SEANCE DU 29 NOVEMBRE 2002


PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2003, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la ville et la rénovation urbaine, la parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut bien le reconnaître, malgré la générosité des propos, le pragmatisme et le volontarisme des différents ministres délégués, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, le constat est cinglant : les politiques de la ville ont été impuissantes à endiguer le développement des emplois précaires et la paupérisation des quartiers populaires, cibles privilégiées, pourtant, de l'action des pouvoirs publics.
Un taux de chômage deux fois plus élevé que pour l'ensemble du pays, une proportion de chômeurs de moins de vingt-cinq ans frôlant les 50 %, une aggravation des phénomènes de ségrégation territoriale : tous ces éléments composent un mélange particulièrement explosif et appellent de façon urgente un changement d'échelle et le choix d'une politique beaucoup plus ambitieuse, avec des moyens humains et financiers exceptionnels pour tous les secteurs concernés.
Les villes riches repoussent toujours davantage, d'année en année, les ménages modestes hors de leurs coeurs. La remise en cause de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dits loi SRU, va amplifier ce phénomène, tandis que les familles les plus défavorisées sont reléguées dans quelques communes où le chômage est au plus haut. C'est cela, l'apartheid sparial et social. Monsieur le ministre, votre silence sur la remise en question de la loi SRU n'incite pas à l'optimisme.
Face à cette situation, l'effort de l'Etat en faveur de la ville, tous ministères confondus, diminue de 3 % après des années de forte progression !...
Monsieur le ministre, depuis des mois, vos propos concernent exclusivement les problèmes de logement. Or, à ceux-ci ne se résument pas toutes les difficultés.
La construction et la réhabilitation de logements sociaux, la destruction de logements « indignes » sont indispensables, mais cela ne peut suffire à prendre à bras-le-corps le problème de la dégradation des conditions de vie dans les quartiers dits « sociaux » ou « sensibles », ni à faire « une politique ambitieuse pour la ville ».
L'égalité des citoyens devant le droit à des conditions de vie dignes de notre époque, devant le droit à la ville n'est pas respectée.
Attention en outre à ne pas se leurrer avec de fausses bonnes solutions : ce n'est pas le béton qui est criminogène, ce ne sont pas les formes urbaines qui sont à l'origine de la violence. On commente toujours la violence explicite des cités, mais l'on évoque rarement la violence implicite, à la périphérie des villes, des nouvelles zones pavillonnaires, avec leurs conflits de clôtures, la hantise des traites du pavillon, de la voiture et de la machine à laver. « Ils croient acquérir un coin de paradis, ils achètent aussi l'enfer à crédit », disait, à juste titre, un ancien ministre, Roger Quilliot.
Tous les « centrifugés » de la grande agglomération, qui croient avoir la force individuelle d'échapper aux contraintes de la vie collective, sont rattrapés par l'inquiétude économique, sont confrontés aux difficultés de transport, aux problèmes des adolescents qui veulent retourner en ville, car, à leurs yeux, là est leur avenir. Ils s'estiment floués !
Les « assignés à résidence » des quartiers dits sensibles savent bien que les chances de la ville - l'éducation, le travail et la culture - ne leur sont pas offertes. C'est dans l'infini des offres de la ville que ceux qui en sont rejetés ressentent le plus violemment la discrimination dont ils sont l'objet.
D'où une question incontournable : que comptez-vous faire, monsieur le ministre, contre la ségrégation à l'embauche, par exemple, d'autant plus féroce que l'on est issu de l'immigration, Français ou étranger, et que l'on a pour adresse l'un de ces quartiers montrés du doigt ?
On relèvera que les réductions de dépenses au titre IV affectent singulièrement l'ensemble des financements destinés au développement économique des quartiers. La commission des finances considère qu'il faut réduire davantage encore ces dépenses : c'est l'objet d'un amendement que nous examinerons ultérieurement.
Cette démarche va de pair avec la réduction de certains crédits du budget du travail destinés aux publics rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle.
Comment peut-on évoquer l'ordre républicain, quand les mêmes chances en matière d'emploi et de culture, la même qualité en matière d'écoles, de transports, d'hôpitaux, de services publics ou de parcs ne sont pas offertes aux gens modestes comme aux riches ?
Alors, que faire ? Un récent rapport de la Cour des comptes sur les politiques de la ville nous livre un constat assez juste et précis et fournit quelques pistes.
Je citerai l'une d'entre elles : « Favoriser la mobilisation du potentiel de la démocratie participative pour atteindre les objectifs poursuivis par la politique de la ville, en simplifiant résolument les relations des différents acteurs publics concernés avec les associations, souvent petites, qui l'incarnent et en s'assurant de la mise en oeuvre effective des simplifications décidées ; en adaptant à la fragilité de ces dernières les modalités des concours financiers qui leur sont apportés ; enfin en mettant en place un dispositif efficace de contrôle et d'évaluation a posteriori de leurs actions. »
Monsieur le ministre, il faut commencer à prendre des mesures immédiates favorisant la mobilisation du « potentiel de la démocratie participative », comme l'indique la Cour des comptes, pour élaborer, conjointement avec tous les acteurs, une politique de la ville véritablement ambitieuse et couvrant, outre la question de l'habitat, les problèmes soulevés par la situation des personnes vivant dans ces quartiers : l'économique, le social, les droits des citoyens, la qualité des services publics - écoles, poste, transports - la vie culturelle et sportive, la tranquillité publique.
Les moyens de l'Etat, votre projet de budget, monsieur le ministre, ne permettent pas encore de répondre à cette impérieuse nécessité et ne témoignent pas de l'ambition tant espérée par les acteurs locaux. En l'état, le groupe CRC votera donc contre votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez que, élu de Seine-Saint-Denis depuis près de vingt ans, je sois particulièrement attaché à la discussion de ce projet de budget, essentiel, de la ville et de la rénovation urbaine.
Pendant des siècles, la ville a représenté la sécurité, l'ordre et la civilité. Les murailles des villes symbolisaient l'appartenance des citoyens à un corps social au sein duquel chacun pouvait trouver sa place, jouir de ses droits et exercer ses devoirs. Par une curieuse évolution de notre culture, de nos mentalités, la ville est bien souvent considérée, de nos jours, comme un espace inquiétant, parfois non maîtrisé, voire en dehors du droit commun.
Alors que la représentation des collectivités territoriales s'attache aujourd'hui à concevoir un budget pour la nation, qu'elle cherche à définir des priorités dans les efforts à fournir pour garantir et améliorer notre pacte social, il est sans doute utile de nous poser les vraies questions, même si elles doivent quelque peu déranger.
Parler de la ville et de la rénovation urbaine, ce n'est pas uniquement parler du bâti et de l'habitat. C'est aussi parler des hommes et des femmes qui résident dans les villes, avec toute la diversité des milieux sociaux, des croyances, des origines ou des styles de vie. C'est parler de l'influence de l'habitat sur leur vie, mais également des conséquences de la vie de certains d'entre eux sur l'habitat.
Or c'est précisément ce que, par angélisme, le précédent gouvernement s'était toujours refusé à faire.
Avec un budget de 371 millions d'euros, en très légère augmentation, le ministère de la ville et de la rénovation urbaine a choisi d'orienter ses priorités autour d'une amélioration générale du cadre de vie, notamment à travers les « grands projets de ville » et les opérations de renouvellement urbain. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette dynamique qui s'inscrit dans une logique de requalification des quartiers difficiles.
Comme l'a clairement établi l'excellent rapport de notre collègue Eric Doligé, la stabilisation des crédits pour 2003 a pour objet une indispensable rationalisation des crédits alloués au ministère, ainsi que la participation budgétaire des autres administrations impliquées dans la politique de la ville - le ministère de l'emploi et de la solidarité, celui de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - et le concours de la Caisse des dépôts et consignations.
En effet, discuter de ce projet de budget alors même qu'il ne représente que 6 % des crédits globaux consacrés à la ville, c'est mettre en évidence une nécessaire remise à plat des systèmes de financement et des résultats auxquels ils sont susceptibles d'aboutir.
Aujourd'hui, et cela est particulièrement évident dans les grandes banlieues urbanisées, la conduite de la politique de la ville passe par une superpostion d'actions impliquant un très grand nombre d'agents : les communes, les départements, parfois même les régions, l'Etat, mais également les services publics déconcentrés de l'éducation nationale, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ou la direction départemenale de la jeunesse et des sports, des associations et des structures diverses.
Les inévitables conséquences de cette dilution de l'effort collectif sont évidentes.
D'une part, les agents des administrations, et souvent aussi, il faut bien le dire, les élus, sont confrontés à des problèmes d'une complexité technique difficilement gérable.
D'autre part, l'évaluation précise et transparente des résultats est rendue impossible par la difficulté de responsabiliser et parfois même d'identifier les acteurs du système.
Enfin, et c'est certainement l'un des problèmes les plus importants, les citoyens eux-mêmes ignorent quels sont leurs interlocuteurs institutionnels, quels projets sont en gestation et quels moyens sont mobilisés pour les réaliser.
Alors que le débat sur le projet de loi de finances pour 2003, entamé la semaine dernière, a clairement mis en évidence la volonté du Gouvernement d'opérer une simplification générale des rapports entre l'Etat et les Français, dans la droite ligne du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, la politique de la ville demeure une zone encore trop obscure dans le champ des objectifs de la nation.
S'il fallait résumer d'une phrase l'opinion d'une majorité de nos compatriotes à propos de la politique de la ville menée jusqu'à présent, elle serait la suivante : « beaucoup d'argent dépensé pour peu de résultats ».
Il est indispensable, ainsi que le proposait notre collègue Pierre André dans son rapport, de clarifier les comptes de la politique de la ville. Par ailleurs, il semble également nécessaire de proposer l'instauration, qu'ont évoquée avant moi les rapporteurs Eric Doligé et Nelly Olin, d'un système d'évaluation a posteriori des politiques engagées et de leurs résultats. Il n'est en effet pas acceptable que des crédits d'un tel montant soient mobilisés pour des résultats parfois mineurs, voire symboliques, alors que nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance d'une rénovation urbaine profonde et durable.
Concernant les interventions publiques prévues dans ce projet de loi de finances, on retiendra tout particulièrement l'effort consenti pour les grands projets de ville, dont les crédits progressent de 10,67 millions d'euros à 30,67 millions d'euros, ainsi qu'une hausse sensible des subventions d'investissement. Votre volonté affichée, monsieur le ministre, de programmer une profonde mutation du cadre de vie austère, voire insalubre, de nombreux quartiers citadins en déshérence, a déjà, localement, porté ses fruits. Il convient, à cet égard, de saluer votre efficacité, votre rapidité de décision et d'action.
Pourtant, je souhaiterais faire un rappel qui me paraît relever du simple bon sens : ces cités HLM, ces « barres » surpeuplées tant décriées aujourd'hui et stigmatisées comme des aberrations de notre société, n'ont posé aucune difficulté sociale ou sanitaire pendant leur vingt premières années d'existence !
Il serait bon que les pouvoirs publics dans leur ensemble aient la lucidité de reconnaître qu'une part significative des dégradations qui rendent ces cités invivables aujourd'hui sont le fait d'une minorité de résidants violents, irrespectueux et presque toujours à la marge de notre société.
Nous touchons ici au coeur du problème : une politique de la ville ne sert à rien si elle se limite à une approche urbanistique. Il faut également prendre en considération les problèmes d'éducation et de sécurité ; sans cela reconstruire les logements s'avérera vain et coûteux.
Si la subordination du ministère de la ville et de la rénovation urbaine au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité doit avoir un sens, ce doit être grâce à la possibilité qu'elle ouvrira d'envisager les sanctions adéquates envers ceux qui participent à la dégradation des ensembles urbains. Qui sanctionner ? Par quels moyens ? C'est parce que l'on a renoncé à poser ouvertement ces questions que certaines réhabilitations se sont avérées désastreuses, et le département de la Seine-Saint-Denis en montre quelques exemples flagrans.
Monsieur le ministre, parce que ce budget marque avant tout une transition non pas seulement entre deux ministres, mais surtout entre deux conceptions différentes de ce que doit être la politique de la ville et de la rénovation urbaine ; parce qu'une rationalisation drastique de la répartition et de la gestion des crédits était nécessaire et que vous avez pris ces difficultés à bras-le-corps ; parce que le chemin qui nous reste à parcourir est encore long pour édifier une politique de la ville ciblée, rationnelle et efficace en concertation avec l'ensemble des acteurs locaux, institutionnels et issus de la société civile, mais que j'ai néanmoins la conviction que, ensemble, nous y parviendrons, pour toutes ces raisons, j'apporterai mon soutien total aux crédits pour la ville et la rénovation urbaine inscrits dans le projet de loi de finances pour 2003. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente.
Mme Michèle San Vicente. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture attentive du budget consacré à la ville pour 2003, on se pose la question de savoir si l'effort financier est effectivement à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement, sachant que les autorisations de programme baissent de 2,2 % en 2003. Le fait qu'une partie des crédits de paiement n'ait pas été consommée ne saurait en rien justifier une telle diminution.
Dans le Nord - Pas-de-Calais, 12 000 logements du bassin minier - je ne vous apprends rien, monsieur le ministre - ne sont toujours pas aux normes : une seule alimentation en eau froide, des sanitaires extérieurs, ni gaz, ni isolation thermique. Afin d'y remédier, l'Etablissement public de gestion immobilière du Nord - Pas-de-Calais, l'EPINORPA, bénéficie de subventions versées par l'Etat et par l'ANAH, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, dans le cadre du contrat de plan Etat-région.
La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains a fort justement renforcé la position de l'ANAH en élargissant son champ d'intervention. Ainsi, le précédent gouvernement aura permis à l'ANAH d'être compétente pour intervenir sur l'ensemble du parc privé par l'octroi d'aides non plus aux seuls propriétaires bailleurs, mais également aux propriétaires occupants. Les résultats étaient plutôt encourageants, dans la mesure où un nombre croissant de logements vacants furent remis sur le marché, aidant ainsi les ménages en difficulté à trouver un logement décent en dehors du parc HLM.
Cependant, les crédits d'investissement consacrés à l'amélioration de l'habitat privé en 2003 marquent une nette rupture dans l'action pourtant efficace de l'ANAH. Ainsi, les autorisations de programme sont en baisse de 11 %, puisque, de 442,1 millions d'euros en 2002, elles passent à 392 millions d'euros pour 2003. Par ailleurs, la hausse de 13 % des crédits de paiement, qui sont proposés à 411,6 millions d'euros pour 2003 au lieu de 364,25 millions d'euros en 2002, constitue un trompe-l'oeil, car ces crédits serviront principalement à alimenter la trésorerie courante de la « grande » ANAH. Compte tenu de l'élargissement de son champ d'intervention, qui se traduit par une augmentation du nombre des programmes concernant l'habitat insalubre et les copropriétés dégradées, il aurait au contraire fallu les abonder bien davantage !
Cette situation, monsieur le ministre, suscite bien des inquiétudes.
Tout d'abord, la réduction même des crédits d'investissement inscrits au budget de l'ANAH constitue un frein notoire aux aides consacrées au parc privé, lesquelles, je le rappelle, sont une solution de repli vitale pour les ménages qui se trouvent dans l'impossibilité de se loger dans le parc HLM traditionnel. Dans ces conditions, l'ANAH n'aura pas d'autre choix, dans chaque département, que d'être plus sélective lorsqu'elle allouera les aides, ce qui est tout à fait paradoxal : l'apparition de cette obligation de « tri sélectif » aura des conséquences désastreuses pour les personnes en grande difficulté. Quid de la réduction de la fracture sociale, si chère au chef de l'Etat ?
Ensuite, la porte est grande ouverte aux marchands de sommeil. C'est d'autant plus regrettable, monsieur le ministre, que le budget du logement social a été littéralement sous-estimé. Ainsi se dessine une véritable mise en panne de la construction sociale ne serait-ce que par la fragilisation des crédits accordés à l'ANAH, dont les interventions ont pourtant des répercutions positives en termes d'emploi.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « Le vrai problème réside dans l'état de certains quartiers, qui se dégradent de semaine en semaine [...]. A l'heure actuelle, les opérations de réhabilitation menées dans le cadre de la prime à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale ne permettent plus de compenser la dégradation du parc social, et la paupérisation croissante est alarmante. »
Votre projet de budget pour la ville, monsieur le ministre, est-il réellement à la hauteur des ambitions que vous avez affichées ? Maire d'une commune située au coeur du bassin minier du Pas-de-Calais et disposant d'un faible potentiel fiscal par habitant, j'aimerais vous parler d'un cas d'école.
Sur le territoire de la ville d'Annay, ma commune, se trouve une cité, appelée les Camus Hauts, construite dans les années soixante. Dois-je préciser qu'elle n'a plus besoin de PALULOS depuis longtemps ? Elle a été classée en politique « ville », et je ne puis que vous suivre monsieur le ministre, sur la complexité des procédures et sur les lourdeurs administratives. En effet, alors que l'achèvement de la restructuration était prévu pour 2001 au plus tard, seul un tiers de la cité aura été réhabilité en onze ans ! Aussi, à ce jour, il reste 218 logements à démolir.
Il faut aussi savoir que les subventions m'ont été refusées en 2001 faute de consommation des crédits de 2000. Je vous donne raison lorsque vous avancez cet argument, à une réserve près : avant d'envisager une quelconque démolition, il faut que les barres soient vides. Le nombre de reconstructions étant inférieur au nombre de démolitions, la situation devient tout bonnement ubuesque !
Enfin, je relève que les crédits alloués à la lutte contre l'habitat insalubre dans l'optique d'une meilleure efficacité des mesures contre le saturnisme sont bien trop faibles. Qu'envisagez vous pour les populations exposées à l'amiante, comme celle des Camus Hauts ? Vous avez dit, monsieur le ministre, que « c'est l'indécision ou l'impossibilité d'agir qui sont néfastes et qui coûtent sur le plan humain et sur le plan social ».
Le gouvernement de Lionel Jospin avait triplé les crédits en quatre ans, si bien que 60 millions d'euros avaient été budgétisés pour financer la démolition des logements. Alors que le gouvernement de M. Raffarin et vous-même comptez sur la participation du 1 % pour financer la part supplémentaire destinée à l'éradication de l'habitat insalubre, vous n'hésitez pas à proposer des crédits en stagnation ! Dès lors, comment espérez-vous remplir vos objectifs de 200 000 constructions, 200 000 démolitions et 200 000 réhabilitations de logements sociaux en cinq ans ?
Avant de conclure, je voudrais dire un mot sur les jeunes à la recherche d'un logement. Le Gouvernement prétend faire des économies - c'est encore plus vrai depuis quelques jours -, notamment sur l'évaluation forfaitaire pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Ce nouveau mode de calcul accroît les démarches administratives et fait baisser l'APL et, a fortiori , le nombre de ses bénéficiaires. Le décret de mars 2002 visait à l'inverse, et vous le supprimez ! Il faut savoir que cette mesure concerne plus de 100 000 jeunes !
Les moyens proposés, les effets d'annonce et votre bonne volonté, monsieur le ministre, ne compensent malheureusement pas l'absence d'un vrai ministère. L'enfer est pavé de bonnes intentions ; nous voterons donc contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique de la ville figurait parmi les priorités du précédent gouvernement, ce qui s'était notamment traduit par une importante revalorisation des moyens qui lui étaient consacrés. Entre 1998 et 2002, les crédits ont pratiquement triplé et, au-delà de l'aspect purement financier, c'est toute une façon de penser et d'appréhender la ville qui avait changé.
Aujourd'hui, la rupture est nette, et l'on constate, hélas ! que cette politique n'est plus une priorité. Ce constat se traduit dans les chiffres, puisque l'effort public global pour la politique de la ville est en diminution : il passe de 3 571 à 3 494 millions d'euros, ce qui représente un désengagement de 77 millions d'euros. Quant au budget propre du ministère de la ville, il connaît une infime progression, de 0,6 %, par rapport à l'an dernier, progression discutable si l'on tient compte de l'inflation. Quoi qu'il en soit, il s'agit bel et bien d'un coup d'arrêt porté à la dynamique que nous avons connue les années précédentes.
Le fait qu'une partie de ces crédits n'ait pas été consommée ne saurait à lui seul justifier une telle diminution. Vous savez, monsieur le ministre, que les procédures de financement sont encore longues et complexes, et c'est là que réside le problème. Sous l'ancien gouvernement, le taux de consommation des crédits croissait en même temps que les simplifications administratives étaient décidées. Il aurait très certainement fallu poursuivre les efforts entrepris en ce sens !
De nombreuses petites associations réclament par exemple l'avance de fonds. En effet, les premiers versements étant parfois tardifs et ces structures n'ayant ni les moyens ni la logistique des grands réseaux associatifs nationaux, elles ne peuvent avancer les crédits nécessaires à la mise en oeuvre de leurs initiatives. Ce retard représente un lourd handicap dans la réalisation de nombreux projets au coeur des quartiers, qui doivent être reportés, voire annulés. D'autres structures réclament la généralisation du conventionnement pluriannuel, afin de disposer de garanties sur leur avenir et de mettre en place des projets à plus long terme.
Les idées ne manquent pas, monsieur le ministre, mais trop d'obstacles s'opposent à l'utilisation des fonds.
A ces obstacles peut s'ajouter la multiplicité des interlocuteurs. Dans ma région, par exemple, le conseil régional n'est pas partie aux contrats de ville : il gère lui-même son enveloppe et attribue les subventions selon ses propres critères. Tout cela ne fait qu'alourdir une procédure déjà complexe et n'est pas forcément équitable. Nous pensons que le contrat de ville doit être le seul canal pour toute demande et pour toute attribution de subventions.
S'agissant des orientations de votre politique, monsieur le ministre nous constatons un réel déséquilibre dans la répartition des crédits d'investissement, qui profiteront presque exclusivement au renouvellement urbain. Ce choix suscite notre inquiétude pour l'avenir, car il aboutit à mettre de côté toute la dimension sociale, pourtant indispensable à l'intégration des quartiers et de leurs habitants à la ville.
Evidemment, la rénovation urbaine n'est pas une mauvaise chose, et nul ne conteste la nécessité d'améliorer le cadre de vie et l'habitat dans les quartiers urbains. Toutefois, la politique de la ville ne doit pas se limiter à cela : elle doit être un outil de développement, tenir compte de tous les habitants et prendre en considération leurs attentes dans des domaines aussi variés que les loisirs, l'emploi, la prévention, l'insertion, l'intégration, l'éducation, les services publics et le développement économique.
Les « adultes relais » jouent un rôle essentiel dans ce dispositif, de même que les emplois-jeunes. Pourtant, ces derniers ne figurent plus parmi les priorités. Or beaucoup d'associations y ont recours et sont très inquiètes pour l'avenir. Certaines craignent même de ne pouvoir poursuivre leur mission. Que pouvez-vous leur répondre, monsieur le ministre, quand elles se demandent qui va pallier les insuffisances de l'Etat ?
Comment comptez-vous favoriser l'intégration des populations d'origine étrangère, alors que vous voulez supprimer les acteurs qui y contribuent le plus ? Les cours de langue qui sont actuellement dispensés par des emplois-jeunes embauchés par les associations ne sont déjà pas suffisants : tout le monde sait que, une ou deux heures de cours par semaine, c'est trop peu et qu'il faudrait un suivi quasi quotidien des personnes concernées pour réussir leur intégration dans notre société. Avec l'allégement des dispositifs, nous n'en prenons pas le chemin !
L'accès des jeunes à l'emploi est aussi une question importante, et nous souhaiterions connaître vos intentions à ce sujet. Vous savez que les discriminations raciales à l'embauche sont bien réelles et nuisent à l'intégration des populations issues de l'immigration. En outre, elles alimentent un sentiment d'injustice de plus en plus mal vécu par des jeunes auxquels, trop souvent, on attribue globalement les agissements répréhensibles d'une minorité.
Plusieurs sites pilotes, dont celui de Thionville, que je connais bien, avaient été choisis par votre prédécesseur pour établir un diagnostic et proposer des formations appropriées. Entendez-vous généraliser ce dispositif à l'ensemble des contrats de ville afin de favoriser l'embauche et l'insertion professionnelle de ces jeunes qui font beaucoup d'efforts, et méritent de s'en sortir ?
La prise en compte des jeunes et de leurs loirsirs est fondamentale pour la vie des quartiers. Le dispositif « ville-vie-vacances » doit être renforcé par des moyens, certes, mais aussi par une coordination écrite des intervenants - clubs de prévention, centres sociaux - afin de leur permettre de collaborer plus efficacement à ces opérations.
On constate également une réelle attente en matière de renouvellement des infrastructures et de mise en place de concepts plus adaptés aux formes actuelles de loisirs : le traditionnel foyer avec baby-foot, télévision et table de ping-pong a vécu ! Les jeunes d'aujourd'hui veulent par exemple des cyberespaces. Ces endroits ne désemplissent pas et profitent à tous les jeunes, garçons et filles, ce qui est plutôt rare.
Concernant ces dernières, les associations qui interviennent dans les quartiers tirent depuis longtemps la sonnette d'alarme, déplorant la situation des jeunes filles qui sont en proie aux violences verbales et physiques, aux bousculades quotidiennes, aux remarques désobligeantes. Parfois, cela dérape en faits divers sordides, tels les viols collectifs, dits « tournantes », les agressions à l'arme blanche, ou des violences plus extrêmes encore : je pense à cette jeune fille qui a été brûlée vive à Vitry-sur-Seine par un garçon avec qui elle s'était querellée. Dans de nombreux quartiers, les jeunes filles n'osent plus sortir que par nécessité. Ce problème s'ajoute à celui, plus ancien, des femmes battues.
Monsieur le ministre, il ne faut plus ignorer cette violence bien particulière. De nombreuses actions peuvent être conduites dans le cadre de la politique de la ville. Il faut pour commencer écouter les jeunes filles exprimer leurs craintes, et surtout prendre en compte leurs désirs dans le choix des aménagements au coeur des quartiers. La plupart du temps, ceux-ci ne sont en effet destinés qu'aux garçons.
Pour ce qui est des femmes battues, il faut absolument favoriser la construction d'hébergements d'urgence, qui sont en nombre très insuffisant.
Pour en revenir à vos orientations, monsieur le ministre, nous n'approuvons pas la réduction des crédits alloués au Fonds de revitalisation économique, le FRE, destiné à stimuler les activités économiques dans les quartiers en octroyant des avantages financiers aux petites entreprises désireuses de se développer ou de s'installer en zone sensible. Certes, ce dispositif n'a pas obtenu le succès escompté ; mais comment pouvait-il en être autrement après seulement un an d'existence ?
J'en viens à la question de la formation. De nombreux acteurs interviennent pour mettre en oeuvre la politique de la ville : chargés de missions, associations, collectivités locales, services déconcentrés de l'Etat... Cependant, tous n'ont pas l'expérience ni la culture suffisantes en la matière. Des plates-formes de formation existent, mais elles sont prises en charge par les collectivités locales, notamment par les régions. Nous pensons que la délégation interministérielle à la ville, la DIV, devrait être partie prenante dans ce domaine et financer la formation de tous les acteurs intervenant dans la politique de la ville.
Concernant plus particulièrement les animateurs des équipes qui jouent un rôle dans la maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale, la question du statut doit se poser. Ces directeurs de projet accomplissent un travail considérable, et leur implication dans la politique de la ville est remarquable. Malheureusement, ils restent confinés dans la précarité de leur poste, qui doit faire chaque année l'objet d'un renouvellement. L'un peut dépendre d'une mission locale, l'autre d'un centre social ; chacun a un salaire différent, une mission particulière... Il est tout à fait indispensable de mener une réflexion sur le statut de ces personnels.
Nous souhaiterions, monsieur le ministre, connaître vos intentions sur ces deux derniers points.
En conclusion, monsieur le ministre, nous ne pouvons qu'émettre un avis défavorable sur vos orientations. Votre discours est fort, mais les moyens ne suivent pas, et ils manqueront. Vos actions seront visibles de l'extérieur, mais, à l'intérieur des quartiers, la situation n'ira pas en s'améliorant. Vous avez choisi de soigner l'emballage et non le contenu, nous aurions préféré l'inverse. Nous voterons donc contre votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez tous aussi bien que moi que le ministre de la ville a à la fois une action propre et une action interministérielle, et qu'il est assez difficile de faire la part entre son budget et son action. C'est probablement parce qu'il a une action interministérielle sans les moyens politiques et le prestige qu'il a été si peu efficace depuis vingt ans, malgré les talents indéniables de ceux qui ont occupé ce poste.
Quelle est la situation ?
Nos quartiers, qui étaient 80, sont 1 500, selon les mêmes critères, vingt ans après. Ils se caractérisent aujourd'hui par une dégradation constante de l'espoir, de la citoyenneté, de l'intégration raciale, ethnique et sociale. Les chiffres sont terriblement homogènes. Certes, comme cela a été évoqué tout à l'heure, ils connaissent deux fois plus de chômage que les autres bassins de vie, mais surtout 4,5 fois plus d'absentéisme, quatre fois plus de signalements à la DDASS et, lorsque sous la législature précédente, le chômage a baissé de 30 % en France, il a augmenté de 30 % dans nos quartiers.
Face à ce diagnostic partagé par un certain nombre d'acteurs, nous avons affiché des priorités assez claires. Comme toute priorité, elles ne prétendent pas à l'exhaustivité mais visent la concentration des efforts.
Le diagnostic que nous posons est simple : l'arrogance républicaine française croyait que, par ses méthodes, elle pouvait gérer à la fois un fort flux d'immigration, une crise sociale et une crise urbaine, le tout cumulé ; ce n'est pas vrai. Il faut des moyens spécifiques et discriminants et un regard plus lucide sur cette situation.
Cette situation se résume en quatre points.
Premier point : l'habitat.
L'habitat indigne a cette faculté extraordinaire d'être la pompe aspirante par défaut des plus fragiles de notre population. C'et ce qui explique que le chômage ait augmenté de 30 % à la cité de Malakoff à Nantes, alors qu'il se réduisait de 30 % sur le reste du bassin. Bien entendu, ce que je dis de Nantes est une illustration. C'est vrai ailleurs, en Rhône-Alpes notamment. Un tel habitat est indigne de la République.
J'ai fait faire une expertise à Clichy-Montfermeil. Sur les bâtiments en copropriété du parc social, aucun bâtiment n'a moins de cinq points de danger mortel.
Vous le savez, l'injustice crée la violence, surtout dans une société d'information. Le pacte républicain se joue là, comme l'accord d'intégration.
Nous sommes dans une situation de ségrégation territoriale massive, où se concentrent des problèmes d'intégration, des problèmes sociaux, des problèmes religieux, des problèmes d'équilibre psychopédiatrique pour les enfants.
Oui, nous avons fait comme si le système pouvait tout régler, ce qui n'est pas possible.
Nous n'avons pas remis en cause la redistribution de la collecte. C'est fait maintenant.
Il y a deux ans, nous n'avons pas non plus remis en cause les fonds propres et la gouvernance du monde HLM. C'est un vrai souci !
Je ne peux pas accepter que, dans notre pays, l'état d'entretien du parc HLM soit la variable d'ajustement des comptes d'exploitation de nos offices. Quand un office ou une SA n'ont pas les moyens, on fusionne, on se regroupe. Nous aiderons le financement de ces opérations là. Je n'accepterai plus que, lorsqu'une SA ou qu'un office n'ont que 1 200 logements, parmi lesquels 1 100 sont dans des quartiers en difficulté, la seule réponse soit l'octroi d'une subvention, sans remise en cause de l'ensemble des fonds propres du monde HLM. Et ce monde HLM est d'accord aujourd'hui sur cette démarche. Deuxième point : l'éducation.
Il n'est pas imaginable que, pour nos quartiers qui sont de véritables cités internationales, où entre trente et quarante nationalités différentes se côtoient, où l'on trouve 32 % de moins de vingt ans, nous ne dégagions que 8 % de moyens supplémentaires, alors que le lycée international de Saint-Germain-en-Laye reçoit 30 % de moyens en plus, que des écoles particulières internationales créées pour accueillir les Japonais de Toyota reçoivent 40 % de moyens en plus.
Nos amis Anglais, que l'on brocarde si facilement, ont mis, eux, 40 % de moyens en plus dans le système pédagogique des zones suburbaines britanniques.
Nos amis canadiens, qui, eux, ont un problème d'immigration positive, mettent 88 % de moyens en plus.
Nous sommes très loin du compte.
Pour rendre aux adultes, aux mamans, le véritable pouvoir dans les quartiers, il faut sortir de l'habitat indigne ; c'est la seule façon de recréer la solidarité sur l'ensemble du territoire : c'est la vraie mixité.
Pour le système éducatif, nous agirons avec l'éducation nationale à partir du prochain semestre. Un conseiller technique est particulièrement en charge de ce dossier. La nouvelle école de l'élite du pays, celle de ces « cités internationales », voilà l'objectif éducatif de l'année qui vient !
Troisième point : l'emploi et l'activité économique.
Permettez-moi en cet instant de rendre hommage à Mme et MM. les rapporteurs pour la qualité de leurs rapports et pour l'action qu'ils mènent en faveur de la politique de la ville et de nos quartiers. Le travail effectué en amont d'un rapport est, lui aussi, très important.
En matière d'emploi, vous souvenez-vous des zones franches urbaines, que l'on a tant décriées ?
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué. Les 44 zones franches urbaines ont permis la création de 65 000 emplois, dont la moitié ont été créées dans les quartiers. Pourtant, le dispositif a été brocardé.
On nous avait annoncé que Bruxelles n'accepterait jamais que l'on développe ce système. Eh bien, c'est faux ! J'ai sous les yeux le compte rendu de la réunion du 13 novembre avec Mario Monti. Bruxelles, qui est conscient que l'Europe démocratique se joue dans l'intégration sociale, ethnique et religieuse sur tout le territoire européen, nous a donné son accord de principe pour la création de 80 zones urbaines franches : 44 des anciennes zones seront ainsi réouvertes et consolidées et 40 nouvelles zones seront créées.
Je dois vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le rapport de votre collègue Pierre André, qui a contrebalancé le scandaleux rapport de l'IGAS paru il y a cinq ans,...
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. Jean-Louis Borloo, ministre délégué. ... qui a été rédigé après que des visites eurent été effectuées sur tous les sites de manière républicaine, avec l'accord de toutes les formations politiques, après écoute de tous les élus, qui a été soutenu par tout le monde, a probablement été l'outil qui nous a permis de convaincre la Commission européenne de soutenir de nouveau les zones franches, après avoir modifié quelques détails opérationnels qu'il était effectivement nécessaire de modifier en fonction de l'expérience que nous avions les uns et les autres.
Madame le rapporteur, vous êtes intervenue de manière tout à fait pertinente sur la question des métiers de la ville. Là aussi, notre modèle est épuisé.
Notre pays compte 800 000 travailleurs sociaux. Près d'un tiers d'entre eux sont dans des situations de quasi-précarité, alors qu'ils exercent un métier d'une grande difficulté, peu reconnu par la République en termes de prestige et d'évolution de carrière.
Les métiers de la ville, je les vois assez bien, finalement, autour du meilleur des maillages, qui est celui de l'école républicaine. Il va bien falloir que, tous ensemble, nous redéfinissions cette grande école de la République que sont les métiers de l'humain ou les métiers de la ville.
Par absence de stratégie commune, par absence de perspective, par absence de reconnaissance, par absence de concentration des moyens, nous avons une gigantesque déperdition dans ces métiers de l'humain.
La politique de la ville se développera dans ces quatre axes-là.
J'en reviens à l'habitat.
Il faut absolument agir pour supprimer la ségrégation territoriale. M. Demuynck parlait de la Seine-Saint-Denis. Moi, je me suis rendu à Villetaneuse et à Epinay hier.
La cité Salvador Allende, ce n'est pas acceptable !
Les copropriétés privées des Bosquets, ce n'est pas acceptable !
Bellevue à Marseille, ce n'est pas acceptable !
Monsieur Fischer, il est des sites que vous connaissez mieux que quiconque, qui sont des appels à la ségrégation, à la logique de l'injustice, qui sont le terreau des terrorismes de demain.
Aussi, je vous en supplie, mesdames, messieurs, sortez des idées convenues qui consistent à opposer la pierre et l'homme. Dire : « ce ne sont pas les pierres qui souffrent, ce sont les hommes », ce n'est qu'un effet de manches. Pour ma part, je ferai tout pour que tous les habitats soient dignes sur l'ensemble du territoire de la République.
J'en viens aux moyens.
Mesdames, messieurs les rapporteurs, vous avez évoqué la complexité de la politique de la ville. Je souhaiterais formuler deux remarques à cet égard.
D'abord, c'est tout le drame de la ville qui est complexe ; mais, c'est vrai, les procédures ne le sont pas moins.
S'agissant des chiffres, voici le chiffre le plus important : 135 millions d'euros de crédits non utilisés.
Les crédits utilisés le sont par le fonds d'intervention pour la ville, le FIV. Ils sont, pour moi, sanctuarisés ; 66 % d'entre eux sont versés aux associations entre novembre et décembre pour les actions de l'année en cours.
J'en viens aux décisions.
Nous allons contractualiser directement avec les villes, sous réserve de l'accord stratégique du sous-préfet, pour qu'un rapport direct se noue entre les villes et les associations.
Il y aura sûrement des effets pervers secondaires, mais la démocratie locale est là pour s'appliquer.
Nous n'avons pas à emboliser les systèmes de l'Etat et du ministère de la ville pour recueillir les identités bancaires des associations. Note rôle est plus stratégique. Il n'est sûrement pas de dispenser des crédits. En conséquence, à partir de l'année prochaine, les crédits du FIV seront intégralement affectés aux communes, dans le cadre de la politique de la ville, en nous réservant quelques cas extrêmement particuliers.
Quant au fonds de revitalisation économique, le FRE, il a 60 millions de réserves pour une dotation de 16 millions d'euros. Franchement, est-ce normal ? Il y aurait tout de même une réflexion à mener sur ce point !
Le vrai financement de la politique de la ville, c'est celui des 80 sites de zones franches urbaines, qui est sans commune mesure, croyez-moi, avec sa traduction dans le budget de l'Etat. Moi, je veux des budgets de vérité.
Dois-je rappeler - ce n'est pas une critique envers mon prédécesseur, qui avait essayé de déconcentrer les crédits -, qu'une grande partie des crédits du logement social, 28 % n'ont pas été consommés l'année dernière ? Ainsi, 700 millions d'euros ont été renvoyés par les partenaires sociaux sur le budget général de l'Etat pour le logement social.
La loi de programmation que nous allons présenter au premier semestre 2003 n'a pas d'autre vocation que de sanctuariser pour cinq ans la somme de 1,2 milliard d'euros qui s'est évaporée dans la complexité de nos procédures, dans l'incapacité de faire par manque de confiance entre les différents partenaires. Cette somme s'ajoutera aux crédits communs pour faire en sorte que l'habitat soit digne sur tout le territoire de la République.
Alors, très franchement, je ne vois pas comment on peut faire des critiques sur le budget de fonctionnement d'un ministère qui garde, en gros, les budgets de l'année dernière mais qui s'organise pour dépenser différemment ses crédits dans le cadre d'un budget unique. A ce propos M. le ministre du budget a pris l'engagement de présenter un amendement la semaine prochaine sur la nomenclature du titre VI de mon ministère. C'est la raison pour laquelle j'ai retiré l'amendement qui devait être discuté ce soir sur la gestion de la ligne unique des crédits.
Il faut mettre de la transparence dans nos actions avec les partenaires sociaux, les représentants des villes, la Caisse des dépôts et nos amis de l'ANAH. A cet égard, j'ai trouvé très juste que l'on souligne tout à l'heure le rôle important joué par l'ANAH, notamment en matière de reconquête des logements vacants et insalubres des centres-villes.
Nous allons donc avoir un outil démocratique transparent hors critères. Le seul critère sera de faire émerger ces quartiers-là quoi qu'il arrive, de leur donner les moyens d'exister.
Enfin, pour que votre information soit complète, j'aborde maintenant la situation la plus scandaleuse que constituent les copropriétés définitivement dégradées dans un pays qui protège la propriété privée.
Nous allons déposer un projet de loi tendant à supprimer ce détournement de la propriété privée qu'est la propriété des marchands de biens et des réseaux.
Je demanderai au Parlement d'accepter que, lorsqu'il y a insalubrité, urgence morale ou urgence physique, nous ayons, nous, Etat, à la demande des communes, la capacité d'intervenir et d'exproprier ces copropriétés privées dégradées.
Bref, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation n'est pas simple, la situation n'est pas facile. Il n'y a pas de David Copperfield au ministère de la ville. Mais j'aimerais tout de même que ce budget soit soutenu sur toutes les travées de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant la ville et la rénovation urbaine.

ÉTAT B



M. le président. « Titre III : moins 264 430 euros. »