SEANCE DU 3 DECEMBRE 2002


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, et le budget annexe des prestations sociales agricoles.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joël Bourdin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élaboré dans un contexte budgétaire national et communautaire plus que tendu, le présent projet de budget a dû notamment composer avec l'héritage des gestions budgétaires hasardeuses du passé, critiquées, en particulier, par la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2001.
En 2003, le budget du ministère chargé de l'agriculture s'élèvera à 5,154 milliards d'euros, en augmentation de 0,9 % par rapport aux dotations initiales pour 2002, mais en baisse de 3,8 % par rapport aux dotations inscrites en loi de finances rectificative.
Toutefois, il faut souligner que ce budget ne recouvre pas l'ensemble des concours publics en faveur de l'agriculture, si bien qu'il ne permet pas l'identification exhaustive de la réalité de l'intervention de l'Etat en faveur de l'agriculture.
Ainsi, pour 2003, l'ensemble des concours publics à l'agriculture atteindra un total de près de 27,5 milliards d'euros, ce montant incluant les dépenses relatives au régime de protection sociale des agriculteurs, - regroupées au sein du budget annexe des prestations sociales agricoles, le BAPSA, sur lequel je reviendrai plus tard -, les dépenses en faveur de l'agriculture consenties par d'autres ministères, les dépenses des collectivités locales, enfin, les dépenses communautaires, qui représenteront plus de 9,95 milliards d'euros en 2003.
Malgré les contraintes budgétaires, et grâce à la mise en oeuvre d'une politique de rationalisation des coûts budgétaires et de meilleure gestion des effectifs qui devra être poursuivie et amplifiée dans les années à venir, le présent projet de budget vous permet, monsieur le ministre, de financer les priorités que vous avez définies.
Vos quatre priorités principales, auxquelles je souscris totalement, sont les suivantes : promouvoir une agriculture écologiquement responsable et économiquement forte au service de la qualité des produits ; renforcer l'attractivité de l'agriculture ; lancer une politique nouvelle de l'espace rural ; enfin, soutenir l'effort de modernisation de la pêche et des cultures marines.
Si la qualité et la sécurité sanitaire de l'alimentation ainsi que la multifonctionnalité de l'agriculture, thèmes chers au précédent gouvernement, restent primordiales, le présent projet de budget permet cette année d'insister sur des secteurs qui avaient été auparavant délaissés, voire marginalisés.
Parmi ces secteurs, je citerai d'abord la politique forestière. Les crédits consacrés à la gestion durable de la forêt connaissent, en 2003, une augmentation très sensible. Se traduit ainsi la volonté du Gouvernement d'accélérer la mise en oeuvre du plan national pour la forêt en poursuivant la reconstitution des forêts après tempêtes, de verser une compensation exceptionnelle à l'Office national des forêts, l'ONF, et de développer les investissements dans la filière bois.
Je citerai également la politique de la montagne, caractérisée par une revalorisation des indemnités compensatoires de handicap naturel, un réel soutien à l'enseignement agricole, notamment à l'enseignement privé, et, enfin, de manière plus générale, la mise en oeuvre d'une politique de valorisation de l'image de l'agriculture auprès de l'opinion publique, grâce à la création du fonds de communication et de valorisation.
Au-delà de ce regain de l'intérêt porté à des secteurs qui en avaient cruellement besoin, il faut noter dans le projet de budget la volonté du nouveau ministre de prendre à bras-le-corps les difficultés récurrentes de la politique agricole nationale.
C'est le cas, notamment, des contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, pour lesquels vous avez décidé, monsieur le ministre, de suspendre les signatures, dans l'attente d'une réflexion d'envergure sur la réforme de cet outil. Ne contestant pas l'intérêt de la démarche contractuelle que représentent les CTE, vous avez cependant reconnu, et avec raison, l'extrême complexité administrative et, surtout, le coût budgétaire exponentiel de ce dispositf, ce que j'avais moi-même dénoncé lors de l'examen des précédents budgets. Le fonds de financement des CTE sera néanmoins doté de 200 millions d'euros cette année, afin de couvrir les dépenses des années antérieures.
S'agissant de la politique en faveur de l'installation, je note également la volonté du Gouvernement de trouver des solutions innovantes, avec notamment la création du fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture.
Malgré tous ces aspects très positifs, je relèverai quelques points qui mérite que vous les explicitiez, monsieur le ministre.
Tout d'abord, la réduction de 15 % de la subvention de fonctionnement aux offices résulte d'une volonté de rationaliser leur gestion. La nécessité d'une telle mesure a d'ailleurs été soulignée par la Cour des comptes, qui a critiqué la gestion de ces offices et leur façon de distribuer les aides communautaires. J'estime néanmoins que les crédits des offices sont d'une importance primordiale pour l'adaptation structurelle des exploitations et des filières. Pourriez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quels sont précisément vos projets en matière de rationalisation et de modernisation de la gestion des offices agricoles ?
D'autres crédits budgétaires sont cette année en souffrance. Il s'agit notamment de la dotation au fonds national de garantie des calamités agricoles, qui est nulle pour 2003 ; il s'agit également des crédits en faveur des agriculteurs en difficulté, qui connaissent une baisse significative sur laquelle je m'interroge. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur les raisons de la diminution de ces deux subventions, sans doute liées aux gestions budgétaires antérieures ?
Au total, je suis donc très satisfait du premier projet de budget agricole de la nouvelle législature, qui s'inscrit sous le signe de la saine gestion budgétaire et de la défense des intérêts agricoles nationaux.
S'agissant maintenant du projet de budget annexe des prestations sociales agricoles pour 2003 - puisque l'originalité de la discussion du projet de loi de finances pour 2003, est que l'on examine en même temps le budget de l'agriculture et le BAPSA -, sa discussion prend cette année une dimension particulière, puisqu'elle s'inscrit dans un contexte de « crise » du financement de la protection sociale des non-salariés agricoles.
On s'en souvient, le Gouvernement a dû recourir, à l'occasion du vote du collectif budgétaire de cet été, à une solution exceptionnelle de financement du déficit d'exécution du BAPSA pour 2002 par le biais, d'une part, de prélèvements sur trois organismes agricoles - la société Unigrains, le fonds national de garantie des calamités agricoles et les caisses de mutualité sociale agricole, ou MSA -, à hauteur de 456 millions d'euros, et, d'autre part, d'un doublement de la subvention d'équilibre du budget général. Ce financement exceptionnel avait suscité l'émoi d'un grand nombre de nos collègues sénateurs, puis leur compréhension, sinon leur acceptation, sous réserve que soient trouvées des sources de financement pérennes au BAPSA et que l'on fasse reposer celui-ci sur des prévisions de dépenses et de recettes réalistes, afin de garantir à terme son équilibre sans avoir recours à de tels prélèvements exceptionnels.
En 2003, le BAPSA s'élèvera, hors restitutions de TVA, à 14,625 milliards d'euros, en hausse de près de 2,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2002.
Les sources externes de financement du projet de BAPSA pour 2003 restent majoritaires, dans la mesure où le niveau des contributions professionnelles versées par les exploitants agricoles ne permet pas de couvrir intégralement les besoins de financement de la protection sociale des agriculteurs.
Pour 2003, les recettes du BAPSA se caractérisent par plusieurs traits.
Tout d'abord, on constate une quasi-stabilité du montant des contributions professionnelles par rapport aux dotations de la loi de finances initiale pour 2002 et une faible progression du montant des taxes affectées, toujours marquées par la prévalence des recettes de TVA nette et par une montée en puissance du prélèvement sur la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, en augmentation de 25 % par rapport à 2002.
Ensuite, le montant des transferts de compensation démographique diminue faiblement - de 1 % -, tandis que la participation de l'Etat au titre de la subvention budgétaire d'équilibre est quasiment doublée par rapport à la loi de finances initiale pour 2002. Alors que, entre 2001 et 2002, la subvention budgétaire avait enregistré une baisse record de 67 %, le niveau atteint en 2003, soit près de 523 millions d'euros, marque l'engagement de l'actuel gouvernement d'assurer la solvabilité du régime de protection sociale des agriculteurs.
Enfin, la ligne « recettes diverses » s'établit, pour 2003, à 43,2 millions d'euros, ce qui représente une progression de 31 millions d'euros par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2002. Cette augmentation correspond au nouveau prélèvement institué sur les caisses de mutualité sociale agricole par l'article 21 du présent projet de loi de finances.
Les dépenses prévisionnelles s'établissent pour 2003 à près de 15,9 milliards d'euros. Hors restitutions de TVA, elles s'élèvent à 14,625 milliards d'euros, en augmentation de 2,6 % par rapport au montant des dépenses votées en loi de finances initiale pour 2002.
Toutefois, il faut souligner que la loi de finances rectificative pour 2002 a modifié ce montant des dépenses en fonction de prévisions de réalisation plus importantes In fine , on note donc une diminution de 0,84 % entre les dépenses prévisionnelles du présent projet de BAPSA pour 2003 et les dépenses votées en loi de finances rectificative pour 2002.
Les prestations d'assurance vieillesse représentent, avec plus de 8 milliards d'euros, le principal poste de dépenses du BAPSA en 2003, ce qui équivaut à près de 55 % du total des dépenses, en augmentation de 1 % par rapport aux dépenses prévues dans la loi de finances initiale pour 2002.
En outre, la participation de l'Etat au financement du nouveau régime de retraite complémentaire obligatoire des agriculteurs, d'un montant de 28 millions d'euros, est incluse cette année dans ce poste de dépenses.
Les dépenses d'assurance maladie, maternité et invalidité, qui constituent le deuxième poste de dépenses du BAPSA avec 39,4 % du total des dépenses, devraient s'établir pour 2003 à près de 5,8 milliards d'euros, en augmentation de 5,4 % par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2002.
Toutefois, les prévisions de dépenses pour 2003 sont inférieures aux prévisions d'exécution pour 2002 de près de 1,3 %. En conséquence, nous nous demandons si les dépenses d'assurance maladie du BAPSA pour 2003 n'ont pas été sous-évaluées, ce qui pourrait créer un déséquilibre financier dans le budget d'ici à la fin de l'année 2003 et contraindrait le Gouvernement à avoir, de nouveau, recours à des sources de financement exceptionnelles et dérogatoires.
Les dépenses de prestations familiales, qui constituent le troisième poste de dépenses, sont évaluées à 581 millions d'euros en 2003, enregistrant une baisse de 1,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2002.
Enfin, les dépenses liées à l'étalement et à la prise en charge des cotisations des agriculteurs en difficulté sont en constante diminution. Ainsi, pour 2003, comme je l'ai déjà indiqué, aucun crédit n'était inscrit dans le projet de loi de finances initialement présenté par le Gouvernement à ce chapitre budgétaire, en raison de l'ajustement aux besoins par suite de l'évolution des dépenses et des effectifs. Je me félicite de ce que, lors de la première lecture, l'Assemblée nationale ait abondé cette ligne à hauteur de 10 millions d'euros. Nous étions en droit de nous interroger sur l'opportunité de cette réduction drastique dans un contexte agricole encore incertain.
Après cette rapide présentation du BAPSA, je souhaiterais vous faire part, mes chers collègues, des observations suivantes.
Alors que l'avenir de la protection sociale des agriculteurs se trouve aujourd'hui confronté à de nouveaux défis - mise en place d'un régime de retraite complémentaire obligatoire, réforme de la couverture accidents du travail et maladies professionnelles - la question du cadre financier de cette protection sociale se pose avec acuité.
En effet, depuis 1997, tous les exercices du budget annexe des prestations sociales agricoles se sont soldés par un déficit d'exécution mettant en évidence les difficultés d'une réelle gestion budgétaire de ce budget annexe.
Les déficits constatés depuis 1997 ont eu pour origine, avant tout, une sous-estimation récurrente des dépenses prévisionnelles du BAPSA, notamment des dépenses d'assurance maladie, ainsi qu'une constante surestimation des recettes de cotisations sociales.
En 2001, le besoin de financement du BAPSA était de 452 millions d'euros.
La loi de finances rectificative pour 2002 a confirmé l'ampleur de ce besoin de financement du BAPSA, fixé à 746 millions d'euros.
Enfin, les perspectives financières du BAPSA pour 2003 sont telles que, dans le présent projet de loi de finances, sont prévus non seulement un doublement de la subvention d'équilibre du budget général par rapport à la loi de finances initiale pour 2002, mais aussi, conformément aux dispositions de l'article 21, une nouvelle contribution des caisses de MSA, à concurrence de 31 millions d'euros.
Ce contexte financier du régime de protection sociale des agriculteurs est d'autant plus inquiétant que de nouveaux défis doivent aujourd'hui être relevés.
Le premier concerne la mise en place du régime de retraite complémentaire obligatoire créé par la loi du 4 mars 2002 : les nouvelles dispositions relatives à la création de ce régime devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2003. L'article 61 du présent projet de loi de finances prévoit cependant de repousser cette entrée en vigueur au 1er avril 2003, compte tenu des délais de mise en oeuvre comportant, notamment, la parution des décrets nécessaires. En outre, cet article prévoit une participation financière de l'Etat de 28 millions d'euros en 2003.
La mise en place de ce nouveau régime doit permettre aux chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole de percevoir, après une carrière complète, une pension globale équivalente à 75 % du SMIC annuel net de prélèvement social.
Selon les informations fournies par le précédent gouvernement dans son rapport relatif aux retraites agricoles, le montant minimal de la retraite complémentaire devrait s'élever à 1 143 euros par an pour une carrière complète. En outre, le régime devrait profiter à quelque 500 000 chefs d'exploitation déjà retraités. Enfin, son coût devrait s'établir entre 377,2 millions d'euros et 452,6 millions d'euros chaque année.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner plus de précisions quant à la participation financière future de l'Etat à ce nouveau régime ?
En ce qui concerne la réforme de la couverture contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des exploitants agricoles, la loi du 30 novembre 2001 est entrée en vigueur le 1er avril 2002. Elle vise à la restauration de l'obligation d'assurance en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles des non-salariés agricoles, au relèvement du niveau des prestations ainsi qu'à la mise en place d'une politique de prévention des risques professionnels.
Cette réforme a profondément modifié l'esprit de cette couverture en transformant un régime assurantiel basé sur des règles de concurrence en un véritable régime de sécurité sociale.
Enfin, il faut s'interroger aujourd'hui sur l'avenir institutionnel du BAPSA. Dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2001, la Cour des comptes a appelé à sa suppression.
Le BAPSA sera en effet amené à disparaître au plus tard d'ici au premier exercice d'entrée en vigueur des dispositions budgétaires de la nouvelle loi organique, à savoir d'ici à 2006.
La suppression, à terme, du BAPSA devrait entraîner son intégration dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ainsi, l'ensemble du régime social agricole pourrait être examiné par le Parlement au moment de la discussion dudit projet de loi, comme tous les autres régimes sociaux des non-salariés.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en dire davantage sur votre vision de l'avenir institutionnel du BAPSA ?
En outre, il convient de souligner que trois articles, dont un vient d'être adopté à l'Assemblée nationale, sont rattachés au budget de l'agriculture.
L'article 60 du projet de loi de finances vise à fixer pour 2003 le plafond de l'augmentation du produit de la taxe pour frais de chambre d'agriculture au taux de 1,7 %, taux identique à celui de 2002, mais il est proposé de doubler le plafond de majoration exceptionnelle de ce taux.
L'article 61 du projet de loi de finances, auquel j'ai déjà fait allusion, établit le montant de la participation de l'Etat au financement du nouveau régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles à 28 millions d'euros. Il tend également à repousser les premiers versements associés à ce régime, précédemment fixés au 1er janvier 2003, au 1er avril 2003, afin de tenir compte des délais de parution de tous les décrets nécessaires.
L'article 61 bis prévoit que le Gouvernement transmettra au Parlement, avant le 30 juin 2003, un rapport évaluant les conditions de fonctionnement des offices agricoles et proposant des mesures destinées à en minorer les frais de structure.
Je vous propose, mes chers collègues, d'adopter ces articles sans modification.
Je vous propose également d'adopter le budget de l'agriculture pour 2003, estimant qu'il répond, dans un contexte budgétaire national et communautaire de restriction, aux grandes priorités de l'agriculture française, de même que le budget annexe des prestations sociales agricoles. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard César, rapporteur pour avis.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'agriculture. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année encore, les résultats économiques de l'agriculture portent les stigmates des crises traversées.
Si la hausse des prix des produits agricoles en 2001, de 3,3 % en moyenne, a permis une relative tenue de la production en valeur, elle n'a pourtant pas concerné toutes les productions, le secteur bovin, notamment, subissant un effrondement des cours lié à une nouvelle crise de confiance de la part des consommateurs.
Pour cette année 2002, les prix agricoles semblent, au contraire, de nouveau orientés à la baisse.
En outre, si le résultat net de l'agriculture progresse en 2001, c'est aussi, en partie, grâce aux soutiens publics versés dans le cadre des plans anti-crises, comme ceux qui furent décidés en faveur des éleveurs bovins.
Surtout, nos productions souffrent de plus en plus de l'affaiblissement de la préférence communautaire et de la concurrence des importations à bas prix qui en résulte.
Il convient, à cet égard, d'évoquer les importations massives de blé en provenance des pays de la mer Noire, mais également la concurrence que fait subir au secteur avicole français l'entrée, sur le marché européen, de volailles sous-taxées en provenance du Brésil et de Thaïlande.
Le contingent d'importations de vin à droits nuls accordé par l'Union européenne à l'Afrique du Sud, dans le cadre d'un accord signé en début d'année et qui pourrait être reproduit avec d'autres pays viticoles, risque d'avoir les mêmes effets désastreux dans le secteur du vin.
Les négociations conduites actuellement au niveau international et communautaire sont, de ce point de vue, lourdes d'enjeux pour l'agriculture française. Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, le dossier agricole reste l'un des plus sensibles et cristallise les oppositions.
A l'échelon européen, le périmètre de la révision à mi-parcours reste encore indéterminé. Si les adaptations apparaissent souhaitables dans un certain nombre de secteurs, comme celui de la viticulture, il ne saurait être question d'anticiper sur une réforme de fond qui ne peut avoir lieu avant 2006, conformément à l'accord de Berlin de mars 1999, et je sais, monsieur le ministre, combien vous y êtes attaché.
A ce propos, je me félicite de l'accord passé entre le Président de la République et le Chancelier allemand, M. Gerhard Schröder, repris lors du Conseil européen de Bruxelles. Cet accord pose le principe d'un maintien des aides directes jusqu'en 2006 contre l'engagement de contenir, après cette date, les dépenses du premier pilier à leur niveau de 2006.
Cependant, l'élargissement de l'Union à dix nouveaux pays, qui se produira certainement en 2004, impliquera nécessairement un redéploiement des dépenses agricoles dans le respect du nouveau plafond budgétaire, ce qui préoccupe les agriculteurs français.
S'agissant des crédits de l'agriculture pour 2003, la commission des affaires économiques a relevé que la progression de 0,9 % dont ils bénéficiaient était certes modeste, mais tout de même appréciable dans un contexte budgétaire tendu. Cette contrainte budgétaire est notamment illustrée par l'insuffisance des moyens prévus l'année dernière en faveur des contrats territoriaux d'exploitation.
Pour 2003, un certain nombre de priorités sont affirmées. Je n'y reviens pas puisqu'elles ont déjà été présentées.
S'agissant plus particulièrement des crédits examinés dans le cadre de cet avis, la commission des affaires économiques a estimé qu'ils bénéficiaient, globalement, d'une évolution favorable.
Illustrant la volonté du Gouvernement de soutenir une production agricole respectueuse de l'environnement, les crédits consacrés à la politique agri-environnementale sont plus que doublés, passant de 164 millions d'euros à 333 millions d'euros.
A cet égard, la commission des affaires économiques se félicite de la mise en place d'une nouvelle prime herbagère agri-environnementale ou PHAE, qui prendra le relais de l'actuelle prime à l'herbe appelée à disparaître en 2003.
Cette initiative semble correspondre aux attentes exprimées tout récemment dans le rapport de la mission d'information sur l'élevage, que préside notre collègue Jean-Paul Emorine, qui a mis en évidence le rôle essentiel joué par l'élevage allaitant dans les zones herbagères traditionnelles.
La commission a également pris note de la forte revalorisation, à concurrence de 200 millions d'euros, de la dotation affectée aux CTE, ce qui permettra d'honorer les engagements déjà contractés et de conclure de nouveaux contrats dans le cadre d'un dispositif rénové des contrats d'agriculture durable, les CAD, qui vient d'être annoncé.
Je pense, monsieur le ministre, qu'il serait très intéressant que vous veniez présenter ces nouveaux contrats devant la commission des affaires économiques dès la publication des textes réglementaires qui s'y rapportent, et même avant.
Nous avons également relevé avec satisfaction la progression des crédits consacrés à la politique de l'installation, des structures et de la modernisation des exploitations, qui doit notamment permettre la relance des programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le développement des intiatives locales, plus connus sous le nom de PIDIL. Enfin, il convient de se féliciter de l'annonce de la mise en place du fonds de valorisation et de communication doté de 2 millions d'euros, dont la création, prévue par la loi d'orientation agricole de 1999, était attendue avec impatience par le monde agricole.
Certaines lignes budgétaires enregistrent toutefois une diminution de leurs crédits. C'est notamment le cas des dotations prévues pour le dispositif Agridif - agriculteurs en difficulté -, pour le fonds d'allégement des charges ou encore pour le fonds national de garantie des calamités agricoles. A cet égard, je ferai observer que, dans un budget sous contrainte, des redéploiements de crédits sont inévitables.
En outre, plusieurs des chapitres concernés disposeront encore des crédits de l'année précédente, soit grâce à des reports, soit grâce à l'existence d'une réserve financière, comme c'est le cas pour le fonds national de garantie des calamités agricoles.
Enfin, les dotations en baisse, qui ont habituellement vocation à être mobilisées en cas de difficultés conjoncturelles, pourront être complétées, le cas échéant, dans les collectifs budgétaires ; c'est ce que vous avez annoncé devant la commission des affaires économiques, monsieur le ministre.
Au sujet de l'assurance-récolte, la commission des affaires économiques souhaiterait savoir quel bilan est tiré de l'expérimentation mise en place par le décret du 23 avril 2002 et s'il est envisagé de la prolonger et de l'étendre à tout le pays.
La seule réserve que j'émettrai à l'appréciation positive que je porte sur le budget concerne la diminution de 15 % des crédits destinés aux offices on peut craindre en effet qu'elle ne se traduise par une réduction des actions d'orientation en faveur de la recherche et de l'orientation, notamment, à un moment où de nombreuses filières, fragilisées par les crises, éprouvent un besoin particulier de dynamisation.
Jugeant, malgré ce dernier point, ce projet de budget globalement équilibré, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable quant à son adoption.
Cependant, monsieur le ministre, en tant que rapporteur du groupe de travail sur la viticulture, je me permets de souligner le manque de chercheurs de l'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique, dans la filière viticole. En effet, seuls 145 chercheurs sur 8 000 personnes sont affectés à la viticulture.
Monsieur le ministre, en vous remerciant d'avoir bien voulu conclure notre colloque « vin santé » organisé au Sénat, je vous demanderai, à vous qui savez ce que représente la filière viticole en matière d'exportation, d'emplois directs et indirects sur notre territoire national, de prier l'INRA d'affecter un plus grand nombre de chercheurs à la filière viticole. Ne prenons pas de retard par rapport aux autres pays viticoles !
La concurrence provenant des pays du Nouveau Monde, de l'Italie, de l'Espagne, sans parler des pays d'Europe centrale et orientale, est sévère.
Sachons réagir pour l'avenir de la viticulture française ! Je compte, monsieur le ministre, sur votre soutien, que je sais acquis d'avance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gérard, rapporteur pour avis.
M. Alain Gérard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour la pêche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la gestion durable des pêches maritimes et de l'aquaculture mobilisera encore de modestes crédits en 2003, s'élevant à 26 millions d'euros, soit une dotation budgétaire en léger recul de 2,2 %. C'est pourtant l'avenir de toute la filière pêche qui est en jeu, soit 100 000 personnes, si l'on tient compte des activités à terre qui vivent de la pêche en mer.
Or le secteur de la pêche est convalescent, vous le savez, monsieur le ministre, et il doit faire l'objet de soins attentifs de votre part.
En effet, les pêcheurs sont passés à travers de nombreux grains : marée noire, tempête, hausse du prix du carburant. Et leur horizon ne s'est pas dégagé pour autant : les professionnels de la pêche se trouvent devant d'importants défis. J'en identifie trois principaux.
Le premier concerne les difficultés de recrutement. L'emploi, dans le secteur de la pêche, baisse tendanciellement depuis de nombreuses années, même s'il s'est stabilisé en 2001.
Pourtant, dans ce contexte, 30 % des entreprises de pêche rencontrent des difficultés de recrutement. Certains navires en sont même réduits à rester à quai.
Or le nombre de nouveaux marins pêcheurs s'accroît chaque année et dépasse largement le nombre des départs en retraite ou des décès. Une étude qui vous a été remise, monsieur le ministre, explique ce paradoxe : s'il est difficile de recruter, c'est que de nombreux pêcheurs abandonnent rapidement leur métier, lassés des conditions de travail difficiles et dangereuses. De plus, l'image du secteur, marqué par le déclin, les crises économiques récurrentes, les difficultés croissantes d'installation en tant que patron artisan jouent comme autant de barrières à l'entrée, voire au maintien dans la profession.
Il me semble donc urgent de fidéliser les recrues en améliorant les conditions de travail, mais aussi d'ouvrir le marché du travail de la pêche en y intégrant de nouveaux publics et en facilitant les reconversions à terre.
La profession doit en outre répondre au défi que constitue l'exigence de qualité des consommateurs. La nouvelle règle d'étiquetage, en vigueur depuis le début de l'année, y contribue. Cette démarche en faveur de la qualité implique aussi d'assurer une grande sécurité sanitaire des produits de la mer. C'est manifestement une priorité de votre budget.
Enfin, la pêche doit absolument relever un autre défi : celui de la sécurité à bord. Entre 1997 et 2001, trente marins pêcheurs ont disparu en mer chaque année. Vous conviendrez que c'est insupportable ! Le plan mis en place par votre prédécesseur vise à parer aux défaillances matérielles et aux erreurs humaines. Je compte sur vous, monsieur le ministre - et je sais que je peux le faire - pour en assurer l'application, voire le renforcement.
L'état du navire est sûrement l'une des clefs de la sécurité à bord. Vous en avez eu l'expérience lors de votre embarquement sur le Chimère, au Guilvinec. Or Bruxelles menace de supprimer, dès le 1er janvier prochain, toute aide publique à la flotte.
Nous voici au coeur des préoccupations des pêcheurs : la réforme de la politique commune de la pêche. J'avais fait part, l'an dernier, de mes inquiétudes à la lecture du Livre vert de la Commission. Malheureusement, le projet présenté en mai dernier par le commissaire européen chargé de la pêche, M. Franz Fischler, a confirmé mes craintes.
Je ne remets pas en cause le diagnostic de la Commission : il est bien évident qu'il faut trouver les moyens d'assurer le développement durable de la pêche. Pour autant, il n'est pas acceptable de sacrifier aussi brutalement 8 000 navires européens et 28 000 marins pêcheurs sur l'autel du principe de précaution. L'état de la ressource à long terme est si mal connu qu'il ne doit pas commander une politique malthusienne de la pêche, alors même que la pêche minotière n'est pas inquiétée.
La ressource peut être gérée localement de manière responsable, sans impliquer nécessairement la casse des navires. Plusieurs réussites le prouvent et incitent à une gestion décentralisée de la ressource.
Permettez-moi d'évoquer brièvement le projet alternatif que nous avons proposé en janvier dernier dans la résolution européenne adoptée par le Sénat. Nous imaginons une politique commune de la pêche recentrée autour des totaux admissibles des captures, les TAC, et des quotas. A cet égard, les dernières propositions de la Commission tendant à la réduction de 80 % de certaines captures prouvent bien que la fixation de ces TAC doit impérativement rester de la compétence du Conseil européen, car il s'agit bien de décisions politiques et non de décisions techniques.
Des contrôles renforcés et équitables, réalisés sous la responsabilité d'inspecteurs communautaires, viendraient en outre assurer la pleine application de cette nouvelle politique commune de la pêche. Des mesures techniques compléteraient le dispositif, encourageant notamment le recours à des engins de pêche sélectifs, car « mieux vaut trier sur le fond que trier sur le pont », comme on le dit chez nous.
En outre, la politique commune de la pêche doit prendre en compte la dimension sociale de la pêche et son rôle dans l'aménagement du territoire. On ne peut donc envisager de supprimer totalement et brutalement en janvier prochain les aides publiques à la construction et à la modernisation des navires de pêche. Ces aides ne sont effectivement, monsieur le ministre, ni facteur de surcapacité, ni facteur de surpêche, ni facteur de distorsion de concurrence. Au contraire !
L'aboutissement des négociations sur le projet de la Commission européenne est prévu pour la fin du mois. Nous comptons sur votre combativité pour soutenir la position française, avec l'appui des pays réunis dans le groupe des « Amis de la pêche ».
Pour vous marquer son soutien, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur l'adoption du budget de la pêche pour 2003. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, rapporteur pour avis.
M. Gérard Delfau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour le développement rural. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l'accord de Berlin de mars 1999 entérinant l'Agenda 2000, la notion de développement rural n'a cessé de prendre de l'importance. En effet, l'Agenda 2000 a fait du développement rural le second pilier de la politique agricole commune.
Le développement rural constitue désormais une dimension à part entière de la politique agricole des Etats membres de l'Union, ce dont le Sénat se félicite.
Je voudrais insister sur quelques points qui retiennent particulièrement l'attention cette année : les contrats territoriaux d'exploitation, la politique de la montagne et la réforme de l'office national des forêts.
M. Gérard César a déjà excellemment parlé des CTE, mais il est bon d'insister sur ce sujet qui préoccupe le monde agricole et, au-delà, les maires des communes rurales.
L'expérience a montré l'attachement des agriculteurs aux CTE. Je me félicite que le Gouvernement ait entendu cette position, assurant que le dispositif subsistera, fût-ce au prix d'une modification.
Ce point positif étant acquis, certaines questions demeurent concernant l'avenir. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner aujourd'hui plus de détails sur la nouvelle formule du CTE et sur la date à laquelle elle entrera en application ?
Vous avez par ailleurs déploré l'évolution non maîtrisée des dépenses liées aux CTE : pouvez-vous nous préciser où en sont vos réflexions sur ce point et comment elles s'insèrent dans le cadre de la nouvelle formule à laquelle vous travaillez ?
Bien entendu, la commission des affaires économiques suit attentivement l'évolution de ce dossier qui est, vous le savez, particulièrement cher au Sénat tout entier.
La mise à jour de la loi « montagne » suscite également un vif intérêt. Monsieur le ministre, la mission commune d'information du Sénat sur cette mise à jour émis quatre-vingt-dix-huit propositions. La commission des affaires économiques a l'espoir que ces propositions auront retenu toute votre attention et qu'elles guideront votre action à cet égard pour l'année à venir. Nous souhaiterions savoir quels sont vos objectifs en la matière et, surtout, quelles initiatives vous comptez prendre dans un domaine emblématique du développement rural.
J'aborderai enfin la réforme de la politique forestière.
Après l'adoption, l'an passé, de la loi d'orientation pour la forêt - je remarque au passage que, comme l'avait fait valoir le président de notre commission dans sa communication du 30 octobre, la publication des décrets d'application a pris du retard -, la réforme de la politique forestière de notre pays s'est poursuivie cette année par la mise en place d'une vaste réforme de l'ONF, à travers un plan pour l'Office, le PPO, qui est entré en application le 1er septembre dernier.
Ce plan doit permettre à l'ONF de retrouver un équilibre financier au terme du contrat de plan qu'il a conclu avec l'Etat pour les années 2002 à 2006 : ce plan ambitieux prévoit des gains de productivité de 30 % en cinq ans, ce qui implique une profonde réorganisation et une réduction des effectifs de 6,5 %, soit près de 500 postes. Il s'agit là d'un effort considérable, auquel la direction de l'ONF et les personnels consentent pour sauver un outil déterminant, indispensable à toute politique forestière.
Je précise que cette réduction de 500 postes devrait se faire par le non-remplacement de départs à la retraite. Il n'y aura donc pas de licenciements. Je précise également que la direction s'est engagée à ce que cet effort porte sur toutes les catégories de personnel, ce qui sera vérifié.
Mon examen du dossier m'a en tout cas renforcé dans la conviction selon laquelle notre politique forestière a besoin d'un Office national des forêts fort, capable d'organiser et de réguler le marché du bois, qui est à la fois morcelé et déstabilisé à la suite des récentes tempêtes.
Au vu de l'évolution des crédits du développement rural, la commission a émis un avis favorable quant à leur adoption. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Dussaut, rapporteur pour avis.
M. Bernard Dussaut, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour les industries agricoles et alimentaires. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, le chiffre d'affaires des industries agro-alimentaires connaît une forte progression - de 6 % - pour s'établir à 123 milliards d'euros. Cette croissance du chiffre d'affaires s'explique essentiellement par la hausse des prix de vente sur le marché intérieur, qui répercute elle-même, pour partie, la hausse du coût des matières premières agricoles.
Ces bons résultats ont permis une augmentation de 1,5 % de l'emploi dans le secteur et une augmentation appréciable - de 4 % - des investissements.
Première industrie française par son chiffre d'affaires, l'industrie agro-alimentaire se compose de 4 150 entreprises et emploie près de 420 000 personnes. Si ce secteur compte des entreprises figurant parmi les plus grands groupes mondiaux, à l'image de Danone, qui occupe le quinzième rang mondial, sa vitalité repose en grande partie sur une multitude de PME présentes sur l'ensemble du territoire. En outre, les industries agro-alimentaires transforment 70 % de la production finale de l'agriculture.
Le secteur des industries agro-alimentaires n'en rencontre pas moins certaines difficultés. En 2001, pour la première fois depuis 1996, les exportations agro-alimentaires ont subi une diminution de 2,9 %, avec pour conséquence une dégradation de 20 % du solde de notre commerce extérieur agro-alimentaire.
Cette dégradation s'explique notamment par la baisse des exportations de viande bovine, liée à la fermeture des frontières en réaction aux crises sanitaires de la fièvre aphteuse et de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, par une diminution en valeur des exportations de vin, mais également par une augmentation des importations de soja destiné à remplacer les farines de viande, désormais interdites pour l'alimentation animale.
Parallèlement, la part de la France sur le marché international des produits agro-alimentaires tend à s'éroder. En dix ans, elle a diminué de près d'un point. Ce recul est encore plus marqué sur le marché européen, débouché de près de 70 % de nos exportations.
Ce recul des performances françaises à l'exportation a été au coeur des débats qui se sont tenus lors du dernier salon international de l'alimentation, en octobre dernier. Plusieurs explications ont été avancées, en particulier l'insuffisante analyse de la demande des marchés cibles, la dispersion de l'offre ou encore l'effacement de l'image gastronomique de la France.
Cette évolution appelle des mesures énergiques de la part des pouvoirs publics car, faut-il le rappeler, les entreprises concurrentes des pays tiers bénéficient de soutiens appuyés de la part de leurs gouvernements. Le dispositif français de soutien aux exportations agro-alimentaires doit être renforcé. Par ailleurs, il est indispensable d'engager une relance de la promotion de l'image de la culture alimentaire française, comme le suggère un récent rapport de la société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et alimentaires, la SOPEXA.
L'autre grand sujet qui préoccupe actuellement le secteur agro-alimentaire est celui des relations avec la grande distribution puisque, comme les producteurs agricoles, les entreprises agro-alimentaires subissent les conséquences d'un rapport de force déséquilibré avec les grandes surfaces.
La pratique des marges arrière, qui n'ont cessé de progresser ces dernières années, est particulièrement mal vécue parce qu'elle donne aux entreprises le sentiment de devoir payer pour avoir le droit de vendre leurs produits, ce qui est un comble !
Malgré l'adoption de la loi sur les nouvelles régulations économiques, malgré l'engagement d'un dialogue avec la grande distribution destiné à limiter les marges arrière, les pratiques abusives des grandes surfaces restent la première difficulté rencontrée au quotidien par les industries agro-alimentaires.
Les crédits examinés dans le cadre de cet avis enregistrent des évolutions contrastées.
La commission des affaires économiques tient, tout d'abord, à saluer le souci du Gouvernement de soutenir l'investissement souci dont témoigne l'augmentation de 41 % des crédits de politique industrielle, et la continuité de l'effort accompli en faveur de la sécurité sanitaire des aliments, afin, notamment, de conforter la dotation de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et de financer le programme d'éradication de la tremblante.
D'autres politiques examinées dans cet avis sont simplement reconduites : c'est le cas à l'image de la politique de la qualité ou encore de la promotion des produits agricoles et alimentaires, qui servent notamment au versement d'une subvention à la SOPEXA.
Je viens d'ailleurs de prendre connaissance d'un amendement déposé au nom de la commission des finances sur le titre IV et qui tend à réduire encore de 800 000 euros les crédits consacrés à la lutte contre l'ESB. Même si, à cet égard, les préoccupations ne sont plus aussi vives qu'elles ont pu l'être, faut-il pour autant baisser la garde ? Personnellement, j'espère que cet amendement ne sera pas adopté, mais je crains fort que cet espoir ne soit vain !
Certaines actions enregistrent une vraie diminution de leurs moyens. C'est le cas, par exemple, des crédits destinés à la recherche agro-alimentaire, qui baissent de plus de 8 %. C'est surtout le cas des crédits affectés au financement de l'équarrissage, qui sont réduits de 205,5 millions d'euros. Cette baisse concerne non seulement les moyens destinés à l'élimination des farines dites « à bas risque », mais aussi la dotation au service public de l'équarrissage.
Si la réduction des crédits destinés à soutenir l'élimination des simples déchets de viande des abattoirs s'explique par la dégressivité du dispositif d'indemnisation des équarrisseurs mis en place à la suite de l'interdiction d'utiliser les farines en alimentation animale, la diminution des moyens du service public de l'équarrissage paraît réellement préoccupante compte tenu des enjeux sanitaires de cette activité et de l'allongement de la liste des déchets à haut risque traités dans ce cadre.
Alors que son rapporteur pour avis lui proposait de s'en remettre à la sagesse du Sénat, en raison de la diminution des crédits de la recherche agro-alimentaire et de l'équarrissage, ainsi que de la simple reconduction des crédits de promotion, ce qui lui semble insuffisant au regard du recul des performances de nos exportations, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable quant à l'adoption des crédits consacrés aux industries agro-alimentaires dans le projet de loi de finances pour 2003 dans la mesure où l'essentiel des politiques, hormis celle qui concerne l'équarrissage, était préservé. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis.
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour l'enseignement agricole. Monsieur le président, monsieur le minitre, mes chers collègues, en 2003, si le budget du ministère de l'agriculture augmente de 0,9 %, les crédits consacrés à l'enseignement agricole connaissent une évolution plus favorable encore : ils progressent en effet de 1,9 %, pour atteindre 1 196 millions d'euros.
Tout en portant la marque d'une certaine rigueur, inspirée par un souci de maîtrise des dépenses publiques que je ne peux que soutenir, ce projet de budget comporte des mesures très positives pour l'enseignement agricole.
S'agissant de l'enseignement public, dont les subventions progressent de 0,97 %, il convient d'apprécier les dotations budgétaires au regard de la diminution des effectifs, qui permet de dégager des marges de manoeuvre nouvelles. Je me féliciterai toutefois du maintien du nombre des emplois de personnels non enseignants en 2003. C'est là le signe d'une prise de conscience salutaire des besoins des établissements de l'enseignement technique, qui, je le rappelle, fonctionnent pour une large part selon le régime de l'internat et souffrent de déficits incontestables, notamment en ce qui concerne les personnels médico-sociaux.
Par ailleurs, je noterai avec satisfaction la poursuite du plan de résorption de l'emploi précaire. A ce titre, le projet de budget prévoit la création de trois cents emplois rémunérés sur les ressources propres des établissements.
Il est plus que temps, monsieur le ministre, de mettre en place une gestion prévisionnelle des moyens et des personnels des établissements de l'enseignement agricole public. Cet effort de programmation s'impose, en outre, pour préparer les départs massifs à la retraite. A cet égard, ne faudra-t-il pas réaliser un audit des besoins des établissements ?
En ce qui concerne l'enseignement privé, dont les subventions progressent de 3,51 %, je me félicite que le projet de loi de finances pour 2003 donne à l'Etat les moyens d'assumer les responsabilités qui lui incombent en vertu des dispositions de la loi de 1984.
Pour les établissements du temps plein, les crédits inscrits pour 2003 permettent de tirer les conséquences de la réévaluation des coûts par élève. J'exprime le souhait que le décret fixant les nouvelles modalités de calcul des subventions dont bénéficient ces établissements prévoie la périodicité des procédures de réactualisation.
Pour les établissements du rythme approprié, l'enveloppe prévue pour 2003 devrait permettre la réévaluation du coût du formateur qui, réalisée en principe chaque année, n'avait pas été opérée en 2001 ni en 2002. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ?
S'agissant des établissements de l'enseignement supérieur privé, il avait été prévu de modifier les paramètres de calcul de leurs subventions afin d'améliorer les conditions dans lesquelles ils s'acquittent de leurs activités de recherche. Or cette décision, dont les conséquences budgétaires ont d'ores et déjà été anticipées, n'a pas encore été mise en oeuvre faute de texte d'application. Il s'agit là d'un retard lourd de conséquences. Peut-on espérer qu'en 2003 les mesures nécessaires seront enfin prises ?
En conclusion de cette présentation comptable, j'attirerai votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de définir une nouvelle ambition pour l'enseignement agricole.
En premier lieu, l'adaptation des formations de la production aux nouvelles exigences sanitaires apparaît comme un enjeu stratégique. En effet, je crois qu'il ne peut y avoir de développement du milieu rural sans que le maintien des activités de production soit assuré.
En second lieu, il y a également urgence à définir, au-delà de ces filières, des orientations permettant à l'enseignement agricole de mettre à profit ses acquis pédagogiques au bénéfice de nouveaux domaines, en particulier celui des métiers de l'environnement. Il y a là des besoins à satisfaire.
Les derniers exercices ont été marqués par une absence de réflexion prospective. On ne semble pas avoir encore pris conscience de la nécessité d'adapter cet appareil de formation aux évolutions que connaissent non seulement les professions agricoles mais également la société dans son ensemble. Cette situation est regrettable, car l'enseignement agricole fonctionne bien, et il continue à attirer de nombreux jeunes.
Alors que les facteurs démographiques jouent encore à la baisse, une tendance à la stabilisation des effectifs s'est dessinée à la rentrée 2002. L'accroissement significatif du nombre des élèves dans les formations de niveau V laisse même espérer à terme une progression des effectifs. Les résultats aux examens et les perspectives d'insertion professionnelle offertes aux diplômés continuent à faire de cette filière une filière de promotion au service du développement rural.
Monsieur le ministre, la gestion à court terme qui a prévalu jusqu'à maintenant risque de handicaper l'enseignement relevant de votre ministère et de conduire à une démobilisation des personnels qui en ont fait le succès. Ce serait regrettable, alors que le Gouvernement veut promouvoir l'enseignement professionnel.
Par conséquent, je formule le souhait que l'année 2003 permette d'engager une réflexion, afin de préserver l'adéquation entre les formations agricoles et les métiers auxquels elles préparent.
C'est dans cet espoir que la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement agricole pour 2003. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour les prestations sociales agricoles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que la commission des affaires sociales l'avait dénoncé en son temps, le projet de BAPSA pour 2002 était fondé sur des prévisions irréalistes, qui ont naturellement abouti, dès le milieu de l'année, à un déficit d'exécution d'un montant de 746 millions d'euros.
A peine arrivé aux affaires, le nouveau gouvernement a dû définir, dans le cadre du collectif de l'été dernier, des mesures d'urgence afin de rétablir l'équilibre financier du BAPSA. Outre des prélèvements sur trois organismes agricoles, à savoir la société Unigrains, le Fonds national de garantie des calamités agricoles et les caisses de la Mutualité sociale agricole à hauteur de 456 millions d'euros, ces mesures se sont également traduites par un doublement de la subvention d'équilibre versée par le budget général, qui atteint ainsi 560 millions d'euros en 2002.
La commission des affaires sociales a donc aujourd'hui la satisfaction de constater que le projet de BAPSA pour 2003 a été élaboré par l'actuel gouvernement sur des bases financières plus saines et plus réalistes.
Je ne reprendrai pas ici le détail des chiffres qui ont déjà été exposés par notre excellent collègue rapporteur spécial.
S'agissant des recettes du BAPSA pour 2003, je souligne plus particulièrement le quasi-doublement, par rapport à la loi de finances initiale de 2002, de la subvention d'équilibre.
Le Gouvernement entend, à l'évidence, rompre sur ce point avec les pratiques les plus contestables de son prédécesseur, qui avait tendance à considérer cette subvention comme « une recette parmi d'autres », et dont le montant, en déclin constant au cours de ces dernières années, était déterminé en fonction non pas des besoins de financement du BAPSA, mais des contraintes du budget de l'Etat.
Je me félicite donc, monsieur le ministre, de cette réaffirmation, en 2003, de la solidarité financière de la nation à l'égard du régime de protection sociale des agriculteurs.
Je relève, par ailleurs, que les réserves des caisses de la Mutualité sociale agricole sont, à nouveau, mises à contribution. Certes, le montant de cette contribution est moins important que celui qui a été retenu l'été dernier. En outre, je peux admettre le principe de cette participation financière des caisses de la MSA dès lors que, d'une part, la gravité de la situation financière du BAPSA le justifie, et que, d'autre part, elle s'accompagne, comme cela est le cas, d'un effort parallèle et significatif du budget de l'Etat.
J'exprime néanmoins le souhait, monsieur le ministre, que cette sollicitation des réserves de la MSA demeure tout à fait exceptionnelle et ne devienne pas, les prochaines années, un mode habituel de gestion du régime des exploitants agricoles. En effet, ces réserves sont indispensables à la MSA, notamment pour la mise en oeuvre et le développement d'une action sanitaire et sociale d'une grande richesse qui profite à l'ensemble des ressortissants du régime agricole.
En ce qui concerne les prévisions de dépenses du BAPSA pour 2003, je limiterai mon propos à deux remarques.
La première concerne l'abondement, en première lecture à l'Assemblée nationale, de la ligne budgétaire « Agridif », pour un montant de 10 millions d'euros, votre commission des affaires sociales approuve totalement cette initiative conjointe du Gouvernement et de la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui va permettre de conforter, en 2003, un dispositif essentiel de solidarité à l'égard des agriculteurs en difficulté.
Ma deuxième remarque est relative à l'extension aux exploitants agricoles de la nouvelle allocation forfaitaire prévue en faveur des familles ayant au moins trois enfants et qui perdent le bénéfice des allocations familiales dès lors que l'un de ceux-ci atteint l'âge de vingt ans. Cette mesure répond à la volonté, largement partagée dans cette assemblée, d'aligner la protection sociale des exploitants agricoles sur le droit commun de la sécurité sociale.
Cette volonté est déjà concrétisée dans le projet de budget soumis à notre examen.
A ce sujet, j'évoquerai plus particulièrement le nouveau régime de retraite complémentaire obligatoire créé par la loi du 4 mars 2002. Il entrera en vigueur le 1er avril prochain. On ne peut que se féliciter de cette nouvelle étape dans la consolidation de la protection sociale des agriculteurs. Certes, ce nouveau régime est encore imparfait. Ni les conjoints ni les aides familiaux n'en bénéficient pour l'instant, en raison du coût de cette extension pour les cotisants, évalué à 1,43 milliard d'euros.
Néanmoins, ce nouveau régime de retraite complémentaire a désormais le mérite d'exister et, surtout, d'être financé. En effet, là encore, le Gouvernement a su trouver les ressources budgétaires que son prédécesseur s'était bien gardé, en son temps, de définir : 28 millions d'euros seront ainsi versés par l'Etat en 2003.
M. Paul Raoult. C'est Byzance !
M. Paul Blanc. Eh oui !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Il me paraît nécessaire de souligner que cette retraite complémentaire sera payée mensuellement, alors que les retraites agricoles de base continuent, quant à elles, d'être versées par trimestre, ce qui constitue un archaïsme auquel il convient de mettre fin dans les meilleurs délais.
M. Gérard Le Cam. C'est vrai !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Le reste aussi ! (Rires.)
M. Didier Boulaud. C'est à voir !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Bien sûr, le coût de cette mensualisation est élevé. Diverses solutions pertinentes ont été toutefois proposées, notamment par la caisse centrale de la MSA, afin d'aboutir à sa mise en place progressive.
Malheureusement, ce dossier est devenu plus complexe, depuis que le précédent gouvernement a choisi de financer, entre 1997 et 2001, les déficits d'exécution du BAPSA par des prélèvements massifs sur son fonds de roulement.
M. Henri de Raincourt. C'est incroyable !
M. Paul Blanc. Eh oui !
M. Nicolas About. Eh oui ! La marge de manoeuvre financière, qui aurait facilité un passage progressif à la mensualisation des retraites de base, a donc aujourd'hui disparu.
Néanmoins, cette mensualisation demeure l'une des demandes les plus pressantes des retraités du régime agricole. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous faire part de votre réflexion et de vos projets en ce domaine ?
Je conclurai mon propos par le principal défi qui attend le régime des exploitants agricoles dans les prochaines années, à savoir la disparition annoncée du BAPSA.
Nous connaissons tous les limites et les imperfections de ce budget annexe. Sa suppression pourrait donc fournir l'occasion de pérenniser, sur de nouvelles bases, la protection sociale des exploitants agricoles, à la condition, toutefois, de respecter quelques exigences fondamentales.
Tout d'abord, le BAPSA sera utilement remplacé par un cadre comptable et financier plus cohérent, regroupant, en toute transparence, l'ensemble des recettes et des dépenses du régime agricole.
Par ailleurs, la disparition du BAPSA ne devra pas se traduire par une remise en cause du montant ou du principe même de la solidarité financière de la nation à l'égard de la protection sociale des exploitants agricoles. Cette solidarité est, en effet, la condition primordiale de sa survie.
Enfin, il conviendra de réaffirmer, à cette occasion, les atouts et les spécificités de la Mutualité sociale agricole, dont la proximité et la qualité de gestion sont des gages d'efficacité.
Le chantier est vaste. Ne doutant pas, monsieur le ministre, de votre détermination en la matière, et constatant, dès votre premier projet de loi de finances, votre engagement résolu en faveur de la protection sociale des exploitants agricoles, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du BAPSA pour 2003. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 52 minutes ;
Groupe socialiste, 47 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 34 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 29 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des Présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur agricole reste encore fortement marqué, s'agissant des productions, par les conditions climatiques défavorables de l'année 2002 et, s'agissant de l'élevage, par les conséquences de la crise bovine et du retour de la fièvre aphteuse. L'avenir s'annonce incertain en ce qui concerne tant les résultats des négociations qui ont lieu dans le cadre de l'OMC que l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays.
Ces évolutions, qui mettent en jeu des partenaires extérieurs, se conjuguent avec des situations hexagonales instables dont il convient de clarifier les paramètres. Dans le développement durable, les agriculteurs ont un rôle fondamental : ils interviennent, en interface, comme conservateurs du milieu et comme producteurs, et ce aux échelons européen, national et local.
La décision que vous avez prise cet été, monsieur le ministre, de suspendre l'examen des contrats territoriaux d'exploitation a surpris. Les milieux professionnels ne semblent pas avoir été consultés ni avertis.
M. Didier Boulaud. Ah, quand même !
M. Bernard Joly. La nécessaire simplification des procédures n'est contestée par personne. Elle était d'ailleurs jugée d'autant plus indispensable que le CTE était considéré, jusqu'à présent, comme la seule modalité possible de reconduction de « prime à l'herbe » à partir de l'année prochaine. Cette prime est considérée par les organisations professionnelles comme une mesure emblématique du « nouveau contrat entre la société et son agriculture ». Monsieur le ministre qu'en est-il de cette aide pour l'année à venir ?
A l'issue d'un audit que vous avez demandé, monsieur le ministre, vous avez annoncé, voilà quelques jours, que le CTE serait remplacé par le contrat d'agriculture durable. Ce dernier s'inscrit, semble-t-il, dans une vision plus globale et plus raisonnée de la société qui prédomine dans les actions gouvernementales. Néanmoins, était-il judicieux de changer la donne en cours de partie ? Qu'adviendra-t-il des agriculteurs dont le projet de CTE a été engagé ? Sera-t-il mené à bonne fin ? S'il doit y avoir un pont entre les deux systèmes, comment va-t-il se faire ? Ce sont autant de questions qui appellent des réponses, puisque la sortie des textes réglementaires afférents à ce nouveau dispositif n'est prévue que dans le courant du premier semestre 2003.
Si l'implication du monde agricole dans les enjeux environnementaux prioritaires ne fait pas de doute, il n'est pas moins certain que les agriculteurs refusent d'être exclus du partage de la plus-value. Les dernières actions ont clairement prouvé qu'il fallait clarifier et assainir un système pernicieux.
Il convient d'avoir à l'esprit quelques chiffres : en France, la grande distribution occupe une position dominante, avec cinq centrales d'achat pour 600 000 agriculteurs et 60 millions de consommateurs. Ces centrales, qui se partagent 90 % du marché du pays, ont vu leur poids quasiment doubler en dix ans.
Les marges arrière, pour ne parler que de l'une des pratiques abusives, représentent 30 milliards d'euros soumis à un taux de TVA de 19,6 %. Il s'agit de véritables fourches caudines, car si un fournisseur refuse de se soumettre aux ristournes imposées, qui peuvent atteindre 30 % de la marge bénéficiaire, il ne sera plus référencé par l'enseigne.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Bernard Joly. De plus, si l'on compare le prix de départ payé à l'exploitant et le prix de vente dans les rayons des magasins, il apparaît que 60 % de cet écart tombe dans l'escarcelle de la distribution. En conclusion, l'écrasement du prix d'achat ne profite pas au consommateur, contrairement à ce qu'affirment certaines campagnes de publicité.
Le dernier mouvement de protestation semble avoir débouché, grâce à vous, monsieur le ministre, sur un dialogue. Une convention signée entre grandes surfaces et agriculteurs, portant globalement sur la mise en place d'une véritable politique contractuelle dans les différentes filières, ouvre une perspective d'assainissement. L'arrêté publié tout récemment attribuant deux sièges aux agriculteurs à la commission d'examen des pratiques agricoles, créée par la loi sur les nouvelles régulations économiques, équilibre les représentations dans une structure qui analysera les contrats passés entre la grande distribution et ses fournisseurs.
Il est envisagé tout prochainement un assouplissement de la loi Galland ciblé sur la revente à perte et les promotions abusives qui permettrait aux fournisseurs de pratiquer des différenciations tarifaires venant contrecarrer les marges arrière résiduelles. L'accord qui est intervenu, monsieur le ministre, n'est-il qu'une étape ou est-il définitif ?
L'Etat, sans être dirigiste, doit être vigilant dans l'application des dispositions déjà en vigueur. De plus, il est nécessaire qu'il favorise et accompagne une moralisation des pratiques, qui ne peuvent être uniquement fondées sur le profit. Je souhaiterais à cet égard vous entendre, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte agricole international est tendu avec les négociations de l'OMC et les interrogations sur l'avenir de la politique agricole commune, la PAC ; le contexte budgétaire est globalement difficile, et le précédent gouvernement a laissé de nombreux dossiers en suspens (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) : ...
M. Paul Raoult. L'héritage !
M. Serge Mathieu. ... BAPSA en grave déséquilibre, insuffisance des financements des CTE, blocage du produit de la modulation des aides, promesses non tenues à la suite de la tempête de 1999, dédain à l'égard de l'enseignement privé agricole (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), retraite complémentaire non financée. Malgré ce triste panorama, le budget du ministère connaît une progression de 0,9 % par rapport à 2002 (Rires sur les travées du groupe CRC), et nous ne pouvons que vous en féliciter très vivement, monsieur le ministre.
M. Gérard Le Cam. Quel effort !
M. Henri de Raincourt. C'est pas mal !
M. Didier Boulaud. On attendait plus !
M. Serge Mathieu. C'est un très gros effort !
Dans ce budget, vous entendez redresser la situation et vous affichez clairement vos priorités pour 2003.
M. Gérard Delfau. C'est saint Jean Bouche d'Or !
M. Serge Mathieu. Nous y souscrivons pleinement : oui à une agriculture écologiquement responsable et économiquement forte ; oui au développement de l'attractivité agricole et à la promotion de l'installation ; oui à la solvabilité de la protection sociale agricole.
Dans ce cadre général, permettez-moi, mes chers collègues, de m'attarder plus particulièrement sur la situation de notre viticulture. (Exclamations sur l'ensemble des travées.)
M. Bernard Piras. De qualité !
M. Serge Mathieu. La France est le deuxième exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires, et, si le solde de l'agro-alimentaire, dans notre balance commerciale, est excédentaire, c'est largement grâce au secteur des vins et spiritueux. Parallèlement, je tiens à rappeler que le vignoble de Saint-Emilion a été inscrit par l'UNESCO au patrimoine mondial de l'humanité ; en tant qu'élu d'un département viticole, je ne peux que marquer ma fierté de voir ainsi reconnu le rôle de nos agriculteurs en faveur de la préservation de nos paysages, de l'enrichissement de notre culture et de l'aménagement de nos territoires.
Pour autant, la situation de notre viticulture n'est pas aussi brillante que ces deux éléments pourraient le laisser paraître.
En effet, malgré d'importants efforts d'amélioration de la production, et après des années plutôt encourageantes, notre viticulture est confrontée, aujourd'hui, à des changements qui risquent, à terme, de menacer son dynamisme.
Je rappellerai le cas du beaujolais, que je connais bien, et qui se vérifie dans d'autres régions viticoles. Les professionnels ont, en effet, mené une politique courageuse en mettant en place, cette année, un plan visant à maîtriser la production tout en misant sur la qualité.
Mais, malgré ces efforts, les difficultés de la viticulture sont certaines ; elles s'expliquent par la conjonction de deux facteurs principaux.
Premièrement, on relève une désaffection des consommateurs français et européens, excepté, pour le moment, dans les pays du nord de l'Europe, tant pour les vins de table que pour les vins d'appellation d'origine contrôlée.
Deuxièmement, une concurrence de plus en plus vive des nouveaux producteurs, comme les pays d'Amérique latine, les Etats-Unis, l'Australie, menace notre viticulture.
Or il s'agit non pas d'une situation conjoncturelle, mais bien de tendances lourdes. Ces tendances plaident en faveur d'une réflexion d'envergure avec les professionnels et de mesures ciblées qui permettront à la filière d'adapter l'offre aux évolutions du marché, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
Le Sénat a d'ailleurs pleinement participé à cette réflexion, en particulier dans le cadre du groupe de travail sur la viticulture française dont notre collègue Gérard César était le rapporteur.
Vous-même, monsieur le ministre, vous avez encouragé la profession à débattre et à prendre position par rapport aux propositions du groupe Cap 2010, à la suite du rapport Berthomeau.
Ces propositions peuvent se résumer succinctement. Il s'agit d'une réforme fondée sur la régionalisation, sur un plus grand partenariat entre producteurs et négociants, sur une adaptation de l'offre aux nouvelles habitudes des consommateurs avec, notamment, une segmentation des produits visibles, et sur des démarches commerciales plus pugnaces.
Nous souhaiterions plus particulièrement savoir, monsieur le ministre, où en est cette procédure d'échange des points de vue que vous avez mis en place.
Il semble d'ores et déjà nécessaire de continuer de soutenir la stratégie de l'appellation d'origine contrôlée et de l'indication géographique. Ce sont des outils de développement harmonieux des territoires et des garanties contre les délocalisations.
A ce titre, un point positif mérite d'être souligné, même s'il ne dépend pas du présent budget : l'accord de Doha a prévu une avancée importante sur les indications géographiques, à savoir la négociation d'un système multilatéral d'enregistrement et de notification des indications géographiques pour les vins et spiritueux.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je crois que votre collègue François Loos est bien déterminé à défendre une définition juridiquement contraignante des indications géographiques dans la perspective du sommet de Cancun, en septembre prochain.
Il me semble qu'une stratégie de qualité est la meilleure garantie pour l'avenir de la filière viticole. Elle seule peut lui permettre de résister à une concurrence toujours plus vive des vins du Nouveau Monde.
Pour cela, il faut obtenir, au niveau européen, des mécanismes de gestion des marchés efficaces. Il faut aussi améliorer la traçabilité, clarifier les dénominations en repositionnant l'offre, communiquer activement sur les différents produits, sans négliger les marques et les cépages, adapter les structures commerciales et, enfin, préserver nos pratiques oenologiques.
En somme, dans les différentes perspectives que je viens d'évoquer, monsieur le ministre, il faut que notre politique de qualité, quelles que soient les appellations, trouve des appuis forts. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Pastor. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le ministre, même si votre budget n'est pas foncièrement éloigné, dans sa structure, du budget que votre prédécesseur avait défendu dans cette assemblée en 2001, il laisse planer quelques inquétudes.
Il s'éleve à un tout petit peu plus de 5 milliards d'euros, et enregistre donc une augmentation symbolique de 0,9 %, hors inflation, par rapport à la loi de finances initiale pour 2002, à moins que la majorité du Sénat veuille le réduire pour venir compenser une approximation budgétaire sur cette loi de finances !... Cela montre qu'il n'y a pas, d'un côté, des hommes qui se seraient trompés sur l'ampleur du soutien accordé par l'Etat à l'agriculture et, de l'autre, des hommes qui auraient tout compris parce qu'ils auraient soi-disant la fibre plus rurale.
En revanche, ce budget n'est pas, nous semble-t-il, porteur du souffle capable de lever les inquiétudes d'une profession qui se pose aujourd'hui beaucoup de questions sur son avenir et sur celui de la politique agricole commune.
D'emblée, je vous fais observer que les assurances que certains semblent vouloir nous apporter sur les crédits supplémentaires qui seraient accordés en cas de besoin à l'occasion du prochain collectif budgétaire ne sont pas non plus de nature à nous inspirer une confiance immodérée dans le budget que vous nous proposez aujourd'hui d'adopter.
L'un des mérites de la loi d'orientation agricole est d'avoir réinstauré le rapport de l'homme à la terre en conférant une réelle légitimité à la multifonctionnalité du métier d'agriculteur.
Les CTE ne sont que l'instrument institutionnel du virage amorcé vers cette multifonctionnalité. M. André Lejeune y reviendra tout à l'heure.
Imaginer de simplifier ce dispositif n'est, en soi, absolument pas critiquable et nous vous suivons sur cette décision, à condition de ne pas lui rogner ses ailes en plein essor.
Je remarque que le rapport d'audit réalisé par les inspecteurs généraux du comité permanent de coordination des inspections, le COPERCI, sur l'articulation entre ces politiques et la politique agricole commune a été rendu dès le mois de juillet. Pourtant, personne ne sait exactement à quoi s'en tenir sur la formule revisitée qui nous est promise, à part qu'elle devrait changer de dénomination. Que pouvez-vous nous dire de plus sur ce sujet, monsieur le ministre ?
De ce point de vue notamment, la prime herbagère que vous présentez comme une mesure phare de votre budget et qui va succéder à la prime à l'herbe ne risque-t-elle pas de concurrencer les contrats d'agriculture durable dont la logique de projet global pourrait souffrir ? Ne représentera-t-elle pas un manque à gagner dans les bassins allaitant par rapport au système des CTE et à la prime du maintien des systèmes d'élevage extensifs à la PMSEE, au regard des critères d'éligibilité notamment ? Nous sommes encore dans le flou à cet égard.
S'agissant des indemnités compensatrices de handicaps naturels, à laquelle tiennent, bien sûr, les agriculteurs des zones défavorisées et des zones de montagne, je note que le principe en a été confirmé cette année. Mais, comme d'autres, j'émets le souhait que la légère augmentation de leur ligne de crédit permette de compenser la redéfinition de leur périmètre.
Pour ce qui est de la sécurité sanitaire, les crédits sont en diminution, compte tenu de la forte chute - plus de 200 millions d'euros - de l'enveloppe affectée à l'équarrissage. Cette décision risque de devoir être supportée par la filière bovine qui n'avait pas besoin de cela dans une période encore marquée par les effets de l'encéphalopathie spongiforme bovine.
En revanche, je tiens à le souligner, vous confirmez les crédits de l'AFSSA et les moyens dévolus à la traçabilité via l'identification permanente des animaux, gage d'une indispensable transparence. Bernard Dussaut a exposé tout à l'heure ce point en détail.
S'agissant de la qualité, qui ne rime pas toujours, vous le savez, avec traçabilité, j'ai été confronté, dans mon département, à une décision affectant des groupements de producteurs de veaux sous la mère travaillant sous marque de qualité, comme chacun le prône : un groupement de producteurs de veaux du Lauragais a en effet perdu la semaine dernière son agrément, avec le soutien de votre ministère.
Supprimer les petits groupements n'est pas de nature à encourager les initiatives des éleveurs et à les motiver pour créer des unités économiques dans ce secteur d'activité, qui en a pourtant bien besoin.
Je me permets donc, monsieur le ministre, de me faire l'écho des préoccupations des éleveurs et de vous alerter afin que vous soyez vigilant. De tels problèmes ne manqueront pas de se reproduire, car il reste quelque 120 à 150 dossiers à examiner.
Sachez que les lois économiques ne sont pas toujours liées aux simples règles théoriques ; elles dépendent également de la motivation des hommes. Or ce n'est pas en ne laissant subsister que d'immenses groupements de producteurs que l'on créera les conditions de cette motivation.
Les crédits consacrés aux aménagements en milieu rural ont, pour leur part, été détaillés par notre collègue M. Delfau dans son rapport sur le développement rural. J'insisterai, en tant qu'administrateur de la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, sur la diminution de près de 17 % des crédits de paiement destinés aux sociétés d'aménagement régional, ce qui ne manquera pas de se traduire par des diminutions des programmes d'investissement et donc par une diminution de l'influence économique de ces sociétés.
Pour ce qui est des dépenses forestières, elles sont reconduites dans le droit-fil de la précédente loi « forêt ». Cela nous satisfait, monsieur le ministre. Je relève également l'effort qu'a accompli l'ONF pour s'adapter aux situations nouvelles.
Le dossier de l'installation est toujours sensible. Vous annoncez la mise en oeuvre d'un fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture, afin de financer les opérations locales. C'est parfait. Nous en prenons acte.
Outre le fait que le fascicule bleu n'individualise pas ce fonds par rapport à la dotation aux jeunes agriculteurs, la DJA, et qu'il ne traduit pas une évolution très sensible des sommes consacrées à l'installation, nous ne pouvons pas espérer que le flux d'installations sera supérieur au flux habituel.
Avec 6 000 enfants par an en âge de s'installer, les agriculteurs n'ont plus les capacités d'assurer le renouvellement des exploitants. Les besoins sont évalués à 12 000 installations par an.
L'installation progressive hors DJA, voire tardive, l'assouplissement de l'aide à la transmission, comme les suggestions du rapporteur de la mission sur l'avenir de l'élevage, M. Emorine, doivent mobiliser votre attention, monsieur le ministre.
En ce qui concerne le soutien des filières, M. le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture n'a pas été le seul à être surpris. Les crédits au titre des offices sont en baisse de 15 %. Ce n'est pas passé inaperçu et cela privera les éleveurs bovins, les viticulteurs et les céréaliers, notamment, de moyens d'intervention et d'expertise lors des crises récurrentes auxquelles ils sont confrontés.
Enfin, je ne ferai que citer la question des retraites complémentaires, laissant aux autres intervenants du groupe socialiste le soin d'en traiter.
Au total, ce budget ne marque pas de véritable élan à un moment où nombre de producteurs sont plus que préoccupés par le devenir de l'agriculture française. Il marque peut-être au contraire un pas alors que la situation internationale devrait inciter la France à faire preuve d'imagination et de volontarisme. Au lieu de cela, vous proposez de dévaloriser l'outil novateur qu'est le CTE en l'assimilant à une mesure de circonstance.
Monsieur le ministre, pourriez-vous par ailleurs préciser quel est le lien entre les orientations budgétaires et la politique agricole commune ? La première politique intégrée de l'Europe semble aujourd'hui en panne et l'on ne peut pas décider d'une politique nationale sans voir clair par rapport à cette PAC.
L'apparente absence de stratégie nous trouble. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur les choix de la France dans le débat de stratégie européenne d'ici à la fin de l'année 2006 ? Ne pas offrir de perspectives n'est pas de nature à rassurer les jeunes agriculteurs dont le doute est palpable. Ils devraient attendre 2006 avec le sentiment qu'il n'y a que peu d'espoirs car il faudra de toute façon en venir à cette réforme. Ils savent bien qu'il faudrait procéder à une réforme, mais il ne faudra pas qu'elle intervienne dans des conditions qui, aujourd'hui, ne paraissent guère rassurantes. La stabilisation de la dépense agricole en 2006 pour les vingt-cinq Etats européens s'accompagnera nécessairement de redéploiements. C'est évident, et cela fait naître bien des inquiétudes.
Le vote d'un budget est aussi le vote d'une orientation politique pour l'avenir, monsieur le ministre.
Or, dans ce budget, rien ne filtre sur cet avenir. Comment la France se prépare-t-elle à cette mutation européenne ? Certainement pas en réduisant le rôle des offices et en supprimant les groupements de producteurs !
Monsieur le ministre, dans ces conditions d'attentisme et d'incertitude, nous ne voterons pas votre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre et cher ami, mes chers collègues, je voudrais d'abord féliciter M. Joël Bourdin, rapporteur spécial, ainsi que les différents rapporteurs pour avis dont les interventions ont permis de mieux comprendre un budget qui est important et qui a de nombreux champs d'intervention, un budget, nous l'avons compris, qui a été mis en place dans un contexte budgétaire difficile sur lequel on peut, selon que l'on met l'accent sur le fait que le verre est à moitié plein ou à moitié vide, porter des jugements différents.
C'est ainsi que ce budget est en hausse de 0,9 %, si on le compare au budget primitif de l'an dernier, mais en baisse de 3 % si on le compare au budget qui découle de la loi de finances rectificative. Il est sans doute encore comparable à autre chose si l'on prend en compte les crédits engagés et les dépenses réalisées. Toutes ces comparaisons sont importantes, mais, finalement, elles ne mènent pas très loin.
Ce qui est important, c'est que ces dépenses sont de natures différentes, qu'elles couvrent de multiples champs : la protection sociale, la formation, la recherche, les industries agro-alimentaires, la forêt. Pour les autres secteurs de l'économie, monsieur le ministre, ces dépenses figurent dans des budgets spécifiques qui ne sont pas comptabilisés à la charge de tel ou tel secteurprofessionnel.
Ainsi, si l'on identifie les seuls concours publics de nature économique au sens large, ce sont 12,4 milliards d'euros qui sont affectés à l'agriculture, c'est-à-dire 45 % des concours publics totaux, dont d'ailleurs près de 81 % proviennent du budget communautaire.
L'ensemble des concours publics à l'agriculture est toujours source de controverse et d'ambiguïté, car il agrège des dépenses de natures différentes qui ne sont pas représentatives du soutien apporté à l'agriculture en tant que secteur économique.
Dans les autres secteurs de l'économie, je viens de le dire, les dépenses affectées à d'autres activités importantes figurent dans des budgets spécifiques et ne sont pas comptabilisées à la charge du secteur.
L'agriculture présente ainsi une spécificité forte dans la répartition des concours publics qui regroupent des dépenses ne concernant pas la seule activité agricole productive et qui relèvent, d'une façon générale, de l'Etat.
Le budget du ministère de l'agriculture, à lui seul, représente aujourd'hui 18 % des concours publics de l'agriculture. Les aides régionales, souvent mal connues et pourtant importantes dans certains secteurs, s'ajoutent à ce total.
Monsieur le ministre, ce budget français du ministère de l'agriculture ne sert donc pas seulement aux agents économiques de l'agriculture, comme pourraient le croire des observateurs non avertis. Il faut le dire et le faire savoir. Ce budget influence une sphère bien plus grande.
On peut légitiment prévoir que les choses seront encore différentes lorsque vous aurez pris toute la dimension de votre appellation de « ministre du développement rural », examinée lors du conseil des ministres du 20 novembre dernier ; nous souhaiterions que vous nous en disiez davantage sur ce point.
Ce budget s'est fixé des priorités, en faveur de l'enseignement notamment. C'est une bonne chose. C'est une manière de préparer l'avenir, avec lequel il ne faut jamais badiner.
S'agissant de la recherche, j'évoquerai l'INRA. Cet oganisme privilégie encore une approche globale des problèmes dans un monde où la spécialisation scientifique est devenue la règle. Dans la mesure où nous sommes les derniers en Europe à conserver cette attitude, nous avons un devoir d'entraînement et de restriction au niveau international.
J'ai d'ailleurs constaté avec plaisir que l'organisation interne de l'INRA a été revue pour que cet organisme fasse partie de ceux qui structureront demain l'espace mondial de la recherche. C'est un vrai challenge, monsieur le ministre. Il nous faut le gagner.
Je ne souhaite pas parler du BAPSA car le temps m'est limité ; je veux simplement attirer votre attention sur les prélèvements sur les réserves des caisses de MSA dans le cadre de la loi de finances rectificative de 2002 et de la loi de finances initiale pour 2003.
Il s'agit là de prélèvements qu'on ne fait qu'une fois, monsieur le ministre. Et ils risquent de priver les caisses de mutualité sociale agricole des leviers qui leur permettent de mener une action sociale indispensable en milieu rural.
Je souhaite maintenant attirer votre attention sur quelques faiblesses que j'ai pu déceler dans ce budget - mais je ne les ai pas toutes vues.
Ce projet de budget devrait être augmenté. Cela dit, nous avons conscience des impératifs.
Monsieur le ministre, vous avez privilégié la remise à niveau de dotations insuffisantes en 2002. Il fallait le faire, mais la revalorisation des dotations pour les contrats territoriaux d'exploitation et pour les mesures agro-environnementales hors CTE ne permettra pas de faire face aux besoins.
Le doublement des crédits du fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation, le FFCTE, sera insuffisant pour honorer les CTE déjà signés et les CTE relevant de la procédure transitoire qui vient d'être arrêtée ainsi que le nouveau dispositif qui devrait être opérationnel au printemps 2003.
L'augmentation de plus de 50 % de la dotation affectée aux mesures agro-environnementales hors CTE ne permettra pas de revaloriser de façon significative la nouvelle prime herbagère qui doit prendre la suite, en 2003, des mesures qui existaient.
Peut-être nous parlerez-vous des décisions récentes sur les CTE. Le budget qui est présenté n'en tient pas forcément compte.
Or, monsieur le ministre, les CTE améliorés, revus et corrigés - nous avons eu ce débat dans cette assemblée en 1999 - sont nécessaires à la gestion de la politique agricole. C'est la forme moderne et intelligente de relation entre l'agriculture et le pays. Les agriculteurs sont respectueux des accords donnés. Un contrat signé est un véritable engagement.
Il fallait boucler votre budget, et vous avez dû engager des redéploiements lourds de conséquences. Le projet de budget pour 2003 se traduit par des remises en cause d'actions, suite à des réductions drastiques de crédits qui risquent de fragiliser l'agriculture.
La baisse de 15,2 % de la dotation aux offices va sans doute se traduire, compte tenu de la rigidité de l'évolution des dépenses de fonctionnement et des crédits inscrits dans les contrats de plan, par une baisse d'un tiers des crédits d'orientation. Une telle situation va presque automatiquement mener à des révisions drastiques des politiques conduites dans les offices, qui ont pourtant pour objectif d'adapter la production aux débouchés, de structurer les filières ou d'encourager les démarches de qualité.
Par ailleurs, de nombreux secteurs traversent des crises qui ont malmené le revenu des producteurs. La chute de 42 % des crédits consacrés à l'élimination des déchets d'abattoir et au service public de l'équarissage aura, elle aussi, des répercussions sur l'ensemble de la filière viande, du producteur au consommateur.
La fusion des deux lignes « fonds d'allégements des charges des agriculteurs », dite « FAC », et « agriculteurs en difficulté » du budget du ministère conjuguée à la suppression de la ligne consacrée à l'allégement des cotisations sociales sur le BAPSA déstructure totalement ce dispositif. En effet, le redressement d'exploitations fragilisées exige toujours des mesures spécifiques s'appuyant sur des aides à la couverture sociale, au redressement et au suivi qui doivent exister à côté de dispositifs de crises.
Enfin, l'absence de dotation au fonds national de garantie des calamités agricoles, outre qu'elle intervient à un moment où l'agriculture est confrontée à des inondations sans précédent, augure mal la mise en oeuvre des orientations du rapport Babusiaux, qui avait été timidement prévue dans le budget pour 2002. Elle risque de décaler une nouvelle fois la France par rapport à l'assurance-récolte, alors que certains Etats membres, notamment l'Espagne, sont déjà très engagés sur cette voie.
Monsieur le ministre, ce budget comporte de bonnes choses : une augmentation des crédits consacrés à la sécurité sanitaire, la retraite complémentaire obligatoire, la création du fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture, le FICIA. J'en ai relevé une moins bonne, dont je souhaite vous parler : c'est le recul sur la sélection animale. En ce domaine, j'ai quelques droits de paternité. (Sourires.)
L'enveloppe consacrée à l'amélioration génétique des animaux est en baisse de 3,5 %. Après cinq années de stagnation de cette enveloppe en francs courants, cette nouvelle baisse vient aggraver la situation du secteur de la sélection animale. C'est la pérennité des actions de base qui est en jeu, notamment dans le secteur allaitant, où les graves crises économiques de ces dernières années ont provoqué une nouvelle régression de la base de sélection et une baisse du recours à l'insémination artificielle.
La crise que traverse le secteur animal nécessite, bien sûr, de nombreuses mesures. Mais il est indispensable que les crédits consacrés à l'amélioration génétique permettent de maintenir la base de sélection des races allaitantes pour pouvoir, demain, contribuer à travailler sur la qualité des viandes et se conformer aux nouvelles attentes des consommateurs.
L'Etat s'était engagé voilà cinq ans à ne plus laisser l'enveloppe consacrées à la sélection animale descendre au-dessous d'un seuil de 14,5 millions d'euros actualisé. Or nous sommes, cette année, au-dessous, mais je pense que ce n'est qu'une situation provisoire, C'est le maintien d'un outil de sélection efficace qui est en jeu. Il faut, dans ce secteur, préparer l'avenir.
Monsieur le ministre, le projet de loi de finances pour 2003 que nous allons voter comporte également plusieurs dispositions qui intéressent particulièrement le secteur agricole, même si elles s'appliquent aussi à tous les agents économiques : je veux parler de la baisse de l'impôt sur le revenu, de l'amélioration de la prime pour l'emploi, de l'annualisation du paiement de la TVA pour certains redevables. Je tiens à saluer ces mesures.
En revanche, malgré divers rapports publiés depuis plusieurs années, le projet de loi de finances pour 2003 ne comporte aucune disposition fiscale nouvelle permettant d'introduire des marges de manoeuvre sur la trésorerie des exploitations ou de faciliter leur transmission. Je tenais à souligner cette carence. En ce domaine également, adapter la fiscalité, c'est préparer l'avenir des entreprises.
Après avoir participé, grâce à M. le président Chirac, au Sommet mondial sur le développement durable à Johannesbourg, je ne m'explique pas l'erreur d'orientation donnée aux agents économiques concernés, du fait de l'aggravation de la fiscalité des biocarburants. C'est une incohérence au moment où, par ailleurs, l'Etat affirme qu'il a des préoccupations en matière d'énergies renouvelables et d'environnement. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Changeons de sujet, monsieur le ministre.
Je souhaite, profitant de votre présence, parler des accords relatifs au nouveau régime douanier céréalier européen.
A l'origine des accords, il y a un afflux des céréales en provenance de pays riverains de la mer Noire, deux années d'importantes récoltes en Russie et en Ukraine, des importations facilitées par la passivité de la Commission européenne pendant plus d'un an, un emballement du phénomène au cours de l'été 2002 et des baisses de prix prolongées dans l'Union européenne pour le blé entre novembre 2001 et novembre 2002. Finalement, le 12 novembre, des accords relatifs à la refonte du régime douanier céréalier européen sont intervenus dans le cadre de l'OMC.
Je n'entrerai pas dans les détails, monsieur le ministre ; vous les connaissez. Je vous demanderai simplement comment s'appliqueront ces accords, qui sont importants, étant donné que ce sont l'Ukraine et la Russie qui ont menacé le marché européen, alors que ces pays ne font pas partie de l'OMC. Qui, au sein du Gouvernement, est concerné ? Est-ce le ministre délégué au commerce extérieur, qui est chargé de l'OMC en général, ou le ministre de l'agriculture, qui est l'autorité de tutelle de l'Office national interprofessionnel des céréales, l'ONIC ? Nous aimerions le savoir.
En terminant, permettez-moi de vous dire combien nous avons apprécié votre action au cours de ce semestre depuis votre arrivée rue de Varenne, et combien nous avons été sensibles à la part que vous avez prise à la préparation des accords franco-allemands entre le Chancelier Schröder et le Président Chirac sur la politique agricole commune.
Je souhaite que vous disiez à M. le Président de la République qu'au Sénat une majorité a reçu le message. Nous disposons d'une période de répit que nous allons mettre à profit pour être prêts après 2006. Nous allons apporter notre pierre à la réflexion sur une nouvelle politique agricole commune.
Ce sera un grand projet pour l'agriculture française dans l'Europe de demain élargie, un projet en rupture avec ce qui s'est passé depuis 1992, époque où l'on s'est trompé d'orientation, un projet qui donne de l'espoir à toutes les catégories d'agriculteurs, mais peut-être spécialement aux jeunes, en leur proposant un métier sans tracasserie administrative, avec des perspectives réelles de revenus et de dignité professionnelle reconnue, un projet dans lequel le revenu des agriculteurs dépendra plus qu'aujourd'hui du marché et moins des finances publiques.
Monsieur le ministre, comme nous l'avions fait en 1960 avec le général de Gaulle, je souhaite que vous soyez, dans les instances européennes, au nom de la France, l'artisan de cette vaste réforme, de cette vaste entreprise qui engagera la France et l'Europe pour plusieurs décennies. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'agriculture française et les agriculteurs représentent une dimension incontournable de notre économie au service non seulement de sa fonction première, à savoir nourrir la population, mais également de toutes ses fonctions secondaires en matière d'environnement, d'aménagement de territoire, de tourisme et de ruralité. Cela mérite d'être souligné en introduction.
Dans le projet de budget de l'agriculture pour 2003 qui nous est présenté, on tente à la fois de se démarquer des budgets précédents et d'excuser son impuissance par « le poids de l'héritage », justifié notamment par la montée en puissance des CTE, que la droite a toujours combattus, et le coût de la retraite complémentaire au sein du BAPSA, que la droite a pourtant voté.
Ce budget, annoncé en augmentation de 0,9 %, est, en réalité, en régression, compte tenu de l'inflation. Il n'amorce pas une réponse à la hauteur de la situation de crise que connaît notre agriculture pour la quasi-totalité de ses productions. Les cours du porc stagnent autour d'un euro le kilogramme, la viande bovine ne s'est pas remise de la crise de confiance provoquée par l'ESB et la fièvre aphteuse. Les céréales sont concurrencées par les importations abusives de Russie ou d'Ukraine, qui sont passées de 5,5 millions de tonnes à 12,7 millions de tonnes, sans être taxées à 155 % du prix européen d'intervention, comme cela est possible.
Pourquoi la Commission a-t-elle ainsi bradé la préférence communautaire ? La crise avicole trouve sa principale cause dans l'importation abusive de viandes saumurées du Brésil et de Thaïlande.
Les fruits et légumes sont les premières victimes des importations de la grande distribution et de ses pratiques commerciales illégales, du type « marges arrière ».
La crise de la viticulture, qui a suscité un récent rapport de la commission des affaires économiques, vient renforcer ce tableau.
Enfin, si les ovins se vendent bien pour l'instant, le cheptel global se réduit, les vocations de bergers s'amenuisent et le loup irrite beaucoup dans le Mercantour.
Monsieur le ministre, derrrière ces crises, il y a des femmes, des hommes qui se découragent, qui, parfois même, mettent fin à leurs jours. Les chiffres sont accablants à ce titre. Harcelés par les contrôles tatillons, la pression des banques, les cours insuffisants et le poids de l'opinion publique à leur égard, nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, quittent la profession bien avant l'âge de la retraite.
A ce titre, le dispositif « Agriculteurs en difficulté », dit « Agridif », qui est globalisé avec le fonds d'allégement des charges, ne répond pas à la situation, malgré les 10 millions d'euros votés à l'Assemblée nationale. Depuis des années, les critères d'attribution se sont durcis pour les agriculteurs en difficulté, ce qui explique leur sous-utilisation. Il est urgent d'inverser tout cela, monsieur le ministre.
La réduction de 15 % des crédits destinés aux offices est également inquiétante et restreint les possibilités de ceux-ci en période de crise. J'ose espérer que le rapport promis à l'Assemblée nationale préconisera l'abondement de fonds aux offices.
La prime herbagère agro-environnementale revalorisée de 70 % est sans doute la mesure la plus positive de votre budget. Encore faudrait-il que nous en connaissions les critères d'attribution. Seront-ils sociaux, environnementaux ou simplement quantitatifs ?
Enfin, les aides à l'équarrissage sont réduites de 205 millions d'euros, ce qui risque de se répercuter une fois de plus sur la profession. A ce sujet, monsieur le ministre, je voudrais vous demander où en est le Gouvernement sur la question de l'élimination des farines animales, quelles solutions techniques il préconise et où.
A propos de l'installation des jeunes, le rapport budgétaire montre qu'un jeune sur deux s'installe hors dotation aux jeunes agriculteurs. Ils sont plus de 5 000 chaque année à s'engager dans la profession sans aide et s'en trouvent particulièrement fragilisés. J'ai d'ailleurs entendu des échos favorables à ma droite, au sein de la commission des affaires économiques, sur ce sujet.
Des mesures d'aides concrètes et simples en leur faveur seraient les bienvenues, mesures d'accompagnement technique, financières et sociales. Ce n'est donc pas le moment de baisser de 8,5 millions d'euros l'enveloppe DJA, même si vous dotez le fonds d'incitation et de communication pour l'installation en agriculture de 10 millions d'euros.
S'agissant des CTE, vous avez choisi, monsieur le ministre, de les suspendre temporairement dès le 6 août 2002, et cela sans concertation avec la profession agricole. A ce propos, je voudrais citer ici la délibération en date du 14 novembre dernier de la chambre d'agriculture des Côtes-d'Armor, qui constate « que ces mesures prises unilatéralement par l'Etat vont conduire à réduire très fortement le montant des aides initialement prévues dans chaque contrat afin de respecter une moyenne départementale de 27 000 euros ».
Elle s'étonne encore « que ces mesures aient été prises sans aucune concertation avec la profession agricole ». Elle déplore ensuite « que ces décisions arrivent à un moment où la dynamique en faveur des CTE commençait à porter ses fruits ». Elle demande, enfin, « que le futur dispositif CTE devienne rapidement opérationnel et soit suffisamment incitatif financièrement ». Ce sont les agriculteurs des Côtes-d'Armor qui le disent, monsieur le ministre, il faut les entendre !
Les CTE étaient, dans le cadre de la loi d'orientation agricole, la LOA, un outil au service de la multifonctionnalité, de l'environnement, de la maîtrise des productions et de la diversité des agriculteurs de notre pays. Il est à craindre que ces objectifs ne soient dévoyés et que le CTE ne devienne un outil de modélisation de l'agriculture telle que vous la concevez. J'ai encore en mémoire les débats de la LOA, lorsque la majorité sénatoriale avait intentionnellement transformé nos exploitations agricoles en entreprises.
Il est regrettable qu'une véritable concertation n'ait pas eu lieu avec toute la profession. Nous attendons avec impatience que vous dévoiliez vos intentions précises à ce sujet, monsieur le ministre.
Ce budget s'inscrit dans un contexte européen lourd de conséquences et d'inquiétudes pour le monde agricole. Je veux évidemment évoquer la révision à mi-parcours de la PAC à la suite des accords de Berlin de 1999, révision à laquelle vous avez fait front, monsieur le ministre, et je tiens ici à saluer publiquement votre attitude...
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Merci !
M. Gérard Le Cam. ... car, en repoussant l'échéance, vous avez servi les intérêts de la France. Désormais, il faudra aller plus loin et réorienter cette PAC dans l'intérêt de tous.
S'agissant, brièvement, de la forêt, nous ne pouvons accepter la suppression de cinq cents emplois à l'ONF, car cela ne contribuera pas à préparer correctement l'avenir de la filière bois.
Par ailleurs, la Commission européenne propose de « réformer la réforme » de 1999 sans, au préalable, en avoir établi un bilan à mi-parcours. Il s'agit, en fait, de répondre toujours mieux aux critères ultralibéraux de l'OMC, des Etats-Unis et du groupe de Cairns, et d'engager l'agriculture française comme monnaie de négociation future. Cela est inadmissible au moment où les Etats-Unis relancent la course aux subventions avec le Farm Bill 2002. L'Europe doit, au contraire, assurer son indépendance, sa souveraineté alimentaire et appliquer plus que jamais la préférence communautaire.
Le découplage des aides envisagé par la Commission est pervers à double titre. D'une part, il assure aux exploitations une rente calculée par référence à la moyenne des primes perçues au cours des trois dernières années, ce qui crée une distorsion importante entre les exploitations selon la qualité des sols, la situtation géographique et le type de production. C'est une mesure qui fragilise les plus faibles. D'autre part, cette référence n'existant pas pour les dix pays qui vont faire leur entrée dans l'Union européenne, ceux-ci devront accepter ce que l'on voudra bien leur accorder.
L'écoconditionnalité, sur laquelle nous sommes tous d'accord, ne doit cependant pas servir à la fois à satisfaire l'opinion publique et à cacher une politique agricole d'abord orientée au profit de l'agro-industrie exportatrice européenne.
Les plafonnements et la baisse des aides programmées ne peuvent que porter préjudice aux exploitations de dimension familiale et favoriser l'intensif.
Autre aspect négatif : le déficit en protéines européen lié à l'encéphalopathie spongiforme bovine et à la suppression des farines animales dans l'alimentation n'est pas comblé par une politique volontaire de développement des cultures d'oléagineux et de protéagineux, cultures qui ont, par ailleurs, l'énorme avantage d'être économes en engrais chimiques puisqu'elles fixent l'azote de l'air, les 36 millions de tonnes de graines oléagineuses et protéagineuses importées correspondant à 10 millions d'hectares de cultures en Europe.
S'il est vrai que la politique des aides, qui représente plus de 50 % du revenu agricole, rend artificielle l'agriculture, toute modification de celle-ci doit être subordonnée à une réelle et pérenne politique de prix stables et rémunérateurs. L'action du 20 novembre dernier, engagée par la FNSEA et les jeunes agriculteurs, a été largement soutenue par la Coordination rurale, le MODEF, l'UFC-Que Choisir et la CGT. Je crois, monsieur le ministre, que vos promesses de renforcement des contrôles et des sanctions ne suffiront pas à enrayer les pratiques des grandes et moyennes surfaces, même si elles sont nécessaires. Il est urgent d'aller plus loin et de durcir la loi relative aux nouvelles régulations économiques, voire de surtaxer les profits exorbitants de la grande distribution si celle-ci n'obtempère pas.
Enfin, l'élargissement à vingt-cinq, auquel nous sommes favorables, pour se partager la manne initialement prévue pour quinze ne se fera pas sans lourdes conséquences tant pour les Etats membres actuels que pour les Etats entrant dans l'Europe.
Le jeu de massacre prévisible pour les populations agricoles et leur reconversion n'a pas été mesuré par la Commission européenne.
Pour me résumer, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois qu'il est indispensable que la France propose une PAC dans laquelle il faut absolument faire jouer la préférence communautaire, prendre les dispositions de maîtrise de la production dans les secteurs où la France est sensiblement excédentaire, orienter les primes en faveur des secteurs les plus nécessiteux - zones de production difficiles, zones pauvres - et, enfin, favoriser l'installation de tous les jeunes agriculteurs, DJA et hors DJA, afin de maintenir un véritable tissu rural.
Votre budget n'est pas encore orienté vers ces directions, monsieur le ministre. Le débat dans cet hémicycle sur la loi d'orientation agricole a montré le gouffre qui nous séparait de la droite en matière agricole, même si, parfois, des propositions de bon sens peuvent être communes. Aussi, nous voterons contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un siècle, le poète Milosz a écrit : « La chute d'une seule feuille emplit d'effroi le corps muet de la forêt ».
Voilà trois ans, les ouragans Lothar et Martin nous ont coûté non pas une feuille, mais dix millions d'arbres : chute des arbres, suivie de la chute des cours du bois, la crise financière redoublant l'effet de la météorologie !
Monsieur le ministre, le nom de votre ministère est fort long, pourtant la forêt n'y figure pas.
M. Hervé Gaymard, ministre. Eh oui !
M. Yann Gaillard. Bien plus, vous aviez une direction de l'espace rural et de la forêt : elle disparaît dans une « méga-fusion » administrative.
Est-ce à dire que vous vous désintéressez des hectares de forêt - 25 % du territoire national - et des 500 000 emplois qui s'efforcent d'y perdurer ? Non, sans doute, bien que vous soyez requis par l'agriculture, l'alimentation, la pêche, l'Europe, et que vous déployiez vos talents, qui sont grands, de Bruxelles à Varsovie ! Mais nous, nous craignons de ne pas attirer assez l'attention des pouvoirs publics. Les forestiers, éleveurs d'arbres, scieurs de long ou fendeurs de merrains, n'ont pas l'habitude de barrer les routes, fussent-elles forestières ! Il est vrai que cela ne gênerait pas grand monde. (Sourires.)
A sa forêt, la France a envoyé trois messages : le plan Jospin, au lendemain des ouragans, en janvier 2000 ; la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001 ; le contrat de plan Etat-ONF du 22 juillet 2001. C'est aux promesses ainsi formulées qu'il faut jauger votre budget, monsieur le ministre.
Faisons masse, pour simplifier, de cette loi de finances et des deux lois de finances rectificatives d'été et d'hiver.
D'abord, le plan de janvier 2000 compte, pour première mesure, la reconstitution des forêts sur dix ans. On s'y retrouve à peu près, compte tenu des crédits européens. Ce qui manque, ce sont les crédits de travaux forestiers ordinaires, confondus avec les travaux de reconstitution, à l'intérieur du chapitre 61-45. Sur les 115 millions d'euros disponibles dans le budget pour 2003, il ne reste guère que 13 millions pour la conversion, le reboisement, la voirie...
Il nous faudrait, et M. Plauche-Gillon est d'accord avec moi, quelque 40 millions d'euros dans le collectif budgétaire pour faire face aux dossiers qui s'accumulent, dans la forêt publique et, surtout, dans la forêt privée, pour ces tâches quotidiennes.
Il est une deuxième mesure dans cette annonce de janvier 2000: l'aide aux communes sinistrées, ainsi qu'à celles qui, par solidarité, avaient différé la mise de leurs coupes sur le marché ou stocké leur bois. Vous conviendrez que ce problème intéresse tout particulièrement le président de la fédération des communes forestières que je suis. Les aides budgétaires du ministère de l'intérieur ont, jusqu'à présent, bien fonctionné. Elles devraient être prolongées à hauteur de 11 millions d'euros : il faudra faire avec !
En revanche, ce qui manque, ce sur quoi nous n'avons aucune garantie, c'est la prolongation des prêts bonifiés. Il paraît qu'un arbitrage se prépare. Nous sommes inquiets.
Vint ensuite la loi d'orientation. Ce texte enjoint à la gestion forestière d'être durable et multifonctionnelle. Durable, elle l'était déjà au temps de La Fontaine. Mais il faut désormais que cette durabilité soit écocertifiée ! Avec nos collègues de la forêt privée, nous nous efforçons d'imposer le label européen PEFC - Pan European Forest Certification - face au très anglo-saxon label FSC, ou Forest Stewardship Council.
Aidez-nous, monsieur le ministre !
Multifonctionnelle, la forêt ? Ce jargon recouvre l'accueil et la protection de la nature. J'ai scruté le budget de l'environnement, cotuteur de l'ONF, et j'y ai trouvé 0,7 million d'euros : une misère...
Il y a, en outre, dans ce troisième de nos grands textes forestiers, après ceux de Colbert et de Charles X, trois articles qui nous intéressent fort.
Je passe sur le reversement d'un pourcentage de nos cotisations en valeur « bois », problème qui, sur le plan du principe, semble réglé. Grand merci !
Nous attendons désormais que le Gouvernement prenne les décrets d'application de l'article 9, relatif au plan d'épargne forestière, et de l'article 26, relatif au financement de l'interprofession.
J'en viens au troisième message : le contrat de plan Etat-ONF. Les 35 millions d'euros du collectif d'été sont bien insuffisants pour couvrir le déficit de cette année, qui frise et dépassera peut-être les 90 millions d'euros.
L'Office, notre partenaire, est fragilisé, comme tout ce qui mue. Nous ne doutons pas que le collectif lui accorde une rallonge. Sera-t-elle suffisante ?
Nous nous réjouissons, certes, que la promesse de sanctuariser le versement compensateur soit tenue, mais nous voudrions éviter de déstabiliser davantage l'ONF en segmentant le domaine forestier de l'Etat. Cette décentralisation-là peut attendre, et tous nos amis de la filière bois sont de cet avis. Nous l'avons dit il y a quelques jours à M. Devedjian, qui recevait les représentants de la fédération des communes forestières. Dites-lui à votre tour, monsieur le ministre, que la forêt est une longue patience. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.)