SEANCE DU 29 JUILLET 2002


LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2002
Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi (n° 367, 2001-2002) de finances rectificative pour 2002, adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 372 (2001-2002)].
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous allons débattre du premier texte financier de cette nouvelle législature.
Dans la situation d'opposants, les commissaires socialistes des finances ont le privilège de bien vous connaître, monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire ! En effet, avant votre entrée au Gouvernement, vous présidiez la commission des finances du Sénat. Bien se connaître permet sûrement de mieux se comprendre. Je suis persuadé que nous saurons, monsieur le ministre, en tirer un avantage partagé et conserver des relations courtoises, malgré nos divergences d'idées.
J'en viens maintenant à ce qui nous réunit : l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2002.
J'ai le regret de vous dire, messieurs les ministres, que le texte que vous nous soumettez ne nous convient pas. Vous n'en serez pas surpris !
D'une part, les évaluations de recettes et de dépenses sur lesquelles est fondé le solde du collectif budgétaire ne sont visiblement pas sincères. D'autre part, le projet de loi contient une mesure fiscale parfaitement injuste envers les Français les plus modestes.
Monsieur le ministre délégué au budget, avec ce collectif, vous commettez une véritable attaque contre le principe de sincérité budgétaire.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh !
M. Gérard Miquel. Et dire que vous étiez un adepte de ce beau principe !
M. Jean Chérioux. Vous êtes bien placé pour en parler !
M. Gérard Miquel. Je pense que oui, mon cher collègue !
M. Jean Chérioux. C'est incroyable !
M. Gérard Miquel. Les mobiles de la manoeuvre sont évidents : toutes vos manoeuvres aboutissent, comme par enchantement, à charger la barque de la gestion du gouvernement précédent.
Le coup du bilan procure à la droite un triple avantage : elle attaque au passage son adversaire politique ; elle prépare le renoncement à ses engagements, pour cause, bien évidemment, de caisses vides ; enfin - et ce n'est pas le moins intéressant - elle se ménage de la sorte des marges de manoeuvre considérables. En effet, plus le déficit est élevé et plus il est facile de ne pas l'aggraver, surtout si, pour une bonne part, le déficit ainsi affiché est artificiel !
La manière avec laquelle vous réussissez - et avec quelle ampleur ! - à noircir les finances de l'Etat révèle le grand technicien budgétaire que vous êtes, monsieur le ministre délégué au budget.
Ainsi, pour grossir le déficit de l'Etat, le Gouvernement retient systématiquement les prévisions les plus pessimistes de l'audit des finances publiques réalisé par MM. Nasse et Bonnet.
Par honnêteté, devant la difficulté de leur tâche, les auditeurs ont présenté chacune de leurs prévisions dans le cadre d'une fourchette. Par malignité, le Gouvernement pointe toujours l'extrémité de la fourchette, ce qui lui permet de grossir le déficit. Toutefois, pour les auditeurs, les deux extrêmes de la fourchette sont, bien sûr, tout aussi fiables.
Le Gouvernement justifie son choix en le présentant comme une mesure de sage précaution. Il n'était dès lors nullement besoin d'un audit : autant fixer arbitrairement le déficit de l'Etat à 100 milliards d'euros pour ne pas avoir de mauvaise surprise par la suite !
En outre, il semble que le Gouvernement ait la prudence sélective. Il prévoit, pour le budget de 2003, un taux de croissance de 3 %, alors que tous les économistes affirment que la croissance sera inférieure à ce chiffre.
Toutefois, je me félicite de la prévision retenue par le Gouvernement, car elle sonne comme un vibrant hommage à la qualité du pilotage économique de l'ancienne majorité !
L'INSEE prévoit, d'ailleurs, que la croissance française sera de 1,4 % en 2002, contre 1 % seulement pour la zone euro, et je me permets, mes chers collègues, de vous rappeler que, de 1993 à 1997, la France a fait en moyenne moins bien que ses partenaires européens. Je reviens aux artifices budgétaires employés par le Gouvernement pour accroître le déficit.
L'Etat paraît subitement très généreux, mais que les Français y prennent garde, ils n'y gagnent rien, puisqu'il s'agit de dépenses fictives. En effet, toutes ces dépenses ne servent qu'à diminuer le déficit des organismes sociaux. L'Etat distribue ses crédits et se prive de nombre de ses recettes. On n'a jamais vu l'Etat aussi généreux, mais, croyez-moi, il le sera moins dans les cinq années à venir !
Ainsi, l'Etat rembourse rien moins que 2,4 milliards d'euros de dettes, pour l'essentiel au bénéfice d'organismes sociaux. Pour une bonne part, ces dernières semblent opportunément sortir des boîtes à archives de Bercy : voilà que réapparaissent 1,81 milliard d'euros de dettes antérieures à 2002 !
La manoeuvre est habile, monsieur le ministre délégué au budget, car elle vous permet de noircir les comptes publics les plus symboliques - ceux de l'Etat - sans dégrader le déficit public. En effet, ces 2,4 milliards d'euros de dépenses de l'Etat constituent autant de recettes pour les organismes sociaux. Dépenses et recettes se compensant, le déficit public ne se détériore pas. Or, c'est uniquement ce dernier qui intéresse Bruxelles. La partie est, apparemment, très bien jouée !
On note aussi que certaines dépenses sont majorées par rapport à l'évaluation de l'audit. C'est le cas des dépenses affectées au RMI et à l'allocation aux adultes handicapés, qui passent de 740 millions d'euros à 850 millions d'euros. Les bénéficiaires de ces allocations percevront-ils les 110 millions d'euros d'augmentation ?
Les crédits du ministère de la défense sont, quant à eux, majorés de 900 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Est-ce nécessaire puisque l'on sait par avance qu'ils seront non pas consommés mais reportés sur 2003 ? Je rappelle qu'en 2001 la sous-consommation des crédits de la défense représentait 1,9 milliard d'euros. C'est donc une marge de 900 millions d'euros qui est dégagée pour 2003.
Par ailleurs, les crédits pour la charge de la dette progressent de 700 millions d'euros. Dans un premier temps, le déficit est surévalué, ce qui nécessite plus de crédits pour payer la charge de la dette. Logique, me direz-vous, mais, en fin de compte, ces crédits supplémentaires conduisent à constater un déficit encore plus important ! Bravo, monsieur le ministre délégué au budget, c'est du grand art !
Enfin, toujours pour faire « exploser » le déficit que vous imputez à la gauche, le collectif n'annule aucun crédit. C'est plutôt surprenant quand on sait que l'audit évaluait les économies réalisables à 3,4 milliards d'euros ! Comment le Gouvernement peut-il prétendre que le collectif ne fait que « traduire les évaluations proposées par les auditeurs » ?
Monsieur le ministre délégué au budget, devant la commission des finances vous avez déclaré que « le volet dépenses du collectif ne traduit aucune priorité politique ». C'est exact : votre priorité n'est pas politique, elle est plutôt politicienne !
Comme je le soulignais précédemment, face à cette hémorragie de dépenses fictives, le Gouvernement supprime un « bon paquet » de recettes fiscales et non fiscales.
Il renonce ainsi à une créance de 1,2 milliard d'euros sur l'UNEDIC. Ce sacrifice est courageux et sûrement justifié au fond. Ce qui l'est moins, c'est de le mettre sur le compte de la gestion précédente tout en s'en appropriant la paternité !
Relevons aussi le coût de l'amnistie, qui s'élève à 270 millions d'euros, et la diminution, à hauteur de 1,4 milliard d'euros, des dividendes versés par les entreprises publiques. Les dividendes que l'on se refuse dans ce collectif serviront sûrement en 2003.
En revanche, le Gouvernement n'hésite pas à ponctionner de 161 millions d'euros les caisses de la mutualité sociale agricole, brutalement et sans aucune concertation. Son discours sur le dialogue social est beau, mais ses agissements le sont nettement moins !
Ce prélèvement est injuste, car il pénalise les caisses les mieux gérées. Sera-t-il le dernier ? Comment faire confiance au Gouvernement après un tel comportement ?
Les évaluations de recettes fiscales sont revues à la baisse pour 5,37 milliards d'euros, alors que l'audit prévoyait une fourchette de 3,7 milliards d'euros à 5,4 milliards d'euros. N'aurait-il pas été plus sincère de retenir le milieu de la fourchette ?
L'Etat renonce en plus à 2,55 milliards d'euros de recettes fiscales au titre de la réduction de l'impôt sur le revenu. Si les finances laissées par la majorité précédente étaient aussi dégradées que le Gouvernement veut le laisser croire, il ne renoncerait sûrement pas à 2,5 milliards d'euros de recettes fiscales, sauf à être irresponsable. Alors, irresponsabilité ou tromperie ?
M. Jean Chérioux. C'est de vous que vous parlez ?
M. Gérard Miquel. Etait-il par ailleurs nécessaire d'examiner dans l'urgence deux projets de loi d'orientation et de programmation, l'un pour la justice, l'autre pour la sécurité intérieure, alors qu'aucune inscription de crédits correspondante ne figure dans le collectif ?
La baisse de l'impôt sur le revenu prive les services publics de moyens financiers, ce qui est déjà inquiétant, mais ce n'est pas là que réside, à nos yeux, son aspect le plus contestable. C'est avant tout une profonde injustice sociale.
Le groupe socialiste n'est pas par principe opposé à la baisse de l'impôt sur le revenu. Il l'a montré dans le passé et il le montrera à nouveau lors de l'examen des articles. Cependant, il ne peut souscrire aux modalités retenues, tant elles sont injustes pour les Français les plus modestes.
En effet, 1 % des foyers fiscaux bénéficieront à eux seuls de 30 % de la baisse de 2,55 milliards d'euros, 10 % des foyers fiscaux se partageant 70 % de celle-ci. Est-ce là la conception de la justice fiscale et sociale à droite ?
La moitié des Français les plus modestes ne gagnent absolument rien avec votre mesure fiscale !
En revanche, les rares simulations fournies par le Gouvernement - à croire qu'il a la réforme honteuse ! - permettent de constater qu'un célibataire sans enfant économisera 169 euros s'il dispose d'un revenu imposable de 20 000 euros, soit le revenu d'un cadre moyen, et 570 euros s'il dispose d'un revenu de 40 000 euros, soit le revenu d'un cadre supérieur ou d'un médecin. Pour un revenu deux fois supérieur, le gain est trois fois et demie plus important ! Il n'y a pas de quoi être fier de telles propositions !
M. François Marc. Sûrement pas !
M. Gérard Miquel. Vous nous dites, monsieur le ministre, que l'économie d'impôt sera de 169 euros en moyenne, mais de combien sera-t-elle pour le 1 % de foyers fiscaux les plus aisés ? Probablement de l'ordre de 2 450 euros, mes chers collègues ! Si M. le ministre pouvait nous donner le chiffre de Bercy, nous lui en serions très reconnaissants.
M. Gérard Delfau. C'est un minimum ! M. Gérard Miquel. Selon le Gouvernement, la réduction d'impôt prévue ne modifiera pas la progressivité de l'impôt sur le revenu. Soit ! Mais il est tout aussi exact qu'elle atténuera la progressivité de l'ensemble du système français de prélèvements obligatoires. C'est logique, puisque vous diminuez le poids relatif du seul impôt progressif !
Si la baisse de 30 % à laquelle s'est engagé le chef de l'Etat revêt les mêmes modalités que cette année, les 312 000 contribuables les plus aisés devraient économiser 4,5 milliards d'euros en 2007. Je dis bien : « devraient », car nous ne disposons là non plus d'aucun chiffre officiel ! Dans le même temps, l'ISF rapporte 2,7 milliards d'euros par an. Je vous laisse conclure, mes chers collègues : d'un côté, 4,5 milliards d'euros, et de l'autre, seulement 2,7 milliards !...
En 1986, l'impôt de solidarité sur la fortune, de 2002 à 2007, l'impôt sur le revenu ! La route tourne à droite et la pente est glissante. Cette mesure fiscale n'est-elle pas quelque peu clientéliste ? (Eh oui ! sur les travées socialistes.) Le « rabais sur facture », comme vous l'appelez, est un beau geste commercial envers la « France perchée »... mais pas envers la « France d'en bas » ! Il est vrai qu'il faut rendre le travail plus attractif pour ceux qui gagnent cent euros de l'heure, alors que ceux qui gagnent sept euros de l'heure n'ont pas besoin d'être encouragés ! (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Le Gouvernement prétend qu'il est impossible de réduire l'impôt de ceux qui n'en payent pas. Mais la prime pour l'emploi n'a-t-elle pas justement été créée pour pallier cette difficulté ? En outre, la TVA n'est-elle pas acquittée par tout le monde ? Et la taxe d'habitation ? Vous pouviez baisser l'un ou l'autre de ces impôts !
La réduction de l'impôt sur le revenu proposée par le Gouvernement est socialement injuste, nous l'avons constaté, mais elle est aussi économiquement inefficace et financièrement inopportune.
Elle est économiquement inefficace, car le surplus de revenu ainsi distribué ira gonfler l'épargne des plus aisés et ne profitera pas à la consommation.
Par ailleurs, selon le Gouvernement, la croissance serait déjà en voie d'atteindre 2,5 % et s'élèverait à 3 % en 2003. Dès lors, sa volonté de soutenir l'activité économique apparaît particulièrement incohérente avec ses estimations. La mesure serait procyclique et donc contre-productive.
La réduction de l'impôt sur le revenu est financièrement inopportune. Apparemment, tout le monde le conçoit... excepté M. le rapporteur général. (M. le rapporteur général s'étonne.) Ce dernier souligne sans cesse, dans son rapport, la dégradation des finances publiques ; dans ce même rapport, il qualifie d'opportune une dépense fiscale de 2,55 milliards d'euros. Quelle incohérence, une fois de plus, mes chers collègues ! L'aveuglement idéologique l'emporte clairement sur la raison ! (M. le rapporteur général sourit.)
En outre, ce que le Gouvernement donne de la main droite aux plus aisés, par la réduction de l'impôt sur le revenu, il le reprend de la main gauche à tout le monde : c'est cela, la revanche sociale !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je répondrai tout à l'heure !
M. Gérard Miquel. Il refuse d'augmenter la prime pour l'emploi et de donner un coup de pouce au SMIC, mais il accepte la hausse des tarifs publics et décide un alourdissement des taxes sur l'essence, à hauteur de plus de un milliard d'euros, paraît-il.
La politique fiscale et sociale du Gouvernement a commencé de susciter un émoi sensible dans la presse, qui n'est pourtant pas toujours progressiste.
M. François Marc. Eh oui !
M. Gérard Miquel. Au sein même de la majorité, certains commencent à craindre les conséquences politiques de cette régression sociale. MM. Barrot, Méhaignerie et Paillé semblent les plus inquiets. Il y a effectivement de quoi avoir peur !
M. François Marc. Très bien !
M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre, confirmez-vous les propos que vous avez tenus à l'Assemblée nationale s'agissant du report d'au moins un an des dates limites de prise de décisions, pour les communes, les communautés de communes et les syndicats mixtes, en ce qui concerne le mode de perception de la redevance ou de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ?
M. Jean-Pierre Demerliat. Très bien !
M. Gérard Miquel. Mes chers collègues, vous l'aurez compris, le groupe socialiste ne votera pas en l'état le projet de loi de finances rectificative, car il nous semble représenter une régression. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'exercice traditionnel qu'est l'examen du projet de loi de finances rectificative revêt cette année un intérêt particulier. Le nouveau Premier ministre a voulu inscrire dans les choix budgétaires à la fois la rupture avec la politique du précédent gouvernement et l'affirmation de ses nouvelles priorités. C'est de bonne guerre, et nous abordons ce débat sans a priori.
Cependant, ces choix ne sont pas faits en circuit fermé et dans un contexte international neutre : suivant l'état actuel et prévisible de l'économie mondiale, telle orientation peut se révéler à terme bénéfique et donc bienvenue ou franchement catastrophique, à la façon dont le gouvernement Juppé cassa une faible croissance en 1995.
M. Bernard Angels. Eh oui !
M. Gérard Delfau. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Malgré des taux d'intérêt historiquement très bas et des baisses massives d'impôt sur le revenu aux Etats-Unis, les experts constatent le marasme persistant de l'économie américaine, qui retentit sur notre continent. Plus grave, le capitalisme boursier connaît une crise de grande ampleur - faut-il parler de krach rampant ? - pour des raisons structurelles : bulle spéculative et trucage à grande échelle des résultats des sociétés minent la confiance.
Tout laisse à penser que, sauf revirement rapide à la bourse, la situation des fonds de pension provoquera un réveil brutal et douloureux des petits et moyens épargnants, à qui l'on est en train de voler le financement de leur retraite. Pour faire bonne mesure, ajoutons le manque de crédibilité du président Bush, le poids de la guerre au Proche-Orient, l'insuffisante autorité d'une Union européenne dont le proche avenir est obscur : autant de facteurs qui devraient inciter le Gouvernement à une grande prudence et à la mise en oeuvre d'une politique de large rassemblement, afin de conforter la confiance des ménages.
Or qu'y a-t-il dans votre collectif budgétaire ? Une mesure-phare, la baisse forfaitaire de 5 % de l'impôt sur le revenu. Seuls les idéologues et la droite conservatrice prétendent encore qu'elle influera durablement sur le niveau de la croissance. Tous les bons experts économiques affirment au contraire, messieurs les ministres, que le surplus de liquidités donné aux catégories aisées sera investi dans une épargne de confort et non dans la consommation immédiate de biens et de services. L'incertitude des temps vient accréditer encore davantage cette analyse classique, confortée par l'expérience américaine depuis vingt-cinq ans. Avouez donc la vérité : vous voulez gratifier la « France d'en haut », celle des riches, disions-nous jusqu'à présent. Assumez donc ce rôle, au lieu de vouloir donner le change !
Cela est d'autant plus souhaitable que ce choix aléatoire est fait au travers d'un texte qui dénonce par ailleurs l'ampleur de la dette de la France et « épingle » de supposés dérapages en termes de finances publiques, en les mettant à la charge du précédent gouvernement.
Certes, je n'irai pas jusqu'à dire que la rigueur la plus extrême a régné en matière de dépense publique au cours de l'année écoulée ! Mais quel gouvernement n'a pas cédé à une certaine facilité en pareille occurrence ? Vous souvenez-vous de l'« ardoise » du gouvernement de M. Balladur, dénoncée par M. Juppé ?
D'ailleurs, l'audit ne révèle rien que nous ne sachions déjà. La vraie question est celle-ci : si l'état des finances de la France est si dégradé, est-il judicieux - orthodoxe, devrais-je dire - de décider une baisse de l'impôt sur le revenu étalée sur cinq ans et prenant effet dès cet automne ? Cet objectif sera difficile à atteindre en bonne économie, à moins que cette présentation du budget ne soit un trompe-l'oeil, qu'elle soit insincère et que vous ayez décidé, sans le dire, de faire supporter aux salariés le poids supplémentaire du prélèvement qui permettra de rééquilibrer les comptes. Car il faut rééquilibrer les comptes, monsieur le ministre !
M. François Marc. Eh oui !
M. Gérard Delfau. Prendre à ceux qui ont peu ou rien pour donner à ceux qui vivent bien, tel est le ressort secret, inavoué, de votre politique. A cet égard, votre refus d'accorder un coup de pouce au SMIC au 1er juillet avait été une première indication. Dans votre projet de loi, la même orientation se confirme avec l'absence de toute mesure en faveur des bénéficiaires de petits et moyens revenus, du RMI, de l'allocation aux adultes handicapés, etc.
A contrario, la suppression de la modulation de la taxe sur les produits pétroliers est une aubaine - et quelle aubaine ! - pour le budget général.
Là-dessus se greffe le feuilleton de l'été, celui des hausses à répétition des tarifs des entreprises publiques : la SNCF, qui anticipe l'augmentation de ses tarifs ; France Télécom, qui accroît le prix de l'abonnement, c'est-à-dire la partie fixe, qui pèse lourdement sur les abonnés les moins fortunés. Monsieur le ministre, vous aviez également envisagé la hausse du prix du timbre et celle des tarifs d'EDF et de GDF, et voilà que, par un tour de passe-passe médiatique, le Premier ministre vous désavoue et vole, selon ses dires, au secours des classes populaires. Qui sera dupe ? C'est un pur effet d'annonce ! Ces augmentations ne sont que différées ! C'est bien là le problème : EDF et La Poste ont besoin d'une augmentation de leurs tarifs pour tenir leur place dans le monde, et les sacrifier sur l'autel de la baisse de l'impôt sur le revenu est une mauvaise action au regard de la concurrence internationale et du coût de l'accomplissement de leurs missions de service public. Je présenterai un amendement visant à concilier le maintien de tarifs modérés pour les classes populaires et le financement de l'action de ces entreprises en matière d'aménagement du territoire.
M. Jean-Pierre Masseret. Très bien !
M. Gérard Delfau. Reste un dernier sujet que je veux évoquer maintenant, n'ayant pas la possibilité de le traiter dans le cadre de l'examen du collectif budgétaire : celui de l'insuffisance des crédits alloués au titre de la dotation globale d'équipement pour financer, dans mon département, les projets de construction ou de rénovation des écoles du premier degré. Pourtant, il s'agit là d'une priorité ! La forte croissance démographique a déséquilibré le système : la réalisation de certains projets a dû être ajournée et le montant de la contribution de l'Etat ne cesse de baisser. C'est une situation inacceptable qu'il faudra corriger à tout prix lors de la discussion du prochain projet de loi de finances. Cela étant, je sais, monsieur le ministre, que, tout comme le ministre de l'intérieur, vous serez sensible à cette préoccupation. Je reviendrai à la charge cet automne.
Ma conclusion ne vous étonnera pas : les sénateurs radicaux de gauche voteront contre votre projet de collectif budgétaire, parce qu'il est dangereux économiquement et qu'il est trop inégalitaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la loi de finances rectificative doit permettre de corriger certains errements, tout en confirmant les directions essentielles des engagements pris. Ce collectif est particulier par l'étendue de son action réparatrice et l'amplitude du cap à rétablir, tant la dérive de nos prédécesseurs fut sensible.
Nous avons pris toute la mesure de cette rupture, messieurs les ministres. Celle-ci est technique, mais aussi philosophique. Elle relève donc d'une démarche de vérité, de courage dans l'analyse et dans l'action.
A cet égard, croyez bien que la plupart d'entre nous ont le sentiment fort de nous voir entrer enfin dans le XXIe siècle, et soyez assurés que nous apprécions ces instants à leur juste valeur.
Sans vouloir établir de hiérarchie particulière, je dirai quelques mots des corrections apportées par le collectif, mais aussi de cette volonté plus profonde qui allie lucidité et courage politique. J'aborderai donc plusieurs points.
Nos concitoyens ont désormais parfaitement pris la mesure du défi démographique auquel est confronté notre pays. L'affirmation forte de cette donnée pertinente, qui date pourtant et n'a échappé qu'à nos seuls adversaires, donne une tout autre dimension à la nécessité des équilibres budgétaires.
Il s'agit là de l'avenir des générations montantes, et le plus élémentaire des calculs indique que les effets d'un déficit récurrent peuvent être multipliés par la conjonction d'un fléchissement éventuel de la croissance et d'une baisse de la démographie.
En construisant un cadre durable pour notre jeunesse, dans lequel nous aurons réduit les engagements financiers, nous redonnerons du sens à notre société, dans une France rassemblée dans l'effort, en vue d'un partage raisonné de ses fruits, mais aussi attractive.
Sur un plan plus pratique, vous avez dû compenser les dérapages qui ont été délibérément et inconsidérément consentis, ainsi que ceux qui correspondent aux postes ayant été utilisés depuis des années comme variables d'ajustement.
A cet égard, je ne peux passer sous silence le problème des mesures prises en faveur du budget annexe des prestations sociales agricoles, lequel se trouvait considérablement dégradé, avec des effets sur les réserves des caisses de la profession.
Je n'ignore pas qu'à la suite de nos contacts multiples vous avez limité au minimum la ponction, qui représente tout de même 161 millions d'euros. Il n'en reste pas moins que le monde agricole, déjà très perturbé par une mutation profonde, en est fortement affecté. Le procédé ne peut être pérennisé à ce niveau, et, surtout, sans une négociation globale.
Cette mesure de sauvetage, dont le précédent gouvernement vous a laissé le soin, monsieur le ministre, nécessite de prévoir pour l'avenir des mesures fortes, efficaces et durables, que tous les acteurs concernés appellent de leurs voeux.
Nous savons que ce collectif ne pouvait prendre que des mesures transitoires, mais nous ne doutons pas un instant que, le moment venu, vous donnerez des assurances à nos agriculteurs. Vous avez déjà commencé à le faire à cette tribune ce matin.
Au-delà du soutien naturel que nous vous apportons, je souhaite attirer votre attention sur la vigilance particulière des collectivités locales, au regard du gel de certains crédits, qui vous est imposé.
Elles souhaitent, bien sûr, que les reports ne soient pas préjudiciables aux investissements nécessaires au maillage du territoire, mais, sur le plan des principes, et vous savez que ce problème est cher au Sénat, elles attendent un signe fort quant à la mise en oeuvre de la péréquation au niveau des finances locales.
En effet, si aujourd'hui la réduction des écarts de ressources entre les collectivités locales, en fonction de leurs disparités de richesses et de charges, n'est pas précisément à l'ordre du jour, il paraît primordial que soit donné suite à la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire qui prévoyait la mise en place d'un observatoire, ainsi que des outils de la péréquation, en vue de la rendre effective pour 2010.
Je crois fortement, comme nombre de mes collègues, que les orientations nouvelles vers une plus grande autonomie fiscale des collectivités locales, et de l'innovation en termes de transfert de compétences, ne peuvent être déconnectées de la problématique de la péréquation, au risque d'accentuer l'émergence d'une France à deux vitesse.
Messieurs les ministres, je vous remercie de l'attention que vous porterez à ces objectifs, et de votre détermination à les atteindre.
Le dispositif que vous présentez comporte la première part de la réduction d'impôts promise par le Président de la République. Il répond à l'exigence d'une baisse de la pression fiscale.
Croyez bien que ce signe est ressenti par chacun de nous comme le signe non seulement du respect des engagements, mais aussi d'une orientation forte et légitime vers la société à laquelle nous aspirons, celle qui responsabilise et qui libère les forces du travail, et par là même les initiatives.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Charles Guené. J'ajouterai que nous sommes séduits par la limpidité des mécanismes, n'en déplaise aux adeptes des usines à gaz... Le fiscaliste que je suis a d'ailleurs du mal à comprendre que ceux qui apprécient la progressivité de l'impôt comme représentative de l'égalité dans l'effort ne puissent, à l'inverse, admettre une dégressivité découlant de la même logique mathématique, aussi simple soit elle !
Je vous dirai, ici, la satisfaction qui a été la nôtre lorsque nous avons constaté la lisibilité pour nos concitoyens de ces modalités, dont le choix et l'équité n'ont d'ailleurs pas été significativement contestés.
M. Gérard Delfau. Ça alors !
M. Charles Guené. Enfin, si vous me le permettez, monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur un problème pratique, pour lequel j'avais souhaité déposer un amendement que seule l'urgence du moment m'a conduit à retirer. Néanmoins, je me satisferais, comme de nombreux élus de notre pays, d'un engagement de votre part devant notre Haute Assemblée.
Il s'agit de la demande de report d'une nouvelle année encore, au moins, soit jusqu'au 1er juillet 2003, de la faculté d'instituer une redevance ou une taxe d'enlèvement des ordures ménagères par les syndicats compétents, et corrélativement par les communes membres qui en assurent le prélèvement et qui en seraient ipso facto privées aux termes du texte en vigueur.
Si les motivations profondes pour harmoniser les systèmes de collecte et de traitement sont parfaitement louables, elles se heurtent parfois à des problèmes techniques, notamment en zones rurales, et, surtout, elles se doublent d'une difficulté que le législateur n'a pas toujours parfaitement appréciée : l'unification des modalités financières de la redevance, qui sont complexes et varient d'un village à l'autre.
Pour des raisons techniques, on ne peut attendre l'examen du projet de loi de finances pour aborder le sujet. Comme vous le savez, les incidences budgétaires d'une telle disposition sont nulles. Aussi conviendrait-il, à cet égard, que vous preniez dès aujourd'hui l'engagement de modifier dans ce sens, pour une année au moins, le II de l'article 1639 A du code général des impôts, dans le cadre de modalités à intervenir, afin d'éviter des réactions explosives en chaîne dans nos campagnes durant l'année 2003, tant ce problème est sensible. Je vous remercie de l'attention que vous accordez à ce sujet, plus important qu'il n'y paraît à première vue. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Charles Guené. Cette digression, d'un intérêt budgétaire dont vous ne disconviendrez pas, étant faite, je souhaiterais, pour terminer mon propos, vous réitérer l'entier soutien de notre groupe, dans l'action d'envergure qui est la vôtre. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat est, vous le savez, une maison où règnent traditionnellement la convivialité, la courtoisie et aussi, bien souvent, une certaine stabilité s'agissant des acteurs. Les débats y sont sincères et de bonne tenue pour la raison simple que, à force de travailler ensemble, nous finissons par bien nous connaître et par nous apprécier les uns les autres, sans toutefois perdre de vue nos différences.
Aussi, la présence dans notre hémicycle de M. Alain Lambert au banc des ministres ne bouscule pas nos habitudes tant nous avions coutume de le voir à quelques places de celle qu'il occupe aujourd'hui. Je me souviens, cher Alain Lambert, de nos échanges cordiaux lors des discussions budgétaires depuis 1997, de nos fréquentes différences de points de vue, de vos diatribes répétées contre les dépenses, pour la baisse des charges et des impôts. Je me souviens aussi de votre humour, qui n'effaçait en rien votre détermination. Je m'étais ouvert à certains d'entre vous, en particulier à M. le rapporteur général, de la difficulté que vous auriez à tenir le même discours à la tête du ministère du budget. Or, force est de constater que le discours n'a pas varié.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Bernard Angels. Mais, au-delà des mots, monsieur le ministre, les responsables politiques, les ministres en particulier, sont avant tout jugés sur des actes. Que ne nous auriez-vous pas dit, cher Alain Lambert, si le gouvernement précédent avait engagé une augmentation de moitié de son déficit budgétaire et une hausse de ses dépenses supérieure à la progression autorisée sur trois ans !
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Bernard Angels. Que ne nous auriez-vous pas dit s'il avait volontairement aggravé les résultats économiques de notre pays...
M. Alain Vasselle. C'est vous qui avez laissé l'ardoise !
M. Hilaire Flandre. C'est de l'amnésie !
M. Bernard Angels. ... dans le seul but de constituer ce que, en d'autres temps, M. le rapporteur général et vous-même appeliez, sans ambages, une cagnotte ! Vous nous auriez probablement asséné l'un de vos fameux sermons, courtois mais sévère, et vous auriez sûrement eu raison.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Bernard Angels. Pourtant, derrière les annonces grandiloquentes et les chiffres de façade, c'est très exactement ce que vous avez fait à peine arrivé au Gouvernement. A force de gymnastique budgétaire, vous avez participé, vous le héraut de la rigueur et de la transparence, à une mystification dangereuse sur la situation réelle des comptes publics, et ce pour une simple raison : tenir les promesses intenables du candidat Chirac !
M. Alain Vasselle. Pourquoi intenables ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. A coeur vaillant, rien d'impossible !
M. Bernard Angels. Vos échanges de vues, largement relayés par la presse, avec M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, présent à vos côtés au banc des ministres, vos hésitations, vos revirements et vos dénégations successives traduisent bien votre malaise et vos difficultés à mettre en application une politique qui n'est pas la vôtre, avec une méthode qui n'est pas la vôtre, une politique et une méthode que vous condamniez voilà quelques mois encore ! (« Très bien ! » sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. N'exagérons rien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur Angels, je répondrai tout à l'heure !
M. Bernard Angels. Eh bien, cet Alain Lambert là nous manque : vertueux, courageux et sincère !
M. Emmanuel Hamel. Il l'est toujours !
M. Bernard Angels. Bon gré, mal gré, vous êtes embarqué sur cette galère bancale et vous participez à cette mascarade budgétaire. (Exclamations sur plusieurs travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Vous êtes mal placé pour dire cela !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez la mémoire courte !
M. Bernard Angels. Mes chers collègues, vous devez être surpris par la virulence de cette charge envers l'un de nos anciens collègues...
M. Hilaire Flandre. Venant de vous, cela ne nous étonne pas !
M. Bernard Angels. ... respecté et apprécié par tous, par moi en particulier.
M. Jean Chérioux. Cela se voit !
M. Bernard Angels. Nous sommes en démocratie, laissez-moi aller au bout de mon propos afin que je puisse vous convaincre de ma bonne foi, et donc de la mauvaise foi du Gouvernement.
M. Hilaire Flandre. Tâche redoutable !
M. Bernard Angels. Tout d'abord, vous nous avez gratifiés, avec effets de manches et dramatisation excessive, d'un audit, nécessaire selon vous, pour mesurer la situation réelle des finances publiques.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Un audit de prévision !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Ce n'était pas la première fois qu'un audit était effectué !
M. Bernard Angels. Cet audit est désormais rituel, chaque nouveau gouvernement cherchant à prendre la mesure précise de l'héritage que lui a laissé l'équipe précédente.
M. Gérard Braun. Ce n'est pas un héritage, c'est un passif !
M. Bernard Angels. Cette fois-ci, pourtant, outre le fait que le Président Chirac et vous-même, monsieur Lambert, en tant que président de la commission des finances du Sénat, receviez régulièrement les notes de conjoncture précises sur l'état des finances publiques, le calcul a pris un tour plus contestable qu'à l'accoutumée. Ainsi, le gouvernement auquel vous appartenez, a renoncé, de façon aussi soudaine qu'étonnante, à une créance de 1,2 milliard d'euros sur l'UNEDIC.
M. Alain Vasselle. Et le FOREC ?
M. Bernard Angels. Je ne mets pas en cause le fait que cette décision puisse se justifier au vu de la situation du régime d'assurance chômage,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah bon !
M. Bernard Angels. ... mais, vous l'admettrez, imputer cette moindre recette au gouvernement précédent...
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Bernard Angels. ... ne relève pas de la première honnêteté intellectuelle et comptable.
M. Jean Chérioux. Cela fait partie de la tuyauterie que vous avez mise en place !
M. Bernard Angels. Cette manipulation, qui, pour vous, présente l'insigne intérêt de dégrader artificiellement le solde de l'Etat sans affecter le solde des comptes publics, n'est pas digne de vous, monsieur le ministre délégué,...
M. Jean Chérioux. Oh !
M. Bernard Angels. ... pas plus que ne le sont l'inscription de 640 millions d'euros de moins-values au titre des dividendes de France Télécom,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce sont des dividendes fictifs !
M. Bernard Angels. ... la révision à la baisse des recettes non fiscales... ou la non-inscription des recettes du produit de la cession du réseau de transport du gaz.
De même, s'agissant du volet « dépenses , le gouvernement auquel vous appartenez a retenu du travail des auditeurs que les dépenses de l'Etat en 2002 pouvaient, en données brutes, enregistrer une dérive de 10 milliards d'euros et, en données nettes, de 7 milliards d'euros, compte tenu d'économies possibles pour un montant de 3 milliards d'euros. Ces chiffres peuvent légitimement susciter une certaine défiance. D'où viennent précisément ces 3 milliards d'euros ? Nul ne le sait ! De plus, n'aurait-il pas été possible, pour vous qui passez pour être des parangons de vertu de la dépense publique, de prévoir plus de 3 milliards d'euros d'économies ?
Vous admettrez, là encore, que ces chiffres prêtent à tout le moins à débat. Prête aussi à débat la rallonge de 900 millions d'euros pour la défense, alors qu'un montant de près d'un milliard d'euros était encore disponible.
Je passe même sur l'épisode des loyers de gendarmerie qui, dans le cadre actuel, fait presque figure d'anecdote.
Vous admettrez qu'il reste encore beaucoup de débats !
Le deuxième mouvement, nous le vivons aujourd'hui. Tout est là, dans ce collectif budgétaire que vous défendez aujourd'hui.
En apparence, certes, l'équilibre des comptes public est strictement conforme à ce que vous annonciez depuis l'audit.
Le déficit, comme prévu pourrait-on dire, est aggravé de près de 16 milliards d'euros, passant d'un peu plus de 30 milliards d'euros en loi de finances initiale à près de 46 milliards d'euros maintenant.
Il n'y a donc rien à redire sur la forme ! En apparence toutefois. En effet, ce calcul, messieurs les ministres, pèche par un singulier manque de sincérité.
Tout d'abord - vous l'avez admis publiquement à plusieurs reprises -, vous avez retenu les hypothèses les plus pessimistes de l'audit.
M. Jean Chérioux. C'est plus prudent !
M. Bernard Angels. Cette manoeuvre, un peu cavalière et tactique, a contribué à alourdir les chiffres présentés comme ceux de l'héritage socialiste et vous offre une petite chance d'obtenir encore une marge d'évolution supplémentaire en cas de reprise économique.
Cette petite manipulation n'est pas très originale. Mais admettons que, même si elle ne vous honore pas, elle est plus astucieuse que malveillante.
Admettons-le tranquillement, puisqu'il y a encore bien plus grave.
En effet, le Gouvernement, qui met ces 46 milliards d'euros de déficit sur le dos de la majorité précédente, a inscrit dans le projet de loi de finances rectificative sa mesure de baisse de l'impôt sur le revenu, qui dégrade le solde budgétaire à hauteur de 2,5 milliards d'euros.
Il ne faut pas trop charger la barque, messieurs les ministres ! Sont bien en cause vos promesses électorales et pas seulement nos réalisations.
En tout cas, nos réalisations, en matière d'impôts, ont été d'une tout autre ampleur et ont profité, elles, à l'ensemble de nos concitoyens.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela ne vous a pas profité à vous !
M. Bernard Angels. Enfin, ce collectif prend en compte, comme c'est toujours la règle dans ce genre d'exercice, des dépenses imprévues. Mais là, monsieur le ministre, vous avez innové, vous avez inventé un système magique !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je suis plus génial que je ne le pensais !
M. Bernard Angels. Pour la première fois depuis près de vingt ans, vous équilibrez votre budget comme par enchantement, et ce sans gager les ouvertures de crédits par des annulations correspondantes.
En effet, les seules annulations que l'on peut effectivement constater portent sur les 2,2 milliards d'euros inscrits à titre évaluatif sur le budget des charges communes et, plus particulièrement - j'attire votre attention sur ce point, mes chers collègues, vous les grands défenseurs des collectivités locales - sur les charges destinées à rembourser les collectivités locales.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Bernard Angels. Vous admettrez que la ficelle est un peu grosse !
En définitive, il ressort de ce collectif budgétaire, si lisse en apparence, que vous avez sans remords fait passer sur le coup du prétendu héritage socialiste vos propres promesses électorales ainsi que des mesures qui, pour la plupart, auraient dû figurer dans le traditionnel collectif budgétaire de fin d'année.
Le résultat est limpide : un déficit de 46 milliards d'euros ! Ah ! ces socialistes, quels piètres gestionnaires, nous, nous sommes les meilleurs !
M. Denis Badré. C'est vous qui le dites !
M. Jean Chérioux. Pour une fois, vous dites vrai !
M. Bernard Angels. Mais n'oubliez pas, messieurs les ministres, que ces 46 milliards d'euros englobent 1,81 milliard d'euros de dette sociale, 3,2 milliards d'euros de recettes non fiscales, 700 millions d'euros pour la charge de la dette, 800 millions d'euros pour la défense et 2,5 milliards d'euros de baisse d'impôt sur le revenu. Bref, un véritable inventaire à la Prévert,...
M. Hilaire Flandre. Le total n'y est pas !
M. Bernard Angels. ...poétique peut-être, mais quelque peu fantaisiste !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est le budget initial qui était fantaisiste !
M. Bernard Angels. Monsieur le rapporteur général, nous aurons l'occasion d'en débattre tout au long de l'année. Je pense que vous devriez faire preuve d'un peu plus de modestie. A votre place, je resterais un peu plus calme ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Vous pourriez déjà vous appliquer ce conseil à vous-même ! C'est incroyable !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais voyons, ce n'est pas moi qui m'exalte !
M. Bernard Angels. J'en viens au troisième mouvement, qui, à mon sens, éclaire de façon éclatante votre manière de procéder. Il concerne les lettres de cadrage pour le budget de 2003.
M. Hilaire Flandre. Le compte n'y est pas ; il ne doit pas être professeur de mathématiques !
M. Bernard Angels. Vous voulez m'interrompre, mon cher collègue ? Si vous voulez débattre, allons-y ! C'est facile de marmonner dans sa barbe ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, mon cher collègue.
M. Bernard Angels. Fidèle aux envolées sénatoriales qui ont été les vôtres et auxquelles je faisais allusion tout à l'heure, le Gouvernement a annoncé sa volonté de mener une politique budgétaire qui, contre vents et marées, serait marquée du sceau de la rigueur. Pourquoi pas ?
Ainsi, vous avez fixé à 0,2 % la norme d'évolution des dépenses de l'Etat. C'est un bon chiffre ! Oui, mais voilà, à y regarder de plus près - je remarque d'ailleurs qu'aucun membre de la majorité qui vous soutient ne l'a relevé, pas même M. le rapporteur général - on se rend compte que cette progression de 0,2 % en volume a été calculée sur le fondement des dépenses de 2002 rebasée, comme M. le ministre l'a dit ce matin. Je rends hommage à cet égard à votre franchise, monsieur Mer.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la transparence !
M. Bernard Angels. Cette progression a donc été calculée sur la base des dépenses de 2002 rebasée, c'est-à-dire en tenant compte de l'exécution.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Bernard Angels. Je n'apprendrai pas aux spécialistes budgétaires que vous êtes, messieurs - je parle même sous votre contrôle - que la convention budgétaire repose sur un tout autre calcul. Vous conviendrez, en effet, que la règle en la matière, lorsque l'on cherche à mesurer une évolution, consiste à comparer les lois de finances initiales entre elles.
Ainsi, la progression réelle des dépenses de l'Etat pour 2003 doit-elle se calculer en rapportant les crédits prévus pour l'exercice 2003 à ceux qui figuraient dans la loi de finances initiale de 2002.
Si l'on reprend le calcul tel qu'il aurait dû être réalisé, l'augmentation des dépenses de l'Etat n'est plus de 0,2 % - qui, apparemment est un bon chiffre ! - mais de près de 1,2 % !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est une base mensongère !
M. Bernard Angels. Même si elle est mensongère, monsieur Arthuis, faut-il poursuivre la dérive ? Mon cher ami Lambert vous dira que non !
M. le président. Monsieur Angels, ne vous laissez pas détourner de votre propos !
M. Bernard Angels. Et il n'est pas question ici, monsieur le président de la commission des finances, disais-je, que de dépenses pérennes non prévues ou de crédits à vocation sanitaire et sociale prétendument non financés.
Je rappelle simplement que, dans les programmations budgétaires pluriannuelles que la France est dans l'obligation de transmettre chaque année à la Commission européenne - Denis Badré l'a justement rappelé tout à l'heure - la norme d'évolution est d'ordinaire d'environ 1 % pour les dépenses sur trois ans, soit 0,3 % l'an en moyenne. Nous en sommes loin avec 1,2 % !
A ceux qui nous ont accusés de laisser dériver les dépenses depuis 1997, je rappelle les chiffres : 0 % en 1998, 1 % en 1999, 0 % en 2000, 0,3 % en 2001 et 0,5 % affiché en 2002.
En conclusion, je résumerai mon propos : le déficit va passer à 46 milliards d'euros en 2002, au lieu des 30 milliards prévus, et les dépenses vont progresser de 1,2 % en 2003 pendant que les recettes diminuent. Et tout cela, mes chers collègues, ce n'est pas seulement l'héritage des socialistes ou la faute de Bruxelles, quoi que vous puissiez affirmer de façon péremptoire ; c'est aussi - et avant tout - le résultat des promesses irréalistes et démagogiques émises par le candidat Chirac, voilà quelques semaines.
Messieurs les ministres, je terminerai mon propos par la citation d'un homme avisé : « Lorsque la situation est mauvaise, les gouvernements incriminent "l'héritage" et l'environnement international. Lorsqu'elle est bonne, ils en attribuent le mérite. »
M. Jean Chérioux. Cela a été le cas pour vous !
M. Bernard Angels. « Nos gouvernants seraient désormais mieux inspirés s'ils se laissaient gagner par l'humilité. »
M. Alain Lambert, ministre délégué. Pas mal ! (Sourires.)
M. Bernard Angels. Ces propos, empreints de responsabilité et de sagesse, vous en conviendrez, étaient tenus, en juin 1998, par un certain Alain Lambert, alors rapporteur général du budget au Sénat. Que ces paroles d'hier paraissent éloignées des réalités d'aujourd'hui ! Et pourtant, le banc des ministres n'est qu'à quelques mètres du banc de la commission, mon cher ami... (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous permettrez au rapporteur général des lois de financement de la sécurité sociale, tout du moins à celui qui en fait fonction même s'il n'en a pas le titre, de vous dire quelques mots sur un des sujets qui le préoccupe. C'est un sujet qui préoccupe également les membres de la commission des affaires sociales du Sénat, et je ne doute pas, d'ailleurs, qu'il vous touche tout autant, messieurs les ministres.
Le Gouvernement a déclaré, à juste titre, que ce projet de loi de finances rectificative visait à rétablir la sincérité des comptes publics. C'est à ce titre qu'il remettra à niveau, par exemple, les crédits du revenu minimum d'insertion, le RMI, de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, de la couverture maladie universelle, la CMU, etc.
L'occasion nous est donc fournie de permettre à l'Etat d'honorer, enfin, la dette qu'il a contractée, depuis l'année 2000, à l'égard de la sécurité sociale.
Afin de financer la lourde facture des 35 heures, le précédent gouvernement avait, en effet, décidé de « piller » les ressources de la sécurité sociale par l'intermédiaire du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC. Il faisait ainsi fi de ses propres engagements, selon lesquels les allégements de charges liés au 35 heures ne coûteraient pas un centime à la sécurité sociale. Il avait également décidé d'ignorer les dispositions de la loi Veil de juillet 1994, qui précise pourtant que toute exonération de charges sociales doit être intégralement compensée à la sécurité sociale par le budget de l'Etat. J'entends encore les propos tenus par Mme Aubry à cette tribune ou en commission.
Bien plus, les comptes du FOREC ayant été déficitaires en 2000, le précédent gouvernement a essayé d'annuler, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, la créance que la sécurité sociale détient sur l'Etat au titre de ce déficit. Mais le Conseil constitutionnel a déjoué cette manoeuvre et cette créance est désormais inscrite en provision dans les comptes 2001 des caisses et « pèse » sur leurs résultats.
Or, le 11 juillet dernier, la commission des comptes de la sécurité sociale nous a appris que le régime général serait déficitaire de 2,4 milliards d'euros en 2002.
Il ne vous a pas échappé, messieurs les ministres, que le montant de ce déficit correspond au montant de la dette de l'Etat à l'égard de la sécurité sociale. Autrement dit, s'il n'y avait pas eu ce prélèvement, les comptes de la sécurité sociale pour l'exercice 2002 seraient équilibrés.
Votre gouvernement a entrepris de remettre de l'ordre dans les finances de notre pays, n'en déplaise à notre collègue Bernard Angels et à d'autres collègues qui se sont exprimés avant lui. Il serait donc souhaitable et opportun que, à l'occasion de ce projet de loi de finances rectificative, l'Etat rembourse à la sécurité sociale ce qu'il lui doit depuis deux ans.
Cela confirmerait à l'opinion que le gouvernement actuel, contrairement au précédent, respecte et fait respecter les engagements pris par ce dernier pour le compte de l'Etat.
Cela redonnerait en outre confiance aux partenaires sociaux et favoriserait, à mon sens, la relance du paritarisme, préalable indispensable à la reprise du dialogue social que le Gouvernement appelle, à juste titre, de ses voeux.
Par ailleurs, la crédibilité des responsables politiques en serait renforcée aux yeux de nos concitoyens.
J'ajoute que cela contribuerait à la transparence et à la lisibilité des comptes de la sécurité sociale ainsi qu'à une clarification des domaines respectifs de la loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances.
Je rappelle au passage que cet exercice avait été engagé par M. Balladur lorsque, Premier ministre, il avait décidé de faire supporter à l'Etat, à travers le fonds de solidarité vieillesse, les dépenses dites de solidarité et de ne faire supporter à l'assurance que celles qui correspondent aux cotisations des assurés.
A quoi avons-nous assisté de 1997 à 2002 ? A une multiplication des fonds : au fonds de solidarité vieillesse, sont notamment venus s'ajouter le fonds pour l'allocation personnalisée d'autonomie, le fonds pour l'aide à domicile et le FOREC, que je viens d'évoquer. Cette multiplication des fonds a ôté toute lisibilité à la politique sociale et à la politique financière menées à l'échelon national. Les fonds en question ont fonctionné comme des vases communicants, reliés par une tuyauterie extrêmement compliquée : la véritable usine à gaz ainsi mise en place par le précédent gouvernement a maintes fois été dénoncée.
Il est donc urgent, aujourd'hui, d'apporter de la lisibilité dans les comptes et de la clarté dans la répartition des compétences. J'ai déposé un amendement en ce sens, qui est naturellement un amendement d'appel, vous l'aurez compris, messieurs les ministres.
Honorer la dette de l'Etat et rendre ses recettes à la sécurité sociale est une nécessité. Il faut en finir avec cette pratique qui fait de la loi de financement de la sécurité sociale une variable d'ajustement de la loi de finances. Mais il s'agit aussi de mettre la sécurité sociale face à ses responsabilités : à elle de prouver qu'elle est capable, sans faux-fuyants, de maîtriser ses dépenses.
J'approuve tout à fait les propos qu'a tenus ce matin notre collègue Jacques Oudin à ce sujet. Je le remercie d'ailleurs d'avoir eu l'amabilité de me laisser le soin de parler des comptes de la sécurité sociale, qu'il s'est contenté de survoler, alors qu'il fut lui-même pendant longtemps rapporteur pour avis de la loi de financement de la sécurité sociale, avant d'être remplacé par notre ami M. Joyandet, qui vient de rejoindre l'Assemblée nationale.
En tant que « rapporteur général » du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je puis indiquer que la préoccupation de la commission des affaires sociales est à la fois la maîtrise des dépenses et la garantie de justes recettes, de manière que l'équilibre des comptes de la sécurité sociale soit véritablement assuré. Alors, que l'on ne vienne pas nous accuser de ne nous soucier que des dépenses sans jamais penser aux recettes nécessaires à l'équilibre des comptes !
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Alain Vasselle. Je suis sûr, messieurs les ministres, que vous me rejoindrez sur ce dernier point, comme je vous rejoins lorsque vous faites preuve de prudence à l'égard des mesures, évoquées ici ou là, d'exonération de charges salariales, voire d'abattement sur la CSG, qui me paraissent de fausses bonnes idées.
Il me semblerait dangereux d'engager trop résolument la sécurité sociale sur un chemin que connaissent bien, hélas ! les collectivités locales : celui qui conduit à voir ses recettes remplacées progressivement par des « compensations de pertes de recettes ».
Il me semblerait également dangereux d'ouvrir sans réflexion approfondie le chantier des exonérations de cotisations salariales. Je rappelle que, en matière de cotisations salariales, il ne reste aujourd'hui que 0,75 % de cotisations maladie et 6,55 % de cotisations vieillesse. Quelles seraient les conséquences de leur suppression, ne serait-ce que pour les salaires les plus bas, sur la philosophie même de notre protection sociale ? Pourra-t-on parler encore de régime de retraite par répartition ou ira-t-on vers une forme étendue de minimum vieillesse ?
Il me semble enfin dangereux de toucher à la CSG par des abattements à la base. Cela conduirait à y introduire une forme de progressivité, technique qui convient peut-être à l'impôt mais qui est fort dangereuse pour un prélèvement social.
Si nous allons vers des financements sociaux progressifs doublés de prestations sous condition de ressources, nul doute qu'il y aura sécession d'une partie des assurés et que sera posée clairement la question de la privatisation de la sécurité sociale.
En ce domaine, vous avez donc raison, monsieur le ministre, de faire preuve de prudence. C'est pourquoi je ne doute pas de la réponse que vous m'apporterez en ce qui concerne le juste retour des recettes dont la sécurité sociale a été privée par l'intermédiaire du FOREC. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Serge Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous nous réjouissons que, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2002, le Gouvernement ait voulu donner un signe fort à nos armées.
En effet, les ouvertures au profit de la défense sont importantes puisque les crédits s'élèvent à 908 millions d'euros. Cela démontre que la défense est l'une des grandes priorités du nouveau gouvernement. Au sein du collectif budgétaire, elle constitue la deuxième rallonge après les dépenses sociales qui, elles, représentent 2,5 milliards d'euros.
Cet effort significatif est une première réponse aux problèmes les plus délicats que connaissent les armées, et que nous dénonçons depuis plus d'un an, à savoir les rémunérations et la disponibilité des matériels.
M. Christian de La Malène. Très bien !
M. Serge Vinçon. Sur ces 908 millions d'euros, 674 millions sont des crédits de rémunération.
Quelque 189 millions d'euros vont servir à financer les mesures de revalorisation de la condition militaire. Annoncées par Alain Richard le 28 février dernier, ces mesures, dont le montant s'élève à 433 millions d'euros pour 2002 et 2003, répondent au malaise des armées, malaise qui a été exacerbé par les mesures exceptionnelles décidées en décembre en réponse aux manifestations des gendarmes. Je précise que 105 millions d'euros sont nécessaires pour assurer la rémunération des personnels en 2002.
Le collectif permettra également de payer les dettes de l'Etat, parmi lesquelles le paiement des loyers des casernes de gendarmerie, qui s'élève à 68 millions d'euros.
Enfin, 100 millions d'euros permettront de financer des opérations d'entretien des matériels particulièrement sollicités par des opérations extérieures.
Depuis plusieurs années, ici même, nous insistons régulièrement sur l'importance de l'année 2002 dans la mesure où celle-ci clôt la programmation militaire 1997-2002. Le budget de la défense devait donc être suffisamment important pour que la réussite de la réforme engagée en 1996 par le Président de la République ne soit pas compromise. Il y allait de la crédibilité de notre défense, autant que du moral des personnels qui la composent.
A maintes reprises, nous nous sommes inquiétés des retards et des décalages intervenus dans l'exécution de la loi de programmation ; nous avons souvent déploré que les livraisons de plusieurs équipements modernes soient repoussées à des échéances lointaines, ce qui a imposé le maintien en service de matériels vieillissants et entraîné d'inutiles surcoûts.
Arguant qu'une armée professionnelle est d'une essence totalement différente de celle d'une armée de conscrits, nous avions demandé une redéfinition des rapports sociaux au sein des armées, entre les militaires et les civils. Partant du principe que ce qui était admissible pour une armée d'appelés ne l'est plus lorsque le soldat professionnel peut rompre son contrat, nous avions plaidé pour une amélioration des conditions de vie et de travail des militaires.
En outre, l'application des 35 heures ayant provoqué des transformations fondamentales, des compensations s'avéraient indispensables, et nous n'avions pas manqué de souligner que, dans une société qui accorde de plus en plus d'importance au temps libre, il était difficile d'exiger des militaires une disponibilité absolue sans reconnaissance de la part de la nation.
Qui, en effet, voudrait servir dans des forces mal équipées et peu disponibles ? Qui voudrait exercer le métier des armes sans pouvoir s'entraîner ? Ne l'oublions pas, la disponibilité des matériels modernes a une influence directe sur la capacité des armées à recruter, puis à fidéliser des volontaires de qualité.
Malheureusement, nous n'avons guère été entendus et, au cours des dernières années, les dépenses militaires ont été par trop considérées comme un gaspillage.
La crise des armées, qui a débuté à l'automne 2001, est à la fois humaine et matérielle. Elle a éclaté dans la gendarmerie, mais ce sont toutes les armes qui ont été touchées. L'amertume qui s'est fait ressentir est justifiée tant les hommes et les femmes qui composent nos armées ont eu le sentiment que leur budget était le parent pauvre, voire le laissé-pour-compte, du budget de l'Etat.
Ils se sont sentis d'autant plus négligés que le budget de la défense a souvent servi, en cours d'exercice, de variable d'ajustement du budget général. Ainsi, en cinq ans, le budget de la défense a subi une constante érosion d'une année sur l'autre ; le montant du budget initial a toujours été inférieur à celui qui était prévu dans la loi de programmation militaire, puis à la revue de programme, et encore plus faible en exécution.
Le budget de l'équipement a, quant à lui, baissé de façon alarmante. En analysant l'exécution de la loi de programmation depuis son début, nous savons aujourd'hui que les encoches successives correspondent, en six ans, à la perte d'une année du titre V. En effet, dans la loi de programmation initiale, les crédits des titres V et VI devaient s'élever à 90,3 milliards de francs. Quant à l'annuité fixée à l'issue de la revue de programme de 1998, elle était de 86,1 milliards de francs. Or nous avons pu constater que l'engagement du Gouvernement n'avait été tenu qu'en 1999. En 2000, les crédits d'équipement n'étaient que de 82,9 milliards de francs, accusant ainsi une baisse de 4,4 % par rapport à l'année précédente ; en 2001, ils ne s'élevaient qu'à 83,4 milliards de francs.
Force est donc de constater que, si la France a globalement atteint ses objectifs en matière d'effectifs humains, au prix de sacrifices considérables de la part des personnels de nos armées, il n'en va pas de même en ce qui concerne les moyens de les projeter. En effet, ces derniers, après une cure d'austérité drastique, sont nettement insuffisants. En conséquence, les matériels sont anciens, leur durée de vie prolongée chaque année et la mise à niveau extrêmement coûteuse.
La situation actuelle du parc d'hélicoptères de l'aviation légère de l'armée de terre, qui compte 409 appareils et regroupe 70 % des hélicoptères militaires, illustre parfaitement les difficultés engendrées par l'érosion des crédits d'équipement. Le vieillissement et le sur-emploi de ces appareils, extrêmement sollicités, les exigences draconiennes de sécurité, la réduction des crédits d'entretien et les difficultés d'organisation qui ont affecté la maintenance ont entraîné une chute du taux de disponibilité des matériels ainsi qu'un sous-entraînement notable des équipages.
La situation de l'entretien programmé des matériels est la plus critique. Depuis trop d'années, en effet, celui-ci pâtit d'une insuffisance criante de crédits. Si le taux de disponibilité des hélicoptères Gazelle est évalué à 40 %, celui des autres matériels des armées est de 63 % en moyenne, taux bien inférieur à ceux que connaissent nos partenaires européens. Ainsi, non seulement nos armées ne peuvent disposer des matériels dont elles ont besoin, mais elles ne peuvent même pas utiliser pleinement ceux dont elles disposent !
Messieurs les ministres, nous nous félicitons que le Gouvernement adresse un signe fort aux armées, démontrant ainsi qu'il a perçu le malaise existant et qu'il compte bien prendre en compte, autant que les finances le permettront, les mesures qui s'imposent.
Conscients que la première phase du processus d'accès au modèle 2015, la professionnalisation, a été menée à bien, vous savez qu'il convient dorénavant de consolider l'acquis et de doter les armées d'équipements modernes. Nous ne saurions insister suffisamment sur la nécessité, lors de la prochaine étape, à savoir le budget 2003, de voir pleinement prise en compte la remise en ordre de la chaîne d'entretien et de maintenance des matériels.
Nous savons d'ores et déjà qu'une nouvelle loi de programmation militaire, couvrant la période 2003-2008, sera soumise au Parlement avant la fin de l'année. Elle doit remplacer celle qu'avait adoptée le conseil des ministres en juillet 2001 et qui n'a jamais été discutée par les assemblées. Selon les propres termes du Président de la République, elle devra confirmer « l'objectif du modèle d'armée 2015 en l'actualisant pour prendre en compte les enseignements des conflits récents ».
Les experts s'accordent déjà pour dire que le modèle 2015 demeure globalement adapté. La priorité absolue reste, à notre sens, de combler les lacunes capacitaires déjà identifiées et sans doute d'avancer certains programmes, des retards trop importants ayant été pris.
Avant de terminer, messieurs les ministres, il me faut évoquer, en quelques mots, la réserve.
Les événements survenus en 2001 ont confirmé la nécessité d'une montée en puissance de la réserve opérationnelle devant apporter à l'armée active une contribution accrue pour les missions de sécurité et de protection du territoire. Là encore, nous avons constaté que les crédits affectés à ce chapitre avaient subi un décrochage important depuis trois ans par rapport à la loi de programmation, décrochage s'élevant à 22 millions d'euros en 2002 : 89 millions d'euros étaient prévus, 67 millions d'euros ont été attribués.
Bien évidemment, ces crédits n'ont pas permis un niveau d'entraînement suffisant et, nous l'avons déjà souligné, l'absence d'entraînement décourage et freine le recrutement. Aussi apparaît-il souhaitable que la réserve reçoive, elle aussi, une attention particulière dans la prochaine loi de programmation militaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs et chers anciens collègues, loin de moi l'idée de faire perdre son temps au Sénat. Je tiens cependant, monsieur le président, à vous remercier des mots d'accueil que vous avez bien voulu prononcer à mon endroit et vous assurer que ces mots m'ont beaucoup touché. Revenir pour la première fois au Sénat en séance publique depuis mon entrée au Gouvernement est pour moi un moment d'émotion. Je n'oublie pas que c'est le Sénat - c'est-à-dire vous, chers anciens collègues, ainsi que le corps des administrateurs du Sénat et l'ensemble des personnels qui composent cette maison - qui m'a appris ce que je sais du budget et des comptes publics. Que chacun, du plus humble au titulaire du grade le plus élevé, trouve personnellement, en cet instant, l'expression sincère et chaleureuse de ma reconnaissance et de ma gratitude.
J'ai rapidement mesuré les difficultés qu'il y avait à traduire la rigueur de mes propres exigences dans des contraintes nouvelles ; mais je puise ma détermination et ma foi intérieure à la source du Sénat, à l'enseignement que j'ai reçu dans cette maison, et je reste convaincu que l'Histoire se nourrit non pas de l'écume médiatique des jours mais des oeuvres collectives, de celles que nous réalisons ensemble dans le plus large consensus et dans le respect des uns et des autres.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je m'efforcerai de répondre aux questions, nombreuses, qui m'ont été posées. M. Mer, comme nous en sommes convenus, traitera des questions macro-économiques, de celles qui concernent le pacte de stabilité et, éventuellement, des questions plus spécifiquement militaires qui ont été posées par M. Vinçon : c'est un sujet qu'il connaît bien.
Monsieur le rapporteur général, en lisant votre rapport hier et en vous écoutant tout à l'heure, j'ai pu mesurer la qualité du travail effectué par le Sénat. A la lecture du document fouillé que vous avez rédigé, j'ai découvert certains aspects de la politique qui a été menée dans notre pays. Cela me sera très utile pour conduire les actions qui m'ont été confiées.
Monsieur le rapporteur général, cela ne vous surprendra pas, je vous rejoins totalement dans le constat objectif que vous avez dressé dans votre rapport. Oui, la dépense a été très mal contrôlée par le précédent gouvernement, et je souhaite que mes collègues de l'opposition ne m'en veuillent pas de le dire tant c'est évident.
Ce contrôle insuffisant implique, en premier lieu, des conséquences immédiates, dont il est tenu compte dans le collectif qui vous est proposé. Il s'agit de prendre acte d'un dérapage d'une ampleur quasi historique, il faut le souligner. Mais là n'est peut-être pas le plus grave : l'insuffisant contrôle pour le plus long terme est plus préoccupant. Rappelons que, si l'Etat n'avait pas imposé la réduction autoritaire du temps de travail, s'il n'avait pas eu une politique de création importante d'emplois publics, s'il ne s'était pas lancé massivement dans une politique de création d'emplois-jeunes dont il n'avait pas prévu l'issue, nos déficits publics seraient aujourd'hui divisés par deux.
Cette pente sera longue à remonter. Le Gouvernement s'y attelle avec énergie, avec courage, et ce collectif budgétaire en porte témoignage. En effet, nous n'avons pas souhaité y traduire toutes nos priorités, pour ne pas aggraver le déficit. Au contraire, nous avons souhaité attendre le projet de loi de finances pour 2003 pour opérer les redéploiements nécessaires pour absorber le choc des dépenses non financées et pour allouer des moyens nouveaux à nos priorités.
Vous avez regretté, monsieur le rapporteur général, que le collectif ne soit pas accompagné d'annulations de crédits. Dans les délais qui étaient les nôtres - et j'ai pu découvrir ce que représentait l'exercice budgétaire de l'autre côté du miroir (Sourires) -, nous n'avons pas souhaité prendre de décisions trop hâtives sur les dépenses : nous avons choisi la solution de mise en réserve de crédits - comme M. Francis Mer le disait dans son propos introductif - dans l'attente du collectif d'automne, ce qui aura exactement les mêmes conséquences sur la dépense.
Ces mesures sont en cours de finalisation ; elles vous seront communiquées, je m'y engage, car c'est mon premier devoir : combien de fois me suis-je plaint qu'elles ne le soient pas ! Je pense que ces mesures répondront à vos attentes, et je veillerai personnellement à ce que la concertation entre la commission des finances du Sénat, vous-même, monsieur le rapporteur général, et le président de la commission soit la plus interactive possible. C'est un exercice qui commande, en effet, que nous puissions débattre.
Vous avez eu une belle formule, monsieur le rapporteur général : « La facilité d'aujourd'hui détruit les marges de manoeuvre de demain. » Il faut méditer cette formule !
Au total, notre déficit est aujourd'hui supérieur aux charges de la dette. Nous sommes en déficit primaire, nous empruntons pour payer les intérêts de nos emprunts - quand je dis nous, c'est la France, mais, mes chers amis, c'est tout de même le résultat d'une politique qui a été menée au cours des cinq années qui viennent de s'écouler et ce n'est ni raisonnable ni soutenable !
Vous avez, en conclusion, monsieur le rapporteur général, posé une question difficile au sujet de la décentralisation. Sur ce point, M. le Premier ministre a défini une méthode, qui consiste à réviser d'abord la Constitution afin de clarifier le processus de transferts de compétences à venir avant de le mettre en oeuvre ensuite. Bien évidemment, en la matière, notre intention est non pas d'opérer des transferts de charges qui ne seraient pas compensés, mais de confier aux collectivités locales des compétences qu'elles sont mieux à même que l'Etat d'exercer dans l'intérêt de nos compatriotes. Tel est l'esprit de cette étape de décentralisation que M. le Premier ministre veut imprimer à son mandat.
Nous serons à vos côtés pour débattre des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales et je sais par avance que, si ma vigilance d'ancien sénateur était surprise, je pourrais compter sur vous pour me rappeler à mes devoirs.
Vous avez, monsieur le rapporteur général, posé des questions relatives à la croissance, auxquelles M. Mer répondra tout à l'heure.
Avec le président de la commission, vous avez évoqué l'hypothèse d'une révision du pacte de stabilité. Sur ce sujet aussi, M. Mer vous apportera des réponses qui tiendront compte de l'évolution de nos partenariats avec les pays de l'Union européenne.
S'agissant de la question délicate - mais que je ne veux pas esquiver - du remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, le Gouvernement écoute le message du Parlement en la matière. Parce qu'il représente le peuple français, il est important que le Parlement s'exprime sur ce sujet, en n'oubliant jamais que les fonctionnaires sont non pas la variable d'ajustement budgétaire de l'Etat, mais sa ressource humaine. Les fonctionnaires ont besoin d'être enthousiasmés, ce qui suppose qu'une partie de ces postes non remplacés leur soit réservée pour réhabiliter les conditions d'exercice de leurs belles fonctions. Il y a beaucoup à faire en ce domaine !
J'en viens à l'intervention de M. le président de la commission des finances.
Je ne résiste pas à l'envie de lui exprimer le plaisir que j'ai à le voir siéger sur le banc, puisque j'ai eu l'honneur de le remplacer dans la fonction de rapporteur général lorsqu'il était lui-même au Gouvernement. Voilà qui nous permet de nous exprimer avec le sens élevé de nos responsabilités qui est le nôtre.
Vous avez exprimé, en des mots chaleureux, votre confiance en la coopération qui va s'instaurer entre nous.
Vous avez mis l'accent sur la mise en oeuvre de la loi organique, à l'élaboration de laquelle le Sénat, au côté de l'Assemblée nationale, a beaucoup travaillé.
Vous avez aussi parlé de la sincérité et de la vérité des comptes. Comme vous, je n'hésite pas à dire que c'est ce qu'attendent les Français, car ils sont devenus totalement indifférents aux annonces : je crains même qu'ils ne s'en méfient un peu aujourd'hui ! Entamons dans la transparence le dialogue avec nos compatriotes ; c'est le plus sûr moyen de conserver leur confiance, de les convaincre des grands enjeux de l'avenir de notre pays et d'obtenir leur soutien pour prendre les décisions qui s'imposent.
S'agissant des prélèvements sur certains organismes, vous avez appelé à la concertation préalable. Dès que j'ai été en mesure de le faire, je suis entré en contact avec les responsables de ces organismes pour essayer de dégager une solution nous permettant de sortir de la situation actuelle.
Vous l'avez rappelé, la loi organique nous invite à solder les comptes relatifs aux produits encaissés au titre des taxes parafiscales, mais cela doit se faire dans la transparence et dans l'équité.
Monsieur le président de la commission, vous avez conclu votre intervention par une phrase qui devrait être connue par chaque Français, voire par chaque ministre : « Un bon budget n'est pas obligatoirement un budget qui augmente. » Comme je le disais à Francis Mer, j'ai une grande confiance dans le Sénat pour nous aider à mettre sous tension la dépense publique, d'autant que c'est le seul moyen pour retrouver un certain équilibre de nos finances publiques. Nous sommes heureux, monsieur Arthuis, de vous savoir à nos côtés pour résoudre cet important problème.
J'en arrive à l'intervention de M. de Montesquiou, qui a utilisé des mots très forts puisqu'il a parlé d'un nécessaire sursaut national tout en soulignant la répartition inégale des impôts. Vous avez eu raison, monsieur de Montesquiou, de souligner que la situation, aujourd'hui, n'est pas satisfaisante et que l'impôt, qui augmente continuellement depuis de nombreuses années, est particulièrement inégalement réparti.
Vous dénoncez le poids des prélèvements, mais vous soulignez également leur complexité, leur enchevêtrement. Sous votre contrôle - vous connaissez bien le milieu de l'entreprise -, je dirai qu'il y a urgence à inverser cette tendance et à en finir avec cette complexité juridique et fiscale qui donne mauvaise réputation à notre pays. J'y reviendrai d'ailleurs dans un instant en réponse à M. Denis Badré.
Vous attendez que le Gouvernement rende à la France sa compétitivité : c'est la politique que nous nous engageons, devant vous, à mener.
Vous avez terminé votre propos par une sorte de devise olympique : « Plus vite, plus haut, plus fort. » Faire de notre pays un pays champion en économie, tel est, en effet, notre projet car nous ne pouvons pas admettre que sa seule ambition soit de participer.
Je m'adresserai maintenant à M. Jacques Oudin. Je tiens en particulier à le remercier d'avoir accepté d'exercer les fonctions qui étaient les miennes précédemment, d'avoir, si j'ose dire, « assuré l'intérim ». Tous mes anciens collègues sénateurs m'ont dit à quel point il avait été efficace.
Dans votre intervention, monsieur Oudin, vous avez souligné - ce qui montre votre bonne connaissance des finances publiques - l'importance de la loi organique comme préalable à la réforme de l'Etat. Vous avez eu mille fois raison de le faire.
Vous avez souligné la mauvaise utilisation qui avait été faite des marges de manoeuvre importantes engendrées par la croissance. Vous avez dit, à juste titre, qu'il faudrait que nous regardions de près la loi de règlement pour 2001. Ce texte, qui vous sera soumis à l'automne prochain, sera le révélateur de la gestion antérieure.
Les déficits publics ont recommencé à s'accroître, l'excédent primaire s'est dégradé, comme je le disais il y a un instant. Mais les difficultés qui sont les nôtres aujourd'hui étaient en gestation depuis longtemps. Ce n'est pas simplement le retournement conjoncturel qui nous y conduit ; elles trouvent leur source dans le recyclage des marges de la croissance, dans une politique de dépenses mal maîtrisée dont le présent collectif est, hélas ! la traduction.
S'agissant des dépenses auxquelles les conseils généraux ont à faire face, vous avez cité l'exemple de l'APA. Il est indéniable que des corrections s'imposent pour que ce dispositif n'entraîne pas une dérive des finances départementales. Une telle dérive serait dommageable pour une catégorie de collectivités locales qui a précisément su montrer sa capacité à maîtriser les dépenses.
Une réforme doit être engagée. Des pistes existent, mais je fais confiance au Parlement et, singulièrement, au Sénat pour les explorer. Le Gouvernement pourrait examiner avec bienveillance une initiative parlementaire tendant à mieux maîtriser les coûts.
Vous avez souhaité, monsieur Oudin, que le Gouvernement épargne les crédits d'investissement. Vous comprendrez que je reste prudent dans mes engagements. J'ai l'intention de les tenir.
Une politique de maîtrise des coûts qui intervient en milieu d'année ne peut plus opérer que sur les dépenses qui sont qualifiées de flexibles. On en distingue, vous le savez, trois catégories : le fonctionnement courant, les interventions et l'investissement.
Je peux affirmer que l'effort sera équitablement réparti entre ces trois principaux postes. Les dépenses d'investissement ne seront pas les seules concernées tant nous savons, Francis Mer et moi, ainsi, bien sûr, que le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, à quel point l'avenir se joue dans les investissements.
J'en viens à l'intervention de M. Denis Badré.
J'ai eu le sentiment qu'il souhaitait - je parle sous son contrôle - nous rassurer pour le cas où nous aurions eu des doutes sur l'opportunité d'avoir décidé de proposer au Parlement une baisse de l'impôt sur le revenu, qu'il a qualifiée de « mesure phare ». Il a annoncé que c'était là une volonté qu'il fallait affirmer d'une manière claire et nette et qu'il s'agissait d'une rupture franche avec les hausses violentes pratiquées depuis cinq années. Il soutient donc cet objectif. D'ailleurs, dans son rapport, M. Marini fait état d'éléments très intéressants sur l'évolution de l'impôt sur le revenu. Au cours des dernières années, les hausses ont été considérables.
Vous avez encore fait le lien, monsieur Badré, entre la baisse de l'impôt sur le revenu et l'attractivité de notre territoire, dont vous êtes devenu le spécialiste avec M. André Ferrand. Cette question est un enjeu pour l'avenir de la France. Vous avez raison de dire que cette baisse favorisera l'attractivité de notre pays.
Vous souhaitez que soit organisé un débat sur l'évolution des prélèvements obligatoires. J'ai noté votre soutien actif à la maîtrise des dépenses qui, seule, assurera la pérennité des baisses des prélèvements obligatoires. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour que ce débat ait lieu avec vous à ce sujet.
M. Thierry Foucaud nous a dit le peu de bien qu'il pense de la réduction de 5 % de l'impôt sur le revenu. Cela ne m'a pas étonné, mais je le remercie du clin d'oeil, pour reprendre son expression, qu'il m'a adressé et qui m'a touché. Cela montre que, dans cette assemblée, nous savons vivre la démocratie d'une manière tout à fait exemplaire. Il estime que cette mesure profite aux contribuables qui ont les revenus les plus élevés.
Pour faire le lien avec ce que je disais tout à l'heure à Denis Badré, cela peut profiter aussi aux contribuables qui favorisent le développement économique et l'emploi dans notre pays.
Cher ami Thierry Foucaud, c'est capital pour l'avenir du pays. Rien ne serait pire que de faire fuir tous ceux qui créent le développement dans notre pays. C'est faire oeuvre de justice que d'attirer ou de faire revenir sur le territoire français ceux qui en sont issus, qui ont bénéficié de la formation de qualité délivrée dans notre pays, et qui peuvent participer à son développement.
Vous avez indiqué que cette diminution portait atteinte à la progressivité de l'impôt. Ce n'est pas le cas du tout. Cette mesure est tout à fait sans effet de ce point de vue.
Je sais que l'on ne pourra pas réconcilier nos positions. Mais je veux vous assurer que l'un des défis est aujourd'hui de faire en sorte que chaque Français puisse trouver un emploi, puisque nous avons fait le choix de soutenir le travail. Il nous semble en effet que cette solution est plus prometteuse que l'assistance. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je voudrais maintenant remercier M. Gérard Miquel, qui est désormais vice-président de la commission des finances, des mots qu'il a prononcés sur notre capacité à vivre nos différences dans une démocratie apaisée et respectueuse qui n'exclut pas l'amitié.
Il m'attribue l'intention de noircir le bilan du gouvernement précédent. Ce bilan, les Français l'ont jugé. La question est désormais tranchée et je m'incline devant le jugement des Français !
Le collectif, cher Gérard Miquel, n'a pas fait autre chose que de traduire les résultats de l'audit. Pour apurer le passé, le Gouvernement a choisi l'évaluation précise des comptes publics. Le débat budgétaire n'a rien à gagner à des documents insincères, j'en suis tout à fait d'accord. Dire la vérité sur les comptes est un préalable, à nos yeux, pour remédier à une situation très dégradée, issue incontestablement de la gestion antérieure et minée par une dérive totalement incontrôlée des dépenses, par une contraction des investissements et par l'explosion des déficits et de la dette.
Le déficit constaté aboutit à considérer que les fruits de la remarquable croissance enregistrée sur les cinq dernières années ont été malheureusement quelque peu gaspillés.
Monsieur Miquel, vous avez posé une question très importante et dont je mesure combien elle vous tient à coeur s'agissant du report du délai pour les mesures relatives aux ordures ménagères.
M. Michel Charasse. C'est une question très importante !
M. Alain Lambert ministre délégué. Je réitère, devant le Sénat, l'engagement exprès que j'ai pris devant l'Assemblée nationale afin que les difficultés que vous avez soulignées ne se produisent pas. Vous pouvez compter sur la parole du Gouvernement en la matière.
M. Charles Guené a d'ailleurs posé la même question. J'espère qu'il trouve satisfaction dans cette réaffirmation, puisque je réitère un engagement que j'ai pris.
Il a aussi manifesté son soutien au Gouvernement face aux défis que nous avons à relever. Il a souligné la nécessité de la solidarité entre les générations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains anciens collègues se sont inquiétés de savoir si je saurai rester fidèle à mes convictions. Permettez-moi de vous dire que c'est le cas : s'il est une conviction qui m'a toujours guidé dans l'action publique, c'est celle de la nécessaire solidarité entre les générations.
J'ai toujours été préoccupé de voir qu'une génération pouvait compromettre l'avenir des générations futures sans que ces dernières soient en situation de se défendre. Sans aucun doute, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est l'honneur et la dignité la plus haute de l'homme politique et de son oeuvre que de prendre en compte, dans chacune de ses décisions, le souci des générations qui ne peuvent pas s'exprimer.
Lorsque nous aurons, les uns et les autres, cette détermination à prendre en compte l'intérêt des générations futures, nous serons à même de dominer les pressions du présent, afin que l'histoire ne soit pas trop cruelle avec nous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Bernard Angels s'est exprimé dans une intervention qui m'a parue contrastée, mais d'une grande sincérité. Son discours était fait de respect et de critiques, d'affection - j'espère qu'il me permettra d'employer ce mot - et, en même temps, d'indignation.
Il me propose d'être jugé sur mes actes. Soit ! Mesdames, messieurs les sénateurs, c'en est fini de la politique d'affichage ! C'était le xxe siècle. Nous sommes au xxie siècle, il nous faut entrer dans l'ère de la politique des résultats.
Nos compatriotes ne sont plus du tout impressionnés par les effets d'affichage, ils attendent que nous puissions leur montrer des résultats. Sachez donc, monsieur Angels, qu'être jugé sur mes actes et sur les résultats, c'est le plus grand honneur que l'on pourra me faire.
Oui, il faut passer à des pratiques budgétaires exigeantes. Il faut donc passer des pratiques budgétaires en affichage à des pratiques budgétaires en résultat.
A cet égard, je voudrais, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, que nous donnions à la loi de règlement la valeur qui est la sienne, que l'on relativise les présentations budgétaires initiales faites parfois d'enthousiasme, mais peut-être pas toujours de réalisme, pour que ce soit sur les résultats que nous puissions juger la politique menée.
Je voudrais également dire à M. Angels, qui a craint la mystification - entre nous, c'est d'ailleurs me prêter des qualités que je n'ai pas, mais je vois là une marque de l'amitié qu'il me porte ! - que tenir les promesses électorales quand il s'agit d'une baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu, ce qui représente, en regard de l'ensemble des dépenses publiques 1 % de celles-ci, ce n'est pas le plus difficile à réaliser.
Vous avez craint que je ne sois dans une situation de malaise pour conduire une politique qui ne serait pas la mienne. Or je veux vous dire que tant Francis Mer que moi-même sommes déterminés à faire entendre nos préoccupations concernant des finances saines, qui sont le plus sûr moyen de mener la politique qui a été voulue par le Président de la République et approuvée par les Français.
Sans marges de manoeuvre, on ne conduit pas sa politique ; avec des marges de manoeuvre, on conduit sa politique. Et je suis sûr que c'est précisément après un assainissement de nos finances publiques que nous serons les mieux à l'aise pour mener notre politique.
Vous m'avez, par ailleurs, invité à être vertueux, courageux et sincère. J'essaierai de l'être.
M. Michel Charasse. Chez vous, c'est naturel !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je veux simplement vous dire qu'il n'y a pas dans la présentation de ce collectif de mascarade budgétaire, pour reprendre votre expression.
Il y a eu la prise en compte des dépenses qui sont déjà engagées ; il y a eu la prise en compte d'une situation, qui est aussi objective que possible, mais, encore une fois, je vous donne rendez-vous au collectif de fin d'année, et, encore mieux, à la loi de règlement, pour faire la part de ce qui relève de notre gestion et de ce qui relève de la gestion précédente.
M. Angels a posé deux questions.
S'agissant de l'UNEDIC, je voudrais lui dire que les dispositions prises sont neutres, parce que, si l'Etat n'y avait pas renoncé, ce sont les organismes de sécurité sociale qui auraient vu leurs comptes dégradés à due concurrence. Au regard des comptes publics dont Francis Mer est garant, cela n'aurait pas changé.
S'agissant de France Télécom, je vous rappelle que c'est le précédent gouvernement qui a accepté le paiement des dividendes en actions. Francis Mer pourra vous le confirmer, si vous le souhaitez.
J'en viens aux question évoquées par M. Alain Vasselle qui appelle au remboursement de l'Etat à la sécurité sociale.
Sachez, mon cher collègue, que cela aggraverait encore le déficit de l'Etat et je serais accusé par M. Angels d'en rajouter !
Vous avez toutefois raison de dire que la clarification des comptes entre l'Etat et la sécurité sociale au sein de l'ensemble des comptes publics est urgente.
En lisant l'audit, j'ai compris que les auditeurs, eux-mêmes, avaient vu à quel point toutes ces questions s'étaient dégradées en cinq années. Ils ont découvert le nombre de « tuyauteries » invraisemblables qui ont été posées. Au point que je me suis demandé si ce n'était pas dans les écoles de plomberie qu'il fallait désormais former les fonctionnaires plutôt qu'à l'ENA !
M. Jean-Pierre Masseret. C'est la même chose ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. En effet, les comptes sociaux font l'objet de montages tout à fait incompréhensibles.
La clarification des comptes, vous l'imaginez bien, sera une oeuvre de longue haleine, mais nous disposons de cinq ans pour y parvenir au fil des années. Il faut impérativement, vous l'avez dit, responsabiliser les différents acteurs. C'est une nécessité absolue car, sans responsabilité, il n'y aura pas de maîtrise de la dépense.
S'agissant de la baisse des charges, vous nous invitez, monsieur Vasselle, à nous méfier des fausses bonnes idées. Soyez assuré que les positions que j'ai prises sur le sujet continuent de m'habiter. Nous devons travailler en étroite concertation avec François Fillon, dont c'est la responsabilité, et faire très attention aux mesures que nous allons prendre. Je parle ici sous le contrôle de la commission des finances, qui a étudié l'efficacité d'une baisse des prélèvements obligatoires ; vous l'avez rappelé dans votre rapport, monsieur Marini. Il faut effectivement travailler dans le sens d'un « mixte » - pardonnez-moi ce terme qui n'est pas bien choisi - entre une baisse de l'impôt sur le revenu et une baisse des charges. Le Sénat dispose de tous les éléments pour ce faire.
J'en viens à l'intervention de Serge Vinçon, qui, comme à son habitude, s'est posé en grand défenseur de nos armées. Il a constaté - ce qui m'a fait plaisir - qu'un signe fort leur avait été adressé. Il a signalé la nécessité de ne plus afficher, comme par le passé, un écart aussi important entre les objectifs de la loi de programmation et les réalisations effectives. Nous devons y réfléchir ; M. Francis Mer vous en dira un mot, puisqu'il connaît bien ce domaine. Essayons - telle est bien la volonté du Gouvernement - d'inscrire dans les lois de programmation, et d'ailleurs, dans les lois de finances initiales, ce que nous savons pouvoir réaliser. Il y va de la crédibilité de nos engagements !
Quel est le message que nous avons souhaité vous délivrer, mesdames, messieurs les sénateurs et cher ami Serge Vinçon ? C'est une ouverture de crédits sur le titre V, au profit de l'entretien des matériels, ce que - sauf erreur de ma part - le précédent gouvernement n'avait jamais fait. Vous pouvez donc déjà constater un changement à l'occasion du premier texte financier qui vous est soumis.
J'ai failli oublier M. Gérard Delfau. N'y voyez pas malice ! Il m'a semblé que vous partagiez sur un certain nombre de sujets le point de vue de Gérard Miquel, à qui j'ai indiqué qu'il n'y avait pas, dans notre présentation budgétaire, le moindre souci de maquiller la réalité. La réalité est ce qu'elle est ; l'audit le révèle. Je ne peux pas imaginer que vous contestiez aujourd'hui la qualité du travail accompli par MM. Nasse et Bonnet, puisque ce sont les mêmes personnes que vous aviez choisies à l'occasion de la précédente alternance. Leurs conclusions n'avaient d'ailleurs pas été mises en doute par l'opposition d'alors.
S'agissant des questions que vous avez posées au sujet des ordures ménagères, je réitère l'engagement que j'ai pris devant l'Assemblée nationale.
M. Michel Charasse. Problème urgent !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Effectivement, et il sera réglé, monsieur Charasse.
J'en ai terminé avec les réponses rapides que je voulais apporter à l'ensemble de mes anciens collègues, étant entendu que je vous donnerai davantage d'informations à l'occasion de l'examen des articles.
En guise de conclusion de cette belle discussion générale, qui m'a rappelé de si bons et beaux moments, je voudrais vous assurer que le Gouvernement - comme M. Philippe Marini nous y a d'ailleurs invités - ne se laissera pas intimider par les obstacles. Pour que vous ayez une idée du sentiment qui m'habite, quelques semaines après vous avoir quittés, j'utiliserai une métaphore.
Le Gouvernement pourrait concevoir sa tâche comme étant celle de l'équipage d'un immense navire qui n'ignore rien des tempêtes, des écueils, des vicissitudes qui jalonnent une traversée, mais qui, dans une totale solidarité avec la majorité qui le soutient, s'appliquera à mener le bateau au port dans les meilleures conditions possibles, en n'oubliant jamais que l'enjeu est non pas l'avenir de l'équipage, mais celui de tous les passagers qui sont sur le pont, c'est-à-dire des 60 millions de Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'ai pas le professionnalisme de M. Alain Lambert,...
M. Emmanuel Hamel. Vous avez d'autres talents !
M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais je répondrai aux questions qui m'ont été posées en tentant de vous faire partager un certain nombre de mes convictions.
La croissance, nous en sommes tous convaincus, ce sont les Français qui la font et le devoir d'un gouvernement, quelles que soient ses convictions, est de créer les meilleures conditions possibles pour que les Français aient envie de travailler, de profiter de leurs efforts et de continuer à investir. Ce sont donc eux qui construisent le devenir de notre pays. Ce n'est pas nous, même s'il nous appartient de faire en sorte qu'il en soit ainsi.
Lorsque l'on remonte quelques années en arrière, on découvre par exemple que, même si les taux d'intérêt sont actuellement particulièrement bas, la charge de la dette a - vous en conviendrez - doublé au cours des douze dernières années alors que la croissance du PIB est loin d'avoir doublé !
Comme l'a rappelé M. Alain Lambert, nous avons donc déjà commencé à charger la barque des générations futures.
Si l'on considère aussi que, au cours des sept dernières années, la dette de l'Etat français a augmenté de 50 %, passant de 500 milliards d'euros à 750 milliards d'euros, on se dit qu'il serait temps de regarder les choses en face et de penser aux générations futures. Je me permets de rappeler ces chiffres simples, et j'en profite pour en avancer un troisième dont on ne parle jamais, même lorsque l'on aborde le déficit, c'est celui des comptes de la ménagère.
L'Etat français - je ne parle pas de la sécurité sociale - a un décifit courant annuel - exploitation plus investissement - de 20 %, c'est-à-dire que nous nous comportons collectivement comme une famille qui, année après année, dépense 20 % de plus qu'elle ne gagne, en se disant qu'après tout il suffit d'emprunter pour continuer à vivre sur ce pied.
Telle est la situation que, dans notre pays - je ne cherche pas à en rendre quiconque responsable -, nous avons à affronter et à gérer pour préparer des lendemains qui ne déchanteront pas. M. Lambert a bien employé le beau mot « enchantement ». Essayons de ne pas prendre le contre-pied, afin que nous ne déchantions pas un jour et que nos enfants et petits-enfants ne nous accusent pas d'avoir été irresponsables à leur égard !
Comment faire ? Il nous faut simplement redonner confiance aux Français en leur montrant, avec beaucoup de pédagogie, que l'avenir leur appartient et que ce n'est pas la collectivité qui est le principal responsable de leur avenir ; ce sont eux, même si la collectivité doit les aider à prendre en main le mieux possible leur vie et, bien sûr, s'occuper de ceux qui sont moins doués que d'autres ou qui, par les hasards de la vie, ont besoin que l'on pense à eux. Nous avons toujours agi ainsi et continuerons en ce sens, quelles que soient les convictions « politiques » qui nous animent les uns et les autres.
Les éléments de croissance vont naître dorénavant d'un acte psychologique qui consiste à dire aux Français que ce sont eux qui agissent, et que l'Etat les aide. Pour les aider à en prendre conscience, cet acte psychologique, quelle qu'en soit l'importance du point de vue d'une relance éventuelle de la consommation, consiste à dire : « Même si, aujourd'hui, je suis en déficit, j'accepte volontairement d'augmenter de 2,5 milliards mon déficit collectif pour vous montrer, à vous, acteurs économiques, que c'est vous qui allez rebâtir notre pays et que nous avons compris le message que vous nous envoyez, aux termes duquel vous voulez garder pour vous ce que vous gagnez plutôt que de penser uniquement aux autres. » En prenant cette décision, nous prenons une décision psychologique. C'est ma définition aussi de la politique.
Nous sommes dans un monde qui doit raisonner en dynamique et le fait d'augmenter certains déficits pour relancer la machine fait partie de cette approche dynamique. Nous sommes dans un monde qui doit comprendre que ce n'est pas la version comptable qui compte, c'est la version psychologique !
Jamais, à aucun moment de l'histoire économique, non seulement de notre pays, mais aussi du monde entier - et vous le constatez à la lecture des journaux et au déroulement de la crise boursière - le système économique n'a autant dépendu de l'aspect psychologique des choses, c'est-à-dire de la confiance ou de la défiance.
Pour aider notre pays à sortir d'une évolution dangereuse, la solution consiste à créer les conditions pour que les Français aient confiance en eux et en leur Gouvernement, tout choix politique mis à part. C'est en ayant à l'esprit cette approche qu'avec Alain Lambert nous allons essayer, à la place qui est la nôtre, de contribuer à guider la politique du Gouvernement.
Cette politique doit s'inscrire dans un environnement européen car - vous le savez - depuis longtemps, la plupart des acteurs économiques de notre pays raisonnent, non plus en termes de marché national - la France -, mais en termes de marché domestique - l'Europe -, car notre marché, dans tous les sens du terme, c'est l'Europe. C'est donc sur la solidarité européenne, - et, à cet égard, l'euro est un acquis majeur qu'il nous faut absolument conserver - sur cet élargissement à tous les acteurs économiques du marché européen que nous devons bâtir notre politique.
Il serait totalement irresponsable de croire que la France peut mener une politique autonome indépendamment de l'environnement européen dans lequel elle se trouve. En revanche, c'est être tout à fait responsable que de comprendre que nous allons progressivement, ensemble, avec nos collègues européens, bâtir une politique européenne qui ne sera pas forcément calquée sur la politique américaine, car, pour parvenir au même objectif de développement, les cultures de l'Europe et des Etats-Unis sont différentes.
Dans ce contexte, on s'est interrogé sur le pacte de stabilité et de croissance. Sans doute faudra-t-il le revisiter, mais la question est ailleurs. Très symboliquement, ramener aujourd'hui à un seul pourcentage le passé, le présent et le futur n'est pas forcément facile à comprendre. Le passé, c'est la dette. Le présent, c'est le déficit ou l'excédent de fonctionnement. Le futur, c'est l'investissement, la recherche, l'innovation. Nous aurons intérêt, au niveau européen, à améliorer cette situation, ne serait-ce que pour vérifier, comme l'a dit M. le rapporteur général, que les investissements, s'ils sont peut-être financés par l'endettement, ne le sont certainement pas par le budget de fonctionnement.
M. Alain Lambert nous a rappelé que nous sommes en déficit primaire cette année, c'est-à-dire que nous empruntons, pour financer, le service des interêts de la dette. Je compte beaucoup sur les réflexions de votre assemblée, sur le travail du Gouvernement, mais aussi sur une présentation budgétaire qu'Alain Lambert n'aura pas de difficulté à mettre en oeuvre compte tenu de son expérience, pour essayer progressivement de mettre en évidence les différences qui existent entre un budget d'exploitation et un budget d'investissement. Mélanger dans la même approche budgétaire la préparation du futur et le fonctionnement du présent est un non-sens ! Cela fait des décennies qu'il en est ainsi, non seulement en France, mais partout dans le monde. Je ne vois pas pourquoi nous n'aurions pas l'ambition de montrer la voie dans ce domaine, sachant que ce n'est vraiment pas très compliqué : il suffit de regarder ce que l'on fait dans le monde économique.
Ce développement ne signifie pas que le pacte de stabilité n'aurait ni signification ni importance. Qu'y a-t-il derrière ce pacte ? Il y a la prise de conscience, par l'ensemble des pays européens, donc par notre pays, que nous aurons à faire face à de nouvelles contraintes, qui sont inscrites dans les faits, à savoir celles qui sont générées, d'une part, par le vieillissement de notre population, avec une baisse du pourcentage de la population active par rapport à la population inactive, d'autre part, par une augmentation mécanique des dépenses de santé, qui est liée, finalement, à la capacité de l'homme d'accroître, année après année, la durée de vie moyenne de la population. Nous ne pouvons que nous en féliciter ! Mais nous avons aussi le devoir de prévoir suffisamment à l'avance les conditions nous permettant d'affronter cette nouvelle situation. Telle est la base du pacte de stabilité et de croissance.
Avant d'augmenter de nouveau les dépenses, il faut créer les conditions pour ce faire - le niveau des dépenses est aujourd'hui très élevé -, donc commencer, vous l'avez bien compris, par diminuer nos déficits, les annuler, et faire baisser notre dette pour pouvoir ultérieurement la faire remonter. C'est l'exercice le plus important ! Le Gouvernement, en concertation, bien sûr, avec votre assemblée et avec l'Assemblée nationale, va essayer de créer un consensus en donnant des explications.
Il est facile, c'est vrai, d'imaginer des réductions de recettes. Il est moins facile d'imaginer les nécessaires diminutions de dépenses qui doivent accompagner ces réductions de recettes. La réduction des recettes est philosophiquement destinée à donner à l'acteur économique plus de liberté de choix dans l'utilisation de l'argent qu'il gagne. La réduction des dépenses doit être la contrepartie de cette réduction des recettes. Tel est notre objectif.
En ce qui concerne la défense, il est clair que nous avons eu, pour des raisons sans doute budgétaires, un comportement qui n'est pas très raisonnable. Cela explique les taux de disponibilité qui ont été évoqués pour certains matériels et, finalement, l'impossibilité pour notre armée d'être, à tout moment, aussi opérationnelle qu'elle devrait l'être : les dotations financières sont insuffisantes pour assurer, au minimum, un fonctionnement correct.
Nous avons donc apporté des modifications - c'est le moins que nous devions faire - afin de pouvoir regarder notre armée en face et lui donner la possibilité de remplir le rôle qu'elle doit jouer.
Ensuite, comme vous l'avez rappelé, la loi de programmation militaire en cours d'élaboration et qui sera présentée au Parlement devrait permettre à notre pays de bâtir une politique de défense non seulement autonome, mais également intégrée dans l'espace européen et, au travers des forces de réaction communes, dans l'espace « OTAN », c'est-à-dire avec les Américains, voire de former des alliances ad hoc sur tel ou tel sujet.
Nous avons là un choix majeur à faire, qui s'ajoute aux autres choix régaliens de base qui ont caractérisé les premiers mois d'action du Gouvernement dans les domaines de la sécurité et de la justice.
A l'évidence, les trois éléments de base de n'importe quel gouvernement, dans n'importe quel pays, sont la défense, la sécurité et la justice. Dans ces trois domaines, le Gouvernement fait rapidement ce qu'il estime devoir faire pour remettre à niveau notre pays, de manière que, lorsqu'on parle de défense ou de réputation, nous soyons appréciés autant que nécessaire tant par nos concitoyens que par les pays étrangers.
Au-delà de ces dépenses régaliennes, il revient au Gouvernement de choisir ce qui relève de la responsabilité gouvernementale et ce qui doit être retransféré à chacun de nos concitoyens. Le choix fait partie de la politique ! Mais, dans le monde actuel, il importe de faire des choix significatifs : je fais ou je ne fais pas ! Nous sommes dans un monde binaire. Nos choix devront donc être beaucoup plus binaires que progressifs : un peu plus ou un peu moins.
Dans ce contexte, comme cela a été rappelé par Alain Lambert, l'évolution de la fonction publique sera l'un des éléments majeurs. A l'évidence, nous avons la possibilité, à partir de la situation actuelle, d'améliorer la performance de la fonction publique, c'est-à-dire celle des services qu'elle rend.
Nous sommes une entreprise de production de services. Nous produisons peu en matière de « dur », mais beaucoup en matière de « soft », comme on dit. Ces entreprises de production de services sont capables, si on les y aide, si on les y incite en leur offrant l'environnement adéquat par des investissements suffisants, d'améliorer, comme les autres, leurs performances, leur productivité.
Cette amélioration des performances pourra se traduire, au fil du temps, par une réduction des coûts, s'accompagnant probablement d'une diminution des effectifs dans la fonction publique, sans que cette évolution mette en cause l'aspect qualitatif ou quantitatif du service rendu au public, dès lors que nous aurions décidé de maintenir telle ou telle prestation.
Il s'agit là d'un superbe chantier, qui est très classique pour n'importe quel entrepreneur. Il se joue sur dix ans et non pas sur les six mois à venir, avec des hommes et des femmes, c'est dire avec des convictions, des méthodes, mais aussi des incitations. En effet, il est impossible de faire évoluer une personne si elle n'y trouve pas son intérêt, cet intérêt n'étant pas forcément matériel, mais étant, dans tous les cas, un intérêt intellectuel qui consiste à être fier de ce que l'on fait, à se faire plaisir en travaillant et à se faire encore plus plaisir en travaillant mieux.
C'est dans cette direction, y compris dans notre ministère, que nous allons engager nos réflexions. En effet, il y a là un chantier de long terme, qui présente un intérêt majeur à la fois pour les 20 % de la population française qui travaillent dans la fonction publique, mais aussi pour les 80 % restants qui ont besoin d'une fonction publique performante, à hauteur de la performance qu'on leur demande dans le monde d'aujourd'hui.
Telles sont les quelques réflexions complémentaires que je voulais formuler dans le prolongement de celles d'Alain Lambert. Ensemble, nous sommes et serons toujours à votre disposition pour vous expliquer, de manière transparente et de manière confiante, car nous n'avons pas d'intérêt particulier à créer une défiance quelconque des assemblées, les problèmes que nous affrontons et les solutions que nous proposons, les raisons pour lesquelles nous suggérons telle solution plutôt que telle autre, tout en écoutant, bien entendu, vos propres suggestions. Car, votre assemblée peut, j'en suis convaincu, nous aider dans nos réflexions et dans nos choix. (Applaudissement sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

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