SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour un rappel au règlement.
M. Robert Bret. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l'article 36 du règlement et est relatif à l'organisation de nos travaux.
Le débat sur le projet de loi constitutionnelle sombre, au fil des jours, dans une grande confusion,...
M. Alain Gournac. Pas du tout ! Avec nous, au contraire, on gagne du temps !
M. Robert Bret. ... une confusion juridique, que nous pressentions d'emblée du fait de la rédaction approximative du texte, et une confusion politique sur les objectifs réels qui le sous-tendent.
Cette confusion politique transparaissait déjà au sein de notre hémicycle, avec, notamment, le recul de la commission des lois sur son amendement n° 1 affectant l'article 1er de la Constitution - retrait inédit, puisque la pratique veut que le rapporteur informe la commission de son souhait de retrait.
Cette confusion, nous ne sommes pas les seuls à la dénoncer, si j'en juge aux propos qu'a tenus le président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, jeudi dernier : « Bâtir une République de proximité impose bien sûr de faire du neuf. Du neuf, mais pas de l'indéfini. De l'audacieux, mais pas de l'inconséquent, de l'imaginatif, mais pas du désordonné. (...) La décentralisation, ce n'est pas le bazar. Ce n'est pas une grande braderie qui laisserait la République en morceaux. » (Protestations sur plusieurs travées du RPR.)
Mes chers collègues, il nous faut prendre conscience, alors que nous en sommes encore à la première partie du débat, que les conditions politiques de l'examen du projet de loi constitutionnelle ont radicalement changé en quelques jours.
Nous ne savons plus ou nous allons. Vous ne savez plus où vous allez, messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité sénatoriale ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Nicole Borvo et moi-même avons tenté d'expliquer à l'orée de ce débat (Nouvelles protestations sur les mêmes travées), en défendant une motion tendant à opposer la question préalable et une motion de renvoi à la commission, que les conditions n'étaient pas réunies pour produire un travail législatif utile en matière de décentralisation.
Mme Hélène Luc. Il fallait nous écouter !
M. Robert Bret. MM. Perben et Devedjian se sont succédé pour nous répondre que ce texte n'était pas bâclé.
A qui la teneur du débat et les propos assez tranchés de M. Debré, qui est l'un des piliers du pouvoir actuel, donnent-ils raison, à M. Perben, à M. Devedjian ?
Monsieur le président de la commission, plutôt que de sombrer dans une incertitude permanente sur l'attitude de la commission au gré de l'évolution du débat, n'aurait-il pas mieux valu, comme je l'avais préconisé, prendre le temps nécessaire pour engager ce travail ?
M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas acceptable ! Ce sont des attaques personnelles !
M. Robert Bret. Non, pas du tout ! Cette préoccupation a été justement exprimée lors des réunions de commission inopinées qui se sont tenues depuis mercredi dernier et lors de la conférence des présidents de ce jour.
Peut-on débattre sérieusement, dans la sérénité, alors que tout montre une division profonde sur ce texte au sein même de la majorité, à laquelle s'ajoutent les critiques fortes qui émanent de l'opposition parlementaire et qui, en matière constitutionnelle, ne devraient pas être prises à la légère ?
Je le répète, nous légiférons pour modifier la Constitution et - cela apparaît plus clairement aux Français - pour modifier l'architecture de la République.
Contrairement à ce que M. Raffarin et d'autres expliquent de manière hâtive et embarrassée, M. Debré n'agit pas en mémoire de son père, il n'est pas isolé dans un jacobinisme d'un autre temps. (Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas un rappel au règlement !
M. Robert Bret. Au sein même du Gouvernement, des voix dissonantes se sont exprimées. Dès le 18 octobre dernier, M. Fillon ne nous a-t-il pas mis en garde contre le risque de passer d'un « jacobinisme étouffant » à un « girondisme extravagant » ?
A l'inverse, des ultralibéraux préconisent la précipitation : Faisons d'abord sauter les verrous qui limitent l'initiative et la liberté. Il sera toujours temps de s'occuper des éventuelles dérives.
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas un rappel au règlement !
M. Robert Bret. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne mangent pas de ce pain-là ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Roger Karoutchi. Vous en avez beaucoup mangé !
M. Robert Bret. Nous ne sommes pas les seuls, à gauche comme à droite, à le dire haut et fort.
Comment ne pas citer, enfin, M. Clément, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, votre homologue, monsieur Garrec : « M. Debré a raison de faire prendre conscience aux Français que ce n'est pas une réformette. C'est une révolution. »
M. Gérard Longuet. Il a raison !
M. Robert Bret. Treize jours pour peser le pour et le contre d'une révolution, n'est-ce pas trop bref ?
M. Roger Karoutchi. Vous en avez fait en moins de temps !
M. Robert Bret. Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il m'apparaît impossible de reprendre nos débats comme si de rien n'était. La volonté du Gouvernement est d'aller vite...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bret.
M. Robert Bret. ... et d'adopter le texte en réduisant le débat à sa plus simple expression, tout en imposant ses choix à la commission des lois. Nous venons d'en faire à nouveau l'expérience, puisque la commission des lois retire tous ses amendements à l'article 6 du projet de loi. C'est la remise en cause du travail parlementaire de la commission des lois !
Aussi, je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance pour permettre à la commission des lois de se réunir (Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) afin de reprendre la discussion sur l'architecture globale du projet de loi ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste, républicain et citoyens, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, les interruptions n'apportent rien au débat. Je vous en prie, laissez parler les orateurs dans la sérénité, et vous verrez que le public saura discerner où se trouve le bon sens.
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Mes chers collègues, je voudrais faire quelques réflexions sur ce que nous avons voté, tant sur la forme que sur le fond.
Mme Hélène Luc. C'est la preuve que nous avions raison !
M. René Garrec, rapporteur. La preuve est humaine, madame, et, comme telle, frappée de contingence.
M. Henri de Raincourt. C'est le centralisme démocratique !
M. le président. Je vous en prie, pas de dialogue !
M. René Garrec, rapporteur. Ce n'est pas un dialogue, c'est un soliloque, monsieur le président ! (Sourires.)
Sur la forme, la multiplication des amendements, puis des sous-amendements, a permis une discussion indispensable, mais elle a aussi parfois pu donner l'impression que nous entretenions des discours récurrents. Si nous voulons que le débat en séance publique conserve la tenue nécessaire pour que les travaux préparatoires éclairent ensuite ceux qui auront à appliquer les textes, il faut que nous structurions nos interventions. La procédure parlementaire est là pour nous y aider.
Sur le fond - vous avez raison, mes chers collègues -, il est normal de prendre le temps de débattre. Il l'est peut-être moins, comme quelques-uns de nos collègues de l'opposition on pu le faire, de donner le sentiment d'obscurcir ou de retarder l'adoption d'un texte auquel le Sénat peut apporter beaucoup, après en avoir inspiré la rédaction initiale, ainsi que le rappelait récemment M. le Premier ministre. D'ailleurs, si un amendement tend à proposer un article 6 modifié, c'est bien parce que nous avons travaillé avec le Gouvernement à partir des travaux de la commission.
Sur le fond, nous ne pourrons pas aller plus avant dans la décentralisation ou la réforme de l'Etat sans la présente réforme constitutionnelle. C'est pour cette raison que nous voulons la voter sans plus attendre.
Je me sens libre, quant à moi, en tant que président de la commission des lois, rapporteur, de faire tout ce qu'il faut pour déverrouiller ce qui, précisément, depuis vingt ans, limite la décentralisation et la réforme que vous dites souhaiter et que je souhaite, en tout cas, personnellement.
Il ne s'agit pas de laisser libre cours à des initiatives qu'en tant que législateur nous ne souhaitons pas. En tant que constituants, nous donnons aux législateurs que nous serons demain - pour ceux qui siégeront encore - quelques souplesses pour décider, le cas échéant, de franchir de nouvelles étapes.
Il serait regrettable que vous ne vous joigniez pas à nous parce que, sur certains points, nous ne sommes pas si éloignés. En tout cas, dans cet hémicycle, je ne voudrais pas revêtir les habits du conservateur que je ne suis pas en ce domaine, et que d'autres peuvent prendre.
Pour conclure, je regrette que le débat de la semaine dernière ait obscurci la réalité de nos travaux. Qu'avons-nous voté ?
M. Michel Charasse. Des horreurs !
M. René Garrec, rapporteur. Gardez cela pour vous, mon cher collègue, l'horreur est une chose que chacun qualifie !
M. Michel Charasse. C'est Debré qui le dit !
M. René Garrec, rapporteur. Nous avons voté l'inscription dans la Constitution du principe de la décentralisation par opposition au fédéralisme ; c'est l'article 1er.
Nous avons voté l'ouverture de fenêtres d'expérimentation qui vont permettre de libérer des énergies au sein de l'Etat ; c'est l'article 2. Nous avons examiné le rôle de notre assemblée, qui sera saisie en premier lieu des textes essentiels de la décentralisation - c'est la confirmation heureuse de ce que nous avions demandé et qui figure à l'article 3.
Nous allons reprendre aujourd'hui l'examen de l'article 4, qui nous a déjà permis de consacrer des souplesses nouvelles dans la Constitution et d'adopter des statuts particuliers.
Il conviendrait que le débat retrouve la sérénité qui caractérise cette maison. Certes, je ne siège au Sénat que depuis quatre ans, mais j'ai travaillé dans une assemblée où les conditions de travail étaient différentes. Ici, on ne lit pas Le Monde tout en levant la main pour intervenir : on a préparé son travail. Je tiens à ce que nous reconnaissions que nous avons travaillé et que nous continurons à le faire avec plus de sérénité. Ce serait une excellente chose. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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