SEANCE DU 26 JUILLET 2002


M. le président. « Art. 24. - I. - Au premier alinéa de l'article 80-2 du code de procédure pénale, les mots : "un mois" sont remplacés par les mots : "deux mois".
« II. - L'article 82-2 du même code est abrogé et au septième alinéa de l'article 116 du même code, la référence à cet article est supprimée.
« III. - L'article 86 du même code est complété par l'alinéa suivant :
« Lorsque le juge d'instruction rend une ordonnance de refus d'informer, il peut faire application des dispositions des articles 177-2 et 177-3. »
« IV. - Il est inséré, après l'article 177-2 du même code, un article 177-3 ainsi rédigé :
« Art. 177-3 . - Lorsque la partie civile est une personne morale, l'amende civile prévue par l'article 177-3 peut être prononcée contre son représentant légal, si la mauvaise foi de ce dernier est établie. »
« V. - Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 706-58 du même code, les mots : "cinq ans" sont remplacés par les mots : "trois ans".
« VI. - Sont insérés à l'article 434-15-1 du code pénal, après les mots : "devant le juge d'instruction", les mots : "ou devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire". »
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 60 est présenté par M. Schosteck, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 144 est déposé par M. de Richemont.
L'amendement n° 188 est présenté par M. Estier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachée.
Tous trois sont ainsi libellés :
« Supprimer le II de l'article 24. »
La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur, pour défendre l'amendement n° 60.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Le projet de loi prévoit la suppression de la possibilité pour les avocats d'assister aux actes dont ils demandent la réalisation au juge d'instruction.
Nous comprenons bien qu'il peut être particulièrement éprouvant pour un témoin d'être entendu en présence de l'avocat de la personne mise en examen. Je rappelle néanmoins que les demandes des avocats peuvent être refusées par le juge d'instruction, qui a donc une totale liberté en la matière.
Par conséquent, nous estimons que cette suppression est inutile et qu'il est possible de laisser au juge d'instruction la faculté d'apprécier si l'avocat doit être ou non présent et si la victime en sera plus ou moins pénalisée.
M. le président. L'amendement n° 144 n'est pas soutenu.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 188.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis tout de même sidéré de voir comment le Gouvernement traite les victimes ! En effet, celles-ci peuvent demander au juge d'instruction des mesures d'investigation supplémentaires.
Interdire à cette victime que son avocat y soit présent ne va pas dans le sens de ce que vous prétendez. Je sais bien qu'il n'y a pas que l'avocat de la victime. Certains considèrent toujours que les avocats sont là pour défendre les voyous. En réalité, ils ont vocation à défendre le droit : ils représentent tantôt la partie civile, tantôt l'auteur de l'infraction. Mais prétendre interdire aux avocats d'assister à une expertise, à une mesure d'investigation quelle qu'elle soit - et comme l'a très bien fait remarquer M. Schosteck, le juge n'est pas obligé de l'ordonner - m'amène à penser que vous considérez les avocats comme des gêneurs qu'il vaut mieux ne pas laisser assister aux mesures d'investigation supplémentaires. Napoléon disait ceci : « Tant que j'aurai une épée à mon côté, je m'en servirai pour couper la langue à ces bavards. »
La position du Gouvernement me paraît très curieuse : pendant très longtemps, nous avons demandé - cette idée a d'ailleurs fait son chemin, et peut-être figure-t-elle même dans vos annexes - de rendre contradictoires des mesures qui, actuellement, ne le sont pas. En effet, si, en matière civile, les expertises sont contradictoires, en matière pénale, les expertises proprement dites ne le sont pas. Le Sénat nous a même suivis un jour pour demander que les expertises ordonnées au pénal soient contradictoires. Mais nous reprendrons cela un jour...
Pour l'heure, au cas où M. le garde des sceaux accepterait l'amendement de la commission, j'aimerais qu'il ait l'amabilité de nous expliquer pourquoi le Gouvernement avait proposé cette mesure.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je souhaite répondre tout de suite à la question posée par M. Dreyfus-Schmidt pour que les propositions du Gouvernement ne soient pas caricaturées.
Si nous avons proposé ce texte - mais je m'en remettrai, vous le savez, à la sagesse du Sénat -, c'est pour une raison que vous devez connaître, Maître Dreyfus-Schmidt : un certain nombre de représentants d'associations de victimes nous ont dit, comme ils ont dû le dire à d'autres, que, dans un certain nombre de circonstances et en particulier en matière sexuelle, les victimes sont extrêmement mal à l'aise du fait de la présence des avocats des prévenus. C'est cela, le sujet !
Vous voulez faire croire que le Gouvernement cherche à faire taire les avocats. Il ne s'agit pas de cela ! Il s'agit d'examiner les conditions dans lesquelles on peut éviter que les victimes ne se trouvent dans des situations psychologiques délicates ou ne risquent d'être influencées. C'est l'unique objectif.
Cela étant, je pense que l'on peut faire confiance aux juges. Par conséquent, si la commission suggère le retrait de ce membre de phrase, je m'y résoudrai volontiers. En tout cas, telle est la motivation du Gouvernement. Elle me paraît digne, et je pense qu'elle méritait d'être évoquée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 60 et 188, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je constate que ces amendements ont été adoptés à l'unanimité.
L'amendement n° 61, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par le IV de l'article 24 pour insérer un article 177-3 dans le code de procédure pénale, remplacer la référence : "177-3" par la référence : "177-2". »
La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement vise à corriger une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 61.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.
L'amendement n° 189, présenté par M. Estier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer le V de l'article 24.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Encore une fois, on va m'objecter que c'est un gouvernement de majorité de gauche plurielle qui a introduit dans la loi la notion de témoin anonyme. C'est possible ; en tout cas, pour ma part, je le déplore ! Pour moi, le témoin anonyme est inacceptable dans la mesure où il constitue une incroyable atteinte aux droits de la défense.
On va bien sûr me dire que, dans certaines circonstances, le témoignage anonyme est autorisé par le tribunal pénal international ! Cette réponse ne me convient pas, car il n'y a pas de meilleur moyen de se trouver en face d'un faux témoin que d'avoir un témoin anonyme. A partir du moment où le témoin est anonyme, la défense ne peut pas savoir de qui il s'agit, elle ne peut pas se défendre et dire que le témoin se trompe ou est un vieil ennemi !
Je sais bien que l'on ne peut condamner quelqu'un uniquement sur le fondement d'un témoignage anonyme. Or si d'autres éléments sont nécessaires, à quoi sert le témoin anonyme ?
La loi relative à la présomption d'innocence prévoit déjà une procédure de témoignage anonyme lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans. Lors de l'audition de M. le garde des sceaux par la commission des lois du Sénat le 17 juillet dernier, nous lui avons demandé s'il existait un exemple de mise en place de la procédure du témoin anonyme depuis que cette disposition a été introduite dans la loi. Je n'ai pas obtenu de réponse. Plus exactement, il m'a été répondu que, dans les quartiers, beaucoup de gens ne veulent pas témoigner parce qu'ils ne peuvent le faire de manière anonyme. Mais ce n'est pas une réponse !
Est-ce que, oui ou non, le témoignage anonyme a été mis en place ?
Or voilà qu'aujourd'hui on nous propose d'appliquer cette disposition lorsque la peine encourue est non plus de cinq ans mais de trois ans, et ce sans même que l'on connaisse les résultats de la mise en oeuvre de la précédente loi. Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du raisonnement ? Pourquoi ne pas admettre le témoin anonyme devant le juge de proximité ? Il n'y a pas de raison de s'arrêter ! Ce n'est pas la nature des faits qui doit faire la différence. Si le témoin anonyme doit apporter quelque chose, pourquoi ne pas le généraliser ? Je vous rappelle qu'il y a des contraventions pour violence légère, ce qui est tout de même grave parce que celui qui exerce des violences légères aujourd'hui peut exercer des violences graves demain... Je plaisante - vous l'aurez compris - sur ce point précis !
M. Christian Cointat. On n'en est pas sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si vous n'avez pas d'humour, je n'y peux rien !
M. Christian Cointat. Nous ne nous situons pas sur le même plan !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En revanche, je suis très sérieux lorsque je défends notre amendement qui vise à supprimer l'extension proposée sans aucun justificatif, sans aucune explication, sans aucun compte rendu des résultats obtenus.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Il s'agit de supprimer l'élargissement de la possibilité de recourir à la procédure du témoin anonyme. En fait, cette appellation, forcément simpliste - il en est toujours ainsi dans ce qui est répercuté par les médias -, ne correspond pas à la réalité. Il faut parler de témoin sous x, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.
J'ai déjà eu l'occasion de relever que l'on faisait en l'occurrence un faux procès. Bien évidemment, il est facile de faire l'amalgame entre « anonyme » et « délation » ; cela rappelle des souvenirs que personne ne voudrait voir raviver.
Quoi qu'il en soit, cet amalgame n'est intellectuellement pas honnête. Le témoin sous x n'est pas anonyme : il est connu des magistrats, mais il n'est pas forcément connu de ceux qui pourraient lui causer des dommages ultérieurement. Ce n'est pas un dénonciateur anonyme, il est connu de la police et de la justice ; on fait en sorte simplement qu'il ne soit pas connu d'agresseurs éventuels.
Nous connaissons tous, et je connais particulièrement, en tant que maire d'une commune de banlieue, des cas où il serait souhaitable que quelqu'un témoigne, que les gardiens d'immeuble, par exemple, viennent rapporter ce qu'ils ont constaté. Seulement voilà, ils sont paralysés par la peur.
Peut-on admettre, mes chers collègues, que, encore aujourd'hui, des gens aient peur de participer à une action normale de défense de la société ? Personnellement, je trouve cela inacceptable. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
On peut tout à fait invoquer, en faisant de grands effets de manche, les droits de l'homme. J'y suis moi aussi, sensible, comme tout le monde, je ne suis pas complètement « abruti » et j'imagine que personne ne l'est ici. Seulement, nous sommes devant une situation poignante, à laquelle il nous faut répondre.
Il arrive tout de même de temps en temps - je l'ai dit lors de la discussion des lois sur la présomption d'innocence et sur la sécurité quotidienne - qu'on arrête des gens qui sont coupables. Ils n'ont pas été encore jugés, c'est vrai, mais on peut anticiper parce que c'est parfois patent. Il est dommage que la police et la justice soient paralysées par une absence de témoins. Or on n'en trouve pas ! Il nous faut donc lutter contre cela en s'entourant, naturellement, de toutes les garanties possibles, garanties qui, je le répète, me semblent figurer dans ce projet de loi.
En tout cas, pour ma part, je ferai tout, jusqu'à mon dernier souffle, pour lutter contre cette peur qui gangrène notre société. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Cet avis est défavorable, et je n'ai pas grand-chose à ajouter aux arguments que vient de développer M. le rapporteur.
Je formulerai simplement une remarque d'ordre général.
En fait, la difficulté devant laquelle nous nous trouvons résulte du fait qu'une partie de la délinquance qui se développe depuis une vingtaine d'années est une délinquance de proximité. Ce n'est plus la même délinquance que celle qui se manifestait voilà quarante ou cinquante ans, lorsque le délinquant allait commettre son méfait de préférence là où il n'était pas connu. C'était à cette délinquance que les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale s'adressaient.
Aujourd'hui, nous sommes dans une situation très particulière où chacun se connaît. C'est là que réside la difficulté.
J'ai bien conscience des risques que peut comporter un certain développement du recours au témoin anonyme. Comme l'a dit M. le rapporteur, personne, ici, n'est totalement abruti ! Mais je pense aussi que chacun sait bien, quel que soit son engagement politique, combien est difficile la lutte concrète contre la délinquance de proximité.
C'est pourquoi, bien sûr sous la responsabilité du juge, laquelle, dans cette affaire, est grande, comme l'a souligné M. le rapporteur, puisque le juge connaît, lui, l'identité du témoin, je pense qu'il faut prévoir l'extension de cette procédure du témoin anonyme.
Contrairement à ce qui s'est passé jusqu'ici, il faudra s'efforcer de mettre en place, en collaboration avec les juridictions, un suivi de l'application concrète de cette procédure et nous montrer attentifs à sa mise en oeuvre. Il conviendrait de faire le point, d'ici à deux ans par exemple.
M. Michel Dreyfus-Schmidt m'a interrogé sur la mise en application de cette procédure de témoin anonyme. Je ne peux lui répondre maintenant parce que aucune étude n'a été faite en la matière, qu'aucun recensement n'a été opéré.
Il faut donc décider qu'une étude soit menée de manière à porter un jugement après quelques années d'application.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 189.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne suis pas favorable, en principe, à l'anonymat ; j'ai d'ailleurs déposé sur ce sujet un amendement que nous examinerons ultérieurement.
Toutefois, on peut comprendre que l'ex-majorité ait souhaité introduire dans notre droit, comme l'a rappelé M. Dreyfus-Schmidt, la notion de témoin anonyme, le présent Gouvernement se proposant maintenant d'augmenter les cas dans lesquels on peut y faire appel.
Certes, je vais voter l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt, même si je suis plutôt favorable au témoin anonyme tout en étant contre l'anonymat, car - et je n'entrerai pas dans les détails car on n'en sortirait pas ! - il y a effectivement des cas dans lesquels les témoignages ne peuvent pas être recueillis publiquement.
En tout cas, j'ai bien souri pendant ce débat. En effet, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pensez-vous vraiment que la procédure du témoin anonyme imaginée par le précédent gouvernement et renforcée par l'actuel puisse fonctionner d'une façon satisfaisante tant que les palais de justice seront assimilables à ces ustensiles de cuisine que l'on appelle des passoires et tant que tout ce qui s'y dit et s'y fait se trouvera dans la presse le lendemain matin ? Personnellement, je crois que, tant que les violations du secret de l'instruction ne seront pas véritablement sanctionnées, il faudra être kamikaze, fou ou collectionneur de médailles pour accepter d'être témoin anonyme en France !
Par conséquent, persuadé que tout cela ne sert à rien, je voterai allègrement l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais rappeler au Sénat - nombre de ses membres le savent - que le code pénal est le code des hors-la-loi, des voyous, des voleurs, des brigands et que le code de procédure pénale est le code des honnêtes gens ; il ne faut jamais l'oublier !
Bien sûr, il faut toujours penser aux victimes, il faut les protéger et nous le faisons, mais il faut aussi penser à ceux qui risquent, s'il n'y a pas suffisamment de garanties, d'être condamnés alors qu'ils ne sont pas coupables.
M. le rapporteur me reproche d'avoir parlé de témoin anonyme alors qu'il s'agit de témoin sous x, c'est-à-dire qu'il n'est anonyme ni pour le juge des libertés qui statue ni pour le procureur de la République qui le requiert, ni pour la police qui a recueilli son témoignage, qu'il n'est anonyme que pour la défense ! Et c'est en cela justement qu'il y a atteinte aux droits de la défense.
Certes, il faut que les gens soient courageux ! Mais il n'y a pas qu'en matière dangereuse que les témoignages sont difficiles à obtenir.
Un jour, je me suis trouvé sur les lieux d'un accident de voiture qui avait donné lieu à un attroupement. Les policiers sont arrivés et ont commencé à constater les faits. Je leur ai demandé s'ils n'interrogeaient pas les témoins. « Les témoins ? Vous allez voir », m'ont-ils dit. « Y a-t-il des témoins ? », ont-ils lancé. Tout le monde est parti ! Il ne s'agissait pourtant que d'un accident de voiture, qui n'aurait certainement pas donné lieu à des représailles : les gens n'aiment pas témoigner.
M. Michel Charasse. Ils n'aiment pas les « emmerdements » !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En fait, ce qui ennuie beaucoup nos concitoyens, ce sont les petits délits qui ne méritent pas trois ans de prison et pour lesquels personne, dans les quartiers dont vous parlez, ne veut témoigner non plus.
Il faut donc protéger les témoins.
Y a-t-il eu beaucoup de cas de cet ordre qui ont fait l'objet de représailles, monsieur le garde des sceaux ? Moi, je n'en sais rien !
Il est vrai que nous ne nous situons pas dans la même optique que vous. Je sais que mon ami Michel Charasse voudrait interdire que l'on tienne compte des dénonciations anonymes ; encore que si le Sénat était averti par un coup de téléphone qu'une bombe se trouvait dans son bureau, il préférerait sans doute que l'on en tienne compte ! (Sourires.) Et cela vaut pour bien d'autres cas aussi !
Toujours est-il qu'en la matière qui nous occupe le recours à cette procédure a plus d'inconvénients que d'avantages. C'est pourquoi nous maintenons notre amendement de suppression.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 189.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 93, présenté par M. Michel Charasse, est ainsi libellé :
« Compléter in fine l'article 24 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - In fine de l'article 51 du code de procédure pénale, il est ajouté un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Pour l'exercice de ses missions, le juge d'instruction fait appel au concours des officiers et des agents de police judiciaire qu'il désigne dans les conditions fixées par la loi. Toutefois, un même cabinet d'instruction ne peut utiliser simultanément pour l'instruction des délits dont il a la charge plus de cinq fonctionnaires civils ou militaires ayant la qualité d'officier ou d'agent de police judiciaire. »
La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement traduit un souci que j'ai exprimé rapidement lors de l'audition de M. le garde des sceaux devant nos commissions réunies en commun et qui concerne les moyens de la justice.
Au fond, l'objet du texte dont nous discutons est aussi de donner à la justice un certain nombre de moyens supplémentaires, notamment dans les domaines qui, comme le disait M. Dreyfus-Schmidt à l'instant, sont particulièrement agaçants, irritants et insupportables pour la majorité des Français : petits et moyens délits, grands délits mais de droit commun ordinaire, ceux qui nourrissent un peu la presse locale et, éventuellement, la presse nationale, bref, ceux qui empoisonnent la vie des gens tous les jours.
Certes, c'est une bonne chose de donner des moyens supplémentaires à la justice, mais encore faut-il savoir comment ils vont être répartis. Or je dois dire que je n'ai pas obtenu la réponse que j'aurais espérée de la part du garde des sceaux lors de son audition devant nos commissions. Il y a en fait deux catégories d'affaires en France.
Aujourd'hui, lorsque vous êtes victime d'un cambriolage, que votre voiture est volontairement endommagée, voire saccagée - bref, ce qui se passe tous les jours dans les quartiers -, vous allez porter plainte. Quelque temps après, comme vous n'avez aucune nouvelle, vous cherchez à savoir ce que ça devient et on vous répond : « Monsieur, on fait ce qu'on peut ! Mais, qu'est-ce que vous voulez, on n'a pas d'officiers de police judiciaire disponibles ! Je n'en ai que deux pour tout le quartier, et il n'y a pas que votre affaire ! » Le temps passe, on attend et rien n'est jamais vraiment résolu. C'est alors qu'on a le sentiment que rien ne marche !
A côté de cela, il y a les affaires des juges d'instruction stars de la galerie financière de Paris, sur lesquels la presse nous apprend qu'ils ont chacun jusqu'à 200 officiers de police judiciaire à leur disposition ! Et on enquête en Suisse, aux Bahamas, dans le monde entier... Mais pendant ce temps-là, la brave femme qui a été cambriolée, le pauvre type qui a été bousculé dans la rue s'entendent dire qu'il n'y a pas d'officiers de police judiciaires disponibles !
Monsieur le garde des sceaux, mon amendement est en quelque sorte un amendement d'appel, car je n'ai pas la naïveté de penser qu'il sera voté.
Cela étant, va-t-on accepter longtemps que des affaires qui sont certes odieuses pour la conscience, parce qu'il s'agit de détournements scandaleux, d'ignobles trafics, de vols considérables, mais des affaires dans lesquelles il n'y a jamais eu péril en la demeure car personne n'a été tué ni même molesté, bénéficient d'un traitement privilégié en mobilisant l'essentiel des moyens de la police judiciaire pour permettre à Libération , au Monde et à quelques autres de faire leurs articles quotidiens sur les heurs et malheurs des stars de la galerie financière, tandis qu'on laisse courir, faute d'officiers de police judiciaire en nombre suffisant, ceux qui empoisonnent tous les jours la vie des pauvres gens ?
Voilà pourquoi je propose que cinq officiers ou agents de police judiciaire au plus soient mobilisés pour un juge. Bien entendu, il ne s'agit ici que des affaires délictuelles car, en matière criminelle, il est parfois nécessaire de mobiliser un certain nombre de gens.
Je me permets de rappeler que, lorsque M. Tapie faisait l'objet de toute une série de procédures, à un moment donné, on avait compté 81 officiers de police judiciaire mobilisés à ses trousses, simplement pour le plaisir de lire, le lendemain matin, les exploits de ce Tintin des temps modernes dans notre quotidien national, parisien de surcroît ! (M. Christian de La Malène applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. M. Charasse a bien fait de préciser qu'il s'agissait d'un amendement d'appel...
Je suis, certes, séduit par son argumentation. Elle répond en effet à une interrogation que je me fais souvent in petto : le veau d'or n'est-il pas, paradoxalement, notre nouvelle idole ?
Car il est vrai que la délinquance quotidienne qui empoisonne les gens - et cela va parfois bien au-delà du simple désagrément, comme cette semaine, lorsque trois policiers ont été horriblement battus - n'est pas moins grave que les faits évoqués par M. Charasse. Bien sûr, lorsqu'on dit cela, on court le risque de s'entendre répondre que l'on veut exonérer les « affaires », alors qu'il n'en est nullement question. Il reste que, à mes yeux, il existe une certaine échelle des valeurs, que la paix civile et la tranquilité des gens sont plus importantes que cette espèce d'idolâtrie devant le veau d'or, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit.
Mme Nicole Borvo. Alors, cessons de poursuivre la délinquance financière !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais il faut la poursuivre, bien sûr !
M. Michel Charasse. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cela étant, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, craignant que ce nombre maximal n'empêche de mener à leur terme certaines enquêtes nécessitant un personnel en plus grand nombre, en matière de stupéfiants, par exemple. Mais c'est un avis défavorable empreint de sympathie.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben garde des sceaux. M. Charasse le sait bien, sa proposition est d'une telle rigidité qu'elle est totalement irréaliste.
Pour le reste, les choses se passent généralement tout de même mieux qu'il ne l'a dit. Les services de police et de gendarmerie ont, bien sûr, le souci de répondre à ce que demandent les magistrats, mais ils le font habituellement dans un esprit constructif. Il faut faire confiance aux hommes, même si, dans toutes les professions, il y a un pourcentage constant de gens qui vont un peu trop loin.
On l'aura compris, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 93.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. La réalité que les juges affrontent tous les jours et que nous connaîtrons de plus en plus, la véritable menace pour nos sociétés, sans nier le caractère insupportable de la petite délinquance urbaine, c'est la grande criminalité internationale organisée. C'est, par exemple, le trafic des êtres humains, dont nous voyons aujourd'hui les manifestations jusque dans nos rues. C'est aussi le trafic des armes à travers l'Europe. C'est, bien sûr, le trafic de drogue. Ce sont, enfin, toutes les formes, très complexes, mais terribles dans leurs conséquences sociales, de la grande délinquance financière organisée.
Or vous ne pouvez pas instruire ces affaires-là si vous ne disposez pas d'un nombre important d'officiers de police judiciaire très qualifiés, susceptibles d'être simultanément à l'oeuvre. Compte tenu du degré d'organisation de ces réseaux mafieux, qui constituent, je le répète, la menace majeure pour nos sociétés, c'est strictement impossible !
Albert Memmi disait fort justement, à propos de la corruption : « Il y aura toujours de la corruption dans la République, mais le jour où nous nous trouverons en présence de la corruption de la République, c'en sera fini ! »
On peut dire la même chose de la délinquance. La délinquance existera toujours et nous devrons toujours la combattre. Toutefois, lorsque la délinquance organisée se rend maîtresse d'une société, comme cela s'est vu et comme on peut redouter d'en voir aujourd'hui les prémices dans certains Etats, alors, c'en est fini de la liberté des citoyens. (Vifs applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne suis absolument pas en désaccord avec ce que vient de dire Robert Badinter. Il ne faut pas se méprendre sur ma démarche : je prétends simplement que, lorsqu'on est, comme c'est le cas actuellement, en situation de pénurie d'effectifs, il faut une mesure autoritaire pour répartir convenablement ces effectifs, parce que toutes les affaires, quelle que soit leur nature, méritent d'être traitées.
Bien sûr, Robert Badinter a raison lorsqu'il explique que la grande délinquance organisée est une menace pour la République. Mais la moins grande délinquance est aussi une menace pour la République, et on l'a bien vu lors de la dernière élection présidentielle, quand un « paquet » de gens ont voté pour Le Pen. Moi, je suis aussi inquiet dans les deux cas !
Le problème que je voulais soulever à travers cet amendement, c'est celui de la répartition de la pénurie tant qu'il n'y a pas un nombre suffisant d'OPJ.
J'ajoute qu'une grande partie des affaires évoquées par Robert Badinter - trafics d'êtres humains, de drogue, d'armes - intéressent finalement moins un certain nombre de plumitifs que les affaires du type Elf, où sont cités des noms connus.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Très bien !
M. Michel Charasse. Ainsi, même dans ce domaine, l'opinion publique n'a pas les mêmes réactions.
Monsieur le garde des sceaux, je pense qu'il serait bon de réfléchir à une solution technique. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'une telle solution nécessite un texte législatif. En tout cas, il faut quand même arriver à faire prendre conscience à l'ensemble des magistrats instructeurs de ce pays que ceux-là mêmes qui ont leur photo dans le journal tous les jours ne peuvent pas toujours tout prendre pour eux et qu'il y a aussi de braves gens à Castelnaudary, à Romorantin, au fin fond de la France, dont les affaires méritent d'être instruites, affaires mises entre les mains de juges d'instruction absolument inconnus, qui ne seront jamais de grandes vedettes nationales et internationales, mais qui essaient de faire leur métier convenablement, justement en recherchant cet équilibre de la société auquel la justice doit contribuer partout et pour tous les dossiers.
Cela étant dit, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 93 est retiré.
Je mets aux voix l'article 24, modifié.

(L'article 24 est adopté.)


Articles additionnels après l'article 24