SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002


M. le président. Dans la suite de l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le travail, la parole est à Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la formation professionnelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année qui vient sera cruciale pour notre système de formation professionnelle.
Celui-ci a évolué, cette année, dans un contexte lourd d'incertitudes. La négociation interprofessionnelle, rompue voilà plus d'un an, n'a toujours pas été renouée. Souhaitons qu'elle puisse reprendre dès le lendemain des élections prud'homales du 11 décembre prochain.
Malgré l'ampleur des enjeux, la réforme de la formation professionnelle est donc au point mort.
Depuis plusieurs années, l'effort de l'Etat en faveur de cette dernière n'a cessé de régresser. Pour l'année 2002, les organismes de formation prévoient une baisse de leur chiffre d'affaires de 6 % par rapport à 2001. Enfin, l'environnement institutionnel de la formation professionnelle est lui-même modifié, la nouvelle convention d'assurance chômage et la loi relative à la démocratie de proximité ayant bouleversé en profondeur l'architecture d'un système déjà fort opaque.
C'est dans ce contexte très particulier que s'inscrit le projet de budget pour 2003 de la formation professionnelle.
Le bilan que je viens de dresser appelle une politique volontariste, à la hauteur de la tâche à mener. En dépit de la dimension par nature conjoncturelle de l'exercice, le Gouvernement présente un budget offrant d'intéressantes pistes de sortie de crise, tout en ménageant un espace de liberté indispensable à la négociation entre les partenaires sociaux.
En effet, les crédits de la formation professionnelle augmenteront de près de 1 %, pour atteindre plus de 4,5 milliards d'euros en 2003. Il s'agit là de la première augmentation effective depuis 1998.
Cela dénote, de la part du Gouvernement, une volonté de proposer un projet de budget réaliste et pragmatique : réaliste, car il anticipe la dégradation actuelle du marché de l'emploi ; pragmatique, car il prépare la mise en oeuvre prochaine de l'assurance emploi et pose le socle de la formation tout au long de la vie, ce qui correspond à deux engagements pris par le Président de la République.
Dans ce projet de budget pour 2003, trois points me semblent mériter une attention particulière : le soutien apporté aux formations en alternance, l'effort consacré à la formation des demandeurs d'emploi et l'approfondissement de la décentralisation.
Cette année encore, les formations en alternance représentent le poste budgétaire le plus important.
Près de deux milliards d'euros y sont consacrés, soit plus de 40 % du budget. D'aucuns se borneront à constater une réduction de 5 % des crédits et s'empresseront de dénoncer un désengagement de l'Etat. Je les invite à un examen plus approfondi, qui leur révèlera que ce réajustement ne devrait entamer en rien la vigueur des flux d'entrée ni entraver le « bouclage » budgétaire nécessaire.
Pour les contrats d'apprentissage, le réajustement découle largement du transfert aux régions d'une partie des primes relatives à ces contrats.
Pour les contrats de qualification jeunes, le Gouvernement tente d'ajuster un budget à la réalité des besoins prévisibles et s'engage cette année à ne pas ponctionner l'Association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL. Depuis 1997, la trésorerie de cette dernière a, en effet, fait l'objet de prélèvements successifs, compromettant l'accomplissement de sa mission de régulation du système.
Enfin, pour les contrats de qualification adultes, la diminution des crédits est la conséquence de mesures techniques décidées par le précédent gouvernement, à savoir le remplacement des exonérations de cotisations sociales par un dispositif d'allégement de droit commun lié à la réduction du temps de travail et à la modulation de la prime pour chaque contrat, qui ne serait plus versée à la signature mais au bout d'un an. De plus, il convient de prendre en compte l'effort financier complémentaire prévu par l'UNEDIC dans le cadre de la nouvelle convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.
Quoi qu'il en soit, les crédits affectés à la formation en alternance devraient permettre de financer près de 390 000 contrats, soit 8 % de plus qu'attendu pour 2002.
Monsieur le ministre, ma première question porte sur la faible attractivité des contrats de qualification adultes. Nous craignons, en effet, que les difficultés rencontrées par ce dispositif intéressant ne soient structurelles. Je fais référence à l'insuffisance des incitations financières en faveur des organismes collecteurs agréés, aux lourdeurs de la formation des adultes, plus difficile à mettre en oeuvre que celle des jeunes, ou encore aux réticences des entreprises à embaucher au SMIC à taux plein un salarié consacrant à la formation le quart de son temps de travail. Au-delà d'une simple contribution budgétaire, quelles actions prévoyez-vous de mener pour surmonter ces obstacles et relancer le dispositif ?
J'en viens maintenant à la deuxième ligne de force de ce projet de budget : l'encouragement à la formation des demandeurs d'emploi.
Le projet de budget prévoit une augmentation de près de 10 % des crédits destinés à financer la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle.
Cette revalorisation substantielle mérite d'être soulignée. En effet, elle contribuera à prévenir les abandons de formation en cours de stage pour un emploi précaire, préjudiciables à une insertion professionnelle durable.
Cette mesure accompagne l'engagement croissant de l'UNEDIC en faveur de la formation des demandeurs d'emploi.
Par ailleurs, l'Association pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, devrait bénéficier d'un soutien budgétaire important pour sa modernisation. Le contrat de progrès 1999-2003 conclu entre l'Etat et l'AFPA entre dans sa dernière année. Dans ce cadre, l'AFPA a pour mission d'accueillir les demandeurs d'emploi que lui adresse l'ANPE et de les aider à construire un projet de formation. A cet égard, le projet de budget prévoit une augmentation significative de la subvention de fonctionnement, qui représente les trois quarts des recettes de l'association.
On notera également que le Gouvernement doublera les crédits affectés au financement de l'allocation de fin de formation. Ces dotations serviront à financer la poursuite des actions de formation des chômeurs en fin d'indemnisation par l'assurance chômage.
Enfin, comment ne pas souligner que le montant des crédits consacrés à la validation des acquis de l'expérience sera multiplié par cinq ? Ainsi, 2003 représentera véritablement l'année de lancement de la validation des acquis de l'expérience.
Mais un budget ne suffit pas à faire une politique si les moyens opérationnels ne suivent pas. Or la Commission nationale de la certification professionnelle, chargée de la gestion d'un répertoire national, tarde à se mettre en place. Tel est, monsieur le ministre, l'objet de la deuxième question que je voudrais vous poser : avez-vous prévu des mesures d'activation de ce dispositif, encore trop méconnu tant des professionnels que des publics concernés ?
La dernière ligne de force du projet de budget pour 2003 est l'engagement d'une dynamique nouvelle en matière de décentralisation.
Cette volonté est traduite de deux manières : premièrement, le Gouvernement a veillé à ce que les transferts de charges opérés en direction des régions s'accompagnent d'une compensation financière significative ; deuxièmement, répondant aux inquiétudes de certaines régions, il a fait le choix d'une décentralisation progressive et adaptée aux aspirations locales.
Pour ce faire, il prévoit une dotation de décentralisation de 1,5 milliard d'euros, en augmentation de 6,5 % par rapport à 2003.
Les transferts relatifs à l'apprentissage porteront, à terme, sur une somme supérieure à 750 millions d'euros, dépense que de nombreuses régions ne sont pas capables d'assumer dans l'immédiat. C'est pourquoi l'article 77, rattaché pour son examen aux crédits de la formation professionnelle, prévoit que le versement de la compensation financière de ce transfert se fera progressivement jusqu'en 2006. Mais encore faut-il que les régions aient les moyens opérationnels d'assurer ce transfert dans les meilleures conditions.
Par ailleurs, parce que la décentralisation ne peut se réduire à un slogan, le Gouvernement choisit non pas de « plus », mais de « mieux » décentraliser. Monsieur le ministre, lors de votre audition, par la commission des affaires sociales du Sénat, le 7 novembre dernier, vous nous avez assurés de votre détermination à inscrire l'effort de décentralisation dans la voie de l'équilibre et de l'efficacité. Je ne doute pas de votre engagement.
Cependant - ce sera ma troisième question - je m'interroge sur les modalités d'une décentralisation aux contours encore incertains. Comment comptez-vous, monsieur le ministre, assurer la lisibilité du système de formation sur le plan régional et éviter l'apparition de nouvelles disparités ? Quels pourraient être les principes d'une nouvelle réforme législative ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard de la profonde inadéquation entre l'offre et la demande de travail dont témoigne la pénurie persistante de main-d'oeuvre qualifiée dans certains secteurs, la formation professionnelle doit cesser d'être le parent pauvre de la politique de l'emploi. En effet, faute de citoyens formés, la compétitivité de l'« entreprise France » risque de se détériorer durablement.
La commission des affaires sociales attendait donc une réaction d'envergure : le présent projet de budget est une première réponse, et elle a émis un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier M. Souvet, qui s'était déjà engagé personnellement lors des débats sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise et sur le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, d'avoir montré à quel point la politique de l'emploi que conduit le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin rompt avec les principes qui avaient été suivis ces dernières années et dont la mise en oeuvre explique, pour une large part, que, malgré une croissance forte, la France demeure l'un des pays européens les plus frappés par le chômage.
La première question de M. Souvet portait sur la situation financière de l'UNEDIC. Je n'ai pas besoin de rappeler au Sénat qu'il s'agit d'un régime conventionnel et qu'il appartient donc aux partenaires sociaux de prendre leurs responsabilités pour déterminer les voies et moyens d'en rétablir l'équilibre financier.
Nous sommes tous très attachés au paritarisme, et nous sommes souvent inquiets de constater que celui-ci s'essouffle dans bien des domaines. Il convient donc de ne pas l'affaiblir dans les secteurs où les partenaires sociaux ont démontré, dans le passé, leur capacité à prendre des décisions courageuses, comme ce fut le cas lors de la signature de l'accord du 19 juin dernier. Si l'Etat sera extrêmement attentif aux décisions qui seront prises par les partenaires sociaux, il veut aussi leur faire savoir que, comme à l'occasion de l'élaboration de l'accord précité, il les soutiendra, prendra ses responsabilités et fera preuve d'au moins autant de courage qu'eux-mêmes.
L'Etat a montré, par le passé, qu'il était prêt à appuyer les efforts demandés par l'UNEDIC aux salariés, aux entreprises et aux chômeurs. Ainsi, en 1992 et en 1993, il avait contribué au rétablissement de l'équilibre financier du régime d'assurance chômage par des concours s'élevant à 6,7 milliards d'euros au total. Récemment, à la suite de l'accord du 19 juin dernier, le Gouvernement a validé les mesures envisagées par les partenaires sociaux en agréant l'ensemble des avenants à la convention d'assurance chômage, en particulier celui qui est consacré au régime des intermittents du spectacle, structurellement déséquilibré. A ce propos, peu de gouvernements avaient eu le courage de suivre les préconisations des partenaires sociaux, qui, je le répète, ne relèvent pas d'une seule organisation, puisque la gestion est paritaire.
En ce qui concerne les 1,2 milliard d'euros dus par l'UNEDIC, à l'Etat au titre de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001, le Gouvernement a accepté la demande, formulée par les partenaires sociaux, d'en reporter le versement à 2003. A la fin de l'année, des négociations importantes s'engageront pour examiner les moyens de faire face au déficit prévu du régime. J'étudierai avec beaucoup d'attention les solutions proposées par les partenaires sociaux, en fonction de la situation financière de l'UNEDIC, dans le cadre de la procédure d'agrément. Vous comprendrez, monsieur le rapporteur pour avis, qu'il ne me soit pas possible d'en dire plus tant que ces propositions ne m'auront pas été communiquées.
La deuxième question de M. Souvet portait sur le futur contrat de progrès entre l'Etat et l'ANPE, ses objectifs, ses lignes directrices et l'état de la négociation.
Avant de vous répondre, monsieur le rapporteur pour avis, je voudrais souligner combien l'ANPE a progressé dans la mise en oeuvre du projet d'action personnalisé pour un nouveau départ, le PAPND. Depuis le 1er juillet 2001, tous les nouveaux inscrits ont bénéficié d'un projet d'action personnalisé. D'ici à la fin de l'année, un PAP aura été proposé à la totalité des demandeurs d'emploi inscrits avant cette date.
L'implication totale des conseillers de l'ANPE permet aujourd'hui aux agences locales pour l'emploi, les ALE, d'effectuer plus de 600 000 entretiens par mois, qui concernent simultanément des demandeurs d'emploi nouvellement inscrits et des demandeurs d'emploi bénéficiant du PAP depuis six mois ou depuis douze mois.
Les services prescrits aux demandeurs d'emploi sont aussi plus nombreux, puisque, en août 2002, près de 50 % des demandeurs d'emploi depuis plus de six mois ont bénéficié d'un appui individualisé, et 17 % d'un accompagnement renforcé. Enfin, plus de 72 000 formations auront été prescrites pour ce seul mois.
Il sera temps, en 2003, pour l'Etat comme pour les partenaires sociaux gestionnaires de l'UNEDIC, de tirer un bilan circonstancié du PAPND et, bien entendu, nous prendrons en compte ces évaluations dans le cadre du quatrième contrat de progrès Etat-ANPE qui sera conclu pour la période 2004-2008.
L'idée, aujourd'hui, c'est que ce contrat vienne consolider les acquis de la mise en oeuvre du PAP. Pour cela, il s'appuiera sur les travaux d'évaluation du troisième contrat de progrès et sur le bilan qualitatif du PARE et du PAP. Il s'agira, au fond, de franchir une nouvelle étape et d'aller plus loin dans la personnalisation du service rendu par l'ANPE aux demandeurs d'emploi. Il s'attachera à améliorer l'offre de service de l'agence aux entreprises. Enfin, il devra répondre aux nouveaux enjeux des dynamiques territoriales, en renforçant les partenariats avec les collectivités, dans le cadre de la décentralisation.
M. Souvet m'a ensuite interrogé sur l'avenir des jeunes concernés par le dispositif emplois-jeunes. Le Gouvernement, soucieux, avant toute chose, du sort des jeunes concernés, pour lesquels, je le rappelle, rien n'avait été prévu, a abordé avec pragmatisme le devenir du programme « Nouveaux services-emplois-jeunes ».
La décision que nous avons prise d'arrêter les nouvelles entrées ne peut être considérée comme un désintérêt ni comme un abandon des 150 000 jeunes encore présents. D'ailleurs, le poids budgétaire, dans le présent projet de loi de finances, de ce programme - 2,7 milliards d'euros - atteste l'intérêt que le Gouvernement porte à ce programme.
Je me suis engagé sur des mesures de pérennisation des emplois créés, afin d'accompagner les associations dans leur recherche de sources alternatives de financement. Pour les associations qui, au terme des cinq ans, n'ont pas atteint leur autonomie, des conventions d'une durée de trois ans pourront, de façon dégressive, prolonger l'aide de l'Etat.
Ces mesures de pérennisation seront mises en oeuvre avec une exigence renforcée quant à la professionnalisation des jeunes et aux actions de formation susceptibles d'être engagées par l'employeur.
Les 10 millions d'euros relatifs au soutien financier exceptionnel permettront de conclure un petit nombre de contrats dont la procédure d'agrément était en cours au moment où la décision de suspendre le programme a été prise.
Pour les jeunes qui ne peuvent pas entrer dans le cadre des dispositifs de pérennisation des emplois et qui ne trouveraient pas de solution immédiate sur le marché du travail, le service public de l'emploi sera totalement mobilisé. Ces jeunes bénéficieront de l'ensemble des prestations prévues par le PAPND : entretien individuel, bilan de compétence, actions de formation. J'ai demandé à mes services de réunir les conditions d'un suivi individualisé spécifique de ces jeunes.
S'agissant, monsieur le rapporteur, de votre proposition de favoriser l'entrée de ces jeunes dans le secteur marchand, dans un certain nombre de cas, les études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, prouvent que deux jeunes sur trois sortis du programme par eux-mêmes retrouvent un emploi sans aide particulière. Il ne nous a donc pas semblé, aujourd'hui, nécessaire de prévoir un dispositif d'aide spécifique à l'insertion de ces jeunes dans le secteur marchand.
Bien entendu, cette possibilité existe dans le cadre des dispositifs existants, et rien n'interdit à un jeune sorti du programme emplois-jeunes de conclure un contrat « jeune en entreprise » s'il remplit les conditions d'âge et de diplôme : 20 % des jeunes dans les associations, par exemple, ont moins de vingt-deux ans, et 20 % ont un niveau de qualification inférieur au baccalauréat.
Cela me donne l'occasion - et je suis sûr que vous y serez sensible, monsieur le rapporteur -, de faire un petit point sur la mise en oeuvre du contrat jeune en entreprise.
D'abord, au 21 novembre dernier, le nombre de contrats jeune en entreprise s'élevait à 19 500, c'est-à-dire plus que nos prévisions, puisque, je le rappelle, celles-ci prévoyaient 20 000 contrats avant la fin de l'année. Je le précise à l'attention de tous les oiseaux de mauvais augure, qui avaient annoncé à l'avance, et même dès le démarrage du dispositif, l'échec de ce programme.
Ensuite, et cela ira certainement droit au coeur du rapporteur que vous avez été, cette montée en puissance ne se fait en aucun cas au détriment des programmes de formation en alternance et des contrats de qualification,...
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Très bien !
M. François Fillon, ministre. ... puisque les contrats d'apprentissage, qui étaient en baisse, ont recommencé à croître en octobre dernier, de 1,9 %, et les contrats de qualification pour les jeunes sont en forte augmentation, de 4,3 % en octobre dernier.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Bonne nouvelle !
M. François Fillon, ministre. Tous ces chiffres, mis en parallèle avec les chiffres du chômage que je vous ai donnés tout à l'heure, et, encore une fois, sans vouloir prévoir un avenir nécessairement incertain compte tenu de la conjoncture économique générale, montrent qu'il faut relativiser les catastrophes annoncées, tant sur le plan de l'emploi que sur le plan social, par ceux qui ont sans doute intérêt à les prédire.
MM. Adrien Gouteyron et Paul Blanc. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Enfin, monsieur le rapporteur, les procédures de pérennisation de certains postes, le contrat jeune, le CIVIS, dont j'ai déjà parlé, qui pourra également concerner certains de ces jeunes, ainsi que la mobilisation des services de l'emploi me paraissent offrir une palette de solutions à la disposition des jeunes qui, progressivement, vont sortir du dispositifs des emplois-jeunes.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le devenir des CES et des CEC, qui constituent l'un des sujets sur lesquels le Gouvernement réfléchit à une réforme d'ensemble. Si je vous ai indiqué que notre priorité était de privilégier la politique de l'emploi et le soutien de l'activité favorisant la création et le développement d'emplois dans le secteur marchand, cela ne veut pas dire pour autant que le Gouvernement entend se priver d'instruments qui permettent de venir en aide à des jeunes ou à des personnes en très grande difficulté, qui ont des besoins spécifiques d'insertion.
Il nous semble cependant que les CES et les CEC constituent des outils qui mériteraient d'être rendus plus souples. Nous sommes en train d'y réfléchir. En particulier, nous réfléchissons à la rénovation, à la redéfinition de la gamme des outils utilisés par le service public de l'emploi pour lutter contre le chômage de longue durée, qui est un sujet de mobilisation : j'ai indiqué tout à l'heure qu'il continuait, lui, de progresser.
Nous avons fait un certain nombre de constats sur les insuffisances des mesures CEC et, surtout, des CES, dont l'effet, en termes de retour à l'emploi, est notoirement insuffisant.
J'envisage de proposer un contrat unique d'insertion, qui s'adressera aux personnes très éloignées de l'emploi et aux employeurs du secteur non marchand.
Je souhaite, en premier lieu, renforcer les actions d'accompagnement et de soutien des bénéficiaires, ces actions devant permettre de valoriser le passage de la personne dans ce type de contrat et d'accélérer le retour à l'emploi classique.
Je souhaite, en second lieu, aboutir à un contrat plus modulable, qui pourrait être, mieux qu'aujourd'hui, adapté à la situation particulière de chaque bénéficiaire.
Je souligne, à ce titre, que cette nouvelle mesure, qui sera proposée dans le cadre de réformes qui interviendront en 2003, s'inscrira dans le cadre de l'action territorialisée du service public de l'emploi, à l'instar des CES et des CEC, et contribuera à la mise en oeuvre d'une véritable politique locale d'insertion menée par le service public de l'emploi, en liaison avec les collectivités locales et, notamment, avec les départements, dont les compétences devraient s'accroître sur ce sujet.
Enfin, M. Souvet m'a interrogé sur la question de la place des salariés de plus de cinquante ans dans l'entreprise et sur la politique du Gouvernement par rapport aux différents dispositifs de préretraite.
Le soutien public massif aux préretraites a, vous en conviendrez monsieur le rapporteur pour avis, banalisé les départs anticipés comme unique outil de gestion des âges dans les entreprises.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Hélas !
M. François Fillon, ministre. Une politique progressive de réduction des aides vise à favoriser une prise de conscience des effets pervers de cette évolution pour la société et pour les personnes.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. C'est nécessaire !
M. François Fillon, ministre. Il s'agit donc de développer les pratiques alternatives, internes aux entreprises, de réflexion sur l'âge et sur le travail.
Aujourd'hui, le recours aux préretraites est une pratique généralisée dans les grandes entreprises, et très peu mise en oeuvre dans les petites entreprises. Très peu de grandes entreprises mettent en oeuvre des pratiques de gestion des âges, comme le bilan des compétences, la validation des acquis ou la formation professionnelle pour une évolution interne, alors qu'elles en auraient les moyens.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. François Fillon, ministre. Il est donc nécessaire d'inverser les priorités. Le ministère du travail mais aussi les partenaires sociaux doivent, dans ce domaine, se mobiliser pour développer et diffuser les bonnes pratiques dans les entreprises.
La refonte du système de formation professionnelle et le développement de la formation tout au long de la vie constituent une priorité. C'est en formant les personnes en milieu de carrière qu'on leur donne les moyens de s'adapter aux évolutions de l'entreprise.
Il faut aussi mettre à plat les différentes mesures qui freinent le retour dans l'emploi des salariés les plus âgés. La contribution Delalande en fait partie. (M. le rapporteur pour avis opine.) L'urgence, c'est la prise de conscience de l'ensemble des partenaires sociaux pour aborder toutes ces questions à l'occasion des négociations qu'ils vont ouvrir.
J'en profite pour indiquer au Sénat que, comme je l'avais souhaité, notamment à l'occasion du débat sur les 35 heures, les partenaires sociaux ont répondu à l'appel du Gouvernement pour engager une négociation sur la formation professionnelle, comme ils se sont engagés également à le faire sur la révision des dispositions relatives aux plans sociaux.
S'agissant des mesures d'âge, j'en viens aux mesures spécifiques prévues dans le budget.
La hausse des contributions pour 2003 porte essentiellement sur les préretraites progressives, où les taux vont être triplés en moyenne, le taux moyen passant de 3,6 % à 10 %.
Pour les allocations spéciales du fonds national de l'emploi, les ASFNE, les taux seront aussi augmentés, mais en faisant porter prioritairement l'effort sur les plus grandes entreprises et sur les départs dérogatoires à cinquante-six ans, et non à cinquante-sept ans. Les critères d'attribution des ASFNE ne sont pas modifiés. Il s'agit toujours des secteurs en difficulté, des publics en difficulté et des PME ainsi que des bassins d'emploi difficiles. Il convient du reste de noter que la plupart des ASFNE sont attribuées à des PME en liquidation judiciaire, donc sans participation de l'entreprise.
Mme Bocandé m'a interrogé sur les contrats de qualification adultes. Ce contrat, créé par la loi de 1998, a été pérennisé en 2002. Je partage votre avis sur l'intérêt de ce dispositif, compte tenu de ses spécificités. Il s'adresse à des personnes sans emploi âgées de vingt-six ans et plus, qui rencontrent des difficultés sociales et professionnelles du fait de l'insuffisance de qualification. La formation est obligatoire : elle représente 25 % de la durée du contrat. Dans le cadre du plan d'aide au retour à l'emploi-projet d'action personnalisé, le PARE-PAP, cette formation peut d'ailleurs être financée par l'UNEDIC pour les chômeurs indemnisés.
L'objectif est double. Il s'agit à la fois de permettre aux personnes qui rencontrent des difficultés pour trouver un emploi d'accéder à une qualification reconnue, mais aussi d'aider les entreprises ayant des difficultés de recrutement à embaucher des salariés qualifiés.
Les contrats de qualification adultes ont concerné, en 1999, qui est l'année de démarrage expérimental, 3 000 personnes. La montée en charge a été lente, puisque l'on prévoit, pour 2002, 11 000 contrats, c'est-à-dire un peu moins que la prévision initiale de l'année, à savoir 14 000. La principale raison de cette montée en puissance difficile est évidemment la remontée du chômage, qui affecte depuis un an l'ensemble des dispositifs et des contrats de qualification.
Nous prévoyons, pour 2003, 14 000 contrats : autrement dit, nous reprenons l'objectif initial non atteint de l'année passée. Cet objectif ne me paraît pas hors d'atteinte, compte tenu de la situation réelle de l'économie et de l'emploi.
Les derniers chiffres dont nous disposons laissent même présager une progression plus forte : 1 200 entrées ont été enregistrées en octobre de cette année, alors que la moyenne des autres mois était plutôt de l'ordre de 700. Cela représente une augmentation considérable.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !
M. François Fillon, ministre. De toute façon, une modification du dispositif en 2003, alors qu'il en est à sa première année de mise en oeuvre dans les nouvelles conditions, serait plutôt de nature à freiner la montée en charge qu'à la stimuler. Il faut, s'agissant d'un dispositif complexe, laisser aux acteurs le temps de se l'approprier.
Pour ma part, je suis déterminé à encourager mes services à développer ce dispositif, notamment en se rapprochant des branches professionnelles qui ne cessent de nous dire qu'elles manquent de main-d'oeuvre qualifiée.
Votre deuxième question, madame Bocandé, porte sur la décentralisation de la formation professionnelle et sur les inquiétudes qui se sont fait jour.
Vous avez souligné le risque de manque de lisibilité en cas de décentralisation de la formation professionnelle. Pour ma part, je considère que c'est à l'heure actuelle qu'existe une illisibilité de la formation professionnelle en raison de l'enchevêtrement des compétences et des financements entre les différents acteurs de la formation que sont les partenaires sociaux - qui ont une responsabilité ô combien importante - les collectivités territoriales, les régions essentiellement, et l'Etat.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. C'est clair !
M. François Fillon, ministre. Il faut rappeler en effet que les régions ont reçu une compétence de droit commun en matière d'apprentissage et de formation professionnelle depuis les lois de 1983 et de 1993. Mais, en réalité, l'Etat continue d'assumer de nombreuses compétences.
Ainsi, en ce qui concerne l'apprentissage, c'est lui qui agrée les collecteurs et qui effectue les contrôles pédagogiques et financiers. Pour les jeunes en insertion, une partie du financement des missions locales et le programme TRACE sont de la responsabilité de l'Etat. Il prend en charge la majeure partie des formations des demandeurs d'emploi adultes, notamment dans le cadre de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, ainsi que leur rémunération. Il aide les entreprises et les branches professionnelles à développer leur effort de formation grâce aux engagements de développement de la formation.
Pour ma part, je considère donc que, avant d'aller plus loin dans la décentralisation de la formation professionnelle, il faudrait clarifier le paysage.
D'abord, il faudrait préciser les rôles respectifs de l'Etat et des régions. L'Etat doit, me semble-t-il, conserver la responsabilité d'ordre législatif et réglementaire de la définition et du contrôle du système de formation professionnelle, ainsi que de la certification, c'est-à-dire les titres et diplômes sanctionnant les parcours de formation ou la validation des acquis d'expérience. L'Etat doit aussi rester garant de l'égalité d'accès et de traitement des personnes au regard de la formation.
Ensuite, il conviendrait de définir les blocs de compétences qui pourraient être transférées aux régions, en ayant à l'esprit que certains pans de la formation professionnelle sont extrêmement liés à la politique de l'emploi qui, elle, devrait rester de la compétence de l'Etat.
Par ailleurs, se pose le problème spécifique de l'AFPA pour laquelle plusieurs scénarios peuvent être envisagés.
Enfin, il faudrait prévoir, à côté d'un « plus » de décentralisation, un « mieux » de décentralisation, qui pourrait conduire à affirmer le rôle des régions en matière de coordination des différentes politiques de formation ainsi que de politiques d'accueil et d'orientation des personnes afin d'assurer à chacun une véritable formation tout au long de la vie, ce qui, vous le savez, est le fil conducteur de la politique du Gouvernement dans ce domaine.
Ces clarifications, cette meilleure définition de la responsabilité des uns et des autres, ces compétences nouvelles transférées aux régions devraient évidemment s'accompagner d'une prise en compte, par les partenaires sociaux, de l'échelon régional, qui, aujourd'hui, n'est pas tout à fait entré dans leurs habitudes.
En termes de réformes législatives, enfin, est d'abord prévue, vous le savez, une réforme constitutionnelle. C'est à l'issue celle-ci et des assises régionales des libertés locales, au cours desquelles les régions auront pu exprimer leurs souhaits, qu'un projet de loi organisant des transferts de compétences et, le cas échéant, sur ce sujet complexe, des expérimentations sera déposé au Parlement au printemps 2003.
Enfin, Mme Annick Bocandé m'a interrogé sur la validation des acquis de l'expérience.
Nous avons prévu - et vous l'avez souligné, madame - de faire un effort considérable en 2003 pour déployer ce dispositif, auquel le Gouvernement croit beaucoup. Nous avons donc multiplié par cinq les crédits destinés à la mise en place du réseau d'information et de conseil en validation des acquis de l'expérience au développement des actions de validation, y compris les frais de jury, et des actions d'accompagnement des candidats pour l'accès aux certifications et, bien entendu, au financement de la Commission nationale de la certification professionnelle et à celui du répertoire national des certifications professionnelles.
La mise en oeuvre de ces trois objectifs est bien avancée.
Ainsi, six des septs décrets d'application de la loi de modernisation sociale portant sur ce volet sont parus. Le dernier, qui permettra d'imputer les dépenses de validation des acquis de l'expérience sur l'obligation légale de formation continue, doit paraître très prochainement.
De plus, le réseau sur l'information-conseil en validation des acquis de l'expérience est en cours de constitution, à l'échelon régional : il s'appuie, vous le savez, sur un partenariat très étroit entre les régions et les services de l'Etat.
Par ailleurs, le dispositif de validation du ministère des affaires sociales pour l'accès à ses titres professionnels est en cours de constitution avec l'aide de l'AFPA.
Enfin, pour en venir au point qui vous intéresse plus particulièrement, la Commission nationale de la certification professionnelle, qui est placée auprès du Premier ministre et qui comprend des représentants des partenaires sociaux, des régions, des chambres consulaires et des ministères, a commencé ses travaux de construction du répertoire national. La mission de cet organisme est de clarifier le paysage des diplômes, des titres et des certificats de qualification professionnelle - il en existe aujourd'hui 12 000 - en constituant, à travers le répertoire, un véritable outil de référence et de transparence pour les actifs, notamment pour faciliter l'accès à la validation des acquis de l'expérience. Les données du répertoire doivent notamment servir au réseau d'information-conseil en validation des acquis.
Un site provisoire, dont l'adresse est www.cncp.gouv.fr, est en cours de finalisation. Il permettra de renseigner les parties intéressées, dès décembre 2002, sur les diplômes et les titres délivrés au nom de l'Etat, ainsi que sur les certifications homologuées inscrites au répertoire. Il sera définitivement configuré à partir de juin 2003.
Je vous invite dès maintenant à le consulter : vous pourrez ainsi vous assurer que la volonté du Gouvernement en la matière peut, à terme - vous l'avez souligné, madame Bocandé -, déboucher sur une véritable révolution de l'approche qu'a notre pays de la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) M. le président. Nous passons aux questions.
Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour sa question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mercredi 11 décembre prochain, 16 millions d'électeurs voteront pour élire leurs conseillers prud'hommes. Cette élection quinquennale concerne une juridiction unique en Europe.
Une très large majorité de Français a une bonne opinion des prud'hommes. Pourtant, bien que le scrutin ait toujours lieu un jour ouvrable, le taux de participation, lors du précédent renouvellement en 1997, n'a pas dépassé 34 % dans le collège salariés et 21 % dans le collège employeurs. On ne peut se satisfaire d'un tel signe de désintéressement, parce que c'est tout l'équilibre de notre droit du travail qui pourrait, à terme, être affecté.
L'institution prud'homale, avec sa compétence, sa simplicité, sa proximité et son paritarisme, constitue un rouage essentiel de notre cohésion sociale, dans un environnement dynamique, puisque vivant. Si progrès économique et justice sociale peuvent et doivent être rendus indissociables - vous en avez clairement et fortement exprimé la volonté à cette tribune, monsieur le ministre, le 22 octobre dernier, à l'occasion de la discussion de la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi -, cela tient à l'existence de bonnes lois et à une bonne pratique des lois.
La justice prud'homale et sa jurisprudence peuvent et doivent contribuer à cette conciliation entre la complexité de la vie et les principes éthiques qui inspirent le cadre législatif et, selon vos propres propos, à ce bon positionnement du curseur entre l'efficacité économique et la justice sociale.
Animé par ce souci, je souhaiterais donc savoir ce que le Gouvernement a prévu pour l'organisation de ces prochaines élections prud'homales, qui sont réellement indissociables de l'harmonie architecturale de la vie économique et sociale de notre pays, au même titre que le projet de budget que vous nous présentez pour 2003.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Monsieur le sénateur, votre question me donne l'occasion de souligner devant le Sénat l'importance de l'engagement de l'Etat dans l'organisation des prochaines élections prud'homales, et je vous en remercie.
C'est en effet une opération très lourde, puisqu'elle suppose de refondre les listes électorales, d'organiser les opérations électorales, de mettre en place de très nombreux bureaux de vote. Afin de préparer ces élections dans les meilleures conditions, les services de l'Etat se sont mobilisés. Les mairies les ont grandement aidés, et je voudrais ici les remercier tout particulièrement.
Jamais autant de bureaux de vote n'auront été installés. Un effort tout particulier a été fait pour qu'ils soient situés à proximité des lieux de travail et qu'ils aient des horaires d'ouverture adaptés : pour la première fois des bureaux de vote ont été installés dans des lieux privés, notamment dans les halls des tours du quartier de La Défense. Dans la seule ville de Strasbourg, le nombre des bureaux de vote est passé de un à près de soixante... Ainsi, allons au-devant des salariés et des employeurs pour qu'ils puissent voter.
En outre, nous avons considérablement facilité les modalités du vote par correspondance. Enfin, nous avons lancé, par la voie de la presse écrite audiovisuelle, une grande campagne d'information et de communication qui se déroule actuellement et dont l'objet est de favoriser la participation à ces élections.
Bien entendu, toute une série de difficultés sont apparues dans la mise en oeuvre de ces dispositions : par exemple, il a fallu en même temps réorganiser la distribution des bureaux de vote et envoyer dans les délais prescrits les cartes d'électeur, lesquelles doivent elles-mêmes porter mention du bureau où l'électeur votera.
Je voudrais aujourd'hui, à l'occasion de cette séance du Sénat, renouveller mon message, à l'adresse de tous les salariés et de tous les employeurs : il faut aller voter, il faut se mobiliser, car ce scrutin est d'une grande importance non seulement, bien sûr, pour les relations du travail, mais également, de manière indirecte, pour le monde syndical de notre pays et, par conséquent, pour le dialogue social, que le Gouvernement appelle de ses voeux.
Je vous remercie donc, monsieur le sénateur, de m'avoir donné l'occasion de lancer de nouveau cet appel.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'exprimerai tout d'abord, au nom du groupe socialiste, mon regret que l'organisation de la discussion budgétaire nous limite à deux questions de cinq minutes sur un sujet aussi important que l'emploi et le chômage.
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Gilbert Chabroux. C'est ainsi !
Pourtant, ce sujet, nous le savons bien, constitue la première préoccupation des Français, et les questions sont nombreuses.
Devant donc être bref, j'évoquerai l'aggravation du chômage au cours de l'année écoulée et sa conséquence, la dégradation inquiétante de la situation financière de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC. Le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, M. Louis Souvet, a lui-même exprimé son inquiétude, et je partage son analyse.
Vous avez apporté quelques éléments de réponse, monsieur le ministre, mais ils ne nous semblent pas suffisants.
A la fin du mois de septembre 2002, le nombre de demandeurs d'emploi des catégories 1 et 6 s'élevait à 2 678 200. A la fin du mois d'octobre 2002 - vous venez de nous en indiquer les chiffres -, la situation est à peu près stable, avec une légère diminution du chômage. Cependant, en une année, l'augmentation est de 5,4 %.
Il faut d'ailleurs remarquer que le nombre de radiations administratives, notamment celles qui sont liées au PARE, s'est dans le même temps fortement accru, connaissant une progression de 72,8 %, de même que les entrées en stage, qui augmentent de 25 %. Bref, la situation de l'emploi s'est fortement dégradée.
Au cours des cinq années précédentes, 2 millions de créations nettes d'emplois ont été enregistrées grâce à une politique de soutien à la croissance, avec notamment le dispositif d'aménagement et de réduction du temps de travail, l'ARTT, qui a apporté 300 000 emplois... et des mesures telles que les emplois-jeunes. De juin 2001 à juin 2002, l'emploi salarié s'est encore accru de 183 400 postes. (Protestations sur les travées du RPR.)
Les différents organismes d'études constatent aujourd'hui un fort ralentissement : presque plus aucun emploi n'est créé, ainsi que le relève d'ailleurs le rapporteur pour avis, M. Louis Souvet.
L'emploi intérimaire, qui sert souvent d'amortisseur, est lui aussi en repli ; il a perdu environ 80 000 postes en un an. Le chômage des jeunes continue de progresser, en augmentation de 0,9 %, comme le chômage des femmes, en hausse de 1,5 %.
L'enquête trimestrielle d'activité de l'INSEE livrée le 6 novembre dernier indique des commandes en repli, des capacités de production sous-utilisées, des stocks importants et des perspectives d'emploi décevantes.
Dans son édition du 18 novembre dernier, le journal Les Echos - qui n'est pas défavorable au Gouvernement ! - dresse un bilan plutôt pessimiste de la situation : « Pour l'avenir, l'incertitude prévaut », ajoutant : « Selon notre baromètre, les chefs d'entreprise ne sauteront pas sur les contrats jeunes mis en place par le Gouvernement ; 74 % disent que cette mesure ne les incitera pas à embaucher. »
M. Paul Blanc. Pourquoi ?
M. Gilbert Chabroux. Le journal Les Echos fait-il partie des oiseaux de mauvais augure, monsieur le ministre ?
M. François Fillon, ministre. Cela arrive !
M. Gilbert Chabroux. Partagez-vous cette analyse ? Comment voyez-vous l'avenir des contrats jeunes ?
Plus largement, la situation de l'emploi et l'aggravation du chômage soulèvent deux questions : celle des comptes de l'UNEDIC, d'une part, et celle de la pertinence de la politique gouvernementale de l'emploi, d'autre part.
Le régime d'assurance chômage terminera l'année 2002 avec un déficit de 3,7 milliards d'euros, et l'année 2003 ne s'annonce pas meilleure. D'ores et déjà, l'UNEDIC a dû se résoudre à recourir à l'emprunt, pour un montant de 2,9 milliards d'euros, afin de faire face à ses échéances et de rétablir sa trésorerie. Dans ces conditions, on ignore comment elle pourra rembourser à l'Etat l'emprunt qui lui avait été consenti en 1993 ! Quel est le point de vue du Gouvernement ?
Nous savons bien que c'est le dialogue social qui doit prévaloir - c'est ce que vous avez dit -, mais l'Etat ne peut être indifférent aux mesures qui seront éventuellement prises, sachant qu'il pourrait s'agir de la révision à la baisse des règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi ou de l'augmentation du taux des cotisations d'assurance chômage.
Ces risques semblent d'autant plus grands qu'une importante série de plans sociaux d'envergure est annoncée. D'ici à la fin de l'année, ce sont des milliers d'emplois qui seront supprimés, sans compter la sous-traitance, qui sera également directement touchée.
Comment le Gouvernement voit-il l'évolution de la situation de l'emploi, celle du chômage et celle de l'assurance chômage ? Quelles mesures nouvelles envisagez-vous de prendre, monsieur le ministre, pour contrecarrer l'évolution prévisible, qui est particulièrement inquiétante ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Les chiffres sont les chiffres, monsieur Chabroux,...
M. Gilbert Chabroux. Je les ai cités aussi !
M. François Fillon, ministre. ... et il est toujours difficile de voir les chiffres ne plus correspondre aux propos que l'on tient !
M. Gilbert Chabroux. Les chiffres sont objectifs !
M. François Fillon, ministre. On est alors obligé de faire de l'équilibrisme pour pouvoir continuer à dérouler un discours qui, de notre point de vue, ne correspond pas à la réalité et avec lequel nous avons souhaité rompre.
Nous voulons que notre pays soit en état de recueillir le moindre souffle de croissance pour créer des emplois et, si la croissance venait à se raffermir et à se renforcer, pouvoir enfin réaliser des performances en matière économique et en matière d'emploi qui soient comparables à celles des meilleurs de la classe européenne.
Aujourd'hui nous figurons parmi les mauvais élèves, malgré les artifices - car c'étaient bien des artifices ! - qui ont été employés par le Gouvernement précédent en matière de réduction du temps de travail et en matière d'emplois aidés. Car ces derniers ont un coût pour l'économie française et pour sa compétitivité ! Bien des signes apparaissent inquiétants pour l'avenir, pour la place de la France dans l'évolution des grandes sociétés industrielles, pour l'attractivité du territoire français pour les investissements non seulement étrangers, mais même français.
Je voudrais, monsieur Chabroux, attirer votre attention sur le fait que les cent premières entreprises françaises ont réalisé en France, l'année dernière, moins de 15 % du total de leurs investissements. Et je ne parle là que de groupes français, de groupes qui ont leur siège social dans notre pays !
Nous devons être capables de trouver des réponses à cette situation extrêmement grave, sous peine de voir notre pays se désindustrialiser progressivement, reculer en termes de richesse par habitant, en termes de taux d'emploi, alors que nous sommes déjà à un rang qui ne correspond pas à ce que nous représentons, à notre potentiel, à nos capacités. Tout cela finira par peser gravement sur notre modèle social, que nous souhaitons pourtant conserver et renforcer.
S'agissant de l'UNEDIC, monsieur Chabroux, je sais bien que vous allez être extrêmement déçu de la réponse que je vais vous faire. Pourtant, quel ministre de l'emploi, quel ministre chargé du travail pourrait vous en faire une autre ? Des négociations se déroulent actuellement entre les partenaires sociaux.
M. Christian Demuynck. Et voilà ! M. François Fillon, ministre. Comment voulez-vous qu'aujourd'hui le Gouvernement indique à l'avance aux partenaires sociaux - mais peut-être était-ce là la conception que vous aviez du dialogue social ! - dans quelle direction ils doivent aller, sur quels points l'Etat veut les voir avancer ? Si nous le faisions, les partenaires sociaux seraient en droit de nous remettre la décision entre les mains. Nous ne le ferons pas, et j'attendrai qu'ils présentent leurs propositions pour faire mes commentaires.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Les chiffres sont les chiffres, et ceux que j'ai cités sont parfaitement objectifs.
M. Jean Chérioux. Mais les commentaires ne le sont pas !
M. Gilbert Chabroux. La situation de l'emploi s'aggrave, et nous en sommes tous conscients. Vous-même, monsieur le ministre, soulignez que l'avenir est incertain, même si vous voulez relativiser « les catastrophes annoncées par ceux qui y ont intérêt », selon vos propres termes. Une avalanche de plans sociaux va se produire ; la situation ne va cesser de se dégrader.
Pour ma part, je m'interroge sur l'adéquation de la politique suivie depuis six mois par le Gouvernement et sur sa capacité à contrecarrer cette évolution.
La suppression, effective ou programmée, des emplois-jeunes ; la fin du programme TRACE du fait de la suppresssion de la bourse d'accès à l'emploi ; la limitation du nombre de contrats emploi-solidarité, les CES, de contrats emplois consolidés, les CEC, de contrats initiative-emploi, les CIE, l'augmentation des heures supplémentaires, au détriment de l'emploi, liée à la modification de la loi sur les 35 heures ; la baisse des crédits d'insertion par l'économique ; l'abrogation prochaine des articles de la loi de modernisation sociale relatifs aux licenciements et aux plans sociaux : tout cela constitue un ensemble de mesures qui va manifestement à l'encontre de l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi et, surtout, des personnes en difficulté.
La seule politique que vous sachiez mener en matière d'emploi consiste en une nouvelle augmentation des allégements de cotisations sociales patronales.
M. Paul Blanc. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. La réorientation vers le secteur marchand est donc exclusive. Dans un contexte de croissance atone, cela pourrait avoir pour conséquence, après plusieurs années de propagande sécuritaire qui ont marqué les esprits, que l'emploi revienne au premier plan. Il n'a d'ailleurs jamais cessé, dans tous les sondages publiés, d'être la première préoccupation exprimée par les Francais, et nous souhaiterions, monsieur le ministre, que vous en soyez pleinement conscient. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Paul Blanc. Baisse de 0,1 %, voilà le chiffre de ce matin ! M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Dans le contexte économique et social que nous connaissons, marqué par la dégradation de la situation de l'emploi et par des annonces en cascade de plans sociaux, vous nous présentez, monsieur le ministre, un projet de budget en baisse d'environ 290 millions d'euros, et la majorité sénatoriale, pour faire bonne mesure, propose de supprimer 5 millions d'euros supplémentaires.
C'est sur le titre IV, qui regroupe l'essentiel des crédits de votre ministère, que les mouvements sont les plus importants. La disparition des emplois-jeunes est programmée, de même que celle des deux tiers des CES. Le financement du dispositif TRACE et des entreprises d'insertion est lui aussi largement amputé. La seule ouverture significative de crédits concerne les contrats jeunes en entreprises.
Votre politique de l'emploi, tournée vers le seul secteur marchand, est axée sur l'abaissement du coût du travail.
Pour prendre la mesure du coût global de la politique de l'emploi, il convient toutefois d'évoquer les montants colossaux qui sont consacrés aux allégements de cotisations sociales patronales. Le rapport spécial de la commission des finances confirme nos craintes. En 2003, « le coût des allégements de charges financés par le FOREC s'élèvera à 16,56 milliards d'euros, soit un montant pour la première fois supérieur à celui prévu pour le budget du travail : 15,72 milliards d'euros ».
La politique d'exonérations générales sur les bas salaires apparaît comme la seule ambition du Gouvernement.
Non seulement vous ne vous dotez pas des bonnes armes pour mener le combat pour l'emploi, mais, de surcroît, vous négligez l'amélioration des conditions de travail, la préservation de la sécurité et de la santé des salariés.
Pourtant, après le scandale de l'amiante, après la catastrophe d'AZF à Toulouse, qui constitue le plus grave accident du travail de ces dernières décennies, la question de la prévention et de l'évaluation des risques dans les entreprises est devenue incontournable.
Les logiques de l'emploi et de la prévention ne sont pas inconciliables. Il convient par conséquent, d'une part, de faire avancer le concept d'évaluation des risques dans l'entreprise et hors de l'entreprise et, d'autre part, de responsabiliser chacun des acteurs de la prévention, parmi lesquels figurent, au premier rang, les chefs d'entreprise, mais aussi l'inspection du travail, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, la médecine du travail, les salariés et leurs représentants, par le biais des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, ainsi que les services des caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM.
Je ne pense pas, monsieur le ministre, que vous ayez réellement la volonté de remplir en ce domaine votre devoir d'extrême vigilance. L'attentisme des pouvoirs publics concernant les éthers de glycol, par exemple, dont la nocivité est admise par tous, est dangereux. Vous avez certes annoncé la semaine dernière la présentation prochaine d'un projet de loi relatif à la prévention des risques industriels, vous entendez renforcer le rôle des entreprises et celui des CHSCT - les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, mais votre budget ne contient aucun signe incitatif en ce sens.
Au contraire, les crédits du fonds pour l'amélioration des conditions de travail, le FACT, géré par le ministère, enregistrent une baisse. Dans ces conditions, comment vouloir que cet outil participe à la dynamisation de la démarche de prévention au sein des entreprises ? Les crédits servant à financer les projets structurants de modernisation du système de prévention des risques professionnels diminuent, eux aussi, de 4,36 %.
Quant à l'évaluation a priori des risques, le code du travail contient cette obligation, qui découle de la directive européenne du 12 juin 1989. Douze ans plus tard, un décret du 5 novembre 2001 a fait obligation aux employeurs de formaliser dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques, à la suite de quoi, enfin, les débats ont été ouverts dans les entreprises.
Mais, par les orientations données aux inspecteurs et aux contrôleurs du travail chargés de contrôler et de faire appliquer les lois et réglementations protectrices de salariés, vous avez, monsieur le ministre, en quelque sorte sapé la dynamique de la démarche de prévention.
Non seulement ce corps de contrôle n'est pas assez important - seules 1 200 personnes doivent veiller aux conditions de travail de 15 millions à 16 millions de salariés -, mais, en outre, alors que 1 % seulement des infractions constatées en matière de santé et de sécurité du travail sont relevées, par une circulaire du mois de juin 2002, la direction des relations du travail a demandé à ses inspecteurs de se montrer « compréhensifs » à l'égard des employeurs !
Monsieur le ministre, la santé, la vie des salariés méritent au contraire une action déterminée et inflexible des pouvoirs publics. Quels moyens comptez-vous y consacrer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Monsieur le sénateur, depuis un an, les entreprises sont tenues d'établir un document unique d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Il s'agit certes d'une contrainte administrative supplémentaire, mais dont l'objectif est que chaque entreprise entreprenne une démarche d'évaluation régulière des risques et en déduise les mesures préventives à prendre. C'est dans cet esprit que je veux considérer ce document. L'analyse du risque est en effet la première étape pour celui-ci, voire, si c'est possible, pour l'éliminer.
Ce sujet de la prévention des risques nécessite une implication de tous les acteurs, et le Gouvernement y est particulièrement attaché. C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué qu'il n'était pas souhaitable de repousser la mise en oeuvre des sanctions pénales.
Cette obligation est prévue par une directive de 1989 sur la santé et la sécurité au travail. Par ailleurs, certaines sanctions pénales prévues par le décret du 7 novembre 2001 peuvent être appliquées à compter du 8 décembre 2002. Le Gouvernement a décidé de ne pas modifier ce décret, qui correspond à une obligation ancienne et utile dans son principe.
Je vais cependant donner aux inspecteurs du travail un certain nombre d'indications sur la manière dont le Gouvernement comprend cette démarche d'évaluation. En effet, il s'agit pour moi moins d'une formalité bureaucratique que d'une véritable réflexion préventive, et sa portée ne peut manquer d'être en rapport avec la nature des risques encourus et la taille de l'établissement en cause.
La mission de contrôle et, le cas échéant, de sanction ne saurait donc être exercée sans discernement et sans un accompagnement préalable des entreprises, dans une démarche partagée de prévention.
Pour les petites et moyennes entreprises, en particulier, le recours à des modèles simples est envisageable, mais il doit reposer sur une réelle démarche d'évaluation et de prévention des risques. Différentes organisations patronales, tant au niveau interprofessionnel qu'au niveau des branches, ont réalisé et diffusé à l'ensemble de leurs adhérents des brochures d'explication, voire des modèles. Plus d'une centaine de ces démarches sont en cours. Ces actions très positives, et que nous encourageons, ne doivent pas exonérer chaque entreprise d'une réflexion plus en profondeur sur les risques encourus.
S'agissant des moyens mis en oeuvre, l'évaluation des risques au sein des entreprises implique, vous le savez, outre le chef d'entreprise, l'ensemble des acteurs chargés de la sécurité au travail, plus particulièrement les médecins du travail, en leur qualité de conseillers du chef d'entreprise, mais aussi les comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, comme j'ai eu l'occasion de le souligner la semaine dernière lors d'un colloque organisé sur ce thème par le Conseil économique et social.
Cela suppose une approche pluridisciplinaire des questions de sécurité au travail impliquant l'ensemble des acteurs.
Je souligne, à cet égard, qu'un projet de décret est en cours de préparation ; il vise précisément à organiser cette approche pluridisciplinaire, les partenaires ayant été consultés sur ce projet dans le cadre du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels.
Bien entendu, ce projet respectera le principe même de l'indépendance du médecin du travail, indépendance qui sera renforcée dans le cadre des décrets pris en application de la loi du 17 janvier 2002.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, il est indispensable que le débat sur les risques professionnels ne soit pas seulement nourri par des affirmations politiques, même généreuses, en l'absence des moyens humains et financiers nécessaires et d'une réelle volonté.
Vous avez évoqué l'inspection du travail. Il faut bien dire que l'inspection du travail n'a jamais fait preuve d'une répression extrême à l'égard des employeurs. Cela découle des instructions qu'elle a reçues en permanence et qui ne datent pas d'aujourd'hui.
Et la situation ne s'arrange pas avec les orientations de votre ministère ! J'ai cité tout à l'heure la circulaire de juin 2002. En privilégiant, là aussi, le partenariat avec les entreprises, dont on nous abreuve dans les discours, vous abandonnez le nécessaire contrôle rigoureux de celles-ci.
Vous savez, par ailleurs, que peu d'entreprises disposent de CHSCT, d'organisations syndicales.
Quant à la médecine du travail, elle exerce sa fonction dans le cadre d'un lien de subordination, soit direct avec l'employeur, soit indirect lorsqu'il s'agit de services interentreprises.
Je crois vraiment qu'en n'abordant pas avec suffisamment de détermination cette question de l'évaluation des risques dans les entreprises, c'est vous-même qui prenez des risques énormes.
L'évaluation est faite par les employeurs, et c'est en fonction d'elle que la réglementation s'applique ou non. Il y a bien là un problème !
Si l'on fait le bilan, on ne peut que constater une multiplicité d'acteurs - vous en avez parlé - une dispersion des moyens, une inefficacité certaine et un résultat désastreux quant à la surmortalité ouvrière.
Les chiffres de l'INSEE montrent qu'un ouvrier sur cinq meurt entre vingt-cinq et cinquante-quatre ans. C'est un chiffre terrible, qui devrait interpeller les pouvoirs publics, mais qui continue à être soigneusement ignoré.
La prévention des risques doit devenir réellement une politique publique ; c'est le souhait que nous émettons.
Jusqu'à ce jour, le Gouvernement n'a absolument pas laissé penser que telle était sa volonté ; c'est extrêmement préoccupant.
Vous venez de nous indiquer qu'un certain nombre de décrets allaient paraître ; nous les examinerons avec la plus grande attention, en espérant qu'ils contiennent des éléments de réponse à ce grave problème que posent les centaines de milliers de salariés qui risquent leur vie au travail.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le ministre, vous connaissez mon engagement auprès des personnes handicapées. Ma question, qui concerne leur insertion dans le monde du travail, ne vous étonnera donc certainement pas.
La politique en faveur de l'emploi des personnes handicapées repose sur trois dispositifs complémentaires.
Le premier est l'obligation d'emploi, dont le bilan est plutôt mitigé. En effet, dans le secteur privé, les situations sont très constrastées d'une entreprise à l'autre. Quant au secteur public, qui fait figure de mauvais élève, si je puis dire, la situation devrait s'améliorer avec le renforcement des moyens du fonds d'insertion des travailleurs handicapés.
Le deuxième est constitué des financements de l'association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, dont les aides sont précieuses mais dont les réserves diminuent, et qui ne prennent pas en compte la nécessité d'accompagnement social des travailleurs handicapés. Vous avez d'ailleurs tout à l'heure insisté, évoquant les CES, sur cette nécessité d'accompagnement social de ceux qui sont dans les plus grandes difficultés.
Le troisième dispositif est celui de l'emploi en milieu protégé, qui est essentiel pour permettre aux travailleurs plus lourdement handicapés d'avoir une activité professionnelle.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a fait de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés une de ses priorités. A ce titre, les moyens consacrés sont renforcés puisque vous parlez de la création de 3 000 places en centres d'aide pour le travail, les CAT, et de 500 en ateliers protégés.
Nous ne pouvons que nous féliciter de ces orientations, qui traduisent d'ailleurs la volonté exprimée par le Président de la République, le 14 juillet 2002.
Pour autant, l'effort est à poursuivre, notamment pour l'insertion professionnelle en milieu ordinaire.
En effet, l'emploi des travailleurs handicapés reste insuffisant : le nombre de demandeurs d'emploi handicapés est ainsi passé le 135 000 en 2000 à 142 821 en 2001, ce qui représente 5,8 % du total des demandeurs d'emploi. Or les travailleurs handicapés constituent l'une des catégories les plus vulnérables sur le marché de l'emploi.
La dégradation de la conjoncture en 2002 et les incertitudes concernant la croissance en 2003 - même si les chiffres cités ce matin montrent une légère diminution des demandeurs d'emploi - laissent craindre une détérioration plus que proportionnelle de la situation de l'emploi des personnes handicapées, notamment des plus jeunes.
Or on constate depuis quelques années une tendance à la baisse des aides à l'emploi en faveur des personnes handicapées.
Ainsi, les contrats aidés en faveur des personnes handicapées - CES, CEC et CIE - sont devenus moins nombreux et sont désormais moins attractifs pour les employeurs, notamment le CIE, dont la prime a été baissée. Pourtant, ces contrats constituent un moyen d'accès privilégié à l'emploi des personnes handicapées.
En 2001, ils représentaient 55 % des contrats conclus après l'intervention du réseau « Cap emploi », alors qu'ils en représentaient encore 67 % en 1999. Cette diminution de la proportion des contrats aidés tient à la diminution des contrats aidés en général financés par l'Etat, lequel a souhaité, fort légitimement d'ailleurs, un recentrage vers les publics les plus éloignés de l'emploi.
De même, les primes à l'insertion des personnes handicapées, versées par l'AGEFIPH, ont été révisées à la baisse en 2001 alors qu'elles contribuent fortement à l'insertion professionnelle.
Si ces révisions à la baisse pouvaient, à la limite, se justifier au moment où le chômage diminuait fortement, elles ne sont plus d'actualité quand celui-ci augmente, même si, je l'ai dit tout à l'heure, on annonce aujourd'hui de meilleurs chiffres. En effet, une augmentation du chômage touche au premier chef les travailleurs handicapés, qui sont souvent en bout de la « file d'attente » des demandeurs d'emploi.
Les employeurs considèrent d'ailleurs que ces aides à l'emploi peuvent constituer une bonne méthode pour favoriser l'embauche des personnes handicapées.
J'ai pris l'initiative, en juillet dernier, de déposer un amendement afin de rendre plus favorables encore les contrats jeunes en entreprises pour les jeunes handicapés, qui me semblaient être parmi les publics qui en avaient le plus besoin.
J'ai aussi souhaité améliorer en faveur des personnes handicapées le dispositif d'allégement des charges sur les bas salaires que nous avons voté en octobre.
Je connais le contexte budgétaire dans lequel le pays se trouve, mais j'aimerais cependant que vous puissiez nous exposer, monsieur le ministre, quelles sont les pistes sur lesquelles vous travaillez pour continuer à favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées, qui doit demeurer prioritaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Tout le monde connaît l'engagement personnel - et d'une grande efficacité - de M. Paul Blanc en ce domaine, et je tiens à lui répondre le plus précisément possible.
Le taux d'emploi direct des travailleurs handicapés dans les entreprises du secteur privé et du secteur public industriel et commercial est de 4,1 % en 2000 - c'est le dernier chiffre à notre disposition -, ce qui correspond à 219 000 personnes employées. L'objectif de 6 % prévu par la loi de 1987 n'est donc pas atteint. Le taux d'emploi stagne autour de 4 %. En 2000, 36,7 % des entreprises assujetties, c'est-à-dire les entreprises qui emploient plus de vingt salariés, n'employaient aucun travailleur handicapé.
Le Gouvernement ne peut évidemment pas se satisfaire de cette situation. L'insertion professionnelle est un facteur décisif d'insertion sociale des personnes handicapées et celle-ci doit être recherchée en priorité dans le milieu ordinaire de travail.
Pour l'entreprise, employer un travailleur handicapé n'empêche nullement de bénéficier de compétences adaptées à ses besoins.
Il faut que les mentalités changent en la matière. Afin d'inciter à l'embauche des travailleurs handicapés, une loi de janvier 2002 a complété les textes sur l'obligation d'emploi avec la prise en compte des titulaires de contrats d'insertion en alternance dans les bénéficiaires de l'obligation d'emploi, avec la possibilité de s'acquitter partiellement de cette obligation en accueillant des personnes handicapées en stage au titre de la formation professionnelle et, afin d'inciter les partenaires sociaux à se mobiliser pour l'emploi direct dans l'entreprise, avec l'insertion obligatoire d'un plan d'embauche dans les accords de branche, d'entreprise ou d'établissement conclus dans le cadre de l'obligation d'emploi.
La convention d'objectifs 1999-2003 conclue entre l'AGEFIPH et l'Etat permet de faire converger les moyens du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées, d'une part, et ceux du service public de l'emploi, d'autre part, au profit d'emplois prioritaires visant l'embauche et le maintien de travailleurs handicapés dans l'entreprise.
Ainsi, l'AGEFIPH a prévu de consacrer, en 2002, 411 millions d'euros aux mesures d'aide aux travailleurs handicapés, dont 17 millions d'euros au conseil, au diagnostic et à la formation dans les entreprises, 33 millions d'euros à l'aménagement des postes de travail, 73 millions d'euros aux primes aux employeurs et aux travailleurs handicapés et 25 millions d'euros à la création d'activités.
Par ailleurs, les travailleurs handicapés font partie des publics prioritaires de la politique de l'emploi, pour lesquels le ciblage des mesures a été renforcé. Leur part dans les CIE, par exemple, était de 19 % en 2001 alors qu'elle ne représentait que 8 % en 1996. Les 119 structures Cap emploi, maintenant solidement constituées en réseau au service de l'emploi des travailleurs handicapés, ont réalisé, en 2001, 42 258 placements, dont 45 % en CDI et 72 % par contrat de plus de douze mois.
L'année qui vient sera donc, monsieur le sénateur, celle du renouvellement de la convention entre l'Etat et l'AGEFIPH. Sur la base notamment des derniers rapports de l'IGAS - l'inspection générale des affaires sociales - et de la Cour des comptes, et au vu de la situation présente de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, cette nouvelle convention sera l'occasion de s'interroger sur les relations et les engagements réciproques entre cet organisme et l'Etat, sur la complémentarité nécessaire des mesures de droit commun et des mesures spécifiques, sur l'extension du périmètre d'intervention de l'AGEFIPH, - fonction publique, milieu de travail protégé - et sur de possibles évolutions statutaires ou législatives, notamment dans le cadre de la révision de la loi d'orientation de 1975.
A cette occasion seront pris en compte celles des soixante-quinze propositions contenues dans le rapport de M. Blanc pour une politique de compensation du handicap portant sur les domaines du travail en milieu ordinaire et en milieu protégé, six d'entre elles, notamment, citant expressément les évolutions attendues de l'AGEFIPH.
Il n'est pas acceptable, monsieur le sénateur, comme vous l'avez dit, qu'un tiers des entreprises, dans le champ de la loi de 1987, n'ait jamais embauché un travailleur handicapé. Il faut que nous fassions tomber les obstacles psychologiques et l'assimilation erronée du handicap à l'incompétence ; c'est le grand chantier que le Président de la République a lancé et qui va donner lieu à la discussion d'une grande loi en 2003.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le ministre, je pense que la renégociation des conventions avec l'AGEFIPH permettra de prendre en compte l'accompagnement social qui doit obligatoirement être prévu dans le cadre du fonctionnement handicap-emploi. En tout cas, je suis à votre entière disposition pour discuter avec vous de ces problèmes.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question portera sur la considérable diminution des actions en faveur des publics prioritaires.
Le financement global de ces actions est en baisse de 33 %. Les crédits des contrats emploi-solidarité perdent 72,5 % de leur montant : du jamais vu, sauf lorsqu'un gouvernement entend supprimer une mesure. Les crédits des contrats emploi consolidés sont en baisse de 4 % et les contrats initiative emploi, pourtant destinés au secteur privé, qui a toutes vos faveurs, monsieur le ministre, diminuent de 38 %.
Quant aux crédits de l'insertion par l'économique, ils baissent de 11 %, comme la dotation affectée au RMI. Les dotations pour les stages d'insertion et de formation, les SIFE, sont en baisse de 20 millions d'euros.
Les mesures en faveur des jeunes connaissent le même sort, avec l'extinction des emplois-jeunes, dont la dotation baisse de 450 millions d'euros, et la suppression de la bourse d'accès à l'emploi, qui garantissait aux jeunes la possibilité de rester dans le programme TRACE jusqu'à leur insertion. Vous économisez ainsi sur ces jeunes en difficulté 50 millions d'euros, tout en prétendant qu'un même nombre d'entre eux sera accueilli dans le programme.
Même si vous utilisez la totalité des reports comme vous voulez le faire, on voit mal comment vous parviendrez à maintenir en état de marche ces dispositifs. Nous assistons à un véritable carnage budgétaire, qui risque d'aboutir à de graves difficultés sociales.
En revanche, les dotations pour les allégements de cotisations sociales patronales connaissent une croissance exponentielle de près de 18 milliards d'euros, sans qu'aucune contrepartie soit esquissée pour les salariés. Bien au contraire, vous êtes en train de faire voter une loi visant à stopper le processus de réduction du temps de travail.
Tout cela est le reflet d'un choix politique, voire idéologique, mais la question se pose de savoir s'il s'agit bien d'un choix mûrement réfléchi en matière économique et sociale.
Or la croissance est aujourd'hui en capilotade à peu près partout dans le monde. L'environnement économique est donc défavorable, ce qui ne peut manquer d'avoir de fâcheuses répercussions sur l'emploi.
Bien entendu, nous le constatons dès à présent dans nos permanences, ce sont les personnes les moins qualifiées, les plus fragilisées, tant professionnellement que personnellement, qui font les premières les frais de cette situation.
C'est curieusement ce moment que le Gouvernement a choisi pour diminuer dans des proportions jusqu'alors inconnues tous les dispositifs en direction de ces personnes. Que vont-elles devenir ?
Espérez-vous vraiment que le secteur privé va, à lui seul, absorber non seulement l'ensemble des demandeurs d'emploi immédiatement employables mais aussi tous ceux qui sont en difficulté ? Pensez-vous que tous les jeunes qui passaient depuis 1997 par le sas de l'emploi-jeune vont, demain, trouver un emploi en entreprise ?
Nombre d'élus de la majorité éprouvent aussi de l'inquiétude à cet égard, à commencer par M. Jacques Barrot, président du groupe à l'Assemblée nationale, qui a tiré la sonnette d'alarme dès l'annonce des coupes sur le budget des CES. M. Barrot connaît, comme tout un chacun ici, l'angoisse de l'élu local dont la permanence se remplit de salariés victimes de plans sociaux et de personnes qui attendent un contrat aidé que l'on ne peut pas financer.
Le Gouvernement a donc été amené à reculer, tout au moins verbalement, et à annoncer que 20 000 CES seraient créés chaque mois. Voilà qui paraît difficilement réalisable puisque vous ne changez pas votre prévision budgétaire ! Sans doute des ajustements au fil de l'eau seront-ils effectués.
Ce n'est pas jouer les Cassandre que rappeler le nombre impressionnant de plans sociaux en préparation : une cellule de crise a même été mise en place pour y faire face. Des conséquences sur des bassins d'emploi tout entiers, par l'effet de la sous-traitance, sont prévisibles.
Les chefs d'entreprise, selon toutes les enquêtes disponibles, ne manifestent aucune intention d'investir ; ce peut être compréhensible, mais c'est surtout préoccupant ! Ainsi que cela a déjà été rappelé, 74 % des chefs d'entreprise interrogés par le journal Les Echos ont d'ailleurs indiqué qu'ils ne comptaient pas utiliser vos contrats jeunes.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, si, dans ce contexte économique défavorable, vous espérez réellement endiguer la montée du chômage en vous en remettant presque exclusivement au secteur marchand.
Ne craignez-vous pas de mener ainsi, en matière d'emploi, une politique dont les primo-demandeurs d'emploi et les moins favorisés seront les victimes et, accessoirement, face à laquelle les élus locaux se trouveront en première ligne ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Madame le sénateur, vous considérez que la lutte contre le chômage passe par la création d'emplois aidés dans le secteur public. Nous pensons le contraire.
Vous et vos amis devriez d'ailleurs être plus modestes dans vos affirmations sur ce sujet compte tenu de l'échec de la politique que vous avez conduite.
M. Paul Blanc. Exactement !
M. François Fillon, ministre. Vous annoncez, parfois même avec un peu de gourmandise, des avalanches de plans sociaux. Nous verrons si se produiront demain de telles avalanches ! Aujourd'hui, ce que je constate, c'est que nombre de ces plans sont le résultat de la politique que vous avez conduite.
M. Christian Demuynck. Voilà la réalité !
M. François Fillon, ministre. Ces entreprises délocalisent, en effet, leurs activités dans des pays voisins parce qu'elles estiment que, aujourd'hui, la France ne remplit pas suffisamment les conditions propres à la rendre compétitives. Et cela concerne de très grandes entreprises, auxquelles nous sommes très attachés : je pense notamment à nos constructeurs automobiles, qui délocalisent très largement leurs activités, notamment vers des pays d'Europe de l'Est où les conditions faites à l'entreprise sont très différentes de celles que vous avez mises en oeuvre.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. François Fillon, ministre. Votre réquisitoire contre la politique de l'emploi du Gouvernement est, en réalité, la constatation d'un changement de support : nous donnons la priorité à l'emploi marchand et à l'assouplissement des règles qui, aujourd'hui, contraignent de manière excessive les entreprises, et nous en tirons toutes les conséquences dans le cadre de ce budget.
Vous me permettrez, s'agissant des CES, de vous confirmer simplement que nous sommes engagés sur un rythme de création moyen d'environ 20 000 contrats par mois. Avec les 80 000 CES prévus dans le projet de loi de finances et les 80 000 autres qui résultent des crédits reportés de 2002 sur 2003, nous disposons déjà d'un socle de 160 000 contrats possibles. Comme nous sommes pragmatiques, comme nous ne faisons pas de la création d'emplois dans le secteur public l'outil essentiel de la lutte contre le chômage, nous adapterons ce dispositif, à la hausse ou à la baisse, en fonction de la réalité de la situation de l'emploi qui, pour le moment, ne semble pas souffrir des catastrophes que vous continuez d'évoquer inlassablement, sans tenir compte de la réalité de l'économie. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le ministre, vos réponses ne me satisfont pas. Le Gouvernement a fait le choix d'une société libérale très dure, en mettant en place des mesures qui fabriqueront des exclus en grand nombre.
Qu'en est-il du discours du Premier ministre se disant à l'écoute des gens d'en bas ?
M. Jean Chérioux. Il les écoute !
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Votre projet de budget, monsieur le ministre, se caractérise notamment par la réorientation des crédits en faveur des emplois aidés vers le secteur marchand et par le rééquilibrage réalisé entre les dispositifs d'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi.
Vous opérez, en particulier, un recentrage des dispositifs des contrats emploi-solidarité et des contrats emploi consolidé vers les publics les plus en difficulté.
Je considère que cette orientation est souhaitable. En effet, ces aides ont un coût budgétaire élevé - plus de un milliard d'euros dans le projet de loi initial pour 2002 - alors que les résultats en matière d'insertion sont, pour le moment, encore faibles : seule une personne sur cinq bénéficiaire d'un CES trouve un emploi non aidé par la suite.
Toutefois, la baisse des crédits consacrés aux CES et aux CEC dans le projet de loi de finances pour 2003 a suscité une certaine inquiétude au moment de la présentation de votre budget.
En effet, si ces contrats ne sont pas totalement satisfaisants du point de vue des résultats en matière d'insertion professionnelle, ils permettent cependant à certaines des personnes les plus en difficulté de rester en contact avec le monde du travail, avec ses droits mais aussi ses devoirs.
Il faut également noter que la baisse des crédits n'est pas si massive qu'il y paraît puisqu'il faut prendre en compte le report de crédits de 2002 sur 2003.
Vous avez donc annoncé, monsieur le ministre, un certain nombre de mesures qui revoient à la hausse le nombre de contrats prévus ainsi que le taux de prise en charge financière par l'Etat. Cette annonce est, bien sûr, de nature à rassurer les personnes concernées et les professionnels de l'insertion. Toutefois, certaines questions demeurent en suspens.
Ainsi, selon quels critères le taux majoré jusqu'à 95 % sera-t-il accordé pour la prise en charge financière des contrats ?
Dans quel cadre les entreprises d'insertion qui gèrent ces contrats pourront-elles demander que les personnes dont elle s'occupent en bénéficient ?
Sur la totalité des CES, quelle part bénéficiera, selon vous, du maintien des taux majorés, et pour quel coût ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement, comme je viens de le dire, entend maintenir un volume suffisant de CES, avec un rythme de création moyen d'environ 20 000 contrats par mois. A ce stade, nous disposons de crédits pour 160 000 CES en 2003 dont 80 000 seront financés sur des crédits reportés de 2002 sur 2003. Ce chiffre constitue un plancher, qui pourra être revu à la hausse en cours d'année, comme cela a toujours été le cas depuis la création des CES, si les besoins des publics concernés le justifient.
Nous savons cependant que subventionner sur fonds publics des emplois à hauteur de 95 % ne constitue une solution ni pour réduire le chômage ni pour offrir une insertion durable sur le marché du travail. C'est précisément pour éviter ce type de dérives du traitement social du chômage que le Gouvernement a décidé de ne plus subventionner à cette hauteur l'emploi de CES.
Chacun peut mesurer les effets pervers d'un tel système : déresponsabilisation de l'employeur, déconnexion des emplois aidés avec la réalité du marché du travail.
Nous reviendrons, s'agissant des taux de financement public des CES, aux dispostions, qui n'ont d'ailleurs jamais été abrogées, du décret du 30 janvier 1990, c'est-à-dire 65 % et 85 % pour les publics les plus en difficulté.
La mise en oeuvre de ces règles ne doit cependant compromettre ni la viabilité des structures d'insertion les plus fragiles, ni l'emploi des personnes les plus vulnérables. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de conserver, à titre temporaire, la possibilité de maintenir des taux de prise en charge majorés jusqu'à 95 % dans deux cas : d'une part, celui des jeunes en grande difficulté, notamment ceux qui sont engagés dans un parcours TRACE et qui sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, car ils ne peuvent entrer tout de suite dans le dispositif de soutien des jeunes en entreprise ; d'autre part, celui des chantiers d'insertion, qui constituent une première réponse, souvent d'urgence, à des situations de grande précarité et d'exclusion.
Enfin, je rappelle que, de mon point de vue, la politique de l'emploi ne peut se réduire aux CES ni, plus largement, au soutien à l'emploi public ou parapublic. C'est pourquoi le Gouvernement a choisi de réorienter nos dispositifs d'aide à l'emploi et à l'insertion vers l'entreprise et le secteur marchand, notamment avec la mise en place des contrats jeunes et le développement de l'alternance, qui se voit dotée de crédits en augmentation importante. Les contrats aidés du secteur marchand comme les CES devront dorénavant être très clairement réservés aux personnes les plus éloignées de l'emploi.
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Je veux simplement remercier M. le ministre de ses réponses, qui vont tout à fait dans le sens de ma propre analyse du problème de l'emploi.
J'ajoute qu'on est loin du « carnage » et de la politique irréfléchie qu'évoquait tout à l'heure notre collègue socialiste.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé. Avant d'aborder le thème qui fait l'objet de ma question, monsieur le ministre, je voudrais apporter un témoignage à la suite de ce que je viens d'entendre : dans mon département, un tiers des salariés de l'industrie travaillent dans des entreprises à capitaux étrangers, essentiellement des entreprises américaines. Or celles-ci nous ont indiqué qu'elles ne feraient plus un euro d'investissement en France en raison des 35 heures et des nombreux changements de cap survenus durant les cinq années écoulées.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Et voilà !
M. Eric Doligé. C'est là une réalité qui explique pourquoi nous connaissons actuellement de grandes difficultés.
Monsieur le ministre, votre politique de l'emploi marque une rupture avec celle du gouvernement précédent. Vous avez décidé de réorienter les aides à l'emploi pour faciliter les embauches dans le secteur marchand, idée que j'ai toujours également défendue.
Les contrats jeunes en entreprise, l'allégement des charges sur les bas salaires qui s'accompagnent de l'unification du SMIC sont autant de mesures dont nous nous félicitons et que nous attendions. Il n'était que temps d'avoir une véritable politique de l'emploi qui ne soit pas un leurre !
Les mesures que vous prenez sont de nature à offrir des emplois et une insertion durable dans le secteur privé.
Dans cette optique, vous avez pris la décision de mettre un terme à l'entrée de nouveaux jeunes dans le programme « nouveaux services, emplois-jeunes » et d'en organiser la disparition progressive. Le présent projet de budget prévoit ainsi une diminution de 13,6 % des crédits correspondants.
Le Sénat avait établi un bilan très réservé de cette mesure fort coûteuse, ne présentant que peu de perspective de pérennisation des postes et d'insertion professionnelle des jeunes concernés. Je ne peux donc qu'approuver la décision que vous avez prise.
Pour autant, un secteur particulier va devoir faire face à la fin annoncée des emplois-jeunes : celui des associations. Pour certaines d'entre elles, ces emplois se sont révélés précieux. Une aide exceptionnelle de soutien à ces emplois dans les associations est prévue cette année pour une somme de 10 millions d'euros. Ce dispositif devrait être reporté sur trois années supplémentaires. Plus de 40 millions d'euros sont, en outre, destinés à la conclusion de conventions d'objectifs pluriannuelles dégressives pour les organismes de droit privé à but lucratif.
Quelques questions demeurent cependant. Quelles associations seront concernées ? Quelles sont les caractéristiques des emplois qui pourront être prolongés ? Quel sera le montant des aides qui seront attribuées à chaque emploi ?
Vous avez aussi annoncé la création d'un contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, qui devrait être applicable dès juillet 2003. Pouvez-vous nous en décrire les grandes lignes ? Quel sera le public visé ? Quels seront les moyens mis en oeuvre pour que ce dispositif ne soit pas un dispositif d'assistance, comme l'était trop souvent le contrat emploi-jeunes, mais bien un contrat d'insertion professionnelle durable des jeunes concernés ?
Enfin, je souhaiterais soulever la question de l'avenir des emplois-jeunes qui travaillent dans les collectivités locales, pour lesquelles certains de ces emplois se sont révélés utiles, de même que pour beaucoup d'établissements à caractère social.
Désormais, ce sont les collectivités elles-mêmes qui devront financer ces emplois-jeunes. Or cette prise en charge risque de représenter pour certaines d'entre elles une charge nouvelle brutale. Envisagez-vous des mesures qui permettraient d'opérer à cet égard un lissage dans le temps ?
Dans un tout autre domaine, monsieur le ministre, je me permets d'évoquer une piste : seriez-vous prêt à envisager l'extension du chèque emploi-service aux très petites entreprises ? Ce chèque donne entière satisfaction aux particuliers et garantit les droits sociaux des salariés. Je souhaiterais que vous puissiez expérimenter cette possibilité très différente de celle qui avait été proposée au début de l'année 2002.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. J'ai déjà, au cours de ce débat, rappelé quelle était la philosophie du Gouvernement s'agissant de la réorientation de la politique de l'emploi vers le secteur marchand : nos raisons sont liées tant à la dynamisation de notre économie qu'à notre souci de voir les jeunes s'engager de manière pérenne dans des filières professionnelles ; il s'agit aussi d'alléger les charges qui pèsent sur l'ensemble de la nation et de financer les priorités qui sont celles du Gouvernement, notamment dans le domaine de la sécurité.
L'ensemble de ces dispositifs est donc destiné à donner à notre pays de nouveaux atouts à la fois pour son développement et pour le renforcement de son pacte républicain.
Cependant, le Gouvernement n'a pas choisi de pratiquer une politique de rupture. Il a maintenu le dispositif emplois-jeunes à hauteur de 2,7 milliards cette année, ce qui permet aux collectivités locales, en particulier, de s'organiser, comme elles auraient d'ailleurs dû le faire de toute façon : la philosophie du programme - les débats auxquels a donné lieu la mise en place du programme l'attestent - était bien de susciter de nouveaux services, avec une aide de l'Etat pendant une période de cinq ans et l'espoir - mais le Sénat, notamment, avait averti qu'il serait vain dans bien des cas - de voir les collectivités locales et les associations prendre le relais.
S'agissant des associations, nous avons mis en place un plan de pérennisation. Le critère de sélection des associations, permettant d'établir des priorités, sera celui de leur utilité sociale ; il offre l'avantage d'une grande souplesse dans l'application.
S'agissant des collectivités locales, le Gouvernement n'envisage pas de mesures spécifiques de pérennisation des emplois-jeunes.
D'ailleurs, il nous semble très important que les collectivités locales ne laissent pas se créer une sorte de « sous-fonction publique territoriale » ne bénéficiant pas des niveaux de salaires et des avantages qui sont ceux de la fonction publique territoriale : on ne peut négliger les risques de tension sociale, voire de conflits qu'entraînerait la mise en oeuvre pérenne de ce dispositif.
Le CIVIS, dont nous envisageons la création afin de répondre pour une part aux besoins des associations, ne pourrait, dans l'esprit du Gouvernement, avoir d'application dans le secteur des collectivités locales, justement pour éviter cette difficulté, que nous avons d'ailleurs connue par le passé dans d'autres domaines : je pense aux maîtres auxiliaires dans l'éducation nationale. Au demeurant, les jeunes qui sont aujourd'hui en voie de sortir de ces emplois-jeunes émettent des revendications à ce sujet se montrant extrêmement critiques à l'égard tant du dispositif lui-même que de ceux qui l'ont mis en oeuvre, précisément parce que rien n'a été prévu pour la suite.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. François Fillon, ministre. Une manifestation importante, soutenue par le maire de Nantes, en faveur des emplois-jeunes a récemment été organisée, et cette manifestation a réservé quelques surprises à ses organisateurs, car les cibles principales des critiques des jeunes n'ont pas été celles qu'ils espéraient. (M. Paul Blanc approuve.)
Pas de sortie, pas de formation, pas de financement des charges...
M. Jean Chérioux. En matière de chômage !
M. François Fillon, ministre. ... en matière de chômage : ce bilan un peu lourd explique que nous ayons voulu rompre avec ces mauvaises orientations.
Je conçois bien, monsieur le sénateur, que cela n'ira pas sans poser certains problèmes aux collectivités locales - j'ai quelques raisons de le savoir moi-même - mais, à la fois pour les équilibres financiers de notre pays et pour les collectivités locales elles-mêmes, pérenniser progressivement les emplois qui pourraient être maintenus m'apparaît comme une solution raisonnable.
Enfin, s'agissant de l'extension aux très petites entreprises du chèque emploi-service, en liaision étroite avec M. Dutreil, nous envisageons une expérimentation de ce dispositif, qui pourrait aller dans le sens que vous souhaitez, monsieur Doligé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Eric Doligé.
M. Eric Doligé. Sans avoir besoin d'utiliser les deux minutes de temps de parole qui me sont imparties, je me bornerai à indiquer que les excellentes réponses qu'a données M. le ministre étaient celles que j'attendais.
Il m'avait semblé important de l'interroger pour qu'il puisse faire le point sur la réflexion qui a été entreprise afin que des éclaircissements soient ainsi apportés aux collectivités et aux associations sur l'avenir d'un certain nombre d'emplois.
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux état B et C concernant le travail, la santé et la solidarité : I. - Travail.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 43 774 516 euros. »