des dernières élections, et singulièrement du premier tour de l'élection présidentielle.
Il est vrai que les questions posées par la justice, pierre angulaire de notre société, ne sont qu'un des aspects des crises profondes qui traversent la collectivité nationale : crise des valeurs et de l'autorité, crise de confiance dans l'Etat, crise des rapports sociaux.
Certes, depuis De l'esprit des lois de Montesquieu, très nombreux ont été les diagnostics et les prescriptions touchant les maux dont a souffert et continue de souffrir notre justice. Faut-il ajouter que, depuis 1945, pas moins de 250 rapports ont posé un regard à la fois inquiet et exigeant sur son état et sur son devenir ?
Mais aujourd'hui encore, le diagnostic est très largement partagé sur les maux d'une justice trop lente, complexe, opaque et lointaine. Et si l'on en est là, ce n'est pas dû aux magistrats, aux fonctionnaires de justice, aux éducateurs ou aux surveillants, dont l'engagement et le professionnalisme sont d'autant plus à louer qu'il n'ont cessé de faire face à des charges toujours plus lourdes et à des missions sans cesse plus étendues et difficiles, avec des moyens perpétuellement en retard.
J'ai été frappé, lors des nombreuses rencontres que j'ai eues place Vendôme, dès mon arrivée, avec les professionnels de la justice, par le découragement, voire le désarroi, devant le manque de moyens adaptés, mais aussi par la passion de tous ces hommes et de toutes ces femmes qui se dévouent pour la justice.
Je me garderai bien de passer sous silence tout ce qu'ont fait, depuis vingt-cinq ans, mes prédécesseurs, qui ont beaucoup accompli, dans le temps imparti par le rythme de la vie démocratique, avec des moyens qu'il leur fallait défendre avec la même énergie que celle qu'ils avaient mise à les acquérir. Je veux parler d'Alain Peyrefitte, qui, avant d'être des vôtres, a posé un diagnostic d'ensemble sur les maux et les besoins de la justice, de M. Badinter, dont je salue la présence dans cet hémicycle, qui a lancé le mouvement de modernisation des juridictions. Ce mouvement a été poursuivi et amplifié par MM. Chalandon et Toubon, qui ont su obtenir, en 1987 et en 1996, des budgets demeurés sans précédents. Je citerai encore M. Méhaignerie, auteur de la précédente loi de programmation, si précieuse pour conforter les moyens de la justice entre 1994 et 2000.
Mais, malgré tous ces efforts, la justice n'est pas venue à bout de ses difficultés. Elles tiennent, d'une part, à la montée des contentieux et de la délinquance, aggravée par les effets de l'inflation législative. Elles tiennent, d'autre part, à une persévérance insuffisante dans le temps et à l'instabilité des objectifs.
Des priorités multiples et changeantes, des moyens insuffisants ou saupoudrés affaiblissent immanquablement les actions entreprises.
Plus récemment enfin, l'insuffisance démontrée des moyens face aux charges accrues par des réformes ignorant tout sens des réalités est venue perturber le fonctionnement du système judiciaire.
Si l'on ajoute à cela les promesses non financées - je pense, par exemple, à l'annonce de 11 000 places de prison, à la réforme du statut des greffiers ou encore à l'énorme extension du champ de l'aide juridictionnelle sans réflexion concomitante sur le niveau de rémunération des avocats -, on comprend que, à la fin de l'an 2000 et dans le cours de l'année 2001, la justice ait connu un mouvement de manifestations sans précédent de la part des magistrats, des fonctionnaires de justice, des éducateurs, des agents de l'administration pénitentiaire et des avocats. L'heure est venue, conformément aux engagements du Président de la République, de se donner les moyens d'agir en tirant les leçons de ces occasions manquées et de ce temps perdu pour remettre avec certitude l'institution judiciaire en mesure de faire face durablement à ses missions.
C'est pourquoi le projet de loi d'orientation et de programmation que j'ai l'honneur de soumettre au Sénat offre, je crois, une chance historique. Il doit constituer le socle d'un renouveau de la justice au service des Français.
Telle est, en effet, l'ambition de ce projet de loi : consolider la justice en la dotant de moyens suffisants - moyens matériels et humains, moyens juridiques, moyens de gestion - pour qu'elle devienne plus sereine, apaisée et efficace.
Ainsi, au contraire des politiques qui ont promis sans agir ou qui ont voulu « refaire le monde » sans résultat tangible, en provoquant déception et scepticisme, mieux vaut mener une action concrète, simple mais déterminée, qui, au total, permettra d'instituer une justice plus proche, plus rapide et plus effective.
Pour conduire ce changement, deux conditions de méthode sont à remplir. Il faut, d'une part, disposer d'un outil suffisamment puissant pour donner l'effet de levier indispensable pour progresser ; les moyens ne doivent pas être saupoudrés à doses homéopathiques entre un trop grand nombre de priorités. Il faut, d'autre part, que les moyens soient déployés dans la durée, condition essentielle de la cohérence et de la continuité.
Avec le suivi et le soutien attentifs du Parlement, une telle programmation est de nature à garantir un socle sûr à la modernisation de la justice.
Ce projet de loi d'orientation et de programmation est, je crois, sans précédent. Il a été préparé sans perdre de temps, dès l'entrée en fonction du Gouvernement, ce qui permettra une mise en oeuvre rapide et un suivi cohérent au cours de la présente législature.
La programmation de moyens considérables garantit sur la période de son exécution une progression plus importante que celle qui a été réalisée dans le passé. Ces moyens, je tiens à le souligner, portent non seulement sur l'investissement et les emplois, mais aussi sur les crédits de fonctionnement.
Enfin, et c'est là une approche nouvelle, le présent texte ne se contente pas de la seule mise en place de moyens supplémentaires ; il vise aussi à leur meilleur emploi pour d'évidentes raisons d'efficacité et d'économie des dépenses publiques.
C'est pourquoi les moyens seront accompagnés de textes et d'actions visant à un meilleur fonctionnement afin de moderniser par la gestion autant que par le droit.
Il s'agit de définir des modes de gestion et des procédures permettant à la justice de traiter des affaires avec plus de sérénité, de fluidité et d'efficacité sans pour autant porter atteinte aux principes fondamentaux protecteurs des libertés.
Ces trois modernisations, par les moyens, par la gestion et par le droit passent par un investissement fort de la collectivité nationale. Elles nécessitent aussi un engagement sans faille des agents du ministère de la justice, dont le professionnalisme devra être reconnu à la mesure de leurs mérites, qui sont grands.
Cette loi de programme scelle un nouveau contrat entre les Français et leur justice. Comme tous les contrats, il devra être exécuté avec exactitude par tous les partenaires.
Je remercie vivement la Haute Assemblée, au nom du Gouvernement, pour l'importance et la qualité de sa contribution à ce projet.
Ce texte doit aussi beaucoup aux apports et aux réflexions de l'ensemble des représentants du personnel et des partenaires de l'institution judiciaire, qui ont répondu dans des délais très courts à ma demande de consultation. Qu'ils en soient aussi vivement remerciés.
J'en viens à l'examen des dispositions du projet de loi.
Je commencerai par les dispositions de programmation.
Nos concitoyens souhaitent avant tout, dans les domaines de la justice et de la sécurité comme dans d'autres secteurs de l'action publique, des résultats concrets et rapides.
L'efficacité de la réponse globale à l'insécurité nécessite une vraie cohérence entre l'action en amont, qui est celle de la police et de la gendarmerie, et l'action en aval, menée d'abord par les juges et ensuite par les services éducatifs ou d'exécution des décisions de justice qui relèvent de la Chancellerie.
Le premier objectif de ce texte est donc de donner à la justice les moyens matériels et humains d'agir en ce sens pour la période 2003-2007.
Le projet que je vous soumets fixe le montant global des crédits affectés au ministère de la justice à 3,650 milliards d'euros en dépenses ordinaires et en capital.
Pour les investissements, une enveloppe de 1,75 milliard d'euros en autorisations de programme est prévue.
Il s'agit bien, vous l'avez compris, d'un effort supplémentaire. Ce projet de loi de programmation, tout comme celui de la sécurité intérieure, prévoit expressément que les ressources qu'il mobilise doivent s'ajouter à la reconduction annuelle des moyens ouverts en 2002. Il va même plus loin en précisant que cette enveloppe s'ajoute aux augmentations structurelles de dépenses de personnel qui résultent de l'évolution du point fonction publique, d'une part, et du glissement vieillesse et technicité, d'autre part.
Ce texte détermine une somme globale des crédits à ouvrir non seulement en autorisations de programme et en nombre d'emplois, mais aussi - c'est un point important - en dépenses de fonctionnement général et de crédits de paiement correspondant aux autorisations de programme ouvertes dans le cadre de la loi.
L'effort consenti permettra de déployer une action globale et cohérente, utilisant l'ensemble des moyens à la disposition de la Chancellerie.
Les 10 100 emplois créés par le projet de loi, ce qui représente une augmentation globale de quelque 15 % par rapport aux 7 273 emplois créés pendant la précédente législature, sont ainsi répartis : 4 450, soit une hausse de 16 %, pour les services judiciaires, 480 pour le Conseil d'Etat et les juridictions administratives, ce qui marque une progression de 20 %, 3 740 pour l'administration pénitentiaire, soit une hausse de 15 %, 1 250 pour la protection judiciaire de la jeunesse, soit une augmentation de 25 %, et 180 pour l'administration centrale de la Chancellerie.
J'ajoute une autre dimension à cet effort sans précédent : pour accompagner la modernisation de la justice, il m'apparaît indispensable de procéder à des revalorisations indemnitaires et statutaires à la mesure des responsabilités et des charges accrues correspondant aux objectifs du projet de loi. Je pense, en particulier, aux greffiers et à leurs nouvelles fonctions d'assistance aux décisions des magistrats.
Au titre des investissements également, le Gouvernement vous propose de mobiliser des moyens sans précédent.
Je suis heureux de vous présenter ce texte avec Pierre Bédier, secrétaire d'Etat chargé des programmes immobiliers de la justice, qui m'aidera à mobiliser à la fois les services de la Chancellerie et les partenaires extérieurs au ministère de la justice. Je pense, en particulier, aux collectivités locales, dont vous savez combien le rôle peut être déterminant, notamment dans la phase des acquisitions foncières.
Le niveau des autorisations de programme mis en place, qui doit s'ajouter au niveau des engagements antérieurs, double l'effort d'investissement, déjà très significative, du ministère.
Une large part de ces investissements ira au secteur pénitentiaire.
De nouveaux établissements seront construits. Sur un total de 11 000 places, 7 000 correspondent à une augmentation de capacité et 4 000 au remplacement de bâtiments vétustes.
Des établissements spécialement réservés aux mineurs seront créés. J'y reviendrai.
Ce projet de loi facilitera la réalisation d'opérations immobilières en partenariat avec le secteur privé.
Certaines dispositions importantes concernent à la fois la police, la gendarmerie et le ministère de la justice.
Les opérations menées avec les partenaires privés, avec lesquels l'Etat conclura des contrats de location avec option d'achat ou de crédit-bail, ont été regroupées dans le projet de loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure que vous examinerez dans quelques jours. Il en va de même pour les dispositions concernant les opérations à réaliser en concertation avec les collectivités locales, qui pourront, dans certaines conditions, bénéficier d'attributions du fonds de compensation de la TVA.
Des dispositions spécifiques aux investissements immobiliers de la justice sont, en revanche, incluses dans le présent texte. Elles tendent à redonner une pleine efficacité au dispositif de 1987, remis en cause par l'évolution récente de la législation sur les marchés publics.
D'autres dispositions facilitent les expropriations pour remédier aux difficultés d'acquisition de terrains propres aux rénovations pénitentiaires figurant dans le projet.
Deux actions très importantes, je tiens à le souligner, accompagneront la programmation : d'une part, la gestion sera modernisée, tant au regard du fonctionnement administratif et financier que des méthodes de traitement des contentieux ; d'autre part, le Gouvernement rendra compte chaque année au Parlement de l'état d'avancement de la loi de programmation ainsi que des résultats obtenus, et c'est pourquoi le projet prévoit une évaluation de ces résultats.
Venons-en, maintenant, aux dispositions de fond ou d'orientation.
J'évoquerai, tout d'abord, le juge de proximité.
Un Etat de droit doit offrir à tous les citoyens les moyens juridiques propres à assurer, en toute circonstance, une protection efficace de leurs droits et la défense des libertés publiques. Cette exigence démocratique implique que l'Etat mette à la disposition du citoyen-justiciable des voies et moyens d'action accessibles, efficaces, rapides et simples.
Nous améliorons l'efficacité de la justice en rapprochant la justice des justiciables, notamment grâce à l'institution du juge de proximité.
Avec le juge de proximité, nous créons une véritable juridiction. C'est un engagement majeur du Président de la République. Les Français attendent qu'une véritable justice de proximité soit entièrement consacrée, en matière civile comme en matière pénale, au traitement des petits litiges du quotidien, qui restent trop souvent sans réponse.
Dans un sondage réalisé par l'institut CSA entre le 24 juin et le 3 juillet 2002 auprès d'un échantillon national représentatif, 90 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables à la création de cette juridiction.
Vous connaissez les caractéristiques de ces juges de proximité. La justice de proximité, c'est un juge, un magistrat, qui rendra de véritables jugements, s'imposant à tous. Son statut sera intégré au statut de la magistrature par le projet de loi organique que j'ai présenté hier au conseil des ministres.
Autrement dit, si vous adoptez, dans le cadre du présent texte, le principe et les compétences du juge de proximité, vous pourrez ensuite, dans le cadre du projet de loi organique, préciser les dispositions qui garantissent son statut et son indépendance. Sous réserve des adaptations rendues nécessaires par les modalités de son intervention, les garanties dont bénéficieront les juges de proximité seront de même niveau que celles qui protègent les juges professionnels. Ainsi, ils seront nommés par décret du Président de la République, pris sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte sera inscrit à l'ordre du jour du Parlement à l'automne.
Il existe une juridiction de proximité : le tribunal d'instance. Le Gouvernement a choisi de créer une juridiction autonome nouvelle. Ce choix clair m'apparaît comme le plus lisible pour nos concitoyens, qui pourront s'adresser à une juridiction individualisée.
Je conviens volontiers qu'un autre choix était possible, qui eût consisté à rester dans le cadre du tribunal d'instance et à assister les juges d'instance de magistrats non professionnels. Le rapporteur de votre commission des lois pour cette partie du projet, M. Pierre Fauchon, est particulièrement sensible à ce choix, qui se situe dans la lignée des magistrats à titre temporaire créés en 1995. On sait que six seulement sont en activité actuellement, sur treize postes créés, sans doute en raison d'un manque de clarté pour le justiciable.
La création d'un juge de proximité autonome est plus claire pour nos concitoyens. Cette création n'est nullement défavorable au tribunal d'instance, qui reste - je tiens à le dire - une juridiction absolument fondamentale.
Je pense - et nous sommes en complète convergence de vues avec votre rapporteur sur ce point - qu'il faut, sans doute, réfléchir à l'articulation de deux niveaux de contentieux : d'une part, un niveau de contentieux technique et, d'autre part, un niveau de contentieux plus proche des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens, qui intéressent au premier chef les tribunaux d'instance et la justice de proximité.
J'indique que 3 300 juges de proximité seront recrutés en cinq ans, notamment parmi les auxiliaires de justice. Ces juges seront titulaires d'un diplôme juridique, bien sûr, mais aussi d'une qualification liée à leur expérience professionnelle du droit. Ils seront formés à l'exercice de leur nouvelle fonction, qu'ils exerceront sous la forme de vacations.
Le juge de proximité est, avant tout, un juge unique d'accès facile. Les justiciables n'auront pas à se poser de questions complexes sur sa compétence puisqu'ils s'adresseront à un guichet unique, au greffe du tribunal d'instance.
Le juge de proximité siégera soit au tribunal d'instance soit en audiences foraines, selon des modalités que nous définirons en concertation avec les magistrats, les fonctionnaires et les avocats. Les collectivités locales concernées seront, bien évidemment, étroitement associées à cette concertation.
Beaucoup d'entre vous, qui êtes des élus de terrain, m'ont fait part de leur intérêt pour ces dispositions.
En matière civile, la compétence du juge sera limitée aux litiges non professionnels, d'un montant inférieur à 1 500 euros.
En matière pénale, le juge de proximité sera compétent pour certaines contraventions, selon une liste fixée par décret en Conseil d'Etat, comme les dégradations ou les violences légères.
S'agissant des mineurs, des juges de proximité spécialisés seront compétents pour les seules contraventions des quatre premières classes. Je précise que celles-ci relèvent actuellement des tribunaux de police, très encombrés et non spécialisés.
J'ajoute que le juge de proximité sera compétent, par délégation du président du tribunal, pour valider des mesures de composition pénale. Nous tenons, en effet, à revaloriser cette technique extrêmement intéressante, qui permet de prévenir et de traiter la petite délinquance.
Enfin, le juge de proximité ne porte en aucune manière atteinte à la mission importante dévolue aux concilliateurs de justice, que nous sommes bien décidés à développer.
Je rappelle, en effet, que ces professionnels pratiquent deux types d'intervention différents. Le conciliateur est chargé de rapprocher les parties et il joue un rôle essentiel dans la recherche d'une transaction. Le juge, lui, même s'il doit privilégier également la conciliation, est là, avant tout, pour dire le droit et rendre une décision exécutoire. La concertation que j'ai menée avec les professionnels m'a montré la nécessité de veiller également à une bonne articulation entre la justice de proximité et les conciliateurs de justice.
Je suis heureux que votre commission des lois, conformément aux conclusions de sa mission d'information présidée par M. Hyest et relative à l'évolution des métiers de la justice, soit aussi sensible à cette nécessité et qu'elle ait adopté des amendements allant dans ce sens et auxquels je suis, vous l'aurez compris, tout à fait favorable.
J'aborde maintenant l'amélioration du fonctionnement de la juridiction administrative.
Les délais de jugement devant les juridictions administratives restent beaucoup trop longs : plus d'un an et demi devant les tribunaux administratifs et plus de trois ans devant les cours administratives d'appel. De tels délais posent clairement un problème de fonctionnement de la justice. Ils constituent, de surcroît, un obstacle à une plus grande confiance des Français envers leur administration. Celle-ci ne peut être, en effet, pleinement respectée que si elle peut être soumise sans difficulté aux contrôle d'un juge.
Un effort similaire à celui qui est prévu pour les juridictions judiciaires, en termes de moyens et de modernisation, doit donc être engagé pour les juridictions administratives. L'objectif est de descendre en dessous de la barre des douze mois.
A cette fin, je vous propose d'accroître les effectifs, de reconduire le recrutement complémentaire pour cinq ans et d'assouplir les conditions de maintien en surnombre au-delà de la limite d'âge. De plus, 230 assistants de justice seront recrutés pour aider à la préparation des décisions.
J'en viens à la simplification de la procédure pénale.
Les réformes successives de cette procédure qui sont intervenues ces dernières années ont abouti à une complexité croissante. Or celle-ci, dans de nombreux cas, affaiblit considérablement l'efficacité de la répression.
Il était donc indispensable de simplifier et de rééquilibrer les règles apppliquables, sans remettre aucunement en cause les principes fondamentaux de notre droit, au premier rang desquels figurent la présomption d'innocence et le respect des droits de la défense. Ce premier train de dispositions devra être complété d'ici à la fin de l'année.
Dès aujourd'hui, je vous propose, pour accompagner la mise en place des moyens nouveaux dégagés par ce projet, de lever certains des facteurs de blocage ou de ralentissement du traitement des affaires, de rééquilibrer la situation de la victime face au délinquant et, plus largement, de rééquilibrer les possibilités d'intervention répressive sans lesquelles l'effort indispensable de prévention en amont n'est qu'illusion.
Des voix, des consciences, se sont élevées pour dénoncer, à propos de ces mesures, le retour au « tout répressif », voire au « tout carcéral ». Or nous entendions, il y a encore quelques semaines, parfois ces mêmes voix, ces mêmes consciences, tandis qu'elles se présentaient aux suffrages de nos concitoyens, marteler la nécessité de mettre fin à l'impunité et proclamer la nécessité de la sanction. Sans doute les intéressés avaient-ils alors davantage conscience du décalage entre la perception de quelques belles âmes et la réalité de la vie quotidienne de nos concitoyens. Sans doute reconnaissaient-ils, dans ce décalage, l'une des raisons de la poussée des votes extrêmes protestataires et de l'abstention qui a failli, le 21 avril dernier, faire vaciller la flamme de la République.
Je constate que, depuis, certains ont changé de langage, n'hésitant pas à renier leurs « engagements ». Eh bien, nous, mesdames, messieurs les sénateurs, nous tenons nos engagements ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Oui, je vous le dis, ce texte fait sa place à une juste et nécessaire répression. Mais, nul ne doit feindre de l'oublier, ce ne sont là que des moyens, des options que je vous propose de mettre à la disposition des juges, qui continueront seuls, en toute indépendance, à décider d'y recouvrir ou non.
Ainsi, le projet que je vous soumets concerne la composition pénale, l'instruction et la détention provisoire, le jugement des délits et la procédure criminelle.
Le Gouvernement souhaite étendre le champ d'application et l'efficacité de la composition pénale. Malgré une certaine complexité, cette alternative efficace aux poursuites devant le tribunal correctionnel se développe dans les juridictions.
Des dispositions relatives à l'instruction et à la détention provisoire sont également prévues.
En matière de détention provisoire, il m'est apparu nécessaire de renforcer le rôle du procureur de la République. Représentant l'intérêt général et la société, ce magistrat doit disposer des instruments juridiques lui permettant de veiller à une exacte et juste application de la loi, comme à la garantie de l'ordre public et des libertés.
Ainsi, le juge d'instruction qui ne suit pas les réquisitions du parquet en cas de demande de placement en détention provisoire devra rendre sans délai une ordonnance motivée, qui devra être immédiatement portée à la connaissance du ministère public.
En ce qui concerne les demandes de mise en liberté, je vous propose d'instituer une procédure de « référé-détention ».
Le procureur de la République pourra obtenir du président de la chambre de l'instruction que son appel formé contre une décision de mise en liberté contraire à ses réquisitions soit suspensif. Il empêchera ainsi provisoirement la mise en liberté de la personne mise en examen, jusqu'à la décision en appel de la chambre de l'instruction.
Par amendement, M. Schosteck, au nom de la commission des lois, propose de confier cette décision au premier président de la cour d'appel. Je me rallie très volontiers à cette suggestion pertinente.
Le caractère suspensif de l'appel du parquet doit donc être confirmé, dans de brefs délais, par le président de la chambre de l'instruction ou par le premier président de la cour d'appel. Il s'agit de rétablir un juste équilibre entre les droits de la société et ceux de la défense.
Le Gouvernement propose de fixer à trois ans d'emprisonnement encouru le seuil du placement en détention provisoire en matière correctionnelle.
Actuellement, la possibilité de placement en détention provisoire repose sur une distinction entre les délits contre les biens et les autres délits. Je propose de supprimer la référence à la réitération, introduite par la loi du 4 mars 2002, inapplicable en raison de sa complexité.
Il s'agit bien ici de simplifier la procédure et non pas d'augmenter le nombre de prévenus en détention, comme l'illustre par ailleurs ma volonté de développer l'usage du bracelet électronique.
C'est dans le même esprit de simplification que je vous propose de supprimer la limitation du recours au critère de trouble à l'ordre public, introduite par la loi du 15 juin 2000, en cas de prolongation de la détention.
A l'issue des délais butoirs institués par cette loi, je vous propose que la chambre de l'instruction puisse prolonger à titre exceptionnel la durée de la détention pendant quatre mois...
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité.
On évitera ainsi, par le seul effet de l'expiration d'un délai, la remise en liberté de criminels dangereux, sans pour autant porter atteinte à l'économie de la loi : les délais subsistent dans leur principe, avec leur effet contraignant sur le juge. Les prolongations que je vous propose d'adopter ne les augmentent que très modérément.
A l'issue de l'instruction, je vous propose d'augmenter les délais dans lesquels il doit être statué sur une demande de mise en liberté, au fur et à mesure des condamnations successives prononcées contre la personne concernée.
Actuellement, une telle demande doit être examinée, y compris pour une personne condamnée à perpétuité, dans un délai de vingt jours. Je vous propose de porter ce délai à deux mois pour une personne condamnée en premier ressort et qui fait appel, et à quatre mois pour une personne condamnée en appel qui forme un pourvoi en cassation.
S'agissant de l'instruction, je vous propose de simplifier et de renforcer la cohérence de cette procédure.
Ainsi, le délit consistant, pour un témoin, à refuser de déférer à une convocation du juge d'instruction, est étendu au refus de déférer à une convocation d'un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire.
La procédure du « témoin anonyme » est élargie à tous les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement et non plus cinq ans.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Autant dire dans tous les cas !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le projet du Gouvernement tend à supprimer la possibilité donnée à l'avocat d'une personne mise en examen d'assister personnellement aux actes d'instruction que le juge d'instruction a accepté de conduire à sa demande, comme des auditions ou des interrogatoires.
Votre commission des lois a proposé une autre approche de cette question qui me paraît, à la réflexion, plus respectueuse des droits de la défense. Je m'y rallierai volontiers.
La procédure de la comparution immédiate peut être actuellement mise en oeuvre pour les délis punis d'une peine comprise entre un an et sept ans d'emprisonnement.
Je vous propose de l'étendre aux délits punis d'une peine comprise entre six mois et dix ans d'emprisonnement. Pour garantir les droits de la défense, le prévenu qui encourt une peine de dix ans d'emprisonnement pourra demander à bénéficier d'un délai plus long - entre deux et quatre mois - pour préparer sa défense.
Je sais que cette mesure a inquiété plusieurs organisations qui se sont exprimées au cours de la concertation préalable au projet.
Aussi voudrais-je insister ici sur sa portée exacte. Il s'agit de permettre, dans l'intérêt à la fois des mis en cause et des victimes, le jugement rapide d'affaires simples, la difficulté intrinsèque d'une affaire n'étant nullement liée au niveau de la peine encourue. Je suis d'ailleurs tout disposé à réfléchir à des aménagements à cette disposition, s'il vous apparaissait nécessaire de rassurer ceux qui craignent qu'elle n'aboutisse à certains excès.
Par ailleurs, le texte que je vous soumets étend la compétence du juge unique aux délits de rébellion et aux délits pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue, à l'exception des délits de presse.
S'agissant de la délinquance des mineurs, l'importance de ce volet du projet de loi n'a échappé à personne ici. MM. Schosteck, Carle et leurs collègues de la commission d'enquête du Sénat l'ont admirablement démontrée, en recontrant là un sujet majeur de préoccupation des Français et d'engagement du Président de la République et du Gouvernement : oui, monsieur Schosteck, la République est « en quête de respect ».
Les mineurs sont en effet de plus en plus nombreux à commettre des infractions, à recourir à des actes de violence, et ce de plus en plus jeunes. Les travaux très approfondis de la commission d'enquête ont montré que ce phénomène ne pouvait en aucun cas être banalisé.
Je suis, comme vous, un élu local, un père de famille, un responsable politique. Comment ne peut-on être frappé, en cette triple qualité, par l'augmentation du rajeunissement et de l'aggravation de la délinquance des mineurs ? Comment ne pas voir qu'il y a là un défi fondamental pour l'action politique ?
Eh bien, ce défi, conformément à la démarche d'action et de dialogue qui est la mienne, j'ai décidé de vous proposer de nous donner les moyens de le relever.
Bien évidemment, la justice n'est pas seule concernée par la délinquance juvénile : elle n'est que l'un des maillons d'une chaîne, dont votre commission d'enquête a dit qu'elle « déraillait ». La famille et l'école doivent également assurer une mission de prévention de la délinquance. La justice n'en doit pas moins pleinement assumer sa responsabilité.
Cette responsabilité consiste d'abord à développer un exceptionnel effort éducatif en direction des mineurs.
Je propose, je le rappelle, une augmentation de 25 % du nombre d'éducateurs. C'est absolument sans précédent. Qu'est-ce que cela signifie sinon une priorité politique claire en faveur de l'éducation, notamment en milieu ouvert, mais aussi au sein des structures d'accueil existantes, ainsi qu'en détention et à la sortie de la détention ? A cela s'ajoutent les centres fermés, au contenu éducatif fort et qui ne constitue qu'un aspect du projet.
Cette responsabilité tend ensuite à ouvrir toute une gamme de réponses.
Outre les moyens matériels et humains, je vous propose d'adopter les moyens juridiques permettant de développer une palette de réponses graduées et cohérentes tout au long de la chaîne éducative et pénale.
Cette volonté politique est très nouvelle. Contrairement à certaines « belles âmes » que j'évoquais tout à l'heure, je le redis avec force et sérénité, nous tenons nos engagements. (Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

Nous créons des centres éducatifs fermés pour mettre à l'écart du risque de récidive un petit nombre de jeunes qui participent au « noyau dur » de la délinquance, mise en évidence par tous les travaux récents et que nous ne savons pas traiter aujourd'hui.
Les jeunes placés dans ces centres suivront un programme intensif d'activités, organisé par des éducateurs, et un programme d'enseignement dispensé par l'éducation nationale.
Pour le fonctionnement de ces centres, il sera fait appel au secteur public et au secteur associatif habilité.
La détention, dans les quartiers pour mineurs des prisons, a lieu aujourd'hui dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. C'est pourquoi nous créerons des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs à fort contenu éducatif et de préparation à la réinsertion.
Dans ces centres, il n'y aura évidemment pas de détenu majeur. Une stricte séparation sera établie entre les classes d'âge et entre les prévenus et les détenus.
Dans un esprit pragmatique et équilibré, nous nous inspirons des exemples étrangers qui marchent.
J'ajoute que, dans le sondage CSA que j'ai évoqué, 77 % des personnes interrogées se déclarent favorables à la création de centres éducatifs fermés pour les délinquants mineurs récidivistes.
Vous voyez, nous sommes bien loin du débat régressif sur le pseudo-dilemme « éducation-sanction ». Il est archaïque d'opposer, de façon primaire, la prévention et l'éducation à la répression.
C'est d'ailleurs l'une des conclusions majeures de la commission d'enquête du Sénat. C'est aussi l'un des acquis théoriques et pratiques de toutes les expériences françaises et étrangères de ces dix dernières années. Il faut dépasser ce vain débat, cette opposition stérile que certains s'acharnent à raviver en ce moment, au risque de renoncer à toute crédibilité dans l'analyse et dans l'action. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Nous mettons en oeuvre toute une gamme de réponses, conformes à nos engagements et aux souhaits profonds des Français. Bien sûr, nous pourrons les améliorer ensemble, au cours du débat parlementaire, mais aussi à l'occasion du dialogue que nous poursuivrons pour l'application de cette loi.
On a beaucoup parlé de mon intention de mettre en prison les mineurs de treize à seize ans. Voici, à ce sujet, la vérité.
Il serait contraire à tous les principes de priver les jeunes de liberté, de façon physiquement contraignante, par une simple mesure de placement. C'est pourquoi les centres fermés, j'y insiste, ne sont pas des prisons. Mais, si l'on veut qu'ils fonctionnent, il faut disposer aussi d'une solution plus énergique pour les mineurs qui refuseraient la règle du jeu. Les principes exigent que cette solution plus énergique, c'est-à-dire physiquement contraignante, obéisse au régime de la détention, entourée de nombreuses garanties. C'est en vertu de ce raisonnement que l'on ne peut pas exclure le recours à la détention provisoire pour les mineurs âgés de treize à seize ans.
Mais ce sera, je l'affirme avec force, un recours exceptionnel. Et cette détention provisoire, il n'est pas du tout envisagé qu'elle se déroule en prison au sens traditionnel du terme. Il est prévu qu'elle se déroule au sein d'un établissement spécialisé. J'ajoute que, lorsque j'ai pris mes fonctions, il y avait 110 mineurs de treize ans à seize ans en prison. Pourquoi ? Notamment, sachez-le, parce qu'au stade de la condamnation la prison est déjà possible. Alors, je le dis à tous ceux qui feignent de l'ignorer : je vous en prie, assez d'hypocrisie !
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. C'est dans cet esprit que je vous propose de combler les insuffisances du dispositif pénal actuel.
C'est pourquoi, sans remettre en cause les principes qui fondent l'ordonnance du 2 février 1945, notamment la primauté de l'action éducative - j'en ai parlé tout à l'heure -, la spécialisation des magistrats et la gradation de la responsabilité du mineur en fonction de son âge, le Gouvernement vous propose d'adapter ce texte en diversifiant les moyens mis à la disposition des juges.
D'abord, le principe de la responsabilité pénale des mineurs, dès lors qu'ils sont dotés de discernement, existe aujourd'hui mais doit être réaffirmé clairement par la loi.
Dans l'intérêt même des mineurs, il faut disposer d'un ensemble de réponses, en fonction de la personnalité du mineur et de son évolution. Il importe que le juge ait à sa disposition une gamme très large de mesures les plus diversifiées possible.
Je propose donc de créer, entre les mesures éducatives et les peines, des sanctions éducatives comprenant un réel contenu pédagogique. Tel est le cas de l'interdiction de paraître, de l'interdiction de rencontrer la victime, de la confiscation ou encore de la mesure de réparation, qui existe déjà, et de l'obligation de suivre un stage de formation civique.
Ces sanctions éducatives auront vocation à s'appliquer aux mineurs entre dix et dix-huit ans. Le non-respect de la décision pourra être suivi, le cas échéant, d'une décision de placement.
Ainsi, pour prendre en compte certaines difficultés concrètes apparues, par exemple, lors du défèrement au parquet des mineurs interpellés le soir en raison des délais de route dans certains départements, la durée de rétention sera allongée de dix à douze heures.
L'accélération des procédures de jugement est un enjeu essentiel pour lutter contre le sentiment d'impunité des mineurs. La procédure de comparution à délai rapproché est peu utilisée, car elle est trop complexe.
Comme votre commission d'enquête l'a montré, l'extension de la procédure de comparution immédiate aux mineurs n'est ni réaliste ni opportune pour des raisons que vous avez parfaitement développées.
Il existe une voie médiane que vous avez vous-même proposée dans votre rapport. En effet, un certain nombre de mineurs sont très connus du tribunal pour enfants. Les nécessaires investigations sur la situation personnelle et familiale consistent à actualiser et à compléter les informations les concernant.
Pour les mineurs pour lesquels ces éléments ont pu être établis rapidement ou sont déjà connus du tribunal pour enfants et pour lesquels il existe un dossier de personnalité récent, je propose, s'ils ont commis des actes ne nécessitant aucune investigation particulière, que le jugement puisse intervenir dans un délai de dix jours à un mois. Dans l'attente du jugement, une mesure provisoire sera requise par le parquet auprès du juge des enfants.
Le tribunal pourra renvoyer l'affaire à une audience ultérieure si des investigations sur les faits sont nécessaires ou au procureur de la République s'il estime que l'affaire est trop complexe.
La procédure ne sera applicable aux mineurs de treize à seize ans que s'ils encourent une peine supérieure à cinq ans et inférieure à sept ans. En outre, ils ne pourront faire l'objet que d'un contrôle judiciaire dans un centre fermé dans l'attente du jugement et ils comparaîtront dans un délai compris entre dix jours et deux mois.
Quant au juge de proximité, je rappelle qu'il interviendra pour les contraventions des quatre premières classes commises par les mineurs de treize à dix-huit ans, qui sont actuellement jugées par les tribunaux de police et dans les mêmes conditions que ces tribunaux.
Quant aux mineurs délinquants multirécidivistes, comme l'a montré votre commission d'enquête, ce ne sont pas les plus nombreux, mais ils commettent les actes les plus graves. C'est cette escalade qu'il faut enrayer par des mesures appropriées.
Aujourd'hui, ces mineurs sont détenus en maisons d'arrêt. Je vous propose de créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs ; ils seront l'occasion pour la direction de l'administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse de mettre en place une prise en charge adaptée à leur âge, pour les garçons comme pour les filles, qu'ils soient détenus provisoirement ou condamnés.
L'intervention éducative auprès des mineurs incarcérés doit être systématique. Il n'est pas normal que les mineurs les plus difficiles soient privés d'éducateurs lorsqu'ils doivent être privés de liberté.
J'ai visité, ces derniers jours, deux établissements, l'un à Stamford, dans la banlieue de Londres, l'autre en Belgique, à Braines-le-Château : ils représentent ce vers quoi doivent tendre les futurs établissements pénitentiaires spécialisés que je viens d'évoquer.
Le second volet concerne les centres éducatifs fermés.
La vocation éducative - et d'insertion professionnelle - de ces centres, je l'ai dit, sera essentielle. Je m'en suis assuré avec mes collègues Luc Ferry et Xavier Darcos, l'éducation nationale assurera le suivi pédagogique de ces jeunes, afin de mettre en oeuvre les enseignements adaptés à leurs besoins.
En matière de prévention de la récidive, l'objectif du Gouvernement est de continuer à développer la mesure de réparation et le programme des classes-relais, conformément aux conclusions du rapport de votre commission d'enquête, que je reprends volontiers à mon compte. Ces dispositifs ont, en effet, prouvé leur efficacité.
Il faut, enfin, réduire les délais de prise en charge des mesures de milieu ouvert par la protection judiciaire de la jeunesse : il est aujourd'hui de cinquante-deux jours. L'objectif du Gouvernement est de l'abaisser à quinze jours. Ce problème, que vous avez relevé dans votre rapport, est d'abord une question de moyens accordés au milieu ouvert. Cette observation a été prise en compte par le Gouvernement et une partie des moyens accordés à cette administration y seront consacrés.
Je souhaite maintenant aborder le problème de la sécurité et du fonctionnement des établissements pénitentiaires.
S'agissant de l'administration pénitentiaire, je vous propose quatre mesures de nature à améliorer la sécurité des établissements pénitentiaires et leur fonctionnement : la possibilité de brouiller les téléphones portables ; la situation des détenus atteints de troubles mentaux ; le placement sous surveillance électronique ; enfin, la répartition des détenus.
Le brouillage des téléphones portables, dont l'usage se multiplie dans les établissements pénitentiaires, est une priorité pour assurer plus de sécurité dans nos prisons.
Une enquête menée lors d'une évasion particulièrement grave par hélicoptère a permis de mettre en évidence l'usage de téléphones portables dans l'organisation de cette opération.
L'urgence est de neutraliser l'usage de ces appareils, qui peuvent servir à préparer des évasions, des règlements de compte ou des agressions.
Pour ce qui est de la présence massive de détenus atteints de troubles mentaux en détention, pour lesquels l'administration pénitentiaire et ses personnels ne sont pas toujours en mesure d'apporter une réponse adaptée, je propose - et ce point me paraît très important - de créer des structures aménagées au sein d'établissements hospitaliers dans lesquelles personnels pénitentiaires et personnels de soins concourront à une meilleure prise en charge.
Je souhaite également pouvoir développer la surveillance électronique. Votre Haute Assemblée s'est déjà prononcée sur cette alternative à l'incarcération. Je désire pouvoir offrir cette possibilité dans le cadre du contrôle judiciaire décidé par les magistrats. Je tiens à mettre à la charge de la personne placée sous surveillance électronique des obligations, notamment celle de devoir répondre aux convocations de toute autorité désignée par les magistrats. Le recours à des personnes de droit privé, dans certaines conditions, permettra de développer la mise en oeuvre de ces mesures.
Pour lutter contre la surpopulation pénale, que vous aviez dénoncée comme « la honte de la République », je vous propose d'introduire plus de fluidité dans l'affectation des détenus par l'administration pénitentiaire.
La suppression d'une catégorie particulière d'établissements pénitentiaires, les centres de détention régionaux, est une mesure importante. Ces centres sont actuellement sous-utilisés en raison de règles juridiques trop contraignantes. La réforme que je vous propose permettra d'y placer près de neuf cents personnes condamnées, actuellement détenues dans des établissements surpeuplés. L'administration pénitentiaire pourra ainsi affecter les condamnés dans ces établissements en fonction de leur profil et de leur situation individuelle. Cette mesure, j'en suis convaincu, améliorera aussi la sécurité.
En supprimant la référence liée au quantum de la peine, l'affectation des détenus condamnés, qui attendent parfois très longtemps leur affectation dans des établissements pour peines, sera facilitée.
La sécurité est au coeur de mes préoccupations. Je connais le rôle et le dévouement admirables du personnel de l'administration, qui accomplit ses missions dans des conditions souvent extrêmement difficiles. Mon devoir est d'être à ses côtés.
Je souhaite évoquer maintenant l'amélioration de la situation des victimes, volet essentiel de ce projet de loi, qui est au coeur des préoccupations des Français.
J'ai reçu de très nombreuses associations de victimes ; je suis allé à leur rencontre ; j'ai dialogué avec elles. Je me suis rendu compte à quel point les victimes se sentent oubliées, mal informées, soumises à des démarches qu'elles ne comprennent pas, et parfois humiliées.
J'ai tenu, face à ces difficultés, à leur apporter des aides concrètes, dans l'urgence douloureuse à laquelle elles sont confrontées. C'est pourquoi ce projet de loi s'inscrit dans le cadre d'un plan d'action sur cinq ans destiné à assurer une meilleure prise en charge des victimes.
Ce plan repose sur cinq piliers : la mise en place d'un accompagnement juridique immédiat ; la diffusion d'une information adaptée tout au long de la procédure et, si la victime le souhaite, de l'exécution de la décision ; l'affirmation d'une solidarité plus forte dans l'indemnisation des victimes les plus fragilisées ; la recherche d'une réparation plus juste et plus transparente grâce à l'harmonisation des méthodes d'évaluation des préjudices et à l'amélioration du déroulement des expertises ; la création de dispositifs d'urgence pour faire face aux premiers besoins des victimes ; enfin, la détermination de véritables plans d'actions en cas de catastrophes collectives.
Ces mesures ne demanderont pas toutes des réformes législatives, mais je tenais à vous les soumettre pour vous rendre compte de la volonté du Gouvernement.
De ce plan d'action, trois mesures ont été dégagées pour figurer dans la loi de programme.
Il s'agit, d'abord, de la faculté pour la victime, dûment informée à cet effet, de demander, dès la première audition par les services de police et de gendarmerie, la désignation d'un avocat d'office. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette information n'est pas prévue par les textes, alors que la loi du 15 juin 2000 l'a expressément introduite pour la personne placée en garde à vue.
Il s'agit, ensuite, de la possibilité pour les victimes d'infractions les plus graves de bénéficier de plein droit de l'aide juridictionnelle, sans qu'elles aient à justifier de ressources insuffisantes. Il ne peut être question pour nous, en étendant très modérément le champ de l'aide juridictionnelle, d'accentuer une certaine paupérisation de ces professions. J'ouvrirai donc, le moment venu, des négociations sur la question de la rémunération des avocats qui participent à cet effort de solidarité. Je crois que nous sommes tous sensibles au « malaise » qu'ont mis en évidence Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat dans le rapport de la mission d'information de votre commission des lois sur l'évolution des métiers de la justice.
Enfin, c'est à la suite d'une rencontre avec des associations de victimes que m'est apparue la nécessité de créer une procédure judiciaire d'enquête ou d'information pour rechercher les causes d'une disparition suspecte. Cette mesure permettra de suivre, sur le long terme, sans encourir le risque de la prescription, ces événements toujours très douloureux pour les familles des victimes.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation et de programmation est un projet de loi de moyens et d'action qui constitue un véritable plan d'ensemble pour la justice pour cinq ans.
Je vous assure que l'engagement du Gouvernement sera sans faille pour faire de ce texte un succès, avec le concours du Parlement.
Je compte beaucoup sur vos contributions, vos réflexions et vos propositions dans ce débat pour améliorer ce texte, mais aussi pour le faire entrer dans les faits, ambition que je sais partagée.
Puisse la Haute Assemblée apporter sa pierre à la construction d'une justice qui soit plus sereine, plus efficace, plus proche de nos concitoyens, une justice qui réponde à leurs attentes légitimes, au service du peuple français au nom duquel elle rend ses décisions, au service de la République et de ses valeurs qui nous rassemblent tous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà quelques jours, le Président de la République s'adressait en ces termes à la représentation nationale : « Réunis en session extraordinaire par la nécessité et l'urgence de l'action, il vous revient de donner sans délai force de loi à la volonté nationale. (...) Dès le milieu de l'été, vous aurez adopté des textes essentiels pour renforcer l'autorité de l'Etat, garantir la sécurité des Français, relancer la compétitivité de la France et assurer la solidarité nationale. » Nous y sommes ! Le présent projet de loi s'inscrit dans le cadre de cette action nécessaire et urgente évoquée par le Président de la République.
Disons d'emblée que notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que la justice soit l'un des premiers chantiers ouverts par le Gouvernement au début de la nouvelle législature. Avec constance, depuis de nombreuses années, le Sénat accorde toute son attention à l'évolution du fonctionnement de la justice.
Dès 1991, une commission de contrôle, présidée par notre collègue Hubert Haenel et dont le rapporteur était le président Jean Arthuis, s'était penchée sur les modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des services qui relèvent de l'autorité judiciaire.
En 1996, une mission d'information de la commission des lois, dont le rapporteur était notre collègue Pierre Fauchon, s'est intéressée aux moyens de la justice.
Voilà quelques jours seulement, la mission d'information de la commission des lois sur l'évolution des métiers de la justice, présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest et dont le rapporteur est notre collègue Christian Cointat, a rendu son rapport et formulé quarante propositions pour améliorer le fonctionnement de la justice.
Je n'aurais garde, évidemment, d'oublier les travaux de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, mais j'y reviendrai tout à l'heure.
Notre assemblée doit donc se réjouir d'examiner un texte qui démontre que la justice est une priorité pour le Gouvernement.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Que penser de ce texte ?
Tout d'abord, ce projet de loi va donner des moyens sans précédent à notre justice : 3,65 milliards d'euros, soit - j'ai la faiblesse de continuer de penser en francs - 20 milliards de francs en cinq ans, en plus de la reconduction des moyens d'engagement et de paiement qui ont été ouverts en 2002. Ce n'est tout de même pas rien ! Je voudrais que ceux qui critiquent ce texte, voire qui le vilipendent, y réfléchissent un instant. Sont-ils contre la création de 10 100 emplois permanents, auxquels s'ajouteront 580 emplois en équivalent temps plein correspondant au recrutement des juges de proximité ? Sont-ils contre la réduction des délais de traitement des affaires ?
Car enfin, le projet de loi qui nous est soumis, c'est d'abord un espoir pour la justice de fonctionner mieux avec davantage de moyens. Pour notre part, monsieur le garde des sceaux, nous nous réjouissons de l'ampleur de l'effort qui sera consenti pour améliorer le fonctionnement de la justice et nous serons à vos côtés pour veiller à la réalisation de ce programme ambitieux.
Ce projet de loi, c'est aussi la création d'une justice de proximité chargée de connaître des litiges de la vie quotidienne. Je laisserai naturellement Pierre Fauchon évoquer, avec la ferveur dont il est coutumier, cette question qui le passionne. Mais, sans trahir un secret, je crois, monsieur le ministre, que vous devriez trouver son intervention rafraîchissante. Alors que, de tous côtés, on vous dit que vous allez trop loin, Pierre Fauchon aura certainement tendance à vous trouver presque timide !
J'en viens au droit pénal des mineurs, sujet qui me tient plus particulièrement à coeur, puisque j'ai eu l'honneur, avec Jean-Claude Carle, son rapporteur, de conduire les travaux de la commission d'enquête de notre assemblée sur la délinquance des mineurs.
Notre commission d'enquête a constaté que la justice des mineurs n'était pas particulièrement laxiste mais qu'elle avait un fonctionnement erratique. Un mineur peut s'enfoncer dans la délinquance parce que les réponses que lui apporte la justice ne sont pas claires, pas progressives, pas mises en oeuvre. Il peut s'enfoncer dans la délinquance parce que l'éducation et la sanction sont dissociées. Or la primauté de l'éducation sur la répression est un principe nécessaire qui devient nocif lorsque cette primauté signifie dissociation.
Dans ces conditions, nous avons proposé un certain nombre de mesures pour tenter de mieux conjuguer l'éducation et la sanction, pour construire des parcours de réinsertion en direction de ces mineurs délinquants.
Nous vous sommes particulièrement reconnaissants, monsieur le garde des sceaux, d'avoir repris plusieurs préconisations de notre commission d'enquête.
Ainsi, le projet de loi prévoit la création de sanctions éducatives, qui pourront notamment concerner des mineurs de dix à treize ans. Je crois que cet élargissement des mesures pouvant être prononcées à l'égard de ces enfants est une bonne évolution. Je pense, en particulier, que l'utilisation de la mesure de réparation ou du stage d'instruction civique peut avoir des effets très positifs sur de jeunes mineurs mis en cause pour la première fois.
Comme la commission d'enquête l'avait souhaité, le projet de loi prévoit, en outre, une possibilité de placer en détention provisoire les mineurs de treize à seize ans, en matière correctionnelle, dans le seul cas où ils n'ont pas respecté les obligations d'un contrôle judiciaire. Cette mesure est, je crois, profondément nécessaire. Elle doit permettre un accompagnement éducatif sous contrainte de certains mineurs qui ont perdu l'habitude d'obéir à une quelconque autorité.
La procédure de jugement à délai rapproché que le projet de loi tend à instituer sera, elle aussi, très utile. Je sais bien que le jugement rapide des mineurs suscite des réserves, nous sommes confrontés à une double exigence.
D'une part, il est tout à fait exact qu'il est souhaitable de connaître le mineur avant de le juger, de disposer d'éléments de personnalité le concernant.
D'autre part, tout le temps qui s'écoule entre l'acte et le jugement fait perdre à ce jugement sa crédibilité. Les enfants et les adolescents n'ont pas la même perception du temps que les adultes. Un mineur jugé un an ou dix-huit mois après les faits ne comprend plus ce qu'il fait au tribunal. Bien souvent, il a commis d'autres infractions entre-temps et il ne sait plus pour quels faits il comparaît. Pour aggraver la situation, il n'est pas rare, de surcroît, que la juridiction joigne toutes les procédures concernant un même mineur. Comment voulez-vous que ce mineur comprenne quelque chose à ce qui lui arrive ?
Dans ces conditions, je crois que la procédure de jugement à délai rapproché est un bon compromis entre les deux exigences que j'ai rappelées.
Sur le droit pénal des mineurs, votre commission des lois formulera plusieurs propositions directement issues des travaux de la commission d'enquête.
Tout d'abord, nous souhaitons, monsieur le garde des sceaux, que le juge des enfants devienne juge de l'application des peines lorsque le mineur est incarcéré.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Ce juge connaît le mineur. Il doit pouvoir aménager la peine dès que le comportement du mineur permet d'envisager une autre solution que la prison. L'attribution au juge des enfants des fonctions de juge d'application des peines est indispensable à la mise en place des parcours éducatifs que nous défendons.
Nous souhaitons également qu'il soit clairement précisé que la procédure de jugement à délai rapproché est réservée à des mineurs déjà connus de la justice, comme l'exposé des motifs du projet de loi l'indique d'ailleurs explicitement.
Nous estimons également utile que les parents qui refusent de répondre aux convocations du juge pour enfants ou du tribunal pour enfants puissent être condamnés à une amende civile dont le principe serait mentionné sur la convocation.
Par ailleurs, nous pensons que le juge des enfants devrait pouvoir révoquer un sursis avec mise à l'épreuve sans avoir à saisir le tribunal pour enfants. Celui-ci ne peut pas être réuni comme le tribunal correctionnel du fait qu'il comprend des assesseurs non professionnels. Dans ces conditions, aujourd'hui, les sursis avec mise à l'épreuve ne sont jamais révoqués, ce qui contribue évidemment à ce sentiment d'impunité que nous voulons tous combattre.
Nous souhaitons aussi, monsieur le garde des sceaux, que le contrôle judiciaire des mineurs puisse s'exercer dans d'autres établissements que les centres éducatifs fermés que le projet de loi tend à créer. En effet, une telle mesure peut être tout à fait utile dans un établissement tel qu'un centre éducatif renforcé et il me paraît utile de conserver une certaine souplesse dans le dispositif.
Nous vous proposerons également quelques ajouts destinés à aggraver les peines encourues par les majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions. Je crois qu'en ce domaine nous devons véritablement être impitoyables.
Telles sont les compléments et améliorations que nous vous proposons.
On nous dit que ce projet de loi ne reprend qu'une petite partie des préconisations de la commission d'enquête. ( « C'est vrai ! » sur les travées socialistes.) C'est tout à fait exact. Mais c'est aussi parfaitement normal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais si !
D'abord, beaucoup de choses ne relèvent pas du domaine de la loi, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux. Je dois dire toutefois que vous aurez à vous atteler à une réforme assez profonde du fonctionnement de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ.
Malgré le dévouement de ses personnels, cette administration est en crise profonde. Nous espérons que les travaux de la commission d'enquête aideront à trouver les voies et moyens du renouveau d'une administration qui exerce des missions particulièrement essentielles. Il nous semble que la PJJ doit avant tout être recentrée sur ses missions essentielles plutôt que de voir son action se disperser dans une multitude de tâches, notamment de gestion, que cette institution assume mal. Les réformes à conduire en cette matière ne relèvent pas du domaine de la loi.
Ensuite, un grand nombre des propositions de la commission d'enquête ne relèvent tout simplement pas du ministère de la justice. Je pense à toutes nos propositions sur la famille, sur l'école, sur le repérage précoce des enfants en souffrance ou en difficulté. Nous aurons à agir auprès des membres du Gouvernement concernés pour que nos préconisations soient pleinement prises en compte. J'ai déjà constaté que le ministre chargé de l'enseignement scolaire souhaitait développer fortement l'école ouverte, qui permet la prise en charge de certains enfants au sein de l'école en dehors des heures de cours ou pendant les vacances scolaires.
En revanche, ce qui relève de vos attributions, monsieur le garde des sceaux, et de celles de votre collègue Pierre Bédier, c'est l'état de nos prisons. En cette matière, il y a urgence.
S'agissant des mineurs, il y a deux fois urgence. Les actuels quartiers des mineurs des maisons d'arrêt ne sont pas des lieux où peut s'accomplir un véritable travail éducatif et de réinsertion. La commission des lois proposera à cet égard un amendement précisant que les mineurs de treize à seize ans doivent être incarcérés dans des lieux où tout contact avec les détenus majeurs pourra être évité et où interviendront des éducateurs de la PJJ.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais ce n'est qu'un premier pas. La création d'établissements pénitentiaires spécialisés est une nécessité, et j'espère que les procédures définies par le projet de loi pour la construction des prisons permettront de disposer très vite de tels établissements.
En définitive, je crois que ce projet est très équilibré. Il répond à cette « oppression quotidienne » ressentie par certains de nos concitoyens à cause de la délinquance des mineurs, et ce sans renoncer aux principes fondateurs de la justice des mineurs.
Evoquons maintenant les modifications de procédure pénale que nous propose le Gouvernement.
Le projet de loi modifie en particulier certaines règles relative à la détention provisoire : les seuils de peine encourue permettant le placement en détention sont simplifiés, les durées maximales de la détention sont prolongées de façon exceptionnelle et une procédure de référé-détention est créée.
Vous nous proposez également, monsieur le garde des sceaux, quelques modifications relatives à l'instruction. Le texte prévoit surtout une extension du champ d'application de la procédure de comparution immédiate et de la compétence du juge unique.
Nous avons déjà discuté longuement de toutes ces propositions. A vrai dire, il serait difficile au Sénat de s'opposer à beaucoup d'entre elles. Elles correspondent en effet à la reprise mot pour mot de dispositions que nous avons proposées en vain lors de la discussion de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Je pense, en particulier, à ce que notre ancien collègue M. Jolibois appelait la « soupape » en matière de durée des détentions provisoires.
D'autres figuraient dans une proposition de loi de notre collègue M. Haenel déposée le 28 novembre 2001, dans laquelle notre collègue constatait que l'équilibre nécessaire entre droits de la défense et efficacité de la procédure avait été partiellement rompu et qu'il convenait de le rétablir.
On nous rappelle que la loi sur la présomption d'innocence a été votée à l'unanimité. C'est vrai. Le Sénat a apporté une importante contribution à ce texte, et il ne la renie pas. Rien dans le présent projet de loi ne remet en cause les apports du Sénat à la loi sur la présomption d'innocence : l'appel en matière criminelle est maintenu, la juridictionnalisation de l'application des peines également.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour l'instant !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Pour le reste, nous avions clairement souligné que certaines dispositions de cette loi faisaient courir quelques risques à l'efficacité de la procédure pénale en l'absence de moyens suffisants.
On nous dit aussi que nous remettons en cause cette loi avant que nous ayons pu en mesurer tous les effets. Je trouve véritablement cet argument un peu spécieux !
Qui a fait discuter et adopter dans la plus extrême précipitation, avant la fin de la législature, une proposition de loi - au demeurant fort médiocre - remettant en cause plusieurs aspects de la loi sur la présomption d'innocence ? Ce n'est tout de même pas le Sénat ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Ce n'est pas non plus ce gouvernement. Je dis bien : « ce gouvernement », même si, monsieur le garde des sceaux, je vous invite à éviter d'utiliser en la circonstance l'adjectif démonstratif, qui m'a toujours surpris. Mais, en l'occurrence, c'est bien « ce gouvernement » que je vise, et non « le Gouvernement ».
Ce n'est pas nous non plus qui avons eu l'idée lumineuse de remplacer la notion d'indices par celle de raisons plausibles comme critère du placement en garde à vue !
Par conséquent, je ne suis pas prêt à accepter passivement les procès d'intention qui nous sont faits. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Sur ces questions de procédure pénale, la commission des lois vous proposera quelques amendements destinés à affiner le dispositif.
Tout d'abord, nous pensons qu'il n'est pas nécessaire de supprimer la possibilité pour les avocats de demander à assister aux actes d'instruction dont ils demandent la réalisation.
Il est tout à fait vrai qu'il peut être traumatisant pour une victime d'être interrogée en présence de l'avocat de son agresseur. Néanmoins, le juge d'instruction a toute latitude pour refuser les demandes abusives des avocats.
Par ailleurs, nous avons souhaité encadrer davantage la procédure du référé-détention proposée dans le texte. Cette procédure n'est pas destinée à être utilisée fréquemment. Il peut néanmoins arriver que des erreurs d'appréciation aient des conséquences dramatiques. Cette procédure doit constituer une soupape de sécurité à cet égard.
Il est toutefois essentiel que des garanties suffisantes soient prévues pour qu'elle ne porte pas atteinte à nos principes constitutionnels. Il nous a été dit que, quelles que soient les garanties que nous pourrions prendre, cette procédure serait inconstitutionnelle. Je ne le crois pas du tout et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en particulier ses décisions du 11 août 1993 et du 23 avril 1997, ne permet pas d'affirmer l'inconstitutionnalité du référé-détention, bien au contraire.
La commission des lois vous proposera également de limiter les possibilités de prolonger de manière exceptionnelle les durées maximales de détention provisoire à quatre mois en matière correctionnelle et à huit mois en matière criminelle. Il est bon qu'une soupape existe en ce domaine, mais elle ne doit pas être une incitation à laisser dormir les instructions.
J'aborderai maintenant en quelques mots les dispositions relatives aux établissements pénitentiaires.
Le projet de loi prévoit la possibilité de brouiller les portables dans les établissements pénitentiaires et d'utiliser le placement sous surveillance électronique dans le cadre d'un contrôle judiciaire, ainsi que l'hospitalisation des détenus souffrant de troubles mentaux dans des unités spécialisées des établissements de santé.
Cette dernière disposition est particulièrement nécessaire. La commission d'enquête du Sénat relative aux prisons avait en effet constaté que les personnels pénitentiaires étaient totalement désemparés face à l'augmentation du nombre de détenus atteints de troubles psychiques. Il était grand temps de prévoir un dispositif spécifique pour ces personnes que l'administration pénitentiaire ne sait à l'évidence pas prendre en charge.
Il reste beaucoup à faire s'agissant des prisons. On vous reproche, monsieur le garde des sceaux, - on nous reproche par la même occasion - de ne pas nous intéresser assez aux conditions de détention dans les prisons. Je rappelle que la commission d'enquête du Sénat avait proposé que des mesures d'urgence soient prises sans nécessairement recourir à la loi. Au lieu de cela, le précédent gouvernement s'est lancé dans l'élaboration d'un énorme texte législatif qui n'a même pas pu être déposé sur le bureau d'une des assemblées.
Je rappellerai également qu'une seule disposition relative aux conditions de détention a finalement pu être adoptée : celle qui prévoit la possibilité de suspendre les peines des détenus en fin de vie. Cette mesure a été adoptée sur l'initiative du Sénat, dans le cadre de la loi relative aux droits des malades.
Aussi, je comprends mal que certains nous demandent de faire immédiatement ce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir du gouvernement qu'ils soutenaient au cours des cinq dernières années.
Il reste que, si nous voulons que la prison permette la réinsertion du plus grand nombre de ceux que la justice y envoie, nous avons encore beaucoup à faire.
J'évoquerai enfin en quelques mots les dispositions relatives à l'aide aux victimes.
Le projet de loi prévoit plusieurs dispositions particulièrement utiles : tout d'abord, la possibilité, pour les victimes qui se constituent partie civile, de se voir désigner un avocat ; ensuite, l'accès à l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources pour les victimes des crimes les plus graves ; enfin, la création de procédures destinées à faciliter la recherche des causes de la disparition d'une personne.
Ces dispositions sont importantes. Trop souvent encore, les victimes ont le sentiment d'être totalement laissées à elles-mêmes.
Nous proposerons, en outre, monsieur le garde des sceaux, d'inclure les viols dans la liste des infractions susceptibles de permettre l'attribution de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources.
Au moment de conclure, je m'arrêterai un instant sur les conditions dans lesquelles nous débattons aujourd'hui, car je sais qu'elles émeuvent certains de nos collègues.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Oui, nous discutons dans l'urgence d'un texte important. Mais j'ai la faiblesse de croire que cette urgence est plus justifiée que celle qui a parfois été infligée à certains textes, il n'y a pas si longtemps.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Souvenons-nous simplement des derniers jours qui ont précédé la suspension de nos travaux, au mois de février dernier. Nous avons adopté à toute vitesse quantité de textes fondamentaux relatifs, par exemple, au nom patronymique, à la création d'une journée de commémoration de l'abolition de la peine de mort, à une réforme du divorce qui n'a finalement fait l'objet que d'une lecture dans chaque assemblée...
Voilà pourquoi je crois que chacun d'entre nous doit rester mesuré dans ses propos.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Ce n'est ni la première ni la dernière fois qu'est utilisée la procédure d'urgence ; elle ne doit pas nous empêcher de rechercher les moyens de rédiger le meilleur texte possible.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, la commission des lois du Sénat approuve le projet de loi que vous avez bien voulu soumettre en premier lieu à la Haute Assemblée.
Ce projet de loi est modéré et équilibré : il veut rapprocher la justice des citoyens. En bref, c'est un texte sénatorial ! (Sourires.) Eh bien, monsieur le garde des sceaux, le Sénat vous soutiendra, sans hésiter et avec force, dans votre volonté de rénover et d'améliorer le fonctionnement de notre justice. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en inscrivant la justice de proximité, qui est mon sujet de prédilection, au premier rang de ses priorités, le chef de l'Etat et son gouvernement montrent clairement la conscience qu'ils ont du fait que les problèmes trop évidents de notre justice relèvent non seulement de l'insuffisance de ses moyens, mais aussi de l'inadaptation de son organisation générale, spécialement à l'égard de ce que l'on peut appeler le « contentieux de proximité », qui est aussi, du fait de son abondance et de son caractère répétitif, peu différencié d'un contentieux de masse.
Les problèmes de ce contentieux de masse sont de deux ordres : quantitatif et qualitatif. Or on a tendance à ne voir que leur aspect quantitatif, alors que l'aspect qualitatif est, me semble-t-il, tout aussi et même encore plus important.
Quantitatif, d'abord, parce que l'encombrement des juridictions, créé par le grand nombre des petits litiges, nuit considérablement au traitement des affaires complexes : délais excessifs, raréfaction de la collégialité, insuffisance des analyses provoquant la fréquence anormale des appels et des pourvois en cassation. Qualitatif, aussi, parce que les formes, les manières, le langage même, les délais de la justice ne conviennent pas à ce contentieux de masse qu'ils contribuent à rendre peu compréhensible, alors qu'une démocratie authentique, vous l'avez rappelé, exige, dans la relation entre les services publics et les citoyens, la clarté, la simplicité, la disponibilité inhérentes à la notion même de service public et conditions, en matière de justice, du bon accomplissement de la mission d'équité, de pacification et d'exemplarité.
L'initiative du Gouvernement rejoint ici une préoccupation exprimée de longue date par le Sénat, en particulier à l'occasion d'une commission d'enquête et de contrôle et de deux missions d'information qui ont publié trois rapports, mais dont je vous épargnerai l'énumération, au risque de chagriner ceux qui seraient cités à cette occasion. Ils sont chers à mon coeur, qu'ils en soient assurés ! (Sourires.)
Tous ont conclu, en des termes à peine différents, d'ailleurs, à la mise en place d'une justice de proximité originale et pleinement autonome, l'idée dominante étant, il faut bien le dire, que la meilleure manière d'y parvenir est de rénover les tribunaux d'instance actuels.
Sans doute ces tribunaux, et c'est l'occasion de le dire, s'attachent-ils déjà, non sans mérite, à demeurer une justice proche des justiciables. Les propositions auxquelles je me réfère tendent à leur permettre d'assurer plus pleinement encore cette mission, aussi bien en termes de compétences qu'en termes de procédure ou de méthode - s'inspirant, en particulier, de l'expérience très intéressante des maisons de justice et du droit - et en termes de personnels judiciaires, par l'intervention substantielle de juges issus de la société civile capables de constituer, autour du juge d'instance, qui reste un professionnel, une équipe diversifiée apte à remplir les missions, elles aussi, très diversifiées, d'une juridiction ainsi rénovée.
Il ne faut pas se le dissimuler - là-dessus, n'entretenons pas l'équivoque -, une telle conception est diamétralement opposée à celle qui s'est exprimée l'année dernière, en particulier à l'occasion des entretiens de Vendôme, et qui tendrait non à dissocier le contentieux classique du contentieux de proximité, mais bien plutôt à les fondre ou, du moins, à les juxtaposer dans de larges tribunaux de première instance, regroupant - je dirais volontiers « compactant » - l'ensemble des juridictions ayant à connaître des litiges en premier ressort.
La plupart d'entre nous, monsieur le garde des sceaux, sont très réservés, c'est le moins que l'on puisse dire, à l'égard d'une telle perspective.
Je sais que je heurte ici beaucoup de responsables, et même de hauts responsables du système judiciaire, mais il faut dire les choses clairement : nous sommes réservés parce que la beauté formelle de toutes ces constructions, qui n'est pas douteuse, dissimule mal leur caractère technocratique et centralisateur. Nous y voyons le refus de prendre en compte la spécificité du contentieux de proximité comme, au demeurant, des autres contentieux, qui se retrouveraient tous groupés dans la même grande machine. Nous y voyons aussi ces inconvénients qui sont inhérents à toute superstructure, qu'elle soit administrative, industrielle - ou autre, d'ailleurs - à savoir la déperdition inévitable d'énergie de tout grand système, la dilution de l'esprit d'initiative et du sens de la responsabilité, la difficulté de conduire les évaluations qualitatives indispensables à la qualité et à la vitalité de toute organisation et auxquelles les services publics, y compris la justice, pas plus que d'autres ne devraient pouvoir se soustraire.
Quoi qu'il en soit de cette perspective qui, de toute façon, ne s'inscrit pas dans votre projet de loi - elle lui est même contraire, monsieur le garde des sceaux - votre texte a le mérite essentiel - c'est le point majeur, tout le reste est d'ordre technique et donc relativement secondaire - de constituer un acte positif manifeste, que nous espérons décisif, dans la bonne direction. C'est dans cet esprit que nous l'accueillons, je n'hésite pas à le dire, avec un certain enthousiasme. Il est bien permis d'avoir un peu d'enthousiasme, surtout à mon âge ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Evidemment !
M. Jean-Claude Carle. Il est temps, en effet !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est grand temps ! Bien évidemment, cela ne nous empêche pas de mesurer les difficultés de la tâche, car, comme pour toute grande entreprise, les difficultés grandissent avec elle. Il n'y a rien de tel que de conserver les choses telles qu'elles sont pour éviter les problèmes ! (Nouveaux sourires.)
Je ne reviens pas sur l'excellente présentation que vous nous avez faite du projet de loi. Il m'échoit, en revanche, de dégager certaines difficultés auxquelles j'ai fait allusion. Je le ferai non dans un esprit critique négatif, vous l'avez bien déviné, mais dans un esprit de coopération, parce que nous sommes tous intéressés à faire en sorte qu'une idée aussi juste trouve sa réalisation d'une manière qui convaincra même les sceptiques de ce qu'elle a précisément de juste.
On l'a vu dans le passé. Voyez les conciliateurs, accueillis dans le scepticisme général ; or tout le monde admet aujourd'hui qu'ils rendent des services tout à fait appréciables sur le terrain. Et que dire des assistants de justice, dont on prévoyait qu'il ne serait que quelques-uns ? Aujourd'hui, tous en réclament, et je constate que le présent texte en prévoit même pour les tribunaux administratifs.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je me souviens du scepticisme qui a présidé à l'introduction de ces différents dispositifs. On a eu moins de chance avec les MTT, les magistrats à titre temporaire, pour un certain nombre de raisons sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion du projet de loi organique.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Mieux vaut ne pas en parler !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Une autre difficulté tient, me semble-t-il, au relatif isolement de ces nouveaux magistrats. Ils ne pourront pas normalement, dans leur démarche, bénéficier du soutien d'un magistrat professionnel. Rappelons ici, sans méconnaître l'impossibilité de transposer purement et simplement des modèles institutionnels d'une culture nationale dans une autre - mais vous faisiez vous-même cette transposition tout à l'heure à propos des établissements spécialisés pour les jeunes, monsieur le garde des sceaux -, l'expérience des Magistrates'Courts , juridictions anglaises séculaires qui pourraient être une source d'inspiration intéressante. Siègent au sein des Magistrates'Courts , autour d'un juge professionnel, une équipe de magistrats issus de la société civile et assistés non seulement de secrétaires greffiers, mais aussi de clerks. Ainsi, ce dispositif réellement opérationnel a fait ses preuves.
Il est permis de penser qu'un tel dispositif permettrait à la justice de proximité de trouver l'affermissement et l'épanouissement que nous lui souhaitons. Peut-être d'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, y parviendra-t-on à partir du texte que vous nous soumettez, puisque le secrétariat-greffe des tribunaux d'instance et des juridictions de proximité seront mis en commun ; il y aura donc une continuité entre les juges de proximité et les présidents des tribunaux d'instance. Et peut-être passera-t-on de cette continuité à une coopération, pourquoi pas ? Il ne faudra peut-être pas grand-chose au texte pour arriver au résultat auquel nous pensons.
Je ne m'attarderai pas sur les difficultés qui sont liées au recrutement même des nouveaux magistrats, puisque nous retrouverons cette question lors de l'examen du projet de loi organique.
Mais je tiens tout de même, sur ce sujet, à m'élever très vivement contre ceux qui brocardent l'idée de faire rendre la justice par des non-professionnels, parce que c'est la « tarte à la crème » que l'on retrouve quotidiennement dans les journaux : comment ? des non-professionnels rendraient la justice ? J'observe, d'ailleurs, que les mêmes qui proclament l'impossibilité pour les non-professionnels de rendre la justice nous expliquent à longueur de colonnes que la justice n'est pas très bien rendue par les professionnels ! Ce sont les mêmes, mes chers collègues ! Et vous vous souvenez tous de l'arrêt sur le sang contaminé et des critiques qu'il a suscitées.
On a donc tant de réserves et de critiques à formuler ? Ce n'est pas mon cas, parce que je pense qu'un service public aussi surchargé, ayant probablement deux ou trois fois plus de travail qu'il ne peut raisonnablement en assumer, doit d'abord être doté des moyens de son action avant de pouvoir être soumis à la critique sur les résultats de cette action.
Je fais donc cette première observation qu'une telle critique ne va pas au fond du problème. Pour aller au fond, il faut se poser la question de savoir si la responsabilité de la bonne appréciation des problèmes de la vie quotidienne, dans une démarche qui privilégie la conciliation - qui figure en toutes lettres, et je vous en félicite, dans votre projet de loi - est ou non subordonnée à l'obtention de diplômes juridiques acquis dans une école spécialisée...
Nous sommes de ceux qui pensent que cette bonne appréciation suppose d'abord une véritable expérience des choses de la vie. Car la vie aussi est une école, et on y apprend bien autant que dans n'importe quelle autre école, peut-être même davantage. Elle suppose un sens de l'équitable - je ne dis pas de l'équité - qui relève avant tout du bon sens et de la psychologie, toutes choses qui s'apprennent sur le terrain tout autant, et peut-être même plus, que dans les écoles.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il est raisonnable de faire confiance à de tels magistrats,...
M. Jacques Peyrat. Eh oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... dès lors qu'ils seront animés d'un véritable esprit de responsabilité civique. Leur disponibilité sera un atout majeur qui permettra de préférer leur intervention à celle de magistrats qui, comme nous le constatons quotidiennement lors d'audiences interminables, sont amenés à prendre des décisions en série. Les magistrats ont d'ailleurs dénoncé, l'année dernière, au cours de leurs manifestations, cette logique d'« abattage ». Je préfère des juges disponibles, même s'ils n'ont pas de diplômes, à des juges diplômés, certes, mais qui sont obligés de procéder à un tel abattage à longueur de journée. Je crois que l'on peut prendre ce risque.
Permettez-moi d'ailleurs, à cette occasion, d'évoquer les grandes figures de Salomon et de Saint Louis. Après tout, un moment de détente n'est pas interdit ! (Sourires.)
Si donc Salomon avait observé la loi, il est probable qu'il aurait confié l'enfant une semaine à l'une des deux mères et la semaine suivante à l'autre, comme nous le voyons tous les jours !
Mais Salomon a été beaucoup plus malin, faisant usage non pas de ses connaissances juridiques, mais d'une profonde et d'une très grande finesse psychologique. Tout le monde connaît l'histoire, et je n'y reviens pas, sauf pour relever qu'elle manifeste la supériorité de l'expérience de la vie sur la science juridique.
Quant à Saint Louis rendant la justice sous son chêne, on a beau en rire, il n'empêche qu'il incarne l'accessibilité. C'est ce qui fait que, dans la tradition populaire, est ancrée cette image : tout le monde pouvait aller trouver facilement Saint Louis et se faire rendre justice. Ce n'était pas non plus un juriste, mais il était accessible, intelligible, compréhensible.
Ce sont des considérations auxquelles il faut continuer de réfléchir.
Mais je laisse momentanément cette question, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir. Il reste l'essentiel, à savoir que la formule proposée, si elle constitue une initiative politique majeure et féconde, pose, pour ce qui est des modalités de sa mise en oeuvre, des difficultés qui ne pourront être surmontées qu'au prix, me semble-t-il, d'un investissement intense et total du ministre lui-même et de ses services, car, en définitive, on peut bien aligner des solutions différentes, ce qui fait le succès d'une formule, c'est la qualité de l'action mise à son service.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et si l'action échoue ou réussit, c'est moins parce que, sur le plan théorique, la formule était ou non la meilleure, mais parce que ceux qui en étaient responsables se sont réellement investis dans sa mise en oeuvre.
Nous sommes ainsi conduits à voir dans ces modalités une démarche exploratoire plus qu'une formule définitive.
Je relève au passage que l'exposé des motifs du projet de loi confirme son caractère expérimental et, pour le compléter, la plus instructive et la meilleure, à tous égards, des expériences - je me permets de la suggérer, mais je ne serai sans doute pas le seul ! - consisterait, lorsque la Constitution aura été révisée et permettra des expérimentations ponctuelles, à choisir quatre ou cinq tribunaux d'instance représentatifs, en milieu rural et en milieu urbain, répartis de manière équilibrée sur tout le territoire, et à leur donner la possibilité de mettre en oeuvre la rénovation à laquelle nous pensons, avec, naturellement, les moyens correspondants. Au bout de trois ou quatre ans, nous comparerions leurs résultats avec ceux qui auront été obtenus par ailleurs afin d'en déduire ce qui pourrait être la forme définitive d'une justice de proximité.
C'est par une telle démarche, pragmatique, que nous serons le mieux à même de trouver quelle justice de proximité répondra à notre attente comme à celle des justiciables « du bas », et c'est dans cet esprit et dans cette perspective que la majorité de la commission des lois en salue et en approuve la création, sinon avec enthousiasme, du moins avec détermination et confiance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Puis-je tout d'abord, monsieur le garde des sceaux, vous dire ma grande satisfaction ? Une fois n'est pas coutume, en seize ans de mandat !
Je suis satisfait de constater combien les travaux que le Sénat mène depuis une dizaine d'années sur tous les sujets concernant la justice, avec une grande constance et souvent une grande ténacité, ont manifestement alimenté vos réflexions.
A l'évidence, vous partagez des préoccupations qui ont souvent été les nôtres ; et, si toutes nos propositions ne sont pas reprises, nos objectifs sont communs et nous sommes, pour parler familièrement, « sur la même longueur d'onde » !
Vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, certains de vos prédécesseurs ; permettez-moi de mentionner les travaux de quelques sénateurs !
Je pense notamment aux rapports des deux rapporteurs spéciaux qui m'ont précédé, M. Jean Arthuis et M. Alain Lambert ; aux travaux de deux commissions d'enquête que Jean Arthuis et moi-même avons menés et qui ont abouti à des rapports adoptés à l'unanimité ; aux travaux de nos collègues MM. Fauchon et Jolibois ; à ceux de la commission d'enquête sur les prisons et de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, conduits les uns par nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, les autres par Jean-Pierre Schosteck - à tout seigneur, tout honneur ! - et Jean-Claude Carle, ici présent ; plus récemment encore, aux conclusions de la mission d'information menée par nos collègues MM. Hyest et Cointat, intitulées : Quels métiers pour quelle justice ? ; enfin, au rapport sur Les Infractions sans suite ou la délinquance mal traitée. Tous ces travaux furent autant de constats dressés sur la justice sinistrée.
Nous avions tort d'avoir raison trop tôt ! Il nous arrivait d'avoir l'impression de prêcher dans le désert, mais ceux qui prêchent dans le désert, on le sait, sont parfois des précurseurs, puisque nous voilà enfin saisis d'un projet de loi de programmation de crédits et d'emplois, j'y insiste, sans précédent.
De quoi s'agit-il ?
Je pense tout d'abord à la nécessité de traiter de façon cohérente et coordonnée les questions liées à la sécurité et celles qui concernent la justice. Je présente souvent la lutte contre la délinquance comme une chaîne dont aucun des maillons ne doit être oublié, ni en amont ni en aval. Grâce aux deux projets de loi « jumeaux » déposés par le Gouvernement, police et gendarmerie, justice et prisons, aucun des maillons de la chaîne ne sera désormais un « maillon faible » ! C'est mon premier sujet de satisfaction.
Mon second sujet de satisfaction, c'est qu'enfin « on y verra clair » !
La justice est le premier constructeur de l'Etat - vous l'avez vous-même rappelé, monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition au Sénat la semaine dernière -, elle emploie près de 70 000 fonctionnaires, elle rend des millions de jugements par an... Trop souvent, reconnaissons-le, tout cela était piloté « à vue » et les réponses étaient apportées au coup par coup.
Depuis 1991, M. Jean Arthuis et moi-même demandions une loi de programme pour donner de la lisibilité à l'action de l'Etat en matière de justice et la mettre en perspective, en particulier pour ce qui est de ses investissements, qui sont colossaux. Nous avons été entendus en 1995 puisque, pour la première fois, une loi de programme pour la justice a été votée par le Parlement. Je crois - je l'ai d'ailleurs écrit dans mon rapport - que l'expérience a été probante. Elle a été malheureusement trop courte, car le gouvernement de M. Lionel Jospin a refusé d'y donner suite. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Je ne dresserai pas un tableau exagérément pessimiste de la politique menée par le précédent gouvernement en ce domaine : incontestablement, même s'il était parfois difficile de s'y retrouver, des crédits substantiels ont été dégagés.
Mais, sur les 7 000 emplois créés au cours de cette législature, combien ont été absorbés par les 35 heures ? En matière d'équipement, combien de programmes n'étaient que des effets d'annonce, sans calendrier précis pour le lancement des travaux ou sans financement fléché ? En matière d'organisation, quelles grandes réformes ont accompagné ces distributions de crédits ? Le pilote avançait à vue, sans stratégie globale, et le Parlement jouait à « colin-maillard » !
Rapporteur spécial des crédits de la justice, j'ai demandé à de nombreuses reprises aux gardes des sceaux successifs, à cette tribune, de nous présenter une loi de programme, car j'estimais que c'était indispensable. Rarement on m'a répondu.
J'ai néanmoins pu conserver une réponse écrite au questionnaire adressé au ministère lors de la préparation du budget pour 2001, réponse dans laquelle le garde des sceaux me soutenait qu'il était de meilleure politique de fixer chaque année le montant des crédits nécessaires, « au coup par coup », serais-je tenté de dire, que de programmer les investissements sur plusieurs années.
Pourquoi suis-je tant attaché au principe de la loi de programme, me demanderez-vous.
Je vous le concède, une loi de programme n'a aucune valeur juridique : les « vrais » crédits, ceux qui, comme les espèces, « sonnent » et « trébuchent », ne sont pas inscrits dans cette loi, mais le seront dans les lois de finances pour les cinq prochaines années.
Une loi de programme a surtout une valeur morale : elle constitue un engagement fort du Gouvernement devant le Parlement et devant les citoyens. C'est donc un contrat ! Elle présente de façon claire les objectifs du Gouvernement à moyen terme, et le Parlement pourra exercer le contrôle de sa mise en oeuvre dans un cadre clairement établi. Les montants des crédits programmés sont connus de façon assez détaillée pour les cinq prochaines années - c'est là un autre sujet de satisfaction - et, en contrepartie de l'octroi de ces moyens supplémentaires, le Gouvernement s'engage très précisément sur les objectifs définis par la loi.
Les membres de la commission des finances ont été particulièrement sensibles à la question de l'évaluation des résultats, nous y reviendrons peut-être lors de la discussion des articles.
Monsieur le garde des sceaux, vous vous fixez des objectifs, vous bénéficiez des moyens pour les atteindre et vous mesurez vos résultats ; c'est de bonne méthode, et nous approuvons tout à fait cette démarche de transparence.
Vous devez vous dire, mes chers collègues, que, pour un commissaire des finances, je n'ai pas encore assené beaucoup de chiffres ! Je vous rassure, en voici quelques-uns.
Tout d'abord, le Gouvernement nous propose de créer 10 100 emplois budgétaires en cinq ans, soit une augmentation de 15 % par rapport aux effectifs actuels ; à quoi il faut ajouter les vacations qu'effectueront les 3 300 juges de proximité et les futurs assistants de justice administrative.
Ensuite, le Gouvernement nous propose de programmer 1,750 milliard d'euros d'autorisations de programme pour mener à bien ses grands travaux de construction ou de rénovation de l'ensemble des bâtiments affectés à la justice.
Enfin, il nous propose de prévoir en paiements, pour l'ensemble de la période, une enveloppe supplémentaire de 3,650 milliards d'euros.
Est-ce trop ? Certainement pas !
Est-ce trop peu ?
La justice - tout le monde ici s'accorde à le dire - a d'énormes besoins.
Ses besoins en personnels sont colossaux. J'ai eu l'occasion de mener une mission dans les services de la justice du département du Haut-Rhin, et j'ai pu y constater les manques criants de personnels, tant dans les juridictions que dans les établissements pénitentiaires. Je me souviens, en particulier, de la prison de Mulhouse, dont le troisième étage était fermé par manque de surveillants et où, par conséquent, les détenus étaient entassés dans les deux autres niveaux !
Nous savons tous également que, pour que la lutte contre la délinquance que le Gouvernement entend mener soit une réussite, il faut des juges pour juger, et pour juger vite et bien !
Les besoins en équipements ne sont pas moins importants : les membres de la commission d'enquête sur les prisons se souviennent de certaines visites, particulièrement éprouvantes, je dois le dire, que nous avons pu faire dans des établissements « dignes de Charles Dickens », comme nous l'écrivions à l'époque !
Les sommes annoncées par le Gouvernement sont réellement à la hauteur des enjeux. Ainsi, la création de 10 100 emplois représente deux fois et demie l'effort accompli dans le cadre de la loi de programme relative à la justice du 6 janvier 1995. De même, 1,750 milliard d'euros d'autorisations de programme permet tout simplement le doublement du niveau d'investissement actuel.
On pourrait presque redouter que le projet de loi ne soit trop généreux !
En effet, en matière de personnels, l'effort de recrutement et de formation sera extrêmement important. Mes craintes sont toutefois apaisées, car le Gouvernement a également prévu d'augmenter en conséquence ses capacités de formation. Cependant, une question reste en suspens : trouvera-t-on assez de candidats motivés et de qualité suffisante pour assurer ces missions régaliennes ? A n'en pas douter, il faudra mettre en oeuvre des moyens modernes de communication et de publicité. (M. le garde des sceaux opine.)
En matière de crédits d'équipement, je me suis également interrogé, mais votre présence sur ce banc me rassure, monsieur le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice : le ministère ne prévoit-il pas plus qu'il ne pourra consommer ?
Trois éléments innovateurs m'incitent cependant à l'optimisme. Il s'agit d'abord de la création, réalisée en 2001, d'une agence dédiée aux travaux immobiliers du ministère de la justice, qui devrait mener les opérations plus vite que ne le faisait l'administration judiciaire ordinaire. Il s'agit ensuite de la nomination très récente d'un secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, qui va « booster » tout cela, insuffler une volonté politique forte et « veiller au grain ». Il s'agit enfin de l'éventail d'outils juridiques dont le Gouvernement s'est muni pour accélérer ses travaux. A cet égard, je vous renvoie à nos rapports écrits.
Des crédits, des emplois, c'est bien. Mais vous savez que je n'ai jamais jugé un budget à la seule aune de son montant global.
Un bon budget, ai-je coutume de dire, est un budget qui fait mieux avec la même somme. Dans les cinq ans à venir, le Parlement vous autorisera à dépenser plus, monsieur le garde des sceaux, et votre souci de faire mieux - et sans doute autrement - ne devra en être que plus vif ; mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen du projet de budget de votre ministère, en fin d'année.
Des réformes d'organisation, de fonctionnement, de méthodes, doivent être engagées pour permettre une meilleure utilisation de l'argent public et un meilleur service rendu à l'usager. Je dois reconnaître que si vous ouvrez le portefeuille de l'Etat pour les cinq ans à venir - et l'on sait dans quel contexte budgétaire difficile vous le faites - vous ne vous contentez pas de cela : ces réformes nécessaires, vous les engagez déjà avec ce projet de loi. Laissez-moi encore vous en féliciter et vous souhaiter de poursuivre votre oeuvre pendant ces cinq ans.
J'ai déjà abordé de nombreux thèmes en «-tion » : évaluation, programmation...
M. Jean-Pierre Sueur. Aberration...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. J'en ai oublié un, qui me tient à coeur, c'est l'« expérimentation ».
Ma conviction profonde - j'ai souvent eu l'occasion de l'exprimer - est que les réformes ne peuvent pas être imposées du jour au lendemain depuis Paris : il ne peut s'agir d'une sorte d'organisation artificielle plaquée sur du vivant et sur des réalités différentes selon les territoires. De telles méthodes risquent, on le sait, d'aboutir à des crispations et à des blocages plus qu'à des améliorations !
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a présenté sa méthode, qui me paraît excellente, tant en matière de démocratie locale que de manière générale : « concertation, pragmatisme, expérimentation ». J'avais moi-même développé un « quartet » de concepts proche du « triptyque » du Premier ministre : expérimenter pour « tester, ajuster, convaincre, puis, le cas échéant, étendre ».
L'expérimentation devrait permettre de tester en douceur, de façon pragmatique, de nouvelles méthodes qui ne font pas encore l'unanimité, que certaines corporations rejettent ou qui paraissent inadaptées à telle ou telle partie du territoire en raison de spécificités géographiques, historiques ou culturelles.
A l'issue de quelques années, une évaluation permettrait de tirer les enseignements de l'expérimentation, laquelle, après une nouvelle phase de concertations et d'ajustements, pourrait éventuellement être étendue ensuite à l'ensemble du territoire.
C'est pour introduire plus de souplesse dans l'organisation des juridictions judiciaires et assurer une meilleure gestion de leurs ressources que j'ai donc proposé à la commission des finances, qui l'a adopté, un amendement permettant des expérimentations en matière d'organisation judiciaire. J'indique d'emblée que je suis « paré » sur le plan constitutionnel, et je m'en expliquerai si l'on m'interroge.
Ces expérimentations pourront avoir lieu dans les cinq prochaines années. Elles devront être fondées sur le volontariat des juridictions concernées, des barreaux, des collectivités locales.
Je le répète, le présent projet de loi est cohérent, volontaire et ambitieux. Il va dans le sens souvent recommandé par le Sénat et prévoit un ensemble de moyens sans précédent. Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous en féliciter.
Ce ne sera pas une surprise : la commission des finances est favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 40 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 17 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, mes chers collègues, voici donc que nous est soumis, en ce début de législature, un texte très important en même temps que très volumineux.
Monsieur le garde des sceaux, je commencerai par un propos rétrospectif et un hommage à vos prédécesseurs, en m'arrêtant - chacun le comprendra - à vos prédécesseurs des dix dernières années.
Il n'est pas de garde des sceaux qui n'ait, au début de ses fonctions, tenu à témoigner de sa volonté de réformer « en profondeur » - c'est le terme qui, toujours, est utilisé - la justice. Il n'est pas de gouvernement - il suffit, à cet égard, de relire les déclarations de politique générale des Premiers ministres successifs qui n'ait dit que la justice serait sa priorité.
Puis les gardes des sceaux successifs ont fait ce qu'ils ont pu et comme ils ont pu. Ils ont eu l'occasion de vérifier - ne voyez pas dans mon propos une annonce pessimiste - que les douceurs de la place Vendôme ne contrebalancent pas nécessairement les difficultés de la vie ministérielle : dans la haute fonction que vous assumez, on rencontre plus d'épines que de roses !
Cela n'a cependant en rien empêché vos prédécesseurs d'avancer autant qu'ils le pouvaient, et je rends à cet égard un hommage particulier à deux d'entre eux, Mmes Guigou et Lebranchu.
Mes collègues qui se sont exprimés ce matin les ont, monsieur le garde des sceaux, elles aussi félicitées de leurs budgets, de leur volonté, de l'intensité des réformes proposées. Ils ont marqué - la lecture de nos nombreux débats permet de le vérifier - qu'ils appréciaient leur souci constant d'amélioration de la justice, souci que partageaient d'ailleurs, je le dis, MM. Méhaignerie et Toubon.
Je le dis, parce que je tiens à rappeler en cet instant que vous ne démarrez pas de zéro : vous vous inscrivez dans un parcours, tout particulièrement en ce qui concerne les efforts budgétaires. Ainsi, de 1997 à 2002, le budget de la justice est passé de 24,862 milliards de francs à 30,8 milliards de francs, soit une augmentation de 20 %. Ce n'est pas rien ! Pour les services de protection de la jeunesse - nous y reviendrons -, l'augmentation a même été plus forte encore.
Je pensais, monsieur le garde des sceaux, que, arrivant dans ce ministère, vous auriez à coeur de présenter au cours de la session extraordinaire annoncée les perspectives que vous vous traciez. Bref, je m'attendais à un débat d'orientation classique et, bien sûr, à ce que vous nous indiquiez l'enveloppe budgétaire que le Gouvernement entendait consacrer à la justice.
Je m'attendais aussi - le thème ayant été martelé pendant les élections, c'était sans illusion - à quelques mesures contre l'insécurité, à quelques dispositions de procédure, à une inévitable discussion, même partielle, sur la délinquance juvénile.
Mais vous ne vous êtes pas engagé dans ce processus et c'est avec un grand étonnement que nous avons « reçu » - le terme est le seul possible - un projet de loi fleuve - l'avant-projet dont j'ai eu communication comportait quarante-deux pages, un exposé des motifs très long, des annexes considérables - revêtant une dimension normative, très importante sur les sujets les plus divers.
J'en dresse l'inventaire : la création d'un nouvel ordre juridictionnel, le durcissement du droit pénal des mineurs, le renforcement ce que vous appelez « l'efficacité de la procédure pénale », l'amélioration des établissements pénitentiaires, la prise en charge des victimes, et même le traitement du contentieux administratif, lequel ne paraît pourtant pas relever d'un impératif d'urgence...
A un moment de ma lecture, je me suis demandé quel domaine de la justice échapperait à ce texte !
Il est un sujet, en tout cas, auquel vous n'avez pas fait allusion, et je me permets de vous le signaler, car, s'il n'a jamais cessé de nous préoccuper ; dans la période de crise économique qui, je le crains, s'annonce, il faudra plus que jamais y porter garde. Je veux parler de la réforme des tribunaux de commerce. C'est un impératif catégorique, tout particulièrement en ce qui concerne le droit des procédures collectives.
S'agissant maintenant du volet budgétaire, vous avez évoqué les crédits inscrits dans ce projet de loi de programmation.
Les lois de programmation ont un avantage : elles permettent d'y voir plus clair. Elles ont en outre un bénéfice politique : on croit que ce qui est écrit est réalisé. L'expérience nous a, hélas ! appris que les lois de programmation ne sont pas nécessairement vouées à s'appliquer sur la durée.
Un exemple récent : la très intéressante programmation sur cinq ans du recrutement des magistrats proposée par M. Méhaignerie a été respectée les premières années, mais la rigueur économique de la période 1995-1997 a contraint M. Toubon, dans le budget de 1997, à mettre un terme à la progression du nombre de magistrats.
On doit donc espérer, monsieur le garde des sceaux, que la conjoncture économique vous permettra de réaliser vos prévisions.
Aujourd'hui, on ne peut que saluer les efforts annoncés. Ils sont importants, même si, à certains égards, s'agissant de certains effectifs, les taux de progression proposés ne sont pas supérieurs aux taux de progression enregistrés au cours de la précédente législature, notamment dans le domaine de la protection de la jeunesse. Il n'en reste pas moins que vous pouvez être assuré, monsieur le garde des sceaux, que nous nous féliciterons de toute amélioration des moyens de la justice.
En revanche, je vous ferai un reproche s'agissant de la méthode.
Vous abordez des sujets complexes et vos propositions auraient dû être précédées d'une concertation avec toutes les professions judiciaires.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Robert Badinter. C'est un monde difficile, justement sensible. J'ai été surpris que, pour des réformes d'une telle importance, vous vous contentiez - je suis convaincu que ce n'est pas par tempérament mais en raison des contraintes du calendrier politique - d'envoyer des avant-projets puis de recevoir des observations sans consacrer de temps à l'écoute qui caractérise toute véritable concertation. L'été aurait pourtant été propice à ce genre de concertation.
Le résultat inévitable, vous le connaissez, nous l'avons mesuré. Qu'il s'agisse des magistrats, des associations de magistrats - en particulier de l'instance composée de personnalités éminentes qu'est la conférence des premiers présidents -, des organisations professionnelles du barreau, y compris les plus modérées, sans oublier les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ou les juges des enfants, de toutes parts, les reproches et critiques ont fusé.
Dès sa naissance, le projet de loi reçoit donc un accueil qui n'augure pas d'une acclimatation facile et je ne partage pas, sur ce point, l'optimisme de M. Fauchon.
Que dire des protestations véhémentes de la commission nationale consultative des droits de l'homme et des associations de défense des droits de l'homme ? Il ne faut point parler ici de « belles âmes ». Il faut parler de ceux qui ont à coeur la défense des droits et des libertés. Si cela suffit à vous constituer en belle âme pour l'éternité, tant mieux ! Je sais que, pour leur part, ces défenseurs des droits et des libertés situent leur action dans le domaine qui est le nôtre - ils sont fortement laïcs -, celui du monde terrestre.
Monsieur le garde des sceaux, il n'y a aucune raison à cette démarche précipitée.
C'est vrai, des textes ont été présentés in extremis à la fin de la précédente législature. Cela a d'ailleurs suscité, je le rappelle, une protestation unanime de la commission des lois du Sénat. Force est de reconnaître qu'avant de se présenter devant les électeurs on veut avoir achevé l'examen du plus grand nombre de textes possible !
Mais, vous, vous n'êtes pas dans cette situation ! Vous avez cinq ans - sauf événement particulier - devant vous. Vous disposiez donc du temps de la concertation, de la réflexion et de l'étude.
On dit que l'urgence est devenue la règle parlementaire. Pour ma part, j'ai usé et abusé du temps du Parlement lorsque j'étais garde des sceaux, et j'avoue avoir eu la passion des textes. Mais une seule fois, en cinq années, j'ai eu recours à la procédure d'urgence, tant je suis convaincu que la procédure parlementaire régulière ne peut qu'améliorer les textes. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Nous voilà donc confrontés, dans l'urgence, à ce « produit » qui suscite des réactions qu'il faut bien qualifier de négatives, des incertitudes, des questions et des objections.
A ce stade, je n'évoquerai pas tous les détails du projet de loi.
S'agissant des droits des victimes, les mesures législatives présentées sont intéressantes, mais reconnaissons qu'elles ne constituent pas, en elles-mêmes, des avancées essentielles. Cela étant, nous les voterons, et nous essaierons même de les améliorer.
En ce qui concerne la question des établissements pénitentiaires, mon ami Louis Mermaz, qui a présidé, à l'époque où il était député, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation dans les prisons françaises, interviendra ultérieurement sur ce sujet au cours du débat.
En ce qui concerne les dispositions de procédure pénale, notre éminent collègue Michel Dreyfus-Schmidt, que ces questions passionnent et qui est un incomparable expert, prendra avec force la parole au cours du débat et lors de l'examen de la notion tendant à opposer la question préalable. Cependant, je voudrais, pour ma part, marquer mes doutes, mes réserves et mes critiques s'agissant de deux thèmes essentiels : la justice de proximité et la justice des mineurs.
En ce qui concerne la justice de proximité, je ne connais personne - je dis bien personne - au sein du monde judiciaire et, plus généralement, de ce que l'on appelle la société civile, qui soit l'adversaire de son développement. Depuis de vingt ans, dans les colloques, les réunions et les conférences, dans les écrits et les revues juridiques, la question de la justice de proximité n'a cessé de susciter l'intérêt. La littérature sur ce sujet est immense, et des progrès ont été réalisés.
Tout le monde est donc favorable à la justice de proximité, il n'est point besoin d'effectuer un sondage pour le vérifier. Nous rêvons tous en effet d'une justice rapide, accessible, peu coûteuse et qui soit en même temps à l'écoute. Par conséquent, il s'agit non pas de décider si développer la justice de proximité est ou non souhaitable, mais de définir ses caractères et de déterminer comment l'organiser au mieux.
A cet égard, je pense qu'une confusion s'est glissée dans les esprits entre la notion de justice de proximité et celle de juge de proximité. Or elles ne se rejoignent pas nécessairement.
La justice de proximité est aujourd'hui exercée, tout naturellement, par le juge d'instance, successeur du juge de paix. Qu'il faille améliorer le fonctionnement de la justice d'instance, nous en sommes convaincus ; que, à cet égard, la renforcer soit indispensable, s'agissant notamment des juges suppléants, cela va de soi et j'en suis moi aussi partisan ; mais c'est en son sein que se situe à proprement parler la justice de proximité, c'est en son sein qu'il faut la faire prospérer ! Nous avions déjà quatre ordres juridictionnels : l'instance, la grande instance, l'appel, la cassation. Maintenant, nous aurons celui des magistrats de proximité, composé de 3 300 juges ! Même si cela part d'une louable intention, monsieur le garde des sceaux, la création d'un cinquième ordre juridictionnel sera, je puis vous l'assurer à regret, une source plus que prévisible de difficultés considérables.
Je ne veux pas, à cet égard, me référer à une autre autorité que celle de la Conférence nationale des premiers présidents. Vous connaissez la teneur de la note qu'ils ont remise à notre rapporteur, mes chers collègues : « La création d'une juridiction nouvelle s'ajoutera à la mosaïque des juridictions existantes et compliquera - on parlait d'exigence de simplicité ! - une organisation judiciaire déjà illisible pour nos concitoyens. Elle entraînera des conflits de compétences, des risques de contrariété des décisions avec les juges d'instance, mais surtout une dispersion, une sous-utilisation des moyens nécessaires à son fonctionnement : locaux, greffe, informatique. »
Quand j'ai entendu dire, en commission des lois, que l'on n'avait rien prévu, s'agissant des secrétaires-greffiers, pour accompagner la création de ces 3 300 juges...
M. Dominique Perben, garde des sceaux. C'est faux !
M. Robert Badinter. Cela nous a été dit hier en commission des lois !
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce n'est pas tout à fait cela.
M. Robert Badinter. Nous reviendrons tout à l'heure sur ce point.
En tout cas, s'il s'agit simplement de recourir aux greffes des juridictions d'instance existantes, je puis vous assurer que nous irons de difficulté en difficulté. La Conférence nationale des premiers présidents ajoute, à propos de cette création inopportune et inutile - les deux adjectifs sont de moi -, que « le contentieux qu'il est envisagé de confier aux juges de proximité est traité actuellement dans des conditions satisfaisantes par les tribunaux d'instance, qui sont très accessibles, qui ont une procédure au formalisme réduit, qui rendent une justice rapide - les délais sont de trois à cinq mois -, peu coûteuse et de qualité. Il suffisait d'étendre le champ de leurs attributions et de les renforcer en conséquence ». Voilà les éléments que la concertation vous aurait certainement apportés, monsieur le garde des sceaux.
A ce stade, je formulerai deux observations.
S'agissant tout d'abord de la compétence civile - je ne parlerai pas des conflits de compétence -, votre texte recoupe, pour l'essentiel, ce qui relève de la compétence des juges d'instance. En matière civile, on a déjà recours, de la façon la plus large, à ce qui constitue la dimension moderne de la justice de proximité, à savoir éviter que, précisément, les litiges ne dégénèrent en contentieux judiciaires.
A propos de la promotion de la conciliation et de la médiation, le premier président de la cour d'appel de Paris me disait que, actuellement, 50 % des tentatives de conciliation aboutissent. La solution est donc de renforcer les moyens de la conciliation et le nombre des conciliateurs placés auprès des juges d'instance.
J'irai plus loin en soulignant que, dans toutes les sociétés qui sont proches de la nôtre, monsieur le garde des sceaux, on développe ce que l'on appelle les modes alternatifs de résolution des conflits, au travers des centres de médiation, y compris professionnels ou associatifs. Là est la voie de l'avenir !
Je suis certes convaincu que les juges de proximité verront le jour - puisque c'est une volonté politique affirmée, cela se fera, disaient les premiers présidents -, mais nous rencontrerons bien des problèmes ! Je crains que ces 3 300 juges ne soient, en définitive, que des supplétifs judiciaires. Je suis navré d'employer une telle expression, qui évoque un rang secondaire, mais si je le fais, c'est parce que le texte comporte une indication saisissante et qui méconnaît les principes, selon laquelle, en cas de difficulté juridique sérieuse, le juge de proximité pourra, à la demande des parties ou d'office, renvoyer le litige à une autre juridiction...
Je n'ai pas besoin de rappeler ce que signifierait un tel aveu de carence : en effet, l'article 5 du code de procédure civile dispose que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ». Ce principe implique que le juge doit se prononcer et ne peut dénier sa compétence juridique.
En ce qui concerne la compétence matérielle, j'ai dit ce que j'avais à dire sur la compétence civile, mais il reste la question de la compétence pénale.
S'agissant de cette dernière, je vous avouerai que j'ai des doutes sur la constitutionnalité des dispositions présentées. Bien entendu, vous avez exclu du champ de compétence de la justice de proximité tout ce qui pouvait entraîner des sanctions telles que l'emprisonnement ; cela va de soi : le magistrat, aux termes de la Constitution, est le seul gardien des libertés individuelles. Toutefois, quand il s'agit de sanctions pénales, je ne crois pas que l'on puisse distinguer de façon décisive l'emprisonnement des autres sanctions pénales. Je pense, pour ma part, qu'il revient aux seuls magistrats de l'ordre judiciaire - j'y insiste - de prononcer des sanctions pénales. Nous verrons ce qui ressortira des débats à cet égard, mais je ne suis pas sûr, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez aller dans la direction que vous souhaitez : les juges de proximité, même s'ils seront créés par une loi organique, ne seront pas des membres du corps judiciaire ; ils ne seront pas des magistrats professionnels.
En tout état de cause, quelles que soient les considérations constitutionnelles, vous ne devez pas envisager l'attribution de compétences pénales aux juges de proximité en ce qui concerne les mineurs, même s'il ne s'agit que des quatre premières classes de contraventions. Ne faites pas cela ! Le juge de proximité ne peut pas avoir les connaissances et la formation nécessaires en matière de délinquance juvénile. Même si les faits sont mineurs, il demeure qu'ils s'inscrivent nécessairement dans un parcours pénal, et le grand principe qui structure la justice pénale des mineurs, c'est, ai-je besoin de le dire, la compétence de magistrats professionnels spécialisés.
Même s'agissant des contraventions, je ne crois pas que vous puissiez ni qu'il faille y déroger. J'ajoute que ce point relève aussi des conventions internationales.
La délinquance des mineurs représente aujourd'hui le sujet à la fois le plus sensible et le plus difficile pour notre justice pénale. Un rapport très approfondi, très intéressant et, à bien des égards, porteur de suggestions vient de nous être présenté sur ce sujet par la commission d'enquête présidée par M. Schosteck. Je pense, quant à moi, que la question générale de la protection judiciaire de la jeunesse, et plus particulièrement du sort des mineurs délinquants, appelle non pas un débat partiel, mais un débat complet, profond, à partir notamment du rapport de la commission d'enquête et d'un projet de loi structuré, élaboré par le Gouvernement au terme d'une longue concertation avec toutes les professions intéressées.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Robert Badinter. Nous aurions alors pu avoir un véritable débat. Je ne crois pas que prendre dans la précipitation et sans concertation, malgré les violentes critiques formulées par tous les spécialistes de la jeunesse - qu'il s'agisse des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, des juges des enfants ou de la défenseure des droits des enfants -, des mesures partielles à caractère purement répressif, dont je ne dirai pas, parce que je ne le pense pas, qu'elles répondent à un souci d'affichage, soit la bonne façon de procéder.
De surcroît, monsieur le ministre, dans ce domaine plus que dans tout autre, la prévention et la répression sont liées. J'ai constaté que, dans les vingt-huit pages de votre projet de loi - exposé des motifs compris, les annexes étant laissées de côté -, le mot « prévention » n'apparaissait qu'à deux reprises.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Robert Badinter. Voilà qui est révélateur ! Je ne me référerai pas à Lacan et à la signification du non-dit, mais tout de même ! S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, le mot « prévention » ne figure qu'à deux reprises, une fois en simple référence aux politiques générales de lutte contre la délinquance, et une seconde fois dans une phrase selon laquelle il convient de « traiter plus efficacement la délinquance des mineurs en développant la prévention de la récidive ». Certes, mais comment ? Tel était l'apport que j'attendais au premier chef.
Nul ne conteste - et c'était une raison supplémentaire pour en débattre sérieusement à l'occasion de la procédure organisée que j'évoquais - l'aggravation de la situation dans ce domaine depuis dix ans. Comme le souligne le rapport de la commission d'enquête, le nombre de mineurs impliqués dans des procédures pénales a crû considérablement. Cela ne signifie pas nécessairement que la part des mineurs dans la délinquance globale a augmenté dans les mêmes proportions, mais cela indique que le nombre des mineurs présentés devant l'autorité judiciaire s'est accru de façon considérable.
Le rapport fait état d'une augmentation de 79 % depuis 1992. J'ai lu très attentivement le rapport si intéressant de la commission sénatoriale. J'ai constaté, ce qui est révélateur, que la hausse la plus forte s'est produite durant la période 1994-1997, puisque le nombre de mineurs mis en cause est alors passé de 110 000 à 154 000. J'ai également constaté que l'augmentation n'avait ensuite cessé de se réduire. En 1999, nous avons même observé, pour la première fois, une diminution de 0,8 %. En 2000, l'augmentation a été de 2,86 % et en 2001 de 1 %.
Cela ne signifie pas que le succès était acquis et qu'il ne fallait plus s'atteler à cette priorité. Mais cette évolution est la conséquence, sur cette période, des efforts conduits par le gouvernement précédent.
A cet égard, je dois rappeler que les crédits consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse pour 2002 s'élèvent à 540 millions d'euros, soit une augmentation de 40 % en cinq ans, ce qui est considérable. On a créé 1 310 postes.
Pour me préparer à une conférence à l'Institut des hautes études sur la sécurité intérieure, j'avais étudié l'évolution de la protection judiciaire de la jeunesse puisque je savais que nous en parlerions. A ma stupéfaction, j'avais constaté que, de 1985 à 1997, le nombre d'éducateurs n'avait quasiment pas augmenté.
Cela n'est pas autre chose que la traduction de cette double évidence : quand il s'agit de lutter contre la délinquance des mineurs, il faut prévenir les causes et renforcer les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse. C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, nous soutiendrons toujours toutes les dispositions que vous proposerez dans ce domaine quand il s'agit d'accroissement des moyens.
Au-delà de cette question, il y a, au coeur du débat, ce qui constitue le principe même de la justice des mineurs depuis plus d'un demi-siècle dans notre pays. Là encore, ce n'est pas né d'un souci d'angélisme. Le principe de base toujours maintenu et que nul ne discute, c'est que le mineur est non pas un adulte en réduction ou un adulte en miniature, mais un être en devenir, un être en évolution. Dans cet hémicycle, nous sommes quasiment tous pères de famille et nombreux sont ceux qui sont grands-pères, à commencer par celui qui vous parle en cet instant. Nous savons tous qu'un enfant de dix ans n'est pas le pré-adolescent ou l'adolescent de treize ans, que celui de treize ans n'est pas celui de seize ans ni celui de dix-huit ans, et qu'entre les uns et les autres il y a évolution, transformation. Toute la justice des mineurs repose sur cette évidence-là. C'est pourquoi il faut accompagner les mineurs, faire en sorte qu'ils changent, qu'ils regagnent les voies que nous souhaitons. Il n'y a pas de parent qui n'ait connu de crise avec ses enfants, pas un ! Ou alors, c'est qu'il vivait sur un nuage.
Dieu merci, cela ne se traduit pas parce que nous constatons pour les mineurs mis en cause, qui, pour la plupart, ne comptent pas parmi ceux qui ont bénéficié de toutes les chances et de tous les avantages de la vie. En effet, les bonnes fées se sont rarement penchées sur ces berceaux-là !
Il faut accorder la primauté aux mesures éducatives, encore et toujours - c'est ce qu'ont voulu les auteurs de l'ordonnance de 1945 - et assurer le traitement sur la durée des mineurs. Il ne faut pas exclure pour autant la sanction, bien sûr dans les cas qui l'appellent. Cependant, je vous invite à regarder les statistiques. Pourquoi ne pas constater la sévérité des peines prononcées à l'heure actuelle par notre justice à l'encontre des mineurs ? Si, depuis un demi-siècle, on a voulu maintenir la primauté de la mesure éducative sur la peine et du milieu ouvert sur l'enfermement, ce n'est pas par angélisme !
Monsieur le garde des sceaux, une vérité terrible est inscrite dans l'histoire de la répression de la délinquance des mineurs : les prisons pour mineurs, qu'on les appelle maisons de correction, colonies pénitentiaires ou quartiers pour mineurs, n'ont, hélas ! - et nous le savons tous - jamais produit d'autre résultat, d'autre fruit que la récidive, le plus souvent aggravée. On dit que la prison est l'école du crime : dans le cas des mineurs, c'est vrai, et, croyez-moi, point n'est besoin de redoubler la classe.
Si tout a été voulu pour empêcher cet enfermement, ces bouillons de culture que l'on crée et dans lesquels on sait ce qui se passe, les lois du caïdat et de la force y règnant entre les mineurs eux-mêmes, c'est aussi pour cette raison, parce que tel est notre devoir et que cela répond à l'intérêt de notre société tout entière.
Quelles que soient les subtilités de terminologie dont on use, que l'on emploie l'expression « centre éducatif fermé » au lieu de « centre éducatif renforcé », si nous allons dans la direction que vous souhaitez, où allons-nous aujourd'hui enfermer ces mineurs ? La réponse - terrible ! - à cette question se trouve dans deux rapports sénatoriaux : d'une part, dans celui de la mission d'information présidée par M. Hyest et portant sur l'humiliation que constitue la situation des prisons en France ; d'autre part, dans le rapport de la commission présidée par M. Schosteck, qui évoque notamment la situation dans certains quartiers pour mineurs. Il est vrai que ces quartiers sont indignes.
J'ai été, je le rappelle, le premier au Sénat à demander la création de la commission qui a examiné la situation des maisons d'arrêt, y compris, bien sûr, celle des quartiers pour mineurs.
Je remarque que, là aussi, des efforts considérables ont été faits - mais le retard est si grand ! - avec la création des centres pour mineurs. Leur initiative appartient à M. Toubon, mais ils ont ensuite été effectivement mis en place par Mme Guigou puis par Mme Lebranchu. A cette époque, pour éviter l'enfermement des mineurs, cinquante centres de placement immédiat et cent centres éducatifs renforcés ont été créés. Sauf erreur de ma part, ils devraient être achevés au cours de l'année.
Vous disposez là d'instruments. Essayez-les ! Mais que l'on ne se dirige pas vers une politique carcérale pour les mineurs ! Les fruits d'une telle politique seraient, croyez-moi, plus qu'amers. S'agissant des mineurs, lorsque le moment pour intervenir est passé, on ne le retrouve pas par la suite.
Vous me direz que l'on peut déjà agir puisqu'il est prévu de créer des établissements. Ainsi, monsieur le garde des sceaux, je vois assis à vos côtés et, à l'évidence, ravi de s'y trouver, M. Bédier, nouveau secrétaire d'Etat, dont la mission est de prendre en charge les constructions judiciaires et les renovations des établissements. Dieu sait qu'il y en a besoin !
Le contenant est certes important, mais l'essentiel, c'est le contenu, ce sont ceux qui s'y trouvent. Vous avez évoqué la création d'établissements pénitentiaires modernes. Je la souhaite. L'ensemble du Sénat l'appelle de ses voeux. Mais ils ne seront pas disponibles demain ! Alors, où enfermerez-vous les mineurs concernés aujourd'hui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Robert Badinter. Je le dis clairement : ce n'est pas là que nous trouverons la solution. Je reviendrai sur ce point en formulant des propositions lors de l'examen des articles.
J'évoquerai maintenant l'abaissement de treize à dix ans du seuil non pas de la responsabilité pénale, mais de la sanction pénale.
C'est une question de discernement. En vérité, pour nous, pour notre justice, comment peut-on dire qu'à partir de l'âge de dix ans on passera à la sanction pénale ? Certes, on a exclu, et c'est heureux, parmi ces sanctions dites éducatives toute mesure d'incarcération, cela va de soi. Mais ce qui m'a frappé, c'est que précisément, pour ces enfants - car ce sont bien des enfants de dix à treize ans dont nous parlons -, toutes les mesures que vous prévoyez peuvent déjà être prises, car ils sont en danger. S'ils ne l'étaient pas, il n'y aurait pas lieu de songer à des sanctions éducatives ! Entre dix et treize ans, l'enfant qui commet des actes délictueux est en danger.
Le juge peut déjà prendre des dispositions : que je sache, on n'a jamais laissé, ne serait-ce qu'un canif, à un mineur qui a été l'auteur de telle ou telle bagarre !
Il s'agit donc d'une stigmatisation inutile, qui sera ressentie comme telle.
En lisant vos propositions, j'ai le sentiment que rien n'avance et que, au contraire, nous faisons des retours en arrière, alors même que notre justice change tant.
Depuis vingt ans, j'ai assisté à une immense évolution des esprits. Aujourd'hui, notre institution judiciaire dans son ensemble, toutes nos lois et nos procédures sont marquées du sceau de l'européanisation, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme s'agissant des procédures, du contrôle de constitutionnalité, de la rénovation de l'approche pour le contentieux de masse, de la naissance de modes alternatifs de résolution des conflits, de nouvelles approches de la délinquance des mineurs. Or on dirait que rien de tout cela ne compte et qu'on en revient, par une sorte de retour au passé, uniquement à des procédures et à des procédés qui, croyez-moi, n'ont jamais engendré que désastre.
Sur la procédure elle-même, mon ami Michel Dreyfus-Schmidt dira ce qu'il convient de dire. Pour ma part, je citerai simplement trois phrases.
Le bâtonnier de Paris, peu suspect de sympathie pour le parti auquel j'appartiens, a déclaré : « C'est un coup de barre à droite alors que la justice a besoin de sérénité et que la procédure pénale française est déjà l'une des plus contraignantes du monde. »
Quant au conseil de l'ordre de Paris, il a dit : « Nous pouvons sans crainte affirmer qu'il ne s'agit nullement d'une simplification, comme l'avait affirmé M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, mais bel et bien d'une volonté de vider de son sens la loi sur la présomption d'innocence. »
La conférence des bâtonniers, pour sa part, a dit : « Des mesures telles que le recours accru au témoin anonyme, l'augmentation des délits passibles de la comparution immédiate, l'augmentation des délais pour juger, l'augmentation de la compétence du juge unique, l'appréciation variable de la présomption d'innocence » - un comble pour un principe constitutionnel fondamental ! - « dans le cadre des demandes de mise en liberté aboutissent à rompre l'équilibre entre accusation et défense, et sont, pour partie, contraires à la norme et à la jurisprudence européenne. »
En ce qui me concerne - nous reprendrons tout cela en détail - je partage le sentiment de la conférence des premiers présidents, qui a regretté que les règles de procédure pénale fassent l'objet d'importants remaniements après chaque alternance politique, ce qui donne à nos concitoyens le sentiment d'une insécurité juridique et dévalorise des règles essentielles pour les libertés.
Je pense - je l'ai dit lors de la discussion du projet de la loi relatif à la sécurité quotidienne ainsi qu'au mois de mars, lors de l'examen de la proposition de loi visant à apporter quelques retouches à la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes - qu'il ne fallait pas toucher à cette loi renforçant la présomption d'innocence, voulue, je le rappelle, par le Président de la République, préparée par les travaux de la commission Truche, qui ont abouti à un texte présenté et soutenu avec vigueur et talent par Mme Guigou et pour lequel les parlementaires, toutes tendances politiques confondues - je pense notamment à certains membres de la commission des lois du Sénat - ont tant oeuvré.
Sur un texte de cet ordre, il faut attendre quelques années pour déceler les éventuelles réformes à entreprendre, les révisions à apporter. En effet, seule la pratique peut révéler tel ou tel défaut de procédure.
J'irai plus loin, et ce sera ma conclusion : assez de réformes de procédure pénale !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Robert Badinter. Il n'est que temps de mettre le holà à cette inflation qui, à juste titre, exaspère ceux qui portent la responsabilité si lourde de leur mise en oeuvre. Assez ! J'ai fait le calcul : dans les dix dernières années, il n'y a pas eu moins de vingt textes qui ont touché - et plus que substantiellement pour certains - à la procédure pénale. Vingt en dix ans ! Dès lors, comment voulez-vous parler de sécurité législative ? Que pensent ceux qui ont la responsabilité l'application de ces textes ? Que pensent ceux qui ont l'obligation de leur enseignement ? Que pensent ceux qui y ont recours pour la défense ?
La vérité, monsieur le garde des sceaux, c'est que nous sommes à l'orée du nouveau siècle et d'un nouveau système de procédure pénale.
La vérité, c'est que toutes ces réformes de procédure pénale que vous nous proposez n'ont pas de raison d'être !
La vérité, c'est que nous nous trouvons là, comme c'est déjà arrivé précédemment, dans une sorte de démonstration d'une volonté d'action à l'usage du public !
Mais ce n'est pas de cela dont nous avons besoin ! Ce dont nous avons besoin pour la justice française, c'est de l'élaboration calme par nous tous du nouveau modèle de justice et de procédure pénale. Il est aujourd'hui à dimension européenne. Il est en train de naître. Il nous appartient de le forger.
Je souhaite très profondément que, sans délai, nous nous attelions à cette tâche pour voir naître, d'ici à trois ou quatre ans - une échéance de cinq ou six ans serait à mon avis trop lointaine -, ce qui devrait être notre fierté : le modèle français de procédure pénale correspondant à toutes les exigences de notre temps, conforme aux principes qui sont ceux de la Convention européenne des droits de l'homme et que nous pourrions proposer en exemple à l'Europe tout entière.
Au nom d'une justice dont je ne cesse de vanter les mérites à l'étranger - nous aurons l'occasion d'en parler ensemble -, il paraît difficile, d'un côté, d'inviter les pays étrangers à prendre exemple sur nous, de leur offrir notre aide en matière de formation des magistrats et d'élaboration des lois, et, d'un autre côté, de voir le Gouvernement remettre en question les lois votées et douter de l'efficacité des procédures que nous proposons par ailleurs. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Gérard Delfau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, je me réjouis que les engagements pris par le Président de la République devant les Français soient tenus.
Cela est vrai en matière de sécurité, avec le projet de loi présenté par M. Nicolas Sarkozy, qui prévoira l'investissement de plus de 6 milliards d'euros pour permettre aux forces de police et de gendarmerie d'exercer leur mission.
Cela est vrai pour le texte présenté voilà quelques jours par M. François Fillon, qui propose des mesures simples, efficaces et pérennes pour encourager l'entrée des jeunes sur le marché du travail.
Cela est vrai, aujourd'hui, avec ce projet de loi sur la justice.
Le Gouvernement apporte ainsi des réponses aux trois préoccupations majeures de nos concitoyens, trois domaines où M. Jospin a échoué ! Chers collègues socialistes, vous gagneriez à faire preuve de plus d'humilité, plutôt qu'à vouloir donner des leçons de morale ou de méthode à la terre entière !
J'en viens, monsieur le ministre, à votre projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.
Ce texte reste conforme à son objectif, puisqu'il vise à fixer les moyens financiers et humains nécessaires au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.
En cela, il marque une rupture de méthode évidente avec le gouvernement précédent qui avait multiplié les réformes de procédure sans prévoir les moyens suffisants.
Je me bornerai à traiter de la partie concernant la délinquance des mineurs, mes collègues Bernard Plasait et José Ballarello abordant les autres volets du projet de loi.
J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, présidée par notre excellent collègue Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de ce projet de loi.
Grâce au travail en amont avec le Parlement, ce projet de loi reprend nombre de nos propositions. Certes, pas toutes - et c'est bien normal -, car certaines ne concernent pas la modification du cadre législatif et d'autres, à caractère plus éducatif ou préventif, visent des domaines aussi divers que la famille, l'école ou la politique de la ville.
Je m'étonne donc, monsieur le ministre, du procès d'intention qui vous est fait.
Je m'étonne que l'on puisse considérer ce projet de loi comme un texte à 100 % répressif et que l'on vous reproche de vouloir enfermer où incarcérer les jeunes à tout va.
Je suis choqué par les réactions de certains, manifestement plus soucieux de défendre leur pré carré que de prendre en compte l'intérêt de l'enfant ou celui de la victime.
Il est urgent de dépasser cette vision opposant éducation et sanction : la sanction fait partie intégrante de l'éducation ; de même, la sanction sans éducation n'a aucun sens.
C'est ce que chaque parent applique au quotidien envers ses propres enfants lorsqu'ils commettent une bêtise, la sanction étant proportionnelle à la gravité de cette dernière.
Alors, au nom de quelle morale, au nom de quelle logique refuserait-on à des enfants qui n'ont pas eu des parents pour leur dire ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, qui n'ont pu mettre à profit l'école pour se socialiser, les repères dont ils ont besoin ?
Je ne comprends pas une telle attitude, qui me semble plus sous-tendue par une idéologie ou par des intérêts corporatistes que par le bien de l'enfant et les droits de la victime.
C'est un autre regard que nous devons porter sur la délinquance des mineurs, une vision qui intègre prévention, éducation, dissuasion, sanction et réinsertion.
La sanction peut être et doit être sévère, s'il le faut, et aller jusqu'à la contention, à l'enfermement, parce que la gravité de l'acte commis l'exige, parce que le comportement du mineur le nécessite, parce que la société l'attend. La sanction est non pas une fin en soi, mais un moyen de remettre le jeune sur la bonne voie.
D'ailleurs, mes chers collègues, permettez-moi de citer Platon : « Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs parents, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois, parce qu'ils ne reconnaissent plus, au-dessus d'eux, l'autorité de rien et de personne, alors c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie. »
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Certes, nous n'en sommes pas là, mais force est de constater que la délinquance des mineurs est non pas, comme certains le pensent - ou, plutôt, comme ils le pensaient, car leur position a évolué -, un fantasme, mais bien une réalité. Cette délinquance est plus massive : elle a crû de 79 % depuis 1994. Les actes qui sont commis, plus graves et plus violents, le sont par des mineurs de plus en plus jeunes : 49 % ont moins de seize ans.
Ces délinquants sont en très grande majorité de jeunes garçons, même si on note depuis quelques mois une recrudescence de la délinquance chez les jeunes filles.
Quel est le profil de ces jeunes ? On observe cinq grandes caractéristiques.
Ils vivent dans un grand désarroi familial, le père étant très souvent absent.
Ils sont en échec scolaire sévère (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame), et le collège ne les intègre pas.
Ils sont abandonnés à l'anonymat de l'espace public. La rue concurrence l'école ; elle est le lieu de tous les trafics, de toutes les tentations.
Ils sont, pour un certain nombre d'entre eux, issus des milieux de l'immigration.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pardi !
M. Jean-Claude Carle. Cela est vrai chez nous comme dans les pays que nous avons visités, telles la Hollande et la Grande-Bretagne.
Enfin - et ce point nous a beaucoup frappés -, ils sont en mauvaise santé physique et mentale et ont souvent usé ou abusé de l'alcool ou de la drogue, en particulier du cannabis, véritable fléau.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Les causes sont multiples et complexes. J'en citerai quatre.
La première cause tient à la défaillance des deux cellules à vocation éducative : la famille et l'école.
La complexité et l'insuffisance des politiques de prévention, en particulier de la politique de la ville, constituent une deuxième cause. Des moyens importants ont été engagés, mais les résultats sont très insuffisants. Le rapport Sueur et le rapport de la Cour des comptes le constatent.
Une troisième cause tient au dysfonctionnement et à la mauvaise coordination entre les différents acteurs : police, justice, et protection judiciaire de la jeunesse. Cette dernière, monsieur le ministre, souffre d'une véritable crise d'identité, d'une crise de vocation et, de ce fait, d'une crise d'efficacité.
Il est urgent d'engager des mesures visant à mieux mobiliser le capital humain et les moyens matériels de la protection judiciaire de la jeunesse, à recruter par le biais de la troisième voie et à procéder à des évaluations régulières.
Enfin, la quatrième et dernière cause est plus politique : c'est cette vision passéiste qui oppose éducation à sanction, qui réduit aujourd'hui le débat aux seuls centres fermés ou à la modification de l'ordonnance de 1945.
Notre devoir est de mettre en place, pour le jeune, un véritable parcours éducatif, lequel pourrait évoluer en fonction du comportement : un bon comportement permettrait d'assouplir la peine, alors qu'un comportement incompatible avec le bon fonctionnement du centre obligerait à durcir la sanction et, si besoin est, à placer le jeune en milieu fermé.
Pour cela, il est nécessaire de modifier le cadre législatif. Votre projet de loi va dans ce sens, monsieur le ministre. Il s'adapte aussi à l'évolution de la délinquance, laquelle est plus massive, plus violente, et perpétrée par des mineurs de plus en plus jeunes. Il reprend la plupart de nos propositions, à savoir l'augmentation du panel de sanctions pour les jeunes âgés de moins de treize ans et le durcissement de la sanction pour les récidivistes âgés de treize à seize ans, dans le cadre de délits correctionnels.
Je ne vois pas là de mesures scandaleusement répressives. Au contraire, ces dispositions répondent à une réalité que nous avons vécue sur le terrain : songez à ce jeune placé dans un centre à Marseille qui a agressé de façon violente son éducateur ; personne n'a bougé ; aucune mesure n'a été prise ! Cela n'est acceptable ni pour l'éducateur, ni pour le fonctionnement du centre, ni pour le jeune, et encore moins pour la société !
Dans un tel cas, il est normal que le jeune puisse être placé dans un milieu plus contraignant, un milieu fermé, et ce non seulement pour le protéger de lui-même, mais aussi pour protéger son entourage.
C'est l'objectif des centres éducatifs fermés que vous voulez développer. Chacun l'a compris, monsieur le ministre, ils ne seront pas fermés au sens physique du terme, car, plus que des grillages, des miradors ou des barrières physiques, c'est la fermeture au sens juridique qui compte, c'est-à-dire la menace et la dissuasion. Dans ce but, il me paraît indispensable de revoir également le cahier des charges des centres éducatifs renforcés, les CER, et surtout des centres de placement immédiats, les CPI, qui rencontrent de véritables difficultés de fonctionnement.
Ce parcours éducatif modulable implique la modification des attributions du juge pour enfant. Je souhaite que ce dernier devienne le juge d'application des peines, ce qui aurait le mérite de donner une meilleure lisibilité à sa fonction et de permettre un meilleur suivi du jeune tout au long de son cursus.
Je me réjouis enfin, monsieur le ministre, de votre souci d'améliorer les conditions de détention des jeunes incarcérés. Vous reprenez d'ailleurs notre proposition de créer des centres pénitentiaires spécialisés.
Il est urgent, en effet, de faire disparaître les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt. L'étanchéité est en effet toute relative et la promiscuité est particulièrement dangereuse.
Je souhaite, monsieur le ministre - je vous le demande même avec insistance -, que vous preniez la décision de fermer très rapidement le quartier des mineurs de la prison Saint-Paul à Lyon. Les conditions de détention n'y sont pas dignes de notre pays.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Je souhaite également que vous vous engagiez à construire un premier centre pénitentiaire spécialisé où la fonction éducative sera présente en permanence, et que vous fassiez pour cela appel aux retraités bénévoles qui apporteront aux jeunes un savoir-faire, un savoir-être et joueront le rôle des grands-parents qui, trop souvent, leur ont fait défaut.
Je souhaite enfin que le Gouvernement se montre d'une sévérité exemplaire envers les adultes qui utilisent des mineurs pour commettre des délits. Le drame de Pantin en est la triste illustration. Il a d'ailleurs été tenu compte de ce principe dans la loi d'amnistie, et c'est tant mieux.
Près de la moitié des jeunes qui comparaissent devant le tribunal de Paris sont des jeunes errants, utilisés surtout par la famille, les fratries et les systèmes mafieux. Le cadre législatif doit, là aussi, s'adapter à la situation. J'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Les causes de la délinquance des mineurs sont multiples et complexes, ce qui implique des actions dépassant le seul cadre législatif. Certains relèvent de politiques partenariales et de proximité. Elles touchent des domaines aussi divers que la famille, que nous souhaitons soutenir et responsabiliser. Si besoin est, la mise en place de mesures contraignantes, telle la mise sous tutelle des allocations familiales, devra être envisagée.
L'école doit être plus vigilante en ce qui concerne l'absentéisme scolaire. Je me réjouis des mesures prises par Nicolas Sarkozy, car elles vont dans le sens de la proposition de loi sur le contrôle de l'obligation scolaire, que j'ai eu l'honneur de rapporter et qui a été adoptée à l'unanimité par le Sénat et l'Assemblée nationale.
L'école doit aussi mettre en avant une autre forme d'intelligence, celle de la main et du geste ; à cet égard, l'internat au collège peut contribuer à la restructuration de l'adolescent.
La politique de la ville doit être simplifiée pour être efficace et laisser plus d'autonomie aux acteurs locaux, les maires ou les présidents d'EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale.
Ces politiques comme leurs actions doivent être évaluées régulièrement, car on n'agit bien que lorsque l'on connaît bien. Cette absence d'évaluation génère auprès de nos concitoyens un sentiment de laxisme, d'impunité, suscite l'idée que rien n'est fait.
Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les remarques que je voulais faire sur ce projet de loi, à propos duquel je vous réitère mon soutien. Il apporte en effet des réponses à une situation préoccupante, en reprenant certaines des propositions de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs. Il reste un projet de programmation et d'orientation, devant être complété ultérieurement et accompagné de mesures nécessaires dans les domaines que je viens d'évoquer. Je formule le voeu que le Gouvernement engage rapidement ces mesures, en particulier dans le domaine éducatif.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera donc ce texte, qui conjugue éducation et sanction et qui a été remarquablement amélioré par la commission des lois, en particulier par son rapporteur Jean-Pierre Schosteck, dont je salue le travail. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
« Nos enfants, c'est notre éternité », a écrit Robert Debré. C'est à eux que nous devons d'abord penser avant de nous soucier de nos corporatismes respectifs.
C'est pour eux que nous devons agir, certes avec éthique et morale, mais en prenant aussi en compte la réalité. L'actualité de ce matin le confirme malheureusement. ( Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le garde des sceaux, en donnant à notre Haute Assemblée la primeur du débat sur la grande réforme de la justice que les Françaises et les Français attendent, vous nous honorez, et nous l'apprécions.
Notre justice est malade depuis longtemps. Les Français ne sont plus en phase avec l'institution judiciaire.
M. Philippe de Gaulle. Tout à fait !
M. Georges Othily. Notre justice n'est plus en équilibre. Elle est devenue violente : on tranche, on condamne, on enferme. Elle substitue finalement à la violence de la rue une violence légale.
Tous les rapports parlementaires d'enquête et d'information dressent un constat alarmant de la situation.
Il y a urgence à agir : c'est à un grand chantier de la justice dans son ensemble qu'il convient de s'attaquer.
La justice c'est la surpopulation carcérale ! La justice, ce sont des mineurs délinquants de plus en plus jeunes, de plus en plus nombreux et de plus en plus violents. C'est également une grande diversité de métiers et de savoir-faire, un corpus de professions parmi les plus nobles qui regroupe, outre les magistrats, les greffiers, les avocats, les surveillants de prisons, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et bien d'autres.
Le temps est venu de moderniser en profondeur notre justice.
Ce premier projet de loi, qui n'est que d'orientation et de programmation, doit y contribuer. Il traduit de la part du Gouvernement une volonté politique forte de réforme et d'action.
Il est une première réponse rapide et urgente aux attentes tant des professionnels de la justice que de l'ensemble des Français.
Votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux, vise à instituer un dispositif qui devra être précisé dans l'avenir à l'aide de lois ordinaires et organiques comme celle qui est déjà bien avancée concernant les juges de proximité.
Pour l'instant, il fixe quatre grandes orientations.
Ces quatre orientations-intentions posent, bien évidemment, la question des moyens : avez-vous, monsieur le garde des sceaux, les moyens financiers, humains et matériels suffisants pour mettre en oeuvre cette réforme et ces nouvelles orientations ?
Le volet programmation du projet de loi apparaît démesurément faible en comparaison du volet orientation. De ce fait, quelles garanties pouvez-vous nous apporter sachant que la programmation des moyens de votre réforme figure pour l'essentiel dans une annexe au projet de loi, annexe qui, si elle explicite la loi, n'a pas de valeur normative ? Quand et avec quels moyens ces nouvelles orientations en matière de justice pourront-elles se concrétiser sur le terrain judiciaire ? Vous avez cinq ans pour réaliser ce projet ; vous pouvez compter sur notre aide.
S'agissant de la déclinaison que vous proposez pour ces quatre orientations, s'il ne s'agit pas de remettre en cause les grands principes et grandes orientations de votre projet, permettez-moi néanmoins de m'interroger sur certaines des mesures que vous annoncez.
Ainsi, soyons-en bien conscients, la justice de paix, ce que vous avez appelé la justice de proximité, requerra plus que jamais expertise et professionnalisme. Ne serait-il pas plus judicieux d'attribuer les moyens et les crédits que vous prévoyez d'allouer à cette nouvelle justice aux tribunaux d'instance, qui, eux, existent déjà et sont surchargés ? J'ajouterai, à propos des juges de proximité, qu'ils ne devraient pas être compétents en matière pénale ni pour les mineurs.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Georges Othily. Toutefois, il est bon de se soumettre à l'appréciation concrète de l'expérimentation, de l'évaluation de l'application et du résultat.
Si je souscris à vos objectifs, monsieur le garde des sceaux, je crains que les dispositions contenues dans le titre IV n'aient pour double effet de rendre la justice plus lente, en augmentant les délais d'instruction, et plus complexe encore qu'elle ne l'est aujourd'hui.
En ce qui concerne les établissements pénitentiaires, je constate la prise de conscience que traduit le texte quant à la situation d'urgence dans laquelle se trouvent nos prisons, véritable « humiliation pour la République », comme le rappelait une commission d'enquête sénatoriale. Celui qui s'exprime aujourd'hui devant vous, mes chers collègues, rapporte, depuis plusieurs années, le budget de l'administration pénitentiaire et visite régulièrement les prisons de France, de l'Hexagone et d'outre-mer.
Si le projet de loi est très ambitieux concernant la construction de nouveaux établissements, la modernisation et la sécurisation de ceux qui existent déjà, il est, à mon grand regret, silencieux sur le recrutement et la formation du personnel pénitentiaire nécessaire. Face à des détenus de plus en plus nombreux et, surtout, de plus en plus violents, la formation des surveillants de prison constitue un véritable enjeu, surtout lorsque l'on sait que la dernière promotion a déjà enregistré 120 démissions sur un effectif de 500 surveillants.
J'en viens au traitement de la délinquance des mineurs.
L'éducation et la famille ne sont-elles pas les meilleurs remparts contre la délinquance des mineurs ?
Enfin, je suis satisfait que l'aide aux victimes soit l'une des priorités du Gouvernement. Je m'interroge cependant sur la prise en charge financière de l'aide juridictionnelle.
Sommes-nous d'accord avec les orientations que vous nous proposez ? Sommes-nous d'accord avec la programmation ? C'est à ces questions que le Parlement se doit de répondre. Pour ce qui nous concerne, en tout cas pour ce qui me concerne, la réponse sera certainement positive. Toutefois, notre vigilance sera toujours active quant à l'exécution des différentes lois que vous soumettrez au Parlement.
Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les remarques dont je souhaitais vous faire part concernant un texte qui, je le répète, annonce un véritable tournant en matière de justice, tournant conforme dans son orientation à ce que souhaitent depuis longtemps les Français. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission des lois, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Bernard Angels.)