SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : III. - Recherche et nouvelles technologies.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame la ministre, permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue pour votre première présentation devant la Haute Assemblée du budget de votre ministère.
Ce budget a été élaboré dans des circonstances particulièrement difficiles, et ce pour diverses raisons : d'une part, le déficit des finances publiques doit être contenu dans la limite de 3 % du produit intérieur brut ; d'autre part, une priorité a été accordée aux demandes qui ont été exprimées avec force par les Français durant ces derniers mois.
Mais cela ne signifie pas - vous le savez très bien, mes chers collègues - que la France ne réserve pas toute la priorité attendue à la recherche. En effet - et c'est un élément important -, de tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, la France est celui qui réserve, par rapport au PIB, les crédits publics les plus importants à la recherche.
Là où un problème se pose - et ce sera certainement pour nous l'objet d'échanges -, c'est en ce qui concerne les entreprises, et singulièrement les petites et moyennes entreprises, car celles-ci n'accomplissent pas suffisamment d'efforts dans le domaine de la recherche.
Dans ce contexte, la seule marge de manoeuvre budgétaire réside dans la mobilisation des excédents de ressources des organismes de recherche auxquels sont destinés 90 % des crédits que nous examinons aujourd'hui. Leur montant total s'élèverait, selon les estimations de vos services, madame la ministre, à 720 millions d'euros, dont 450 millions d'euros pour les seuls établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST.
Une part de ces excédents correspond à des reports qui sont légitimes lorsqu'ils servent à financer des engagements contractuels exécutés en fin d'exercice. Une autre part représente, en fait, une immobilisation stérile de ressources importantes qui se répète d'année en année.
Dans le cas du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, et probablement aussi dans celui de la plupart des autres organismes, en 2001, ces phénomènes concernent le financement du soutien de base des laboratoires et celui des investissements programmés, notamment les gros équipements.
Je considère que l'Etat était fondé à demander l'activation de ces trésoreries dormantes, même s'il est vrai qu'elles proviennent, pour une part, des ressources propres des organismes qui récompensent la valorisation de leurs travaux. En effet, il s'agit d'entités publiques subventionnées à plus de 80 % par les finances publiques dans le cas des établissements publics à caractère scientifique et technologique.
Seul compte, en définitive, le niveau des moyens réellement disponibles pour les activités de recherche, quelle qu'en soit l'origine. L'effort qui leur est demandé dynamisera la gestion des organismes, ce qui leur sera, en fin de compte, profitable.
J'ai mené auprès de certains d'entre eux des investigations dont je peux vous résumer ainsi les conclusions : les reports existent, je les ai rencontrés !
Votre budget, madame la ministre, préfère ainsi une logique d'exécution à une logique d'affichage. Le menu, permettez-moi un peu d'humour, est plus diététique que gastronomique, mais il fournit les calories nécessaires à l'alimentation de la recherche.
L'avenir n'est pas compromis, puisque le total des engagements juridiques pris par l'Etat au titre de l'année 2003 et des années ultérieures est stabilisé en ce qui concerne les organismes publics de recherche, et progresse fortement, il faut le souligner, s'agissant des moyens d'intervention propres du ministère.
Toutefois, le total des crédits consommables dans l'année est en légère régression et s'établit à 6,13 milliards d'euros.
C'est un budget de transition. Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir. Il conviendra que, les années ultérieures, l'Etat assume ses obligations, en particulier en matière de couverture en crédits de paiement des autorisations de programme et aussi en ce qui concerne le financement des très grands équipements, notamment celui des moyens de calcul, pour lesquels notre retard devient préoccupant.
Il faut aussi augmenter l'effet de levier des dépenses publiques dans leur ensemble, que celles-ci soient budgétaires ou fiscales.
A ce propos, permettez-moi, madame la ministre, de m'élever contre l'effet dissuasif sur les candidats au bénéfice du crédit d'impôt des contrôles fiscaux qui sont systématiquement déclenchés à leur encontre dès leur première demande. Ils s'agit là d'un vrai problème auquel il faudra très rapidement trouver une solution.
L'effort de recherche global de nos entreprises, et notamment des plus petites d'entre elles, est insuffisant par rapport à ce qu'il représente dans la plupart des principaux pays de l'OCDE et eu égard aux objectifs fixés au sommet de Barcelone selon lesquels il devrait atteindre les deux tiers des dépenses nationales. Or nous en sommes à un peu plus de 50 %.
Il faut donc prévoir des incitations nouvelles, notamment sur le plan fiscal. La commission des finances propose à cet égard que des déductions soient accordées aux versements à des fondations dédiées à la recherche, auxquelles pourrait par ailleurs être confié l'agrément des demandes de crédit d'impôt.
Sur le plan strictement budgétaire, les contraintes actuelles conduisent à s'intéresser à la recherche de synergies et de moyens complémentaires auprès, notamment, de la Communauté européenne, des collectivités territoriales et des armées.
Madame la ministre, je souhaite maintenant vous poser quelques questions.
Comptez-vous renforcer l'évaluation des actions du fonds national de la science, ainsi que celle du fonds de la recherche et de la technologie ?
Plus généralement, avez-vous l'intention de consacrer plus de temps et de moyens à la réflexion stratégique et prospective concernant les objectifs, les structures et les moyens de la recherche ?
L'un de vos prédécesseurs, M. Claude Allègre, avait fait de la réforme des structures de la recherche un préalable à l'augmentation de ses moyens budgétaires. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant de l'emploi scientifique, faut-il remplacer, nombre pour nombre, tous les chercheurs qui partiront à la retraite dans les prochaines années par des personnes sous statut public ?
Comment développer la mobilité entre le public et le privé et entre les universités et les organismes de recherche ?
Pour ce qui est des universités, comment orienter leurs étudiants vers les filières prioritaires et renforcer leur excellence scientifique ?
Il est difficile, je le reconnais, madame la ministre, dans le contexte actuel, de concilier le maintien de notre excellence, notamment dans les domaines du nucléaire et du spatial - mon excellent collègue rapporteur pour avis Henri Revol y fera sans doute allusion - avec le rattrapage de nos retards, dont certains sont très préoccupants. En effet, ces retards, nous les constatons certes mais dans le domaine du nucléaire, mais également, et ô combien ! dans le domaine des biotechnologies ou des nano-sciences et technologies.
J'en viens, pour terminer, à l'évocation des sujets d'inquiétude que je traite dans mon rapport écrit, mais que je n'ai pas encore abordés à cette tribune : la fuite des cerveaux, la persistance d'entraves au bon fonctionnement des laboratoires et de leurs travaux.
Le premier point soulève le problème de l'attractivité de nos établissements de recherche, notamment en ce qui concerne le niveau des salaires et des équipements et la création de débouchés pour les post-doctorants dans le privé. J'estime, en effet, que tous n'ont pas vocation à devenir fonctionnaires chercheurs à vie.
Sur le second point, il est désolant de constater qu'on en est encore à l'expérimentation des SAIC - mon collègue Pierre Laffitte vous en parlera certainement, car je crois que c'est très important -, ces services de valorisation de la recherche universitaire prévus par la loi Allègre, et que certaines règles du code des marchés publics continuent de gêner le fonctionnement des laboratoires des établissements d'enseignement supérieur, faute de délégation de signature à un échelon suffisamment déconcentré.
Plus généralement, se trouvent posés les problèmes du régime fiscal des activités de valorisation de la recherche, de l'intéressement à ses résultats de ceux qui la financent et de la façon dont ils s'en répartissent les produits.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, je recommande à nos collègues d'adopter votre budget, mais je voudrais que le temps de la transition, puisque nous allons vivre une année budgétaire intermédiaire, soit pour vous le temps de la réflexion, avant d'être celui des réformes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour la recherche et les nouvelles technologies. Madame la ministre, je tiens à vous le préciser d'emblée : ce budget de transition a reçu l'accord de la commission des affaires culturelles. Il comporte un certain nombre de points positifs, quelques zones d'ombre et de lumière, bien sûr.
L'utilisation des reliquats de gestion nous semble une très bonne initiative. Les efforts consentis en faveur des jeunes nous paraissent importants, voire considérables. Je trouve très bienvenu le fait de porter de 3,5 millions d'euros à 10 millions d'euros les crédits relatifs aux post-doctorants. Je me félicite également de l'augmentation des allocations de recherche et du maintien des moyens de fonctionnement des organismes. En revanche, la diminution de certaines dotations apparaît critiquable, d'autant qu'elle tient compte des reliquats de gestion, qui ne peuvent servir qu'une fois.
Par conséquent, la préparation du budget pour 2004 sera un moment important.
Au final, j'émets une opinion très positive, surtout compte tenu du fait, madame la ministre, que votre budget marque la volonté d'afficher des priorités spécifiques pour un certain nombre de domaines essentiels.
Compte tenu du bref temps de parole qui m'est imparti, je vous renvoie à mon rapport écrit, lequel prévoit un certain nombre d'opérations, de suggestions et de réflexions. Celui-ci comporte, en annexe, une ébauche de ce que l'on pourrait appeler une comparaison des politiques d'innovation dans l'ensemble des pays européens ; elle a été préparée avec l'appui de tous les ministères. Bien entendu, je tiens à la disposition de vos services un dossier de plus de cinq cents pages qui sera très utile, surtout au moment où une nouvelle loi sur l'innovation est en préparation.
Je formulerai quelques suggestions qui sont précisément liées à l'innovation. Cela ne constitue pas le coeur du budget de la recherche, ce n'est pas non plus au centre de vos préoccupations, madame la ministre, mais c'est important compte tenu, notamment, de l'élaboration en commun, avec le ministère de l'industrie, de cette loi essentielle sur l'innovation, que nous examinerons avec beaucoup d'attention.
S'agissant de ladite loi, il faut évaluer dès à présent les conséquences de l'ancienne loi sur l'innovation et la recherche, que le Sénat a analysée avec beaucoup d'intérêt, en particulier pour ce qui est des fonctions d'innovation. Il s'agit non pas seulement des incubateurs, mais de tout ce qui constitue l'innovation, c'est-à-dire les incubateurs, les locaux et les structures lourdes, mais aussi tout ce qui est immatériel et que certains appellent le coaching, à savoir l'environnement qui est assuré pour la transformation d'une idée en un projet, puis du projet en une création d'entreprise ou en un transfert de technologie. C'est complexe, car des problèmes se posent en termes de conseils, d'enquêtes de marché et de mise en relation. C'est un accompagnement qui n'est pas habituel au sein du milieu universitaire.
D'ailleurs, cette complexité est liée à d'autres fonctions de valorisation, notamment celles des SAIC. Les nouveaux SAIC commencent à se mettre en place. Ils rencontrent des problèmes en raison des traditions : Bercy a édité un guide de trente-sept pages en ce qui concerne la création à la fois d'une comptabilité publique et d'une comptabilité analytique, qui soulève certainement des difficultés considérables. D'autant que tout repose sur des temps de répartition, c'est-à-dire que l'on peut faire n'importe quoi ! Ce n'est pas tenable à long terme !
La véritable solution consisterait à établir une séparation entre, d'une part, les organismes qui sont chargés de développer le travail en concertation avec l'extérieur et, d'autre part, les sociétés, qui peuvent d'ailleurs être des filiales à caractère industriel et commercial, qui ont pour mission d'effectuer des opérations susceptibles de générer des rentrées fiscales. Il faut donc différencier ce qui est fiscalisable et ce qui est d'intérêt public.
Certaines opérations sont réalisées par des structures anciennes de valorisation : je pense en particulier à Armines, structure qui n'est pas fiscalisable, mais qui a créé une filiale de valorisation, Transvalor, qui, elle, est fiscalisable.
Il serait important, madame la ministre, que vous étudiiez la liste de ces structures. D'ailleurs, mon rapport écrit comporte une indication sur les volumes de financements, qui sont parfois considérables, notamment de la part de certaines écoles, mais aussi de certaines universités, en particulier des universités technologiques, qui ont souvent trente ans d'expérience dans ce domaine. Cela vous permettrait d'établir une comparaison fructueuse. J'ajoute qu'il faudra sans doute faire un parallèle entre la France et les pays étrangers, puisqu'il existe, en Allemagne, les Fraunhofer, aux Pays-Bas, l'institut TNO, et, en Finlande, le centre de recherche VTT, qui sont probablement des modèles intéressants à examiner.
Madame la ministre, il faudra probablement évaluer les financements d'amorçage d'instituts nationaux comme l'INRIA, l'Institut de la recherche en informatique et en automatique, de fonds comme EMERTEC et BIOAM - respectivement fonds d'amorçage dédié au financement en capital de jeunes entreprises et fonds d'amorçage pour la création d'entreprises de biotechnologies -, de fonds régionaux, de même que de fonds privés. Autant de possibilités de financements supplémentaires qu'il faudra inscrire, me semble-t-il, dans le projet de loi sur l'innovation.
Il est essentiel que nous nous rendions compte que d'autres domaines doivent être évoqués de façon prioritaire. A cet égard, madame la ministre, je vous félicite de l'intérêt que vous portez à l'INRIA. La commission des finances souhaitait proposer une augmentation de la dotation de l'INRIA en même temps qu'une diminution d'un certain fonds ; mais nous avons préféré y renoncer, compte tenu de la façon dont la situation se présente actuellement, tant au Sénat qu'au ministère chargé du budget.
Nous avons par ailleurs constaté avec plaisir que vous aviez beaucoup fait dans le domaine des biotechnologies et des nanotechnologies, dans la poursuite des actions prioritaires du CEA, le commissariat à l'énergie atomique, et dans toute une série d'autres domaines qui seront probablement évoqués par M. Revol.
Madame la ministre, nous avons indiscutablement besoin d'une réflexion approfondie sur les priorités : cette réflexion est maintenant engagée, ce dont nous devons vous remercier.
M. le président. La parole est à M. Henri Revol, rapporteur pour avis.
M. Henri Revol, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour la recherche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les chiffres de ce budget dans la mesure où notre collègue René Trégouët en a parfaitement retracé les principales évolutions. Je veux néanmoins dire deux mots de la question des reports.
Même si j'approuve la stratégie consistant à mobiliser les trésoreries dormantes, une telle stratégie, par définition non reconductible l'année prochaine, doit s'accompagner d'une réflexion sur les raisons qui ont mené à de tels excédents et sur les moyens d'y remédier à l'avenir.
Sur les grandes priorités de ce budget, je me félicite, bien évidemment, des mesures emblématiques prévues, comme la création de quatre cents postes de post-doctorant ou la revalorisation des allocations de recherche de 5,5 %.
Toutefois, mes chers collègues, je centrerai plus particulièrement mon intervention sur quelques grandes thématiques de recherche.
Les biotechnologies, tout d'abord, constituent aujourd'hui un enjeu économique d'importance. Selon la Commission européenne, ce marché représenterait, sur le plan mondial, près de 800 milliards d'euros en 2010. Or la France accuse actuellement un retard par rapport aux pays leaders en Europe dans ce domaine - l'Allemagne et l'Angleterre -, mais, surtout, par rapport aux Etats-Unis. Ce décalage risque de s'aggraver si nous n'y prenons garde.
Ce retard s'explique aussi bien par la faiblesse des structures de soutien à la création d'entreprises innovantes dans ce domaine que par la faiblesse des soutiens publics.
A titre d'exemple, même si la comparaison est un peu osée, le soutien de la recherche biomédicale aux Etats-Unis est considérable, de l'ordre de 24 milliards de dollars en 2002, alors que les crédits de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, devraient, en 2003, diminuer de 9,6 %.
Il conviendra donc d'être attentif aux mesures que vous devriez prévoir, madame la ministre, dans le cadre du projet de loi sur l'innovation que vous présenterez au début de l'année prochaine et dont mon excellent collègue Pierre Laffitte a parlé.
Je souhaiterais également évoquer la question de la recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Concernant les recherches relatives à la production énergétique du futur, la France a transmis à Bruxelles, le 16 octobre dernier, le dossier de candidature du site de Cadarache pour accueillir l'installation ITER, ou installation expérimentale de fusion. Ce projet est en effet très important, car il s'agit d'avoir la main sur la recherche dans le domaine de la fusion thermonucléaire. Il est donc fondamental que la candidature du site français soit retenue pour accueillir cette infrastructure.
En revanche, je regrette que ne soit pas mieux affirmée la nécessité d'étudier les filières de réacteurs à fission capables de prendre la relève de notre parc actuel de production électrique.
Plus généralement, il est urgent de réfléchir, dès aujourd'hui, aux nouveaux réacteurs nucléaires qui devront être installés dans les centrales à l'horizon des vingt prochaines années. La France a pris du retard dans ce domaine et notre pays risque d'être dépassé, un jour ou l'autre, par ses concurrents, notamment sur le marché international qui, à coup sûr, s'ouvrira considérablement dans les pays à fort développement.
Enfin, je me réjouis du redémarrage prochain, au début de l'année 2003, du réacteur Phénix. Pour des raisons techniques et, plus probablement, politiques, ce programme avait pris un retard considérable. Or ce redémarrage est fondamental à la conduite de l'expérimentation prévue par l'un des volets de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, à savoir la transmutation des déchets nucléaires à vie longue.
Enfin, je terminerai en évoquant la situation délicate dans laquelle se trouve aujourd'hui le Centre national d'études spatiales, le CNES. Au-delà des polémiques dont la presse s'est fait l'écho, cet organisme voit son budget continuellement diminuer depuis cinq ans.
Dans un contexte plus général d'une crise du spatial liée à la diminution du nombre de satellites à lancer et à une offre abondante de lanceurs concurrents sur le marché, vous avez, madame la ministre, mis en place une commission qui, composée de sept membres, est chargée de réfléchir à l'avenir du CNES et de faire des propositions. Nous en prenons acte.
Le secteur spatial a une dimension politique et stratégique, car il permet l'autonomie d'accès à l'espace et il est également un fournisseur d'infrastructures de service public. Or toutes ces problématiques sont communautaires, et non pas intergouvernementales, d'où la nécessité de renforcer le rôle de l'Union européenne dans la conduite de cette politique.
Au total, il conviendrait de redonner une impulsion au secteur spatial en créant, par exemple, une instance interministérielle pour la conduite de la politique spatiale, car nombreux sont les ministères, notamment celui de la défense, qui interviennent ou devraient intervenir dans ce secteur. Il conviendrait également de garantir le budget du CNES dans les années à venir.
Mes chers collègues, ce budget, malgré ce qui avait pu nous être annoncé au cours de l'été, est un bon budget, alors que le contexte budgétaire pour l'année 2003 est extrêmement tendu.
Même si, à un simple examen des chiffres, ce budget peut apparaître un peu décevant, le recentrage des crédits sur les grandes priorités constitue un signe positif, qui mérite d'être encouragé. En conséquence, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, j'émets un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 9 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Henri Revol.
M. Henri Revol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, puisque mon groupe a bien voulu me désigner pour être son orateur sur ce budget, permettez-moi cette seconde intervention, dans laquelle je souhaite revenir sur des sujets que j'ai déjà évoqués au nom de la commission des affaires économiques, mais, rassurez-vous, sans redondances excessives.
Je voudrais, tout d'abord, parler de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, dont j'ai eu l'honneur, à l'époque, d'être le rapporteur au Sénat.
Cette loi a tracé des voies de recherche et a fixé rendez-vous au Parlement pour 2006. Depuis 1991 et jusqu'en 2006, la Commission nationale d'évaluation, créée par la loi, doit présenter et présentera au Gouvernement et au Parlement un rapport sur l'état d'avancement des recherches en ce domaine.
Pour le Parlement, c'est l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques qui entend chaque année le président et les membres de cette commission. Cette audition a eu lieu au mois d'octobre dernier, pour le rapport d'évaluation n° 8.
Madame la ministre, plusieurs remarques s'imposent.
Sur les trois axes de recherche définis par la loi, au moins deux ont pris un retard considérable : les laboratoires souterrains et la transmutation. Après des atermoiements autour du choix des sites respectifs des laboratoires souterrains, qui devaient être au moins au nombre de deux, c'est finalement un seul site qui a été retenu à Bure, dans le département de la Meuse. A la suite d'un tragique accident, le 15 mai dernier, ce chantier est à l'arrêt et les prévisions les plus optimistes laissent à penser que bien peu d'observations et de résultats expérimentaux pourront être recueillis avant l'échéance de 2006.
L'absence d'un second laboratoire est un autre motif d'inquiétude, alors qu'il était pourtant clairement prévu par la loi.
En ce qui concerne la transmutation, élément fondamental pour le développement durable de la filière nucléaire à fusion et clé d'une meilleure adhésion de l'opinion, il est à déplorer que les campagnes d'irradiation prévues dans le programme de recherche sur ce procédé n'aient même pas pu débuter, faute de disposer d'un réacteur à neutrons rapides. L'abandon scandaleux de Superphénix, l'indisponibilité technique et sans doute politique de Phénix privent en effet les expérimentateurs de tout moyen. Il est à souhaiter que le redémarrage de Phénix soit autorisé, enfin, très prochainement.
Pour l'avenir, des filières prometteuses ont été proposées par des physiciens et font l'objet d'études au CNRS, en association avec le CEA et Framatome. Il serait grand temps qu'un démonstrateur de réacteur hybride capable tout à la fois de produire de l'énergie et de transmuter les radionucléides à vie longue, en particulier les actinides mineurs séparés après retraitement des combustibles usés, soit mis en chantier. Le prix Nobel Carlo Rubbia propose depuis longtemps une mobilisation de moyens à l'échelle européenne autour d'un tel projet. Malheureusement, dans le cadre du sixième programme cadre de recherche et développement, la faiblesse des crédits alloués recule l'échéance de ce projet.
D'autres préconisent une mobilisation à l'échelle mondiale autour d'un projet américain. On peut douter de sa faisabilité !
Madame la ministre, il m'apparaît extrêmement souhaitable que la France, leader incontesté de l'industrie nucléaire en Europe, prenne une initiative forte pour lancer, dans le cadre d'une coopération européenne, un tel démonstrateur.
Pour en terminer sur ce sujet, et compte tenu de l'importance considérable de l'enjeu, je souhaite que les moyens soient trouvés pour élargir l'audience donnée aux rapports de la Commission nationale d'évaluation qui, pour le moment, ne dépasse pas le cercle restreint de quelques membres du Gouvernement, d'une délégation de parlementaires, certes concernés et attentifs - plus précisément, les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques -, et de quelques initiés, mais guère au-delà.
Je voudrais maintenant aborder un deuxième sujet d'importance : celui du financement des activités du Centre national d'études spatiales en 2003, et obtenir de votre part, madame la ministre, des indications sur les évolutions budgétaires du secteur spatial d'une manière générale, à l'échelon national et européen, dans une perspective à plus long terme, cadrant avec le plan stratégique et le contrat d'objectifs de cet établissement qui a été signé à la fin de l'année 2001.
Le CNES, que vous connaissez bien, est l'un des fleurons de l'activité spatiale en Europe, il joue un rôle de locomotive auprès de nos partenaires européens, en liaison avec l'Agence spatiale européenne, au budget de laquelle il contribue, bien sûr, de manière substantielle.
En 1996, lorsque le professeur Alain Bensoussan a été appelé à assumer la présidence de l'établissement, la situation du CNES était catastrophique : 3,7 milliards de francs de dettes obéraient l'activité de l'agence. Je n'épiloguerai pas sur les causes de cette dérive budgétaire, mais je tiens à souligner que les mesures prises en liaison avec le ministère de tutelle de l'époque ont permis d'annuler assez rapidement ce déficit. En contrepartie, le président avait obtenu l'assurance que le budget de l'établissement serait maintenu à un niveau constant sur trois années consécutives. Cette stabilisation n'ayant plus été respectée à partir de 1997, le budget du CNES a alors amorcé un lent déclin, avec la même exigence irréaliste d'une programmation en totale inadéquation avec les ressources de l'établissement.
Il m'apparaît vital de renouer avec des budgets en croissance à partir de 2004 si nous voulons maintenir notre rang en Europe et dans le monde. Les missions que j'ai pu accomplir aux Etats-Unis et au Japon m'ont permis de constater que la compétitivité de l'industrie spatiale de ces grands pays dépendaient étroitement du maintien d'un niveau de financement public important et de programmes duaux - c'est notamment le cas du Japon - dont l'insuffisance chronique en Europe ne peut qu'être déplorée.
Or, depuis 1997, la dotation du CNES a enregistré une perte équivalant à 600 millions d'euros. Des arbitrages douloureux sont nécessaires et, dans le contexte déprimé du secteur des télécommunications, ils suscitent de grandes inquiétudes dans les équipes. Je souhaite vivement, madame la ministre, que vous vous appuyiez sur l'équipe de direction du CNES pour restaurer la sérénité indispensable à la réflexion sur l'avenir des activités spatiales en France et en Europe, dans le respect d'un dialogue avec les communautés industrielle et scientifique.
Toute indication d'un retour à un niveau de financement plus substantiel pour le CNES sera accueillie avec satisfaction et soulagement. Il faut que le CNES, qui diffuse autour de ces établissements des technologies novatrices susceptibles de créer des activités nouvelles et des emplois qualifiés, soit à même de maintenir une activité industrielle suffisante pour préparer l'avenir et rester dans la course, notamment en Midi-Pyrénées, en Ile-de-France et en Guyane.
Bien entendu, au moment où le compte à rebours du lancement de la première fusée Ariane-5 d'une capacité d'emport de dix tonnes est en cours, à Kourou, je ne peux pas ne pas évoquer la crise à laquelle notre lanceur européen est confronté et à laquelle la société Arianespace doit faire face.
Tout doit être mis en oeuvre pour que l'avenir de la fusée Ariane et le succès de la société soient assurés. La solidarité de tous les acteurs de ce programme est impérative et, bien entendu, le soutien important décidé par les Etats à la conférence d'Edimbourg doit être adapté aux nouveaux besoins apparus avec le développement de la concurrence dans le domaine des lanceurs et l'effondrement du nombre de satellites à lancer.
Le plan de soutien aux lanceurs, qui se trouve en cours d'élaboration à l'Agence spatiale européenne et qui doit être soumis au conseil ministériel de l'Agence au début du mois de mars prochain, présente un caractère crucial et doit être absolument adopté, d'autant plus que, dans son rapport sur l'avenir de l'industrie aérospatiale américaine, paru le 18 novembre dernier, la Commission préconise un accroissement du soutien public à l'industrie. Une telle préconisation se fonde d'ailleurs sur des arguments assez fallacieux où l'on met en avant une augmentation de l'effort public consenti en Europe.
Enfin, je n'insisterai pas sur l'impérieuse nécessité de lancer définitivement le programme européen de positionnement par satellite GALILEO, tant ont été nombreuses nos interventions parlementaires à ce sujet.
Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour mobiliser vos collègues du Gouvernement sur ces objectifs stratégiques et pour vous faire aussi l'interprète auprès de vos collègues européens de ces graves préoccupations.
Madame la ministre, le groupe des Républicains et Indépendants votera l'ensemble de ce budget de la recherche. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-MarcTodeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, pour la première fois depuis longtemps, le budget de la recherche est en baisse. Qu'en est-il de l'objectif de 3 % fixé par les chefs d'Etat au sommet de Lisbonne, confirmé à Barcelone en 2002 et repris par le Président de la République durant la campagne pour l'élection présidentielle ?
Le budget de la recherche pour 2003 connaîtra une baisse de 1,3 %, bien que vous affichiez, madame la ministre, une augmentation de 5,3 % grâce à des reports de crédits de l'année 2002. Il se traduira, en fait, par une chute moyenne hors salaires de 13,3 % des crédits publics de fonctionnement des organismes de recherche. Les vrais chiffres font mal !
Cette baisse de financement est un mauvais signal, que ce soit en direction des chercheurs ou des entreprises. En effet, nous savons tous que l'impact du financement public est déterminant pour enclencher celui du privé.
Madame la ministre, dans une interview que vous avez accordée au journal Le Monde le 2 octobre 2002, à la question : « Que donnerez-vous comme conseil à ces jeunes chercheurs ? », vous avez répondu : « Il faut donner aux chercheurs le moyen de réaliser leurs projets. »
Or les crédits de paiement du CNRS baissent de plus de 20 %, ceux de l'INSERM de plus de 10 %, ceux de l'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique, de plus de 16 % et les crédits de recherche des universités de 5,6 %. A celà s'ajoute la suppression de 162 postes, dont 137 pour le CNRS.
Permettez-moi de citer un indicateur qui se fonde sur le nombre de chercheurs par rapport à la population active tiré d'un document émanant de la Commission européenne. On y constate que, de 1995 à 1999, la part des chercheurs dans la population active est nettement moindre dans l'Union européenne - 5,3 - qu'au Japon - 9,3 - et aux Etats-Unis - 8,1 . Le rythme de croissance de l'effectif total des chercheurs est par ailleurs beaucoup plus rapide aux Etats-Unis.
Pour répondre à ce retard, le gouvernement précédent avait lancé un plan pluriannuel qui avait le mérite d'attirer à nouveau les jeunes vers les études scientifiques et vers les métiers de la recherche : 500 postes furent créés en 2002.
Ce ne sont pas, malheureusement, les 400 postes de contractuels prévus dans votre projet de budget qui répondront à leur attente. Il s'agit d'une attitude politique que l'on pourrait presque qualifier d'irresponsable à moyen et à long terme.
Après avoir dénoncé la fuite des cerveaux, vous achevez de convaincre de nombreux jeunes scientifiques que leur avenir n'est pas en Europe en réduisant les perspectives de la recherche publique.
Le temps de la recherche a peu à voir avec le rapide calendrier politique. Former un scientifique, construire une équipe, explorer une idée nouvelle, tisser des liens avec d'autres groupes en France et à l'étranger, avec des entreprises, cela prend du temps. Le secteur privé comme le secteur public peuvent faire à la fois de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et de la recherche-développement ; mais on sait l'importance vitale que représente pour un pays un service public de la recherche.
Pour atteindre les 3 % annoncés, nous devrions investir 5,6 % jusqu'en 2010. La mission semble quasi-impossible. La recherche publique va donc subir une baisse importante de son potentiel. Il n'est pas honnête de le cacher à la nation.
Parallèlement, la croissance des budgets de recherche et développement des entreprises s'est fortement ralentie.
Outre-Atlantique, les dirigeants d'entreprise et les politiques savent que la recherche est un investissement et non pas un coût de fonctionnement à réduire. Votre budget a tendance à l'oublier, madame la ministre.
Les Etats-Unis font de la recherche une priorité nationale ; ils développement à un très haut niveau, avec l'argent de l'Etat, la recherche fondamentale, mais aussi ses applications et leur développement, en sélectionnant certes des domaines constituant des enjeux de puissance et de domination.
Je pense donc, comme nombre de mes collègues, que nous devons, pour l'avenir de notre pays, développer notre potentiel scientifique afin de le porter enfin au niveau requis par la mondialisation.
M. le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, plaidait pour « une France créative qui mise sur l'innovation », promettant de faire les efforts nécessaires pour atteindre cet objectif et annonçant même que « la dynamique de l'intelligence est nécessaire à la mobilisation de notre pays » et « qu'un buget comme celui de la recherche ne serait pas en baisse en 2003 ». Or les faits contredisent les paroles.
Je souhaiterais maintenant aborder le développement de la recherche au niveau européen. Vous avez défini dans votre budget, madame la ministre, une quatrième priorité qui consiste à mener une politique de coopération scientifique et technique internationale dans le cadre européen. Or avez-vous vraiment, dans votre budget, assez de moyens pour permettre à la recherche française d'aborder pleinement ce grand chantier, à savoir l'espace européen de la recherche et son outil, le sixième programme cadre, qui vient d'être lancé en juin 2002 et qui sera opérationnel en 2003 ?
Nous nous devons d'être présents à ce rendez-vous. Cet espace européen représente une vision pour l'avenir de la recherche en Europe, un vrai marché intérieur de la science et de la technologie. Il favorisera l'excellence scientifique, la compétitivité et l'innovation par la promotion d'une meilleure coopération et d'une coordination entre les différents acteurs à tous les niveaux.
Le sixième programme cadre est l'un des instruments financiers qui permettra de concrétiser cet espace européen. Avec un budget de 17,5 milliards d'euros, il représente près de 4 % du budget global de l'Union européenne sur la base de 2001 et 5,4 % de toutes les dépenses de recherche publiques non militaires en Europe ; il a retenu sept domaines prioritaires que je ne citerai pas.
Or, le sixième programme cadre ne prévoyant pas de quotas nationaux et privilégiant désormais une approche de projet plutôt qu'une approche thématique, quels seront nos actions et les moyens financiers dégagés au niveau national pour permettre à nos laboratoires de recherche, à nos universités et à nos entreprises de participer aux futurs projets de recherche européens ? Quelle aide envisagez-vous de fournir à nos chercheurs qui, notamment, n'ont aucune expérience de Bruxelles ou qui se perdent dans ses labyrinthes ?
La tradition des bourses d'études à l'étranger faisant partie intégrante de l'histoire scientifique européenne, ce programme cadre investira également massivement dans la mobilité des scientifiques. Que ferons-nous pour que nos chercheurs puissent participer à ce mouvement ?
En outre, la Commission veut mettre en oeuvre une meilleure utilisation des instruments de soutien à la recherche industrielle, des mesures d'aide à la recherche et à l'innovation, des mécanismes de garantie et de stimulation du capital risque. Elle souhaite aussi développer l'adaptation des régimes de propriété intellectuelle, notamment pour la recherche universitaire.
A ce titre, le précédent gouvernement avait, comme l'Allemagne, introduit de nouvelles réglementations favorables à l'exploitation de la recherche financée par l'argent public. Nous regrettons que vous renvoyiez ce volet à une prochaine loi.
A ce sujet, le député Jean-Yves Le Déaut a proposé de créer un conseil européen de la recherche qui financerait notamment les bourses postdoctorat de haut niveau et qui faciliterait la coordination des programmes nationaux dans les sciences de base. Pensez-vous soutenir cette proposition à laquelle je souscris ?
Je voudrais terminer en citant le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, qui s'étonne de « l'absence de messages explicites dans le projet de budget pour inciter les équipes françaises, non seulement à participer, mais aussi à coordonner des réseaux ou des projets au niveau européen ».
Madame la ministre, je viens de vous exposer une partie des raisons pour lesquelles mes amis du groupe socialiste et moi-même ne voterons pas votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé leur objectif de consacrer 3 % du produit intérieur brut à la recherche dans les dix années à venir.
Or le budget de la recherche devrait diminuer de 1,3 %, à périmètre constant, par rapport à 2002. Les divers effets d'annonce concernant une augmentation de 5,3 % ne réussiront pas à masquer les artifices comptables tels que l'addition des reports de 2002, notamment ceux qui proviennent, pour plus de 400 millions d'euros, des établissements publics à caractère scientifique et technologique, les EPST, du CNRS plus particulièrement, ainsi que l'application du « gel républicain » pour cette année et pour les mois à venir.
Les scientifiques de notre pays sont consternés : la recherche publique joue un rôle déterminant dans la vie culturelle, sociale et économique de notre pays, et ils craignent que cette diminution ne prélude à une nouvelle période de récession telle que celle que nous avons connue entre 1993 et 1997.
Pour se faire entendre, ils nous lancent un appel dont je me fais ici l'écho fidèle et solidaire.
La recherche se construit dans la durée, dans le cadre d'orientations fortes et originales, scientifiques, thématiques et organisationnelles. Or le plan pluriannuel est abandonné.
Les coupes claires dans les crédits atteignent 13 % en moyenne pour les EPST et près de 6 % pour la recherche universitaire. Le CNRS, qui pouvait envisager une croissance de l'ordre de 7 % des crédits de paiement en 2003, les voit, finalement, baisser de 17 %.
En matière d'emploi, la suppression de 150 emplois de chercheur statutaire, dont 137 au CNRS, est ressentie comme l'abandon explicite d'une politique forte de recherche civile. (M. le président de la commission des finances entre en conversation avec Mme la ministre déléguée.) Je vous vois vous entretenir avec M. Arthuis, madame la ministre : ne vous laissez pas abuser par les Attila de la commission des finances, parce que la hache risque de tomber tout à l'heure ! (Sourires.)
Le taux de recrutement prévu est de 3 % de l'effectif ; il est de 4,5 % aujourd'hui, ce qui signifie que les effectifs du CNRS s'affaibliront de plus de 2 000 personnes d'ici à 2010 !
Le plan décennal 2001-2010 pour l'emploi scientifique est aussi abandonné. Il visait à anticiper les départs à la retraite massifs attendus entre 2005 et 2010 et à proposer des emplois stables aux jeunes chercheurs.
Or la mise en place de 400 post-doctorants, contrats à durée déterminée de douze à dix-huit mois destinés au « retour des jeunes chercheurs déjà en séjour post-doctoral sur la base d'un projet scientifique et professionnel précis », prolonge le statut précaire de cette jeunesse. Comment leur faire miroiter la perspective d'une insertion durable au moment où le nombre de chercheurs statutaires est réduit ?
La précarisation de l'emploi dans la recherche entraînera une baisse d'intérêt des jeunes pour les carrières scientifiques et un regain de la fuite des cerveaux de notre pays.
Cette rupture des engagements de l'Etat affecte nombre d'organismes, les deux mille laboratoires existants, les formations et les équipes universitaires associées à un organisme. Elle diminue l'attrait de la France pour les chercheurs étrangers et pour les entreprises.
Ce désengagement de l'Etat n'est pas conjoncturel, mais il inaugure, semble-t-il, une nouvelle volonté politique visant à substituer aux financements d'Etat des financements régionaux et privés.
Les régions financent la recherche et, pour certaines, depuis longtemps. Cela ne me gêne pas si une responsabilité publique nationale est garantie en la matière. Sinon, il y a un risque de balkanisation des sources de financement et de course aux contrats locaux.
Je ne m'oppose pas plus à une plus grande implication du secteur privé. La recherche privée doit jouer son rôle. Toutefois, sans engagement d'Etat, il n'y a pas de politique nationale concertée et, sans des services publics forts, il n'y a pas d'environnement favorable à l'ensemble de la recherche.
Je crains que ce retrait de l'Etat ne livre plus encore l'ensemble de notre recherche à une dérive libérale. Ce n'est pas sans conséquence. Le marché est sans conscience ni miséricorde. L'asservissement des programmes scientifiques aux exigences des marchés financiers a des conséquences sur la santé dans le monde, sur la politique de gestion de l'eau, sur les rapports Nord-Sud, sur l'équilibre climatique... Et dans cet asservissement, la science se perd. Je pense en particulier à l'entreprise Avantis qui abandonne la recherche moléculaire pour des raisons comptables.
Toujours au nom de la rentabilité à court terme, des pans entiers de la recherche seront abandonnés, comme la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée, et les priorités à chaque niveau d'intervention seront de même nature.
Dans ce cas, quel est l'avenir de la recherche sur le génome humain, le VIH, le cancer, les maladies génétiques ? Quel est l'avenir des sciences du vivant, des nouvelles technologies de l'information et de la communication ?
Les Etats-Unis, le Japon ou, pour l'Europe, la Suède et la Finlande renforcent leur recherche, préservent leur intelligence à tel point qu'il nous faudrait une augmentation annuelle de 5 % pour atteindre leur niveau. Et le Gouvernement livrerait notre « matière grise » à l'exploitation anarchique du marché national et international... Ce lit de Procuste où la pensée unique joue un rôle structurant provoque le phénomène historiquement inédit d'une mondialisation croissante de l'activité scientifique en même temps que recule son universalité.
Madame la ministre, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre votre budget parce qu'il est insuffisant - c'est un fait -, mais surtout parce qu'il reflète et encourage des orientations très graves pour l'avenir. Tout à l'heure, j'évoquais Attila sous la forme d'une boutade, mais il s'esquisse néanmoins un mouvement grave de coupe sur toutes les dépenses d'investissement en matière grise. Si les Attila n'ont pas plus frappé dans le budget de la recherche, c'est sans doute parce que l'herbe était déjà par trop clairsemée ! Cela doit attirer notre attention.
M. le président. La parole est à M. Lucien Lanier
M. Lucien Lanier. Permettez-moi, madame le ministre, de vous dire combien nous apprécions d'avoir cette année comme interlocuteur, plus encore qu'un vrai ministre délégué à la recherche, une personnalité de la recherche spatiale qui, par sa compétence, son courage et sa participation à l'effort de recherche, sait de quoi elle parle et, surtout, connaît la vertu moderne du travail en équipe qui est si nécessaire à la recherche contemporaine.
Oserais-je dire que vous êtes un chercheur de terrain, vous cependant dont les études se situent en altitude ? Nous en admirons l'autorité, sachant qu'en la matière les jeunes curés font les meilleurs sermons ! (Sourires.)
Peu de temps vous a été imparti pour préparer votre budget, avec la difficulté de devoir l'intégrer dans les exigences drastiques du budget national.
C'est bien pourquoi je citerai votre conférence de presse du 25 septembre dernier au cours de laquelle vous avez d'emblée exprimé votre volonté de situer la science et la technique « au coeur de la société », afin qu'elles deviennent l'affaire de tous et surtout qu'elles ne s'immobilisent pas dans une logique d'affichage, mais qu'elles s'inscrivent dans une logique de résultat.
Vous voilà dans le droit-fil du général de Gaulle qui, pour stimuler les résultats, avait lancé cette boutade : « des chercheurs, on en trouve, des trouveurs, on en cherche ». Cette boutade renforçait pour lui l'ardente obligation de la recherche.
Cette ardente obligation, vous la faites renaître en définissant une politique nouvelle, un élan dont l'ambition est d'aboutir à consacrer, en 2010, 3 % du PIB à la recherche-développement, ainsi que le souhaite le Président de la République.
Pour ce faire, ne vous laissez pas enfermer dans le reproche d'un horizon trop lointain. Toute planification s'inscrit dans la continuité et dans le temps. Ne vous laissez pas enfermer dans l'explication d'une régression de 1 % à 3 % des dépenses ordinaires et des crédits de paiement dont le rapport de notre excellent collègue René Trégouët démontre qu'il s'agit d'une régression qui, par ailleurs, est en partie compensée.
Il convient moins de se soucier de l'importance des crédits accordés que de la qualité de leur utilisation, et c'est à cela que votre action s'attache...
M. Jean-Pierre Sueur. La qualité ne dispense pas de disposer des moyens !
M. Lucien Lanier. Parfaitement, mon cher collègue, la qualité de l'utilisation des crédits est beaucoup plus importante que leur montant !
Votre action s'articule autour de trois choix, madame la ministre.
Le premier, c'est celui, clairement exprimé, des priorités. Le deuxième concerne la synergie de tous les acteurs publics et privés participant à la recherche. Enfin, le troisième, c'est le souci de moderniser les méthodes d'intervention de la dépense publique afin de mieux l'adapter à son temps par un meilleur rapport entre le coût et l'efficacité des dépenses.
Cela a incité M. le rapporteur spécial à porter une appréciation positive sur votre budget, et nous le suivrons.
Parmi les priorités que vous retenez, je souhaite saluer votre intérêt pour les jeunes chercheurs, pour leur formation, pour leur insertion, et surtout pour la suite de leur carrière. Faut-il rappeler que, l'année dernière, un sondage de la Commission européenne mettait en évidence certaines raisons qui détournent les jeunes du secteur de la recherche ? Il s'agissait du manque d'attrait pour les études scientifiques, de leur difficulté, des perspectives de carrière incertaines, en particulier matériellement.
Or votre projet de budget a le mérite de tenter d'amorcer une réponse à ce manque de motivation. Il prévoit, en effet, d'augmenter les crédits de formation de plus de 11 %, de créer 400 contrats nouveaux pour les post-doctorants, aussi bien français qu'étrangers, de revaloriser de 5,5 % l'allocation de recherche et d'augmenter le nombre des conventions industrielles de formation pour la recherche.
Toutes ces mesures concourent à enrayer le phénomène de la fuite des cerveaux, que nous déplorons d'autant plus qu'il tend à s'accélérer d'année en année.
Certes, les moyens sont encore très insuffisants, mais ils ont le mérite de renouer avec une politique incitative de la recherche tenant compte de la diversité des métiers de chercheur, de leur indispensable mobilité, de la valorisation des travaux, de l'évaluation des rendements et, surtout, des débouchés ultérieurs satisfaisant la reconversion des chercheurs vers d'autres tâches, car il paraît difficile, pour la plus grande part d'entre eux, de rester chercheur tout au long d'une carrière. La recherche implique une novation permanente que doit garantir le statut, qui lui-même n'a pas été conçu pour cautionner l'immobilité du chercheur à vie et qui mérite, de ce fait, une réflexion novatrice.
Vos priorités s'inscrivent aussi dans votre souhait de garantir les capacités de fonctionnement et surtout d'investissement des grands laboratoires de recherche, dont certains voient heureusement leurs crédits progresser, au même titre que la recherche universitaire. D'autres, et non des moindres, bénéficient d'un maintien de leurs moyens. Je me réjouis entre autres de voir garantir au travers du CEA nos compétences à long terme « dans le champ de l'énergie nucléaire, de la sécurité de ses installations et de ses applications civiles et notamment biomédicales » - ce sont vos propres termes.
Je souhaite aussi que vous puissiez poursuivre avec bonheur la disponibilité de fonds d'interventions souples favorisant les démarches contractuelles.
Je dirai cependant un mot sur la grande pluralité des parties prenantes et sur la prépondérance d'une « kyrielle d'organismes » que dénonce notre rapporteur. Certes, le poids des plus grands organismes reste prépondérant. Certes, la recherche a besoin de liberté, mais le morcellement du dispositif de recherche n'entraîne-t-il pas un surcoût de fonctionnement, voire trop de structures de coordination ? Cela ne mériterait-il pas une réflexion approfondie et peut-être un peu de remise en ordre, dans un souci d'efficacité ? Pourquoi ne pas approfondir la proposition de notre collègue Pierre Laffitte, qui appelle de ses voeux une fondation pour la science ?
Ces considérations n'affectent pas le nécessaire soutien que vous accordez, avec bonheur, au Centre d'études spatiales pour des programmes le plus souvent européens, comme Ariane et GALILEO, ou internationaux, par exemple l'appui, dans le domaine aéronautique, au développement du gros porteur Airbus 380.
Cependant cette orientation serait de moindre valeur sans votre décision de soutenir l'innovation et le développement d'une synergie entre les acteurs publics et privés de la recherche.
Bénéficiant peu de l'effort de recherche, nos PME y participent encore moins, ce qui nuit au développement de la part des brevets français dans le monde, en Europe et même en France. Je sais que vous souhaitez y remédier en les incitant à engager des programmes de recherche commune par le biais du fonds de la recherche et de la technologie, et il s'agit bien là d'un domaine où il faut réveiller l'indifférence.
Votre politique vise enfin à mieux adapter les méthodes d'intervention de la dépense publique. La mobilisation de la trésorerie des organismes en est un excellent exemple.
En effet, l'exécution des budgets de trop d'établissements se solde par de substantiels excédents, devenus structurels en se répétant d'année en année. Des « cagnottes » - le mot revient ! - stériles se constituent, trésoreries dormantes qu'il est temps de mobiliser à des fins utiles pour la bonne gestion des organismes de recherche.
Une part de cet inconvénient provient de la lourdeur des contraintes administratives qui entravent trop souvent et sans raisons toujours valables le bon fonctionnement des laboratoires. Loin de nous l'idée de contrer la nécessaire observation des règles du code des marchés publics concernant, entre autres choses, l'acquisition de matériel scientifique, mais une réflexion doit être entreprise pour concilier la parfaite honnêteté des dépenses et la meilleure consommation des crédits, afin d'éviter que ne se reproduise cette anecdote que me narrait un chercheur célèbre, et non des moindres : l'achat d'un sèche-cheveux nécessaire à certaines expériences lui ayant été refusé, il convertit sa demande en l'achat d'un générateur de chaleur, lequel lui fut accordé sans sourciller ! (Rires.)
Madame le ministre, votre tâche est énorme. Se situant souvent au carrefour des intérêts et des sentiments, elle s'apparente parfois à la remontée du rocher de Sisyphe. Faire comprendre l'évolution indispensable de la recherche est difficile, tant se « calcifient » les résistances au changement, le corporatisme des droits acquis et l'hostilité aux réformes.
Raison de plus pour se mettre à la tâche au plus vite. Votre projet de budget n'est que l'amorce, encore bien faible, d'une politique plus sélective, plus solidaire, plus moderne de la recherche scientifique, d'une recherche épousant son temps.
Nous souhaitons cependant vous aider à valoriser le merveilleux potentiel de nos chercheurs, de leurs organismes, de leurs laboratoires, et c'est pourquoi nous rejoindrons les conclusions de l'excellent rapporteur de la commission des finances : nous voterons votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Madame la ministre, mes chers collègues, je reprends la parole pour vous parler d'un point particulier que M. Lanier vient d'évoquer et qui me tient à coeur : la création d'une fondation.
Nos éminents collègues viennent de nous parler de « fuite des cerveaux » et d'« entrave au fonctionnement », et, en effet, l'épisode du sèche-cheveux est significatif ; Mais il n'est malheureusement pas isolé !
Il y a beaucoup plus grave : notre système ne nous donne ni la rapidité, ni la flexibilité, ni la souplesse de fonctionnement pourtant si essentielles à l'efficacité.
Plus que dans d'autres pays, nos organismes de recherche sont gênés par les règlements en vigueur dans ce domaine. Ils le sont, bien entendu, plus qu'en Amérique du Nord, mais aussi beaucoup plus qu'en Allemagne, où de nombreuses fondations favorisent, justement, un bon fonctionnement de la recherche.
Comment augmenter l'attractivité de nos organismes de recherche ? Comment faire pour que la France soit capable d'accueillir, parfois de façon impromptue, les compétences disponibles ? Comment retenir les prix Nobel de passage, attirés par tel ou tel centre d'excellence, si ce n'est en leur garantissant des crédits ?
Nous pensons que, si nous parvenons à cette flexibilité et à cette rapidité si nécessaires, nous augmenterons d'autant l'efficacité des crédits votés par le Parlement, parce que, lorsque l'on fait les choses de façon efficace, cela coûte moins cher et c'est souvent beaucoup plus utile !
Une fondation nous permettrait précisément d'y parvenir. Nous pourrions alors attirer tous les prix Nobel, de physique ou d'autres disciplines.
Madame la ministre, il me semble que les conditions dans lesquelles une fondation pourrait être créée sont aisées à déterminer. Vous pourriez, par exemple, missionner l'un de nos prix Nobel, un Georges Charpak, un Pierre-Gilles de Gennes ou un Claude Cohen-Tannoudji, qui aurait la faculté de vous proposer à la fois la structure et les modalités de coordination et de contrôle, contrôle qui pourrait être exercé conjointement par le ministère, par un comité des sages et, éventuellement, par la Cour des comptes.
Il s'agit d'un problème majeur, car l'efficacité et l'attractivité de la France sur les grands esprits internationaux sont en jeu : nous avons des pôles d'excellence et il faut les faire vivre. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !
M. René Trégouët, rapporteur spécial. Tout à fait d'accord !
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Par des tours de passe-passe, vous venez de nous présenter, madame la ministre, un budget de la recherche pour 2003 à la hausse. Mais personne n'est dupe : c'est une hausse en trompe-l'oeil fondée sur un changement de périmètre budgétaire et d'hypothétiques transferts de crédits. En fait, le projet de budget accuse une baisse réelle de 1,31 %. Il est vrai cependant que les coupes claires envisagées par Bercy en juillet dernier atteignaient environ 7,6 %.
On a donc échappé au pire et l'on pourrait presque comprendre pourquoi la majorité sénatoriale, pourtant toujours très attentive à l'avenir de notre recherche, parvient à soutenir que ce budget en trompe-l'oeil est un bon budget.
Ce n'est pas le cas des milieux scientifiques que ce budget de rupture inquiète à juste titre : 162 suppressions de postes de chercheurs dont 137 au CNRS, abandon du plan de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique, qui prévoyait 300 créations d'emploi pour 2003, diminution des crédits de soutien aux laboratoires...
Hormis quelques mesures emblématiques concernant les jeunes chercheurs, votre projet de budget pâtit d'une cruelle absence de perspective pluriannuelle et d'ambition pour la recherche publique.
C'est pourquoi il a donné lieu à un avis extrêmement négatif du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le CSRT. Ainsi, pour ce dernier, les « mesures qui transforment l'exercice budgétaire 2003 en année "blanche" au nom d'une pause technique pour apurement des comptes apparaissent hasardeuses ». Le CSRT s'inquiète encore que « la confiance des scientifiques et notamment des plus jeunes, déjà fragile, soit pour longtemps cassée ». D'une manière générale, le CSRT rejette l'absence de prospective du budget civil de recherche et développement, ou BCRD, pour 2003, qui ne décline aucune grande orientation, qu'elle soit scientifique, thématique ou organisationnelle. Il lui semble que celui-ci « reste trop fortement articulé sur une approche comptable et budgétaire ».
J'avais par ailleurs cru, madame la ministre, que votre nomination serait un signal fort en direction du secteur spatial. Il n'en est rien : il n'y a pas plus d'impulsion en ce sens dans votre projet de budget ! Pis, les moyens du Centre national d'études spatiales sont à la baisse non seulement pour les autorisations de programme, mais aussi pour les crédits de fonctionnement.
Vous allez sans doute me répondre qu'il vous faut du temps et que vous attendez le rapport de la commission de réflexion sur la politique spatiale française et sur les activités du CNES. Soit, mais, en attendant, la crise est ouverte, après la démission du directeur général, entre la direction et les personnels, qui ont voté une motion demandant le départ de leur président. Pour eux, il y a dans la politique de la direction un manque total d'anticipation et de réactivité face à la crise financière que traverse l'établissement.
Ces personnels craignent par ailleurs que le CNES ne soit contraint de participer à la recapitalisation d'Arianespace, également en difficulté, ou au financement du projet de lancement des vaisseaux russes Soyouz depuis Kourou. Ils s'interrogent également sur la capacité future du CNES à mener des programmes de recherche et développement ambitieux, alors même que c'est la mission première du centre. A propos d'Arianespace, je souhaite vivement que le lancement du tout nouveau modèle d'Ariane 5, capable d'emporter une charge utile de 10 tonnes, qui est prévu ce soir à 23 h 21, heure de Paris, soit un franc succès, d'autant qu'Ariane 5 doit mettre en orbite, avec plusieurs années de retard, le nouveau satellite de télécommunications Stentor.
Ce lancement est d'autant plus important que c'est tout le secteur spatial européen qui est aujourd'hui en difficulté, notamment à cause de la crise des télécoms. Aux Etats-Unis, les industriels peuvent compter sur les programmes gouvernementaux - essentiellement militaires, il faut le dire - pour compenser le ralentissement des commandes privées. En Europe, non seulement nous sommes en retard, mais le grand programme civil européen de positionnement par satellite, GALILEO, est de nouveau à l'arrêt.
Pouvez-vous, madame la ministre, indiquer à la Haute Assemblée dans quel esprit et avec quelles orientations vous compter aborder, dans ce contexte, la conférence des ministres en charge de l'espace organisée par l'Agence spatiale européenne, au début de 2003 ?
Pour conclure, l'avis favorable du rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles sur le projet de budget de la recherche pour 2003 me laisse perplexe.
L'année passée, en effet, notre commission s'en était remise à la sagesse du Sénat sur un budget pourtant en hausse de 2,2 % et prévoyant, entre autres mesures, la création de 500 emplois principalement à cause d'une prétendue faible hausse des crédits. Que devrait-elle dire aujourd'hui !
Le second motif invoqué concernait l'insuffisante démocratisation de la culture scientifique et technique. Or, notre rapporteur n'a pas manqué de relever que les mesures prévues pour 2003 dans ce domaine, si elles allaient dans le bon sens, n'en demeuraient pas moins insuffisantes. Qu'aurait-il donc dû en déduire ? La même chose que nous, s'il était logique avec lui-même, c'est-à-dire le rejet de ce budget de rupture qui augure mal des suites qui seront données à la promesse électorale de porter les dépenses de recherche à hauteur de 3 % du PIB en 2010 faite par le candidat Chirac. Au vu de la baisse enregistrée cette année, il faudrait, pour y parvenir, une hausse moyenne annuelle d'environ 7 % sur six exercices. Nous pouvons donc légitimement douter que cette promesse se réalise...
Je citerai, pour finir, le commentaire de M. Samir Hanash, président de l'organisation du protéome humain, qui vient de tenir son premier congrès mondial à Versailles : « Le Gouvernement est conscient des enjeux, et la ministre a annoncé des initiatives pour soutenir la protéomique. Mais avec un budget en réduction, il y a peu de marge de manoeuvre pour investir. Il est très difficile de discerner qui va dominer dans cinq ou dix ans. Mais, sans investissement, la France et l'Europe seront hors course. »
Ainsi, la majorité sénatoriale ferait-elle mieux d'être réaliste et d'envoyer un signal fort à son gouvernement et, surtout, au monde de la recherche, en refusant, avec le groupe socialiste, ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon la formule consacrée par les commissaires aux comptes, ce projet de budget est « sincère ». Il est réaliste, il est vrai.
M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout !
M. Jean-Claude Etienne. Mon cher collègue, c'est l'appréciation qu'un certain nombre d'entre nous se permettent de porter. En tout état de cause, en ce qui nous concerne, nous tenons à vous en féliciter, madame la ministre.
Au demeurant, tout le monde est d'accord : il faut plus de recherche. La recherche, c'est le sésame de l'enseignement, le sésame de l'économie, donc de l'emploi et donc de l'aménagement du territoire.
C'est dire l'importance du rôle qui est le vôtre, madame la ministre. C'est dire aussi quelle est notre attente : c'est l'attente de tout universitaire évidemment, de tout élu naturellement, de tout citoyen tout simplement.
Ce budget est, n'en déplaise à certains, une opération vérité. Il fallait conduire cette opération ; vous l'avez fait, madame la ministre.
Comme beaucoup d'autres domaines, la recherche appelle toujours plus de dotations. Or, paradoxalement, d'après le relevé de terrain que vous avez réalisé, un certain nombre de crédits n'ont pas trouvé, au cours de l'exercice précédent, l'emploi auquel ils étaient dévolus.
Cela démontre que, en matière de recherches, le problème n'est pas seulement une affaire de dotations budgétaires : il nous faut désormais, pour avancer, pour progresser, envisager d'autres schémas opérationnels que ceux que nous connaissons.
Vous avez prévu, et, là encore, nous vous en félicitons, une forte augmentation des autorisations de programme, soit plus 4,1 % par rapport à 2002.
C'est important. C'est même l'ouverture de perspectives hautement prometteuses ; mais je souhaiterais que vous nous disiez selon quelle donne nouvelle vous entendez nous éviter de tomber dans les mêmes ornières. Comment les crédits qui n'ont pas été consommés, qui ont malencontreusement été immobilisés hier, seront-ils demain directement injectés dans les programmes de recherche ? Serviront-ils avec efficacité et pertinence la cause que nous défendons ?
En clair, comment comptez-vous mobiliser ces trésoreries parfois en sommeil ?
Dans cet esprit, permettez-moi de « diaphragmer » mes propos sur les liens qui unissent recherche et enseignement, supérieur notamment, mais pas seulement.
Permettez-moi également de vous interroger sur la décentralisation de la recherche et sur le rôle des régions. Quels aspects novateurs pourraient éclairer d'un jour original les perspectives qui se profilent devant nous et les distinguer de ce que nous avons connu jusqu'à présent ?
On sait que la recherche est le label de la qualité de l'enseignement, notamment dans le troisième cycle universitaire, bien entendu.
Les structures d'enseignement supérieur, notamment les universités, ont essaimé depuis les années soixante sur l'ensemble du territoire national, naturellement à partir des grandes villes à forte tradition universitaire, en particulier Paris. Les structures de recherche, elles, n'ont pas suivi. Elles restent concentrées, notamment en Ile-de-France. Permettez-moi de citer un chiffre éloquent : 36 % des soutenances de thèse émanent de la seule région d'Ile-de-France. Seules dix autres régions ont un taux de soutenance supérieur à 2 %. Cinq régions concentrent les deux tiers des personnels de recherche. L'Ile-de-France, à elle seule, en réunit 32 %, suivie par Rhône-Alpes, 10 %, PACA, 8 %, Midi-Pyrénées, 6 %, et Champagne-Ardenne - permettez-moi d'y penser -, 1 %.
S'agissant de la densité, l'Ile-de-France compte 22,1 chercheurs pour 10 000 habitants, la moyenne étant de 13. Il s'ensuit un immense déséquilibre, avec un risque de manque de pertinence et de notoriété pour certaines de nos universités et les autres établissements de l'enseignement supérieur répartis en région.
Actuellement, toutes les régions françaises disposent d'établissements supérieurs d'importance.
Parmi eux, beaucoup trop d'enseignements qui ont été installés en région n'ont pas été pour autant accompagnés des laboratoires et des structures de recherche correspondants dans leurs disciplines. C'est notamment le cas pour les unités dépendant de grands organismes de recherche, qui restent beaucoup trop regroupés, ramassés et centralisés.
Les régions, dans leur grande majorité, souhaitent être acteurs. Elles sont disposées à participer aux initiatives que vous pourriez prendre pour optimiser, dans leur territoire, l'organisation nouvelle, liant les enseignements supérieurs et des structures de recherche encore insuffisamment présentes. Il en va de la notoriété et de l'éminence des enseignements qui sont délivrées dans ces universités.
Il est nécessaire que la stratégie nouvelle d'essaimage en région des grands organismes de recherche devienne enfin une réalité. En effet, l'Ile-de-France n'est pas la seule région qui recèle des points forts. D'autres régions possèdent des sites très attractifs. Ces jours derniers, vous avez décidé à juste titre - et nous vous soutenons - d'implanter le centre français de protéomique à Grenoble, puisqu'il y a dans cette ville un synchrotron. Nous savons qu'en matière de recherche, tout naturellement, il pleut sur le mouillé (sourires) , même si nous souhaitons qu'un certain nombre de disciplines qui s'exercent dans l'environnement d'universités à fort rayonnement puissent d'une certaine façon être « humidifiées » et recevoir ensuite ces compléments de structures de recherche dont elles ont tant besoin pour assurer la notoriété de leur enseignement.
Dans ce domaine, il nous faut une stratégie nouvelle qui puisse rejoindre les désirs que les collectivités locales ont à coeur de développer. Compte tenu de la convergence de vues des collectivités locales qui ont des structures d'enseignement supérieur mais peu d'unités de recherche, peut-être conviendrait-il de rechercher une merveilleuse symbiose, pour permettre, grâce à un bon relevé du terrain, la meilleure adéquation possible s'agissant de la recherche dans l'économie, des perspectives qu'elle ouvre et du confort qu'elle doit apporter à l'enseignement supérieur, en le connotant très étroitement.
Et s'il est un domaine de pointe et fortement prometteur où cela doit s'appliquer, c'est bien dans celui des biotechnologies, qui ont été évoquées tout à l'heure par notre éminent collègue M. Revol. En effet, il s'agit souvent de TPME et de TPMI, de très petites et moyennes entreprises et de très petites et moyennes industries. Ces biotechnologies ne trouveront, dans l'Europe d'une manière générale, leur accomplissement au sein de notre économie moderne et prometteuse que si nous parvenons à délocaliser les chercheurs pour les mettre au contact des structures universitaires nouvelles et pour les impliquer directement sur les territoires qui, aujourd'hui, ne sont pas suffisamment irrigués, par manque de moyens humains, dans le domaine de la recherche.
Ces convergences pourraient fort bien trouver à s'exprimer dans des schémas régionaux d'aménagement de la recherche. Elles seraient mieux définies que dans un sous-chapitre d'un contrat de plan, pour lequel, dans ma région comme ailleurs, on a dû batailler pour savoir quoi apporter à l'existant, surtout quand il était maigre, et donc pour lui donner un peu de consistance. On sait, en effet, que les contrats de plan comportent des aspects aléatoires. Un schéma précis de développement pourrait nous aider afin de savoir ce que l'on entend faire pour conforter les enseignements supérieurs dans une région donnée. Il s'agit là d'une première opportunité. Parler de décentralisation et ne pas avancer dans ce domaine, ce serait manquer une belle occasion.
La seconde opportunité, ce sont les départs à la retraite. Sur ce point, je serai bref. Comme cela a été dit, dans les cinq années à venir, un nombre important de personnels de la recherche, toutes spécialités confondues, feront valoir leurs droits à la retraite. Ce mouvement de vaste ampleur concerne 40 % des personnels à l'horizon 2010, 31 % des enseignants-chercheurs, 27 % des chercheurs et 38 % des personnels accompagnants.
Que des responsables de recherche, des chercheurs qui ont passé l'essentiel de leur vie dans une ambiance « parisianisée », à forte teneur d'environnement accompagnateur, n'acceptent pas, au deux tiers de leur vie professionnelle, de s'installer dans un laboratoire, aussi moderne ou extraordinaire soit-il, situé près de telle université dans telle région, c'est humain.
En revanche, ceux qui leur succéderont auront sans doute envie - et j'en suis intimement convaincu, car j'ai abordé ce sujet avec un certain nombre d'entre eux - de trouver un environnement différent de celui dans lequel ont évolué leurs aînés, leurs mentors. Ils chercheront peut-être à s'exprimer sur un terrain différent de celui où ils ont gravi leurs permiers échelons dans le domaine de la recherche.
Quant aux plus jeunes, ils sont, par définition, encore plus ouverts à ces perspectives. Mais encore faut-il, madame la ministre, que ces perspectives leur soient offertes et qu'elles soient suffisamment attractives pour qu'ils n'aient pas l'impression d'aller s'installer loin de tout. Il faudra qu'ils y trouvent matière à publication et qu'ils puissent faire valoir leurs mérites.
Ainsi, en mettant en oeuvre ces dispositifs nouveaux, nous aurons saisi deux opportunités qui s'offrent aujourd'hui à nous ; il s'agit, d'une part, de la décentralisation, pour que, dans le domaine de la recherche, elle ne soit pas non plus un vain mot, même si, s'agissant des grands organismes de recherche, elle s'appelle déconcentration ; il s'agit, d'autre part, des changements en moyens humains, qui ouvriront des horizons nouveaux à tous ceux qui veulent s'impliquer dans ce domaine.
En conclusion, les aspects novateurs doivent se développer. Dans le domaine de la recherche, il serait paradoxal que ce ne soit pas le cas. Je vois ressurgir le vieux débat aristotélicien : recherche fondamentale, recherche appliquée, transferts de technologie, j'en passe et des meilleurs. Or tout cela est du même tonneau et est à l'origine de l'innovation. Votre action, madame la ministre, sera à l'origine de l'innovation dans tous les territoires de notre République. Nous avons besoin de nouvelles structures. Je vous remercie de ce que vous faites. Quant à votre budget, il nous paraît sincère et réaliste, même si d'autres disent que ce n'est pas le cas. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Georges Othily.
M. Georges Othily. Madame la ministre, je m'associe aux propos élogieux à votre égard de notre excellent collègue M. Lucien Lanier. En effet, c'est dans un contexte international difficile que nous abordons la discussion de votre budget pour 2003.
Le budget de la recherche est certes en baisse, mais je me range à l'argumentation de notre collègue M. Jean-Claude Etienne. Ce dernier a en effet brillamment rappelé que les contrats de plan pourraient certainement venir en supplément compte tenu du manque de crédits pour la recherche dans votre budget.
Notre excellent rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, M. Henri Revol, a mis en lumière, dans son rapport écrit, quelques grandes thématiques, notamment le retard français dans le domaine des biotechnologies, la situation du secteur spatial en Europe et notamment en France, ainsi que les grandes perspectives de recherche dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Madame la ministre, vous le comprendrez, mon propos ne concernera que la partie de votre budget qui m'intéresse particulièrement, je veux parler du domaine spatial.
Certaines questions relatives à l'activité et au budget de l'espace me paraissent suffisamment importantes pour que les réponses que vous nous apporterez viennent atténuer l'inquiétude de la communauté spatiale.
En effet, depuis deux ans, Arianespace doit faire face à des difficultés structurelles dues à trois éléments importants.
Le premier, c'est la chute de la demande de lancement sur le marché commercial, en raison de la concentration des opérateurs et du difficile démarrage des nouvelles applications, en particulier l'échec des constellations type Globalstar, Iridium et Skybrige.
Contrairement à ses concurrents, Arianespace s'appuie seulement - il faut le reconnaître - à 90 % sur le marché commercial. L'activité gouvernementale européenne étant très réduite par rapport aux Etats-Unis, Arianespace se trouve donc directement et fortement affectée par cette situation.
Le deuxième élément, c'est l'arrivée des lanceurs russes et ukrainiens sur le marché commercial depuis la fin de la guerre froide, qui sont commercialisés par des co-entreprises américaines - Proton par Lokheed Martin par le biais de la société International Launch Services et Zenit Sea par Boeing Launch Services - bénéficiant de coût de production très bas. Ils ont contribué, cela va sans dire, à une baisse des prix du marché de plus de 30 %.
Le troisième élément, c'est le retour en force des Etats-Unis, qui ont développé deux nouvelles familles de lanceurs directement concurrents d'Ariane et qui seront certainement présents sur le marché dès l'année prochaine.
Ces difficultés nous ont conduits à la situation financière que l'on connaît aujourd'hui et, en tout cas, le retour à l'équilibre ne semble pas prévu pour 2003.
Face à cette situation, l'industrie européenne a donc pris, c'est vrai, des mesures sévères depuis deux ans afin de réduire les coûts de production.
Comme vous le savez, l'activité du transport spatial constitue pour l'Europe un atout stratégique, qui lui permet de développer et d'exploiter comme elle l'entend l'ensemble des applications spatiales : cela lui assure d'ailleurs une puissance et une autonomie indispensables dans de nombreux domaines : politique, militaire - et c'est là notre grand regret par rapport aux Etats-Unis -, économique, technologique et culturel.
Elle représente également une source d'emplois qualifiés considérable pour l'Europe et notamment pour la France, et un potentiel très important pour la Guyane en particulier.
Compte tenu de ces éléments et des caractéristiques de cette activité industrielle, il est indispensable que les gouvernements européens réaffirment leur mobilisation pour un soutien politique et financier renforcé.
Dès lors, ce soutien peut, à notre avis, prendre les formes suivantes.
D'abord, on pourrait confier à Ariane les satellites gouvernementaux financés par les pays européens, d'autant que le lancement des satellites gouvernementaux russes et américains est strictement interdit à Ariane.
Ensuite, on pourrait accorder d'urgence à sa filière « lanceurs » le soutien dont elle a besoin pour demeurer opérationnelle. Un plan d'action établi par l'Agence spatiale européenne doit faire l'objet d'une décision lors d'une conférence ministérielle de l'ESA, au début de l'année prochaine ; il est important qu'il soit soutenu par le Gouvernement français et qu'il soit adopté le plus rapidement dans son intégralité.
Enfin, on pourrait lutter contre certaines pratiques inéquitables auxquelles les Etats-Unis ont recours pour limiter l'accès d'Ariane au marché commercial.
Madame la ministre, permettez-moi enfin, comme l'a d'ailleurs fait l'un de nos collègues, de vous interroger sur la programmation de la construction d'un nouveau pas de tir à Kourou, en Guyane, pour le lancement de vaisseaux russes Soyouz. A quelques semaines de la réunion de l'ESA, rassurez-nous sur ce montage financier.
Vous pouvez compter sur mon soutien et, plus largement, sur celui du groupe auquel j'appartiens, le Rassemblement démocratique et social européen. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, comment pouvez-vous accepter de nous présenter un tel budget ? (Sourires sur les travées du RPR). Nous avons le sentiment d'assister à un débat un peu artificiel. Imaginez un instant que le précédent gouvernement ait présenté un budget identique : ceux qui vous apportent aujourd'hui un soutien sincère n'auraient pas eu de mots assez durs pour dire qu'il n'était pas acceptable. Tout le monde le sait ici.
M. Paul Blanc. Vous, vous l'auriez voté !
M. Jean-Pierre Sueur. Votre budget, vous le savez, madame la ministre, baisse de 1,31 %, et, puisque l'on peut imaginer le taux d'inflation pour l'année à venir, on voit que les moyens diminueront de 3 % en volume. Le nombre de postes, vous le savez aussi, diminue, avec 50 postes de moins dans votre budget, alors que 500 ont été crées dans le budget précédent. L'objectif, c'est 3 % du PIB, aussi bien à l'échelon français qu'à l'échelon européen.

Madame la ministre, les paroles de M. le Président de la République, alors candidat, résonnent encore à nos oreilles. Dans son style inimitable, que nous connaissons bien, il déclarait ceci : « L'engagement doit être historique et surclasser tout ce qui a été fait dans le passé. Le montant des dépenses publiques et privées consacrées à la recherche et au développement doit être porté à 3 % du PIB avant la fin de cette décennie. La France pourrait alors être, dès 2007, en tête des pays de l'Union européenne. » Comme l'a excellemment expliqué M. Serge Lagauche, pour tenir cet engagement, il faudrait, compte tenu du budget pour 2003, que le budget augmente de 7 % par an pendant six exercices. Pourquoi annoncer des choses que l'on ne fait pas ? N'est-il pas dérisoire, finalement, de faire de telles déclarations lorsqu'elles sont suivies d'un effet qui est faible ?
Vous connaissez parfaitement le rapport du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie. Il précise ceci : « Ce projet est en rupture avec une tendance qui, bien que positive, était néanmoins fragile. En effet, le volume réel des financements de la recherche, en masse salariale et soutien aux laboratoires et aux équipes de recherche publiques et privées, reste très en deçà des besoins de la nation, notamment eu égard aux efforts faits actuellement par les Etats-Unis, le Japon et d'autres nations. Cette inflexion négative forte et un effort en volume qui reste insuffisant sont d'autant plus inquiétants que l'Union européenne entre dans une nouvelle dynamique avec le sixième programme - cadre pour la recherche et le développement technologique. »
S'agissant des postes, j'ai constaté, à la lecture d'un quotidien du soir, que vous aviez un certain sens du paradoxe. En effet, vous avez réussi à expliquer que « le plan décennal pour l'emploi scientifique », mis en place par M. Schwarzenberg, qui prévoyait 140 créations de poste de chercheur en 2003 - et qui est de facto caduc -, portait « sur une période trop courte ». Si dix ans, c'est trop court, peut-être voudriez-vous un plan pluriannuel de cinquante ans, ou d'un siècle ? (Sourires.)
Parce que nous raisonnons en fonction des enjeux des années à venir, nous affirmons que ce n'est pas une bonne chose que de renoncer à un plan pluriannuel : il fallait le respecter et, si possible, faire mieux.
Tout le monde connaît les chiffres : les crédits du CNRS en diminution de 3,42 % ; ceux de l'INRA, de 1,74 % ; ceux de l'INSERM, de 1,85 % ; ceux de l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement, de 0,87 % ; ceux de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, de 15,27 % ; ceux du CNES - ils ont déjà été très largement évoqués, madame la ministre - de 2,71 % et, en autorisations de programmes, de 1,54 %.
Ayant rencontré des personnels du CNES, madame la ministre, je dois vous faire part à mon tour de l'incompréhension qui est la leur. Vous savez combien vos titres, vos compétences, votre personnalité sont éminemment respectés dans le domaine de la recherche spatiale ; tous ces personnels considèrent que c'est un signe très négatif que vous envoyez au CNES en présentant un budget comportant de telles réductions.
Vous avez aussi annoncé pour la fin de l'année 2002 un plan de « réformes d'envergure » - je vous cite encore. J'espère de tout coeur que, malgré le mauvais pas, la mauvaise nouvelle que représente ce budget - et je ne comprends pas comment on peut considérer sincèrement qu'il connaît une bonne progression ! -, vous aurez les moyens - votre volonté n'est pas en doute - de donner à la recherche française l'impulsion qui lui est nécessaire. Elle en a besoin pour garder sa place à l'échelle européenne, elle en a besoin pour cet avenir en lequel se projettent tant de jeunes chercheurs, tant d'étudiants, tant de ces chercheurs qui, bien sûr, sont satisfaits de voir des postes dégagés pour les post-doctorants - c'est là un point positif - mais qui nous disent aussi que, s'ils ne débouchent pas sur de vrais postes, l'attente ne pourra qu'être déçue.
Pour ce plan d'envergure, comportant des réformes d'envergure, que vous allez, je l'espère, nous annoncer bientôt, madame la ministre, nous devons surtout ne pas oublier ce qu'a dit M. le Président de la République ; je le cite de nouveau parce que cela me paraît important : « L'engagement doit être historique. Il doit surclasser tout ce qui a été fait dans le passé. »
N'oublions pas ces fortes paroles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d'abord tous ceux qui sont intervenus dans le débat, en particulier les trois rapporteurs, MM. Trégouët, Laffitte et Revol, qui connaissent extraordinairement bien la question. Ils ont en effet réussi à dégager, derrière l'aridité de la présentation budgétaire, les lignes de force que je souhaite défendre, et j'ai apprécié que soit reconnue la volonté qui est mienne de porter une ambition pour la recherche.
J'ai également beaucoup apprécié les multiples interventions. Il est important pour le Gouvernement - Luc Ferry vous l'a dit tout à l'heure - qu'un débat sur la politique nationale de recherche-développement puisse se tenir de manière régulière, afin d'alimenter ce qui apparaît donc comme un objectif commun, même si les discours montrent plus ou moins de compréhension à l'égard de notre action.
Parce qu'elles conditionnent la construction des perspectives d'avenir pour les jeunes, pour notre société, la recherche et l'innovation ont beoin d'être soutenues par cette ambition, indispensable à la préparation maîtrisée de notre avenir.
M. Sueur m'a accompagnée il y a quelques mois sur le chemin de Jeanne d'Arc, à Orléans.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce fut un grand moment !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Pour poursuivre notre échange d'alors, monsieur le sénateur, je vous dirai que je me sens le porte-parole, le porte-voix de la communauté scientifique : je souhaite pouvoir cristalliser pour les jeunes ce désir de science, cet engagement, cette attraction pour des métiers de la recherche qui vont changer, je souhaite pouvoir leur offrir des perspectives, comme le disait M. Etienne, ici et là-bas.
Je ne peux le faire qu'en étant proche de la communauté scientifique, proche des jeunes, attentive à la recherche privée et à ce continuum qui fait toute la richesse de nos activités, depuis la recherche fondamentale jusqu'à l'innovation et à la recherche industrielle, mais aussi en étant cohérente avec la politique gouvernementale, avec les efforts budgétaires destinés à réduire les déficits.
Ces efforts nous ont valu les louanges de certains, pour la façon transparente et sincère dont nous avons essayé de construire ce budget - plusieurs d'entre vous l'ont souligné - ; d'autres nous les ont reprochés. Pourtant, nous essayons d'avoir la meilleure gestion possible des ressources publiques, tout en préservant l'intérêt de la science et de la communauté scientifique. De ce point de vue, j'attache une grande importance à la décentralisation - j'aurai l'occasion d'y revenir - qui peut permettre toutes les synergies au service d'une recherche efficace.
Je suis également, bien sûr, attentive à la représentation nationale. On a peu évoqué dans cet hémicycle cet aspect de la science, qui peut être mise à la disposition de la société avec tous ses objectifs, tout ce qu'elle permet de comprendre, tout ce qu'elle permet de partager. Je voudrais aussi pouvoir soutenir la démocratie participative, en cohérence avec la démocratie représentative que vous incarnez, pour que nous partagions l'ambition que j'évoquais et que, ensemble, nous puissions la concrétiser.
Je ne rappellerai pas ce soir le détail du budget, que vous connaissez d'autant mieux que j'ai eu le plaisir d'intervenir à plusieurs reprises auprès des commissions du Sénat, que ce soit la commission des finances ou la commission des affaires culturelles, et nos échanges ont été, je crois, fructueux. Je reprendrai simplement quelques-unes de ses grandes orientations, car elles vont me permettre de répondre à certaines des questions qui m'ont été posées.
Je tiens auparavant à préciser que la semaine prochaine, le 4 décembre exactement, je ferai en conseil des ministres une communication au sujet de notre politique de recherche, suivie la semaine suivante par la présentation de la politique de l'innovation, en concertation avec Mme la ministre déléguée à l'industrie, Mme Nicole Fontaine, présentation que je souhaiterais pouvoir intituler : « Les savoirs créateurs de valeurs ».
Ces valeurs créées, ce sont pour moi les valeurs liées à l'innovation, à ce monde économique dans lequel on s'implique, mais aussi les valeurs que représentent la réflexion éthique et la participation à la construction de l'avenir et des perspectives que l'on voudrait pouvoir proposer aux jeunes et au pays dans son ensemble, pour son ambition européenne et internationale.
Etre créateur de valeurs, c'est aussi donner de la valeur, mettre en valeur : la valorisation fait partie des activités que nous devons soutenir.
Vous aurez déduit de mes propos que l'une de nos grandes orientations est, bien sûr, le soutien résolu à la recherche fondamentale dans sa capacité d'excellence ; sur ce point, la communauté scientifique nous comprend et nous soutient.
M. Etienne rappelait à juste titre que les autorisations de programmes ont toutes été au moins maintenues à niveau et même, pour la plupart, augmentées. Ainsi, notre action pourra se concrétiser dans cet égal soutien à la recherche technologique, ce continuum d'activités au service des grands enjeux de société. Ceux-ci - enjeux économiques, enjeux politiques, enjeux stratégiques - nécessitent effectivement un regard particulier sur la recherche publique, qui est l'un des éléments de notre capacité à progresser, mais aussi sur toutes les synergies, tous les partenariats qui peuvent être mis en oeuvre grâce à la coopération avec la recherche privée, celle des entreprises. Je reviendrai sur toutes ces possibilités d'améliorer les partenariats locaux et européens.
Il m'a été reproché que l'Europe soit peu présente dans mon discours. Pourtant, je m'implique beaucoup sur ce terrain, surtout depuis quelques semaines. Ainsi, j'ai représenté le Gouvernement au Conseil de l'enseignement supérieur, au Conseil « compétitivité », au Conseil « recherche », avec chaque fois la volonté de montrer notre détermination à construire un espace européen de la recherche et à donner à la France les moyens de s'organiser de façon à être excellente et à être intégrée dans les projets et dans les pôles par des régions bien placées pour le faire. J'ai même été présente au lancement du sixième programme-cadre de recherche et développement !
J'ai essayé de profiter de toutes ces occasions - j'y reviendrai - pour proposer une action ambitieuse en faveur d'un outil tout à fait extraordinaire : l'infrastructure spatiale, au service des besoins de la société, avec la technologie, la recherche industrielle et l'enjeu stratégique qui s'y rattachent.
Les activités européennes sont souvent structurées autour de pôles bilatéraux, et M. Pierre Laffitte a évoqué le traité de l'Elysée et la coopération franco-allemande. Il est vrai que, dans ce cadre, nous avons des projets importants, concernant en particulier les biotechnologies et le secteur spatial, mais aussi bien d'autres domaines de la recherche. Sur tous ces sujets, notre collaboration est marquée de la même volonté de nous impliquer en nous fixant pour objectif de consacrer 3 % du PIB à nos dépenses de recherche.
Cet objectif est très stimulant, parce qu'il vaut à l'échelon non seulement national, mais également européen, même s'il s'inscrit dans le long terme et ne peut être atteint qu'après plusieurs étapes. La France, qui a su montrer l'exemple dans la construction européenne, le montrera aussi dans ce domaine.
Quelles sont nos priorités dans le domaine de la recherche ? Pour les déterminer, il nous faut savoir à quels grands enjeux nous devons répondre, car nous considérons, comme vous tous, que la recherche est un élément essentiel de la construction de l'avenir. Nous sommes face à des enjeux forts, des enjeux de société, des enjeux économiques, des enjeux de politique publique, des enjeux stratégiques. Nos efforts ont été concentrés sur ces grands axes-là, dont certains demandent des réponses immédiates, d'autres des réponses à plus long terme.
Je pense d'abord à la santé humaine, notamment à la lutte contre le cancer, et vous avez rappelé mon engagement, la semaine dernière, auprès du programme HUPO, qui doit donner toute sa place à la protéomique ; nous avons déjà de bonnes capacités et des centres d'excellence en ce domaine, sans parler de ceux qui restent à explorer.
Il est également important de prendre en compte la sécurité alimentaire et la qualité des productions agricoles, c'est-à-dire le développement des biotechnologies, pour lesquelles nous sommes en train d'élaborer, en collaboration avec le ministère de l'industrie, un plan qui sera présenté au début de l'année 2003.
De même, il est important de soutenir les sciences et technologies de l'information et de la communication, entendues au sens très large, telles que les télécommunications, la microélectronique, les nanotechnologies, parce que ces secteurs contribuent au partage des connaissances et à la création des valeurs que j'évoquais tout à l'heure.
J'en viens au développement durable. Ce matin s'est tenu un important séminaire gouvernemental sur le sujet, qui préoccupe l'ensemble du Gouvernement, l'ensemble des citoyens, et tout particulièrement, parmi ces derniers, les chercheurs. J'ai présenté un projet de « recherche exemplaire », pour un Etat exemplaire, dans le cadre d'un développement durable. Les enjeux éthiques et les enjeux économiques ont été pris en compte pour préparer notre avenir et celui des générations futures.
Je n'utilise pas le terme de « réforme » pour décrire la nécessaire évolution du service public de la recherche. Pour autant, l'objectif de recherche exemplaire doit nous conduire à réfléchir aux moyens de « libérer » la recherche, de la faire progresser et de lui donner plus de flexibilité, tout en ayant une meilleure gestion des fonds publics et en mobilisant les différent acteurs.
M. Jean-Marc Todeschini a exprimé tout à l'heure sa crainte de voir la recherche exemplaire se rapprocher trop de la recherche industrielle et de se laisser alors guider, dans l'accès aux connaissances, par des valeurs éloignées des nôtres. L'application industrielle est marquée par la volonté forte de s'inscrire dans le développement durable, même si elle reconnaît les enjeux économiques et les utilise. C'est là une préoccupation que nous partageons pleinement.
Le développement durable a bien des facettes, mais l'un de ses aspects importants est la question des grands équipements liés à la politique de l'énergie et aux modes de production et de consommation.
M. Revol a fait part de ses préoccupations, en particulier sur ce grand équipement devant démontrer la faisabilité de la fusion nucléaire à long terme et son intérêt économique, le projet ITER-FEAT. Je lui confirme que nous avons, bien entendu, déposé le dossier technique et le dossier de candidature du site de Cadarache, et que nous en sommes à l'analyse de la partie sécurité. Le dossier n'est donc pas complètement bouclé : nous attendons de la Commission européenne des précisions sur les financements, et quelques autres éléments restent encore à examiner et à inclure dans le dossier avant que nous puissions soutenir formellement la candidature, ce qui devrait être possible en février 2003.
Pour ce qui est des réacteurs nucléaires à fission du futur, des décisions devront effectivement être prises dans les mois à venir. Il ne s'agit bien sûr que d'orientations de recherche, mais elles nous semblent prometteuses, et nous restons très ouverts.
Il est vrai que nous avons assisté depuis cinq ans au ralentissement de certains programmes relatifs à ces questions d'énergie, voire à leur arrêt. Le redémarrage du réacteur Phénix devrait intervenir au début de l'année 2003, ce qui permettra de relancer ce programme de recherche sur l'axe séparation-transmutation, lié à la loi de 1991, d'envisager des innovations dans le traitement des déchets nucléaires et de mieux réfléchir à l'utilisation et à la gestion de l'énergie nucléaire.
Dans ce domaine, les charges sont prêtes et plus rien ne s'oppose, normalement, à ce que les expériences soient conduites.
Je ne m'étendrai pas sur les modes de transports individuels ou collectifs, qu'ils soient routiers, ferroviaires ou autre ; sachez qu'une autre de nos priorités est, bien entendu, l'espace.
MM. Revol, Lagauche et Othily se sont montrés particulièrement soucieux des difficultés du secteur spatial. Vous imaginez à quel point je suis consciente de l'acuité des enjeux et de la situation, laquelle est complexe sur les plans tant national qu'européen et international.
La complexité de la situation nationale m'a effectivement conduite à mettre en place une commission de réflexion sur la politique spatiale, afin de redéfinir le positionnement du CNES au sein de ces grands enjeux. La vision étant difficile à dégager de l'intérieur, il était important de bénéficier d'un regard extérieur. Si certaines questions doivent être instruites en urgence, il en est d'autres, celles qui concernent la préparation de l'avenir, pour lesquelles il est nécessaire d'élaborer une stratégie raisonnée.
Vous avez même évoqué ces projets européens, tel GALILEO, que nous avons portés et que nous pensions pouvoir faire avancer rapidement. Nous avons cru y être parvenus la semaine dernière, et je crois que le volet concernant l'Agence spatiale européenne se dénouera dans les prochains jours. Tout cela montre à quel point il faut savoir être à la tête du mouvement et avoir la force de bien se structurer pour conduire les grands projets stratégiques.
La construction du pas de tir de Soyouz à Kourou ouvre des perspectives de coopération entre l'Europe et la Russie qui constituent des éléments importants du contexte international.
Si vous avez évoqué la recapitalisation d'Arianeespace, en revanche, vous avez peu parlé des programmes scientifiques, notamment du programme martien. La communauté industrielle attend pourtant des propositions pour s'engager dans la réalisation de satellites de charges utiles.
Il faut aussi promouvoir le programme Ariane. Des scénarios nous sont proposés, des stratégies sont mises en place. L'Agence spatiale européenne, en particulier, a lancé un grand programme de réflexion sur la structuration des lanceurs pour l'avenir. La conférence ministérielle qui se tiendra au début de l'année 2003, au sein de l'Agence spatiale européenne, sera le lieu de discussions intéressantes qui déboucheront sur des décisions concrètes allant dans le sens de la reconnaissance de la compétition internationale. C'est celle-ci qui rend indispensable le soutien de certaines de ces activités par le Gouvernement.
Nous sommes conscients des enjeux, et nos propositions intègrent à la fois les efforts des industriels - je reconnais qu'ils en ont fait beaucoup - et ceux que nous sommes, nous aussi, amenés à consentir.
J'ai, pour ma part, proposé à la Commission européenne de réfléchir à cet enjeu stratégique que représente l'outil spatial. C'est lui qui nous permet d'accéder à des données portant sur l'ensemble du globe, de les utiliser et de les retransmettre. Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une information émanant d'une source unique. Il doit aussi y avoir une source européenne, ce qui implique un lanceur, une capacité industrielle, etc.
Il faut donc reconnaître à cette politique spatiale, qui est au service des transports, de l'agriculture, de la météorologie et de toute une série d'autres activités, un rôle important, qui peut être inclus dans le traité européen. Il s'agit d'un grand projet que je vais m'efforcer de porter, de manière qu'il prenne toute sa place dans l'avenir européen. Cela passe aussi par une réflexion sur la synergie des activités de recherche en amont, ainsi que par certaines réalisations en coopération avec le ministère de la défense.
J'ai d'ailleurs des contacts réguliers avec le ministère de la défense en vue de mieux exploiter nos ambitions communes, nos programmes et nos moyens, tant matériels qu'humains.
J'ai été très heureuse d'entendre certains d'entre vous - MM. Lanier et Etienne, notamment - employer, outre la notion très importante d'« innovation », celle de « novation ». Nous souhaitons en effet être novateurs, et nous devons l'être avec le type de budget que nous présentons.
Nous devons nous montrer novateurs, en particulier, dans la gouvernance du système de recherche. Il nous faut développer une culture de projets ainsi qu'une décentralisation ou une déconcentration permettant d'établir plus de synergie avec les régions, les universités, les organismes de recherche. Il nous faut constituer des partenariats, passant par la contractualisation, de manière que se constitue un continuum entre la formation, la recherche et le tissu industriel, y compris les PME et les très petites entreprises.
Cela va de pair avec une redéfinition du pilotage de la recherche au niveau national.
Je serai demain en Bourgogne pour discuter, avant que ne se tiennent des assises locales, avec les présidents d'université et les recteurs sur ces questions de recherche et de décentralisation. Ce dialogue est très important pour prendre en compte toutes les sensibilités que vous seuls pouvez exprimer quand vous êtes sur le terrain.
Bien sûr, l'objectif quantitatif des 3 % du PIB consacrés aux dépenses de recherche est important mais il ne faut pas négliger l'aspect qualitatif que recouvrent la gouvernance, la mobilisation, et surtout l'attractivité de notre recherche vis-à-vis des jeunes que nous allons accompagner en leur donnant des perspectives, en leur offrant un véritable contrat avec un laboratoire public ou un laboratoire privé.
Ce sont ainsi 400 « post-docs » qui ont été mis en place cette année. Il s'agit de mobiliser notre potentiel, actuel et futur, de créer toutes les synergies possibles.
La participation de la recherche privée à cet effort doit être plus marquée, car le financement public, en France, atteint déjà un niveau important par rapport à la plupart des pays européens. Nous devons essentiellement favoriser la synergie entre le public et le privé ainsi que le renforcement de l'implication privée.
Notre plan en faveur de l'innovation comportera donc des éléments concernant la culture de l'entreprise, pour attirer les jeunes vers de nouveaux métiers, mais aussi des éléments portant sur des aspects fiscaux et administratifs susceptibles de créer un cadre attractif pour la recherche.
Je tiens à dire à M. Laffitte que nous avons pris en compte sa proposition sur les fondations. Je sais que le ministère de la culture a fait aussi des propositions en faveur de fondations plus spécifiquement tournées vers la culture scientifique et technique. Ces fondations de recherche supposent une implication de tous les partenaires et même de tout citoyen susceptible de se sentir concerné. Cela suppose que soit dissipée la défiance qui peut exister dans la société envers certains progrès de la science et surtout de la technique.
Je veux, avant de conclure, évoquer l'emploi scientifique, sujet que MM. Todeschini et Sueur ont abordé.
Sachez qu'il s'agit pour nous d'une préoccupation importante, d'autant que, bien évidemment, nous serons bientôt confrontés à un renouvellement important de notre potentiel de chercheurs. Dans cette optique, il faut maintenir la compétence, transmettre les savoirs et donner des perspectives aux jeunes en leur permettant de s'impliquer dans des projets.
Il est vrai que dix ans apparaissent comme une période un peu courte quand on pense qu'une carrière de chercheur s'exerce sur trente années. La période actuelle donne la flexibilité nécessaire pour se positionner sur une carrière de chercheur qui est de trente ans.
Dans cette mutation de la recherche, il convient de repenser le métier de chercheur en interdisciplinarité, en fonction des priorités des organismes. Il ne faut pas systématiquement remplacer un chercheur par un autre. Il est nécessaire, au contraire, de donner de la flexibilité, de la mobilité au système et d'opérer un redéploiement. Nous nous attacherons à adopter une politique bien construite dans ce domaine.
Certes, des emplois de chercheurs ont été supprimés, mais le renouvellement régulier de 3 % des effectifs dans les laboratoires a été respecté. Avec ce choix, le système n'a pas été mis en danger. Nous avons créé 100 postes d'ingénieur de recherche, d'ingénieur d'étude, d'encadrement administratif. Il nous semble en effet important d'offrir cet encadrement, indispensable qui est, à ces chercheurs désireux de travailler à la fois dans la sérénité et dans un esprit de compétitivité. Il est en effet important d'avoir un environnement favorable pour ces plates-formes très sophistiquées ; et cela suppose un encadrement technique et administratif adéquat.
Bien sûr, le système souffre de certaines lourdeurs.
On a parlé des reports de crédits. Il peut s'agir de crédits tout à fait justifiés mais correspondant à des actions difficiles à mettre en oeuvre du fait de la complexité des relations de partenariat ou simplement parce qu'il est difficile d'obtenir immédiatement une infrastructure, un équipement. Là aussi, les chercheurs se mobilisent. Nous-mêmes essayons d'apporter cette flexibilité et de faire preuve de plus de diligence dans l'utilisation des moyens. Cet environnement administratif et technique autour des chercheurs permettra sûrement de lever les lourdeurs.
Ce projet de budget pour 2003 est un projet vérité. Pour avoir un effet de levier, pour obtenir l'adhésion du public et celle de la communauté scientifique, des moyens sont évidemment nécessaires. Nous savions, en élaborant ce projet vérité qui privilégie l'exécution, qu'il s'agissait d'un budget de transition. Nous devons nous mobiliser pour amorcer cette progression que nous visons. Je vous demande de nous permettre de prendre cet élan. Je pense que vous souscrivez à l'ambition qui est la nôtre et que, après avoir soutenu ce projet de budget pour 2003, vous nous aiderez à préparer un projet de budget pour 2004 qui soit à la hauteur de cette ambition. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurants aux états B et C et concernant la jeunesse, l'éducation nationale et la recherche : III. - Recherche et nouvelles technologies.

ÉTAT B



M. le président. « Titre III : 16 282 850 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 34 795 011 euros. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur les crédits.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la ministre, nous avons tous joué ici un rôle assez convenu : vous avez défendu un budget dont vous avez été déçue ; vos amis ont soutenu un budget dont ils savent qu'il n'est pas bon. Quant à nous, en tant que membres de l'opposition, nous n'avons donc guère eu de mal à trouver des sujets nous permettant d'« appuyer là où ça fait mal » : affaiblissement des moyens, périmètre modifié pour faire illusion, suppression de postes, pilotage de plus en plus centralisé au ministère, restrictions à venir en raison de la faible croissance et quadrature du cercle pour 2004.
Mais ce n'est pas ce « casting » que je choisirai pour évoquer le titre IV, car d'autres failles m'alertent.
Les priorités énoncées, comme la santé humaine, la sécurité alimentaire ou le développement durable, avec mention de la biodiversité et de la coopération Nord-Sud, vont vraiment dans le bon sens.
Cependant, au détour d'un tableau, on découvre que, sur le budget concernant le développement durable, qui s'élève à 249 millions d'euros, 236 millions sont réservés à l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN. Ainsi, hors du nucléaire, ne restent que 13 millions pour réfléchir sur l'avenir de la planète !
Dans le même état d'esprit, la baisse de 19 % des crédits de recherche de l'ADEME est une grave renonciation à nos responsabilités vis-à-vis des générations futures.
Autre exemple : la cancérologie est annoncée comme une priorité présidentielle et nationale, mais il est bien difficile d'en lire la traduction dans le projet de loi de finances. L'Agence nationale de recherche sur le sida reçoit très justement 37 millions d'euros. Y a-t-il un effort comparable sur le cancer ? Quelle est la lisibilité de ce qui est nommé « thématique cancer » du réseau francilien ?
En commission, vous avez, madame la ministre, dit souhaiter que « la science et la technique soient l'affaire de tous », ajoutant qu'il convenait « de rechercher une participation active aux choix de société ».
Je plaiderai pour cette société émancipée, c'est-à-dire cultivée et donc libre. Or, en France, les rares initiatives de culture scientifique, souvent épaulées par des bénévoles, peinent à rassembler leur fruste budget. C'est pourtant un véritable enjeu national que de donner aux gens les moyens de comprendre leur univers et les techniques qui changent leur vie.
Il en va ainsi du principe de précaution, qui n'a de sens que s'il est collectivement porté et s'il qualifie le projet. Toute mise en scène de peurs obscurantistes serait contre-productive pour tous.
Dans un autre domaine, des 550 millions d'euros dont il dispose, l'INRA consacre une part significative à la recherche sur les OGM, les organismes génétiquement modifiés. Est-ce une demande des contribuables ou des multinationales ? Alors que les consommateurs affirment leur volonté de ne pas manger d'OGM, alors que le tiers-monde n'y trouvera pas de solution aux famines et aux carences, est-il acceptable, en démocratie, d'orienter l'argent de la recherche agronomique selon les besoins des exportateurs ou des semenciers ?
Le deuxième aspect de la mobilisation de la société est son droit à faire entendre la demande citoyenne de recherche.
Aujourd'hui, une majorité se dégage pour ne plus opposer recherche publique et recherche privée. Mais, alors, pourquoi fragiliser la liberté et l'indépendance du chercheur public en envisageant de précariser ses statuts ? Il y a peu de chances de voir la recherche privée répondre aux questions gênantes de l'origine de certaines maladies, alors qu'elle sera prompte à inventer des molécules commerciales pour les soigner. Or la population attend l'un et l'autre.
Je sais que le CNRS envisage deux conférences de citoyens par an. Mais cette culture du débat transparent, contradictoire, lisible mériterait un investissement notable de votre ministère ; et cela ne coûte pas cher ! Gageons, au passage, que cela réveillerait l'appétit de carrières scientifiques chez les jeunes, car leur générosité les rend plus sensibles à l'utilité sociale qu'au simple prestige du « labo » ou de la blouse blanche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.

(Ces crédits sont adoptés.)

ÉTAT C



M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 1 220 000 euros.
« Crédits de paiement : 610 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre VI. - Autorisations de programme : 2 358 310 000 euros.
« Crédits de paiement : 1 874 448 000 euros. »
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Je tiens à remercier le Sénat de faire confiance au ministère chargé de la recherche et des nouvelles technologies pour mener à bien ces projets.
Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que, dans notre désir d'être proches de vous, nous avons aussi des comptes à vous rendre, que nous réfléchissons, par exemple, à des indicateurs de performance.
Je veux remercier tout spécialement M. le président de la commission des finances d'avoir compris la mobilisation de la recherche au service des objectifs pour lesquels elle essaie de se donner les moyens de réussir.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez de la chance d'avoir échappé aux amendements de la commission des finances !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, j'ai voté votre budget avec enthousiasme. Nous faisons confiance à la politique que vous avez décrite avec beaucoup de conviction.
Vous êtes bien consciente que nous sommes confrontés à une situation financière qui s'est quelque peu altérée. Hier, votre collègue ministre délégué au budget nous a demandé de modifier, par voie d'amendement, l'article d'équilibre, et il a prié la commission des finances d'appeler le Sénat à la responsabilité.
Je voudrais dire à Mme Blandin que ce qui change c'est qu'on substitue à des budgets d'affichage des budgets de sincérité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il ne suffit pas d'inscrire des crédits pour alimenter agréablement une chronique : encore faut-il exécuter un budget.
Au cours de l'année 2003, nous demanderons des comptes à chaque ministre sur sa gestion. Telle sera, croyez-le bien, notre attitude. Nous porterons une attention toute particulière à l'exécution budgétaire et nous veillerons, madame la ministre, à ce que les crédits mis à la disposition des institutions de recherche soient utilisés et mobilisés, car il y a manifestement un problème d'utilisation des crédits au sein de votre ministère.
M. Ivan Renar. Liberté surveillée, madame la ministre ! (Sourires.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la recherche.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. SergeVinçon.)