SEANCE DU 13 NOVEMBRE 2002


SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 30, 2002-2003) pour la sécurité intérieure. [Rapport n° 36 (2002-2003) et rapport d'information n° 34 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d'être de nouveau devant vous pour présenter un projet de loi qui répond tout à la fois à la préoccupation prioritaire des Français, celle de la sécurité, aux leçons qu'il nous fallait tirer des deux derniers scrutins présidentiel et législatif, à la stupeur des Français et, plus encore, de nos partenaires étrangers devant la présence du leader d'extrême droite au second tour de l'élection présidentielle, à la crise de la représentation politique qui, selon nos concitoyens, ne se préoccupe pas assez de la vie réelle et se préoccupe trop de sa représentation virtuelle, et, enfin, à l'appel de nos concitoyens en faveur du rétablissement de valeurs républicaines fondamentales, dont ils pensent, à une immense majorité, qu'elles ont été délaissées.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En juillet dernier, vous avez approuvé, à une large majorité, la politique de sécurité que le Gouvernement vous a proposée pour les cinq années à venir.
Le projet de loi de finances pour 2003 permet d'ores et déjà de garantir que 40 % des moyens prévus dans la LOPSI, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, seront effectivement engagés.
Même si c'est loin de me satisfaire, car c'est à un recul et à un recul durable auquel je veux aboutir, les premiers résultats, les tout premiers résultats de notre politique se font sentir. Certes, ils demandent à être confirmés et, surtout, à être amplifiés. Mais chacun peut noter que la progression de la délinquance est désormais stoppée. Depuis le mois de mai, c'est un fait, la délinquance n'augmente plus dans notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste),...
M. Jacques Mahéas. Les statistiques, c'est du pipeau !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... alors que, de janvier à avril 2002, sur les seuls quatre premiers mois de l'année, elle augmentait de 5 %. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. Alors, à quoi le présent projet de loi sert-il ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et je ne doute pas que si les résultats avaient été inverses l'opposition se serait manifestée, à juste titre, pour me reprocher cette augmentation qu'elle n'a pas pu constater. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aujourd'hui, il faut poursuivre cette action. Les dispositions que je vais vous proposer ont pour objet d'améliorer l'efficacité des forces de l'ordre et d'apporter une réponse pénale à des comportements que l'Etat actuel de notre droit ne permet pas de prendre en compte. Nos concitoyens les plus modestes, ceux qui ne peuvent compter que sur l'Etat pour les défendre, ne supportent plus d'être les victimes expiatoires d'un système politique qui ne les écoute pas et qui ne leur donne jamais la parole. Ce texte, que le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a l'honneur de vous présenter, c'est d'abord le texte de la France des oubliés, de la France dont on n'a jamais tenu compte tout au long de ces dernières années.
M. Jean Chérioux. Effectivement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est d'eux, d'abord, que nous souhaitons nous faire comprendre ; c'est pour eux, d'abord, que nous vous proposons d'agir.
Les dispositions que je vous présente ne sont pas marquées du sceau de l'idéologie. Elles sont simples, pragmatiques, équilibrées et, de surcroît, profondément respectueuses des droits de l'homme. Elles apportent des réponses précises à des situations précises. Chacun sera en mesure de les comprendre et de porter un jugement. Il n'y aura ni tabous ni périphrases. Ces mesures sont d'abord motivées par deux préoccupations qui les transcendent toutes : celle de l'attention que nous devons aux victimes d'aujourd'hui et celle de l'efficacité que nous devons pour éviter les victimes de demain.
Le débat qui s'ouvre est important.
M. Gérard Le Cam. Moins de gendarmes en milieu rural !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Permettez-moi de souhaiter qu'il soit exemplaire par la volonté que nous pourrions tous, quelles que soient nos sensibilités politiques, y mettre à parler vrai, à voir les problèmes en face, à ne pas faire dire aux mots ce qu'ils ne disent pas, et à tenter de nous rassembler sur des sujets que nos concitoyens considèrent comme prioritaires et sur lesquels ils attendent non pas une réponse de la droite ou une réponse de la gauche, mais une réponse de la France à une situation quotidienne inadmissible. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je serai le premier à reconnaître que la droite n'a pas le monopole de la sécurité pour peu qu'une certaine gauche veuille bien abandonner des postures...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des attitudes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... qui l'ont fait perdre dans un passé récent et qui risqueraient de la ridiculiser tant l'outrance de certains propos a été caricaturale. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela vous va bien ! Chassez le naturel...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai dit : « une certaine gauche », ne se sentent visés que ceux qui sont concernés ! (Sourires et applaudissements sur les mêmes travées.) J'ai en effet observé que tous, à gauche, ne pensaient ni de façon outrancière, ni de façon qui pouvait être déplacée par rapport à la réalité que connaissent nos concitoyens.
Soyons réalistes ! Cessons de tout excuser à force de tout vouloir expliquer, y compris l'inexcusable, et donc l'inexplicable.
Mme Nicole Borvo. C'est votre interprétation !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Arrêtons de croire que la violence est un phénomène passager, qui disparaîtra avec le retour de la croissance économique. De surcroît, ne méprisons pas ceux de nos concitoyens qui souffrent quotidiennement de l'insécurité en les accusant de devenir sécuritaires, intolérants, victimes des aléas de mesures statistiques ou, pis, du sentiment d'insécurité. Ne dénions pas aux Français le droit d'avoir peur s'ils ont peur. Ne leur disons pas qu'ils ont tort d'avoir peur si c'est ce qu'ils ressentent.
Un sénateur du RPR. Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Au nom de quel droit et en vertu de quelle supériorité devrait-on donner des leçons à ceux de nos compatriotes qui habitent dans les quartiers où la situation de la violence est inadmissible, en leur disant en plus : vous devez subir cette violence, ne rien dire et, de surcroît, vous excuser d'avoir peur ? Ce n'est pas comme cela que l'on réconciliera nos concitoyens avec les valeurs de la République ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La réalité est malheureusement simple. La délinquance, notamment celle qui concerne les actes les plus violents, a augmenté dans des proportions considérables ces dernières années, au point de bouleverser la vie de certains de nos compatriotes. Oui, ayons le courage de reconnaître que l'Etat a été défaillant dans sa mission première,...
Un sénateur du RPR. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... qui consiste à défendre les plus modestes. Et dans une singulière inversion des valeurs, il faudrait qu'en plus ces derniers, les plus modestes, s'excusent de demander à se plaindre d'une situation qui est inacceptable et qui leur est imposée.
Nous avons le devoir de leur rendre la quiétude à laquelle ils aspirent, comme nous avons le devoir de les détourner de l'intolérance et des choix extrêmes.
Mme Nicole Borvo. Idéologiques !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et je ne suis pas de ceux qui pensent que 5 500 000 Français qui s'expriment pour Jean-Marie Le Pen après cinq années de gouvernement de Lionel Jospin, c'est la marque d'un très grand succès. (Applaudissements sur les mêmes travées et protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gérard Le Cam. Vous avez passé des alliances avec Le Pen !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Car ces concitoyens qui s'expriment pour eux-mêmes, ce sont les plus modestes, ceux que vous auriez dû écouter, entendre, défendre et représenter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas. C'est un peu court !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et c'est à ceux-là que nous voulons, nous, nous adresser ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Oui, je l'affirme, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter et que je vous demande, par vos remarques et par vos amendements, d'améliorer, c'est d'abord celui des plus pauvres, des plus modestes, de tous ceux dont la vie quotidienne est devenue un enfer - et je n'hésite pas à employer ce mot car c'est celui qui est utilisé dans les innombrables courriers que je reçois chaque jour.
Ce projet de loi est conçu pour protéger les plus démunis, ceux dont le travail est le plus pénible, ceux de nos compatriotes dont les temps de trajet dans les transports en commun sont les plus longs, ceux qui vivent au sein des cités les moins agréables et dans les appartements les moins confortables.
Mme Nicole Borvo. Et la loi SRU !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est d'eux que je souhaite d'abord être compris, c'est d'eux que je réclame d'abord le soutien, c'est d'abord d'eux que le Gouvernement aspire à être le représentant ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées. - Mme Nicole Borvo éclate de rire.)
Ils apprécieront les rires et les quolibets comme il se doit ! Nos compatriotes les plus modestes comprennent mieux que vous ne l'imaginez les réactions politiciennes et partisanes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous les connaissons mieux que vous !
Mme Nicole Borvo. Discours idéologique !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je précise que ceux qui ont critiqué ce projet de loi sur la sécurité en l'assimilant à un projet contre les pauvres se sont montrés particulièrement insultants pour les plus modestes de nos concitoyens.
M. Jacques Peyrat. Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ces critiques, en effet, - c'est un comble ! - assimilent, ni plus ni moins, pauvreté et délinquance. Elles semblent considérer que l'on est délinquant parce que l'on est pauvre !
Mme Nicole Borvo. C'est absurde !
M. Jean-Pierre Masseret. C'est du populisme !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est là une vision caricaturale de la pauvreté, et je me fais un plaisir de rappeler à ces professionnels de la pétition qu'il y a autant de délinquants chez les riches que chez les pauvres ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo. Ils ne sont pas visés par ce projet, les riches ; c'est ce qui est formidable !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En revanche, on compte plus de victimes parmi les pauvres que parmi les riches. (Bravo ! et nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. - Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Ces victimes se trouvent dans les cités où il est plus difficile de respecter la loi que de l'enfreindre ; ces victimes se trouvent parmi d'honnêtes gens qui ont peiné une vie durant pour s'acheter une voiture et la voient brûlée par des voyous ; ces victimes se trouvent parmi les plus démunis, jetées sur le trottoir comme une marchandise sur un étal de marché, esclaves de proxénètes ou de réseaux mafieux.
Mme Nicole Borvo. Où sont les mesures contre les délinquants riches ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Assimiler la quête d'une plus grande sécurité à une agression contre les droits de l'homme est un contresens absolu : que sont les droits de l'homme sans droit à la sécurité ?
Sauf pour ceux qui, ne connaissant pas l'insécurité dans leur vie quotidienne, s'étonnent que ceux de leurs concitoyens qui ne bénéficient pas du même confort n'éprouvent pas les mêmes préciosités. Les « précieuses ridicules » sont ainsi réinventées ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo. Quelle honte !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le combat pour les droits de l'homme est une exigence profondément respectable, à condition que l'on ne se trompe pas d'époque, ni de lieu, ni de sujet. Assimiler la France de 2002 à une dictature est indigne !
Mme Nicole Borvo. Qui a dit cela ?
M. Guy Fischer. Personne n'a dit cela !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Accuser ce projet de loi d'être liberticide est grotesque ; croire qu'il met notre démocratie en danger est stupide.
Mme Nicole Borvo. Qui a dit cela ?
M. Jean Chérioux. C'est ridicule !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il y a une différence entre cette conception des droits de l'homme et la nôtre. Les auteurs d'actes délictuels, ou ceux qui sont soupçonnés d'en être les auteurs, doivent bien évidemment bénéficier de toutes les garanties pour assurer leur défense et faire reconnaître leur innocence. C'est une exigence impérieuse.
Mais, lorsque je pense aux droits de l'homme, je pense qu'il faut avant tout prendre en compte ceux de la victime et, dois-je le dire, avant même ceux de l'accusé. Or je ne suis pas sûr que la priorité, ces dernières années, ait toujours été donnée aux droits de la victime. Le doute est permis. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Allons donc !
Mme Nicole Borvo. Ces droits existent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il est tout de même temps de se souvenir que le code pénal est d'abord fait pour dissuader du crime et pour le sanctionner.
Liberté et sécurité ne sont pas contradictoires. Liberté et sécurité riment parfaitement.
Mme Nicole Borvo. Ah bon ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peyrefitte !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La police et la gendarmerie doivent voir leurs pouvoirs encadrés.
Mme Nicole Borvo. Ne fermez pas les commissariats, alors !...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'y veille quotidiennement, et je n'hésiterai pas à sanctionner sévèrement le moindre écart par rapport au droit qu'il me serait donné de connaître.
Mais j'avoue ne pas comprendre et ne pas accepter ces procès a priori dressés aux hommes et aux femmes qui composent nos forces de l'ordre républicaines. Ils font leur travail avec courage, avec dévouement, avec abnégation.
Mme Nicole Borvo. Ils ne sont pas tous contents du projet de loi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ces procès en sorcellerie sont inacceptables. Ce sont d'abord la délinquance et l'insécurité qui portent atteinte aux droits et aux libertés des autres ! Et ce n'est pas en privant des moyens juridiques dont ils ont besoin les policiers et les gendarmes, qui, malgré les difficultés de leur mission, agissent dans le strict respect des lois de la République, que nous leur permettrons de préserver la première des libertés de nos concitoyens : la sécurité !
Mme Nicole Borvo. Ils ne sont pourtant pas tous contents de voir fermer leurs commissariats !
Mme Hélène Luc. Nous ne vous avons pas attendus pour rendre hommage à la police !
Mme Nicole Borvo. Vous n'en avez pas le monopole !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Améliorer l'action des services de police et de gendarmerie, ce n'est ni plus ni moins que renforcer la prévention.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Encore récemment, à Strasbourg, un éducateur se plaignait auprès de moi de ne plus pouvoir travailler dans le quartier de Hautepierre, et il soulignait qu'il en serait ainsi aussi longtemps que la sécurité n'y serait pas rétablie.
C'est là une évidence. Le discours de la prévention n'a aucun sens dans un quartier où devenir trafiquant de drogue est sans risque.
Mme Nicole Borvo. Alors, poursuivez les trafiquants de drogue et ceux qui en profitent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On ne négocie pas pour rétablir la loi républicaine, on ne demande pas aux délinquants le droit de rétablir l'Etat de droit : on le rétablit, puis on discute. C'est dans cet ordre que les choses doivent se passer, et non dans un autre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ayons enfin la volonté de parler des questions que le projet de loi aborde sans travestir son contenu, avec le réalisme et la hauteur de vue qu'elles exigent. Voyons les choses en face : les sujets traités méritent qu'il en soit ainsi.
Je n'accepterai aucun amalgame à propos de ce texte. J'ai voulu mettre un terme à des comportements inacceptables pour nos concitoyens,...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... mais j'ai pris toutes les précautions pour qu'aucune catégorie de population ne soit désignée dans sa globalité. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
Ainsi, aucune mesure n'est dirigée, si peu que cela soit, contre les jeunes. Il est d'ailleurs temps de changer de vocabulaire. Lorsque des individus agressent, pillent, volent, ce sont des voyous, pas des jeunes.
Mme Paulette Brisepierre. Bravo !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aucune mesure, dans le présent projet de loi, n'est destinée à empêcher les mendiants de mendier.
Mme Nicole Borvo. Et pourtant !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Aucune mesure ne vise à interdire aux gens du voyage le mode de vie qui est le leur.
Mais n'assimilons pas toutes ces catégories aux comportements d'une minorité qui, depuis trop d'années, se croit tout permis et à qui on a laissé faire n'importe quoi ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous allons dire tous ensemble que cela a trop duré, que cela suffit !
M. Hilaire Flandre. Il faut agir !
Mme Hélène Luc. On dirait vraiment que rien n'a été fait avant que vous arriviez !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Désormais, la police disposera des moyens nécessaires pour disperser les groupes qui exercent une pression insupportable sur les passants pour leur demander de l'argent en les menaçant, en les bousculant, en les provoquant.
Désormais, il sera possible de sanctionner pénalement l'occupation illégale de propriétés privées ou publiques.
Mme Nicole Borvo. C'est déjà prévu !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais fallait-il ignorer ces comportements ? Fallait-il prolonger l'impuissance publique qui faisait qu'un maire devait attendre parfois des semaines, voire des mois, avant que ne soit mis un terme à la violation d'une propriété privée ou communale ?
M. Michel Doublet. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je précise que les dispositions qui sont présentées vont en même temps permettre une accélération de la construction d'aires d'accueil pour les gens du voyage.
Mme Nicole Borvo. Ah bon ? Des communes sont volontaires ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ainsi, vous comprenez l'esprit de ce texte : sévérité et générosité ne sont plus des valeurs virtuelles ; elles deviennent bien réelles. Il n'était que temps !
Je souhaite vraiment que nous ayons un débat à la hauteur des attentes, que nous ne sombrions pas dans le discours de caricature. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)
M. Gérard Delfau. Cela commence mal !
Mme Nicole Borvo. On nous accuse avant que nous ayons parlé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Légiférer au bénéfice des plus faibles, c'est finalement la façon la meilleure et sans doute la plus efficace de combattre l'extrémisme sous toutes ses formes. Rétablir l'ordre républicain, c'est aussi donner toutes leurs chances à la politique de la jeunesse, à la politique de la ville, à la politique de l'éducation, qui seront d'autant plus efficaces que la règle sera rappelée, que la règle sera respectée, que la règle sera incarnée.
Mme Nicole Borvo. Où est le projet de loi ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Notre débat dépasse les clivages politiques. Si l'Etat est trop fragile pour assurer sa première mission, l'ensemble de la République vacillera. Si nous apportons encore des réponses théoriques, empreintes de grands théorèmes, mais parfaitement inadaptées aux réalités, nous pérenniserons cette image d'un Etat technocratique, d'un Etat inefficace, d'un Etat aveugle, livré au totalitarisme du faussement « bien-pensant ».
Mme Nicole Borvo. Venons-en au projet de loi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le texte que je vous présente aujourd'hui s'organise en 57 articles, regroupés en six titres.
Premier titre : améliorer l'efficacité des services de sécurité intérieure.
Deuxième titre : éviter que des armes ne soient détenues par des déséquilibrés.
Troisième titre : donner aux polices municipales les pouvoirs correspondant aux compétences des maires.
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quatrième titre : assainir et rendre transparent le monde des activités de sécurité privée.
Cinquième titre : mettre un terme à la progression constante des agressions à l'encontre des représentants de l'Etat et de leurs familles.
Le dernier titre, enfin, prévoit les conditions d'application de ce projet de loi à l'outre-mer.
L'idée-force du projet de loi est de redonner du crédit à la parole publique et de l'efficacité à l'action publique. Pas un centimètre carré de la République ne doit être considéré comme une zone de non-droit.
Le texte prévoit donc d'améliorer l'action des services de sécurité pour que les victimes n'aient plus le sentiment que « la police ne fait rien ».
Je ne détaillerai pas les premiers articles, qui confient aux préfets la direction des actions de sécurité intérieure dans les départements : c'est le prolongement logique de la réorganisation nationale qui place policiers et gendarmes sous l'autorité opérationnelle du ministre chargé de la sécurité intérieure.
Je soulignerai, pour lever toute ambiguïté, que dorénavant la gendarmerie, comme la police, obéira aux instructions du préfet, de façon que ces deux forces soient mieux coordonnées.
Les compétences des officiers de police judiciaire seront élargies, car les délinquants se moquent de nos subtilités administratives.
J'en viens aux pouvoirs des policiers municipaux. Depuis 2000, ils ont pour mission de faire respecter la plupart des dispositions du code de la route sans avoir pour autant les pouvoirs correspondants. Comment expliquer qu'ils puissent dresser des contraventions mais n'aient pas le droit de consulter le fichier des véhicules volés ? Ce projet de loi leur permettra d'exercer pleinement leur mission en leur donnant accès aux informations permettant d'identifier le propriétaire d'un véhicule, ou encore en leur conférant le pouvoir d'ordonner la mise en fourrière d'un véhicule sans mobiliser un fonctionnaire de la police nationale pour l'assister.
Cependant, l'un des principaux objectifs du texte est d'améliorer les moyens d'action de la police et de la gendarmerie.
Il faut que les services d'investigation disposent des moyens les plus modernes.
La sécurité n'est pas menacée par les services de l'Etat : la sécurité est menacée par les criminels, par les délinquants, par les voyous.
En premier lieu, seront autorisées les visites de véhicules, plus généralement appelées « ouverture des coffres ».
Nous avons souhaité mettre un terme à la jurisprudence selon laquelle la voiture est un espace privé où même la loi ne peut entrer.
M. Pierre Fauchon. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. C'est de bon sens !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Un coffre de voiture, chacun peut en convenir, n'est pas un domicile.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et je ne vois pas en quoi le fait d'ouvrir son coffre de voiture représenterait une atteinte aux droits de l'homme !
M. Ladislas Poniatowski. Mais bien sûr, c'est très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le ridicule a ses limites ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
En revanche, on peut tout à fait imaginer que dans un coffre de voiture se trouvent des armes, de la drogue, le produit d'un cambriolage. C'est du reste ce qu'observent les services de police quand ils ont la possibilité de procéder à des contrôles : les véhicules sont des cachettes ambulantes bien pratiques, et rien ne justifie qu'elles restent fermées aux lois de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toujours plus !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ajoute qu'il est étrange que les douaniers aient la possibilité d'ouvrir les coffres de voiture. Et cette possibilité, qui n'est pas attentatoire aux droits de l'homme lorsque c'est un douanier qui l'utilise, le deviendrait lorsqu'il s'agit d'un policier ou d'un gendarme ? (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Aussi proposons-nous d'étendre les cas de visites de véhicules à la recherche d'infractions de vol et de recel, aux cas de flagrant délit, ou pour prévenir une atteinte à l'ordre public.
Personne ne doit craindre d'être intempestivement arrêté. Hormis les cas de crimes et de délits flagrants, il est clairement établi que ces contrôles ne pourront avoir lieu que sur décision du procureur, ou avec l'accord du propriétaire.
Dans le même esprit, nous avons voulu moderniser et fiabiliser les moyens techniques au service des enquêteurs, je veux parler de la question des fichiers.
La protection de la vie privée n'est pas incompatible avec celle de la vie d'autrui. Au contraire, ce texte précise les données personnelles qui pourront être contenues dans les fichiers des services de police et de gendarmerie. Notre objectif n'est pas, bien sûr, de « ficher » soixante millions de Français ! A quoi, d'ailleurs, cela pourrait-il bien servir ?
Mme Nicole Borvo. Cela pourrait toujours être utile !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est certainement pas sur les travées de la majorité sénatoriale que l'on a jamais eu l'idée de ficher tout le monde, si vous voyez ce que je veux dire, par référence à une autre époque, à d'autres pays, à d'autres traditions ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Un sénateur socialiste. Lesquels ?
MM. Eric Doligé et Adrien Gouteyron. Très bien !
Mme Hélène Luc. Il faut regarder l'avenir, monsieur le ministre !
Mme Nicole Borvo. Heureusement que nous étions là, contre la délation !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous ajoutons simplement aux fichiers existants les noms de ceux qui sont interdits de séjour ou soumis à des mesures particulières dans le cadre du contrôle judiciaire.
Chacun mesure-t-il le pathétique de la situation actuelle ? Prenons l'exemple d'une personne qui est interdite de stade parce qu'elle a été condamnée par la justice. Elle peut y retourner, puisque, même si elle est contrôlée, la police ne peut avoir connaissance de la décision prise ! L'extension des informations contenues dans les fichiers de police permettra, d'abord, de mieux faire respecter les décisions de justice qui ne se trouvent pas aujourd'hui dans le fichier et d'améliorer le travail des enquêteurs.
Mais il est également proposé que certains services administratifs aient accès à une partie des informations. Cette ouverture est limitée aux enquêtes les plus sensibles concernant les installations prioritaires de la défense et l'accès aux emplois relevant de la sécurité ou de la défense.
Le texte prévoit également que ces fichiers puissent être consultés par exemple avant de délivrer un titre de séjour...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Evidemment !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... ou la nationalité française. Là encore, la situation actuelle n'est rien moins que grotesque. Les grands principes nous empêchent ainsi de vérifier qu'un candidat au poste d'agent de sécurité d'une centrale nucléaire n'est pas soupçonné d'avoir participé à des attentats. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) La nationalité française ou un titre de séjour peut aujourd'hui être accordé à une personne impliquée dans un trafic de drogue,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, suspectée !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... faute de le savoir. Vous percevez rapidement l'intérêt de ces dispositions. Et c'est sans doute moins leur contenu que leur absence jusqu'à présent qui doit être critiquée.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Dans le même esprit, il est proposé d'étendre les informations contenues dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Créé par qui ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... pour y inclure les personnes condamnées ou objectivement soupçonnées des actes les plus graves tels que les délits de violence contre les personnes ou mettant en danger l'ordre public. Là encore, ces dispositions sont non pas l'annonce d'un Etat policier, mais la fin d'un Etat aveugle. Le fichier des empreintes génétiques est au xxie siècle ce que le fichier des empreintes digitales était au siècle dernier. A quoi peut-il servir s'il comporte simplement, comme en France, un millier de noms...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il vient d'être créé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... alors qu'au Royaume-Uni il en comporte 1 700 000 ?
Est-il choquant de pouvoir identifier des personnes soupçonnées de viols (Mme Nicole Borvo s'exclame) alors que l'on connaît le taux de récidive des délinquants sexuels ? Est-il choquant de pouvoir identifier des personnes soupçonnées de proxénétisme ? Je ne le crois pas.
En revanche, j'ai été meurtri lorsque j'ai reçu les familles de ces trois pauvres victimes de la Somme et leur ai annoncé qu'il serait difficile de retrouver l'assassin ou les assassins de leurs filles, faute de disposer d'un fichier adapté.
Savez-vous qu'au Royaume-Uni le fichier des empreintes génétiques a été consulté en 2001 à 60 000 reprises ? (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Pourquoi refuser aux familles des victimes d'aujourd'hui ou, hélas ! à celles des victimes de demain le droit pour la police et la gendarmerie de bénéficier des progrès de la science afin d'être plus efficaces ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et en Suisse ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Telle est la question que nous devons nous poser.
Loin de porter atteinte aux droits et libertés, ce projet de loi les affermit. Je vais le prouver : nous allons enfin...
Mme Nicole Borvo. « Enfin » !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... donner un cadre législatif aux fichiers et, ainsi, satisfaire une demande ancienne de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Toutes les dispositions qui vous sont présentées répondent à un principe essentiel du droit des fichiers : le principe de finalité. En d'autres termes, les enregistrements sont autorisés dans le seul souci d'améliorer l'efficacité des services de sécurité intérieure. Ils ne sont accessibles, et sous condition, qu'à cette fin.
Nous avons également voulu que ce texte affirme plusieurs principes essentiels du droit des fichiers. Je pense d'abord au droit à l'oubli. Les données ne sont conservées que sur une période donnée et effacées dès la relaxe ou le non-lieu.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un progrès !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je pense également à l'interdiction des interconnexions automatiques entre les différents fichiers des services publics. Enfin, le contrôle par l'autorité judiciaire...
M. Jacques Mahéas. Ah !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et les conditions d'accès à ces fichiers sont clairement posées dans le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter.
M. Jacques Mahéas. Non, pas clairement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Par exemple, il n'est pas question d'ouvrir à quiconque l'accès aux fichiers dans le cadre d'enquêtes administratives.
Mme Nicole Borvo. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la CNIL, fixera les catégories de personnes qui ont accès à l'information, les conditions dans lesquelles les informations pourront être communiquées ou les conditions dans lesquelles une victime pourra s'opposer à ce que des informations la concernant soient conservées. De même, les informations inscrites dans le fichier des empreintes génétiques seront celles qui sont données au procureur, lequel aura ainsi un droit de contrôle sur son contenu, le juge des libertés et de la détention pouvant ordonner l'effacement de données à la demande des personnes.
Nous avons ainsi mis fin à tout risque d'arbitraire et d'anarchie, en clarifiant les conditions d'utilisation des fichiers de police. D'ailleurs, la CNIL, que le Gouvernement n'a pas consultée préalablement - il n'avait pas à le faire et il considère que le Parlement a tout autant qualité qu'une autorité indépendante pour se prononcer sur ces sujets -, mais qui s'est autosaisie de ce dossier, n'a relevé aucune atteinte aux libertés individuelles.
Cette information est, me semble-t-il, de nature à clore le débat sur ce point.
Un sénateur du RPR. Absolument !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Elle n'est pas d'accord avec votre texte !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Vous le constatez, l'objectif est bien d'être plus efficace pour que la loi soit réellement appliquée. C'est aussi pourquoi il est proposé que les services de police ou de gendarmerie puissent utiliser certains biens saisis. Il n'y a pas de raison que les grosses cylindrées si utiles aux délinquants ne puissent pas servir également aux représentants de la loi, sur décision judiciaire. Cela voudra dire que, comme dans toute bonne histoire, il y aura une morale ! La morale, c'est que les gros véhicules serviront aux policiers et aux gendarmes ! Je ne doute pas que cette initiative soit approuvée sur toutes les travées de la Haute Assemblée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Ce projet de loi doit aussi combler des lacunes du droit. Trop d'événéments récents ont montré que la législation en vigueur ne permet pas de prévenir de façon satisfaisante les risques pour la sécurité de nos concitoyens. Je suis, pour ma part, convaincu que la pire des politiques consiste à attendre un drame pour réagir avant d'agir. Nous devons penser aux possibles victimes de demain, nous devons anticiper, prévenir, protéger. C'est notre devoir, et nous devons l'assumer.
Le premier risque est évident : il concerne le terrorisme. C'est pourquoi, nous vous proposons de proroger jusqu'en décembre 2005 certaines dispositions de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, présentée par M. Vaillant. Elles permettront par exemple aux officiers de police judiciaire de contrôler les personnes, leurs bagages, les aéronefs dans les aéroports ou les navires dans les ports.
Le second risque est malheureusement bien connu : il s'agit des armes. Nous ne voulons pas faire peser de contrainte sur les chasseurs et les tireurs sportifs sous prétexte de réglementer pour réglementer. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et M. Philippe François. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais, nous avons le devoir de trouver une solution rapide pour mettre un terme à un réel danger, celui que certains acquéreurs d'armes n'aient pas l'état mental que nécessite leur détention. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Les exemples récents en France et à l'étranger montrent que la question n'est pas sans fondements. Exiger un certificat médical des détenteurs d'armes semble de bon sens. En Espagne, en Grèce, au Portugal et, demain, en Belgique...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Enfin du droit comparé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre ... ce certificat médical est exigé pour toute détention d'arme. Il est également logique qu'un professionnel de la santé puisse signaler que l'un de ses patients n'est pas sain d'esprit alors même qu'il avait connaissance de la possession d'une arme par celui-ci. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Aussi est-il proposé d'autoriser la levée du secret médical pour préserver la vie d'autrui. N'est-ce pas la finalité même du métier de médecin que de protéger la vie ?
Le texte prévoit encore un nouveau régime administratif des armes. Il n'a pas pour ambition de corriger les innombrables défauts de la classification actuelle des armes. Ce chantier sera engagé prochainement avec les professionnels. Ce projet vise seulement à mieux contrôler la diffusion de certaines armes, notamment les carabines 22 long rifle. Et il donne les moyens aux préfets d'engager les procédures utiles pour qu'une personne notoirement déséquilibrée ou dangereuse soit dessaisie de son arme.
Il vous est également proposé de mieux encadrer les activités des sociétés de sécurité. Nous ne pouvons pas ignorer les enjeux liés à ce secteur. Savez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il existe en France autant d'agents de sécurité privés chargés de prévenir les actes de malveillance que de policiers ? C'est un marché libre, en plein essor, qui touche des secteurs aussi sensibles que la protection des banques ou la surveillance de sites sensibles. Aussi, le projet de loi définit précisément les tâches de ces sociétés, renforce leur professionnalisation et les conditions d'agrément ou d'autorisation. Il faut que chaque entreprise soit autorisée, que l'exercice à titre individuel soit agréé et que les embauches soient, par-dessus tout, déclarées.
Mon objectif est que personne n'attende un drame pour découvrir que l'agent de sécurité était un malfaiteur ou un terroriste. Mon objectif est aussi de lutter contre le travail clandestin, trop souvent répandu. Là encore, vous constaterez que c'est non pas l'excès mais plutôt l'insuffisance du droit existant qui était une réelle menace pour la sécurité et pour les libertés individuelles.
Enfin, nous comblons une lacune du droit dont beaucoup de Français ont déjà fait les frais. Jusqu'à présent, rien n'obligeait les opérateurs à bloquer les téléphones portables volés. Or, les solutions techniques existent. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Je vous propose qu'elles soient désormais obligatoires. Cela devrait fortement limiter l'intérêt des voleurs pour les téléphones portables et, par conséquent, réduire le nombre de vols à l'arraché dont les conséquences psychologiques et parfois physiques sont très lourdes pour les victimes. Je ne doute pas que, sur toutes les travées de cette assemblée, on voudra bien considérer que l'on doit pouvoir faire un bout de chemin ensemble...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout de suite ! Aujour- d'hui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... sur une mesure qui n'est que de bon sens. J'ai d'ailleurs l'intention, dans les mois à venir, de vous proposer des mesures qui s'en inspirent, s'agissant du vol de véhicule qui devient véritablement un problème considérable. En effet, le vol de véhicule, c'est le premier pas vers les vols par voiture-bélier ou le transport de drogue. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Le projet de loi qui vous est soumis a pour ambition de combler le vide juridique qui empêche toute action efficace contre de nouvelles formes de délinquance. C'est sans doute un sujet difficile, mais nous nous sommes posé la question de savoir comment répondre à l'exaspération des Français qui ne supportent plus l'impuissance de la puissance publique face à l'insécurité quotidienne. Ne fermons plus les yeux, sans pour autant sombrer dans je ne sais quelle exagération sécuritaire ! La République, toute la République, mais rien que la République. Tel est bien l'enjeu !
Je vous propose des solutions républicaines et réalistes. Vous le verrez, nos cibles n'ont rien à voir avec les caricatures habituelles d'une intelligentsia qui parle beaucoup d'une France qu'elle connaît bien mal ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Robert Bret. C'est de l'abbé Pierre que vous parlez ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Elle lui est si différente qu'elle finit par lui être étrangère.
Mme Nicole Borvo. De qui parlez-vous ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. D'abord, le développement de la prostitution,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... sujet très douloureux qui ne se prête à aucune plaisanterie ni aucune légèreté.
M. Robert Bret. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous savons que la prostitution, de nos jours, c'est d'abord l'exploitation d'êtres humains sous la contrainte...
Mme Nicole Borvo. Très juste !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... parfois, pis, l'exploitation de mineurs. Ce n'est ni plus ni moins que de l'esclavagisme.
C'est ensuite une activité lucrative.
Mme Nicole Borvo. C'est vrai !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et si le proxénète prospère, c'est parce que le ou la prostitué est autorisé sur le trottoir.
Mme Nicole Borvo. Pas seulement, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'aimerais que l'on m'explique au nom de quoi on dirait que le proxénétisme c'est de l'esclavagisme et on en tirerait la conclusion qu'il faut tolérer la prostitution qui nourrit le proxénète.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce sont des victimes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si le proxénétisme, c'est de l'esclavagisme, alors il faut en tirer toutes les conséquences...
Un sénateur du RPR. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... sur la conséquence première qui est la prostitution sur nos trottoirs.
Mme Nicole Borvo. Lâchez les prostituées !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Plus de 60 % des prostituées sont aujourd'hui de nationalité étrangère.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des victimes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Or, bien sûr, les dispositions existantes sont à l'évidence inadaptées.
Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, si elles ne sont que des victimes pour vous, je me demande pourquoi vous avez accepté pendant tant d'années que le racolage actif soit un délit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout le monde l'a accepté ! Vous aussi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le racolage actif est un délit, la prostituée est une victime ; vous l'avez accepté, et vous n'avez rien changé à cette réalité ! Et c'est une tartuferie que de considérer les prostituées comme des victimes, de dire que le racolage actif est un délit, et, dans le même temps, de fermer les yeux sur le racolage ! Nos compatriotes ne supportent plus tous ces bons sentiments de gens qui passent Porte de Clichy dans des voitures bien fermées (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame), ... qui regardent les prostituées dehors au travers des vitres fermées de leur véhicule...
Mme Nicole Borvo. Rouvrons les maisons closes, comme le demande Mme de Panafieu ! C'est plus propre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... en disant : « Oh les pauvres ! », et qui s'en vont dîner en oubliant ce qu'ils viennent de voir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Ils doivent se reconnaître !
Mme Nicole Borvo. Cachez ces prostituées que je ne saurais voir !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Les dispositions existantes sont à l'évidence inadaptées. Qui peut croire que les prostituées, dont le racolage est autorisé, ont vraiment aujourd'hui la possibilité de dénoncer leur proxénète qui lui-même est hors la loi ?
Je vous propose un peu de réalisme. Le racolage ne sera plus actif ou passif : il sera interdit, car délictuel.
Un sénateur socialiste. Il va y avoir du boulot !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. De surcroît, dès lors que le racolage sera le fait de personnes étrangères en situation de court séjour, elles seront reconduites dans leur pays d'origine.
Certains affirment que nous sanctionnons les victimes alors qu'il faudrait viser les coupables, c'est-à-dire les proxénètes et les clients. Je vous rassure : les coupables seront directement visés. Le délit d'exhibition sera réhabilité...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il existe !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et une prostituée en situation irrégulière qui dénonce son proxénète pourra se voir attribuer, outre la protection des forces de l'ordre, un titre de séjour, ce qui sera la meilleure façon - j'allais dire la seule - de l'arracher au réseau qui l'a amenée dans un pays dont elle ne parle pas du tout la langue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Jusqu'au jugement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Dans le même esprit, j'ai décidé de doubler les effectifs des services de police spécialisés dans la lutte contre les filières de prostitution.
Cela étant, nous n'avons pas créé un délit dans l'optique de punir des malheureuses qui, c'est vrai, sont plus souvent victimes que coupables. Si nous avons créé un délit, c'est, au contraire, pour les protéger ; l'argument est lumineux dans sa simplicité.
Mme Nicole Borvo. Pas tellement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si l'on veut que l'exploitation de la prostitution cesse, nous devons réduire le phénomène de la prostitution lui-même.
Mme Nicole Borvo. Absolument !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est cette réduction qui mettra un terme aux activités des proxénètes.
Pourquoi voulez-vous que les proxénètes albanais, bulgares, roumains, africains...
Mme Nicole Borvo. Français !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... se gênent pour faire venir des prostituées en France, pratiquant ainsi une véritable traite d'êtres humains, tout à fait comparable à l'esclavagisme, à partir du moment où cela ne coûte rien de mettre ces malheureuses sur le trottoir ?
J'aimerais que l'on m'explique comment dissuader ces six frères albanais de Lyon, que nous avons arrêtés, d'utiliser, de frapper, de violenter ces filles s'ils peuvent les mettre sur le trottoir sans encourir aucun risque ! Ils vivaient dans une chambre d'hôtel et l'ensemble de leurs biens se trouvaient en Albanie ! J'aimerais que l'on m'indique comment éradiquer ce phénomène sans s'attaquer à la prostitution !
M. Jacques Peyrat. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas cela que nous vous reprochons, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si l'on veut que l'esclavage des prostituées étrangères cesse, nous devons organiser leur retour systématique dans leur pays d'origine. Depuis dix ans, la prostitution envahit nos villes. Il faut que cela cesse !
Je souhaite notamment que, sur le terrain, les liens entre les associations qui aident les prostituées et les préfectures soient renforcés. Il faut que les prostituées aient enfin un avenir autre que la perspective, soir après soir, d'une activité dégradante et de rencontres sordides.
Dans le même temps, nous devons être attentifs aux préoccupations de ceux qui vivent dans les quartiers où la vie est devenue impossible parce que la prostitution s'y est développée de façon exponentielle.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Tous ceux qui me demandent de fermer les yeux sur la prostitution de rue, qu'ont-ils à dire aux habitants de ces quartiers où, à la tombée de la nuit, on ne peut plus rentrer chez soi sans croiser des proxénètes, des clients, des détraqués et des prostituées ?
En vérité, ceux qui plaident pour le statu quo sont ceux qui résident dans des quartiers préservés !
M. Jacques Peyrat. Absolument !
M. Dominique Braye. Comme pour tous ces problèmes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ceux qui vivent avec ce phénomène n'en peuvent plus !
J'ai voulu que, pour une fois, on entende la voix de ceux qui souffrent.
Le même raisonnement conduit à considérer que des mesures doivent être prises contre la minorité des gens du voyage qui s'installe de force sur des propriétés privées ou communales sans respecter aucune des règles minimales de la vie en société. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Murat. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Pour autant, les gens du voyage ne doivent pas non plus être victimes d'amalgames qui seraient scandaleux, inadmissibles. Mais, lorsque l'un d'eux se comporte mal, il n'y a aucune raison qu'on doive le taire.
De fait, la situation actuelle se résume à l'impossibilité de faire respecter le droit de propriété. Vous connaissez bien le schéma, vous qui êtes les représentants des communes de France : un groupe arrive, avec des véhicules et des caravanes. Il s'installe sur un terrain, de préférence propre et bien situé, se branche sur les réseaux d'eau et d'électricité et repart en laissant aux propriétaires un amas de détritus ou un champ saccagé.
Pendant ce temps, le propriétaire engage une procédure civile, mais celle-ci, même s'il a saisi le juge des référés, ne peut en aucun cas, précisément parce qu'il s'agit d'une procédure civile, aboutir avant le départ du campement.
Je le répète, il ne s'agit nullement de stigmatiser les gens du voyage, qui sont, dans leur grande majorité, honnêtes. J'irai même plus loin : ils ont choisi un mode de vie qu'il nous appartient de respecter et de protéger, car ce mode de vie est une liberté.
En revanche, que certains enfreignent la loi, rendant la vie impossible à d'autres, et que l'on soit dans l'incapacité légale d'intervenir efficacement est proprement inadmissible et doit cesser. C'est pourquoi le Gouvernement propose de créer un nouveau délit, afin de donner un cadre juridique permettant à la police et à la gendarmerie d'intervenir immédiatement et, si nécessaire, d'enlever les véhicules, de suspendre le permis de conduire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Plus six mois de prison !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Loin de porter atteinte aux droits des gens du voyage, ce texte doit au contraire conforter les plus honnêtes. Il est ainsi, à l'évidence, de nature à accélérer l'aménagement d'aires d'accueil dans les communes.
En effet, si ce nouveau délit protège toutes les propriétés privées, il ne protégera les territoires communaux que dans les communes qui ont effectivement respecté leurs obligations vis-à-vis de la loi Besson. Car, il faut le savoir, cette loi que la gauche défend si ardemment n'est véritablement appliquée que dans vingt-quatre départements sur cent. Je n'ai donc que peu de leçons à recevoir...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des leçons, vous en donnez sans arrêt !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... de la part de ceux qui ont si peu fait pour les gens du voyage et pour les installations. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, que vous ayez le ministère de la parole au moment où vous êtes dans l'opposition, c'est normal, mais c'est en vérité le seul que vous ayez réellement exercé avec brio, s'agissant des gens du voyage, lorsque vous aviez la majorité ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Vous le voyez, il est proposé de trouver un juste équilibre entre la nécessité de donner aux gens du voyage des conditions d'accueil correspondant à leur mode de vie et l'impératif de ne pas fermer les yeux sur des violations outrancières de la loi.
Et que dire des regroupements hostiles de personnes dans les espaces communs des immeubles d'habitation ?
Je ne vous le cache pas, je suis choqué que certains aient pu assimiler, sur ce point, mon projet à une volonté de réprimer les jeunes. Comme si les jeunes, dans leur ensemble, occupaient les cages d'escalier, rendaient la vie impossible dans les immeubles ou se préparaient à être des délinquants ! C'est, là encore, un amalgame que je n'accepterai pas.
Ce qui est en cause, ce n'est pas une catégorie de la population, ce sont des comportements qui rendent la vie impossible. En l'occurrence, l'occupation des halls d'immeubles est un vrai problème.
Il n'est pas facile de subir le bruit dans un hall d'immeuble ou une cage d'escalier lorsque l'on cherche un peu de repos après sa journée de travail. Il n'est pas facile de devoir passer, jour après jour, au milieu d'un groupe plus ou moins hostile pour rentrer chez soi, éventuellement sous les quolibets.
Il n'y a aucune raison pour qu'un homme ou une femme qui a travaillé toute sa vie doive baisser la tête parce que des individus qui, eux, ne travaillent pas, veulent l'empêcher de rentrer dans son immeuble ! Il est inacceptable que cette réalité soit encore celle de notre pays ! (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
Or les moyens mis en oeuvre pour faire cesser ces comportements ne sont pas, aujourd'hui, à la hauteur du problème.
Daniel Vaillant avait parfaitement raison de proposer, en novembre 2001, dans son projet de loi relatif à la sécurité quotidienne, que la police puisse intervenir dans les immeubles lorsque des groupes en entravent les accès ou nuisent à leur tranquillité. En revanche, je ne comprends pas pourquoi il avait oublié de prévoir la sanction qui permet de réprimer de tels comportements. Peut-on imaginer attitude plus hypocrite ? A quoi bon donner à la police la possibilité d'entrer dans les halls d'immeubles pour les évacuer si le délit ainsi constitué n'est pas punissable ?
Comment, dans ces conditions, s'étonner que la police, appelée par des habitants des immeubles dont la vie était ainsi perturbée, refuse de se déplacer en invoquant précisément l'absence de sanction prévue par la loi ?
M. Dominique Braye. Voilà !
Mme Nicole Borvo. Quelle démagogie !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Dorénavant, si la Haute Assemblée accepte d'adopter ce projet de loi, une sanction sera prévue, et elle sera appliquée.
Plusieurs sénateurs socialistes. La prison !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Enfin, les élus locaux font énormément pour pallier l'insuffisance du nombre de salles dans les quartiers. L'Etat, de son côté, appuiera autant qu'il le pourra les initiatives des élus locaux pour permettre le financement de salles communes dans les quartiers qui n'en disposeraient pas, de façon que toute présence hostile disparaisse des halls d'immeubles. On doit s'assurer que, dans ces quartiers, des salles existent pour que, à toute heure, certains jeunes puissent s'y retrouver.
Mme Nicole Borvo. Chez M. Braye, il y en aura sûrement beaucoup !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Tel est l'esprit du projet : la fermeté d'un côté, l'ouverture de l'autre.
L'exploitation de la mendicité a également été un sujet de polémique. Nous savons que des personnes démunies, parfois handicapées, parfois mineures, sont exploitées comme des marchandises pour fournir des rentes de situation à des délinquants sans scrupules.
Faut-il laisser faire ? Faut-il fermer les yeux ? Faut-il qu'une fois encore le politique démissionne ? Faut-il une fois encore renoncer au courage le plus élementaire pour répondre à une situation qui exaspère nos concitoyens ? La France doit-elle devenir un lieu accueillant pour cette autre nouvelle forme d'esclavage ? Je ne le crois pas !
Nous nous attaquerons à ce phénomène, en faisant en sorte que les personnes qui encadrent, transportent, utilisent les mendiants et finalement récupèrent les sommes ainsi collectées soient déférées devant la justice. Je n'imagine pas une seconde que puisse exister un différend entre nous sur ce sujet.
Dans le même esprit, nous proposerons de prendre en compte une forme de mendicité qui s'est beaucoup développée, qui s'apparente à de l'extorsion de fonds : il s'agit, dans le projet de loi, de la « demande de fonds sous contrainte », qui consiste, pour plusieurs individus, à se rassembler autour d'une personne, de façon agressive, éventuellement avec des chiens démuselés, et à lui demander de l'argent avec une insistance telle que la victime a le sentiment de ne pouvoir résister à cette pression.
Là encore, le droit existant n'est guère compréhensible pour les victimes : il faut qu'il y ait eu violence à l'encontre de la personne avant que la police puisse intervenir ! Je pense, moi, qu'il est indispensable que les services de police puissent intervenir, avant la commission de l'acte violent, et non après, de manière à protéger la victime, parce que c'est elle qui est au coeur du projet de loi que je vous soumets. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La mendicité agressive constituera dorénavant un délit identifiable par des critères objectifs.
Vous le constatez, on est bien loin de la caricature faisant des mendiants traditionnels les cibles de la police. Il ne s'agit en aucun cas de poursuivre un mendiant qui tend la main. Rien dans la loi ne le permettra. Alors pourquoi mentir ? Pourquoi travestir la réalité ? Pourquoi vouloir nous condamner à l'immobilisme ? Je laisse les spécialistes réfléchir sur cette question !
Quant à moi, je considère qu'il est temps d'agir et je mets quiconque au défi de nous apporter le moindre début de commencement de preuve sur le fait que le mendiant traditionnel est la cible de ce projet de loi. En vérité, il ne faut pas confondre la mendicité et le racket.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est de l'extorsion de fonds !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je n'ai aucune compassion, et encore moins de faiblesse, pour ceux qui réclament de l'argent agressivement, en groupe ou à l'aide de chiens. Ce n'est rien de moins que du racket déguisé en mendicité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De l'extorsion de fonds !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quel grand principe justifierait que l'on tolère le racolage, la violation de propriété, l'intimidation des habitants, l'exploitation de la misère et la mendicité agressive ?
Je sais que vous serez d'accord avec moi pour estimer que plus un seul de nos concitoyens ne doit se croire obligé de baisser la tête face à un délinquant parce que l'Etat serait impuissant.
Enfin, si nous voulons que les valeurs de la République aient un sens, il faut établir clairement que le respect de la loi ne se négocie pas.
Je considère que, lorsque l'on est invité dans un pays étranger, son premier devoir est d'en respecter les lois. Sinon, c'est le signe évident que l'on n'a pas l'intention d'en respecter les valeurs. Or il est actuellement impossible d'expulser les personnes étrangères qui ont une carte ou un titre de séjour inférieur à un an pour des faits tels que le racolage, le proxénétisme ou l'exploitation de la mendicité. Ce ne sont pourtant pas des infractions mineures ! Le texte complète le droit existant en permettant à l'autorité administrative de mettre un terme au droit de séjour de ces personnes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avant jugement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Au demeurant, il me paraît plus normal de procéder à l'expulsion de prostituées qui ne parlent pas un mot de français, qui ne sont que depuis quelques mois ou quelques semaines présentes sur notre territoire et que l'on peut faire échapper aux réseaux en les raccompagnant dans le pays où elles sont nées, dont elles parlent la langue, que d'infliger une double peine qui est parfaitement inapplicable s'agissant de personnes qui sont en France depuis trente ans, qui ont une femme française, et des enfants nés en France. C'est cela la vraie générosité, et je ne parviens pas à comprendre pourquoi certains qui parlent tant des droits de l'homme n'ont pas eu, en cinq ans, le temps de réformer la double peine. Voilà la logique de notre projet ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel rapport ?
Mme Nicole Borvo et M. Robert Bret. Alors, vous allez accepter nos amendements !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En second lieu, nous ne pourrons faire respecter les lois qu'en affichant clairement notre volonté de ne tolérer strictement aucune atteinte à ses représentants.
Les agressions à l'égard de policiers, de gendarmes, de sapeurs-pompiers et de leurs familles ont augmenté de 135 % en vingt ans !
Je ne resterai pas passif face aux voyous qui appellent les sapeurs-pompiers pour leur tendre un guet-apens, pour les « caillasser », les blesser et les injurier. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je ne fermerai pas les yeux sur les tentatives d'intimidation des familles de gendarmes par quelques caïds qui veulent imposer leur loi dans une cité. Ces faits ne sont pas des jeux d'enfants, ce ne sont pas les risques du métier. Ils signifient simplement que des bandes considèrent aujourd'hui que l'Etat est si faible et si peu crédible qu'ils peuvent essayer d'intimider et de faire reculer ses représentants. Ces faits signifient que, dans certains quartiers, la loi de la force a remplacé la force de la loi, et cette situation est inacceptable ! (Applaudissements sur les mêmes travées - murmures ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le texte du Gouvernement renforce la protection des représentants de l'Etat. Il supprime notamment l'exigence d'une menace réitérée ou matérialisée dont la preuve ne pouvait jamais être rapportée.
Au-delà, il étend la protection de l'Etat à de nouvelles catégories : aux adjoints de sécurité, auxquels il convient de rendre hommage tant leur travail est remarquable, aux gendarmes adjoints volontaires, aux douaniers, aux agents de police municipale qui, pas plus que les policiers ou les gendarmes, n'ont à être injuriés ou frappés...
M. Jacques Peyrat. Et les élus !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... à l'ensemble des sapeurs-pompiers, aux agents investis d'une mission de service public, aux conducteurs d'autobus ou même aux gardiens d'immeuble dont nous avons impérativement besoin.
Nous voulons que toutes ces catégories puissent habiter de nouveau dans les cités où leur présence est nécessaire.
Notre devoir, c'est de les protéger. Cette protection sera donc étendue à leurs familles pour qu'elles puissent vivre normalement là où elles le souhaitent, dans toutes les villes de France.
Enfin, j'estime normal que les frais de procédure soient pris en charge par l'Etat lorsque les fonctionnaires déposeront plainte.
Permettez-moi de dire à la majorité sénatoriale que c'est un beau message que nous adressons à l'ensemble du secteur de la fonction publique.
Nous, nous ne parlons pas, avec des trémolos dans la voix, des fonctionnaires et de la fonction publique ! Mais nous disons aux fonctionnaires que, lorsqu'ils seront injuriés ou frappés dans l'exercice de leur mission, nous assumerons les frais de procédure et d'avocat que nous leur devons ! (Bravo ! Et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. Ne parlez pas au nom des fonctionnaires ! Laissez-les s'exprimer eux-mêmes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les fonctionnaires et le monde de la fonction publique ont toute leur place dans le projet gouvernemental...
M. Jacques Mahéas. Vous enfoncez des portes ouvertes !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et dans les attentions de la majorité sénatoriale. Sans doute, pendant cinq ans, le gouvernement précédent a beaucoup aimé les fonctionnaires, mais il a oublié de répondre à cette revendication ancienne et parfaitement équitable de surcroît ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cette disposition figure dans la loi depuis longtemps !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, l'objectif du Gouvernement, vous l'avez compris, n'est pas, et ne sera jamais, d'établir un ordre moral ; il est de garantir l'ordre public.
Ne nous accommodons pas de l'impuissance. Ne restons pas passifs. Rester passif serait une faute à l'égard de la France des oubliés, trop longtemps ignorés, une faute à l'égard des délinquants qui seraient ainsi incités à poursuivre dans une voie qui ne mène pour eux qu'à l'échec. Les délinquants n'écouteront le langage de la prévention qu'en ayant la certitude qu'ils n'auront plus d'avenir dans la délinquance.
Les valeurs de la République ne se négocient pas. Ce sont elles que le Gouvernement entend défendre avec votre soutien, en apportant aux Français et plus largement à tous ceux qui vivent dans notre pays plus de tranquillité, plus de bonheur paisible, plus de liberté, plus de sécurité dans le strict respect des droits de l'homme.
C'est là une grande ambition que le Gouvernement vous invite à partager. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mmes et MM. les sénateurs du RPR et des Républicains et Indépendants se lèvent.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
VICE-PRÉSIDENT


M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. « La sécurité est l'un des droits les plus fondamentaux de nos concitoyens. » La formule est connue. Elle a été maintes et maintes fois répétée par presque tous, au point même d'être vidée de sa substance.
Les uns la mettaient au frontispice de leurs programmes électoraux pour mieux l'oublier ensuite, assurant qu'ils avaient bien compris les préoccupations des Français, sans rien faire, néanmoins, pour endiguer l'insécurité croissante dans notre pays.
Les autres la fustigeaient, faisant des procès en démagogie à ceux qui osaient parler de l'indicible- comme si le meilleur remède à ce mal contemporain était l'aveuglement -, réinventant la formule de Knock par la négation et par l'absurde : « Tout malade est un bien-portant qui s'ignore ! »
C'est dans ce contexte, et nous vous en savons gré, monsieur le ministre, que vous avez, avec courage et détermination, ouvert la voie qu'avait tracée le Président de la République durant la campagne électorale.
Sans outrance ni démagogie, vous avez évité la facilité de limiter votre politique à un seul aspect qui n'aurait été que répressif.
Sans compromission, vous avez échappé au modèle de certains de vos prédécesseurs qui, arrivés à la Place Beauvau, dressaient la liste de toutes les bonnes raisons, d'ordre institutionnel, juridique ou sociétal, pour lesquelles ce qui devait être fait ne pouvait l'être.
Le 30 juillet dernier, à cette même tribune, considérant qu'il n'y avait pas de fatalisme à l'insécurité, je vous invitais au volontarisme pour apporter à chaque problème la réponse la plus appropriée.
Les réponses ne se sont pas fait attendre. La sécurité intérieure a fait l'objet depuis mai dernier d'une véritable refondation. Ainsi, en quelques mois, le Gouvernement n'a pas ménagé sa peine pour lancer ce signal fort à l'opinion publique et lui faire comprendre qu'elle avait été entendue.
Dès la session extraordinaire de cet été, conformément aux engagements du Président de la République, un grand chantier législatif a été lancé.
Le premier acte en fut la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, qui a fixé le programme d'action pour les cinq ans à venir des forces de sécurité intérieure dans notre pays.
En ce sens, le coup d'arrêt à l'augmentation des chiffres de la délinquance démontre à ceux qui justifiaient leur inaction par l'irréversibilité de ces phénomènes que la volonté politique peut décanter bien des situations.
Le projet de loi de finances pour 2003 en est le deuxième acte puisque celui-ci traduit scrupuleusement les engagements de la LOPSI en matière de crédits.
De considérables moyens financiers supplémentaires sont accordés à la police et à la gendarmerie nationales. Le budget de la police progresse ainsi de 5,8 % et celui de la gendarmerie de 8,4 %.
Par ailleurs, dans un contexte de réduction globale des effectifs de la fonction publique, le recrutement de 1 900 policiers et de 1 200 gendarmes met en lumière la détermination sans précédent de ce gouvernement en matière de sécurité intérieure.
Le premier acte fut celui des orientations. Le deuxième est celui des moyens financiers. Le troisième, qui nous réunit aujourd'hui, est celui des moyens juridiques.
En effet, malgré la volonté retrouvée, malgré les moyens déployés, l'action au service de nos concitoyens des forces de sécurié intérieure se heurte, dans de nombeux cas, à l'absence de moyens juridiques adaptés.
Le présent projet de loi n'a d'autre objet que de leur donner ces moyens dont elles sont souvent aujourd'hui privées.
Ceux-ci s'articulent en cinq axes : le renforcement des pouvoirs des préfets pour rendre plus cohérentes les actions menées par les forces de sécurité intérieure ; l'amélioration de l'efficacité de la police judiciaire, négligée depuis trop d'années ; la préservation de la sécurité des Français par l'apport de réponses concrètes à de nouvelles formes de délinquance ; la mise en place de moyens permettant un contrôle plus strict des acquisitions et détention d'armes ; l'encadrement de l'exercice des activités de sécurité privée.
Le premier axe du projet de loi tend à parachever la nouvelle architecture institutionnelle de la sécurité intérieure prévue par la LOPSI.
Celle-ci est organisée au niveau national autour du conseil de sécurité intérieure présidé par le chef de l'Etat, du Gouvernement et du ministre de l'intérieur. Cette organisation nationale est transposée au niveau départemental où le préfet assurera la coordination de l'ensemble du dispositif de sécurité intérieure. A tous les échelons, tout concourt à une mobilisation optimale des acteurs de la sécurité et les premiers résultats sont, à ce titre, concluants.
Les conférences départementales de sécurité présidées par le préfet et le procureur de la République, se réunissent régulièrement pour décliner au niveau local les objectifs fixés au niveau national. Elles définissent notamment les cibles des groupes d'intervention régionaux, les GIR.
Les résultats spectaculaires obtenus par ces groupes d'intervention régionaux sont emblématiques de l'efficacité sur le terrain de la collaboration des différents services de l'Etat aux actions de sécurité intérieure.
Le GIR de Nantes, par exemple, a démantelé au début du mois d'octobre un réseau de cambrioleurs et de voleurs à la tire impliquant une centaine de Roumains qui sévissait dans le département de la Loire-Atlantique et les départements limitrophes. Deux cent soixante-quatorze policiers et gendarmes ont ainsi participé à cette opération.
Les premiers conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui sont, eux, présidés par les maires, ont vu le jour. Ils permettront de mieux associer les élus locaux à la définition des politiques locales de sécurité.
Le texte qui nous est soumis prévoit de renforcer le rôle du préfet en affirmant son caractère prépondérant dans l'animation et dans la direction des actions de sécurité, afin d'améliorer la cohérence et l'efficacité de l'action de l'ensemble des forces de sécurité intérieure.
Ainsi, en premier lieu, l'autorité du préfet sera renforcée dans le département à l'égard des services déconcentrés, puisque ce dernier dirigera l'action de la police et de la gendarmerie en matière d'ordre public et de police administrative et qu'il pourra faire appel, en tant que de besoin, à des services dépendant des ministères des finances ou de l'emploi.
En second lieu, les préfets de zone de défense obtiendront un rôle de coordination en matière d'ordre public, et la coordination des forces de sécurité sur l'ensemble des transports ferroviaires d'Ile-de-France sera confiée au préfet de police.
Le deuxième axe de ce projet de loi vise à renforcer les capacités d'action de la police judiciaire, la PJ.
En effet, depuis de nombreuses années, la PJ est le parent pauvre de la procédure pénale en France. De nombreuses mesures ont été adoptées pour renforcer les droits de la défense, alors que, dans le même temps, rien n'a été entrepris pour permettre à la police judiciaire de mener ses investigations. Ce déséquilibre de la procédure pénale est préjudiciable à son efficacité.
A ce titre, les mesures proposées dans le projet de loi faciliteront les investigations en matière de recherche des auteurs d'infractions.
Ces mesures ne portent en rien atteinte aux libertés individuelles puisque, parallèlement, les droits de la défense sont garantis. Notre justice a tout à y gagner : une procédure pénale forte pour notre pays, reposant sur une police judiciaire forte et efficace et des droits de la défense forts et garantis.
Ainsi, il est proposé d'étendre la compétence territoriale des officiers de police judiciaire. L'extension de ce ressort est justifiée par la mobilité accrue des délinquants, le cadre actuel étant trop étroit pour lutter contre une délinquance opérant habilement aux frontières des différents ressorts et utilisant à son profit les failles de notre système.
Surtout, il sera donné une base légale aux traitements automatisés de données personnelles mis en oeuvre par la police et la gendarmerie. Ces fichiers pourront notamment être consultés au cours d'enquêtes administratives ou de missions de sécurité.
A ce titre, rendre plus utiles les fichiers de recherche criminelle, surtout le fichier national des empreintes génétiques, est un véritable enjeu de notre politique en matière d'investigations judiciaires. Ce fichier ne compte que 1 200 empreintes en France alors qu'outre-Manche il en comporte plus de 1 700 000.
Certains ont beaucoup glosé ces derniers temps sur l'atteinte aux libertés individuelles que constituerait ce fichier. Encore faut-il signaler que les empreintes génétiques ne sont ni plus ni moins au xxie siècle ce que furent au xxe les empreintes digitales.
Pour qui souhaite que ce fichier ait une véritable efficacité, l'insertion des suspects dans ce document paraît parfaitement logique, d'autant que les segments d'ADN utilisés sont dits « non codants » et ne peuvent, de la sorte, fournir aucune information sur l'état de santé présent ou futur d'une personne.
Il semble pour autant utile de pousser la logique de ces nouvelles dispositions à leur terme afin d'empêcher que l'on ne puisse exploiter ces fichiers en raison d'effacements trop systématiques de données essentielles.
En effet, le texte prévoit un effacement systématique des données personnelles en cas de relaxe et d'acquittement, tandis qu'un décret devrait déterminer le sort des données dans le cas d'un non-lieu ou d'un classement sans suite.
Une telle différence de traitement n'apparaît pas pleinement justifiée. En outre, les relaxes et les acquittements recouvrent des situations très diverses - découverte du véritable auteur, annulation de la procédure, charges insuffisantes, irresponsabilité de la personne poursuivie pour cause de démence au moment des faits - qui peuvent faire l'objet de traitements différents.
Il est sans doute préférable de prévoir, en cas de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, de conférer au procureur de la République le rôle d'ordonner l'effacement des données personnelles dont la conservation ne serait plus justifiée au regard de l'objet du fichier.
Le troisième axe de ce projet de loi comporte, conformément aux engagements pris dans la LOPSI, de nombreuses dispositions, notamment d'ordre pénal, relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques.
Ces mesures sont guidées par un principe simple : le réalisme. Il s'agit de mieux appréhender les nouvelles formes de délinquance et de ne pas laisser démunies les forces de sécurité intérieure. Celles-ci, malgré leur détermination, qu'il convient de souligner, à combattre sans relâche les réseaux mafieux, sont le plus souvent privées des moyens juridiques nécessaires au démantèlement de ces bandes organisées.
Ces dispositions ont donné lieu à d'abondants commentaires, le plus souvent caricaturaux, trahissant parfois les propos mêmes du projet de loi. Ils sont de trois ordres.
Les premiers, coutumiers du fait, hurlent avec les loups au retour de l'Etat policier. Pétris d'une idéologie permissive et libertaire, ils considèrent les délinquants comme les victimes et l'Etat comme le bourreau.
D'autres, embarrassés, veulent sans doute masquer l'absence de doctrine de leur camp sur ces questions qui préoccupent au quotidien nos concitoyens, en schématisant des mesures pourtant essentielles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Rapportez au lieu de polémiquer !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il est vrai que contester le fond de ces mesures leur est difficile puisqu'ils les ont défendues eux aussi durant la campagne présidentielle. Le seul moyen dont ils disposent, c'est donc de les caricaturer.
Les derniers, enfin, vivent dans l'aveuglement et persistent à croire que l'insécurité n'est qu'un sentiment, d'autant plus diffus, il est vrai, que l'on vit éloigné de nos concitoyens qui la subissent au quotidien. Pour notre part, il ne nous semble pas inutile de lutter contre des phénomènes qui ne paraissent anodins qu'à ceux qui, coupés du réel, ne les vivent pas.
On a voulu faire passer ce projet de loi pour une déclaration de guerre aux pauvres et aux minorités. Il convient de balayer ici quelques lieux communs.
Concernant la prostitution, tout d'abord, il ne s'agit pas de stigmatiser les prostitués, mais au contraire de lutter contre les réseaux mafieux qui organisent cet abominable esclavage. La pénalisation du racolage passif n'a pas d'autre objet.
Ceux qui s'insurgent contre ces mesures, faisant croire que le Gouvernement souhaiterait remplir nos prisons de prostitués, ne comprennent pas la réalité de la détresse de ces personnes. Ceux-ci, dénonçant le retour à l'ordre moral, s'insurgent contre le fait que des prostitués puissent être placés en garde à vue, mais ne proposent aucune solution pour sortir ces femmes et ces hommes de leur esclavage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Qu'est-ce qui est liberticide ? Placer ces personnes en garde à vue quelques heures afin de démanteler le réseau de leurs proxénètes ? Ou les laisser, des années durant, sur les trottoirs de nos villes, exercer sous la contrainte la prostitution ?
Concernant l'incrimination de certains attroupements dans les parties communes d'immeubles. Il n'est pas juste de faire croire qu'il s'agirait de viser de paisibles groupes d'adolescents discutant dans une cage d'escalier.
Les maires sont bien placés pour savoir que certains individus font régner une véritable terreur dans des immeubles habités, le plus souvent, par les plus modestes de nos concitoyens.
Le Sénat ne peut que se réjouir que ce problème donne enfin lieu à la recherche de véritables solutions. A ce titre, il me faut rappeler que notre excellent collègue M. Jean-Pierre Schosteck avait, le premier, proposé la création d'une telle infraction en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne.
M. Nicolas Sarkozy ministre. Tout à fait !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. De la même manière, la création d'une incrimination d'exploitation de la mendicité s'avère particulièrement utile face au développement de réseaux qui vivent de l'exploitation de la misère.
Quant à l'incrimination de l'occupation sans titre d'un terrain, son dispositif est particulièrement judicieux. En effet, d'une part, il permettra de lutter plus efficacement contre certains comportements inacceptables d'envahissement de propriétés privées ou de terrains communaux. D'autre part, il devrait accélérer la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, l'infraction ne devant être constituée, en cas d'occupation d'un terrain communal, que si la commune respecte les obligations qui lui incombent pour l'accueil des gens du voyage.
Ces mesures sont donc bien éloignées des caricatures qu'on a voulu dresser d'elles. La commission des lois proposera, par ailleurs, de compléter le dispositif proposé.
Au-delà de la répression de ces formes de délinquance, il s'agit également d'appréhender, dans toute sa dimension, la nécessaire protection des victimes. Qu'il s'agisse des victimes directes de ces violences, parce que leurs fonctions les conduisent à y être confrontées ou de ceux qui sont exploités par ces réseaux.
En premier lieu, constatant que les infractions créées par le projet de loi visaient des comportements qui sont souvent commis dans le cadre de réseaux organisés, il s'agira de créer une infraction de traite des êtres humains et de renforcer les instruments de lutte contre le proxénétisme et l'exploitation de toutes les formes de misère.
Ces dispositions seront le juste corollaire des mesures proposées, conformément à la proposition de loi renforçant la lutte contre les différentes formes de l'esclavage aujourd'hui, adoptée par l'Assemblée nationale en janvier 2002.
Elles permettront de renforcer la lutte contre le proxénétisme en permettant, d'une part, la confiscation de tout ou partie des biens des personnes condamnées pour proxénétisme et, d'autre part, de prévoir une procédure de saisie conservatoire des biens des personnes poursuivies pour cette infraction. En second lieu, dans un souci de protection des victimes du proxénétisme il sera proposé de compléter les dispositions du projet de loi prévoyant la possibilité d'attribuer une autorisation provisoire de séjour à l'étranger portant plainte contre un proxénète.
Il s'agit de permettre à ces personnes de bénéficier d'un titre de séjour jusqu'à l'achèvement de la procédure judiciaire pour prévoir la possibilité d'attribuer à cet étranger une carte de résident en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause.
En effet, le renvoi contre son gré dans son pays d'origine d'un étranger dont le témoignage a permis la condamnation de proxénètes pourrait avoir des conséquences dramatiques pour cette personne.
Ensuite, il s'agira de mieux prendre en compte la difficulté des missions exercées par les gardiens d'immeubles sociaux, en aggravant les peines encourues en cas de violences ou de meurtre commis à l'encontre de ces personnes.
Enfin, pour répondre aux violences subies par les proches de policiers, de gendarmes ou de fonctionnaires de l'administration pénitentiaires, des aggravations de peines en cas de meurtre ou de violences seront prévues si elles sont commises contre les familles de personnes chargées d'une mission de service public, lorsque ces infractions sont commises en raison des fonctions exercées par ces personnes.
Concernant le volet de ce projet de loi relatif à la circulation des armes, les mesures proposées sont de nature à satisfaire l'impératif de renforcement de leur contrôle.
Les événements dramatiques survenus au printemps dernier à Nanterre et à Chambéry, ou, le 14 juillet dernier, lorsqu'un fanatique a tenté d'attenter à la vie du chef de l'Etat, justifient à eux seuls la nécessité d'améliorer le contrôle des armes en circulation et de limiter leur usage par des personnes en proie à des troubles psychiatriques.
Toutefois, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur un point très précis. Dans un contexte où le trafic d'armes en provenance de l'étranger augmente, il ne semble pas prioritaire de soumettre à des formalités administratives contraignantes les 1 400 000 chasseurs qui n'ont d'autre intention que de se livrer paisiblement à leur sport.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il faut à ce titre souligner que l'administration n'aurait d'ailleurs pas les moyens de faire face à un afflux important de nouvelles déclarations. Il semble donc préférable qu'elle s'attache en priorité à mieux contrôler les armes soumises à autorisation.
Il est à noter que l'autorisation de détention d'armes du responsable de la tuerie de Nanterre était périmée depuis deux ans.
Je souhaite donc, monsieur le ministre, obtenir l'assurance du Gouvernement que l'affirmation de principe de la déclaration des armes de chasse, sous réserve d'exceptions, ne sera pas suivie par une modification réglementaire imposant la déclaration d'armes de chasse dont la détention n'est pas, à ce jour, soumise à cette procédure.
En tout état de cause, l'efficacité de la réglementation dépendra de l'effectivité de son application par les préfectures. En effet, le fichier national des armes, AGRIPPA, ne devrait être opérationnel qu'en 2004, et les agents de préfectures sont, à ce jour, encore mal formés.
Le renforcement de la réglementation doit impérativement s'accompagner d'un renforcement des moyens de contrôle et d'une lutte contre les trafics d'armes internationaux.
Enfin, le projet de loi vise à proposer un meilleur encadrement de la sécurité privée.
Les nécessités de la lutte antiterroriste ont accru le recours à ces sociétés qui sont de plus en plus souvent appelées à intervenir en complément ou en collaboration avec les forces de police de l'Etat et ont contribué à l'accroissement des prérogatives confiées à leurs agents.
De la sorte, les agents de sécurité portuaires et aéroportuaires, ainsi que les agents de sécurité exerçant sur la voie publique sont notamment autorisés à procéder à la fouille des bagages à main et à des palpations de sécurité.
Les garanties d'honorabilité des professionnels, de transparence des entreprises et les exigences de qualification professionnelle des agents sont, en conséquence, le juste corollaire de l'extension des prérogatives accordées à ces sociétés.
Or, à ce jour, ces garanties ne sont pas obtenues alors que cette profession est appelée à jouer un rôle de plus en plus important en complément des forces de sécurité de l'Etat.
La simple production d'un bulletin n° 2 du casier judiciaire n'est pas satisfaisante pour garantir l'honorabilité de ces personnels. L'origine des capitaux peut être douteuse, et le recours à la sous-traitance illicite ou au travail au noir est une pratique trop répandue.
En ce sens, les dispositions de ce projet de loi seront de nature à garantir, en quelque sorte, l'établissement d'une réelle déontologie de cette profession.
Je conclus, mes chers collègues, en insistant sur deux points qui me semblent tout à fait essentiels. Ce projet de loi a le double mérite de redonner du crédit à la parole publique, parce qu'il parachève l'édifice institutionnel du Gouvernement en matière de sécurité intérieure, et de protéger les plus modestes.
Là où certains détracteurs n'ont voulu voir que des promesses électorales qui n'avaient d'autre but que de surfer avec démagogie sur les peurs des Français, nous avons la démonstration que le Gouvernement met tout en oeuvre pour garantir la sécurité de nos concitoyens, qu'il s'agisse des moyens organisationnels, financiers ou juridiques.
Si une politique se juge à l'aune de ses résultats, je ne doute pas de la réussite de ce grand projet.
Ce texte a pour objet de protéger les plus modestes, parce qu'ils ont enfin été entendus. Ceux qui ont voulu faire croire que ce projet de loi était une guerre engagée contre les pauvres n'ont pas su ou n'ont pas voulu comprendre, nantis et enfermés dans leur tour d'ivoire, que ce texte s'adressait en priorité à ceux de nos compatriotes, les plus modestes, qui vivent dans les quartiers difficiles et sont à ce titre les plus vulnérables.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avons déjà entendu cette chanson !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ce sont eux qui ressentent avec le plus d'acuité qu'ils ne peuvent compter que sur l'Etat pour jouir de la sécurité à laquelle ils ont droit. Ils ont été entendus, et je me réjouis que tout son sens ait été redonné à l'action publique.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements soumis, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom de la commission des lois, d'adopter le présent projet de loi dont les dispositions sont de nature à donner aux forces de sécurité intérieure les moyens juridiques dont elles ont besoin pour garantir la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Jeanine Rozier. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Janine Rozier, représentante de la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le rapport sur l'autorité parentale c'est, cette fois encore, comme membre de la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes que j'ai, pour la deuxième fois, l'honneur de m'exprimer à cette tribune.
Je remercie la commission des lois et son président, M. Garrec, d'avoir souhaité recueillir l'avis de la délégation sur les articles 18, 28 et 29 de ce projet de loi relatif à la sécurité intérieure qui visent la prostitution et de suggérer d'éventuelles modifications aux importantes mesures qui vont être soumises à notre vote.
On dit que la prostitution « prospère systématiquement sur un fond d'ignorance et d'indifférence ». Je le pense aussi et je le regrette. Et je souhaite que le rapport qui retrace le travail la délégation puisse être lu de tous. Il est suffisamment complet pour permettre de mesurer l'étendue des ravages causés par l'exploitation de la prostitution. Il renseigne sur l'étendue du fléau en France et sur ses ramifications européennes et internationales. Il montre la détresse d'hommes et de femmes complètements perdus, qui s'enfoncent chaque jour un peu plus dans la misère. Il condamne ceux qui font de l'argent avec cette misère et souhaite les voir punis.
Il n'a pas été question, pour notre délégation, de se poser en censeur, de juger en bloc le monde de la prostitution, ni d'attenter à la liberté de tel ou telle. Nous nous sommes émus à l'évocation des victimes et des exploités envers qui nous avons un devoir de secours.
Personne ne peut rester insensible au fait que de très jeunes femmes étrangères, venant surtout des pays de l'Est et du continent africain soient jetées en pâture, souvent par la violence et la menace, sur les trottoirs de nos grandes villes.
Personne ne peut rester insensible au fait que des enfants, la plupart du temps déracinés, souvent violés et battus, le soient aussi.
Personne ne peut rester insensible au fait que des êtres faibles, exploités en raison de cette faiblesse, soient livrés à la prostitution, que des profits en soient tirés et que des réseaux maffieux en soient les bénéficiaires impunis.
Pour y remédier, pour venir en aide à tous ces malheureux, il faut prendre des mesures.
Nous avons étudié en détail, monsieur le ministre, le texte que vous nous présentez, et nous l'approuvons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'avez étudié rapidement !
M. Josselin de Rohan. On peut aller vite !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. Nous avons organisé, au titre de notre délégation, plusieurs auditions et nous avons notamment reçu des représentants d'associations qui apportent un secours certain aux victimes du monde de la prostitution.
A propos de l'article 18, qui traite du racolage actif et passif, nous nous étions interrogés sur la dimension vestimentaire de ce racolage. Mais vous avez répondu par anticipation à notre interrogation, monsieur le ministre, en proposant la suppression des mots « tenue vestimentaire ». Nous vous en remercions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas par anticipation, c'est après !
M. Jacques Mahéas. Postérieurement !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. Nous aurions pu craindre, autrement, une atteinte à notre légitime souci de la mode, qui va de pair avec notre féminité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
L'article 28, quant à lui, vise à contrecarrer l'internationalisation des réseaux de proxénétisme développés par la présence d'étrangers souvent en situation irrégulière et qui viennent troubler l'ordre public. Notre délégation préconise que le devoir de secours soit systématiquement pris en compte pour que celle qui en est victime dans notre pays ne devienne pas martyre dans le sien.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. L'article 29, qui permet l'obtention d'un titre de séjour aux victimes qui dénoncent leur proxénète, nous paraît une mesure conforme au devoir de protection. Il permet aux témoins de trouver refuge en France, mais nous nous devons également de leur offrir des outils de réinsertion.
Toutes ces mesures fortes que vous nous proposez, monsieur le ministre, seront critiquées par certains, mais je suis sûre que les Français, ceux dont vous avez parlé, ceux de la majorité silencieuse qui ne se répandent ni dans la presse ni à la télévision,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas lui !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. ... ceux qui ont manifesté lors des dernières élections leurs attentes impératives en matière de sécurité et de tranquillité dans la vie de chaque jour, ceux-là sauront véritablement les apprécier et verront leurs effets se manifester dans la durée.
Notre délégation s'est surtout préoccupée de l'accompagnement social qui doit nécessairement compléter l'application de ces mesures.
Il sera impérieux de prévoir un accueil, une écoute et, le cas échéant, de mettre à l'abri toutes les personnes vulnérables et toutes les victimes afin de leur permettre de sortir du réseau infernal dans lequel on les a enfermées. Il faudrait prévoir, tout d'abord, des lieux pour les sécuriser, ensuite des structures pour relayer les décisions des juges...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. ... et leur faciliter ainsi le recours à toute la gamme des sanctions alternatives à la prison afin de leur permettre une réinsertion dans la dignité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà qui est très bien ! Mais ce n'est pas dans la loi...
M. Jacques Mahéas. C'est mieux !
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. Dans cette optique, je me félicite que notre délégation préconise l'institution d'un défenseur des victimes de l'exploitation sexuelle sur le modèle juridique du défenseur des enfants, c'est-à-dire une autorité indépendante. Comme Mme Claire Brisset est devenue une entité, notre défenseur le deviendrait.
Cette autorité indépendante pourrait avoir pour mission d'être un référent permanent, une écoute, un soutien et un interlocteur attentif des associations qui font un travail remarquable sur le terrain, un interlocuteur aussi des services sociaux, des services de police et de justice qui sont confrontés à la prostitution. Les victimes doivent pouvoir trouver un abri sûr, avant, pendant et après leur jugement si nous voulons les aider et peut-être les sauver.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien encore, mais ce n'est pas non plus dans la loi.
Mme Janine Rozier, représentante de la délégation. C'est avec fermeté et avec l'espoir d'être entendue que notre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes formule ce voeu.
Et si je peux me permettre une remarque personnelle, monsieur le ministre, je dirai que les mesures vigoureuses et rigoureuses que vous préconisez doivent être expliquées à notre jeunesse à travers l'éducation que nous nous devons de lui transmettre. Il nous faut travailler au mieux-être d'aujourd'hui, mais aussi préparer la France de demain. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les traves du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous auriez pu citer le rapport de Mme Dinah Derycke !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 52 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mahéas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j'interviens aujourd'hui dans ce débat, c'est notamment parce que j'ai le bonheur d'être depuis vingt-cinq ans le maire de Neuilly. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Mais, attention ! Ne confondons pas fleuve et rivière...
M. Dominique Braye. Facile !
M. Jacques Mahéas. Non pas le maire de Neuilly-sur-Seine, le Neuilly « d'en haut » où se croisent principalement les gens aisées - 1,3 % de logements sociaux, soit 375 logements.
M. Dominique Braye. Beaucoup d'hommes de gauche habitent Neuilly-sur-Seine !
M. Hilaire Flandre. Il y a beaucoup de bobos !
M. Jacques Mahéas. ... mais celui de Neuilly-sur-Marne. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Evidemment, vous êtes venus soutenir, mesdames, messieurs les sénateurs, le maire de Neuilly-sur-Seine.
M. Dominique Braye. Il n'a pas besoin de nous, vous l'avez remarqué !
M. Jacques Mahéas. ... qui devait, selon la loi SRU, construire 807 logements par période de trois ans !
Un sénateur du RPR. On est contre les caricatures !
M. Jacques Mahéas. Or, avec votre loi, monsieur Braye, le maire de Neuilly-sur-Seine - je ne parle pas de M. Sarkozy lui-même, bien évidemment - n'aura à construire que 288 logements...
M. Dominique Braye. La suite !
M. Jacques Mahéas. ... ou à payer comme la municipalité le fait depuis des années.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est là qu'on voit ceux qui s'occupent des pauvres !
M. Jacques Mahéas. Je suis le maire de Neuilly-sur-Marne, le Neuilly du « neuf trois », banlieue estampillée « sensible », où résident des classes sociales moyennes ou peu favorisées, et qui attire souvent, malheureusement, l'attention des médias par ses difficultés socio-économiques et ses problèmes d'insécurité.
M. Josselin de Rohan. Pauvre Neuilly !
M. Dominique Braye. Vous avez toujours tiré profit de la misère !
M. Jacques Mahéas. Aussi je n'éprouve nul besoin de faire des visites ponctuelles en zones « chaudes », bardé de micros et de caméras, pour appréhender la réalité de l'insécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il n'y a pas de risque !
M. Dominique Braye. Ce n'est pas gentil pour Daniel Vaillant !
M. Claude Estier. Monsieur Braye, vous avez eu toute la nuit pour parler, alors laissez maintenant s'exprimer les autres !
M. Jacques Mahéas. Si mes collègues ne veulent pas que je m'exprime...
M. le président. Monsieur Mahéas, il y a des interrupteurs sur toutes les travées. Laissez-moi diriger les débats, s'il vous plaît, et veuillez poursuivre !
M. Jacques Mahéas. Ma commune, je côtoie ses difficultés au quotidien et je peux donc m'exprimer, fort d'une réelle expérience de terrain qui n'a pas grand-chose à voir avec d'hypothétiques conversations mondaines à la terrasse du café de Flore.
M. Dominique Braye. Vous êtes un bobo complexé !
M. Jacques Mahéas. Cela dit, vous comprendrez, monsieur le ministre, que j'aie du mal à accepter le mépris dans lequel vous englobez les adversaires de votre projet de loi. J'estime, pour ma part, ne pas avoir de leçons à recevoir, car je connais assez bien cette « France des oubliés » dont vous vous faites apparemment l'ardent défenseur.
Compte tenu de mon expérience, j'ai le regret de trouver votre projet de loi particulièrement médiocre, même si, monsieur le ministre, vous avez habilement abandonné les mesures les plus scélérates. Je ferai d'ailleurs une brève parenthèse : comment faire du squat un délit quand on refuse la construction de 20 % de logements sociaux dans sa propre commune ou dans celle de ses amis politiques ?
Quelle philosophie transparaît dans ce texte ?
Une philosophie explicitement et exclusivement répressive. Certes, tout ministre de l'intérieur est amené à adopter des mesures d'ordre répressif et, contrairement à certaines allégations, le gouvernement de M. Jospin n'a nullement failli en la matière en renforçant, notamment, les moyens en effectifs de la police, de la gendarmerie et de la justice. Seulement la sanction participait naguère d'un système équilibré qui reposait également sur la prévention et sur l'éducation.
Ministères de l'intérieur, de la justice, de l'éducation nationale et de la ville travaillaient de concert pour créer des dispositifs et des nouveaux services répondant à de véritables besoins et avaient su recréer du lien social. Il en était ainsi des emplois-jeunes, du programme TRACE pour les jeunes en grandes difficultés, des CES, des CEC, de l'objectif de 20 % de logements sociaux... La répression n'était pas absente, mais elle n'intervenait pas a priori .
Si les mesures de prévention ne sont jamais tapageuses et ne peuvent être que longues à porter leurs fruits, elles sont néanmoins essentielles. Alors pourquoi abandonner tout ce travail accompli en coopération ? Pourquoi les entreprises d'insertion ou les clubs de prévention ont-ils désormais de grosses difficultés pour pérenniser leurs subventions ? Faute de cette coopération, on peut se demander désormais si le ministère de la justice n'est pas devenu un secrétariat d'Etat du ministère de l'intérieur !
J'en viens aux mesures de ce projet de loi.
Nous ne rejetons pas en bloc toutes les dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre. (Exclamations sur les travées du RPR.) Nous pensons, par exemple, qu'il est bon de se doter d'une législation stricte sur les armes et les munitions, conformément à une politique déjà engagée par M. Joxe, ou encore d'encadrer les activités de sécurité privée en imposant une formation. Il me paraît également logique d'aggraver les peines de ceux qui profèrent des menaces à l'encontre des représentants de l'ordre ou des gardiens assermentés d'immeubles.
En revanche, s'il est parfaitement légitime de répondre à l'exigence républicaine de sécurité, notamment en luttant contre la délinquance de voie publique, il me semble choquant d'axer tous les efforts sur une visible reprise en main de la rue, en faisant mine de croire qu'on s'attaque là à l'insécurité la plus grave. Restons sérieux !
Pour n'évoquer que des drames récents, c'est l'insécurité ménagère qui a tué cinq jeunes pompiers à Neuilly-sur-Marne,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'était à Neuilly-sur-Seine ! Quand on veut faire de l'esprit...
M. Jacques Mahéas. ... à Neuilly-sur-Seine, et c'est l'insécurité routière qui a causé la mort de trois jeunes à Neuilly-sur-Marne. Et que dire des menaces terroristes qui doivent appeler toute notre vigilance.
Face à ces réalités, « nettoyer » la rue participe de la plus grande tartufferie. En effet, il s'agit ni plus ni moins que d'éliminer ceux qui peuvent gêner en renvoyant une image jugée déplaisante de notre société : prostituées, mendiants, gens du voyage, étrangers délinquants, groupes de jeunes dans les halls d'immeubles ou vendeurs d'aliments à emporter.
Notons au passage que cet inventaire hétéroclite - bien qu'il ne comprenne pas de raton laveur ! - dessine en filigrane ce qu'est un « bon » citoyen, un citoyen « normal ». On donne ainsi l'illusion d'agir en se débarrassant à bon compte de populations socialement fragiles, aux comportements jugés déviants.
Je ne méconnais pas l'exaspération que peut susciter localement telle ou telle situation, mais pénaliser ainsi les désordres de voie publique reviendra simplement à déplacer les problèmes... tout en encombrant grandement institution judiciaires et prisons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jacques Mahéas. Certes, les rassemblements dans les halls d'immeuble et les cages d'escalier sont un souci pour les habitants concernés, surtout lorsqu'il s'agit, en réalité, d'effectuer du commerce illicite. Mais lorsque les motivations sont plus innoncentes, ne pensez-vous pas que les jeunes en question souffrent avant tout de désoeuvrement ? Leur offrir des lieux d'accueil - j'ai noté vos propositions à cet égard - et des activités encadrées par des éducateurs, résout bien souvent les difficultés. Ce n'est pas de l'angélisme, car cela fonctionne ! J'en atteste.
S'agissant des gens du voyage, vos mesures sont tout à fait inapplicables. Je m'interroge sur l'opportunité des plans départementaux et non communaux. Je m'interroge également sur les différences chiffrées d'un département à l'autre : 800 places d'accueil de caravanes en Seine-Saint-Denis, soit beaucoup plus que dans les Hauts-de-Seine. Pourquoi ?
M. Claude Estier. Bonne question !
M. Jacques Mahéas. Franchement, monsieur le ministre, lorsque quatre cents nomades arrivent dans votre commune - cela a été le cas à Neuilly-sur-Marne voilà deux ans -, comptez-vous saisir tous les véhicules ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On ne fait rien !
M. Jacques Mahéas. A part la négociation, à part des possibilités de dialogue avec les propriétaires de quatre cents caravanes, je pense que, dans ce cas-là, votre loi sera totalement inapplicable.
Par ailleurs, priver des gens du voyage de leur véhicule et, partant, de leur lieu d'habitation ou de leur permis de conduire pour une durée pouvant aller jusqu'à trois ans, n'est-ce pas stigmatiser - et même empêcher - un certain choix de vie ? (M. Philippe Nogrix s'exclame.) Je note votre évolution à ce propos.
Evoquons encore le sort réservé à la prostitution. Croyez-vous vraiment que les prostituées, notamment les jeunes étrangères, au français plus qu'approximatif, tiraillées entre le double écueil de la prison et de la reconduite à la frontière, viendront en masse, au péril de leur vie, dénoncer leur proxénète ? Non, bien évidemment !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On ne fait rien !
M. Jacques Mahéas. On tend là à une prohibition qui ne dit pas son nom, alors que la France est liée par des engagements internationaux de type abolitionniste. Je vous rappelle, monsieur le ministre, car vous avez l'air de contester ce point, qu'il s'agit d'une convention de l'ONU du 2 décembre 1949 que nous avons ratifiée en 1960. Cela ne date donc pas d'hier !
M. Philippe Nogrix. C'est un devoir de protéger les enfants mineurs !
M. Jacques Mahéas. Ces femmes entreront en clandestinité ou seront envoyées sur les trottoirs d'un autre pays. En attendant, l'affichage sera réussi : le bois de Boulogne, qui jouxte Neuilly-sur-Seine, aura retrouvé sa verte tranquillité !
M. Dominique Braye. Caricature, toujours !
M. Jacques Mahéas. Je vous sens très gênés, mes chers collègues !
M. Dominique Braye. Il nous en faudrait beaucoup plus !
M. Josselin de Rohan. Je suis plutôt gêné pour vous !
M. Philippe Nogrix. Ce qui gêne, c'est le raisonnement !
M. Jacques Mahéas. Enfin, je voudrais dire un mot des différents fichiers - police, empreintes génétiques - pour affirmer que le traitement automatisé de données si sensibles me paraît absolument impensable sans la garantie d'un contrôle judiciaire strict. L'inconvénient, voyez-vous, c'est que, en tant que maire de Neuilly-sur-Marne, je sais de quoi je parle ! (M. Dominique Braye et M. Jean-Jacques Hyest s'exclament.)
Quant au sentiment d'insécurité et à la contre-éducation, au-delà des remarques que je viens de formuler, si je trouve aussi peu d'intérêt à ce texte, c'est qu'il manque son objet en traitant non pas d'insécurité, mais de sentiment d'insécurité. (Exclamations sur les travées du RPR.)
L'exposé des motifs de ce projet de loi comprend, en ouverture, la constatation suivante : « L'insécurité est une réalité inquiétante. Le sentiment d'insécurité qu'elle nourrit est encore plus grand. Ces deux phénomènes doivent reculer. » (M. Dominique Braye s'exclame.)
Je ne me laisserai pas ici entraîner dans un débat galvaudé : je ne nie pas l'existence de l'insécurité, ni ses conséquences dramatiques.
M. Jean Chérioux. Mais qu'avez vous fait ?
M. Jacques Mahéas. En revanche, je ne veux pas croire qu'une importante partie de nos concitoyens se soient, en avril dernier, réfugiés dans un vote extrême, parce qu'ils souffraient personnellement de l'insécurité.
M. Dominique Braye. Mais si !
M. Jacques Mahéas. Sinon, comment expliquer ce type de vote dans des villages totalement paisibles ?
Non, ce qui participe du sentiment d'insécurité, que vous qualifiez vous-même de plus grand que l'insécurité elle-même, c'est aussi la façon dont tout cela est médiatiquement orchestré et amplifié.
D'ailleurs, ces derniers temps, les faits divers sordides ne manquent pas, même si leur écho semble plus faible, de l'attentat dont a été victime M. Delanoë, à la jeune fille brûlée vive par un ex-compagnon, en passant par les incendies de voitures, le « caillassage » des pompiers à Strasbourg et les attentats en Corse. (M. Philippe Nogrix s'exclame.)
Gageons toutefois que la logique de résultat sera bonne : les chiffres de la délinquance vont baisser. Les techniques de montage des statistiques sont très subtiles et parions que les préfets, traités comme de bons ou de mauvais élèves, auront à coeur d'offrir d'honorables résultats ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Nous connaissons tous des exemples où les commissariats préfèrent déjà les mains courantes au dépôt de plainte ! Personnellement, j'en connais deux exemples flagrants à Neuilly-sur-Marne.
Un sénateur du RPR. Ce n'est pas un bon exemple !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On a les commissariats qu'on mérite !
M. Jacques Mahéas. Là encore, monsieur le ministre, vous me paraissez manquer votre objectif en vous attaquant à ce qui est le plus visible, aux conséquences plutôt qu'aux causes. Or ces causes sont plutôt a rechercher du côté de ce que j'appellerai une « contre-éducation », dont les manifestations sont diverses : la télévision et ses films violents ; les jeux vidéos ou il faut éliminer l'adversaire en usant de réflexes et non de réflexion ; les rubriques de certains journaux avec leurs faits divers abjects ; la logique de consommation érigée en valeur par la publicité omniprésente ; l'argent roi, gagné facilement et parfois gaspillé par nos édiles, industriels, politiques et sportifs ; la rue, ses phénomènes de bandes et son commerce parallèle ; l'alcool, dont on mésestime trop souvent les graves dégâts ; le milieu carcéral ; enfin, l'intégrisme religieux ou coutumier.
M. Dominique Braye. Qu'est-ce que vous avez fait depuis cinq ans ?
M. Jean Chérioux. Cinq ans à ne rien faire et à dormir !
M. Jacques Mahéas. Ce constat, loin de nous conduire à une dérive sécuritaire, nous inviterait plutôt à poursuivre les actions éducatives entamées et à accélérer la consolidation du lien social.
La droite, elle, se gargarise et raille les « droits-de-l'hommiste ». Mais pensez-vous réellement que l'abbé Pierre puisse être rangé dans une telle catégorie ?
M. Roger Karoutchi. Voilà, on y est !
M. Jacques Mahéas. Chacun connaît son engagement sur le terrain et il n'est d'ailleurs pas anodin que les premières communautés d'Emmaüs aient vu le jour à Neuilly-sur-Marne et à Neuilly-Plaisance. (Rires sur les través du RPR.)
M. Claude Estier. Il n'y a pas de quoi rire !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas risible !
M. Jean Chérioux. On ne va pas pleurer !
M. Jacques Mahéas. Or l'abbé Pierre s'inquiète au point de nous soumettre un amendement sur une insécurité qui vous aura échappé, monsieur le ministre : celle des exclus.
Comme à Sangatte, vous allez déplacer les problèmes, et non pas les résoudre. Ce projet de loi pour la sécurité intérieure donne l'apparence d'une grande activité ministérielle, avec une connotation très droitière. (Exclamations sur les travées du RPR) Vous présentez, monsieur le ministre, un ersatz d'une politique souhaitée par des Français qui flirtent avec l'extrême-droite ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. C'est le catéchisme !
M. Jacques Mahéas. Non, décidément, monsieur le ministre, nous ne pouvons en aucun cas soutenir une loi à courte vue, dont la philosophie, explicitement et uniquement répressive, néglige le fond du problème pour ne s'attaquer qu'à ses apparences matérielles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Bernard Murat. Avec cela, le Front national est tranquille ! Il continuera de progresser !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté, au mois de juillet dernier, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
Le texte qui nous est aujourd'hui soumis décline une partie très importante des orientations que nous avons alors approuvées, monsieur le ministre, et qui font de la sécurité l'une des priorités de l'action de l'Etat.
Contrairement à ce que vient d'indiquer M. Mahéas, l'ancien ministre de l'intérieur aurait souhaité pouvoir faire voter ces dispositions (M. Dominique Braye s'exclame.) , mais on ne lui en a donné ni les moyens ni les outils ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Messieurs de l'opposition, vous avez fait voter, au mois de janvier dernier, en catastrophe, un certain nombre de dispositions...
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Hyest. ... dont l'esprit était, je le rappelle, dans la droite ligne de celles qui sont proposées aujourd'hui. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.) Il est donc inutile de continuer de parler de ceux qui sont généreux et de ceux qui sont sécuritaires ! La sécurité, c'est un bien qui est commun ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Comme l'a noté la commission des lois, on ne peut que se féliciter de la mise en oeuvre rapide des engagements pris en ce qui concerne tant les moyens matériels et humains - bien entendu, ils se développeront au cours des prochaines années et nous aurons l'occasion d'en reparler, monsieur le ministre, lors de l'examen du projet de loi de finances - que les instruments juridiques nécessaires à la conduite d'une politique efficace.
A l'évidence, il ne saurait être question, dans le cadre de la discussion générale, de développer une appréciation détaillée de chacun des aspects importants du projet de loi.
Notons que, contrairement à ce qui s'était produit pour la loi d'orientation de 1995, qui a, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, largement inspiré le dispositif actuel - c'était une grande loi ! -, mais dont beaucoup d'éléments avaient été abandonnés en chemin, on ne peut qu'apprécier le respect des orientations approuvées par le Parlement.
Je constate néanmoins que l'insécurité routière, qui est aussi l'un des fléaux de notre société, fait l'objet d'un projet de loi en cours d'élaboration.
Tout d'abord, le projet de loi vise à assurer une meilleure cohérence de l'action en matière de sécurité intérieure en ce qui concerne tant la direction, sur le terrain, des forces de police et de gendarmerie, que les dispositions en matière de police judiciaire, le traitement automatisé d'informations et le renforcement des moyens de la police technique et scientifique.
Sur le premier sujet, il me paraît important que, sans remettre en cause l'unité de commandement nécessaire des forces de sécurité intérieure, soit précisée la spécificité de la gendarmerie nationale, dont le statut militaire s'accompagne de contraintes qui apparaîtraient vite insupportables si l'on voulait trop rapprocher ce statut de celui de la police nationale. Nous reviendrons sur cette question lors de l'examen des articles.
Mais l'amélioration de l'efficacité des forces de police et de gendarmerie passe aussi par des mesures qui relèvent non pas de la loi, mais de l'organisation de l'Etat.
Qu'il s'agisse des tâches dites « indues », de la meilleure utilisation des forces mobiles, de la suppression d'un certain nombre de gardiens de la paix ou de gendarmes, qui attendent paisiblement devant la porte d'une ambassade ou d'un ministère, de l'externalisation des tâches logistiques (M. Jacques Mahéas s'exclame) , elles contribuent à une véritable réforme de l'Etat, comme bien sûr le problème récurrent de la meilleure répartition des forces de police et de gendarmerie sur le territoire. Je n'en dirai pas plus, mais je sais que vous avez l'intention de poursuivre cette réforme.
Quel que soit l'effort de recrutement, il ne doit pas être consacré à maintenir des inégalités criantes et se briser sur le conservatisme et le corporatisme souvent masqués par la défense de grands principes. Nous l'avons trop vu dans ce domaine.
A ce sujet, et s'il faut donner une priorité à la police de proximité et lui octroyer les moyens de lutter efficacement contre l'insécurité quotidienne, la grande criminalité, les réseaux mafieux qui alimentent les trafics d'êtres humains ou de stupéfiants, la délinquance itinérante nécessitent la coopération efficace de divers services et un renforcement des moyens et des outils de la police judiciaire. Au fil des ans, celle-ci avait perdu beaucoup de moyens, ce qui explique son efficacité relative.
C'est dire que tout ce qui concerne le dispositif relatif aux investigations policières ne peut qu'être approuvé, bien que je sois un peu dubitatif sur l'efficacité de la création d'une réserve civile de la police nationale. Est-ce pour faire un peu comme les gendarmes ?
Quant aux fichiers qui n'avaient pas, jusqu'a présent, d'encadrement législatif, et sous contrôle de l'autorité judiciaire garante des libertés publiques, il y a lieu de saluer l'effort de clarification, de même que doivent être approuvées toutes les dispositions sur la fouille des véhicules et les dispositifs de contrôle des données signalétiques de véhicules, qui figuraient déjà dans la loi du 17 janvier 1995.
En revanche, on ne s'étonnera pas que l'article 4 du projet de loi me laisse plus perplexe compte tenu des débats que nous avions eu à l'occasion de l'examen de la loi du 4 mars 2002. Je continue à préférer « les indices faisant présumer » à la notion très ambiguë de « raisons plausibles de soupçonner », d'un anglicisme peu fréquent dans notre culture juridique.
Si nous en venons aux dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, elles se situent dans la droite ligne de ce que nous avons adopté en février 2002, tant la menace du terrorisme continue à être présente.
En ce qui concerne le chapitre VI, qui a trait aux dispositions relatives à la tranquillité et à la sécurité publiques, il s'agit de la création de nouvelles infractions pénales.
Il n'y a rien à dire des articles 20 et 21, qui visent à renforcer la protection des personnes exerçant une fonction publique ou assimilée et de leurs familles. Vous avez raison, monsieur le ministre, car nous, c'est-à-dire l'Etat et les collectivités locales, nous avons le devoir de protéger nos fonctionnaires. Simplement, il arrive bien souvent que nos dépôts de plainte et nos constitutions de partie civile n'aient aucune suite.
En revanche, je m'arrêterai sur les articles 19, 21, 22 et 23. Ils correspondent bien à l'attente de nos concitoyens et des services de police, ces derniers étant impuissants devant des phénomènes tels que le racolage, l'occupation illicite de terrains par les gens du voyage, la mendicité agressive et l'exploitation de la mendicité, sans parler des attroupements dans les halls d'immeubles.
Certes, nos services ont besoin d'armes juridiques pour combattre ces comportements qui alimentent le sentiment d'insécurité. Cependant, la question qui se pose toujours en matière de création d'infractions nouvelles est de savoir si, en fait, elles ne « doublonnent » pas des infractions existantes.
Il existe déjà, il est vrai, de nombreuses incriminations pour troubles de voisinage et troubles à l'ordre public mais, à la limite, je préfère des dispositions pénales précises à des arrêtés municipaux dont la légalité est aléatoire, et dont les services de police et la justice ont tendance à ne pas tenir compte, quand ils ne s'en moquent pas totalement !
Sur le problème des gens du voyage, nous avions déploré les insuffisances du texte dit « Besson » dans ce domaine. Cela étant, le dispositif qui nous est proposé ici, outre le fait que l'on oblige les communes concernées à assumer leurs responsabilités légales pour bénéficier des dispositions de l'article 19, ne résoudra pas tous les problèmes, notamment ceux qui nous sont signalés périodiquement par les chefs d'entreprise et par les agriculteurs - nous sommes très touchés dans nos départements de grande couronne -, qui sont régulièrement confrontés au stationnement sauvage de groupes importants de caravanes. Mais mon excellent collègue M. Pierre Hérisson évoquera plus complètement ce dossier.
Quant au racolage passif dont il est proposé de faire un délit - il a retenu l'attention de certains médias plus que toutes les autres dispositions importantes du projet de loi - rappelons qu'il fut d'abord une contravention et que, compte tenu de son inefficacité, à l'époque, cette contravention fut supprimée.
Lors d'un débat récent - c'était au mois de février -, nous avions toutefois accepté d'incriminer le fait pour les clients d'avoir recours à des prostituées mineures, compte tenu du développement du fléau que constitue l'exploitation de mineures venant d'Afrique ou d'Europe de l'Est.
Aujourd'hui, on va plus loin. Instituer un nouveau délit de racolage passif permettra, selon ce que vous nous en avez dit, monsieur le ministre, ainsi que les services de police, de permettre la remontée de filières de prostitution mafieuses, par la mise en garde à vue des prostituées. En fait, c'est le but.
D'autres craignent que, loin de les faire diminuer, le nouveau délit ne rende simplement ces trafics plus souterrains, et donc plus dangereux pour des prostituées qui demeurent des victimes plus que des délinquantes.
Encore faut-il que le dispositif soit précis. C'est d'ailleurs pourquoi la rédaction de l'article 225-10-1 nouveau du code pénal a dû être améliorée (M. le ministre acquiesce) , des précisions inutiles pouvant, sinon, donner lieu à des interprétations erronées.
Bien sûr, il faut soutenir avec beaucoup de force les dispositions qui concernent les prostituées vulnérables, de même que celles qui permettent de protéger ceux qui dénonceront les proxénètes dont elles sont victimes. A condition, toutefois, monsieur le ministre, que cette protection soit réelle et efficace.
M. Jean-Pierre Godefroy. Rappelez-vous Toulouse !
M. Jean-Jacques Hyest. On a pu voir, dans le passé que, parfois, la protection s'arrêtait à la porte du commissariat.
Il faut vraiment organiser une protection efficace si l'on veut que ces personnes soient effectivement protégées.
M. Claude Estier. C'est tout le problème !
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut mettre les moyens ! Ce n'est pas une question de lois et de règlements nouveaux.
Rien ne sert de créer chaque année, comme nous le faisons à un rythme accéléré, bon an mal an, cinquante ou soixante infractions nouvelles. Ce qui importe, c'est non pas l'abondance des textes, mais bien la certitude de leur application. (M. Charles Gautier s'exclame.) Nous l'avons constaté, le caractère aléatoire de la répression des infractions et l'engorgement des juridictions laissent craindre que, demain comme hier, la chaîne pénale ne souffre vite de paralysie.
C'est l'un des grands enjeux aussi de la loi d'orientation et de programmation pour la justice que nous avons votée cet été, car les dispositifs dissuasifs que vous nous proposez, monsieur le ministre, doivent être accompagnés d'une réelle politique pénale.
Si la délivrance d'une autorisation de séjour à l'étranger qui dépose plainte est une mesure utile et protectrice, il faut saluer l'initiative prise par notre rapporteur et la commission des lois pour compléter le dispositif du Gouvernement par le texte de la proposition de loi concernant la traite des êtres humains, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
La lutte contre le trafic d'être humains doit demeurer une priorité, ce qui exige que les moyens policiers et judiciaires nécessaires y soient affectés. Monsieur le ministre, nous aimerions savoir si l'office central pour la répression de la traite des êtres humains bénéficie et bénéficiera de moyens accrus, car la meilleure manière de lutter contre la prostitution est de remonter à la source de ces trafics.
Je passe volontairement sur les dispositions relatives aux armes et aux munitions, tant ce problème semble être, pour les services chargés du contrôle des armes, l'équivalent du travail de Pénélope. Certes, les événements récents, tout à fait horribles, justifient l'amélioration du dispositif de limitation très stricte d'acquisition et de détention d'armes, quelles qu'elles soient, toutes étant dangereuses. Mais les préfectures sont-elles en mesure d'assumer la fiabilité du dispositif prévu, comme du dispositif actuel ?
Dernier volet de ce texte et non le moindre, à nos yeux, le titre concernant la réglementation de la sécurité privée. J'aurais envie de dire : « Enfin ! ». Cette réglementation remise par deux fois, demandée par les entreprises sérieuses et qualifiées, ayant fait l'objet de nombreuses consultations, est une nécessité tant le secteur de la sécurité privée se développe. Compte tenu de son rôle croissant dans notre société, l'Etat ne saurait se désintéresser de cette activité qui doit donner des garanties en termes de compétence, de déontologie et de protection des libertés publiques. Ce projet de loi, même s'il pourrait faire l'objet de quelques précisions, notamment en ce qui concerne le convoyage de fonds, marque bien que le Gouvernement ne se désintéressera pas de ce secteur.
A ce propos, où en est l'application des dispositions de la loi du 15 novembre 2001 ? Je pose la question, car il semble y avoir des difficultés d'application, notamment pour un certain nombre d'établissements bancaires.
La sécurité, qui est la garantie pour tous les citoyens, où qu'ils se trouvent, de vivre en « sûreté », justifie parfaitement ce projet de loi compte tenu du développement de la délinquance violente de voie publique notamment.
Dans une démocratie, la sécurité doit s'accompagner d'une attention toute particulière portée au respect et à la protection de la liberté individuelle et, globalement, des libertés publiques. Le législateur doit aussi y veiller, sans nuire à l'efficacité des services qui, chargés de la sécurité, doivent à tout moment faire l'objet d'une bonne formation et témoigner d'un grand discernement.
Surtout, la Constitution confie à l'autorité judiciaire le soin d'être la gardienne de la liberté individuelle.
L'ensemble doit se situer dans un vaste programme de prévention. Il faut encore féliciter le Gouvernement de la promptitude et de la cohérence de sa démarche, mais la discussion de ce texte ne saurait faire oublier la nécessité de politiques de la ville, de l'éducation et de la justice cohérentes. Nous savons que c'est aussi la volonté du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ne conteste aujourd'hui - surtout pas nous, parlementaires communistes, élus de villes populaires - la réalité de la montée de la délinquance dans notre pays, dont les auteurs sont de plus en plus jeunes et de plus en plus violents.
La lutte contre l'insécurité, qui touche au premier plan les populations les plus démunies et aggrave leurs difficultés de vie, est devenue une priorité qu'il convient de prendre très au sérieux.
Cependant, traiter la délinquance nécessite de prendre des mesures sur le court, le moyen et le long terme, des mesures qui soient appropriées et proportionnées au résultat recherché. Ce n'est certainement pas en déclarant l'urgence, à la dernière minute, sur ce texte, monsieur le ministre, que vous améliorerez le traitement de l'insécurité. Et c'est bien là que le bât blesse et que nous ne pouvons pas, nous, parlementaires communistes, accepter vos réponses, monsieur le ministre.
Je précise que mon collègue François Autain interviendra un peu plus tard pour exposer la position des sénateurs du Pôle républicain sur ce texte.
Avec ce projet de loi, vous affichez, monsieur le ministre, l'ambition de garantir la sécurité des Français, et d'abord celle des plus pauvres d'entre eux. Bien ! Qui pourrait s'y opposer ? Personne, évidemment.
Votre texte doit, selon vous, répondre à une triple ambition : améliorer l'efficacité des forces de sécurité intérieure dans la recherche des auteurs de crimes et de délits ; moderniser notre droit afin de mieux appréhender certaines formes de délinquance ; enfin, renforcer l'autorité et la capacité des agents publics concourant à la restauration de la sécurité.
C'est sans aucun doute le rôle du ministre de l'intérieur.
Cependant, à y regarder de plus près, votre projet de loi, bien qu'il ait été allégé des quelques fameuses dispositions empiétant notamment sur les prérogatives de votre collègue de la justice, affiche une conception de l'ordre public fondée sur l'exclusion et la répression. Je m'explique et je vais essayer de le faire sans polémique et sans caricature.
Votre « brouillon » initial - comme vous l'avez vous-même nommé - vous aura, en réalité, permis de tester l'ensemble de votre arsenal répressif auprès de l'opinion publique pour voir jusqu'où vous pouviez aller en la matière, en d'autres termes, pour voir ce que les Français étaient prêts à supporter au nom de cette fameuse lutte contre l'insécurité.
Le premier texte comprenait quatre-vingt-neuf articles, dont la sanction de l'absentéisme scolaire et tout un pan de réforme de la procédure pénale, avec, notamment, la remise en cause de la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue et de la durée de cette garde à vue, le fait que celle des mineurs soit désormais calquée sur celles des majeurs, et la sanction du squat.
Devant le tollé - le mot n'est pas trop fort - que ces mesures ont soulevé dans les milieux scolaire, judiciaire, associatif ou politique, vous avez fait officiellement machine arrière.
Je pense, par exemple, à la mobilisation du DAL, qui vous a obligé à retirer de votre texte la sanction de l'utilisation d'un bien immobilier sans autorisation.
Ainsi, monsieur le ministre, quand des organisations et des associations se mobilisent, vous regardez à deux fois avant de créer de nouvelles incriminations !
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Robert Bret. Je constate, pour ma part, que votre action s'attache davantage à lutter non pas contre l'insécurité elle-même, mais contre le sentiment d'insécurité qu'elle nourrit.
J'en veux pour preuve l'exposé des motifs du projet de loi, dans lequel vous indiquez clairement que « le sentiment d'insécurité est plus grand que la réalité inquiétante de la sécurité ».
Votre texte répond donc bien à une volonté d'affichage politique, et non à la volonté de lutter contre les causes profondes de cette insécurité. C'est bien cela que nous vous reprochons !
Vous nous répondez, monsieur le ministre, que vous agissez selon la volonté des Français pour rétablir les valeurs républicaines. Mais qui peut croire un seul instant que les Français auraient voté pour une restriction de leurs libertés ou encore pour une criminalisation de la pauvreté ? (Exclamations sur les travées du RPR.)
Depuis la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002, c'est bien le soupçon, la répression et la détention qui prévalent sur la présomption d'innocence et la liberté.
Avec ces dispositions, nous assistons à un véritable recul de la fonction de juger, fonction qui perd de sa substance avec votre projet de loi.
La procédure pénale est profondément révisée en faveur des policiers. La règle devient la systématisation de la comparution immédiate, avec les conséquences que cela entraîne : les droits de la défense sont amenuisés - les juges n'auront que quelques minutes pour juger - alors que l'on constate déjà une augmentation du nombre des peines lourdes prononcées à l'issue de ces audiences.
En juillet dernier, dans les deux lois d'orientation qu'il nous a présentées, le Gouvernement a principalement pris pour cible la jeunesse, plutôt d'origine étrangère et issue de milieux modestes ; aujourd'hui, il « récidive » avec les nouvelles « classes dangereuses » que constituent les catégories les plus soumises à la pauvreté et à la violence de notre société.
Nous assistons à un véritable durcissement de notre droit pénal là où des réponses sociales sont nécessaires et font défaut.
C'est non seulement dangereux mais, surtout, monsieur le ministre, inefficace et contre-productif.
En effet, les premières victimes de violences, ce sont les jeunes. Cette violence, qui se retourne souvent contre eux-mêmes, s'exprime par le racket, les viols collectifs, l'utilisation abusive d'alcool ou le recours à la drogue.
Mais la violence se retourne également contre les populations marginalisées, les prostituées, les SDF, le plus souvent en lutte pour la délimitation des territoires de chacun.
Franchement, est-ce l'arsenal répressif qui fait défaut aujourd'hui ? Ou bien n'est-ce pas plutôt le tissu social qui manque ? Je pense ici à une police réellement proche, aujourd'hui absente des quartiers, et plus encore aux moyens d'accompagnement social, d'insertion et de réinsertion.
La solution ne peut consister à augmenter le nombre des arrestations, des condamnations pénales et donc, à terme, celui des incarcérations.
Que se passera-t-il lorsque ces incarcérations auront atteint des proportions que nous ne sommes pas en mesure de prévoir aujourd'hui ?
Vous savez d'ailleurs pertinemment que, si l'emprisonnement éloigne les personnes délinquantes de la société et fait baisser les chiffres de la délinquance, une fois les peines purgées, l'insertion n'est pas au rendez-vous. Que proposerez-vous comme projet de réinsertion à ceux qui sortent de prison ?
Elles ne seront pourtant pas coupables de délinquance à vie. Vous devrez les aider à un moment ou à un autre, alors pourquoi ne pas le faire avant qu'il ne soit trop tard ?
D'ailleurs, ce texte ne prend pas plus en compte l'aide aux victimes que le traitement de la récidive. Pourtant, vous n'hésitez pas à indemniser, avant même d'avoir examiné précisément les cas, et surtout devant les caméras, les personnes qui ont vu leur voiture incendiée à Strasbourg le mois dernier.
Or, prévoir une aide juridictionnelle efficace participe aussi, monsieur le ministre, à la lutte contre l'insécurité.
En bref, vous souhaitez ni plus ni moins mettre sous tutelle policière et pénale des personnes qui sont déjà marginalisées par leur mode de vie.
Alors que vous vous présentez comme le défenseur des Français les plus pauvres, vous les considérez en réalité comme des citoyens de seconde catégorie qu'il faut soumettre à un contrôle qui deviendra permanent puisque, de par leur statut, ils sont soupçonnés par avance de déviance morale et criminelle. Avec vous, les pauvres sont devenus coupables de l'être !
En résumé, votre texte criminalise la différence en rejetant de la société ceux qui en étaient déjà partiellement écartés.
Vous décidez de fermer les yeux sur ceux qui ont délibérément choisi la délinquance, qui doivent être distingués de ceux qui rencontrent la délinquance sans l'avoir choisie, le plus souvent pour une question de subsistance.
Ce sont les premiers qu'il faut sanctionner, alors que les seconds doivent être accompagnés dans un processus de socialisation et de retour à une vie normale.
Par votre texte, monsieur le ministre, vous faites le choix délibéré de substituer le policier au juge et à l'éducateur, alors même que notre pays a besoin d'une véritable politique de prévention de la délinquance et de la récidive.
Or, l'on sait - et vous le premier - que le taux de récidive est moins important chez les condamnés qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle que chez ceux qui ont purgé la totalité de leur peine.
C'est bien la preuve que la prison n'est pas la solution pour enrayer la délinquance et l'insécurité.
Monsieur le ministre, pourquoi procédez-vous à une telle surenchère pénale alors que les parquets n'utilisent que 200 des 12 000 infractions qui sont actuellement répertoriées dans le code pénal ? Pourquoi ne pas exploiter correctement l'arsenal juridique dont nous disposons, monsieur le ministre ? Est-il vraiment nécessaire de créer de nouvelles infractions ?
Je pense plutôt qu'il convient en priorité de donner à la justice les moyens d'accomplir ses missions en utilisant correctement les infractions qui sont à sa disposition. Cela s'impose d'autant plus que la justice est déjà encombrée par le développement de la judiciarisation dans notre pays.
Vous n'hésitez pas à étendre le champ d'application des fichiers de police et des empreintes génétiques de façon démesurée, les conditions d'entrée et de sortie n'étant pas définies de façon claire, monsieur le ministre.
Il est possible d'être fiché à n'importe quel âge, y compris en cas de non-lieu. Nous avons déposé un amendement afin de modifier ces dispositions.
Par cette extension de l'utilisation des fichiers, vous rendez inexistant le contrôle de la justice sur l'action d'une police dont le pouvoir d'investigation est bien trop vaste.
Tous les citoyens sont concernés et non pas simplement les plus démunis. Croyez-vous qu'ils accepteront, parce qu'ils seront simplement soupçonnés dans une affaire ou, pire, entendus comme simple témoin, d'être fichés, y compris génétiquement, sans avoir jamais été reconnus coupables ? Je ne le pense pas.
Le pouvoir donné à la police dans ce domaine est disproportionné par rapport aux libertés publiques, au droit de chacun et au respect de la vie privée.
Par ailleurs, le principe de la présomption d'innocence est mis à mal dans ces dispositions. Mais cela ne vous dérange certainement pas, monsieur le ministre, vous qui ne cessez de stigmatiser la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, qui serait, selon vous, un frein à l'investigation policière.
Nous émettons les mêmes doutes et les mêmes critiques à l'encontre des dispositions facilitant la fouille des véhicules. Encore une fois, le citoyen lambda ne sera plus protégé par notre droit puisque son véhicule pourra être immobilisé pendant trente minutes au bord de la route au seul motif qu'une infraction a eu lieu dans ce périmètre. C'est la porte ouverte à tous les arbitraires !
Nous avons déposé des amendements tendant à la suppression pure et simple de la possibilité donnée à la police de fouiller les véhicules dans les conditions prévues par le texte.
Ce ne sont pourtant pas les seules dispositions critiquables de ce projet de loi.
Le chapitre VI, qui traite de la tranquillité et de la sécurité publiques, prévoit pêle-mêle des dispositions à l'encontre des prostituées, des gens du voyage, des mendiants, des jeunes se rassemblant dans les halls d'immeubles.
A croire que ce sont des personnes dangereuses et que, pour préserver la tranquillité et la sécurité, il n'est pas d'autre moyen que de les mettre en prison ! Vous avouerez, monsieur le ministre, que c'est un traitement social de la misère quelque peu réducteur !
En effet, les mesures dirigées contre les prostituées sont en totale contradiction avec le travail qu'effectuent les associations dans ce domaine. Vous le savez.
Seules les personnes qui se prostituent sont visées par votre texte, qui punit le racolage de 6 mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.
Les personnes qui, par leur tenue vestimentaire ou par leur attitude, se livrent au racolage sont visées. L'amendement que le Gouvernement a déposé ce matin ne prévoit pas, à ce sujet, une véritable amélioration. La caractérisation de l'infraction sera bien difficile à établir, monsieur le ministre !
Les prostituées seront les nouvelles victimes des policiers, qui choisiront arbitrairement d'arrêter une fille, selon qu'ils considéront qu'elle porte, ou non, une tenue provocante.
Par ailleurs, ne vous trompez pas de cible, monsieur le ministre, ce ne sont pas les prostituées qu'il faut mettre en prison : le trottoir en est souvent déjà une, qui leur est imposée par leur proxénète.
Ce sont ces derniers qu'il faut poursuivre. Malheureusement, une simple action au niveau national n'est pas suffisante, vous l'avez dit tout à l'heure. Pourquoi n'instaurez-vous pas une coopération européenne afin de lutter non pas contre une vague d'immigration que vous semblez redouter, mais contre ces proxénètes qui dirigent le plus souvent leurs réseaux depuis les pays de l'Est ?
Pourquoi criminaliser des personnes qui sont déjà marginalisées et le plus souvent victimes des violences de leurs souteneurs, bien sûr, mais aussi des autres prostituées ? Leur réinsertion est déjà délicate à mettre en oeuvre, elle le sera encore davantage après un séjour en prison.
Nous nous opposons au traitement que vous voulez infliger aux prostituées. Nous défendrons un amendement tendant à la suppression de ces dispositions.
Quant aux gens du voyage, les sanctions proposées sont également synonymes de rejet, même si les communes ne peuvent engager de poursuites que si elles se sont conformées à la loi Besson, ce qui doit être remarqué. Il est encore une fois prévu des sanctions là où une politique d'accueil correctement appliquée aurait constitué un point de départ à l'intégration des populations nomades.
Faut-il rappeler, par ailleurs, qu'il est déjà possible d'agir en cas de violation d'une propriété ou de dégradations commises sur celle-ci, monsieur le ministre ? Pourquoi créer de nouvelles infractions là où il en existe déjà ? Vous nous répondez que cette mesure incitera les maires à se mettre en conformité avec la loi Besson, c'est-à-dire que l'on ajoute des dispositions au code pénal pour que les élus appliquent la loi Besson ! Où va-t-on ?
La même critique peut être formulée à l'encontre les dispositions relatives à la mendicité. Le maire, en tant que détenteur d'un pouvoir de police administrative, peut déjà intervenir en cas de trouble à l'ordre public dans sa commune, à condition d'édicter un arrêté dont la portée soit adaptée et proportionnée aux risques et que celui-ci ne contienne pas d'interdiction générale et absolue, au regard des nécessités de l'ordre public.
S'agissant de sanctionner « la demande de fonds sous contrainte », comment qualifier objectivement l'agressivité, monsieur le ministre ?
Cette mesure ouvre largement la voie à l'arbitraire policier. C'est d'autant plus inadmissible dans un Etat de droit que l'extorsion s'applique déjà à ce genre de situation, puisqu'elle consiste, aux termes de l'article 312-1 du code pénal, à obtenir par la violence, par la menace de violences ou par la contrainte, notamment la remise de fonds.
Voilà qui peut répondre au souci de sanctionner la mendicité agressive et qui est de nature à montrer que votre article concernant la demande de fonds sous contrainte n'a pas beaucoup de sens.
En ce qui concerne les rassemblements de jeunes dans les halls d'immeubles, depuis la loi Vaillant sur la sécurité quotidienne - que les parlementaires communistes n'ont d'ailleurs pas votée - les policiers peuvent intervenir à la demande des bailleurs pour dégager les parties communes d'immeubles, ce qui se solde généralement par une procédure pour outrage à policier et rébellion.
Mais, le plus souvent, ce sont les élus locaux qui se trouvent démunis face aux nouvelles formes de délinquance.
Les élus locaux et leurs concitoyens, particulièrement ceux que je connais le mieux, sont aux prises avec les difficultés sociales et ils constatent de surcroît les trafics en tous genres, l'économie parallèle, la violence, la drogue. Ils attendent une politique concertée, monsieur le ministre.
Cette politique doit mettre en oeuvre des outils appropriés contre les trafics, qu'il s'agisse de la police et de la justice, au niveau nécessaire. Elle requiert une police de proximité formée et insérée dans les quartiers, des mesures éducatives et de prévention pour les jeunes et une prise en charge effective, dans la durée, de ceux qui sont les plus marginalisés, pour favoriser l'insertion et la dignité des populations les plus fragilisées.
Nous avons d'ailleurs déposé des amendements qui tendent à supprimer les sanctions mal adaptées aux situations rencontrées par les gens du voyage, les mendiants et les jeunes.
Autrement dit, chers collègues, nous estimons que ce texte affiche une politique de répression, d'enfermement et d'exclusion dont les conséquences peuvent être graves, y compris pour les policiers, monsieur le ministre, alors que la prévention et le traitement en sont absents.
Mais est-ce si surprenant ? Cette politique pénale répressive n'est-elle pas le corollaire de la politique économique et sociale ultralibérale que le Gouvernement est en train de mettre en place avec les privatisations, la baisse des impôts et des charges sociales, la remise en cause de la solidarité nationale dans le financement de la sécurité sociale, la diminution de postes dans la fonction publique, la suppression des services publics de proximité, les licenciements, la réforme des retraites, la suppression des emplois-jeunes ?
Votre gouvernement a décidé de s'occuper des populations dites « à problèmes », c'est-à-dire celles qui ne se soumettent pas docilement à l'impératif du travail flexible, par la voie pénale.
Nous assistons à la mise en place d'une gestion sécuritaire et policière de l'Etat dont les fonctions régaliennes sont réduites à leur plus simple expression : police, défense et justice.
Voilà l'investissement de l'Etat dans la société que la République propose désormais aux citoyens ! Nous sommes bien loin de l'Etat providence, monsieur le ministre.
Pour accompagner la lutte contre la délinquance, les crédits accordés au ministère de l'intérieur dans le projet de budget pour 2003 augmentent de manière significative, de même que ceux qui sont alloués aux ministères de la justice et de la défense.
En 2003, les moyens de la police nationale atteindront 5,45 milliards d'euros, soit une hausse de 5,8 % par rapport à 2002 ; ceux de la gendarmerie s'élèveront à 4,26 milliards d'euros, soit une progression de 8,4 %.
Les maires sont cependant inquiets. J'ai reçu une lettre du préfet des Bouches-du-Rhône indiquant que deux gendarmeries et quatre commissariats étaient visés par le projet de restructuration et de redéploiement que vous envisagez. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec des maires qui pensent au contraire qu'ils risquent de se trouver encore plus démunis face à l'insécurité.
Les budgets des trois domaines régaliens privilégiés par le Gouvernement sont en forte hausse, alors que les budgets à caractère éducatif ou social qu'il s'agisse de l'éducation nationale, de la protection sociale, du logement ou de la politique de la ville, sont en diminution.
Or il faudrait par exemple créer de nouvelles structures d'accueil et d'hébergement pour les sans-domicile fixe, les prostituées et les gens du voyage - notamment pour les grands rassemblement qui sont de la responsabilité de l'Etat - et de nouveaux centres de vie au sein des quartiers dits « sensibles ».
Ces derniers auraient vocation à accueillir des jeunes, le plus souvent déscolarisés et sans repères, ceux-là mêmes qui se réunissent dans les halls d'immeubles et que vous préférez mettre en prison, monsieur le ministre !
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Robert Bret. Il aurait été également préférable de créer des programmes efficaces d'insertion et d'alphabétisation.
Les populations visées nécessitent avant tout des réponses sociales en termes de logements sociaux, ou encore d'aides sociales pour les sans-logis, réduits à la mendicité.
Monsieur le ministre, conformément à l'engagement pris par le Parlement dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, « la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation ».
Le Gouvernement décide pour sa part d'apporter des réponses pénales en aval, telles que la prison, plutôt que de privilégier, en amont, la prévention de la délinquance et de la récidive.
Dans ces conditions, vous comprendrez que les sénateurs communistes refusent de s'associer à un texte qui relève plus de la stigmatisation, de l'affichage politique, de la démagogie pour rassurer les Français que d'une réelle volonté de s'attaquer de manière efficace et en profondeur au problème de l'insécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations ironiques sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liste des formes de délinquance et de criminalité auxquelles l'Etat doit faire face dans sa mission de maintien de l'ordre, de la sécurité, de la tranquillité publics est longue : proches de nous, le drame de Nanterre ou celui de Chambéry, les tentatives d'assassinat du Président de la République et du maire de Paris, l'agression de policiers, de pompiers, de convoyeurs de fonds, de conducteurs de bus, la prolifération de la prostitution et du proxénétisme, l'exploitation de la mendicité, les agressions verbales et physiques, les agressions, parfois mortelles, de jeunes filles.
Se contenter d'effectifs et de moyens matériels et financiers supplémentaires n'aurait pas suffi à enrayer le processus de délinquance croissante dans lequel notre pays s'est engouffré.
Je me félicite donc des orientations de ce projet de loi qui visent non seulement à permettre d'appréhender plus efficacement la délinquance et certaines formes de criminalité, mais qui s'attachent également à restaurer l'autorité de l'Etat et à prendre en considération les risques liés au terrorisme et aux armes à feu.
Depuis un certain temps, des voix s'élèvent et ce que nous appelons, dans le comté de Nice, le « festin des reproches » se développe, alimenté par différents collectifs politiques, syndicaux, de défense, voire parfois confessionnels et d'associations.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'abbé Pierre !
M. Jacques Peyrat. Mais notre devoir, je crois, consiste à dire les choses telles que nos concitoyens les ressentent majoritairement dans le pays et à provoquer les changements susceptibles de répondre à leur attente et, partant de là, outre le fait de satisfaire celle-ci, de réconcilier les Français avec la vie publique.
Je pense, bien évidemment, à la majorité de notre population telle qu'elle s'est exprimée aux dernières élections présidentielles et législatives, même si je comprends que se dressent des opposants, quelques minorités, des groupes de pression et de vertueux moralistes.
Les atermoiements du gouvernement qui a précédé le vôtre, monsieur le ministre, impliquaient un changement radical. Ce changement, vous l'insufflez à travers le projet de loi que vous nous proposez.
Il y a quelques jours, un quotidien nous révélait que, à l'occasion d'un colloque judiciaire organisé par des avocats d'un barreau prestigieux, certains d'entre eux, et même des magistrats et des professeurs, avaient révélé puiser, « dans l'acharnement primitif qui se donne libre cours dans la société française, des raisons d'inquiétude, craignant une surenchère pénale lourde d'effets pervers ».
Le rédacteur de l'article mentionnait dans son propos Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
Peut-être étiez-vous visé, monsieur le ministre, peut être était-ce le sens - pour partie tout au moins - de l'intervention de celui qui m'a précédé à cette tribune. Aussi me suis-je posé la question suivante : quelles sont les lois nécessaires ?
Assurément, ce sont celles qui permettent aux citoyens de vivre ensemble, toutes origines, toutes conditions sociales, tous âges confondus, dans les hameaux, les villages, les villes, les agglomérations qui composent le territoire national.
Ceux qui, comme la plupart d'entre nous, ont pour charge d'administrer nos communes savent bien les atteintes de nature diverses, nombreuses, réitérées, qui menacent, jour après jour, la sécurité et, partant de là, la liberté de ceux qui y résident, perturbant la tranquillité de leur vie quotidienne, entravant l'éducation des enfants, la vie professionnelle, l'épanouissement de la vie conjugale et familiale, les loisirs et la retraite de leur fin de vie.
L'accroissement considérable de la délinquance qui a été constaté dans nos villes d'abord et l'est maintenant dans nos campagnes vient bouleverser la vie de chacun, de la simple agression verbale ou de la contrainte physique jusqu'à l'homicide, voire à l'attentat terroriste, en passant par la menace, le vol, le racket, le lynchage, le viol, qui n'épargnent ni le domicile, ni l'école, ni les commerces, ni les services des urgences de l'hôpital, ni même, hélas ! le cimetière, paisible lieu de recueillement dans le souvenir des disparus.
Les maires comme les présidents d'agglomération ou de communauté assistent dans les communes, surtout lorsqu'il s'agit de villes, voire de grandes villes, non seulement à une progression inquiétante de la délinquance, qui se mesure à l'augmentation statistique des crimes et délits, mais aussi au développement et à l'aggravation d'agissements qui portent atteinte à la tranquillité et à la sécurité publiques, agissements qui font l'objet des dispositions du chapitre VI du présent projet de loi.
C'est sur les articles 18 à 29 qui composent ce chapitre que je souhaite poursuivre mon intervention.
Les responsables locaux constatent le développement inquiétant de la prostitution dans les artères de leurs villes, où non seulement le racolage le plus intempestif se déroule sous leurs yeux,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Outrage public !
M. Jacques Peyrat. ... mais où les ébats dans les voitures et les résultats apparents de ceux-ci sur les trottoirs, sur les pelouses et dans les squares provoquent l'indignation - sauf la vôtre, monsieur Dreyfus-Schmidt - et le malaise des habitants.
« Parlez vrai », avez-vous dit tout à l'heure, souffrez, monsieur le ministre, un arrêt sur image.
M. Charles Gautier. Quel théâtre !
M. Jacques Peyrat. Dans la seule ville de Nice, 47 360 délits ont été constatés en 2001, soit une augmentation de 11,85 % en un an, bien supérieure à celle - plus 6,1 % - qu'a connue le département et plus élevée que la moyenne nationale, qui s'est établie à 7,69 %.
A Nice, la délinquance touche chaque année, 10 000 visiteurs étrangers, qui représentent 20 % des victimes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et que fait le maire ?
M. Jacques Peyrat. Quant à la prostitution, la direction centrale des affaires sociales et de la santé publique de la ville de Nice, que je dirige, en symbiose avec le service de prévention et de réadaptation sociale, a répertorié 443 prostituées sur le territoire communal.
Mme Nicole Borvo. Combien de clients alors ?
M. Jacques Peyrat. Quatre-vingts sont françaises, 322 proviennent de l'Est ; la Bulgarie, dont vous parliez tout à l'heure, monsieur le ministre, étant la championne avec 132 ressortissantes.
Mme Nicole Borvo. Il doit y avoir plus de clients qu'à Paris !
Mme Hélène Luc. On dirait qu'il découvre ça aujourd'hui !
Mme Nicole Borvo. A Nice, en plus !
M. Jacques Peyrat. Un tiers sont des hommes ou des travestis, deux tiers sont des femmes. Remarque qui revêt une importance particulière, nos services sociaux ont rencontré depuis le début de cette année 245 nouvelles prostituées.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Eh bien !
M. Jacques Peyrat. Il ne s'agit là que des formes que revêt cette activité sexuelle. Un débat sur la prostitution s'ouvrira peut-être un jour mais, d'ores et déjà, on peut se demander si une loi n'est pas nécessaire.
Les maires assistent, impuissants, au « caillassage » des véhicules de police municipale ou de police nationale dans leurs missions de maintien de l'ordre, ou des véhicules de sapeurs-pompiers dans leurs missions de secours, et même des véhicules du SAMU, des infirmiers, des sages-femmes, des médecins, ainsi que des chauffeurs de bus dans leur mission de transport.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les maires le savent, certains habitants quand ils rentrent chez eux à la fin d'une journée de travail doivent subir de la part de jeunes dans le hall de leur immeuble sarcasmes, insultes, brimades, menaces d'agression, puis monter à pied dans les étages, l'ascenseur ayant été détraqué pour entreposer de la drogue au fond de la cage.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
M. Charles Gautier. Pas pour réparer l'ascenseur !
M. Jacques Peyrat. Les maires doivent-ils continuer d'accepter, ainsi que les propriétaires privés de terrains, qui sont souvent des travailleurs de la terre, l'invasion inopinée de leur propriété par des nomades qui saccagent leurs plantations et leurs barrières, se branchent sur leurs compteurs électriques ou leur bouche d'eau, salissent, ravagent, puis repartent avec leurs caravanes et leurs véhicules, souvent rutilants d'ailleurs, pour revenir quelques mois après, quant tout aura été réparé ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les maires ne peuvent endiguer dans les rues, les squares, les jardins, la venue de marginaux, souvent jeunes, avec des chiens, en provenance de l'Europe de l'Est...
M. Marcel Debarge. Les chiens ?
M. Jacques Mahéas. Le danger vient toujours de l'Est !
M. Jacques Peyrat. ... pratiquant une mendicité violente et agressive avec parfois l'apport de pauvres handicapés « importés » et surveillés par des réseaux mafieux d'exploiteurs de la détresse et de la générosité des hommes.
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Jacques Peyrat. Pour aider les présidents de club à lutter contre les bandes de marginaux qui viennent polluer les rencontres sportives en jetant des bouteilles, des projectiles de toute nature, des pétards et provoquent des bagarres qui pourrissent ces manifestations, ne faudrait-il pas que ces marginaux soient contrôlés, fouillés, palpés s'il le faut, par les services de sécurité ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire ?
Les braves gens qui vivent normalement leur vie de couple dans la cité, qui prennent le risque de faire des enfants, qui travaillent, qui payent leurs impôts grâce auxquels vivent et se développent les collectivités et la nation toute entière, n'ont-ils pas plus que ceux qui les importunent, les menacent, les salissent, les angoissent, les agressent, droit à la tranquillité et à être protégés ?
Une loi n'est-elle pas nécessaire pour garantir la vie collective et communautaire sur tout le territoire de la République ?
Je réponds si, bien entendu.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Nous aussi !
M. Jacques Peyrat. Paraphrasant Montesquieu, à mon tour, je pourrais dire que les contestations inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
Nous vous savons gré, monsieur le ministre, de votre fermeté et de votre opiniâtreté, nous savons gré au gouvernement auquel vous appartenez, dans lequel vous assurez les fonctions difficiles de ministre de l'intérieur, de son courage à afficher une volonté différente de celle du gouvernement qui l'a précédé. Ne vous préoccupez pas de ceux qui vous reprocheront sans doute de faire précisément ce qu'ils auraient dû faire mais qu'ils n'ont pas voulu mettre en oeuvre !
Dans la préface de L'homme révolté , Albert Camus écrivait : « Le jour où le crime se pare des dépouilles de l'innocence, par un curieux renversement des valeurs propres à notre temps, c'est l'innocence qui est sommée d'avoir à fournir ses justifications. »
Mme Nicole Borvo. Oh là là !
M. René Garrec, président de la commission. On n'est pas obligé d'aimer Camus...
M. Jacques Peyrat. Il n'en sera plus ainsi. Grâce à votre projet de loi, que nous voterons avec soulagement et enthousiasme, chacun retrouvera sa place, l'honnête citoyen, enfin protégé par la loi,...
Mme Nicole Borvo. Les bons pauvres et les mauvais pauvres !
M. Jacques Peyrat. ... comme celui qui l'enfreint, soumis à la rigueur des nouvelles règles qui, je l'espère, seront mises le plus vite possible en application par le Gouvernement et appliquées avec fermeté par nos tribunaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas ainsi qu'il faut lire Camus !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'aurait pas été content d'être cité par vous !
M. Jacques Peyrat. Vous criez dans le désert ! Et je n'ai pas de leçon à recevoir de vous dans le domaine de la lecture !
Mme Nicole Borvo. Nous non plus !
M. Jacques Peyrat. Décidément, cela ne leur plaît pas ! Je ne sais pourquoi d'ailleurs...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On est contre Le Pen depuis longtemps !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod !
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, votre projet de loi comporte, me semble-t-il, deux aspects assez différents, dont l'un - il vient d'en être assez largement question dans les interventions précédentes - attire l'attention des foules et des médias, et suscite, çà et là, des polémiques dont je ne crains pas de dire qu'elles sont assez largement artificielles ou convenues.
M. René Garrec, président de la commission. Tout à fait !
Mme Nicole Borvo. Ah bon ?
M. Paul Girod. Pour ma part, monsieur le ministre, j'approuve pleinement cet aspect du projet de loi.
M. René Garrec, président de la commission, et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Très bien !

M. Paul Girod. Donner à la puissance publique, qui reçoit ses pouvoirs du peuple, les moyens de protéger celui-ci contre les agissements agressifs, intimidants, dolosifs ou dégradants de voyous trop longtemps protégés par la culture de l'excuse me semble normal.
Cela doit même être encouragé, car cette culture de l'excuse, qui a régné pendant des années, a eu pour résultat de terroriser la société, de paralyser la police et la justice, de désespérer les victimes, lesquelles n'osent même plus porter plainte. Bref, elle a été le terreau de ces réseaux parallèles dominés par de petits caïds - parfois lieutenants de grands caïds - que l'on doit aujourd'hui briser sans pitié.
Or, si j'ai bien compris les événements du jour, monsieur le ministre, nous assistons, dans une localité du nord de la France, à la lutte terminale de caïds ayant prospérés pendant fort longtemps et qui, privés de leur capacité de nuisance, organisent l'opposition au retour à l'ordre normal.
C'est précisément la caricature de ce à quoi vous entendez vous attaquez, monsieur le ministre. (M. le ministre acquiesce.)
Je vous soutiendrai sans faiblesse, sous une seule réserve, mais elle est essentielle.
Les forces de l'ordre doivent se garder de toute dérive et être en permanence guidées par l'éthique. Le soutien général qui leur est accordé ne doit en aucun cas être prétexte à des abus de pouvoir. Cela irait à l'encontre de la remise en ordre de notre société que nous appelons de nos voeux.
Nous vous connaissons d'ailleurs assez, monsieur le ministre, pour ne pas douter que vous serez aussi intraitable sur ce point que sur les autres et, d'avance, je vous en remercie ; nous serons néanmoins très vigilants.
D'autres aspects de votre texte sont passés plus inaperçus aux yeux des médias et n'ont pas fait l'objet de procès d'intention - cela s'explique d'ailleurs aisément : je veux parler du volet ayant trait à la lutte contre le terrorisme, problème sur lequel mes responsabilités de président du Haut Comité français de défense civile m'amènent à me pencher depuis plusieurs années déjà.
J'ai constaté avec une certaine satisfaction, monsieur le ministre, que vous vous étiez fortement attaché à faire en sorte que cette lutte contre le terrorisme ne soit pas marquée du sceau de la précarité. Cela ressort notamment des dispositions de l'article 13 concernant la consultation des traitements automatisés de données personnelles et la protection des secteurs de sécurité des installations prioritaires de défense et de celles de l'article 17, qui reprend en partie la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, laquelle présentait l'inconvénient de n'être applicable que jusqu'en 2003, alors que nous savons bien que, malheureusement, la lutte contre le terrorisme se prolongera bien au-delà. Que cela plaise ou non à nos compatriotes, la France est potentiellement une nation agressée. Il faut que nous le sachions !
Cela m'amène, monsieur le ministre, à m'attarder un instant sur l'article 17 de l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959, qui décrit le rôle du ministre de l'intérieur en matière de défense civile. On confond souvent la défense civile et la sécurité civile, or il s'agit de deux notions totalement différentes.
En effet, la sécurité civile, c'est la protection des populations, c'est peut-être le bras armé de la défense civile, mais ce n'est pas la défense civile. La défense civile, c'est la nation en éveil, sous la conduite du ministre de l'intérieur, comme le dispose l'article 17 de l'ordonnance de 1959, que vous connaissez sûrement par coeur, monsieur le ministre !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Sûrement ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Permettez-moi, à l'occasion de ce débat, d'exprimer le souhait que, parallèlement aux mesures de remise en ordre de la société courante, vous preniez, dans les mois à venir, des initiatives visant à la remise en ordre intellectuelle de cette même société. Il convient de lui rappeler qu'elle est menacée en permanence, que sa défense est son affaire et celle de tous les citoyens et que les moyens de protection que vous êtes chargé de mettre en oeuvre ne peuvent être efficaces que dans la mesure où vous remplissez, au sein du Gouvernement, le rôle de coordination qui incombe au ministre « pilote » de la défense civile.
Monsieur le ministre, nous parlons beaucoup de sécurité intérieure : la défense civile en est l'un des aspects, et je souhaite donc que, dans les mois à venir, d'autres textes viennent compléter, à cet égard, le dispositif que vous nous présentez aujourd'hui. Dans la pratique, nous devons devenir une nation adulte, où l'on ne renonce pas à organiser des exercices préventifs de protection sous prétexte que cela risquerait d'affoler les populations. C'est précisément en se masquant la vue devant la réalité de la dérive criminelle que l'on a abouti à la situation actuelle en matière de délinquance : souhaitons que l'on n'adopte pas la même attitude face aux menaces que nous avons à affronter. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le ministre, je trouve vraiment étonnant que vous ayez réussi à faire mentir Voltaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Voltaire, dites-vous ?
M. Bernard Plasait. « Le secret d'ennuyer est celui de tout dire », disait-il, or vous avez réussi, monsieur le ministre, à tout dire tout en nous passionnant jusqu'au bout. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. La brosse à reluire !
M. Bernard Plasait. Bravo, et merci ! En effet, cette performance m'a conduit à supprimer de nombreux passages de mon texte, par lesquels j'aurais bien voulu dire la même chose que vous, mais en termes trop peu éloquents pour que je puisse les conserver ! Mes collègues y gagneront, puisque je parlerai moins longtemps. (Marques d'amusement sur les mêmes travées.)
Cela étant, je voudrais dire ma stupeur devant l'accueil que certains ont cru devoir réserver à vos initiatives, monsieur le ministre.
Face à la cohérence et à l'équilibre du dispositif que vous avez élaboré pour restaurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays, je croyais que les vieilles lunes du passé n'étaient plus de mise. C'était, hélas ! une erreur.
En effet, la nouvelle opposition et ses relais médiatiques poussent des cris d'orfraie depuis qu'un grand quotidien du soir a, le 27 septembre dernier, jugé urgent de divulguer un « brouillon » d'avant-projet de loi pour la sécurité intérieure auquel les services de votre ministère travaillaient. Verdict immédiat, en forme de réflexe de Pavlov : « Toutes ces mesures en direction des prostituées, squatters, gens du voyage, étrangers, jeunes trop bruyants ou élèves trop absents, en pénalisant des comportements déviants, témoignent d'un renoncement à régler autrement que par la répression les petits désordres de voie publique. » Et ce journal de conclure son éditorial par un avertissement jupitérien : « Avec ce projet, qui procède d'une vision policière de la société, ce sont bel et bien les libertés individuelles qui se trouvent menacées. »
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Bernard Plasait. Vision policière, liberté menacée : les « gros mots » sont lâchés, voici revenus les délires d'antan sur le « tout répressif » !
Pourtant, la France qui souffre, celle des victimes anonymes et silencieuses de l'insécurité, ne doute pas qu'il est grand temps de rétablir le règne de la loi. Ce que demande le peuple, c'est que l'on arrête la violence en arrêtant les violents, que l'on mette fin au scandale de l'impunité en rétablissant la sanction.
Depuis des dizaines d'années, l'idéologie dominante rêvait d'un modèle préventif qui permettrait, croyait-on, d'éviter toute répression. La grande habileté du diable, c'est de faire croire que le mal n'existe pas, que l'individu ne doit pas être puni, puisque ce sont les autres, la société, qui sont responsables de tout. On mesure aujourd'hui les dégâts de cette utopie. Quand la violence est partout, c'est que la prévention de la violence a échoué, et il faut trouver des remèdes, sauf à être dur aux faibles, c'est-à-dire injuste, en faisant preuve de trop de sollicitude pour les violents. Quand le feu est à la maison, il faut penser d'abord aux victimes ! Le traitement social des pyromanes peut attendre un peu !
Mais peut-on, sans être traité de brute épaisse, faire l'éloge raisonné de la sanction ? Peut-on faire un éloge de la répression - voyez ma témérité, j'ose le mot ! - un éloge posé, aussi ferme que mesuré, qui s'inscrirait dans le droit fil d'une vérité trop longtemps négligée, qu'énonçait déjà ce cher Montesquieu, que l'on cite beaucoup à cette tribune, un Montesquieu au demeurant peu suspect de dérives fascisantes ? « Dans les Etats modérés, évrivait-il, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme sont des motifs réprimants qui peuvent arrêter bien des crimes. »
Je pourrais m'interroger, à cet instant, sur les raisons pour lesquelles la France a, depuis si longtemps, renoncé à enseigner à ses jeunes citoyens l'amour de leur pays, mais je me bornerai à envisager la validité, si peu démentie par les faits, de ces « motifs réprimants qui peuvent arrêter bien des crimes ». En effet, quelle meilleure définition pourrait-on donner de la prévention si nécessaire, mais dont aucune des conditions de mise en oeuvre efficace n'est plus remplie aujourd'hui ?
Mais Montesquieu, pour être un esprit supérieur, n'avait point prévu les ravages de la gauche plurielle sur le sens commun et l'appréhension de la réalité. A la honte et à la crainte du blâme, on est donc forcé d'ajouter, au sortir de cinq années d'impunité généralisée, l'assurance absolue d'une sanction proportionnée pour toute personne responsable ayant manqué à la règle commune.
Les meilleurs auteurs, et cela ne date pas d'hier, ont tout dit sur le sujet. Pour l'un, la punition est la première des préventions ; pour l'autre, la sanction fait partie de l'éducation ; pour un autre encore, un délit généralisé devient bientôt un droit : on pourrait multiplier les exemples... Tous ces propos, bien sûr, n'expriment jamais que des évidences, qu'il semble vain de rappeler.
Pourtant, à peine aviez-vous entrepris, monsieur le ministre, de vous attaquer sans faiblesse aux nouvelles filières mafieuses de l'esclavage moderne - prostitution, mendicité agressive organisée... - et de remettre un peu d'ordre dans la vie de nos cités que les beaux esprits clamaient leur indignation. Selon les uns, votre projet viserait à déclencher une forme de guerre sociale contre les pauvres. Selon les autres, il s'agirait d'un véritable dispositif liberticide, dirigé d'abord contre les populations les plus démunies. Quant au Parti communiste français, toujours aussi nuancé, il épingle à votre revers, monsieur le ministre, l'anathème commode de « maniaco-répressif », pour mieux disqualifier d'emblée votre démarche, mais surtout pour mieux s'exonérer de toute autocritique.
Que, à de rares exceptions près, la nouvelle opposition reste empêtrée dans sa « culture de l'excuse », c'est une évidence, mais une chose a changé : chance inespérée, le « ras-le-bol » aidant, son terrorisme intellectuel, coutumier s'agissant des questions de société, a de moins en moins de prise, y compris sur sa clientèle traditionnelle, et tourne de plus en plus à vide face à l'inflation du nombre des victimes de l'insécurité. Les résultats d'un sondage réalisé par l'IPSOS, publiés le 7 octobre dernier et indiquant que 72 % des Français et 63 % des sympathisants de la gauche parlementaire estiment pour l'essentiel « justifiées compte tenu de la situation en France » les mesures présentées dans ce projet de loi pour la sécurité intérieure, en sont une illustration sans appel.
Oui, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez va dans la bonne direction. Je ne reprendrai pas le détail des mesures qu'il comporte, celles-ci ayant été brillamment exposées par M. le rapporteur, notre excellent collègue Jean-Patrick Courtois. Je voudrais simplement souligner que, grâce à ce texte, les personnels concourant à la sécurité intérieure verront leur autorité renforcée, ce qui constitue le préalable indispensable à l'élargissement de leurs moyens d'action.
En effet, restaurer l'autorité de l'Etat, c'est avant tout restaurer celle de ses agents. Pour ce faire, il était indispensable de renforcer leur protection juridique, tant il est insupportable de voir se développer sans réagir les agressions et menaces à l'encontre des agents qui incarnent l'autorité publique...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La réaction est là !
M. Bernard Plasait. ... ou des agents qui assument des missions de service public, par exemple les sapeurs-pompiers. Juridiquement mieux protégés, les personnels concourant à la sécurité intérieure n'en seront pas moins tenus d'oeuvrer dans le strict respect des prescriptions légales et réglementaires. Cela est élémentaire, mais vous avez tenu à le rappeler, monsieur le ministre. Vous avez ainsi très opportunément réaffirmé les contraintes de la déontologie et manifesté votre souci d'éviter les débordements, en prévenant que vous considéreriez les bavures comme une véritable trahison.
Enfin, parmi les moyens d'action plus étendus que vous entendez donner aux agents pour une plus grande efficacité, je relève avec satisfaction les nouveaux moyens de police technique et scientifique. Le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d'un magistrat, permettra une lutte plus efficace contre la criminalité.
Monsieur le ministre, j'approuve pleinement ce projet de loi, comme j'approuve les propositions de la commission des lois du Sénat. Je voterai votre texte avec une grande satisfaction, notamment parce qu'il constitue un acte politique majeur de restauration de l'autorité républicaine, c'est-à-dire un signal, celui d'une remise en ordre qui ne pourra qu'inquiéter les délinquants et rassurer les honnêtes gens.
Dans Pile ou Face , le regretté Michel Audiard résumait d'un clin d'oeil farceur le bon sens français : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge : si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s'installe. » (Sourires.) Sa prochaine réapparition, aujourd'hui bel et bien programmée, devrait sonner comme une vraie bonne nouvelle pour nos compatriotes.
M. Marcel Debarge. Il a des visions !
M. Bernard Plasait. N'en déplaise à tous ceux qui continuent à nier l'évidence, rien de tel que la fin de l'impunité pour faire reculer l'insécurité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Turk. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai deux séries d'observations : la première est relative aux fichiers et la seconde, plus générale, concerne l'esprit de ce texte.
S'agissant des fichiers, je m'exprime ici bien sûr en tant que membre de cette assemblée et non en tant que vice-président de la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cependant, comme je ne peux me dissocier, ce que je vais dire est forcément inspiré par ce que j'entends dans cette autre enceinte.
Première remarque : pour bien mesurer la portée du texte en matière de fichiers, il faut distinguer ce qui constitue une différence de degré et une différence de nature avec les textes précédents. Il faut toujours avoir présent à l'esprit la fait que les textes précédents, en particulier celui qui est relatif à la sécurité quotidienne, avaient apporté de nombreuses innovations, et que vous avez souhaité simplement apporter des modifications, des extensions, parfois en les cristallisant. C'est important de le signaler car il est toujours judicieux d'éviter de s'égosiller quand cela n'est pas nécessaire.
Je prendrai l'exemple, qui me paraît le plus aigu, de l'article 13, lequel soulève le plus de réflexions. Les décrets d'application que devra prendre le Gouvernement ne seront pas soumis à la procédure d'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, et on ne peut que le regretter. Je rappelle toutefois qu'il en est déjà ainsi. Aussi, nous perdons notre temps en débattant sur ce point, puisque la précédente majorité avait déjà procédé de cette manière, et donc acté cette procédure. C'est d'autant plus cocasse, d'ailleurs, que nous serons prochainement saisis d'un projet de loi visant à réformer l'ensemble du processus de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Les avis formulés par la CNIL seront non plus conformes, mais simplement motivés et publiés. Or cette disposition a déjà été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, et par l'ancienne majorité ! Il ne faut donc pas faire de procès lorsque cela n'est pas nécessaire. En l'occurrence, s'agissant des fichiers, on peut écarter ce premier argument.
Le second critère qui permet d'évaluer un texte comme celui qui nous est soumis concerne le fond. Chacun le sait, dès que l'on touche aux libertés publiques, on revient au principe de proportionnalité, si cher au Conseil d'Etat et au Conseil constitutionnel. Simplement, il faut savoir, et vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le ministre, que, au fond, l'autre forme que prend le principe de proportionnalité en matière de fichiers, c'est le principe de finalité.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Effectivement !
M. Alex Türk. A chaque fois qu'en séance plénière, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, nous avons un doute, nous tentons de nous orienter en nous référant au principe de finalité, car nous n'avons pas une réponse juridique précise et objective à chaque question qui se pose sur des sujets qui évoluent tant. (M. le ministre opine.) C'est ainsi que nous devons procéder. C'est ainsi que je voudrais procéder vis-à-vis de votre texte, monsieur le ministre.
D'abord, il convient de relever les progrès qui pourront être accomplis par votre texte et par les amendements que vous voudrez bien accepter et qui ont été proposés par M. le rapporteur et acceptés par la commission des lois.
L'énumération à laquelle je vais procéder pourra sembler technique, mais il est important de voir d'où l'on vient.
Premièrement, ce texte donne une base légale aux fichiers de police judiciaire.
Deuxièmement, la finalité du système de traitement des infractions constatées, le STIC, est exprimée. Ce n'est pas sans intérêt car c'est nouveau. En effet, sous l'ancienne majorité, le STIC fonctionnait sans que la finalité soit exprimée objectivement et expressément. Désormais, elle est exprimée : il s'agit de la constatation des infractions pénales, du rassemblement des preuves de ces infractions, de la recherche de leurs auteurs, de l'exploitation de ces informations à des fins statistiques. Comme on le dit parfois : cela va mieux en le disant.
Troisièmement, l'entrée - pour reprendre le jargon habituel, que je regrette - des victimes dans le fichier sera désormais prévue, au terme de la collaboration qui se noue entre la commission et vous-même, monsieur le ministre - elle ne l'était pas jusqu'à présent et c'était sans doute un oubli -, alors que seule la sortie était expressément prévue.
Quatrièmement, un décret en Conseil d'Etat précisera la liste des contraventions susceptibles de donner lieu à l'inscription des informations dans les traitements automatisés.
Cinquièmement, l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sera requis sur le décret devant préciser la durée de conservation des données relatives aux véhicules volés. Sixièmement, le procureur de la République ordonnera l'effacement des données personnelles concernant les individus mis en cause si leur conservation n'est plus justifiée.
Septièmement - et c'est un sujet que je connais particulièrement - en matière de coopération internationale, on relève l'inscription dans notre droit positif du principe des garanties équivalentes. Cela signifie que chaque fois que nous transmettrons des données vers l'extérieur, c'est-à-dire vers des services de police étrangers ou des organismes internationaux de police, nous devrons avoir l'assurance que le niveau de protection sera équivalent. C'est une question essentielle. Elle nous agite, nous les Européens, depuis près d'un an par rapport aux Etats-Unis : c'est dire son importance !
Restent, monsieur le ministre, quelques questions qu'il m'appartient de vous poser.
Premièrement, à l'article 9, nous ne trouvons pas de référence explicite à la loi de 1978. Nous pourrions ouvrir un débat juridique, qui nous occuperait toute la soirée, sur le point de savoir si c'est bénéfique ou néfaste. Pour ma part, je souhaiterais simplement vous poser la question suivante : les mécanismes en question sont-ils, comme je le crois, soumis aux dispositions de la loi de 1978 ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oui !
M. Alex Turk. Vous avez d'ores et déjà répondu !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est un point important !
M. Alex Turk. Pour quelles raisons éprouvez-vous, me semble-t-il, une réticence à voir précisées, dans le corps même de l'article 9, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être communiquées dans le cadre de missions de police administrative ? Cette question nous préoccupe. Sincèrement, je vois mal ce qui pourrait vous gêner dans le fait d'apporter cette précision. C'est pourquoi il me paraît utile de le faire.
J'en viens à ma troisième question. Le texte qui nous est soumis procède à l'élargissement de l'accès aux fichiers STIC et JUDEX à des fins d'enquêtes administratives. Cela pose le problème du droit à l'oubli, qui a été évoqué à plusieurs reprises aujourd'hui, et notamment, par vous-même, monsieur le ministre. Cela pose aussi le problème d'un éventuel glissement vers une utilisation sur le modèle casier judiciaire.
Là encore, pouvez-vous nous donner des assurances quant à l'ouverture d'une réflexion sur cette question ? En effet, et chacun le comprend bien, l'évolution de ces dossiers est telle que nous devrons reconsidérer le problème du casier judiciaire.
S'agissant du fichier des empreintes génétiques, je vais m'efforcer de vous faire comprendre la réflexion de la CNIL à cet égard. A partir du moment où il est prévu à la fois d'étendre l'accès à ce fichier aux officiers de police judiciaire et d'assouplir les critères d'entrée dans le fichier, ne serait-il pas possible, pour éviter une situation trop tendue, de jouer sur l'un ou l'autre de ces critères ? Je présenterai tout à l'heure un amendement sur ce point.
Enfin, s'agissant de la coopération internationale, je souhaitais formuler un certain nombre de remarques mais, afin de ne pas prolonger le débat, je les exprimerai à l'occasion de l'examen de votre projet de budget, monsieur le ministre.
Je terminerai sur une réflexion que je me suis faite en lisant Montesquieu, qui a l'avantage d'avoir écrit beaucoup et qui est souvent cité.
M. Claude Estier. Il est effectivement beaucoup cité !
M. Alex Turk. C'est d'une incroyable modernité, qui vous dépasse : « La liberté politique consiste dans la sûreté ou, du moins, dans l'opinion que l'on a de sa sûreté », disait Montesquieu. Aussi, il est totalement absurde de se demander s'il y a réellement un manque de sûreté. En effet, il y a bien sûr un manque de sûreté. Cependant, si la population croit qu'elle n'est pas en sécurité, elle se prive de la possibilité d'exercer sa liberté. Dans notre droit, en matière de libertés publiques, chaque fois que l'on touche à une liberté, on fixe un régime juridique clair qui détermine des autorisations ou des interdictions, et chaque citoyen sait ce qu'il peut faire ou ne pas faire. Lorsqu'il n'y a pas de sûreté, les citoyens sont dans l'incapacité d'exercer des libertés publiques, alors qu'ils ne savent pas pourquoi, par le seul fait qu'il y ait une menace ou un doute sur un éventuel danger. Cette réflexion, qui est suscitée par Montesquieu...
M. Jacques Mahéas. Encore Montesquieu !
M. Alex Turk. ... mais qui nous agite de manière beaucoup plus moderne,...
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle littérature !
M. Alex Turk. ... devrait suffire à écarter cet aspect du débat. Dès lors, peu importe qu'il y ait ou non insécurité comprise, reconnue objectivement, si nos concitoyens ont peur d'exercer leur liberté. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. C'est très ambigu !
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est fini !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... pardon, monsieur le ministre de l'intérieur, mes chers collègues, le temps n'est plus où le préfet Louis Lépine pouvait affirmer : « La France est un pays policé qui réalise ce phénomène de ne pas avoir de police. »
Ce temps n'était déjà plus quand, voilà un demi-siècle, le professeur Jacques Donnedieu de Vabres citait cette phrase à ses étudiants de l'Institut d'études politiques de Paris en ajoutant, non sans humour : « Proposition devenue fausse dans ce qu'elle affirme comme dans ce qu'elle nie. »
Avec votre projet de loi, monsieur le ministre, la situation risque de s'aggraver singulièrement.
D'humour, vous n'en manquez certes pas non plus puisque vous avez bien voulu me faire porter, comme sans doute à l'ensemble des membres de la commission des lois, en « très très urgent » et « sans attendre », le mardi 22 octobre 2002, le texte de l'avant-projet de loi que vous deviez présenter en conseil des ministres le lendemain, c'est-à-dire le mercredi 23 octobre. Cela, nous avez-vous écrit - et je dois bien sûr vous en remercier vivement - « afin de permettre au Sénat de travailler dans les meilleures conditions ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Parlons-en ! En fait, les conditions que, avec la complicité de la majorité du Sénat, vous nous avez imposées pour préparer le débat que nous abordons maintenant sont les pires que l'on puisse imaginer.
Elles sont indignes d'une démocratie parlementaire digne de ce nom. Elles bafouent le Parlement et nous nous devons de les dénoncer. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Il vous a fallu six mois pour préparer ce projet de loi pour « la sécurité intérieure » et, s'il faut en croire la presse - et comme nous l'avons ensuite constaté - vous n'avez cessé, jusques et y compris le mercredi 23 octobre, que dis-je, jusques et y compris aujourd'hui d'en supprimer, d'y ajouter ou d'en modifier de nombreuses dispositions.
Or le mercredi 23 octobre, précisément, le président Garrec présentait à la commission des lois son rapport sur le projet, pour le moins important, portant réforme constitutionnelle et « organisation décentralisée de la République » sur lequel les débats en séance publique ont commencé le mardi 29 octobre au matin, l'après-midi et le soir, pour se poursuivre dans les mêmes conditions jusqu'au mercredi 6 novembre, faute d'avoir pu se terminer, comme il était présomptueusement prévu, le jeudi 31 octobre !
Quant au rapport sur le projet de loi concernant la sécurité intérieure, son auteur, notre collègue M. Jean-Patrick Courtois, l'a présenté en commission des lois le mercredi 30 octobre.
C'est mardi 5 novembre, date fixée à l'origine pour le début des débats, que l'ensemble de nos collègues, au lendemain du pont de la Toussaint, ont pu obtenir du service de la distribution les 325 pages du rapport écrit dans lequel ne figure d'ailleurs pas le compte rendu des auditions auxquelles a procédé le rapporteur en présence de quelques rares sénateurs, puisqu'il n'en a pas été établi de procès-verbal ! - alors que la date limite de dépôt des amendements était fixée au lundi 4 novembre à dix-sept heures.
On ne peut donc pas y lire, par exemple, qu'un représentant du syndicat de police « Synergie officiers » a demandé que « les juges soient mis au pas » !
En revanche, on perd son temps à y lire les trente-deux pages de la prétendue étude d'impact : si l'on se demande, par exemple, combien coûte l'analyse d'une empreinte génétique - puisque le fichier en question serait formidablement étendu -, on en est pour ses frais, car, à la rubrique « Impact économique et budgétaire » concernant cette extension, on peut lire : « La mesure proposée doit être accompagnée de dotations budgétaires adaptées, étalées sur cinq ans (2003/2007) ». On est bien renseigné !
Mes chers collègues, le projet de loi pour la sécurité intérieure est un texte fleuve.
Si le projet de loi de réforme constitutionnelle comporte 11 articles qui ont donné lieu à douze auditions par la commission elle-même, dont les comptes rendus figurent au rapport -, il est vrai, lui aussi mis en distribution le jour même où s'ouvrait le débat - celui dont nous débattons présentement n'en comporte pas moins de 57, souvent longs, difficiles à apprécier dans leur portée, nécessitant une étude minutieuse.
Ces 57 articles, répartis en 6 titres et en 2 chapitres, portent, sauf erreur ou omission, pour les modifier, les supprimer ou les remplacer, sur 14 articles du code de procédure pénale, 13 articles du code pénal, 6 articles du code des postes et télécommunications, 5 articles du décret du 18 avril 1939 relatif aux armes et munitions, 4 articles du code de la route, 24 articles de la loi du 12 juillet 1983 relative aux activités de sécurité privée, 3 articles du code général des collectivités territoriales, 2 articles de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, 1 article du code de la consommation, 1 article du code de la construction et de l'habitation, 1 article de la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives du 16 juillet 1984 enfin, sur quelques lois diverses, notamment la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, et sur la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001.
Excusez du peu !
Nous sommes ainsi invités à renforcer singulièrement l'inflation des textes législatifs, mais aussi réglementaires, que chacun prétend dénoncer et qui, à la « sécurité » tout court, à la sécurité « quotidienne » et à la sécurité « intérieure », ajoute, ô combien ! l'insécurité juridique.
En définitive, nous avons appris mercredi dernier au soir que les débats ne s'ouvriraient pas aussitôt. Peut-on, en effet, imaginer M. le ministre de l'intérieur monter à la tribune du Sénat à vingt-deux heures ? C'est trop tard pour la presse du lendemain !
M. Jacques Mahéas. C'eût été un crime de lèse-majesté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est donc seulement aujourd'hui, mercredi 13 novembre, que commence la discussion du projet de loi. Il reste que nous avons dû rédiger nos amendements dans la précipitation pour pouvoir les déposer avant la date limite, fixée au lundi 4 novembre. Enfin - cerise sur le gâteau ! -, nous avons appris la semaine dernière que le Gouvernement avait demandé l'urgence sur ce texte, qui comprend cinquante-sept articles. C'est évidemment tout à fait inadmissible.
Nous vivons, mes chers collègues, des heures extraordinaires ! C'est le ministre de l'intérieur qui s'occupe de la procédure pénale, et un texte comme celui-là ne connaîtra qu'une seule lecture !
Voilà donc rappelées les « bonnes conditions » dans lesquelles nous avons dû travailler et travaillons encore.
Sous ces réserves, j'en arrive, monsieur le ministre, au mauvais procès que vous ne cessez de faire à vos devanciers, comme à l'opposition tout entière.
Hormis, peut-être, les criminels et les délinquants, il n'est personne en France, il n'est personne au sein des assemblées parlementaires, bien évidemment, qui ne veuille absolument que chacune et chacun puisse vivre en sécurité quel que soit l'endroit où il vit. Et vous me permettrez d'avoir une pensée émue, en cet instant, pour notre ancien collègue Louis Virapoullé, récemment décédé dans de tragiques conditions à la suite de l'agression dont il a été l'objet au coeur du xvie arrondissement.
Vous présentant en novateurs, vous ne cessez, monsieur le ministre, avec vos collègues, de répéter à l'envi la formule selon laquelle ce sont les plus modestes qui souffrent le plus de ne pas jouir de cette liberté essentielle que constitue le droit à la sécurité. Vous n'avez pas le droit de feindre d'ignorer que vos devanciers, et singulièrement Lionel Jospin, en sont les inventeurs, et ce dès les premiers temps de la formation du gouvernement de M. Jospin, dès octobre 1997, à l'occasion du colloque de Villepinte.
M. Josselin de Rohan. Mais ils n'ont rien fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas non plus le droit de feindre d'ignorer que c'est le gouvernement de Lionel Jospin qui a mis en place les contrats locaux de sécurité et la police de proximité, qui a fait un effort budgétaire considérable, quantitativement et qualitativement, en matière de police, de gendarmerie, et, last but not least , de magistrats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Josselin de Rohan. Cela n'a pas empêché la délinquance !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce rappel, nous ne cesserons de vous le faire aussi souvent qu'il sera nécessaire, en particulier chaque fois que vous adopterez à notre égard, sans répondre courtoisement à nos courtoises questions, un ton polémique qui nous est de plus en plus insupportable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Il paraît, à lire l'« entretien » que vous avez accordé à trois journalistes de ce qu'il est convenu d'appeler un grand quotidien du soir - entretien « relu et amendé » par vous-même -, que vous traitez vos opposants, entre autres aménités, de « tartuffes ».
Dire ce que l'on pense n'a rien d'hypocrite, et vous l'avez encore rappelé tout à l'heure à propos de votre prédécesseur, Daniel Vaillant.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous relirez vos propos !
Ce qui est hypocrite, c'est de feindre d'ouvrir de fausses fenêtres en laissant quelques chevau-légers de votre majorité se dire sensibles à la double peine ou au vote des résidents étrangers aux élections municipales, alors que la droite n'a cessé et ne cesse de réclamer l'une et de s'opposer à l'autre !
Ce qui est hypocrite, c'est aussi d'annoncer des mesures, telles la suppression de la présence de l'avocat à la première heure ou la pénalisation des squatters, puis de les retirer du projet de loi en suggérant que des amis pourraient déposer au cours des débats des amendements tendant à les introduire de nouveau.
J'en arrive maintenant au contenu même de votre texte, m'en tenant à quelques-uns seulement de ses aspects, faute de temps, car le groupe socialiste ne dispose que de cinquante-deux minutes,...
M. René Garrec, président de la commission. C'est beaucoup !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... c'est-à-dire de beaucoup moins de temps que vous n'en avez pris tout à l'heure, monsieur le ministre, votre temps de parole n'étant pas limité...
M. Jean-Jacques Hyest. C'est la règle, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'évoquerai ce que vous prétendez faire de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne ; les fichiers automatisés, auxquels sont consacrés plusieurs articles ; vos propositions de modification du code pénal.
Votée par vous et par nous, socialistes, la loi relative à la sécurité quotidienne était et demeure clairement une loi d'exception, proposée par le précédent gouvernement pour lutter contre le terrorisme au lendemain des considérables événements survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001.
Une limite était fixée à l'application de ses dispositions, celle du 31 décembre 2003, précision étant apportée qu'avant cette date le Gouvernement doit présenter un rapport d'évaluation sur l'application de l'ensemble des dispositions de la loi.
Or il est d'ores et déjà proposé, sans qu'aucun rapport d'évaluation ne soit présenté, de proroger l'ensemble des dispositions de la loi relative à la sécurité quotidienne jusqu'au 31 décembre 2005, tandis que certaines d'entre elles seraient purement et simplement pérennisées !...
J'en viens aux fichiers automatisés, auxquels plusieurs articles du projet de loi sont consacrés.
Nous ne disconvenons pas que des fichiers automatisés soient nécessaires à l'identification rapide d'auteurs d'infractions graves.
En revanche, nul ne peut ne pas voir le danger pour les libertés que pourrait représenter un fichier, dressé par des policiers au stade de l'enquête préliminaire, dans lequel figureraient toutes les personnes concernées, c'est-à-dire des suspects de crimes, de délits et même de contraventions de cinquième classe, ce même fichier pouvant être consulté librement par d'innombrables policiers, fussent-ils qualifiés d'« habilités ».
Ficher de simples suspects, « quel que soit leur âge », c'est à l'évidence porter atteinte au principe de la présemption d'innocence, le même fichier recensant non seulement des criminels et des délinquants, mais également, je le répète, des suspects, et étant consultable y compris avant des décisions administratives de recrutement, mais aussi pour l'instruction des demandes d'acquisition de la nationalité française, de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers, ou encore... pour la nomination et la promotion dans les ordres nationaux !
Ces réflexions concernent aussi bien le fichier d'informations nominatives visé, avec de nombreux autres, à l'article 9, que le FNAEG, le ficher national automatisé des empreintes génétiques, dont l'article 15 propose une singulière extension.
Ce dernier fichier concernerait non plus seulement les personnes condamnées pour des délits graves, mais également celles qui paraissent suspectes à la police, ainsi que les condamnés et suspects dans des affaires relatives à une kyrielle de nouveaux délits ; le prélèvement pourrait, en matière de flagrant délit, être décidé par un policier seul, le refus de prélèvement constituant un délit passible de six mois de prison et de 7 500 euros d'amende, sans possibilité de confusion ! Il faut noter que de tels excès n'étaient en rien prévus dans l'annexe de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure du 29 août 2002 !
Evidemment, on pourrait ficher tout le monde : on pourrait, comme jadis pour le BCG, faire un prélèvement sur tous les nouveau-nés ! Seulement, les fichiers sont dangereux, car, vous le savez bien, les progrès de la science sont tels qu'on pourra bientôt y lire les maladies dont les gens sont atteints, ce qui permettra aux banques de refuser des prêts et aux compagnies d'assurances de refuser d'assurer les personnes concernées.
A l'évidence, plus les fichiers nécessaires - les fichiers autorisés - sont étendus, plus il est indispensable que l'autorité judiciaire, gardienne des libertés aux termes mêmes de la Constitution, intervienne à tous les stades.
Soyez assurés qu'au cours de nos délibérations nous serons vigilants, vigilants comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, que vous n'avez pas même consultée et qui a dû se saisir elle-même - alors que la loi l'a créée précisément pour veiller à ce que l'informatique ne piétine pas les libertés ! -, vigilants comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui, elle aussi, a dû se saisir d'office !
Quant à vos propositions de modification du code pénal, je prendrai trois exemples relatifs aux prostitués, aux mendiants agressifs et en réunion, enfin, à ceux que vous appelez à tort les « gens du voyage ». Il est vrai que vous n'êtes pas les premiers à les désigner ainsi, je vous le concède.
M. Josselin de Rohan. Ah bon ? C'est pourtant comme cela qu'on les appelle !
M. Roger Karoutchi. Comment les appellerait-on, alors ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'évidence, il s'agit de s'en prendre non pas - je vous le concède aussi - à la pauvreté, car il y a, hélas ! d'autres pauvres, mais à la marginalisation, à ceux qui suivent « une autre route » que les braves gens, comme l'eût dit Brassens : à ceux dont le comportement se voit et, nous n'en disconvenons pas non plus, dérange.
Ce que vous voulez faire disparaître, c'est précisément et principalement ce qui se voit dans la rue. Et le projet de loi, en vérité, porte non pas sur la sécurité intérieure, mais sur la tranquillité publique. Vous parliez tout à l'heure de la grande criminalité, monsieur le ministre : elle n'est pas visée ici, sauf en ce qui concerne les réseaux, mais nous y reviendrons.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et les fichiers !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'agissant de la prostitution, revoici Tartuffe à la lettre : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! », puisque la seule tenue vestimentaire constituerait un racolage ! (Rires. - M Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est vous, monsieur le ministre, qui êtes un racoleur, mais, vraiment, j'en aurais envie !...
M. Jacques Mahéas. C'est la France d'en bas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qui plus est, le racolage serait non plus une contravention de cinquième classe, passible au maximum d'une amende de 10 000 francs, mais un délit, passible au maximum, excusez encore du peu, de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende - seulement, puisque vous vous êtes repris et avez réduit l'amende de moitié !
Que faites-vous du principe de proportionnalité des peines, qui doivent être, comme la déclaration des droits de l'homme l'impose, « strictement et évidemment nécessaires » ?
Pour en revenir à la tenue vestimentaire, monsieur le ministre, si vous étiez suivi - si je puis dire ! -, il risquerait d'y avoir encore plus de monde que vous ne l'imaginez en garde à vue, sinon en prison, et même du beau monde si l'on considère les collections printemps-été 2003 de la plupart de nos grands couturiers (Sourires.), ainsi présentées par les médias, photos à l'appui, voilà moins d'un mois (M. Michel Dreyfus-Schmidt brandit les photographies en question.) : « Vêtements échancrés, voiles complètement transparents : les créateurs du prêt-à-porter printemps-été 2003 se lâchent... »
M. Jacques Peyrat. Ils ne sont pas sur la promenade des Anglais !
M. Georges Gruillot. Tout cela n'est pas très sérieux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je continue : « 2003, année érotique ? » Ou encore : « Eté torride pour Dior, où strass et sexe riment avec soleil » ; « Tom Ford découvre les seins dans sa collection rive gauche » ; « La jupette bouffante à ras des fesses, la culotte ou le short servant de faire-valoir à la veste... » Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la presse !
Si vous n'avez pas eu le temps de voir cela, monsieur le ministre, je vous offre ces quelques photos. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Refusez, monsieur le ministre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Huissier, auriez-vous l'obligeance de les remettre à M. le ministre ? (M. le ministre marque son refus.)
Nous avons appris ce matin que, finalement, vous renonceriez aux mots : « tenue vestimentaire ». Il est vrai que certains se demandaient si l'absence totale de tenue vestimentaire était ou non une tenue vestimentaire !
Il reste entendu que l'atteinte à la pudeur figure dans le code pénal depuis très longtemps et qu'il suffit au ministre de l'intérieur de faire appliquer les textes existants.
Vous remplaceriez, nous dit-on, les termes : « tenue vestimentaire » par les mots : « par tout moyen, y compris l'attitude même passive », c'est-à-dire que n'importe qui pourrait être arrêté !
M. Josselin de Rohan. Il ne faut pas exagérer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à l'heure, vous avez dit qu'il était honteux que le code pénal ait supprimé le racolage passif. Mais vous avez voté le code pénal, monsieur le ministre, comme tous ceux, droite et centre compris, qui siègent sur ces travées, du reste. Vous ne pouvez tout de même pas tout mettre sur le dos de vos prédécesseurs, si j'ose dire !
Est-il pensable de prévoir de telles peines - six mois de prison - pour l'exercice d'une activité qui n'est pas illégale et alors que chacun s'accorde à penser que la pire solution de ce difficile problème serait, comme votre initiative y conduirait à coup sûr, de contraindre la prostitution à devenir clandestine ? Si vous faites disparaître, comme vous le dites, la pointe de l'iceberg, nul ne voit plus rien, et la clandestinité est ce qui peut arriver de pire en termes tant de sécurité que de santé publique.
Mme Nicole Borvo. Cachons les prostituées au fond des maisons closes !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Combattre, comme vous le proposez par ailleurs, les réseaux mafieux, que ce soit en matière de proxénétisme ou de mendicité organisée, j'imagine que nous en serons tous d'accord ; mais, de grâce, ne confondons pas les criminels et leurs victimes !
Quant aux mendiants menaçant en réunion et avec chien méchant, vous savez parfaitement que vous n'avez pas besoin de créer un nouvel article du code pénal pour les poursuivre : le texte existant sur l'extorsion simple suffit parfaitement pour ce faire, même s'ils agissent seuls et pas en réunion !
On ne voit pas dans la rue ceux qui commettent des extorsions aggravées ! Par conséquent, même s'ils sont étrangers, il faudra attendre leur condamnation pour pouvoir éventuellement les reconduire à la frontière.
Je dis donc bien que c'est à ce qui se voit que vous voulez vous en prendre.
Mme Nicole Borvo. Il vaut mieux ne rien voir !
M. Hilaire Flandre. C'est cela qui nous pourrit la vie !
Mme Nicole Borvo. La grande criminalité ne pourrit pas la vie, on le sait bien ! Laissons les mafieux tranquilles sur la Côte d'Azur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'évoquez que les mendiants menaçant en réunion. Mais s'il n'y en a qu'un, est-ce que cela ne vous pourrit pas la vie tout autant ?
Quant à ceux qui sont désignés à l'article 19 comme des « gens du voyage » - ce sont d'ailleurs non pas eux qui sont visés stricto sensu mais d'autres caravaniers -, vous ne les ferez certainement pas partir en saisissant leurs véhicules (Mme Nicole Borvo rit) jusqu'à ce que le tribunal correctionnel ait prononcé la confiscation,...
Mme Nicole Borvo. Ils partent en courant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... pas plus qu'en suspendant leur permis de conduire !
Ainsi Gribouille se jetait-il à l'eau pour éviter de se mouiller !
Et quand le procureur de la République de la deuxième ville de France, Marseille, demande en vertu de quel critère le parquet « va-t-il poursuivre une personne A plutôt qu'une personne B, dans une communauté d'une soixantaine d'individus ? » - et il peut y en avoir beaucoup plus, comme nous le savons bien dans le Territoire de Belfort -, le directeur adjoint de votre cabinet répond ceci, ainsi que la presse l'a rapporté : « L'objectif de cet article 19 est de ne servir à rien. Il suffit qu'il soit dissuasif. »
De même, quand on s'étonne de voir une contravention devenir un délit, M. le rapporteur ici présent nous répond en commission que c'est seulement pour faire passer un message, ce fameux message que vous avez entendu, dites-vous, dont vous tirez la leçon,...
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Je n'ai pas dit cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et dont l'un de nos collègues qui nous vient du Front national s'estime parfaitement satisfait (protestations sur les travées du RPR), c'est-à-dire qu'il pense que vous avez entendu ce message-là ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Comme si le code pénal était un moyen de communication ! Comme si les marginaux, quand ils ne sont pas illettrés, lisaient la presse, le Journal officiel ou le code pénal !
En revanche, si vous cherchez à faire appliquer tous ces textes, vous allez considérablement augmenter la charge et le travail déjà excessifs des magistrats et des policiers, ainsi que la surpopulation de nos prisons dont récemment, même si c'était avant les dernières élections présidentielle et législatives, les sénateurs unanimes considéraient, en demandant que cela cesse, qu'elles sont « une humiliation pour la France ».
J'en arrive à ma conclusion.
Quelles sont les sources de l'accroissement de l'insécurité que l'on constate partout dans le monde, y compris en Europe ?
Plus que jamais la pauvreté, la misère, l'exclusion ; plus que jamais l'ignorance ; plus que jamais l'oisiveté ; plus que jamais l'inégalité sociale ; plus que jamais la discrimination !
Vous ne guérirez pas la France de ce mal dont tous risquent, en effet, d'être frappés et qui s'appelle l'insécurité si vous n'en combattez pas les causes. (MM. Robert Badinter et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Les sommes considérables que vous prétendez consacrer à la répression, à la seule répression, ne laissent rien pour les éducateurs de rues, rien pour les surveillants que vous supprimez déjà dans les lycées et collèges, rien pour la santé en général et la médecine scolaire en particulier, rien pour la lutte contre les plans sociaux de vos amis du MEDEF et le chômage accru qui en découle, rien pour le logement social...
Ont le droit de vous le dire ceux qui ont mis en place le revenu minimum d'insertion, le RMI, la couverture maladie universelle, la CMU, et les emplois-jeunes.
Ecoutez, au lieu de les stigmatiser, ceux qu'avec mépris vous osez appeler « les droits-de-l'hommistes ».
Ecoutez le Secours populaire, le Secours catholique et les autres organisations non gouvernementales qui, elles, sur le terrain, s'en prennent aux causes de l'insécurité.
Ecoutez la Ligue des droits de l'homme, la LICRA et le MRAP !
Ecoutez la CNIL et la commission consultative des droits de l'homme.
Ecoutez ce « droits-de-l'hommiste », dont chacun fête cette année le deux centième anniversaire de la naissance, particulièrement dans ce Palais du Luxembourg - nous le faisions encore ce matin, en évoquant les « communards » réprimés comme on sait - où sa voix a si souvent retenti, fréquemment au milieu des quolibets de la droite, écoutez Victor Hugo lorsqu'il dit :
« Je rêve l'équité, la vérité profonde,
« L'amour qui veut, l'espoir qui luit, la foi qui fonde,
« Et le peuple éclairé plutôt que châtié. » (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. FrançoisZocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est très important à double titre : d'une part, parce que, pour nous, il concrétise les engagements pris par l'actuelle majorité lors de la campagne électorale ; d'autre part, parce que ces engagements portent sur le problème majeur de la société française, à savoir la lutte contre l'insécurité.
Contrairement à ce que disent certains, l'insécurité est bien une réalité. C'est une évidence ! Ce n'est pas un simple sentiment ou un enjeu politicien, comme on voudrait nous le faire croire.
Mme Nicole Borvo. Qui a dit cela ?
M. François Zocchetto. Alors que la sécurité est un droit naturel et imprescriptible consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, elle n'est plus assurée de manière égale sur l'ensemble de notre territoire.
Qui peut nier que la délinquance progresse régulièrement depuis de nombreuses années,...
Mme Nicole Borvo. Personne !
M. François Zocchetto. ... rendant la vie quotidienne de nos concitoyens intolérable ?
Mme Nicole Borvo. C'est vrai !
M. François Zocchetto. Il s'agit donc bien d'un problème dont l'ampleur et la gravité sapent les bases de notre démocratie,...
Mme Nicole Borvo. Absolument !
M. François Zocchetto. ... et, au premier chef, le principe d'égalité sur lequel la République s'est construite.
Mme Nicole Borvo. Très juste !
M. François Zocchetto. Je rappelle que le droit à la sûreté est un concept républicain et égalitaire.
M. Robert Bret. C'est vrai !
Mme Nicole Borvo. Tout à fait !
M. François Zocchetto. A ce titre, l'égalité de nos concitoyens est insupportable. Qui peut rejeter le fait - cela a pourtant été redit tout à l'heure - que ce sont les citoyens les plus modestes qui sont particulièrement touchés par la délinquance ?
Mme Nicole Borvo. Personne n'a dit le contraire !
M. Robert Bret. Vous enfoncez des portes ouvertes !
M. François Zochetto. Vous savez bien que l'insécurité, c'est d'abord avoir peur pour soi et ses proches. Toutes les études montrent que la peur au domicile augmente dans les quartiers en difficultés.
Mme Nicole Borvo. Absolument !
M. François Zocchetto. L'insécurité fait davantage peur quant elle paraît liée aux conditions de vie d'un quartier qu'on ne peut quitter faute de ressources suffisantes.
Cela rend cette situation encore plus inacceptable et nous impose bien sûr de mener de façon urgente une politique volontariste sans équivoque.
L'insécurité se place au premier rang des problèmes à résoudre, car il s'agit d'une problématique de service public. Je répète qu'elle n'est pas une idéologie mais qu'elle est bien la prise en compte de la réalité sociale.
Mme Nicole Borvo. Ah !
M. François Zocchetto. Le vote des électeurs du printemps dernier va plus loin que ce simple constat. Il s'analyse bien comme une injonction de faire aux pouvoirs publics, ce qui implique souvent - c'est vrai, même si ce n'est pas satisfaisant pour nous tous - une injonction de sanctionner. Faire une bonne politique de sécurité, celle qui est souhaitée par les Français, c'est faire réellement et sensiblement baisser l'insécurité sur le terrain, c'est-à-dire sanctionner réellement les délinquants, ce qui implique une collaboration sans faille de la police, de la gendarmerie et de la justice.
Le texte que nous examinons répond à mon avis à cette exigence démocratique. Il fait suite à la loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Conformément à ce texte, nous observons dans le projet de loi de finances pour 2003 que des moyens matériels seront donnés, monsieur le ministre, à votre politique.
Aujourd'hui, nous examinons des moyens juridiques supplémentaires pour améliorer l'efficacité de votre action.
Je note, pour m'en féliciter, que l'action du Gouvernement apparaît, dans ce domaine comme dans d'autres d'ailleurs, rapide et efficace. La preuve en est - vous l'avez rappelé tout à l'heure - que la délinquance commence à se stabiliser sur le terrain et que les groupes d'intervention régionaux ont enregistré de notables réussites.
Il faut aussi rappeler que les dispositions que nous allons étudier s'inscrivent souvent dans la droite ligne de la loi du 15 novembre 2001 et de celle du 4 mars 2002 que le précédent gouvernement avait tenté d'élaborer. Il est donc très étonnant de constater que ceux qui soutenaient hier une certaine politique s'acharnent subitement à la combattre. (M. Roger Karoutchi s'exclame.)
Sur le calendrier supposé serré des travaux du Sénat et en particulier de la commission des lois, je voudrais témoigner de deux choses.
Tout d'abord, le texte ne présente pas d'innovations d'un caractère technique tel...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Oui !
M. François Zocchetto. ... que les trois semaines qui viennent de s'écouler ne permettaient pas à chaque sénateur de se forger une idée sur lui.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Très juste remarque !
M. François Zocchetto. Ensuite, l'année 2001 a été bien pire sur les mêmes sujets.
Plusieurs mesures du projet de loi retiennent particulièrement notre attention. Evidemment, nous nous réjouissons du rôle prépondérant des préfets et de l'amélioration des capacités d'actions de la police judiciaire ; cela facilitera la recherche des auteurs d'infractions.
Mais il ne s'agit bien entendu pas - je tiens à le souligner - de porter atteinte aux libertés individuelles. A cet égard, les précisions sur le traitement automatisé de données personnelles que la commission des lois a proposées et que notre collègue M. Alex Türk a rappelées tout à l'heure respectent cette exigence.
Cependant, monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous confirmiez, s'agissant de l'article 4 du projet de loi que les « raisons plausibles de soupçonner » - cela constitue encore pour nous une notion imprécise jusqu'à ce ce jour - s'entendent bien, de près ou de loin - mais si possible de près ! - comme des « indices », notion, quant à elle, parfaitement définie par la pratique et la jurisprudence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
M. François Zocchetto. La majorité sénatoriale s'était déjà émue de ce changement de terminologie voulu par le gouvernement précédent. Nous avons donc besoin de quelques précisions sur ce sujet.
On ne peut que souscrire au souhait du texte de mieux protéger contre les menaces les agents chargés d'une mission de service public et leur famille.
Par ailleurs, la création par la commission des lois d'une infraction de traite des être humains ainsi que le renforcement des instruments de lutte contre le proxénétisme et l'exploitation de toutes les formes de misère constituent un progrès important.
L'article 18 du projet de loi a lui aussi suscité de vives polémiques - M. Dreyfus-Schmidt vient d'ailleurs d'en parler - et donné lieu à des débats, en commission et ailleurs, qui méritent, je le pense, d'être repris à nouveau.
Nous sommes bien sûr très favorables à la lutte contre les réseaux mafieux et contre le proxénétisme, et, à ce titre, notre groupe ne voit pas d'objection au rétablissement de l'incrimination pour racolage passif.
Cependant, il ne nous paraît pas judicieux - nous avons déjà eu l'occasion de le dire - de définir cette notion au regard de « la tenue vestimentaire ». D'une part, cette précision n'est pas utile dès lors que le texte précise déjà « par tous moyens ». D'autre part, chacun sait que l'habit ne fait pas le moine et que l'appréciation d'une tenue vestimentaire ne peut être que subjective et ne présente aucun caractère juridique permettant de retenir la notion dans le code pénal.
La délégation aux droits des femmes du Sénat, sous la plume de notre collègue madame Rozier, nous met d'ailleurs clairement en garde contre ces risques de discrimination au détriment des femmes et entre les femmes elles-mêmes, s'interrogeant « à propos de l'instauration, dans le code pénal, d'une notion de racolage vestimentaire, sur les modalités permettant de manier cet outil juridique avec suffisamment de précautions pour prévenir tout risque d'atteinte aux droits des femmes ».
Aussi, monsieur le ministre, je vous remercie de nous proposer, par un amendement, le retrait de cette référence à la notion de « tenue vestimentaire ». C'est bien la preuve, d'ailleurs, puisque certains en doutent, que le travail parlementaire, et en particulier celui du Sénat, est pris en considération dans l'élaboration de ce texte.
Une mesure trouve un écho particulier dans cette assemblée : la pénalisation de l'occupation sans titre d'un terrain.
Cependant, une question reste posée : cette pénalisation permettra-t-elle de rendre les expulsions plus rapides ?
Je suis un peu dubitatif, comme un certain nombre de mes collègues, car, en pratique, cela nous semble difficile. Je souhaite que vous puissiez nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et doit-il nécessairement y avoir condamnation ?
M. François Zocchetto. En conclusion, il faut se féliciter de la prompte mise en oeuvre des engagements pris dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, en ce qui concerne tant les moyens matériels, que nous examinerons dans quelque temps, que les moyens juridiques, que nous allons, je l'espère, décider dès cette semaine.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la véritable lutte contre l'insécurité se joue sur le terrain, avec les outils fournis par la loi. Après le vote de ce texte, la balle sera dans le camp de la police, de la gendarmerie et de la justice, qu'il ne faut pas oublier. Notre majorité doit garder à l'esprit que, si elle a été élue sur des engagements, elle sera jugée sur des résultats. Nous avons donc non seulement une obligation de moyens mais aussi, vous le savez bien, monsieur le ministre, une obligation de résultats. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Vous reconnaîtrez sûrement avec moi, monsieur le ministre, que la sécurité est à la base du contrat social. Sans elle, aucune liberté individuelle ou collective n'est possible. C'est le premier droit du citoyen, celui qui garantit tous les autres.
Il n'est donc pas étonnant que la sécurité soit au coeur du débat public. Les attentes des Français en matière de sécurité sont d'autant plus fortes qu'ils ont le sentiment d'une impuissance croissante des pouvoirs publics face à un phénomène qui progresse et prend de nouvelles formes.
Ses causes sont profondes et multiples. Comment ne pas lier cette progression de la petite et moyenne délinquance, qui nourrit le sentiment d'insécurité, à la dégradation de la situation économique et sociale ? Lorsque la société continue d'exclure, lorsque les inégalités sociales se développent, que reste-t-il du contrat social ? La pauvreté, le chômage, l'absence de perspectives d'insertion pour des populations démunies, souvent concentrées dans les banlieues.
Cependant, à mes yeux, la délinquance tient d'abord à la perte des repères et témoigne d'une véritable crise de civilisation : dilution des liens sociaux ou familiaux, grande difficulté de nos institutions à transmettre les valeurs qui fondent notre société de droit et à rappeler l'existence de règles intangibles.
Ma conviction est qu'il faut, en matière de sécurité, éviter deux écueils aussi redoutables l'un que l'autre.
Le premier, que j'appellerai l'angélisme, et que je connais bien puisque j'en viens, se caractérise par beaucoup de laxisme et aboutit souvent à l'opposé de l'effet recherché, la vie de nos concitoyens se transformant en un véritable enfer quotidien.
Le second, que je connais moins bien mais que certains ici connaissent beaucoup mieux, consiste à verser dans la démagogie sécuritaire et conduit à s'en remettre exclusivement à la répression.
Entre ces deux dangereuses dérives, il existe un espace dans lesquel une politique républicaine de sécurité peut être mise en oeuvre. Elle doit associer une réponse sociale forte, restaurer une école recentrée sur ces missions originelles, s'engager résolument ans le démantèlement de ghettos qui sont devenus de véritables zones de non-droit, où se concentrent tous les problèmes.
Mais ces actions seront d'autant plus soutenues et mieux comprises par nos concitoyens que les sanctions seront appliquées avec à la fois discernement et fermeté. Chaque institution, qu'il s'agisse de l'école, des collectivités locales, de la famille ou de l'Etat, à la place qui lui est dévolue, se doit de participer à ce rappel aux règles ; en démocratie, il convient de ne jamais l'oublier, c'est la loi qui libère.
Monsieur le ministre, globalement, votre projet de loi s'inscrit, comme vous l'avez rappelé, dans la continuité de la politique conduite par le gouvernement précédent en matière d'insécurité. C'est pourquoi il nous est difficile de le rejeter en bloc sans nous déjuger et sans courir le risque de ne pas être compris par nos concitoyens les plus modestes, qui sont aussi souvent les plus touchés par le fléau de l'insécurité.
Toutefois, je ne vous le cache pas, je m'interroge sur certaines dispositions du texte qui nous est soumis, non parce qu'elles seraient liberticides, comme il a pu être dit abusivement ici où là, mais bien parce qu'elles me semblent superflues. En effet, le code pénal, dans sa forme actuelle, permet déjà de réprimer les infractions qu'elles visent. Je pense notamment aux articles 18, 20 ou 22.
Il reste que nous relevons des aspects positifs, comme l'extension du fichier national automatisé des empreintes génétiques. Vous avez, à juste titre, rappelé que les Britanniques nous avaient précédés dans ce domaine, pour le plus grand bien des habitants du Royaume-Uni.
Le volet du texte qui concerne les gens du voyage est un autre point positif.
Nombre de mes collègues qui exercent des fonctions de maire sont trop souvent confrontés à des occupations intempestives, malgré les efforts importants réalisés par le gouvernement précédent pour l'accueil des gens du voyage.
Mon collègue Paul Loridant, maire des Ulis, et qui n'a malheureusement pas pu être présent ce soir,...
M. Roger Karoutchi. Dommage !
M. François Autain ... me faisait récemment part de son inquiétude à la suite du départ de nombreuses entreprises de la zone industrielle de Courtaboeuf, que vous connaissez bien, monsieur le ministre,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En effet !
M. François Autain. ... lassées par notre incapacité à faire respecter la loi sur ce point.
De même, nous sommes sensibles aux nouveaux pouvoirs attribués à la police municipale en matière de mise en fourrière, car le triste spectacle de voitures abandonnées est fort dégradant pour le cadre de vie quotidien de nos habitants.
Enfin, nous ne sommes pas choqués par les dispositions visant à mettre un terme aux regroupements dans les cages d'escalier, d'autant que le code pénal, là aussi, dans sa rédaction actuelle, permettrait de les réprimer. Encore faudrait-il que les forces de police et de gendarmerie soient en mesure de le faire. Car je crains que les nouvelles dispositions que vous nous proposez ne se heurtent aux mêmes difficultés, sauf si vous parvenez à mobiliser les moyens qui font aujourd'hui défaut.
Ainsi, sous réserve, bien entendu, que votre volonté de rétablir l'ordre public se manifeste par des moyens et des actes, et aussi sous réserve que la majorité sénatoriale ne fasse pas sombrer votre projet de loi dans la démagogie sécuritaire - mais les choses ont plutôt l'air de bien se présenter -, les quatre sénateurs membres du pôle républicain ou apparenté s'abstiendront sur ce texte. (M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et M. Patrice Gélard applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout va bien !
Mme Nicole Borvo. Personne n'a dit cela !
M. Roger Karoutchi. Si !
Mme Nicole Borvo. Mais non ! Ecoutons-nous donc les uns les autres ! Ça, c'est de la polémique pure !
M. Roger Karoutchi. Je vous en prie, madame, j'ai écouté les intervenants de gauche dans le silence !
Tout va bien, donc, ce pays nage dans la sérénité, on se promène. C'est Amélie Poulain dans les communes !
M. Robert Bret. N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo. Pas un sénateur n'a dit cela !
M. Roger Karoutchi. C'est ce que j'ai entendu tout à l'heure !
Nous avons eu un Premier ministre qui, candidat à l'élection présidentielle, a reconnu lui-même à la télévision qu'il avait été naïf en pensant que le simple fait de lutter contre le chômage ferait baisser l'insécurité.
Quant à M. Georges Frêche, maire socialiste de Montpellier, il affirme : « Si la gauche avait fait la moitié de la loi Sarkozy, Jospin aurait été élu. »
M. Hilaire Flandre. Heureusement qu'elle ne l'a pas fait ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Roger Karoutchi. Et M. Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, de dire : « La loi Sarkozy n'est pas une loi contre les pauvres. Les couches populaires, y compris celles issues de l'immigration, sont les premières victimes de l'insécurité. »
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Je pourrais encore citer des déclarations de Manuel Valls, de Jean-Christophe Cambadélis et d'autres.
Mme Nicole Borvo. Ils ne sont pas là !
M. Roger Karoutchi. Certes !
M. Jacques Mahéas. On peut aussi citer Pierre Fauchon !
M. Roger Karoutchi. Mais vous avez eu tout le temps de le faire !
Est-ce l'opinion de toute la gauche que celle qui consiste à considérer que ce texte est un texte contre les pauvres, contre les exclus ? Non, bien entendu ! Outre ceux que j'ai cités, un certain nombre d'élus et de responsables politiques de gauche, estiment que ce texte va dans le bon sens.
Au demeurant, si l'on en croit les sondages parus dans la presse, 70 % des Français considèrent que la politique désormais conduite en matière de sécurité est la bonne.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Sur l'ensemble des politiques gouvernementales, elle serait même celle qui est la plus appréciée par les Français !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et par les 20 % de lepénistes !
M. Roger Karoutchi. Je vous en prie !
Au moment du débat sur la LOPSI, au mois de juillet dernier, la gauche affirmait que le texte était trop général, que ce n'était qu'une loi de programme de cinq ans, demandant où étaient les mesures concrètes, susceptibles de démontrer les crédits qui démontraient qu'une nouvelle politique de sécurité allait être mise en place.
Eh bien, nous y voilà ! Les premières mesures concrètes, au-delà des mesures budgétaires, elles nous sont présentées aujourd'hui dans ce texte qui permet effectivement d'aller de l'avant.
Je sais bien que certains à gauche - l'orateur qui m'a précédé, par exemple - étaient conscients, dès avant les mois d'avril et de mai, des besoins en matière de sécurité.
Je me souviens que, durant la précédente législature, alors que je réclamais la création d'une police régionale des transports en Ile-de-France, M. Daniel Vaillant m'avait répondu : « Monsieur Karoutchi, par pitié ! Nous avançons, nous évoluons, mais ne me demandez pas tout d'un coup ! Je ne peux pas révolutionner en un jour les mentalités des uns et des autres ! »
Il était conscient, probablement parce qu'il occupait à l'époque la place qui est aujourd'hui la vôtre, monsieur le ministre, que l'insécurité était un vrai problème pour tous les Français. Il était conscient du vrai défi qu'elle constituait pour tous les républicains, qu'ils soient de gauche, de droite ou du centre. Il avait compris que le moment était venu d'accomplir, dans ce domaine, une révolution culturelle.
Que chacun se souvienne du programme de campagne du candidat Jospin, sur bien des points, il allait bien plus loin que ce que dit la gauche aujourd'hui. Il demandait des mesures que vous qualifieriez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, de mesures répressives ou excessives parce qu'il était probablement lui aussi conscient que l'insécurité était un vrai défi pour tous et qu'il fallait le relever.
Nous objecterons aujourd'hui que tout celà, c'est l'expression d'une lutte contre les pauvres, ce n'est pas bien.
Vouloir proroger les dispositions qui visent à renforcer la lutte contre le terrorisme jusqu'en 2005 ou demander l'ouverture des coffres de voiture, qui pourra peut-être éviter un attentat, une agression contre les pauvres ? Ne serons-nous pas alors fiers des forces de police ?
Est-ce une agression contre les pauvres que de vouloir l'élargissement du fichier national des empreintes génétiques qui compte aujourd'hui 1 200 empreintes alors qu'au Royaume-Uni, patrie des droits de l'homme, il en compte 1,7 million. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Et ce sont 60 000 indentifications génétiques qui étaient demandées au fichier britannique l'année dernière.
Est-ce une agresion contre les exclus que de faire en sorte que, en France, nous nous dotions des moyens modernes de ce fichier génétique ? En quoi serait-ce répréhensible si cela peut éviter la répétition des viols, si cela peut permettre l'arrestation de délinquants sexuels ?
En quoi protéger les familles de ceux qui, tous les jours, prennent des risques pour notre sécurité serait s'en prendre aux pauvres.
Il ne s'agit nullement de lutter contre les exclus, de les marginaliser, de les écarter de la société. Il s'agit de défendre une vertu républicaine, en protégeant ceux qui défendent la République et qui ont le droit d'être respectés.
Est-ce encore lutter contre les pauvres que de se battre contre les réseaux de proxénétisme, contre l'exploitation des êtres humains ? Cela a été tourné en dérision. Mais, très franchement, comment pouvez-vous, mesdames et messieurs les sénateurs de l'opposition, sérieusement penser, après tous les débats à la télévision, à la radio, dans la presse sur la prostitution, que prendre des mesures contre les réseaux de proxénétisme serait lutter contre les exclus ?
Mme Nicole Borvo. On ne parle pas des réseaux ! On parle des prostitués !
M. Roger Karoutchi. Pensez-vous sincèrement que les souteneurs, les proxénètes, les mafias qui exploitent des êtres humains ont une conscience morale, éthique ?
M. Jacques Mahéas. Vous ne nous avez pas entendus !
M. Roger Karoutchi. Mais, si, je vous ai entendus !
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas dans le texte !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l'orateur !
M. Jacques Mahéas. Monsieur Karoutchi, nous avons dit le contraire !
M. Roger Karoutchi. Bien sûr ! Vous avez toujours raison !
Le fait de ne pas interdire la prostitution implique-t-il de ne rien faire, de laisser faire ?
Monsieur le ministre, chacun comprend qu'il faut aider les exploités en étant intransigeant avec les profiteurs de la misère humaine. C'est à quoi tend votre projet de loi. Et chacun sait bien à quoi s'en tenir.
Certains disent : il y a déjà des textes ! C'est exact, mais si ces textes suffisaient, chacune et chacun d'entre nous le sauraient.
L'application des textes, c'est vrai, doit être juste, équilibrée. Pourquoi ne serait-elle pas plus équilibrée demain qu'hier ?
Les forces de sécurité sont des forces républicaines ! Elles ne vont pas changer. Elles vont appliquer la loi et faire en sorte que cette loi soit la mieux appliquée pour chacun de nous. Pourquoi, d'un coup d'un seul, basculerions-nous dans l'excès et dans l'inacceptable ?
A propos de la lutte contre la mendicité agressive avec des menaces, on a dit tout à l'heure qu'il existait déjà un délit d'extorsion simple. Mais nous savons tous que ce délit est très difficile à caractériser et que si un texte supplémentaire doit-être adopté, c'est que nous avons besoin d'une loi plus claire, plus complète.
Si le projet de loi qui est examiné aujourd'hui n'est qu'un complément ou un substitut d'un texte déjà existant, c'est donc que nous avions tous accepté ce texte.
Ce texte permet aujourd'hui d'aller de l'avant, de faciliter le travail des forces de police afin qu'elles puissent assurer la sécurité de chacun.
Qui est derrière cette mendicité agressive ? Ce sont les réseaux, les mafias qui provoquent l'exaspération croissante de nos concitoyens, à commencer, chacun peut le vérifier en prenant le métro, par tous les utilisateurs des transports publics.
Les mesures prises pour sécuriser les halls et les entrées d'immeubles signifient-elles, encore et toujours, qu'on lutte contre les exclus ou les pauvres ? Vous avez parfaitement raison de le dire, monsieur le ministre, les mesures prises ne concernent pas directement les immeubles bourgeois des quartiers résidentiels. Elles visent, pour les plus modestes, le premier droit, le droit à une vie plus sûre, plus sereine, le droit de ne pas être agressés dans leur propre immeuble. C'est un droit élémentaire.
Nous avons tous reçus, dans nos communes, des gens qui se plaignent d'une situation invivable à partir de 18 heures. Nous avons tous reçu des gardiens d'immeubles qui nous disent que les policiers constatent qu'il n'y a pas délit, puis repartent. Les gens, eux, restent et le gardien, lui, après, a quelques problèmes.
Il faut, à certains moments, convenir que des mesures ne sont pas excessives, qu'elles sont nécessaires pour que la sécurité et la sérénité de chacun soient respectées.
Monsieur le ministre, je crois que, depuis le début de ce débat, vous avez été à l'écoute de nos concitoyens. Vous avez été à l'écoute pendant l'élaboration de ce texte.
Nous verrons ce qui se passera au cours du débat parlementaire, mais nous savons que vous avez reçu les représentants des associations, et qu'ils vous ont convaincu de modifier votre texte, notamment sur les squats.
C'est la démonstration que le ministre n'est pas fermé et qu'il écoute.
Lors du débat parlementaire, des améliorations seront peut-être encore apportées mais, selon moi, très franchement, comme vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, à juste titre, monsieur le ministre, la sécurité ne devrait être ni de gauche ni de droite. Nous l'avions déjà dit à Daniel Vaillant à l'époque : la sécurité est un droit éminent pour chacun, du plus modeste au plus privilégié. Les effets de la nouvelle politique, ils se voient déjà, qu'on le veuille ou non : les chiffres les plus récents sur la délinquance montrent l'inversion des tendances.
Bien sûr, cette inversion doit être confirmée. Mais l'inversion est là ! La hausse n'est plus inéluctable. L'insécurité n'est plus perçue comme un mal contre lequel personne ne peut rien.
On avait l'impression, depuis plusieurs années, et ce n'est pas un reproche que j'adresse spécifiquement à la gauche, que l'augmentation de la délinquance était un mal dans l'air du temps et contre lequel on ne savait plus très bien que faire. On ne savait d'ailleurs même pas s'il fallait faire quelque chose.
Vous l'avez dit dans votre intervention, monsieur le ministre, la prévention est évidemment l'un des fondements de votre politique et de la politique globale du Gouvernement. Mais chacun sait qu'elle a d'autant plus de portée que la lutte contre les réseaux, les mafias et la délinquance violente obtiendra de vrais résultats.
La sécurité est une affaire de mesure : il ne faut ni laxisme ni excès. Le laxisme conduit à l'affadissement de la République, l'excès à la remise en cause de la République. Nos concitoyens méritent mieux que les querelles subalternes autour de votre projet de loi, monsieur le ministre. Agir pour la sécurité, pour rassurer tous nos concitoyens, c'est faire oeuvre utile pour la République et pour tous les Français. C'est parce que nous vous faisons confiance monsieur le ministre, c'est parce que vous allez continuer inlassablement en ce sens qu'un jour, je l'espère, la sécurité sera pour chacun et pour chacune de nous une valeur commune et ne fera plus l'objet d'un débat, ni dans la rue ni au Parlement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans leur vie quotidienne, certains Français avaient peur : ils ne se sentaient pas protégés contre l'insécurité. Depuis l'adoption de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, voilà à peine quelques mois, chacun a pu constater les changements intervenus tant dans l'organisation des services chargés de la sécurité intérieure que dans les esprits. Vos réformes, monsieur le ministre, ont pour fondement le bon sens. Elles sont donc lisibles pour l'ensemble des citoyens. Elles ont pour résultat une plus grande efficacité des services et pour objectif une recherche constante de la performance dans leurs actions.
La mise en place de la coordination entre la police, la gendarmerie et les services des douanes, en particulier dans le cadre des groupements d'intervention régionaux, commence à porter ses fruits sur le terrain.
Pour un certain nombre de missions, la simple mise en oeuvre de ce bon sens permet d'économiser d'importants effectifs de policiers pour renforcer les moyens déployés au service de la sécurité des biens et des personnes sur la voie publique. Il en va désormais ainsi de la surveillance des ambassades et des autres bâtiments publics protégés à Paris, qui générait un sous-emploi des forces de police. Je souhaite que prochainement il en soit de même pour le convoyage des détenus vers les palais de justice, auquel devrait se substituer le déplacement des juges dans les prisons.
La prochaine mise en oeuvre de la réforme de la carte des zones police et gendarmerie permettra enfin de rationaliser, avec des effectifs accrus, le déploiement de notre dispositif de sécurité intérieure et de l'adapter à l'évolution des menaces qui pèsent sur nos concitoyens.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui s'inscrit dans un contexte international marqué par la multiplication des actes terroristes et la diversification des menaces. Les attentats tragiques qui ont visé des ressortissants français à Karachi, puis un pétrolier français au large du Yémen montrent que notre pays est une cible pour les organisations terroristes. Le récent attentat particulièrement meurtrier à Bali rappelle que le terrorisme n'a plus de frontières, pas plus que de limites dans la barbarie.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l'ensemble du monde occidental a pris conscience de l'importance des services de renseignement pour la prévention des actes terroristes. L'inefficacité des services américains, s'appuyant trop sur l'électronique, et le constat d'une insuffisante coordination entre les différentes structures chargées du renseignement, ont mis en relief a contrario la performance qu'il convient de saluer des services français, reposant beaucoup plus sur la qualité des hommes.
Cependant, face à un terrorisme à la fois mal connu et multiple, notre pays ne peut se reposer sur un calme aléatoire. Il doit adapter son dispositif à l'évolution des menaces extérieures et intérieures, afin de renforcer la prévention et, chacun peut l'espérer, épargner nos compatriotes et notre territoire national.
Les services de renseignement, la direction centrale des renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire se distinguent par des savoir-faire et des réseaux propres, tout en accomplissant des missions qui se recoupent en partie. La mise en commun des moyens de ces deux directions, que l'on pourrait imaginer souhaitable dans un souci de rationalisation administrative, m'apparaît cependant comme pouvant être contre-productive. En effet, l'existence de deux services distincts permet de multiplier les sources d'information et de croiser les regards et les analyses sur les menaces qui s'adressent à notre pays.
Les informations recueillies par ces deux services doivent pouvoir être mises en commun et comparées, afin de fournir au pouvoir politique la réflexion la plus précise et la plus étayée possible pour la préparation des décisions. A cette fin, il est indispensable de favoriser les synergies et les échanges d'informations ainsi que, cela va de soi, de mettre fin aux détestables rivalités entre services - mais je connais, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, votre détermination, monsieur le ministre, - pour mettre fin aux guerres internes, d'autant plus consternantes qu'elles sont pérennes.
Face à une menace terroriste complexe, il faut absolument transcender les frontières administratives existantes et s'appuyer sur l'ensemble des expertises disponibles au sein des administrations - ministère de la défense, ministère des affaires étrangères, ministère de l'intérieur - et, le cas échéant, à l'extérieur de celles-ci. La mise en place d'une structure de coordination entre les services spécialisés des ministères concernés semble indispensable. Elle permettrait en effet de mutualiser les hypothèses et les conclusions afin d'accroître considérablement la connaissance de la menace et donc la sécurité.
Je le souligne, croiser les regards et les analyses est indispensable en matière de lutte contre le terrorisme, dès lors qu'il s'agit de prospective. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, personne ne peut écarter une hypothèse sous prétexte que « l'invraisemblable est impossible » puisque l'invraisemblable a eu lieu.
La diversification des sources et des études doit permettre à la France de mettre tous les atouts de son côté pour déceler, à un stade précoce, les menaces terroristes. La création d'une véritable filière du renseignement, ouverte sur les profils les plus divers et dotée d'un programme de formation spécifique, serait un apport utile dans la poursuite de cet objectif, en particulier au niveau des langues : il est indispensable de comprendre certains prêches.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous ayez à coeur de développer toutes les synergies au service de la lutte contre le terrorisme. La prévention constitue l'essentiel de ce travail.
Dans le cadre de cette prévention, prenons en compte le fait que les attaques terroristes sont souvent ciblées sur des objectifs permettant de médiatiser l'horreur. Les aéroports sont le siège de contrôles rigoureux qui devraient, je pense, être étendus à d'autres lieux, en particulier aux gares et aux trains. Comme vous venez de le dire, il ne faut pas attendre qu'il y ait des victimes pour agir.
En ce qui concerne la répression, je souhaite que soient adoptées prochainement l'imprescriptibilité des crimes terroristes, ainsi que l'incompressibilité des peines prononcées à ce titre. La frontière entre les crimes contre l'humanité et les crimes terroristes semble s'estomper, tant les actes terroristes ont franchi, au cours des derniers mois, une nouvelle étape dans la barbarie et dans l'horreur. J'estime qu'il convient aujourd'hui de tirer toutes les conséquences qui s'imposent face aux nouvelles menaces, que ce soit en matière de prévention ou de répression.
Monsieur le ministre, votre détermination a été essentielle pour changer l'état d'esprit d'une police, souvent découragée par un pouvoir politique qui s'interrogeait plus sur la conformité de son action avec son idéologie que sur la mise en échec des délinquants. Je rappellerai cette phrase éloquente prononcée en ces lieux : « Nous voterons la loi sur la sécurité intérieure, mais c'est contre notre culture ».
Votre culture, monsieur le ministre, c'est celle du résultat. Votre volonté est d'assurer à tous la même sécurité, en particulier aux plus faibles d'entre nous, qui sont les plus exposés. C'est une action qui nécessite du temps, qui connaîtra des périodes difficiles mais, soyez-en certain, votre détermination a rendu aux Français l'espoir d'une vie plus paisible. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)