SEANCE DU 25 JUILLET 2002


PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un magistrat écrivait récemment qu'il fallait placer le citoyen au centre de gravité de la justice. Fort juste remarque : la justice est faite pour les citoyens. Encore faut-il qu'elle ait les moyens et le souffle nécessaires pour agir, et agir efficacement.
Le projet de loi que vous avez déposé sur le bureau du Sénat, monsieur le ministre, va dans cette direction. Il répond à notre attente, et il est d'autant plus apprécié que nous l'attendons depuis bien longtemps. Enfin, on commence à comprendre ce que veulent les Français et à répondre à leurs aspirations.
Ne vous laissez pas impressionner, monsieur le ministre, par les dénigreurs professionnels : ils seront, par nature, contre tout ce que vous ferez. Ils refusent de voir la réalité en face. Tenez bon ! Ce qui compte c'est ce qu'attend le peuple.
Votre projet apporte une grande bouffée d'oxygène, mais - et il n'y a aucune critique dans ce « mais », seulement une espérance - il ne constitue qu'une première étape. C'est normal car, conformément aux engagements pris par le Président de la République, Jacques Chirac, vous avez dû faire diligence dans des délais très brefs, montrant ainsi à nos concitoyens que le Gouvernement était prêt à relever les défis par l'innovation, la compréhension et l'action, et à servir la France et les Français conformément à leurs souhaits.
Le rapport annexé qui prolonge ce projet de loi contient les éléments d'une deuxième étape. On peut se féliciter de ces orientations, qui prennent bien la mesure des problèmes à résoudre.
Bon nombre des actions envisagées correspondent aux recommandations faites par la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur l'évolution des métiers de justice. Le rapporteur de cette mission s'en réjouit d'autant plus, vous le comprendrez, que nos recommandations résultent d'une convergence des points de vue exprimés tant par les acteurs de la justice que par les élus de différentes sensibilités que nous avons suscitées - je tiens à le préciser - lors de nombreuses auditions et rencontres.
Cependant, les autres aspects du dossier méritent d'être pris en compte. Une troisième étape sera donc nécessaire pour que la construction que vous venez d'engager soit complète.
Nous savons parfaitement qu'il est impossible, si l'on veut être efficace, de faire tout et tout de suite. Une programmation dans le temps des réformes, des efforts et des moyens humains, matériels et financiers est incontournable. Toutefois, l'approche politique se doit d'être globale, car tout est lié. Nous avons trop souffert, dans le passé, de rafistolages législatifs successifs pour ne pas espérer une politique bien comprise, lisible et cohérente.
La justice, face à une société de plus en plus procédurière, où il faut systématiquement trouver des coupables et des responsables, est devenue au fil du temps trop lourde, trop compliquée, trop cloisonnée, trop rigide, trop lente, trop lointaine, bref : inhumaine. Les citoyens sont souvent désarçonnés devant tant de complexité. Ils sont perdus dans les méandres de l'organisation judiciaire et parfois, ce qui est plus grave, inquiets quant à ses résultats et à l'équité des décisions prises.
De leur côté, les magistrats, comme les différents acteurs de la justice, sont souvent désabusés parce qu'ils ne peuvent remplir leur mission conformément à la perception qu'ils en ont et aux souhaits des justiciables, dont ils ressentent le trouble.
J'ai été frappé, lors de la visite d'une juridiction effectuée dans le cadre de la mission d'information sur les métiers de justice, par les propos d'un magistrat nous expliquant qu'un justiciable pouvait parfaitement accepter d'être condamné pour autant qu'il avait le sentiment d'avoir été écouté, compris et qu'on lui avait expliqué les raisons de sa condamnation. Or, ajoutait-il, nous n'avons malheureusement que rarement le temps de procéder ainsi. C'est grave et préoccupant pour le bon fonctionnement d'une démocratie, dans laquelle la justice doit être à l'écoute avant de dire le droit.
N'oublions pas cette réflexion de Joseph Joubert : « La justice est le droit du plus faible. »
Il convient donc de tout mettre en oeuvre pour redonner à notre justice sa force humaniste de régulation de la société, son souffle d'équité et de bon sens, mais aussi, quand c'est nécessaire, le poids de la sanction pour protéger la société. Il faut lui rendre son éclat et toute sa place, lui permettre de redevenir, comme elle n'aurait jamais dû cesser de l'être, plus simple, plus lisible, plus rapide, plus proche, mais aussi - j'ose le dire parce que cela est, à mes yeux, essentiel - plus responsable, de retrouver toute sa valeur à être rendue au nom du peuple français.
Cela demande d'agir dans de nombreuses directions.
Il convient d'abord de recentrer les magistrats sur leur action juridictionnelle, ce qui suppose de les libérer de tout le reste et qu'ils en acceptent les conséquences.
Il faut, en outre, leur donner les équipes dont ils ont besoin pour faire fonctionner les juridictions mais également les aider dans leurs prises de décisions.
Il s'agit également de rééquilibrer les rôles entre les magistrats, les greffes et les différents corps administratifs, qui pourraient apporter une aide utile grâce à une meilleure prise en compte des compétences respectives. Mettre la bonne personne à la bonne place est la meilleure façon de faire des économies parce que c'est un gage d'efficacité. Cela exige évidemment plus de souplesse dans le fonctionnement des services administratifs, qui sont souvent par trop cloisonnés et repliés sur eux-mêmes. C'est tout l'enjeu d'une fonction publique moderne et performante, au service de l'Etat et garante de l'intérêt général qu'il importe de ne plus confondre, enfin, avec tel ou tel intérêt corporatif.
Il est, par ailleurs, nécessaire de favoriser la connaissance et la compréhension mutuelle entre les différents acteurs de la justice, ce qui suppose des contacts plus étroits, et cela dès la formation initiale, notamment entre magistrats, greffiers et avocats.
Il s'agit aussi d'ouvrir davantage sur l'Europe et sur le monde les écoles de formation, car nous devons faire face au nouvel espace qui s'ouvre devant nous et dont, sur bien des points, les habitudes sont différentes des nôtres.
Il faut enfin développer les pôles de compétence, avec des filières de formation appropriées, car le juge ne peut pas être spécialiste en tout alors que l'exercice du droit devient de plus en plus complexe. Une telle orientation vers davantage de spécialisation s'inscrit naturellement en complément d'une justice plus proche du citoyen et plus compréhensible par lui.
Car, s'il convient de rapprocher la justice du citoyen, monsieur le garde des sceaux, il faut également rapprocher le citoyen de la justice.
Par la création de juges de proximité, vous répondez à une attente forte. Grâce à cette action judiciaire en amont, au contact des réalités du quotidien, vous permettrez d'alléger la charge des tribunaux tout en humanisant davantage la justice du « petit contentieux », dont le flux est particulièrement imposant, et c'est un point très sensible pour les justiciables.
Vous envisagez un effort sans précédent pour recruter ces nouveaux juges, mais avez-vous pris en compte toute la dimension de l'intendance ? Aurez-vous suffisamment de « greffiers de proximité » ? On peut se poser la question quand on sait que les greffes sont souvent surchargés et qu'ils sont appelés à se voir octroyer davantage de tâches par le seul jeu du recentrage des magistrats sur leurs missions juridictionnelles ?
Sur le plan du droit, ne pensez-vous pas nécessaire de placer, sous une forme ou sous une autre mais d'une manière pratique et concrète, ces juges de proximité sous le regard attentif et... juridique des juges d'instance, qui sont, de fait, les successeurs des juges de paix d'antan ?
Si rapprocher la justice du citoyen est devenu une nécessité, alors même que cela relève de la simple évidence, qu'en est-il du rapprochement entre le citoyen et la justice, autrement dit, de l'échevinage ? Certes, nous avons bien perçu, au cours de nos auditions dans le cadre de la mission d'information, que cette question n'était pas encore tout à fait mûre, qu'il ne fallait pas précipiter les choses. Elle est pourtant fondamentale s'agissant d'une justice qui est rendue au nom du peuple. L'échevinage a fait les preuves de son efficacité dans les domaines où il a cours.
Ne faudrait-il pas, monsieur le garde des sceaux, avec toutes les précautions nécessaires, toute la réflexion utile, avancer dans cette direction, ne serait-ce que par la voie de l'expérimentation ?
A ce propos, je rappelle que les maisons de la justice et du droit sont nées d'une expérimentation réussie. Cette piste ne mérite-t-elle pas d'être au moins explorée ?
Pour terminer mon propos, je ferai appel à deux personnages célèbres. L'un est belge - nous sommes en Europe -, l'autre est français - nous sommes encore plus chez nous !
Le premier, Paul-Henri Spaak, aimait à dire : « Les bons experts sont ceux qui rendent possibles les idées politiques que l'on veut adopter ; les mauvais sont ceux qui expliquent qu'elles sont inapplicables. » Vous avez su, monsieur le ministre, avoir de bonnes idées et trouver les bons experts. Permettez-moi de vous en remercier et de vous demander de les féliciter.
Le deuxième homme célèbre, Montesquieu, écrivait : « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu'elle est juste. » Ce que vous proposez, monsieur le ministre, est juste : c'est pourquoi je le voterai pour que cela devienne loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice que nous allons examiner aujourd'hui et demain est un texte d'une grande importance. Il était temps, en effet, de présenter un plan d'ensemble de modernisation de la justice, un plan crédible, précis, traduisant l'effort que la communauté nationale est prête à consentir pour construire un service public digne de notre pays.
Depuis de nombreuses années, nous savons - notamment grâce aux nombreuses investigations du Sénat - que la justice a besoin non seulement de moyens, mais également de réformes. Malheureusement, et quoi qu'en disent certains, la volonté politique a souvent manqué pour mener à bien un tel changement. Aujourd'hui, la nouvelle majorité, à laquelle le groupe de l'union centriste appartient pleinement, a décidé, sous l'autorité du Gouvernement, d'engager une action courageuse de revalorisation de la justice en lui donnant les moyens de retrouver sa dignité.
Cette action n'est pas sans enjeux. En effet, elle ne se borne pas à réformer une structure administrative ; il s'agit, en vérité, d'une question majeure pour l'avenir de notre démocratie et pour la pérennité de notre Etat de droit.
Avec ce texte, le débat sur la justice se tourne vers des horizons qui sont autant d'impératifs : l'efficacité, la qualité et la responsabilité de nos institutions judiciaires.
La nouvelle place du droit dans notre société et la montée de la figure du juge exigent une plus grande qualité de la justice : une plus grande qualité des jugements, mais aussi une plus grande qualité du processus qui conduit au jugement. Cette qualité dépend non seulement de l'environnement professionnel du juge mais aussi de la valeur de l'organisation, de la préparation et de l'exécution des décisions, de la recherche et de l'information juridique, de la relation avec les citoyens.
L'administration de la justice, l'organisation judiciaire, la gestion des cours et des tribunaux participent à la mise en place d'une justice de qualité fondée à la fois sur la compétence et la proximité mais aussi d'une justice soucieuse du bien commun et des attentes des justiciables.
La qualité de la justice passe également par une redistribution des ressources judiciaires, une nouvelle carte des services judiciaires et des implantations, par la redéfinition de certaines fonctions et de certains métiers. A cet égard, je tiens à souligner l'excellent travail de mes collègues MM. Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat, relatif à l'évolution des métiers de la justice.
Ce rapport analyse de façon précise les causes profondes du malaise touchant ces professions ainsi que l'émergence de nouveaux métiers. La société évolue, les métiers de la justice aussi. La conclusion de ce rapport est d'ailleurs sans appel : l'évolution des métiers de la justice doit conduire à une justice à la fois plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche des citoyens.
Avoir une justice plus rapide, plus efficace, est un objectif sur lequel aujourd'hui tout le monde s'accorde. Les dispositions de la loi d'orientation et de programmation répondent en grande partie à cet objectif. Je fais donc partie de ceux qui s'étonnent de la présentation caricaturale, fallacieuse, que certains donnent de ce projet de loi.
Je voudrais en donner deux exemples.
Certains prétendent que M. le garde des sceaux veut mettre en détention les mineurs de treize ans, mais ils omettent de dire que cette situation existe déjà, puisque, malheureusement, en raison des faits qu'ils ont commis, des mineurs de treize à seize ans peuvent être en détention. En réalité, le texte, notre texte prévoit simplement que, lorsque le mineur se sera soustrait à une mesure de contrôle judiciaire ou lorsqu'il aura quitté le centre fermé dans lequel il était, il pourra être placé en détention.
Par ailleurs, certains affirment que le Gouvernement veut mettre en prison les enfants de dix ans. En réalité, la seule disposition qui concerne les enfants de dix à treize ans dans ce projet de loi tend à allonger de deux heures la période de retenue dans les commissariats de police ou dans les gendarmeries lorsque les enfants sont présumés avoir commis des faits susceptibles d'une peine d'emprisonnement de plus de cinq ans. On a vraiment entendu beaucoup de choses ces derniers jours, qui me paraissent très éloignées du texte !
Pour ce qui est des juges de proximité, il ne fait aucun doute que leur instauration devrait améliorer l'efficacité de la justice au service des citoyens. Cela doit permettre de mieux traiter ce que mon collègue Pierre Fauchon avait dénommé, dans son rapport sur les moyens de la justice, il y a quelques années, le contentieux de masse. En fait, il s'agit simplement de rapprocher la justice des citoyens. C'est un enjeu d'une importance primordiale, et nous ne pouvons pas courir le risque d'un échec. Nous vous demandons donc, monsieur le ministre, de tout faire pour mener au succès cette mesure attendue depuis longtemps, notamment au Sénat.
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. François Zocchetto. Je passe sur la justice administrative, qui, chacun le sait, a besoin de disposer de moyens supplémentaires, non pas que la procédure soit mauvaise, mais parce que les moyens sont insuffisants et parce que les délais ne sont plus acceptables.
La célérité est aujourd'hui une obligation pour le juge. Pour le justiciable, tout retard indu est en effet ressenti comme une injustice. Qu'ils soient innocents ou coupables, tous ont le droit de connaître au plus tôt la décision de justice.
Sur ce point, monsieur le ministre, je voudrais être certain que votre proposition tendant à prolonger la détention provisoire - trois ans en matière de délit au lieu de deux, et cinq ans en matière de crime au lieu de quatre - n'incitera pas certains juges d'instruction à pousser toujours plus loin leur travail, jouant ainsi avec les nerfs tant des personnes mises en examen que des victimes.
Une justice de qualité, c'est également une justice efficace et simple. Répondant à cet impératif, le texte simplifie la procédure pénale. Toutefois, il n'est pas question de remettre en cause les principes fondamentaux de notre droit, notamment le respect de la présomption d'innocence et des droits de la défense.
Je tiens à ajouter que le bâtonnier de Paris, qui a déjà été cité ce matin, s'est félicité, dans un courrier qu'il a adressé à ses confrères, de la concertation qui avait été menée avec la Chancellerie lors de la préparation de ce texte, même s'il reconnaît qu'il ne partage pas tous les tenants et aboutissants du texte.
Dans ce courrier, il faisait également valoir que la grande majorité des acquis de la loi relative à la présomption d'innocence et à la protection des victimes étaient maintenus. Il en est ainsi, par exemple, de la présence de l'avocat lors de la première heure de garde à vue et du fait que c'est maintenant le juge de la détention et de la mise en liberté qui statue sur les mises en détention des personnes mises en examen.
Il est vrai que la procédure du référé-détention a provoqué chez un certain nombre d'entre nous des interrogations profondes. Mais je crois franchement que le travail de la commission des lois a permis de dissiper ces interrogations en renforçant les garanties de procédure. C'est pourquoi nous pouvons nous dire que nous adopterons ces mesures devant permettre une répression plus efficace dès lors que le dispositif du référé-détention aura été strictement encadré, notamment peut-être par l'instauration de délais pour que la chambre de l'instruction se prononce.
La réforme du droit pénal des mineurs a déjà été abordée. Nous savons bien que la délinquance des mineurs n'est pas un fantasme, que c'est une réalité profonde, vécue quotidiennement par nombre de nos concitoyens.
La commission d'enquête sénatoriale a rendu des conclusions qui dressent un constat accablant, et nous sommes très heureux de voir que, dans votre texte, monsieur le garde des sceaux, un certain nombre de préconisations de cette commission d'enquête ont été reprises, notamment le fait que l'on ne cherche plus à opposer la sanction et l'éducation.
Je voudrais dire, concernant les mineurs, que leurs conditions de détention nous préoccupent. Nous pensons que la priorité doit être donnée à la construction de nouveaux établissements réservés aux mineurs plutôt qu'à l'extension de quartiers de mineurs dans les prisons des adultes.
M. Jean-Claude Carle. Absolument !
M. François Zocchetto. Nous sommes à cet égard un certain nombre à souhaiter que les 900 places que vous envisagez de créer et qui seraient réservées à des mineurs soient dédiées à des établissements spécifiques et non pas à des extensions de quartiers de mineurs dans des prisons existantes.
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. François Zocchetto. La situation pénitentiaire n'est pas bonne, on le sait bien, elle a d'ailleurs été dénoncée par la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, qui était présidée par M. Jean-Jacques Hyest.
A ce sujet, ce projet de loi reprend un certain nombre de propositions. D'autres pourraient être reprises assez rapidement. C'est notre souhait, et nous serons à vos côtés pour les soutenir lorsque vous aurez décidé de le faire.
Pour terminer, j'évoquerai des mesures techniques, en particulier le bracelet électronique.
Nous sommes quelque peu étonnés, mais peut-être allez-vous nous donner les explications dans la suite du débat, de l'éventuelle suppression du bracelet électronique pour les personnes mises en détention provisoire alors que l'on considère que, pour les personnes sous contrôle judiciaire, cette mesure serait efficace.
Chacun sait que, en France, nous avons des problèmes de place dans les prisons, pas seulement pour les mineurs, et que, malheureusement, la délinquance ne diminue pas. Le bracelet électronique pourrait être utilisé - ce n'est pas une obligation - même si les modalités techniques restent à trouver. L'électronique évoluant chaque jour, ne fermons peut-être pas la porte à une technique qui pourrait être utile aussi dans les cas de détention provisoire.
Pour conclure, je confirme que le groupe de l'Union centriste votera sans hésitation ce texte, amendé par la commission des lois. Nous serons présents à vos côtés, monsieur le garde des sceaux, pour participer aux travaux futurs car, si cette loi est ambitieuse, un certain nombre de points restent à compléter assez rapidement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le garde des sceaux, vous légitimez votre projet de loi - et la déclaration d'urgence - par le vote des Français et leurs attentes en matière de sécurité.
Mme Nelly Olin. C'est incontestable !
Mme Nicole Borvo. A l'évidence, ma chère collègue, les aspirations de nos concitoyens à mieux vivre sont très grandes. Ces aspirations portent sur l'emploi, les salaires, l'éducation, la tranquillité publique. De ce point de vue, il est tout aussi évident que gouvernement et majorité précédents ne les ont pas convaincus.
Mme Nelly Ollin. Nous sommes d'accord !
Mme Nicole Borvo. Au demeurant, je me permets de vous rappeler que, si le discours sur l'insécurité et la délinquance a envahi les champs politique et médiatique, le débat, au cours de la longue période électorale que nous avons connue, n'a pas porté sur les réponses attendues, sur les choix à faire pour répondre efficacement aux problèmes.
La procédure d'urgence entre le 25 juillet et le 3 août n'est par ailleurs guère propice à un débat de fond compréhensible par nos concitoyens. Pourtant, les professionnels, les acteurs de la justice, de la prévention et les associations ont fait de nombreuses propositions en se référant à leur pratique.
Les parlementaires eux-mêmes ont élaboré, ces dernières années, de nombreux rapports, cela a été rappelé à plusieurs reprises, résultant de travaux sérieux, les plus récents portant sur les prisons, la délinquance des mineurs ou encore les métiers de la justice.
Or, en dépit des affirmations répétées du Gouvernement sur la nécessité du dialogue social, tous les représentants et spécialistes que j'ai pu rencontrer déplorent de n'avoir pu faire valoir leurs arguments et se plaignent de la précipitation dans laquelle le texte a été préparé.
Quant aux propositions des rapports parlementaires, quoi qu'en dise aujourd'hui la majorité sénatoriale, on en est loin !
Je tiens à préciser dès maintenant que, s'il s'agissait seulement - c'est un des volets du texte - de décider la programmation de moyens importants pour la justice, nous voterions des deux mains.
De ce point de vue, nous n'avons d'ailleurs cessé de revendiquer, et j'ai en mémoire les propos que j'avais adressés à M. Toubon, alors garde des sceaux.
Mme Nelly Olin. Cela c'est loin ! Après, il y a eu cinq ans tout de même !
Mme Nicole Borvo. Oui, mais je me le rappelle !
M. Robert Bret. Nous avons de la mémoire !
Mme Nelly Olin. Nous aussi !
Mme Nicole Borvo. Les budgets du précédent gouvernement ont été meilleurs que ceux des gouvernements qui l'avaient précédé.
Mme Nelly Olin. Allez voir à Pontoise !
Mme Nicole Borvo. Par exemple, 1500 postes ont été créés à la protection judiciaire de la jeunesse, alors sinistrée.
Mme Nelly Olin. Nous aussi, nous présentons des mesures !
Mme Nicole Borvo. Vous nous proposez de créer autant de postes dans les cinq ans à venir et d'accroître l'effort pour l'ensemble des moyens. Mais il faut le souligner, cet accroissement porte tout particulièrement sur la construction d'établissements pénitentiaires.
En tout état de cause, il faudra juger de la concrétisation de cet effort au moment de la préparation de la prochaine loi de finances et des suivantes. Cela dit, je souhaite que cet élan soit confirmé.
Aujourd'hui, nous ne pouvons toutefois pas dissocier votre programmation des moyens, des orientations de votre projet. Or, si je devais résumer celui-ci très brièvement, je dirais : affichage de circonstance, incohérence, répression, donc danger.
Mme Nelly Olin. C'est mieux que l'angélisme !
Mme Nicole Borvo. La question du juge de proximité en est une première illustration, vous prenez le problème à l'envers.
Nous ne contestons nullement - nous les avons d'ailleurs maintes fois dénoncées dans cette enceinte - les difficultés de notre système judiciaire à faire face à une judiciarisation massive de notre société. Mais nous pensons, pour notre part, que cette tendance profonde doit nous faire réfléchir sur la mise en échec des autres modes de régulation.
Pourtant, des réflexions existent. Je pense, en particulier, aux propositions en faveur d'une dépénalisation sociale. Le groupe de travail mené par M. Massot avait d'ailleurs suggéré à cet égard un « moratoire » quant à la création de nouvelles infractions.
Désengorger les tribunaux, rapprocher la justice des citoyens, qui peut être contre ?
Dans ce dessein, nous avons soutenu la création des maisons de la justice et du droit. De même, le recours à la médiation, à la conciliation, sont des voies à suivre, qui contribuent à éviter le recours à la justice.
En revanche, on peut s'étonner que soit remise en cause la compétence du juge d'instance, car c'est certainement l'institution judiciaire qui fonctionne le mieux - gratuité de la procédure, délais rapides - alors qu'il aurait fallu, au contraire, la conforter, en élargissant ses moyens, par l'apport de non-professionnels.
Votre projet est tout différent, nous l'avons dit nous-même : il crée une justice à part, qui suscite à juste titre quelques inquiétudes. N'oublions pas que les juges de paix ont été supprimés parce que qualifiés de « justice localiste de notables » !
En tout état de cause, vous nous demandez de nous prononcer sur la création d'une justice de proximité compétente au pénal, dont les garanties ne seront examinées qu'à l'automne. Ce n'est pas acceptable et les contradictions apparues au sein même de la majorité de la commission des lois me confortent en ce sens, mon collègue Robert Bret reviendra sur ce point.
La réforme de la justice des mineurs correspond encore davantage, hélas ! à ce que je disais il y a un instant : affichage de circonstance, leurre quant à l'efficacité, danger.
Monsieur Schosteck, contrairement à ce que vous prétendez aujourd'hui, les pistes de la commission d'enquête sénatoriale étaient singulièrement plus ambitieuses que le présent projet de loi. En revanche, nos craintes sur la possible instrumentalisation de cette commission semblent se confirmer.
Pour ma part, je récuse par avance, et mon groupe avec moi, les qualificatifs que vous adressez à la gauche en général. Elle serait laxiste, aveugle, idéologue, pour ne retenir que ceux-là.
M. Jean Chérioux. Aveugles, vous l'êtes ! La preuve, c'est que vous ne vous en rendez pas compte !
Mme Nelly Olin. Et angélique !
Mme Nicole Borvo. Angélique si vous voulez !
Nous récusons, disais-je, les qualificatifs que vous adressez à la gauche en lui reprochant de se cantonner dans une opposition stérile.
Je suis convaincue, monsieur le garde des sceaux, du caractère insupportable de la montée de l'incivilité, de la violence et de la délinquance. Elle n'est pas propre à la jeunesse : elle concerne toute la société et, d'abord, les adultes.
Les élus communistes sont très souvent bien au fait des problèmes graves et réels en matière d'insécurité, de la souffrance des populations dans les quartiers pauvres. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Pour m'en tenir aux jeunes, je suis tout aussi convaincue - c'est d'ailleurs ce que le travail de la commission sénatoriale a mis en grande partie en évidence - qu'il ne peut y avoir que des réponses multiples, coordonnées, mettant en oeuvre l'ensemble des acteurs de la société : répression de tout ce qui organise la délinquance - trafics et réseaux que la police connaît bien - politiques publiques, économiques, sociales et culturelles - pour reprendre l'exposé des motifs - responsabilisation à la fois des adultes en charge des enfants et des jeunes, des familles en les aidant et de l'institution scolaire en restaurant son autorité et en lui donnant les moyens de ne pas exclure, système éducatif de proximité, médecine scolaire, pédopsychatrie et prévention spécialisée.
Mme Nelly Olin. Il n'y en a pas dans les écoles !
Mme Nicole Borvo. De telles mesures n'ont pas été mises en oeuvre jusqu'à présent.
Mme Nelly Olin. Voilà !
Mme Nicole Borvo. Où est aujourd'hui le « plan d'ensemble d'envergure » que vous citez ? J'aurais aimé que soit déclarée l'urgence de cette mobilisation tous azimuts.
Certes, votre projet concerne la justice, mais pour hâtivement mettre en cause, quoi que l'on dise, l'architecture de la justice des mineurs, fondée sur la durée, la spécialisation, l'éducatif, et ne retenir que la répression et l'enfermement. Voilà qui annonce la couleur et contredit la mission d'enquête sénatoriale !
Outre les professionnels de la justice des mineurs, les responsables d'associations familiales que nous avons entendus ont ouvert bien des pistes. Je pense à l'Union nationale des associations familiales, l'UNAF, qui a engagé une réflexion sur la responsabilité des parents à partir, notamment, des exemples de réussite, car il y en a !
Si j'en crois M. Sarkozy et certains ici, la réponse est celle de la pénalisation des parents en cas d'absentéisme scolaire, la légalisation des arrêtés municipaux bien connus, les couvre-feux, les mesures contre les jeunes dans les cages d'escaliers. Tout est dit ! Quant à la prévention, elle est citée pour mémoire !
Mme Nelly Olin. Il fallait le faire ! Vous aviez cinq ans pour agir !
M. Jean Chérioux. Ils n'ont rien fait, mais ils causent !
Mme Nicole Borvo. Nous ne récusons absolument pas la nécessité de sanctions, de réparation et d'éloignement des mineurs quand cela est nécessaire.
Ecoutez ceci : « Le développement continu de la délinquance juvénile est un des phénomènes les plus inquiétants de l'heure présente. »
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. C'est moi qui l'ai écrit !
Mme Nicole Borvo. « S'il importe de mettre en oeuvre, dans la plus large mesure possible, les moyens destinés à prévenir la délinquance juvénile, il n'en est pas moins nécessaire de se préoccuper du sort des enfants traduits en justice, lesquels, bien souvent, grâce à un traitement et à des méthodes appropriées, peuvent être amendés et redressés. »
Non, ce n'est pas votre exposé des motifs, c'est ce qu'écrivait Hélène Campinchi, le 9 février 1945. La réponse, c'était la justice des mineurs !
A l'opposé de l'expérience de l'histoire, qui a abouti à la suppression des maisons de correction - comme l'a dit excellemment M. Badinter -, et en contradiction avec la convention internationale des droits de l'enfant, aujourd'hui, la philosophie qui anime votre texte sur les mineurs est largement fondée sur l'enfermement.
Mme Nelly Olin. C'est faux !
M. Jean Chérioux. C'est une caricature !
Mme Nicole Borvo. Une page sur la prévention et rien de précis ! En revanche, beaucoup de développements sur l'enfermement !
Nous aurons l'occasion de revenir, au cours du débat, sur la fixation, de fait, de la majorité pénale à dix ans - ce que la commission d'enquête avait rejeté -, sur la détention provisoire à treize ans, sur l'ambiguïté des sanctions éducatives et sur les centres fermés, dont je rappelle, monsieur Schosteck, que la commission d'enquête avait suggéré qu'ils se substituent aux quartiers de mineurs des prisons,...
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais non !
Mme Nicole Borvo. ... ce qui est très différent du projet actuel, ainsi que sur la comparution à délai rapproché, révélatrice de la volonté de déspécialisation de la justice des mineurs.
Je dirai quelques mots sur les autres titres.
Le titre IV sur la procédure pénale remet en cause la loi du 15 juin 2000, adoptée à la quasi-unanimité. Je regrette que le gouvernement précédent...
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ah !
Mme Nicole Borvo. ... ait ouvert la voie, en février dernier, sous la pression, à une première révision - que nous n'avons pas votée - alors que la loi prévoyait une évaluation en 2003.
Aujourd'hui, on revient en arrière avec l'inversion du principe de liberté, le renforcement du rôle du parquet et une limitation sérieuse des garanties individuelles, par l'extension de la procédure de comparution immédiate. La France vient d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme !
J'en viens au titre V sur les établissements pénitentiaires.
Des travaux non seulement scientifiques, mais aussi parlementaires existent, qui vont au-delà des apparences et des solutions de facilité. Je pense, en particulier, aux réflexions sur le sens de la peine, qui auraient dû aboutir à une réforme en profondeur du droit pénitentiaire : travaux des commissions d'enquête parlementaire sur les prisons, colloques scientifiques, rapport récent de notre collègue Paul Loridant sur le travail en prison. Nous avions dit, à l'époque, combien l'élaboration d'une loi pénitentiaire était indispensable, et nous avions interpellé à plusieurs reprises le gouvernement de M. Jospin à ce sujet. Hélas !
Mme Nelly Olin. C'est exact !
Mme Nicole Borvo. Votre projet, quant à lui, en est bien loin, qui retient surtout la nécessité d'augmenter les places de prison et la répartition des détenus en fonction de leur profil !
Enfin, si la volonté de défendre les droits des victimes ne peut recevoir que notre adhésion, je ferai observer que les procédures expéditives ne peuvent que défavoriser les victimes qui, souvent, n'ont pas la possibilité de se constituer parties civiles.
Pour conclure, permettez-moi de dire que ce qui nous est proposé ici constitue effectivement un choix, un type de réponse aux problèmes de la délinquance, de l'insécurité,...
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais oui !
Mme Nicole Borvo. ... mais traduit un regard bien pessimiste sur l'avenir.
Monsieur le ministre, le tout répressif est sans fin. En France, 900 jeunes sont en prison ; en Grande-Bretagne, il y en a 3 500. Avec l'adoption de votre projet de loi, monsieur le ministre, nous en aurons bientôt autant. Quant aux Etats-Unis, en matière d'incarcération, ils battent tous les records. Ils battent aussi tous les records en matière de violence.
Monsieur le ministre, votre projet est un choix de société : l'ultralibéralisme sur le plan économique et social d'un côté, la répression de l'autre ! Le pire est à craindre ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Nelly Olin. Le pire est plutôt derrière nous !
M. le président. La parole est à M. José Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement, présidé par notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin - dont tout le monde connaît ici l'efficacité et le pragmatisme - a confié à Nicolas Sarkozy et à vous-même, monsieur le garde des sceaux, deux tâches essentielles et complémentaires : la sécurité et l'ordre public, d'une part, la justice et l'organisation pénitentiaire, d'autre part.
Monsieur le garde des sceaux, la tâche qui vous incombe en si peu de temps est importante, et vous avez eu le grand mérite de l'entreprendre.
Dans un article publié en janvier 2000, M. Jean-François Burgelin, procureur général près la Cour de cassation, et Me Paul Lombard rappelaient que le génie créateur de la Révolution et de Napoléon a permis de bâtir une organisation de notre justice qui, avec quelques remaniements, a rendu de grands services. Mais, écrivaient-ils, deux siècles plus tard le décor a changé, la justice n'est plus un univers fermé où s'agitent quelques robes noires,...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Des rouges aussi !
M. José Balarello. Les rouges, ce sont celles des magistrats !
... c'est une exigence populaire.
D'institution étatique, la justice est devenue une vertu démocratique. Et deux auteurs d'ajouter : « Les structures napoléoniennes bien hiérarchisées éclatent de toutes parts (...) car il s'agit pour le juge actuellement d'intervenir non plus seulement dans les querelles de ménage ou de mitoyenneté, mais dans tous les domaines de la vie, de la bioéthique au port du foulard en classe : il n'y a plus d'activités ou de situations humaines qui échappent au juge. »
J'y ajouterai, pour ma part, plusieurs autres éléments importants.
Je note, tout d'abord, une aggravation de la délinquance, en particulier des mineurs, comme l'a relevé notre collègue Jean-Claude Carle dans son récent rapport. Cette délinquance a, en effet, augmenté de 20,4 % de 1977 à 1992 et de 79 % entre 1992 et 2001. Les mineurs sont d'ailleurs de plus en plus jeunes, puisque près de 49 % des mis en cause ont moins de seize ans !
Je note, par ailleurs, que la judiciarisation est en constante augmentation : 1 685 422 affaires introduites en 2000 et 250 000 affaires en instance auprès des tribunaux administratifs au 30 décembre 2000.
Je note enfin que notre pays connaît une forte inflation législative et réglementaire : 190 748 textes publiés entre 1980 et 2002, sans oublier 54 954 directives, règlements, décisions européennes depuis 1980, la seule jurisprudence européenne représentant plus de 11 000 arrêts depuis 1980.
Enfin, la presse a désormais ses entrées dans les prétoires, ce qui va de pair avec les violations réitérées du secret de l'instruction et l'abandon du devoir de réserve des magistrats, lesquels réussissent parfois à devenir des auteurs à succès en librairie en prenant le contre-pied de la phrase célèbre de La Fontaine dans les Animaux malades de la peste : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Monsieur le garde des sceaux, le texte que vous nous proposez s'ajoute aux innombrables modifications de notre système judiciaire intervenues depuis la Libération et l'ordonnance du 2 février 1945. Sera-t-il suffisant et permettra-t-il régler tous les problèmes qui se posent ? Certainement pas.
En effet, il ne traite ni de la réforme des tribunaux de commerce, ni du maintien du juge d'instruction, de sa place vis-à-vis du parquet et de la police, ni du choix entre procédure accusatoire ou inquisitoire... Toutefois, il a l'avantage d'apporter des solutions rapides, mais pragmatiques - comme nous avons été expressément invités à le faire les 5 mai et 16 juin 2002 à l'occasion d'élections au suffrage universel - à un certain nombre de problèmes criants qu'il était impossible de reporter plus longtemps en faisant état de considérations budgétaires ou idéologiques. Il a aussi le grand mérite de chiffrer votre programme et de le quantifier en hommes - 10 100 emplois nouveaux permanents sur cinq ans - et en matériels.
Vos objectifs, comme vous l'avez rappelé et comme l'ont indiqué nos deux rapporteurs, MM. Schosteck et Fauchon, sont clairement énoncés dans les trois parties du projet de loi que vous présentez au Parlement. Il s'agit d'améliorer l'efficacité de la justice, de faciliter l'accès au juge et de développer l'effectivité de la réponse pénale à la délinquance des majeurs comme des mineurs.
Améliorer l'efficacité de la justice, c'est avant tout accélérer les jugements des litiges. Je rappellerai à ce propos que, contrairement aux idées reçues véhiculées par la presse, 80 % des affaires ressortissent à la justice civile, prud'homale, commerciale ou administrative, et 20 % seulement à la justice pénale.
Votre objectif est de ramener la durée moyenne des litiges devant les cours d'appel à douze mois, devant les tribunaux de grande instance à six mois et devant les tribunaux d'instance à trois mois. Il s'agit là d'une décision indispensable.
Je rappellerai à ce sujet que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la cour de Strasbourg pour n'avoir pas rendu la justice dans des délais normaux, notamment dans les litiges du droit du travail.
Pour ce faire, vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, de recentrer le magistrat judiciaire sur ses tâches juridictionnelles et de le débarrasser des présidences de commissions, ou autres, qui peuvent être assumées par d'autres fonctionnaires ou par des élus. Vous avez raison de faire en sorte que le magistrat soit non plus un homme seul - concept actuellement dépassé dans tous les domaines - mais un homme entouré, en dehors des cas où la collégialité est exigée par le code, d'un greffier plus performant et d'assistants de justice pour lesquels je souhaite l'instauration de passerelles permettant d'accéder à l'école nationale de la magistrature, après huit ans de fonctions, par exemple, suivant leur notation. Il s'agit d'une réforme que nous devons accélérer.
M. Jacques Peyrat. Pourquoi pas ?
M. José Balarello. Le deuxième volet de votre texte a pour objet de rapprocher la justice du citoyen et de créer une véritable justice de proximité ; j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises à cette tribune. Nous avons fait, voilà quelques années, deux erreurs importantes : supprimer les commissariats de police de quartiers et supprimer les justices de paix.
La justice de paix avait été créée par décrets des 16 et 24 août 1790 et par les lois du 25 mai 1838 et 21 mars 1896 sur l'organisation judiciaire. Je rappellerai cependant que la justice de proximité date de l'ancienne Rome.
Dans les justices de paix, les juges pouvaient avoir des suppléants qualifiés et diplômés - anciens notaires, avocats, receveurs des finances - et tenir des audiences foraines.
Je me souviens - tous les avocats qui sont ici et qui ont un certain âge...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Hélas ! (Sourires.)
M. José Balarello. ... s'en souviennent eux aussi sûrement - d'avoir plaidé dans ces audiences foraines. A l'époquer, le magistrat, alliant le bon sens à la science juridique et à la connaissance du terrain, parvenait à obtenir une conciliation pour la moitié des litiges qui lui étaient soumis, diminuant ainsi ce que, depuis, nous avons appelé - d'un terme barbare à mon avis - le « stock » des affaires.
Monsieur le garde des sceaux, il faut vous inspirer de ce précédent et mettre à la tête de cette nouvelle juridiction de proximité un ou plusieurs magistrats professionnels, assistés de greffiers et secrétaires greffiers. C'est une simple question d'organisation des compétences.
Si vous me le permettez, je vous donnerai un conseil : si cela est possible, commencez par tester le système dans le ressort de trois tribunaux de grande instance...
M. Hubert Haenel, rapporteur pour avis. Celui de Nice ?
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. José Balarello. Pourquoi pas ?
... avec peu de personnes, triées sur le volet. Ensuite, seulement, vous développerez l'ensemble du système.
Reste le volet le plus délicat de votre réforme visant à adapter le droit pénal à l'évolution de la délinquance et à développer l'effectivité de la réponse pénale.
Ce volet, le plus médiatisé, met en cause l'incarcération des mineurs et leur réinsertion dans le monde du travail : il est certain que notre parc pénitentiaire, comme vous l'écrivez, monsieur le garde des sceaux, est à bout de souffle, et certains de nos établissements que j'ai visités, lors d'une mission parlementaire - comme la maison d'arrêt de Saint-Pierre, à la Réunion, qui, je l'espère, est en cours de reconstruction - ne sont pas dignes de la République.
Vous avez prévu un programme de 11 000 places dont 7 000 consacrées à l'augmentation du parc et 4 000 en remplacement de places fortement dégradées. Je souscris entièrement à votre vision : on peut priver les gens de liberté s'ils sont délinquants, mais on ne peut également les priver d'hygiène et de leur dignité, ce qui, de surcroît, empêche toute réinsertion.
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. José Balarello. La politique qui consistait à ne pas construire de nouvelles prisons et à remplacer les peines privatives de liberté par des peines alternatives ou de substitution a montré ses limites.
Aussi avez-vous raison de reprendre l'idée lancée en 1987 par l'un de vos prédécesseurs, M. Albin Chalandon, de faire édifier des établissements à gestion mixte - privée et publique - par des entreprises privées du Bâtiment et des travaux publics, notamment, puisque ce système fonctionne bien pour vingt et un établissements en France.
Le nombre de bracelets électroniques, que nous devons à notre ancien collègue M. Guy Cabanel, doit être porté à 3 000 en cinq ans, comme vous le proposez.
Nous souscrivons également à votre projet de l'insertion par le travail des détenus. Une véritable formation professionnelle doit leur être dispensée.
Je terminerai mon propos par le problème que vous abordez avec lucidité et courage : celui de la délinquance des mineurs.
Lucidité car, malheureusement, les chiffres nous interpellent : les mineurs représentent 21 % du total des mis en cause en 2001 et l'on compte une augmentation de 16,4 % de vols avec violences sur les cinq dernières années, la part dans ces vols de mineurs de moins de treize ans ne cessant de progresser.
Courage, car vous touchez à l'ordonnance du 2 février 1945, ordonnance modifiée à seize reprises et qui doit l'être à nouveau pour mieux tenir compte des réalités.
Il convient donc d'approuver votre projet de loi qui prévoit, comme vous l'avez souligné, la création de centres éducatifs fermés prenant en charge les mineurs délinquants dans le cadre d'un contrôle judiciaire, qui, s'il n'est pas concluant, peut aboutir à une détention provisoire, interdite pour les mineurs âgés de treize à seize ans dans l'ordonnance de 1945, sauf en matière criminelle.
S'agissant du renforcement de la responsabilité pénale des mineurs de dix à treize ans, l'ordonnance de 1945 prévoyait une irresponsabilité pénale des mineurs de treize ans, ainsi que des conditions de détention particulièrement limitées pour tout mineur de moins de seize ans, conduisant à une quasi-impunité pour les délinquants mineurs générant des situations de multirécidive. Aussi, le renforcement de cette responsabilité prévue par votre texte est une nécessaire initiative.
Le jugement dans un délai rapproché doit être un droit pour tous.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le sénateur !
M. José Balarello. J'en termine, monsieur le président.
L'amélioration des conditions de détention des mineurs est impérative. Si nous avons décidé de revoir la sanction judiciaire à l'égard des mineurs, les structures d'accueil pour ces délinquants doivent être totalement repensées, afin que ces jeunes ne se retrouvent pas en contact avec des délinquants majeurs et expérimentés, les centres éducatifs fermés ne devant comporter que peu de places, me semble-t-il, et un métier devant être enseigné aux jeunes.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi, qui bénéficie de la durée, de moyens importants, de la volonté politique et du soutien du Parlement et de celui de la population, doit être une réussite, faute de quoi nous irions vers les extrémismes que les dernières élections présidentielles nous ont laissé entrevoir. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Fourcade, je tiens à signaler aux sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants que leur temps de parole est épuisé. M. Plasait, en appelant à la bienveillance de la présidence, a néanmoins souhaité pouvoir s'exprimer brièvement, ce qu'il sera autorisé à faire. J'insiste toutefois pour que soient respectés les temps de parole impartis.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, n'étant ni avocat, ni magistrat, ni policier, j'ai hésité à intervenir dans ce débat. (Sourires.)
M. Gérard Delfau. Ce n'est pas une excuse !
M. Jean-Pierre Fourcade. Toutefois, maire depuis maintenant plus de trente ans, j'ai quelques lueurs sur le problème de la délinquance dans les deux communes que j'ai administrées. Je souhaite donc, monsieur le garde des sceaux, vous apporter mon soutien, car votre texte est ambitieux et volontariste.
Vous avez raison d'aborder plusieurs sujets à la fois, car tout est lié dans cette affaire : la délinquance des mineurs, les juges de proximité, l'amélioration du fonctionnement du parquet, ou encore l'aide aux victimes, qui sont trop souvent oubliées dans les textes.
Il était temps de s'attaquer à l'insécurité, qui constitue, quoi qu'on en dise, la première préoccupation de nos concitoyens ; les chiffres rappelés par M. Balarello et par MM. les rapporteurs sur l'évolution de la délinquance en témoignent. Aussi, dans les cinq minutes de temps de parole qui me sont imparties, je formulerai trois observatoires relatives à la délinquance des mineurs.
Première observation : autant il me paraît nécessaire d'intensifier la répression et l'action judiciaire à l'égard des mineurs récidivistes, autant je déplore la prise en charge insuffisante des primo-délinquants.
Des jeunes de douze, treize, quatorze ou quinze ans se laissent aller, un jour, à commettre un larcin, une incivilité, un certain nombre d'infractions légères. S'il pouvait exister, sur le plan local, une instance permettant de s'occuper de ces enfants, de leurs parents et des victimes dans les meilleurs délais, je suis persuadé que les récidivistes seraient moins nombreux et que les chefs de bande, qui sont la terreur des maires, seraient moins influents.
C'est la raison pour laquelle - je sais que ce n'est pas du domaine législatif - vous devriez, dans les circulaires et dans les instructions ministérielles que vous adressées au parquet, demander une plus grande attention en ce qui concerne le fonctionnement des comités locaux qui permettent de rassembler la police, la gendarmerie, les chefs d'établissements scolaires - car l'absentéisme est souvent l'une des causes préparatoires à la primo-délinquance - le représentant du parquet et le maire. Plus on améliorera le fonctionnement des comités locaux - dans la commune de Boulogne-Billancourt, que je représente, j'ai appelé ce comité « comité local de prévention de l'insécurité », car cela n'existe nulle part ailleurs et, par conséquent, je ne gêne personne - mieux on traitera les primo-délinquants. Dans la cinquantaine de cas de primo-délinquants examinés l'année dernière, j'ai constaté avec satisfaction que ceux-ci n'ont donné lieu à aucune récidive. En effet, ces primo-délinquants sont pris en charge dès le début. Ils sont convoqués devant ce comité dans les quinze jours ou trois semaines qui suivent l'infraction : ils ont tagué des cabines téléphoniques, abîmé du matériel municipal, etc. On leur rappelle alors ce qu'ils ont fait, on leur parle du droit. Ils constatent que l'ensemble des autorités publiques sont d'accord pour estimer qu'ils ont mal agi. Les parents sont convoqués en même temps que leurs enfants devant ces autorités et, le cas échéant, sont présentes les victimes, les vieilles dames à qui l'on a fait peur avec des chiens ou des objets dangereux.
Je vous demande, monsieur le garde des sceaux, de rappeler aux procureurs - ils ont en effet tendance à considérer que tout cela n'a aucun intérêt, qu'il s'agit de politique - que c'est le point de départ de la surveillance et du rappel au droit de l'ensemble des jeunes mineurs.
J'ai noté, avec satisfaction, que les chefs d'établissements scolaires, aussi bien publics que privés, étaient très ouverts à ce type de procédure. Ils l'ont d'ailleurs manifesté dans le cadre des contrats locaux de sécurité.
Ma deuxième observation concerne le rôle des maires. Ils sont bien officiers de police judiciaire,...
M. Jacques Peyrat. Cela ne sert à rien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... mais c'est un peu fictif. Pour ma part, j'ai connu un certain nombre d'expériences malheureuses au cours desquelles le constat d'un officier de police judiciaire, revêtu d'un uniforme ou non, avait beaucoup plus d'importance que l'opinion du maire.
Il faut rappeler au parquet que les maires existent et qu'ils sont les seuls généralistes sur le terrain ; vous le savez parfaitement, monsieur le garde des sceaux. Je demande non pas un renforcement de leurs pouvoirs, mais simplement qu'ils soient respectés et informés, car - et c'est le problème le plus grave du système actuel -, les maires ne reçoivent aucune information du parquet ou des tribunaux sur ce qui se passe dans leur commune. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nelly Olin. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade. Grâce à des contacts permanents, nous réussissons à obtenir ces renseignements par la police et par la gendarmerie ; tout le monde se « débrouille », si je peux me permettre d'employer ce terme, mais nous ne recevons aucune information du parquet. Dans une commune comme la mienne, qui enregistre 10 000 plaintes par an, on me dit que 80 % sont classées sans suite. Je n'en sais rien ! Je ne dispose d'aucune statistique ni d'aucune information.
Je vous demande donc, monsieur le garde des sceaux, de rappeler au parquet que les maires existent, qu'ils sont élus, qu'ils ne sont pas des politiciens avides de gloire ou de médiatisation et qu'ils doivent être informés de ce qui se passe dans leur commune.
Ma troisième et dernière observation concerne le problème délicat de l'information des citoyens, auquel nous avons tous été confrontés. La presse nous informe des crimes ou des délits très graves qui sont commis grâce aux journalistes de l'AFP qui traînent dans les parquets et les greffes. Mais les citoyens ne savent pas ce qui se passe et je suis persuadé, pour l'avoir vérifié au moyen d'un certain nombre de sondages, que le sentiment d'insécurité naît de cette opacité de l'information.
Par conséquent, monsieur le garde des sceaux, si vous pouviez améliorer l'information des citoyens - je parle d'une information non pas personnalisée, statistique ou quantitative, mais régulière - en ce qui concerne la suite donnée par les parquets, les dossiers transmis aux juges d'instruction et les condamnations prononcées par les tribunaux, ce serait une bonne chose.
Si vous acceptiez, monsieur le garde des sceaux, de prendre en compte mes trois suggestions, je suis persuadé que nous améliorerions le comportement des mineurs dans la société, ce qui est notre objectif commun. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 16 octobre 2001, voilà neuf mois à peine, je développais à cette tribune, devant le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Vaillant, un certain nombre de nécessités, telles que la construction de nouvelles prisons, la mise en oeuvre de structures spécialisées, même si cela ne relevait pas tout à fait de sa compétence, et je concluais ainsi : « Une sourde protestation monte du tréfonds de nos communes et de nos cantons, de la France tout entière. Tout le monde vous le demande : faites-nous des lois qui nous permettent de vivre en paix. Ayons, nous, le courage de voter les lois qui conviennent. »
Neuf mois après, monsieur le garde des sceaux, enfin, un gouvernement nous les propose. Ne gâchons pas notre soulagement et notre joie à vous aider dans votre action novatrice, à laquelle je souscris pleinement.
Il ne peut exister de sécurité sans une police efficace, sans une bonne justice et sans une adhésion populaire. L'adhésion populaire vous a donné un chèque en blanc. L'efficacité de la police sera examinée la semaine prochaine.
Avant d'examiner à mon tour les mesures que vous nous proposez, permettez-moi de vous exprimer ma satisfaction de constater que le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur ont lié leurs actions, qui s'interpénètrent pour une action cruciale à entreprendre.
J'en viens aux effectifs, question fondamentale.
La création d'emplois nouveaux était une nécessité impérative. Merci de l'avoir compris et, surtout, merci d'avoir voulu rapprocher la justice des justiciables en créant, comme pour les juridictions statuant sur les conflits du travail ou les tribunaux de commerce, des juges issus de la société civile, 3 300 juges de proximité qui rempliront pour partie, maître Balarello (Sourires) des fonctions attribuées naguère aux juges de paix devant lesquels nous avons si souvent plaidé.
Il s'agit là d'un élément majeur et indispensable d'une politique pénale que vous avez résolument choisi d'adapter et de moderniser.
Les moyens doivent suivre. Ce matin, vous avez dit, monsieur le garde des sceaux, que vous nous présentiez un projet de loi de moyens. En effet, créer de nouveaux postes et de nouvelles fonctions en augmentant les effectifs ne suffirait pas s'il n'y avait pas les crédits pour les locaux, les matériels, les moyens des tribunaux qui sont parfois encore aussi misérables que le sont les commissariats de police et les bureaux de la police nationale.
Vous envisagez, face à l'accroissement de la délinquance sous toutes ses formes, de faire construire des établissements pénitentiaires, mais vous avez rappelé que vous envisagiez de moderniser aussi les établissements existants.
Ayant été, pendant trente-cinq ans, avocat pénaliste et visiteur, bon gré mal gré, de la quasi-totalité des prisons de France, je sais - et puis en témoigner - combien elles peuvent nuire à la réinsertion et combien elles sont génératrices de rancoeurs et de réactions de violence du fait de leur vétusté, de leur insalubrité, de l'insuffisance des installations sanitaires et des conditions de détention parfois inhumaines qu'elles offrent.
Non, la France n'a pas toujours eu les prisons dignes de ses grands principes. Je sais que vous en avez conscience, puisque vous envisagez la rénovation de 11 000 places.
Il faut humaniser nos prisons, les peines carcérales édictées, qui devront être appliquées dans toute leur rigueur, ne résidant que dans la privation de liberté, et rien d'autre.
A cet égard, monsieur le garde des sceaux, puis-je me permettre d'attirer votre attention sur la prison de Nice, aussi ancienne, désuète et inhumaine que les prisons Saint-Roch à Toulon ou Saint-Paul à Lyon ? Et, puisque je fais un arrêt sur images, soyez assuré que votre gouvernement s'honorerait, dans ce souci qui est le vôtre de rapprocher la justice du justiciable, en redonnant au département des Alpes-Maritimes la cour d'appel dont le royaume sarde l'avait doté avant que le comté de Nice ne choisisse, il y a cent quarante-deux ans, d'être rattaché à la France. Est-il raisonnable qu'un million d'habitants soient obligés d'attendre de deux à trois ans et de parcourir 360 kilomètres pour obtenir, qui le montant des salaires dont il a besoin et dont il a été privé après un licenciement abusif, qui la garde des enfants lorsque son couple se délite ? Ce n'est pas normal !
Enfin, vous avez voulu, bravant beaucoup d'interdits, apporter une réponse équilibrée et réfléchie au problème de l'écrasante augmentation de la délinquance juvénile. Nos collègues Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle sont les coauteurs d'un rapport remarquable établi sur la base d'une série d'auditions qui viennent contredire en partie notre éminent collègue Robert Badinter. Ce dernier relevait ce matin l'apparente rapidité avec laquelle tout cela est décidé. Nos deux collègues ont entendu des directeurs de recherche, des médecins, des psychologues, des sociologues, des universitaires, et même un curé et le président de SOS Racisme ! Tous ont dit la même chose : oui, les délinquants mineurs sont plus jeunes ; oui, ils agissent davantage en réunion, dans une délinquance massifiée, et ils sont bien plus violents qu'au cours des dix dernières années. Tel est le problème majeur de la société actuelle.
Certains ajoutent que les autorités françaises ne savent plus appeler les choses par leur nom et que ne pas être capable d'évaluer les choses, c'est se condamner à les dévaluer.
D'autres stigmatisent une prévention inexistante, l'inapplication répétée d'une loi pénale qui existe pourtant, la crise d'un Etat qui ne fait plus peur à personne, le délabrement de la famille, l'effritement de l'école, autrefois sanctuaire.
D'autres encore évoquent la sur-délinquance des jeunes issus de l'immigration auxquels on n'aurait pas su donner les attentions et les réponses qu'ils attendaient.
D'autres, enfin, évoquent le pouvoir destructeur de l'isolement du moi, du désert des adultes, de l'absence d'être par défaut de représentation de soi-même annihilant la représentation des autres.
Un grand nombre d'intervenants se divisent sur l'ordonnance du 2 février 1945, vieille dame vénérable qui a connu seize modifications en cinquante-sept ans.
Certains souhaitent la laisser survivre, d'autres veulent carrément la supprimer, d'autres, enfin, veulent la modifier pour mieux l'adapter aux circonstances nouvelles.
C'est ce dernier choix que vous avez fait, face à notre opposition et à celle de certaines associations ; de certains syndicats de magistrats et d'avocats, « censeurs un peu fâcheux mais souvent nécessaires, plus enclins à blâmer que savants à bien faire ».
Les bus, cibles des incendiaires, comme les cars de police, les véhicules de secours des sapeurs-pompiers, les véhicules d'urgence du SAMU, voire les véhicules des médecins, des infirmiers ou des sages-femmes sont « grillés » tous les jours !
Les bandes de jeunes voyous dans les trains, les agressions de professeurs de banlieue - souvent des femmes - qui deviennent des cibles prioritaires, les insultes, les agressions quotidiennes subies par les policiers des zones dites sensibles, les bousculades dans les rues, les queues de poisson, le non-respect des handicapés, les injures, les crachats, les menaces sont souvent le fait de nouvelles couches de délinquants.
Alors, oui, réformons, adaptons, modifions l'ordonnance de 1945, comme vous nous le proposez, en conservant l'aspect éducatif très fort. Il faudra toutefois se donner les moyens d'en assurer réellement le plein développement, car, comme vous l'a dit Angus Mackay, lors de votre visite à Stamford House, en Grande-Bretagne, une équipe d'encadrement, un éducateur pour deux enfants, des enseignants qualifiés, des psychologues, voire des psychiatres, des médecins et des infirmières, tout cela coûte cher, tout cela exige beaucoup de patience.
Mais je sais que, parce que, comme vous l'avez dit ce matin, vous souhaitez une loi d'action, vous aurez à coeur de poursuivre sur la durée.
Cependant, si tous les magistrats devaient ne pas être conscients de l'accroissement de la violence dure, des débordements causés par des voyous « paumés » et dangereux dans leur inconséquence, du nombre croissant de victimes, de l'aggravation des dommages causés et de leur multiplication, des réactions angoissées de nos populations, qui réclament la protection de la loi, si tous les magistrats devaient ne pas comprendre la nécessité de sanctions fermes et rapides, alors, toutes les mesures que vous prenez, portées par l'argent public ne serviraient à rien.
Certains philosophes, magistrats, avocats ou autres affirment que les malfrats, jeunes ou moins jeunes, ne redoutent plus la répression quand les mesures éducatives ont cessé de produire leurs effets. Raison de plus pour leur appliquer la condamnation juste, à hauteur des forfaits commis, et organiser l'exécution réelle de la peine prononcée, après le réquisitoire du procureur de la République, les plaidoiries de la défense, le jugement du ou des magistrats du siège rendu dans l'indépendance et avec la rigueur et le talent qui sont leur apanage.
Enfin, j'ai entendu avec plaisir - car elle était belle - mais sans conviction la plaidoirie de notre collègue Robert Badinter. J'ai retenu sa conclusion : donnons-nous le temps, trois ou quatre ans, pour mettre en oeuvre un modèle français de procédure pénale qui sera un exemple pour l'Europe tout entière.
L'objectif est noble, comme il est noble de penser aux mineurs délinquants alors que nous n'avons ni les locaux pour les accueillir, ni les personnels pour les instruire et les encadrer en attendant que votre projet de loi, qui va devenir la loi nouvelle, ne porte ses effets bénéfiques.
Mais je lui pose une question : serait-il moins noble de penser à la population de notre pays, et d'y penser sans plus attendre ? N'est-il pas urgent, sans besoin de réfléchir ou d'ausculter trop longtemps - trois ou quatre ans ! - de mettre immédiatement à l'abri les victimes, actuelles et futures, qui ont le sentiment de crier dans le désert ? Elles aussi ont des droits !
Ne cherchons pas toujours à donner des leçons au monde. D'ailleurs, la meilleure façon de le faire ne consisterait-elle pas précisément à apaiser les craintes tant exprimées, à garantir la sécurité mise à mal et à protéger ainsi nos concitoyens, particulièrement ceux des quartiers populaires, les enseignants, les personnels de santé ou de protection publique, les personnes âgées et les mineurs eux-mêmes, entraînés au-delà de leur entendement par le flot de ceux qui les exploitent ? Ceux-là aussi ont des exigences que nous n'avons pas le droit d'ignorer ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, d'autres avant moi étant déjà intervenus longuement sur l'ensemble de ce projet de loi, je voudrais simplement rappeler qu'une lutte efficace contre l'insécurité et la délinquance est étroitement liée à la qualité de l'institution judiciaire qui, en application de la loi, fixe les limites de ce qui est faisable et de ce qui ne l'est pas.
La répression reste parfois la seule issue pour ceux qui sont les auteurs de manquements particulièrement graves et elle peut se traduire par de l'enfermement.
Est-il utile de le rappeler du haut de cette tribune, l'enfermement met la liberté d'un individu entre parenthèses parce qu'il menace la société, peut-être ses proches et probablement lui-même.
Cette privation de liberté doit protéger la société, mais nous avons aussi l'obligation de protéger les personnels assurant la surveillance des détenus. Une commission d'enquête sur les conditions de détention, dont le président était notre collègue Jean-Jacques Hyest et le rapporteur M. Guy-Pierre Cabanel, notre ancien collègue, a mis en évidence les carences du système pénitentiaire de notre pays : promiscuité, faiblesses des moyens d'accompagnement à la réinsertion et, surtout, personnels en sous-effectifs.
Monsieur le ministre, votre projet de loi affiche cette volonté de réforme, de modernisation et de prise en compte de l'ensemble des problèmes, ainsi que votre détermination à aller vite, à ne pas vous enliser dans la réflexion pour que la situation s'améliore rapidement dans notre pays.
Notre souci est aussi de veiller à la sécurité à l'intérieur des établissements pénitentiaires, c'est l'objet plus particulièrement de mon propos.
Les faits récents d'évasion ou de tentatives d'évasion, par hélicoptère, notamment, ont démontré que les détenus avaient la possibilité d'utiliser les nouvelles technologies, singulièrement la téléphonie mobile. Il n'est pas acceptable de laisser cette possibilité à ceux qui sont privés de liberté.
Lors de l'examen, en juin 2001, du texte portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, le DDOSEC, j'ai déposé un amendement, qui a été adopté par le Sénat puis par l'Assemblée nationale, permettant aux exploitants de salles de cinéma et de spectacle d'empêcher l'utilisation de la téléphonie mobile à l'intérieur de leurs espaces de manière à assurer le confort de leur clientèle.
Monsieur le garde des sceaux, votre texte prévoit l'installation de brouilleurs à l'intérieur des enceintes des établissements pénitentiaires. J'approuve totalement cette initiative, qui favorise la sécurité dans les prisons.
Il est normal d'interdire aux détenus l'accès aux technologies de l'information et de la communication, plus particulièrement à une époque où l'isolement est la garantie de la sérénité, de celle de l'instruction, notamment.
Aujourd'hui, les murs ne suffisent pas à arrêter cette forme nouvelle de liberté que constitue la communication par voie hertzienne. Je crois qu'il y a urgence à prendre des dispositions dans ce domaine.
Je tenais à le dire publiquement dans cette enceinte, en apportant mon soutien à l'ensemble de votre projet de loi, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je n'interviendrai ni sur la délinquance des mineurs ni sur la justice de proximité : d'autres collègues l'ont fait et le feront.
Je parlerai de la prison pour exprimer un doute, souligner une évidence et vous faire part d'une expérience, celle que j'ai tirée de ma mission de contrôle, au nom de la commission des finances, sur le travail en prison.
Un doute, tout d'abord. Le seul angle sous lequel est abordée la prison dans le présent projet de loi est celui de la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Fort bien ! Tout le monde a pu constater l'état de vétusté de certains établissements et la surpopulation qui règne dans les maisons d'arrêt.
Votre programme de construction comportera, monsieur le garde des sceaux, 11 000 places, dont 7 000 seront consacrées à l'augmentation de la capacité du parc et 4 000 viendront en remplacement de places obsolètes. Je vous pose la question : cela sera-t-il suffisant ? J'en doute. En effet, au 1er janvier 2002, avec un nombre de 48 594 détenus pour 47 000 places, la surpopulation carcérale était déjà dramatique ; avec 56 835 détenus au 1er juillet, toujours pour 47 000 places, la situation est devenue explosive. Or, qu'en sera-t-il demain avec les procédures visant à accélérer la sanction pénale et à relancer la détention provisoire ? Vos 11 000 places, qui ne suffisent déjà pas aujourd'hui, ne suffiront vraisemblablement pas demain.
Comment les agents de l'administration pénitentiaire pourront-ils gérer la détention ? Faudra-t-il, dans deux ans, dans trois ans, créer une nouvelle commission d'enquête sur les prisons et dénoncer demain les mêmes maux que nous dénoncions hier ? Devrons-nous encore titrer : Prisons : une humiliation pour la République ?
L'évidence, ensuite : un détenu, mes chers collègues, ressort un jour ou l'autre de prison. Il faut se préoccuper autant de son entrée, et donc de l'exécution de la sanction, que de sa sortie, c'est-à-dire, évidemment, de sa réinsertion. Entre l'entrée et la sortie se déroule la peine, aujourd'hui trop souvent vide de sens ; après la sortie, faute de préparation, faute d'action significative en faveur d'une réinsertion sociale et professionnelle, se profilent la récidive et, souvent, la misère.
La réinsertion sociale et professionnelle du détenu, objectif assigné à l'administration pénitentiaire, en particulier par le travail pénitentiaire, doit enfin devenir une priorité. J'ai rencontré, à l'occasion de l'une de mes visites de prisons, un détenu devenu célèbre : François Besse. J'ai perçu la transformation de cet homme, métamorphosé par l'éducation, par la formation et par un travail qui a fait sens. Cet homme est aujourd'hui proche de la sagesse.
J'ai aussi vu - et je vous renvoie pour le détail à mon rapport d'information intitulé Prisons : le travail à la peine - la grande misère du travail pénitentiaire.
J'ai d'abord constaté que, malgré des améliorations récentes, le droit au travail des détenus était extrêmement limité : moins d'un détenu sur deux travaille. Selon mes estimations, il manque 10 000 postes de travail en prison, la situation étant plus dramatique en maison d'arrêt qu'en établissement pour peine.
Les conditions d'hygiène et de sécurité, ensuite, sont très inégalement respectées.
Surtout, les activités proposées ne préparent en rien à la réinsertion : travail à façon déqualifié et abrutissant, absence de formation professionnelle, secteurs d'activité confrontés à la mondialisation économique et n'offrant pas de perspectives d'emploi à l'extérieur, tels sont les principaux traits du travail pénitentiaire.
Enfin, les rémunérations sont dérisoires. Malgré des efforts récents, elles sont, en moyenne mensuelle brute, de l'ordre de 160 euros. Il convient d'en déduire différentes retenues qui peuvent représenter jusqu'à 50 % du revenu. Ces éléments sont à comparer avec le coût de la vie en prison, qui s'élève au minimum à 150 ou 200 euros par mois.
La situation actuelle est inacceptable.
Pour les parties civiles, d'abord, car les rémunérations obtenues par les détenus ne peuvent leur laisser espérer une indemnisation conforme à celle à laquelle elles ont droit. Pour les détenus eux-mêmes, ensuite, car, lorsqu'ils sont au chômage, leur situation est proche de la misère. Pour ceux qui travaillent, le pouvoir d'achat tiré des fruits de leur activité est insuffisant, le travail proposé parfois abrutissant, les offres de formation professionnelle limitées et les perspectives de réinsertion par ce biais quasi nulles. Pour la société, enfin, car l'absence, durant la peine de prison, d'actions significatives en faveur de la réinsertion socioprofessionnelle, durant la peine de prison, laisse craindre le pire à la sortie du détenu.
Il ne faudrait pas prétexter l'urgence et la précipitation pour refuser de résoudre le problème du travail pénitentiaire dans ce projet de loi, dont l'intitulé comporte le beau nom de « justice ». Je vous propose donc de réparer un oubli majeur, monsieur le garde des sceaux, celui de la réinsertion.
Pour les autres oublis, lisez, monsieur le ministre, et relisez, mes chers collègues, tous les travaux publiés par le Sénat depuis quelques mois : le rapport de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, mon rapport sur le travail en prison, le rapport sur la délinquance des mineurs, le rapport sur les métiers de la justice ; ils devraient vous permettre de faire de ce texte, qui me paraît trop parcellaire, un vrai projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.
C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je défendrai au cours de la discussion des articles seize amendements qui sont dans le droit-fil de mon rapport, accepté par la commission des finances. Je vous proposerai la création en cinq ans de 10 000 nouveaux emplois en détention, l'introduction d'une partie du droit du travail, adapté aux conditions pénitentiaires, ainsi que la création d'un salaire minimum pénitentiaire égal à la moitié du SMIC - ce n'est pas révolutionnaire ! - et la cotisation des détenus à l'assurance chômage. Je vous proposerai aussi l'instauration d'un droit du détenu à la formation professionnelle. Je vous demanderai enfin de faire cesser l'injustice que représentent les frais d'entretien pour détention, acquittés par les seuls détenus qui travaillent.
Ce sont des amendements réalistes, destinés à préparer la réinsertion des détenus et à donner tout leur sens aux termes d'« humanisme » et d'« exécution des peines » que le Gouvernement a chaque jour à la bouche, que je vous propose d'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait. M. Bernard Plasait. Monsieur le président, je vous remercie de votre bienveillance, car je n'aurais pas voulu être privé du plaisir de féliciter MM. Schosteck et Fauchon, rapporteurs de la commission des lois, de leur remarquable travail, et M. Carle de la force et de la pertinence de ses convictions, que je partage.
Monsieur le garde des sceaux, si j'approuve sans réserve les orientations et le contenu de ce projet de loi, enfin à la hauteur des enjeux, je considère néanmoins qu'il est urgent de définir une véritable politique pénale et de remédier à ce cancer que constituent l'inflation législative et son corollaire, l'affaiblissement du droit, en particulier du droit pénal.
Vous avez décidé de favoriser une meilleure prise en charge des victimes, et vous avez raison. Cependant, ce que les victimes d'infraction sont en droit d'attendre, c'est bien que l'auteur soit appréhendé, poursuivi et sanctionné, en un mot, que justice soit rendue.
Pourtant, à considérer les chiffres, peu d'infractions font l'objet de poursuites et, partant, de réponses pénales : seules 12,45 % des infractions constatées en 2000 ont donné lieu à des poursuites.
S'il n'est pas dans mon intention de remettre en cause le principe de l'opportunité des poursuites, je pense néanmoins que l'on doit rechercher l'égalité de tous devant la loi en tout point du territoire. A cet égard, il ne paraît pas normal que, en 2001, pour un vol commis dans un grand magasin, le parquet ait renoncé aux poursuites lorsque le préjudice était inférieur à 1 000 francs à Strasbourg, 500 francs à Mulhouse et à seulement 200 francs à Saverne.
Par ailleurs, il est désormais incontestable que le vieil adage : « Nul n'est censé ignorer la loi » n'a plus aucun sens. Il faudra bien un jour endiguer les flots trop tumultueux du fleuve juridique !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Bernard Plasait. Ce phénomène est particulièrement préoccupant en matière pénale, puisque personne ne connaît le nombre exact d'incriminations actuellement en vigueur. Certains avancent le chiffre de 13 000, dont 11 000 seraient réellement utilisées par les juridictions ; d'autres vont jusqu'à parler de 15 000. En fait, nul ne sait.
Un travail d'inventaire avait été commencé en 1985, à la suite d'une circulaire du Premier ministre, mais il ne fut jamais mené à son terme. Aujourd'hui, les dispositions pénales, dans leur grande majorité, se situent en dehors du code pénal. Prolifération et éclatement vont de pair, à tel point que certains auteurs en ont conclu à la République pénalisée.
Aussi, monsieur le ministre, ne devrions-nous pas engager un grand mouvement de dépénalisation au profit du droit civil si nous voulons éviter la paralysie de la vie commerciale comme de la vie sociale ?
« Voulez-vous avoir de bonnes lois ? Brûlez les vôtres et faites-en de nouvelles ! » C'est peut-être par ces mots que, toujours moderne, Voltaire nous traçait le chemin. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau. M. Gérard Delfau. Monsieur le garde des sceaux, nul ne vous reprochera d'avoir pris l'initiative de nous proposer un projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Jusqu'ici, c'étaient plutôt les gouvernements de gauche qui se préoccupaient de remédier au délabrement du système judiciaire et à l'insuffisance de ses moyens en personnels et équipements.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Voilà qui est nouveau !
M. Patrice Gélard. Et cette loi de programme ?
M. Gérard Delfau. Je parlais du Gouvernement et non du Sénat !
Vos amis concentraient leur intérêt sur le renforcement des forces de sécurité, au demeurant nécessaire. Vous avez trouvé votre chemin de Damas, fort bien ! La nation s'en réjouit. Mais sur quelle vision de notre société vous fondez-vous ? De quelle philosophie et de quelles méthodes vous réclamez-vous ? Là est désormais la question.
J'ai retenu du discours du Premier ministre, M. Raffarin, que deux principes devaient dicter son action : renouer le dialogue social, mis à mal, selon lui, par le précédent gouvernement, et s'inspirer de l'humanisme, cette conception de l'homme qui remonte à la philosophie des Lumières, à la croyance dans le progrès et dans la perfectibilité de chaque individu.
Pour ce qui est du dialogue social, s'agissant d'un univers aussi complexe que l'institution judiciaire, où des personnels très différents vivent une cohabitation souvent délicate, vous avez ostensiblement choisi, monsieur le garde des sceaux, de décider tout seul, sans - ou faudrait-il dire contre ? - les principaux acteurs : magistrats, avocats, éducateurs, policiers et gendarmes, animateurs bénévoles ou salariés du secteur associatif, etc. A dire vrai, cela devient pour ce gouvernement une habitude, qui se retrouve d'ailleurs dans l'ordre du jour de cette session extraordinaire : le Parlement examine à la chaîne et adopte à la hache une série de projets de loi encore mal dégrossis.
Pour ce qui est de l'humanisme, réprimer et punir semblent être votre seul horizon, et ce dans la plus totale bonne conscience, celle d'une société qui ne veut plus remettre en cause son fonctionnement de plus en plus inégalitaire.
Un syndicaliste me disait, à propos de ce texte : c'est comme si l'on s'acharnait à éponger l'eau d'une baignoire qui déborde au lieu de fermer le robinet... Pour être triviale, l'image n'en est pas moins juste. Elle signale la faiblesse majeure du projet de loi : il est univoque, il ne vise que les seuls symptômes, il ne prend pas la hauteur nécessaire, il ne juge pas une situation dégradée dans sa globalité.
Il est surtout unilatéral, presque exclusivement inspiré par la philosophie du « tout carcéral », comme le montrent l'absence à peu près totale du terme « prévention » et la faible part qu'il accorde à l'éducatif pour contenir ou empêcher la délinquance de certains mineurs.
Sur ce sujet sensible, qui doit effectivement être mieux pris en charge qu'il ne le fut ces dernières années, je préfère l'approche équilibrée qu'avaient exposée nos collègues MM. Schosteck et Carle dans le rapport intitulé La République en quête de respect . Un peu de temps, d'ici à l'automne, un va-et-vient avec les commissions du Parlement, une écoute et un dialogue avec les personnalités et les organisations représentatives, auraient permis d'aboutir à une position plus juste et plus efficace.
Ces problèmes doivent être résolus au fond, et sans angélisme, cela va de soi. Comme tous les maires, je vois bien les dégâts provoqués par une délinquance en hausse constante, je mesure les effets de la perte de repères d'une partie de la population.
Il faut agir, certes, mais avec prudence, sans prendre le risque d'accroître la dangerosité de jeunes précocement incarcérés, sans déséquilibrer davantage encore un parc pénitentiaire surpeuplé et parfois si vétuste qu'il en est dangereux pour le personnel et inhumain pour les détenus.
Oui, il faut casser le sentiment d'impunité que peuvent éprouver des adolescents et de jeunes adultes face à un système judiciaire lointain, lent, au fonctionnement parfois peu cohérent. Mais construire des prisons concédées au privé, créer des centres éducatifs fermés dont personne ne comprend ni la nature ni le mode de fonctionnement, inventer des juges de proximité - une bonne idée, au demeurant - dont on ne parvient pas à saisir en quoi ils seront des magistrats et en quoi ils resteront des « supplétifs » parce qu'ils sont mal identifiés et mal encadrés, tout cela ne suffit pas à fournir les bases d'une politique ambitieuse et adaptée qui renforcera la sûreté des biens et des personnes et fera reculer le sentiment d'insécurité.
Dans ce contexte, les nombreuses créations d'emplois que le Gouvernement s'engage à financer laissent dubitatifs. A quoi serviront, par exemple, les recrutements d'éducateurs et de personnels de la PJJ si l'on ne traite pas auparavant la crise d'identité que cette institution traverse depuis une dizaine d'années ? Sur les formes de cette crise et sur les solutions possibles, le rapport de nos collègues Jean-Pierre Schosteck et Jean-Claude Carle a le mérite d'apporter un éclairage que je ne retrouve absolument pas dans le projet de loi. J'aurais voulu parler aussi de la place des maires dans le dispositif que vous nous proposez, mais le temps m'est particulièrement compté. Vous aurez cependant d'ores et déjà compris que je juge le texte hâtif sur un sujet qui n'admet pas la précipitation et sommaire sur un thème de société qui mérite la nuance et la prudence.
Bref, je ne suis pas enclin à vous suivre, monsieur le garde des sceaux, quant aux solutions que vous proposez. Nous approuverons les moyens que vous prévoyez, qu'il s'agisse des 10 000 créations de postes ou du programme ambitieux concernant le parc immobilier, mais nous serons critiques sur vos orientations, notamment en matière de délinquance juvénile ou de justice de proximité.
Au demeurant, qui peut dire aujourd'hui quel sort sera réservé à votre loi d'orientation ? Au fond, le Gouvernement a commis une lourde erreur politique. Pour réformer, quand il est question de matières aussi sensibles, il faut s'appuyer sur un soutien très large, allant au-delà des clivages traditionnels du Parlement et sur l'adhésion de ceux qui auront à mettre en oeuvre la loi. Vous n'avez ni l'un ni l'autre parce que vous avez cru habile de donner très vite des gages à votre camp. Soyez sûr, monsieur le garde des sceaux, que vous le regretterez ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le garde des sceaux, je dois vous avouer que, au terme de ce débat, je n'aimerais pas être à votre place.
On vous demande en effet tout à la fois de refaire la justice, les prisons, la sécurité, les codes et, pour ne rien oublier, on vous demande de changer l'homme, le citoyen et la société ! C'est naturellement une tâche impossible.
En réalité, M. le garde des sceaux ne fait aujourd'hui que respecter l'engagement pris par le chef de l'Etat et confirmé par le chef du Gouvernement dans sa déclaration de politique générale : l'adoption à bref délai et en priorité d'une loi visant à améliorer le fonctionnement de la justice. L'enjeu de ce débat n'est rien d'autre.
Monsieur le garde des sceaux, la majorité présidentielle vous suivra et votera sans difficulté le projet de loi.
M. Paul Loridant. Godillots ! M. Patrice Gélard. Certes, nous n'avons pas toujours su comprendre que nous n'étions plus sous la majorité précédente et, partant, nous n'avons pas toujours contrôlé nos pulsions, croyant encore pouvoir tout remettre en cause par nos amendements successifs ! (Sourires sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo. Excellent !
M. Claude Estier. Ah ! Il faut s'habituer à être dans la majorité !
M. Patrice Gélard. Nous étions simplement en libre conversation à l'intérieur de la commission,...
M. Robert Bret. Ce n'était pas beau à voir !
M. Patrice Gélard. ... ce qui n'a naturellement rien à voir avec la séance publique. Soyez assuré que nous ne nous engagerons pas dans cette voie ici.
Monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi nous donne plusieurs motifs de satisfaction.
Nous apprécions d'abord que vous ayez témoigné votre reconnaissance à l'égard du Sénat pour les travaux qu'il a menés dans le passé, dans ses commissions d'enquête ou dans ses missions d'information, comme pour les amendements qu'il a déposés lors de l'examen de précédents projets de loi.
Vous avez rendu hommage au Sénat ; nous en sommes heureux. Nous continuerons dans cette voie pour que, grâce à nos missions d'information et à nos commissions d'enquête, le Gouvernement puisse disposer des moyens nécessaires à sa tâche.
Le deuxième motif de satisfaction, c'est naturellement l'ensemble des moyens mis à la disposition de la justice. M. Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, l'a indiqué : il n'y a pas eu de précédent au cours des cinq dernières années, il faut remonter à la loi de programme de 1995 pour retrouver des moyens similaires.
Grâce à ces moyens, la justice fonctionnera mieux, plus vite et plus efficacement ; elle se rapprochera des citoyens.
Troisième motif de satisfaction : les juges de proximité. Je ne reviendrai pas sur l'excellent rapport de notre collègue Pierre Fauchon. Depuis longtemps, Pierre Fauchon et moi sommes sur la même longueur d'onde...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous sommes un peu seuls !
M. Patrice Gélard. ... et estimons qu'il faut en France une justice de proximité pour traiter des conflits mineurs.
Je suis très satisfait également, même s'il faudra peut-être aller plus loin à l'avenir, des dispositions relatives aux tribunaux administratifs, lesquels manquent en effet de moyens. A ce propos, vous avez cité des délais moyens, monsieur le garde des sceaux. Je tiens à dire que, dans ma région, les délais sont largement supérieurs : il faut attendre quatre ans pour obtenir une décision de la cour administrative d'appel, et non pas trois ans. C'est très long, et, pour les collectivités locales que nous représentons, c'est parfois extrêmement gênant, par exemple lorsqu'il faut attendre, pour entreprendre une construction, l'issue du recours dont a fait l'objet le permis de construire.
Je dois par ailleurs vous féliciter, monsieur le garde des sceaux, de la façon dont vous avez abordé le problème de la délinquance des mineurs.
Plusieurs de mes collègues, et notamment M. Peyrat, se sont déjà excellement exprimés à ce sujet. Je me bornerai donc à dire que, contrairement à ce que certains voudraient faire accroire, l'ordonnance de 1945 subsiste : le traitement de la délinquance des mineurs reste tout à la fois fondé sur l'éducation et la réinsertion, mais aussi, hélas ! sur la sanction.
La société est un peu à l'image des visiteurs des parcs naturels qui prennent les ours sauvages pour des ours en peluche ! Par naïveté, par méconnaissance des problèmes, trop de gens, et je m'en étonne, croient que pour calmer un jeune tigre armé de dents et de griffes il suffit de le caresser comme un petit chaton.
Désolé : un délinquant brutal de treize ans n'est pas un bébé, un adolescent de seize ou de dix-sept ans n'est pas un enfant ! L'homme n'est pas naturellement bon, contrairement à ce que Jean-Jacques Rousseau a écrit. Tout n'est pas de la faute de la société, tout ne peut pas être absout sous prétexte que la société serait responsable.
C'est pourquoi l'orientation que vous avez choisie est la bonne, monsieur le garde des sceaux : l'éducation et la réinsertion sont indispensables pour remettre les délinquants sur le droit chemin, mais la sanction l'est aussi. A défaut, tôt ou tard, c'est la loi du plus fort qui s'appliquera.
A partir de ces constats de satisfaction, permettez-moi de me livrer à deux réflexions.
La première concerne la formation au sens large du terme, en commençant par la formation des personnels de justice, notamment, à terme, des juges de proximité.
Je partage l'opinion de M. Fauchon : il ne s'agit de recruter ni des maîtres ni des docteurs en droit pour en faire des juges de proximité.
M. Jacques Peyrat. Ce serait une mauvaise chose !
M. Patrice Gélard. Cependant, même si l'expérience acquise sur le terrain sera très utile, il leur faudra une formation juridique. Or le rapport sur les personnels de la justice fait apparaître que la formation actuelle des juristes n'est pas tout à fait adaptée à nos besoins. Certains aspects de la formation tant des magistrats que des avocats ou des commissaires de police doivent être repensés, en insistant peut-être sur la nécessité de connaître les réalités du terrain.
Dans cette optique, je vous suggère, monsieur le garde des sceaux, de passer des accords de partenariat avec les facultés de droit pour mieux préparer, dans le cadre de la formation de cinq ans qui se met partout en place, les étudiants en droit aux fonctions judiciaires comme à celles d'avocat ou de commissaire de police.
On pourrait par exemple proposer des stages ou des enseignements spécifiques qui n'existent pas à l'heure actuelle, généraliser l'apprentissage des sciences humaines, voire la pratique du sport, qui est souvent insuffisante.
Le partenariat pourrait par ailleurs s'étendre à d'autres domaines, notamment la santé et l'éducation nationale.
On insiste souvent sur la faiblesse du nombre de psychiatres et de psychologues exerçant en milieu carcéral. Des formations peuvent certainement être mises en place. Les psychiatres et psychologues spécialement formés à la délinquance juvénile, notamment, font trop souvent défaut, d'où l'idée d'un partenariat avec les services de santé.
De même, pour assurer la scolarité des jeunes placés en centre éducatif fermé et faire face à l'augmentation du nombre de mineurs faisant l'objet de mesures de suivi judiciaire, on peut envisager la conclusion d'accords de partenariat avec l'éducation nationale.
Il y a un trop grand fossé entre l'éducation nationale et la justice. Il faut le combler. Rares sont les professeurs qui sont préparés à la formation des jeunes incarcérés ou soumis à un contrôle judiciaire.
M. Jacques Peyrat. C'est très vrai !
M. Patrice Gélard. Rares sont les enseignants aptes à enseigner dans les écoles relais. Rares sont les enseignants qui comprennent les problèmes de la justice.
Un partenariat avec l'éducation nationale me semble donc s'imposer. J'irai même plus loin : il est sans doute nécessaire de repenser certains programmes de l'éducation nationale, en particulier ceux des lycées et de certaines formations de BTS et de DUT.
La formation en matière d'initiation au droit et à la justice est en effet quasiment inexistante dans tous nos établissements scolaires. La France est l'un des rares pays au monde où le citoyen titulaire du baccalauréat ignore ce que sont un crime, un délit ou une infraction, ne sait pas ce qu'est un juge ou un avocat.
M. Robert Bret. Et un sénateur ?
M. Patrice Gélard. Un sénateur, c'est moins grave ! (Sourires.)
Les programmes des lycées, notamment dans la filière ES, doivent être revus dans ce domaine. Par ailleurs, certains DUT et BTS devraient mieux préparer aux métiers d'auxiliaires de la justice.
J'en viens à une deuxième réflexion que m'inspire l'intervention de M. Badinter sur le code de procédure pénale.
Nous en sommes à la énième réforme en moins de dix ans. J'en ai compté dix-neuf, dont sept dans les cinq dernières années, avec celle d'aujourd'hui, cela fera bien vingt. (Sourires.)
M. Robert Badinter. Oui : vingt réformes !
M. Patrice Gélard. Il est vrai que, sur ce point, nous ne sommes pas les champions toutes catégories !
Que dire de notre code de procédure pénale ? Il est bien évident, monsieur le garde des sceaux, que l'on ne peut pas vous reprocher de ne pas nous proposer aujourd'hui la réforme du code de procédure pénale ! Mais le vrai problème n'est pas là. Le vrai problème, c'est que, progressivement, les métiers de la justice, les médias, les parlementaires ont été séduits par tel ou tel aspect de la procédure pénale anglo-saxonne.
M. Jacques Peyrat. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. La solution qui semble désormais la plus viable consisterait ainsi à abandonner progressivement notre système de procédure pénale au profit d'un système à l'américaine ou à l'anglaise, système rendu populaire par les séries B de la télévision.
On ne nous présente cependant que les aspects positifs de la procédure pénale anglo-saxonne, en oubliant les aspects négatifs. On oublie de dire que notre culture juridique n'est pas celle de la common law . Nos voisins anglo-saxons ont parfois de bonnes initiatives, comme le bracelet électronique, qu'il est bon de leur emprunter, mais je ne suis pas certain que les droits de la défense soient mieux garantis par le système accusatoire !
M. Henri de Richemont. Mais si !
M. Patrice Gélard. Il faudra élaborer un système à la française avec lequel tout le monde se trouvera en harmonie, en y conservant les aspects positifs de notre tradition, en respectant, bien évidemment, les droits de la défense et en faisant en sorte que tous les acteurs de la justice, qu'il s'agisse des policiers, des juges ou des avocats verront leurs droits garantis.
Il s'agit d'une vaste tâche, monsieur le garde des sceaux. Vos prédécesseurs avaient commencé à s'y atteler. Ainsi, je me rappelle que M. Jacques Toubon avait confié à Mme Michèle-Laure Rassat le soin d'élaborer un avant-projet de code de procédure pénale. Il serait peut-être temps de poursuivre ce travail ! Je ne suis pas convaincu qu'il puisse être mené à bien en deux ou trois ans, à moins que nous ne consacrions tous nos efforts à cette seule entreprise. A cet égard, des priorités doivent être respectées : aujourd'hui, la sécurité des citoyens est la première d'entre elles, mais nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour vous pencher demain sur le code de procédure pénale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand j'ai fait mes débuts dans cette assemblée, le Parlement examinait, après déclaration d'urgence, un texte fondamental traitant d'un important problème de société et répondant aux attentes fortes de nos concitoyens : je veux parler de l'inversion du calendrier électoral. (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Excellent !
M. Laurent Béteille. Pendant toute la durée de la législature, le précédent gouvernement nous a abreuvés de déclarations d'urgence, qui ont concerné une dizaine de textes. Certains d'entre eux traitaient de sujets fort complexes, comme la démocratie de proximité, tandis que d'autres n'ont même pas abouti à l'adoption définitive d'une loi.
Mme Nicole Borvo. Vous pouvez faire mieux !
M. Laurent Béteille. Pourtant, s'il est une préoccupation des Français qui exige que l'on agisse en urgence, c'est bien le fonctionnement de la justice. Monsieur le garde des sceaux, la réforme que vous nous proposez est attendue. Elle se caractérise par des mesures adaptées à une situation qui s'est dégradée.
En effet, dire que la situation n'est pas bonne est un euphémisme ! Nous avons déjà eu l'occasion de souligner - et nous l'aurons encore lors de la discussion des textes devant être étudiés au cours de cette session extraordinaire - à quel point la délinquance s'aggrave dans ce pays. Or, qu'a-t-on mis en oeuvre, s'agissant de la justice, au regard de cette aggravation ? Bien peu de choses, malheureusement.
Ainsi, l'effectif des magistrats, de même que celui des fonctionnaires des greffes ou de l'administration pénitentiaire, est resté stable ; il est, en tous cas, tout à fait insuffisant. Sans remonter au Second Empire, force est de constater que le nombre des magistrats n'évolue pas. Devant les problèmes que cela suscite, la seule réponse qui a été apportée, à compter de 1975 si ma mémoire est bonne, a consisté à renoncer à la collégialité pour un certain nombre d'affaires relevant du contentieux civil ou pénal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Laurent Béteille. Cette perte de collégialité n'a d'ailleurs pas toujours été frappée au coin de la logique en ce qui concerne le choix des textes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! Et on continue avec ce texte !
M. Laurent Béteille. De plus, elle n'a pas constitué un progrès pour l'administration de la justice.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Très juste !
M. Laurent Béteille. Cette situation s'est encore aggravée du fait des conséquences prévisibles de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Celle-ci permet certes une avancée importante au regard des droits des justiciables, mais elle pèse lourdement sur l'organisation de l'institution judiciaire.
A l'occasion de l'examen des crédits de la justice par la commission des lois lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, notre éminent collègue Robert Badinter avait regretté que, jusqu'à présent, aucun gouvernement n'ait manifesté la volonté politique forte d'attribuer des moyens proportionnés aux défis que doit affronter la justice. Par ailleurs, il avait qualifié de « névrotiques » les rapports entretenus en France par le pouvoir politique et la justice, en relevant le décalage qui existe entre l'ampleur des missions dévolues à la justice et la faiblesse des moyens effectivement engagés.
La justice est encombrée, elle est paralysée par un manque de moyens. Comment s'étonner, dans ces conditions, qu'une très forte proportion de plaintes soient classées sans suite, que les victimes d'infractions s'estiment méprisées et ignorées par le système judiciaire ?
Je n'insisterai pas sur le fait que la situation est tout aussi inadmissible en ce qui concerne l'exécution des sentences : on a évoqué un taux de non-exécution de 40 %, ce qui se passe de commentaires...
Je ne m'attarderai pas davantage sur la nécessaire réforme du droit de l'exécution et de l'application des peines. Celui-ci est marqué par des incohérences liées aux bricolages successifs effectués depuis de nombreuses années. C'est à juste titre que M. Gélard a mis l'accent, à cette même tribune, voilà un instant, sur le nombre des réformes entreprises : la quantité n'implique pas nécessairement la qualité, non plus que la cohérence des textes entre eux. C'est bien là tout le problème, notamment dans ce domaine ! Une refonte complète du droit de l'exécution des peines est nécessaire et urgente, monsieur le ministre.
Faut-il également décrire une nouvelle fois la situation des prisons ? Nos commissions d'enquête ont suffisamment mis en évidence les dysfonctionnements et le malaise de l'institution, ainsi que l'état de délabrement du patrimoine !
J'achèverai ce tour d'horizon en évoquant la situation de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. La Cour des comptes en traite dans son dernier rapport, et les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, présidée par M. Schosteck, dépeignent de façon lumineuse les difficultés auxquelles est confrontée cette administration.
A cet égard, je voudrais exposer le cas, cité dans le rapport de la Cour des comptes, d'un centre d'éducation renforcée situé dans l'Essonne, département qui m'est cher ! Cet établissement est supposé accueillir huit mineurs délinquants, mais un seul était présent lors de la visite du magistrat de la Cour des comptes. Parmi les absents, l'un n'était resté que quelques heures dans les murs du centre, un autre manquait à l'appel depuis plus de quinze jours, sans que personne s'en soit inquiété... Comment peut-on se satisfaire de cette situation ?
MM. Jean-Claude Carle et Henri de Raincourt. Très bien !
M. Laurent Béteille. Il est facile de prétendre que la prison est l'école du crime, mais prenons garde aujourd'hui que la rue ne devienne, demain, une école encore plus efficace, pour un nombre d'élèves infiniment supérieur !
Ce sont là quelques aspects de la situation que vous aurez trouvée, monsieur le garde des sceaux, à votre arrivée au gouvernement. Peut-on, dans ces conditions, prétendre qu'il n'y a pas matière à réforme, qu'il n'y a pas urgence et que le Gouvernement doit rester l'arme au pied et admirer l'oeuvre de ses prédécesseurs, comme nous y invitent certains orateurs de l'opposition ?
Au contraire, vous avez choisi l'action, comme vous y incitaient le Président de la République et le Premier ministre et comme l'exigeait l'urgence de la situation.
Le premier volet de votre texte prévoit la programmation et la mise en place de moyens financiers et humains sans précédents. Ils étaient attendus et ils sont absolument nécessaires : je n'y insisterai pas davantage, mais chacun a compris qu'il s'agit d'un effort tout à fait remarquable, qui mérite d'être souligné.
J'évoquerai brièvement les droits des victimes, car une nouveauté se fait jour. Vous avez enfin pris de véritables mesures dans ce domaine, monsieur le ministre, où il y a énormément à faire.
En effet, les victimes d'infractions n'ont jamais été l'objet de la sollicitude à laquelle elles avaient pourtant droit. Alors que l'auteur de l'infraction bénéficie, avant même le début de la procédure et sa comparution devant le juge, de l'assistance d'un avocat, sa victime, après avoir patienté dans le hall du commissariat, parfois à côté de son agresseur, se retrouve, après son audition, abandonnée à son désespoir. Cela est si vrai que des associations de victimes ont dû se constituer afin de combler un vide incompréhensible. Or c'est un changement complet de culture que vous nous proposez : la victime a toujours été, jusqu'à présent, tenue pour quantité négligeable dans le procès pénal et il convient de lui rendre toute sa place, y compris dans les procédures concernant les mineurs.
Ces derniers se sont trouvés placés au centre d'une polémique. Dès que l'on aborde la question de la justice des mineurs et de la réforme de l'ordonnance de 1945, les passions se déchaînent et l'invective remplace la réflexion. Au fond, peu importe ce que vous proposez : toucher à l'ordonnance de 1945 est, par avance, insupportable pour certains. Or, cela a été souligné, ce texte ne revient sur aucun principe. S'il n'y est que rarement question de prévention, c'est tout simplement parce que les textes en vigueur ne sont pas du tout, sur ce point, remis en cause.
Mme Nicole Borvo. Ah !
M. Laurent Béteille. Vous proposez, monsieur le ministre, un certain nombre de mesures techniques destinées, en réalité, à rendre ce texte plus efficace et plus réaliste.
Ainsi, la possibilité de placer un mineur de treize ans sous contrôle judiciaire existe déjà.
En revanche, il n'existe, à ce jour, aucune possibilité de sanctionner, d'une façon ou d'une autre, le non-respect de ce contrôle et des obligations qui y sont liées. Par conséquent, à quoi sert ce contrôle ? Quel sens peut-il avoir pour le mineur ? On a beaucoup parlé avant moi d'éducation, mais quelle est la valeur éducative du contrôle judiciaire lorsque le mineur échappe à toute contrainte ? Enfin, comment un mineur peut-il ressentir une sanction qui intervient parfois deux ans après la commission des faits ? Je n'indique pas ce délai au hasard : nous l'avons plusieurs fois constaté.
M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !
M. Laurent Béteille. S'agissant de la procédure pénale, je voudrais évoquer le problème soulevé par le référé-détention. Cette mesure est indispensable, malheureusement dirai-je. Des événements graves l'ont déjà démontré.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Béteille. J'en arrive à ma conclusion, monsieur le président.
Il convient de faire une exception très limitée dans le temps au principe selon lequel la détention ne peut résulter que d'une décision du juge du siège. La commission des lois du Sénat a bien fait de réduire au plus juste un délai que votre texte, monsieur le ministre, avait déjà prévu très bref.
Monsieur le ministre, un candidat à l'élection présidentielle avait reconnu sa naïveté au regard du problème de la montée de la délinquance. Selon lui, le recul du chômage aurait dû se traduire par une baisse de la délinquance ; c'est le contraire qui s'est produit. Cet exemple montre les limites des beaux raisonnements sur les causes de la délinquance. En réalité, si la prévention est indispensable, si la lutte contre les situations sociales douloureuses est nécessaire, si nous sommes disposés et décidés à vous aider sur ce point, la société a également le droit de se défendre. C'est l'objectif que vous cherchez à atteindre. Nous serons à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, s'il est vrai, comme le disait Voltaire, que « le secret d'ennuyer est celui de tout dire », alors je serai très bref pour me féliciter de ce que vous nous présentiez ce texte, qui est conforme aux engagements du Président de la République et du Premier ministre.
Je suis heureux que vous nous donniez enfin les moyens budgétaires que nous attendions pour mettre en application la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, que nous sommes nombreux ici à considérer comme une bonne loi et qui avait d'ailleurs été adoptée quasiment à l'unanimité, mais sans que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre soient prévus.
Je souhaiterais mettre brièvement l'accent sur deux thèmes.
S'agissant tout d'abord du juge de proximité, je voudrais rendre hommage à la qualité du rapport de mes collègues Jean-Pierre Schosteck et Pierre Fauchon. Lorsque nous avions débattu dans cette enceinte de la loi relative à la sécurité quotidienne, j'avais préconisé la mise en place de juges de paix. Je me souviens également que, lors des entretiens de Saintes, j'avais abordé cette question, me heurtant alors au scepticisme général des avocats et des magistrats. Je me réjouis que l'ordre des avocats soit maintenant d'accord avec cette proposition, et je suis persuadé que les magistrats vous suivront à l'avenir, monsieur le ministre. J'espère que la presse, contrairement à mon journal local, Le Populaire du Centre, ne parlera pas demain de « 3 300 petits juges » et de « magistrats amateurs ».
Monsieur le garde des sceaux, il n'y a pas de petites affaires ou de petits délits, il n'y a pas de petits juges, et il n'est pas nécessaire d'être un magistrat ou un juge professionnel pour être un bon juge. Nous savons tous que les plus grosses affaires contentieuses sont arbitrées par des juges non professionnels. Je ne vois pas pour quelle raison il n'en irait pas ainsi des affaires qui préoccupent nos concitoyens et que nous, maires de petites communes rurales situées dans les zones défavorisées, traitons souvent parce qu'ils font appel à nous. Demain, le juge sera l'arbitre.
En ce qui concerne l'article 7, je dirai quelques mots sur un sujet qui nous a beaucoup occupés en commission : lorsque le magistrat, le juge de proximité, se considère comme incompétent, monsieur le garde des sceaux, vous préconisez qu'il se dessaisisse au profit du tribunal ou du juge d'instance. Nous considérons qu'il ne s'agit pas forcément d'une bonne formule et qu'il pourra en résulter un allongement des débats.
Pour ma part, j'avais préconisé une formule qui me semblait souple : le magistrat sursoit à statuer, il pose une question au juge d'instance et il est lié par la réponse de ce dernier. Mais M. Fauchon m'a dit que ma proposition était conceptuellement séduisante mais techniquement irréaliste. Comme il m'a demandé de m'en remettre à son expérience compte tenu de ma jeunesse (Sourires) , je ferai en sorte de ne rien proposer qui puisse entraver l'application de ce texte, que nous souhaitons prochaine.
M. Jean-Claude Carle. Quelle élégance !
M. Henri de Richemont. Le second thème que je veux évoquer - brièvement, et j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, monsieur le garde des sceaux -,...
Un sénateur du RPR. Il y est sensible !
M. Henri de Richemont. ... c'est le référé-détention. Je salue l'équilibre de votre texte s'agissant des mineurs et des victimes. Toutefois, tolérance zéro, plus de sécurité, cela ne signifie pas moins de présomption d'innocence !
C'est la raison pour laquelle, lorsque vous présentez le référé-détention comme un équilibre entre la défense et le parquet, je ne peux vous suivre. Quand un juge d'instruction ou un juge des libertés prend la décision de mettre en liberté un individu qu'il avait placé auparavant en détention, il le fait après avoir écouté la défense et l'accusation, c'est-à-dire à la suite d'un débat contradictoire. Aussi, il ne me semble pas normal de prétendre que l'appel du parquet rétablirait l'équilibre.
MM. Gérard Delfau et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Henri de Richemont. Mais, si vous considérez qu'il faut le faire, je ne pense pas que le référé soit la bonne formule. Afin d'éviter l'opprobre de la presse ou de voir sa responsabilité mise en cause, le premier président de la cour d'appel ou son délégué n'aura-t-il pas tendance à suivre l'avis du parquet ? Un délai de vingt jours s'écoulera avant l'audience de la chambre d'accusation. Ne serait-il pas préférable, si vous estimez qu'il faut maintenir cet appel, de le rendre possible dans les trois jours devant la chambre d'accusation ?
On m'objectera qu'il n'est pas possible de réunir trois magistrats dans un délai de trois jours. J'ai la grande joie d'exercer en matière de droit maritime. Lorsque je ne peux obtenir la mainlevée de la saisie d'un navire devant le tribunal de commerce, je présente une requête à M. le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle la saisie a eu lieu. Je fais état du préjudice d'exploitation considérable que cette saisie représente pour demander un appel à jour fixe. Dans tous les cas, la cour d'appel trouve une juridiction et trois juges pour statuer. Ce qui est possible pour éviter les pertes d'exploitation des armateurs devrait être possible pour éviter le maintien en détention !
C'est la raison pour laquelle, si vous estimez que l'appel est nécessaire, il doit intervenir directement devant la chambre d'accusation, dans un délai de trois jours. Au cas où vous ne voudriez pas me suivre, je souhaiterais que la mesure soit limitée aux questions criminelles.
Je conclus. Comme mon collègue M. Patrice Gélard, je considère que nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réforme du code de procédure pénale. Mais nous savons que, grâce à vous, monsieur le garde des sceaux, ce sera une bonne réforme. Pour reprendre le conseil de saint Augustin, « Ne dites pas : les temps sont bons, les temps sont mauvais. Soyez bons, et les temps seront bons. » (Applaudissements sur les travées du RPR des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je voudrais d'abord remercier très sincèrement les rapporteurs MM. Schosteck et Fauchon, au nom de la commission des lois, ainsi que M. Haenel, rapporteur pour avis de la commission des finances, du travail qu'ils ont accompli.
Je vais m'efforcer de répondre à chaque orateur pour que le débat puisse effectivement se nourrir de nos échanges et pour que, lors de la discussion des articles, nous puissions améliorer, si vous en décidez ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous propose.
S'agissant du juge de proximité, sujet longuement évoqué par la quasi-totalité des orateurs et qui représente aujourd'hui, semble-t-il, un objectif auquel se rallient même ceux qui, voilà encore peu de jours, considéraient que c'était une erreur d'aller dans ce sens, je voudrais revenir sur un certain nombre d'observations, et d'abord sur celles que M. Fauchon a formulées ce matin.
Nous devons en effet partir de ce constat de l'inadaptation de notre justice à répondre aux préoccupations des justiciables. Je partage votre analyse sur ce point, monsieur le rapporteur.
Le rapport que vous avez rédigé avec M. Jolibois dénonce, à juste titre, l'absence de réelle réponse judiciaire au contentieux de masse. Les conclusions des entretiens de Vendôme ont été décevantes à cet égard. Monsieur Fauchon, nous partageons la volonté d'agir, et d'agir vite.
Merci pour votre adhésion au principe du juge de proximité et pour votre enthousiasme, terme que vous avez vous-même employé.
Je suis d'accord avec vous sur le faux procès engagé contre l'absence de professionnalisme du juge de proximité. Je ne pense pas que nous puissions, de façon pertinente, continuer ce type de procès. Je le dis, bien sûr, à ceux qui s'expriment ainsi et qui distinguent les bons juges et les petits juges, ceux qui ont fait sept ans d'études et ceux qui n'en auraient fait que quatre, ceux qui auraient un certain type d'expérience et ceux qui en auraient d'autres. La société française mérite mieux que ce type de débat.
Si nous n'avons pas compris que la société française a précisément besoin d'ouverture, de capacité d'échanges et de l'expérience des uns et des autres pour faire évoluer ses institutions et ses comportements, nous n'avons pas compris grand-chose.
En tant que garde des sceaux, ministre de la justice, je suis convaincu que nous avons besoin des uns et des autres. Nous avons besoin non seulement de technicité et de professionnalisme, mais aussi de l'expérience humaine la plus diversifiée possible, en veillant, bien entendu, à ce que chacun, dans son rôle, puisse apporter le meilleur à l'ensemble de la collectivité.
Sur le plan technique, monsieur Fauchon, vous avez indiqué que vous auriez préféré un juge moins isolé que la formule proposée par le Gouvernement à travers mon projet de loi. Cela étant, nous aurons l'occasion de tester ce dispositif, et je le ferai avec détermination.
Vous avez souhaité la mise en place de moyens et une vraie volonté politique pour réussir. Si l'évolution constitutionnelle nous permet d'aller plus loin dans l'expérimentation, peut-être pourrons-nous, dans ce domaine, tenter effectivement une expérimentation différente autour de la justice d'instance afin d'améliorer dans la durée, si besoin est, le dispositif proposé aujourd'hui. Tel est d'ailleurs l'esprit des observations qui ont été faites ce matin par M. Haenel. Je partage son analyse sur l'intérêt de trouver une formule d'expérimentation.
M. Badinter a évoqué de nombreux sujets. Je vais m'efforcer de lui répondre le plus complètement possible.
Tout d'abord, j'évoquerai la concertation. Elle est toujours insuffisante aux yeux de ceux qui considèrent que l'on ne va pas dans la direction qu'ils auraient souhaitée ! Je dirai simplement, monsieur Badinter - et vous avez une longue expérience en la matière ! - que j'ai reçu, depuis mon installation Place Vendôme, soixante délégations, dont trente syndicats. Mon cabinet a reçu un peu plus de personnes que je ne l'ai fait moi-même. Je n'ai bien sûr pas entendu tout le monde, mais j'ai écouté et dialogué, j'ai essayé de tenir compte de ce qui m'était indiqué, en particulier par les représentants des différentes professions qui exercent sous l'autorité du ministère de la justice. D'ailleurs, un observateur éclairé a pu reconnaître, dans le texte lui-même, un certain nombre de choses qui m'avaient été suggérées par les uns ou les autres.
S'agissant du juge de proximité - j'ai commencé à en parler - vous avez exprimé un doute sur la constitutionnalité de la justice de proximité pénale. Ces doutes peuvent être facilement levés, en particulier à travers le statut que nous donnerons aux juges de proximité dans le projet de loi organique qui vous sera soumis à l'automne. Il s'agira - je tiens à rassurer le Sénat sur ce point - de magistrats statutaires, avec tout ce que cela signifie. Par ailleurs, je voudrais rappeler, avec modestie, qu'il existe des assesseurs non professionnels qui participent aux jugements en matière pénale. Outre le jury, je pense aux assesseurs des tribunaux pour enfants.
Vous avez rappelé l'importance de la conciliation ; je l'ai fait également ce matin. Les conciliateurs ont un rôle très important. Notre propos est non pas de contester ce travail, mais d'aller plus loin et de créer un juge à part entière.
Vous avez évoqué, en la critiquant, la possibilité de renvoi au juge en cas de difficultés sérieuses, et M. de Richemont l'a fait également voilà un instant. Je rappellerai simplement que cela existe déjà, en particulier pour les juges de l'exécution ou pour les juges aux affaires familiales, qui renvoient à une formation collégiale.
Vous avez évoqué la prison - j'y reviendrai sans doute en conclusion - comme élément de récidive. Je voudrais tout de même rappeler que le projet de loi que je vous propose introduit enfin des éducateurs en détention, en particulier pour les mineurs. Nous créons des prisons avec un contenu éducatif. M. Pierre Bédier aura sans doute, tout au long du débat, l'occasion de préciser ces points, puisqu'il m'apporte son concours dans ce projet de construction et de mise en place de réponses mieux adaptées, en particulier à la situation des mineurs.
Dans l'un de vos ouvrages, monsieur Badinter, vous avez employé la notion de « prison républicaine ». Le Gouvernement auquel j'appartiens veut mettre en place ce type de structure.
S'agissant des jeunes âgés de dix à treize ans, nous proposons non pas des sanctions pénales, mais des sanctions éducatives. Après tant d'années d'une politique visant au tout préventif, n'est-il pas, à l'évidence, nécessaire d'introduire la sanction comme élément de l'éducation ? Il s'agirait selon vous, monsieur Badinter, d'un retour au passé. Mais le passé, ce sont les quartiers pour mineurs qui existent aujourd'hui ! Ce sont les prisons que j'ai trouvées à mon arrivée au ministère ! Ce n'est pas le projet de loi que je défends qui a construit ces prisons à la Dickens ou qui les a laissées se développer ! Si nous créons des centres où un métier, un savoir-vivre et un savoir-faire seront appris aux jeunes, c'est justement pour répondre à cette situation.
Monsieur Carle, vous avez eu raison de souligner que ce projet de loi ne contient pas uniquement des dispositions répressives - c'est une évidence -, étant entendu que la délinquance des mineurs n'est pas un fantasme, comme le prouve d'ailleurs ce qui s'est passé il y a quelques heures encore.
S'agissant de la santé physique et mentale des mineurs, nous devons globalement, et bien au-delà de la justice, faire un effort plus important, notamment à l'école, par le biais de la médecine de prévention. En effet, il est indispensable d'améliorer le suivi sanitaire des plus jeunes de nos concitoyens.
En outre, vous avez suggéré, monsieur Carle, de procéder à un recrutement plus diversifié des éducateurs.
M. Jean-Claude Carle. Absolument !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. La loi le permet. Toutefois, les créations de postes qui sont envisagées dans le projet de loi tant pour les éducateurs que pour les personnels de l'administration pénitentiaire vont poser quelques difficultés en termes de capacités de recrutement et de formation.
Nous allons mettre en oeuvre les moyens indispensables pour assurer cette formation, mais il va nous falloir rechercher les candidatures. Je suis sincèrement convaincu - j'ai d'ailleurs déjà commencé à en discuter avec les organisations syndicales - que nous allons rencontrer des difficultés pour trouver suffisamment de candidats susceptibles d'occuper les postes dont nous avons parlé ce matin. En effet, ces créations de postes vont s'ajouter aux départs à la retraite massifs que vont connaître les services de la justice à partir de 2004 et de 2005. Il va donc nous falloir faire passer dans l'opinion des images positives - ce sera un vrai travail - pour convaincre des jeunes de choisir les professions de la justice, en particulier l'éducation.
J'observe d'ailleurs que, dans le domaine éducatif, un problème de pyramide des âges se pose : en effet, nombre de jeunes éducateurs ne sont parfois guère plus âgés que les délinquants qu'ils sont chargés d'encadrer, d'où les énormes difficultés qu'ils éprouvent dans l'exercice de leur tâche. Lorsqu'ils ont la chance d'être encadrés, au sein de la structure dans laquelle ils travaillent, par des responsables ayant une vraie maturité, une grande expérience, les choses se passent bien ; mais parfois, tel n'est pas le cas, faute, justement, d'encadrement, d'où la nécessité de parvenir à une pyramide des âges plus équilibrée qu'elle ne l'est aujourd'hui : il est donc impératif de recruter en cours de carrière des personnes ayant déjà une certaine expérience de la vie et un certain acquis professionnel.
Monsieur Carle, la fermeture juridique des centres éducatifs fermés me semble pertinente.
Vous avez également évoqué le problème particulier - M. Pierre Bédier pourra vous en dire davantage si vous le souhaitez - de la prison de Lyon.
Je dirai deux choses sur ce point.
Tout d'abord, le quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Lyon fonctionne dans des conditions inacceptables : nous allons donc tout faire pour le transférer le plus vite possible - c'est une question de mois - vers le quartier Saint-Joseph.
Par ailleurs, nous envisageons de créer un quartier réservé aux mineurs à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône pour soulager l'établissement de Lyon, où, je le répète, la situation est inacceptable.
M. Cointat a estimé intéressante l'expérimentation en matière juridictionnelle. Cette expérimentation demandera sans doute une ouverture constitutionnelle. Si, dans l'état actuel des choses, elle me paraît difficile à mettre en place, les projets de réforme constitutionnelle actuellement en préparation nous en offriront peut-être la possibilité.
M. Zocchetto a souhaité que nous réussissions à instaurer une justice de proximité. Nous allons tout faire à cette fin. Au sein de la Chancellerie, une structure des services judiciaires aura pour mission de suivre de bout en bout la mise en place de cette justice de proximité, mise en place qui nécessitera non seulement une volonté politique forte et continue, mais aussi une équipe opérationnelle : conjonction de moyens matériels, immobiliers, secrétariat, greffe, personnels, juges de proximité, etc.
En matière pénitentiaire, vous souhaitez que la priorité soit accordée aux centres de détention pour mineurs. Vous avez bien compris que tel était aussi notre propos.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous propose au nom du Gouvernement n'épuise bien évidemment pas le sujet de l'administration pénitentiaire. Il n'a pas du tout cette prétention, comme je l'ai d'ailleurs dit très clairement aux organisations syndicales et à l'ensemble des partenaires de justice concernés.
Le précédent gouvernement a préparé un projet de loi sur l'administration pénitentiaire. La question qui se pose à moi aujourd'hui est de savoir si nous prenons ce texte pour point de départ ou si nous entamons une démarche totalement différente. Ma décision n'est pas prise, et je n'ai pas eu l'occasion d'en parler au Premier ministre. Mais j'ai la conviction que nous devons prendre une initiative pour aller dans le sens souhaité par l'ensemble des partenaires.
M. Loridant a évoqué l'énorme travail réalisé aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, et la très large concertation des différents partenaires de l'administration pénitentiaire à laquelle il a été procédé. Il ne faut pas laisser ce travail dans l'oubli, mais, au contraire, se remettre rapidement à l'ouvrage et proposer au Parlement un certain nombre d'orientations, dont je ne peux encore vous préciser la forme qu'elles prendront. J'ai bien conscience que nous devrons prendre une initiative dans ce domaine.
Madame Borvo, j'espère que vous avez bien compris, après une lecture attentive de ce projet de loi, que les centres éducatifs fermés n'ont rien à voir avec les maisons de corrections d'antan. Sans revenir trop longtemps sur ce point, je répète qu'il s'agit de centres vraiment éducatifs, de petites dimensions, où les éducateurs seront les seuls intervenants. Je ne vois donc pas très bien comment on peut encore comparer ce projet avec ce qui a pu exister voilà plus de cinquante ans !
Vous avez également dit, madame Borvo, que ce projet de loi portait atteinte à l'architecture de la justice des mineurs. Je crois au contraire qu'il repose sur les juridictions des mineurs, à travers le placement dans les centres fermés, la révocation éventuelle, les sanctions éducatives, toutes décisions qui pourront être prises par les juridictions des mineurs si ces dernières l'estiment utile. Nous voulons donner des moyens matériels et juridiques aux juges.
Il leur appartiendra ensuite de faire leur travail et de décider s'ils utilisent ou non ces nouveaux moyens mis à leur disposition.
Monsieur Balarello, je suis très heureux du soutien que vous avez bien voulu m'apporter : nous serons attentifs à vos remarques sur les conditions de la mise en place concrète du juge de proximité.
Monsieur Fourcade, vous avez évoqué trois points très précis.
Tout d'abord, M. Nicolas Sarkozy et moi-même avons signé le mois dernier un décret et une circulaire sur le dispositif local de sécurité, d'une part, et sur le dispositif départemental de sécurité, d'autre part. Ceux-ci prévoient une collaboration entre élus, magistrats, fonctionnaires, responsables d'associations, pour apporter des réponses concrètes et cette information partagée absolument indispensable.
Par ailleurs, vous revendiquez avec raison, pour les maires, une information sur la délinquance et sur le traitement pénal de la délinquance. Sachez que je serai personnellement très attentif - je suis d'ailleurs à votre disposition pour en parler - à ce que cesse cette espèce de culture du secret sur des informations concernant à l'évidence le maire. C'est en effet vers ce dernier que nos concitoyens se tournent lorsqu'ils se sentent en insécurité ou qu'ils la subissent. Il est donc bien normal que les services de l'Etat apportent au maire les informations indispensables sur les conditions de l'ordre public.
S'agissant enfin de la récidive des mineurs, je souhaite faire en sorte que la justice intervienne suffisamment fermement dès la tranche d'âges dix-treize ans. Les jugements doivent intervenir rapidement après la commission des faits. Tous les élus locaux savent bien, en effet, que le long délai séparant la commission des faits de l'éventuelle sanction est vécue par le jeune, par ses proches, par ses voisins et par tous les observateurs comme une absence de sanction. Il y a donc là une nécessité évidente à cet égard.
M. Peyrat a évoqué un certain nombre de sujets et m'a encouragé, ce dont je le remercie. Comme il l'imagine, je serai bien entendu attentif aux projets concernant Nice, notamment s'agissant de la prison.
Je tiens à remercier M. Hérisson de son soutien.
S'agissant du renforcement de la sécurité des personnels pénitentiaires, il faut cesser de se poser une multitude de questions en apparence techniques et répondre à l'attente des personnels pénitentiaires qui ne supportent plus de voir leur sécurité mise en cause à la suite de l'introduction, par de multiples moyens, de téléphones portables dans les prisons. Il y a là une exigence que nous devons satisfaire sans nous poser de questions complexes sur le fonctionnement des réseaux téléphoniques.
Monsieur Loridant, vous avez évoqué le fonctionnement de nos prisons, sujet que vous connaissez très bien pour l'avoir beaucoup étudié. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je n'ai pas la prétention de tout régler par ce texte. Le nombre de 11 000 places ne vous paraît pas suffisant. En soutenant ce point de vue, vous m'apportez en quelque sorte un réconfort puisque j'ai lu dans de nombreux comptes rendus de presse que, avec 11 000 places, je suis un frénétique du « tout carcéral » !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a pire que vous !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'ai effectivement trouvé pire que moi, monsieur Dreyfus-Schmidt ! Nous allons donc pouvoir fonder un club des « carcéraux », monsieur Loridant !
Je ne sais pas si les 11 000 places prévues seront ou non suffisantes. Mais commençons déjà par cela ! Il faut mener à bien ce programme, et Pierre Bédier et moi-même ferons tout pour y parvenir, vous le savez bien : il faut une capacité technique, il faut trouver des terrains, ce qui n'est pas si simple, et j'ai conscience que l'objectif est ambitieux.
Sur le travail en prison et, plus généralement, sur les conditions de vie en prison, sur la réinsertion et l'action éducative, vous avez fait un certain nombre de propositions dont nous reparlerons certainement au cours de l'examen de ce texte.
Je n'ai pas la prétention, à travers ce texte, je le répète, de répondre à l'ensemble des problèmes des prisons. Nous aurons l'occasion d'en reparler ultérieurement.
M. Plasait a évoqué la nécessité de mettre en oeuvre une vraie politique pénale. Je partage complètement votre point de vue, monsieur le sénateur : c'est en effet indispensable.
C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai bien l'intention d'exercer les responsabilités que me donne l'article 36 du code de procédure pénale. C'est aussi dans cet esprit que nous devrons être extrêmement attentifs, dans la mise en oeuvre de ces politiques pénales, à leur suivi.
Monsieur Delfau, en matière de prévention, nous créons 25 % de postes supplémentaires d'éducateurs. Nous voulons en particulier que, dans les centres éducatifs fermés et dans les centres de détention pour mineurs, il y ait enfin une action éducative. Nous voulons, comme cela nous a été suggéré par Patrice Gélard, travailler mieux et plus avec l'éducation nationale. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises avec Luc Ferry et Xavier Darcos.
S'agissant des centres éducatifs fermés, notre projet commun est que, dans chaque centre éducatif fermé, un enseignant de l'éducation nationale assure soit lui-même, soit avec des collègues de l'éducation nationale l'ensemble du travail de formation qui doit se poursuivre dans ces centres, voire y commencer. En effet, il faut donner l'occasion à ces mineurs de retrouver la possibilité d'entrer dans un cycle de formation digne de ce nom.
Nous avons également l'intention de développer au maximum les classes-relais, qui sont plutôt une réussite. MM. Ferry et Darcos auront sans doute l'occasion de vous en parler.
M. Béteille a évoqué un certain nombre de sujets. Je pense comme lui qu'il est urgent d'agir, comme le prouve bien ce qui se passe tous les jours.
Monsieur de Richemont, vous devriez avoir une plus grande confiance en l'indépendance d'esprit des magistrats ! Vous avez évoqué le risque que le magistrat du siège suive systématiquement le point de vue du parquet. Peut-être cette crainte est-elle nourrie par une expérience d'avocat que je n'ai pas, certes, mais elle m'a un peu étonné.
Le référé-détention permettra d'introduire la possibilité de porter un second regard sur la réalité. La commission des lois a souhaité modifier le projet de loi sur ce point. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
A l'heure où notre pays s'inquiète de la montée de la délinquance juvénile et au lendemain d'évenements dramatiques qui impliquent de jeunes mineurs, je ne saurais conclure cette intervention sans répondre à quelques-unes des observations que j'entends depuis quelques jours.
Il est étonnant de constater combien ce projet de loi a pu donner lieu à l'émission de contrevérités, y compris de la part de personnes qui sont, je pense, parfaitement informées.
Premier mensonge : le projet du Gouvernement serait « tout répressif ».
Cette affirmation me paraît absolument stupéfiante. Comme je l'ai déjà dit, ce projet se veut d'abord éducatif. En effet, le Gouvernement prévoit une augmentation de 25 % du nombre des éducateurs de la PJJ. Par ailleurs, un effort massif est fait en direction des éducateurs du secteur associatif. Enfin, les mineurs incarcérés feront l'objet d'un suivi éducatif très dense.
Quelle est, selon un rapport de l'inspection des services judiciaires, la situation actuelle avant le vote éventuel du projet de loi ? « La présence et l'action tant de conseillers d'insertion et de probation que d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse auprès des mineurs détenus sont structurellement insuffisantes. Elles ne permettent que des contacts épisodiques avec chaque mineur alors qu'il serait nécessaire d'utiliser le temps de poursuivre une véritable démarche éducative. Dès lors, le placement en détention nuit nécessairement à la continuité éducative en amont et en aval. »
Deuxième mensonge : le projet du Gouvernement va accroître la récidive parce que les structures fermées sont génératrices de récidive.
Cette appréciation méconnaît le caractère incroyablement dégradé de la situation actuelle. L'absence de réponses adaptées pour les mineurs multirécidivistes conduit aujourd'hui les juges des enfants à les placer, notamment, dans les centre de placement immédiat, qui, je le rappelle, avaient été conçus pour donner une réponse aux jeunes primo-délinquants, dont M. Fourcade a parlé tout à l'heure. Ces derniers ne trouvent donc pas la solution adaptée à leur cas. Telle est la situation aujourd'hui. Un rapport de l'inspection générale des services judiciaires révèle que, dans leur immense majorité, les mineurs actuellement incarcérés ont connu, avant d'arriver en prison, une multitude d'arrestations et de passages devant la justice. En effet, 90 % de ces mineurs incarcérés avaient déjà été arrêtés avant les faits ayant entraîné leur incarcération, 60 % d'entre eux avaient fait l'objet de cinq interpellations, 31 % de plus de dix. Lors de leur première interpellation, ces jeunes incarcérés aujourd'hui avaient en moyenne treize ans, 77 % avaient déjà comparu devant un tribunal pour enfants, et, parmi eux, 40 % au moins cinq fois.
En d'autres termes, le système actuellement en vigueur conduit ces jeunes à traverser de multiples étapes purement éducatives, sans sanction, pour les voir aboutir finalement bien avant leurs dix-huit ans en prison, où ils sont aujourd'hui près de 1 000, dans des conditions que ce rapport juge absolument inacceptables.
Troisième mensonge : Mme Lebranchu, garde des sceaux du dernier gouvernement socialiste, affirme que mon projet de loi est « terrible » et annonce aujourd'hui dans la presse : « On va retirer du circuit 4 000 jeunes et après on n'en parlera plus. »
Je ne sais pas d'où vient ce chiffre de 4 000 alors que mon plan vise à sortir des prisons la majorité du millier de mineurs que j'y ai trouvés en prenant mes fonctions, grâce à la mise en place des établissements pénitentiaires spécialisés et des centres éducatifs fermés, qui accueilleront environ 1 000 jeunes.
Par ailleurs, il s'agit de développer des réponses éducatives plus traditionnelles, notamment en milieu ouvert. Il faut constater en réalité qu'au 1er mai de cette année, alors que Mme Lebranchu était ministre de la justice, 932 mineurs étaient détenus dans des conditions dont je vais donner quelques exemples : 122 mineurs étaient incarcérés à la prison de Fleury-Mérogis, où l'organisation en unité de vie est conçue pour une population maximale de 75 mineurs ; 23 mineurs étaient incarcérés à Lyon alors que le quartier des mineurs n'y compte que 14 cellules individuelles. Je demande donc à ceux qui s'expriment, surtout quand ils sont censés connaître la réalité, de faire peuve d'un peu de décence ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Quatrième mensonge : on m'accuse de vouloir mettre en prison des mineurs de treize à seize ans alors que ce serait aujourd'hui impossible. En réalité, vous le savez très bien, c'est parfaitement possible !
Chaque année, des centaines de décisions d'incarcération sont prononcées à l'encontre de jeunes âgés de treize à seize ans. En effet, l'ordonnance de 1945 permet, depuis toujours, de prononcer des peines de prison à l'encontre de ces jeunes. Elle permet également de les placer en détention provisoire lorsqu'ils sont accusé de crimes. Actuellement, une centaine de jeunes âgés de treize à seize ans sont en détention provisoire à ce titre. S'agit-il vraiment de criminels ? Il faut aussi évoquer ce point ! En réalité, bien souvent, on procède à une qualification criminelle un peu artificielle, précisément pour pouvoir les incarcérer. Lors de leur jugement, on en revient à une qualification correctionnelle. On est donc dans une véritable hypocrisie dont le projet de loi permettra enfin de sortir en pleine transparence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du RDSE.)
Un groupe de travail mis en place par la direction de l'administration pénitentiaire et par la direction de la PJJ a d'ailleurs mis en lumière « l'existence d'une détention provisoire qui est tournée non pas vers les nécessités de l'enquête - voyez l'euphémisme et le langage administratif ! - , mais vers ce que l'on pourrait appeler l'incarcération à but éducatif ou l'incarcération d'affirmation d'autorité ». Voilà ce qui est écrit dans un rapport très officiel.
En toute transparence, le projet de loi prévoit que, lorsque l'on a un but éducatif, il vaut mieux être placé dans un centre éducatif qu'en prison.
Dévoiler ces contrevérités est certes intéressant, mais ce n'est peut-être pas le plus important. La véritable question est la suivante : pourquoi une telle accumulation de contrevérités est-elle apparue en si peu de jours ? Je n'ai pas la réponse, mais je me demande si, face à l'évidente faillite du dispositif de lutte contre la délinquance des mineurs, ceux qui l'ont défendu, qui l'ont façonné et qui y ont participé ne sont pas en train de « paniquer ».
En ce qui me concerne, je reste serein. L'essentiel du dispositif en place doit être conservé et renforcé. L'échec, en ce qui concerne l'institution judiciaire - car je n'aurais garde de croire que la justice est le seul élément de réponse - provient de trois faiblesses.

(M. le Premier ministre fait son entrée dans l'hémicycle.)
M. le président. Je salue la présence de M. le Premier ministre, présence qui montre l'intérêt qu'il porte à nos travaux. (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. J'allais conclure, monsieur le Premier ministre.
Je disais que l'institution judiciaire pâtissait de trois faiblesses : des moyens globalement insuffisants une grave insuffisance des capacités de pilotage stratégique de la protection judiciaire de la jeunesse, enfin, l'absence de certains éléments de réponse judiciaire nécessaires dans certains cas et consistant à apporter une réponse contraignante tout en restant profondément éducative.
Ce sont précisément ces faiblesses que le projet s'emploie à réparer. Personnellement, j'ai confiance : les Français le comprennent malgré les cris de panique que certains poussent ici ou là. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité